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Date : 20180205


Dossier : IMM-3476-17

Référence : 2018 CF 132

Ottawa (Ontario), le 5 février 2018

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

GEETIKA PURI

GAGAN PURI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs, Gagan et Geetika Puri, contestent la raisonnabilité d’une décision d’une agent d’immigration, datée du 17 mai 2017, rejetant leur demande de dispense visant à leur permettre, pour des considérations humanitaires, de déposer une demande de résidence permanente au Canada plutôt qu’à l’étranger, tel que le permet le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2]  L’intitulé de la cause est modifié pour refléter correctement le défendeur, soit le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

Rappel des faits

[3]  Les demandeurs sont un couple marié, citoyens de l’Inde. Ils proviennent de castes différentes. Ils ont deux enfants de 3 ans et 10 mois, nés au Canada et citoyens canadiens. Ils sont arrivés au Canada le 12 juillet 2013. Le 27 juillet 2013, les demandeurs ont présenté une demande d’asile.

[4]  Disant avoir commencé à se côtoyer en 2009, les demandeurs ont informé leurs parents de leur désir de se marier deux ans plus tard. La famille de la demanderesse se serait opposée au mariage. Le demandeur prétend avoir été attaqué sur mandat du père de la demanderesse et n’avoir reçu aucune aide subséquente de la police. Il n’empêche, les demandeurs se sont mariés en 2011. La police aurait arrêté le demandeur l’accusant d’avoir kidnappé la demanderesse. Il aurait été alors détenu et maltraité. Les demandeurs auraient vécu encore plus de difficultés une fois la demanderesse enceinte. Celle-ci allègue notamment que l’on aurait demandé à son médecin de mettre fin à sa grossesse et la tuer.

[5]  La demande d’asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés [SPR] en raison du manque de crédibilité des demandeurs, ainsi que par la Section d’appel des réfugiés [SAR]. La demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale n’a également pas été autorisée.

[6]  La demande subséquente d’examen des risques avant renvoi des demandeurs a été rejetée et il en est de même de leur demande d’autorisation à la Cour fédérale.

[7]  Restait la demande de dispense pour considérations humanitaires [demande CH]. En l’espèce, l’agent a évalué les risques en Inde dans le contexte d’une demande CH; l’état psychologique des demandeurs; leur établissement au Canada; ainsi que l’intérêt supérieur des deux enfants mineurs. La demande CH a été rejetée, d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

La présente demande de contrôle judiciaire

[8]  La seule question en litige consiste à déterminer si dans son ensemble la décision de la SAR est raisonnable et que le rejet de la demande CH constitue une issue acceptable compte tenu des principes applicables et de la preuve au dossier (voir par ex Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 au para 18). La présente demande de contrôle judicaire doit échouer. Lors de l’audience, alors que les demandeurs réitèrent les arguments dans leurs représentations écrites, c’est spécifiquement le facteur du meilleur intérêt des enfants qui a été débattu.

[9]  Dans leurs représentations écrites (mémoire et réplique), les demandeurs soumettent que dans son analyse des facteurs pertinents, l’agent a écarté de manière déraisonnable certains éléments de preuve concernant le risque et les difficultés en lien avec leur situation familiale; qu’il a exigé une expertise psychologique alors que ce n’était pas nécessaire; et enfin qu’il a omis de considérer le statut « d’étrangers » des enfants en Inde dans le cadre de son évaluation de leur intérêt général. Le défendeur rétorque que l’agent a effectué une analyse détaillée, attentive et minutieuse de la preuve au dossier, qu’il a étudié les facteurs humanitaires soulevés, et que, de dans les circonstances, il n’était pas déraisonnable de conclure que les circonstances personnelles des demandeurs n’étaient pas suffisantes pour leur accorder l’exemption demandée.

Principes généraux

[10]  En règle générale, un étranger qui souhaite obtenir la résidence permanente au Canada doit d’abord obtenir un visa à l’étranger (voir le paragraphe 11(1) de la LIPR). Toutefois, l’alinéa 25(1) de la LIPR prévoit que le ministre peut dispenser un étranger de cette exigence « s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché ».

[11]  En l’espèce, il n’est pas contesté qu’un requérant doit habituellement démontrer l’existence de difficultés « inhabituelles et injustifiées » ou « démesurées », c’est-à-dire « des difficultés qui sont ‘non envisagées’ par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou son règlement d’application et qui sont « le résultat de circonstances indépendantes de [la] volonté [du demandeur] » ou des difficultés « auraient un impact déraisonnable sur le demandeur en raison de sa situation personnelle » (voir Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 26 [Kanthasamy]). Selon le Guide 5291, l’agent pourra notamment tenir compte de l’établissement au Canada; d’une incapacité de quitter le Canada ayant mené à l’établissement; du lien au Canada; de l’intérêt supérieur de tout enfant touché par la demande; des considérations relatives à la santé; des considérations relatives à la violence familiale; des conséquences de la séparation d’avec les membres de la famille; des facteurs dans le pays d’origine (non liés au fait de demander la protection) ou de tout autre facteur pertinent (voir Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, Guide 5291 - Considérations d’ordre humanitaire, Ottawa, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, 20 septembre 2017 [Guide 5291]).

Risques et difficultés en lien avec la situation familiale

[12]  L’agent a rappelé d’entrée de jeu qu’il ne peut considérer les facteurs qui ont été pris en compte pour évaluer la demande d’asile, tel que l’indique le paragraphe 25(1.3) de la LIPR. Toutefois, il doit considérer les éléments en lien avec les difficultés que subiraient les demandeurs dans leur pays, ici dans le contexte familial évoqué plus haut. En l’espèce, l’agent a examiné, puis rejeté divers éléments de preuve en lien avec les risques allégués par les demandeurs :

  • Il a d’abord examiné les affidavits et lettres de différents membres de la famille qui expliquaient pourquoi les demandeurs avaient dû quitter le pays. Il considère que les auteurs ne sont pas identifiés, et leurs prétentions ne sont pas corroborées par d’autres preuves. Il conclut que ces documents n’émanent pas de sources indépendantes et objectives. L’agent ajoute que ces documents sont basés sur des faits qui avaient été jugés non crédibles par la SPR. Il ne leur accorde aucune force probante;

  • Il a ensuite considéré des lettres de travailleurs sociaux qui résumaient les raisons pour lesquelles les demandeurs avaient quitté leur pays, ainsi que leurs sentiments de stress et d’anxiété. L’agent conclut que ces lettres sont basées sur des déclarations des demandeurs et non sur des faits vécus par les auteurs. Ces déclarations ont d’ailleurs déjà été examinées par la SPR. Il ajoute que les problèmes de santé mentale ne sont pas étayés par une expertise médicale. Il conclut que ces documents sont insuffisants pour établir leur crainte de retourner en Inde;

  • Il rejette une lettre d’un médecin indien attestant des problèmes subis par la demanderesse en Inde, au motif que la lettre n’est pas identifiée et que l’original n’a pas été soumis; et

  • Il examine divers rapports sur les crimes d’honneurs en Inde, qui sont particulièrement communs dans les cas de mariages inter-castes; mariages entre classes sociales ; mariages contre les souhaits des parents; etc. Il conclut toutefois que les demandeurs n’ont pas prouvé faire partie de ces catégories. Il ajoute également que la preuve révèle que le gouvernementprend le problème au sérieux et protège les victimes. La situation touche également la population indienne en général et non les demandeurs en particulier.

[13]  En l’espèce, il était raisonnable pour l’agent de conclure que les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils font face à un risque personnel et objectivement identifiable pouvant donner lieu à des difficultés excessives. Et que les conditions en Inde leur causeraient des difficultés excessives en lien avec leur situation familiale. Cette conclusion repose sur la preuve et résulte d’un raisonnement intelligible qui n’est pas capricieux ou arbitraire en l’espèce.

L’état psychologique des demandeurs

[14]  L’agent a examiné des lettres de travailleurs sociaux indiquant que la demanderesse a subi diverses difficultés psychologiques lors de son arrivée au Canada. L’agent note cependant qu’il y a peu de preuves au dossier indiquant que ces difficultés persisteraient aujourd’hui. De plus, ces documents ne sont étayés par aucune expertise médicale. Le dossier ne contient aucune preuve visant le demandeur. L’agent conclut que les demandeurs n’ont pas démontré que leur état psychologique compliquerait leur retour en Inde.

[15]  Dans leur mémoire écrit, les demandeurs soumettent qu’il n’y pas lieu d’exiger une expertise psychologique : une travailleuse sociale d’expérience est capable de comprendre les troubles de la demanderesse. Le défendeur rétorque que l’agent a tenu compte des rapports des travailleurs sociaux, mais il a toutefois noté que l’état de la demanderesse n’était pas supporté par une preuve d’expert. Elle n’a pas non plus soumis de preuve démontrant que la situation persiste. Il ressort plutôt de la preuve que celle-ci s’est adaptée à sa vie au Canada. Il était raisonnable pour l’agent de conclure que la preuve est insuffisante pour démontrer qu’à leur retour en Inde, les demandeurs souffriraient de leur état psychologique fragile.

[16]  En l’espèce, il était raisonnable de conclure que les demandeurs ne subiraient pas de difficultés excessives liées à leur état de santé advenant leur retour en Inde. Les demandeurs n’ont effectivement pas soumis de preuve quant à l’état psychologique du demandeur. Pour ce qui est de la demanderesse, les seuls documents soumis émanent de travailleurs sociaux, et attestent surtout de difficultés vécues à l’arrivée au Canada, et non à l’heure actuelle. Il n’était pas déraisonnable d’exiger une expertise médicale.

Établissement au Canada

[17]  S’agissant du facteur relatif à l’établissement au Canada, l’agent a constaté que les demandeurs sont bien établis au Canada, mais pas plus que ce l’on s’attendrait de toute personne dans une situation similaire. Leur établissement est récent et n’est pas dû à des facteurs hors de leur contrôle. Il ajoute que ceux-ci étaient bien établis en Inde avant leur départ et que l’expérience acquise au Canada les aidera à s’y rétablir. L’agent conclut que leur établissement au Canada n’est pas un facteur déterminant.

[18]  Les demandeurs soumettent dans leur mémoire écrit que la conclusion à l’effet que les connaissances acquises au Canada pourront aider les demandeurs à se réinstaller en Inde constitue un préjugé et est sans fondement. Le défendeur rétorque que cette conclusion de l’agent est raisonnable : les demandeurs n’ont pas démontré que leur établissement est tel qu’il y aurait suffisamment de considérations humanitaires pouvant justifier qu’ils déposent leur demande de résidence permanente au Canada.

[19]  En l’espèce, il était raisonnable de conclure que le degré d’établissement des demandeurs au Canada n’était pas suffisant pour justifier de leur octroyer une dispense. Comme le précisait la Cour suprême dans Kanthasamy au paragraphe 26, difficultés inhabituelles ou injustifiées doivent être indépendantes de la volonté du demandeur. En l’espèce, l’agent a souligné avec justesse que les liens des demandeurs au Canada ne dépendaient pas de circonstances hors de leur contrôle, et n’avaient rien d’exceptionnel ou d’inhabituel par rapport à d’autres personnes dans leur situation. Ces conclusions découlent de la preuve au dossier et sont raisonnables en l’espèce.

L’intérêt supérieur des enfants

[20]  Reste la question de l’intérêt supérieur des enfants, qui est le cheval de bataille qu’a choisi le nouveau procureur des demandeurs pour soumettre devant la Cour lors de l’audition orale que le rejet de la demande CH est déraisonnable, ce que conteste bien entendu le défendeur sa procureure.

[21]  Il est clair ici que, tout d’abord, l’agent a effectivement examiné l’intérêt des enfants. Les demandeurs prétendaient qu’il serait dans l’intérêt des enfants de rester au Canada, dans un environnement sain. Leurs arguments visaient plus particulièrement Daksh, qui est présentement suivi en orthophonie pour des problèmes de langage. Les demandeurs soumettent qu’un retour en Inde nuirait à son développement en raison du manque de ressources et de support familial. L’agent note que les problèmes de langage sont dus à des infections d’oreille, et qu’il a fait de bons progrès grâce aux stratégies mises en place à la maison et à la garderie. Un suivi est suggéré dans un an. Cela dit, cependant l’agent note que les demandeurs n’ont pas soumis de preuves à l’effet que des traitements d’orthophonie et les autres ressources d’assistance n’étaient pas disponibles en Inde. Il ajoute que le manque de ressources familiales est basé sur des allégations jugées non crédibles par la SPR. Compte tenu de leur âge, l’établissement des enfants dépend de celui de leurs parents. Le maintien de l’unité familiale est dans leur meilleur intérêt. Or, ils pourront toujours revenir au Canada dans le futur et il n’y a aucune preuve à l’effet que les enfants ne pourront pas conserver leur citoyenneté canadienne. L’agent conclut que la preuve dans son ensemble ne permet pas d’indiquer qu’un retour en Inde serait contraire au meilleur intérêt des enfants.

[22]  Les demandeurs soumettent aujourd’hui que la décision est déraisonnable car l’agent n’aurait pas considéré les difficultés engendrées du fait que les enfants ne sont pas citoyens indiens, et qu’ils entreront en Inde avec des visas de touristes. Or, le raisonnement de l’agent est incomplet car on ne sait pas si un touriste peut obtenir les services appropriés de santé et d’éducation. Les demandeurs reconnaissent l’importance de l’unité familiale, tel que souligné par l’agent, mais soutiennent plutôt que cela devrait justifier que toute la famille demeure au Canada car l’agent doit exercer un rôle parens patriae l’obligeant à assurer le bien-être des enfants et non pas les expulser vers l’inconnu.

[23]  Puisque l’agent assume un rôle analogue à celui de parens patriae (voir Sebbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 813 au para 13 [Sebbe]), le procureur des demandeurs soumet que ce dernier avait l’obligation de s’assurer que des mesures suffisantes existent en Inde pour protéger les droits de ces enfants non indiens. Ainsi, il aurait dû questionner les parents afin d’obtenir des informations supplémentaires. Sur une question d’importance aussi capitale pour l’intérêt supérieur des enfants que leur éducation et leur santé, l’agent ne peut prétexter que des observations n’ont pas été présentées par les parents (voir Lauture c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 336 au para 40 [Lauture]).

[24]  Le défendeur rétorque que l’agent a été sensible à l’intérêt supérieur des enfants, spécialement l’enfant Daksh, dont toutes les circonstances ont été considérées. L’intérêt supérieur des enfants constitue seulement un critère à considérer parmi d’autres, et n’est pas en soi suffisant pour justifier une dispense. D’autre part, il n’y a aucune preuve au dossier à l’effet que l’agent a demandé aux parents d’obtenir des visas de touriste, ni que les enfants des demandeurs ne pourraient pas obtenir la citoyenneté en Inde, une fois que leurs visas de touristes viendront à échéance.

[25]  Or, les demandeurs ont eu l’opportunité de présenter des observations et de la preuve à cinq reprises. Au chapitre du meilleur intérêt des enfants, il a toujours été seulement question du problème de langage de l’enfant Daskh. Dans un cas où il était reproché à l’agent de ne pas avoir tenu compte des problèmes généraux que pourraient avoir les enfants parce que le pays d’origine de leurs parents ne reconnaissait pas la double nationalité, la Cour a refusé d’étudier la question vu qu’aucun élément de preuve n’avait été fourni pour étayer de telles allégations ou pour décrire de façon détaillée les difficultés que cela pourrait occasionner aux enfants (voir Goule Tapique c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 914 au para 22).

[26]  L’argument principal soulevé aujourd’hui par le nouveau procureur des demandeurs consiste essentiellement à dire qu’il serait plus avantageux pour les enfants de demeurer au Canada, en raison de la disponibilité de plus de ressources, et qu’advenant, un retour en Inde, ils risquent de ne pas bénéficier de tous les services disponibles là-bas parce qu’ils ne sont pas citoyens indiens. Cette dernière affirmation est gratuite et ne repose sur aucune preuve tangible. Comme le soulignait cette Cour dans Jaramillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 744 au para 71, « ‘[l]e fait que les enfants puissent se trouver mieux au Canada, sur le plan du confort en général ou celui des possibilités futures, ne saurait [...] être concluant dans une décision en matière de motifs d’ordre humanitaire qui a pour objet de voir s’il y a des difficultés excessives’ puisque l’issue serait presque toujours en faveur du Canada ». Certes, les enfants auraient certainement accès à plus de ressources au Canada, mais rien dans la preuve n’indique qu’ils n’auraient pas accès aux ressources nécessaires en Inde.

[27]  Je suis d’accord avec l’argumentation de rejet soumise par le défendeur.

[28]  Résumons. Invoquant l’existence d’une obligation parens patriae incombant à l’agent, les demandeurs reprochent essentiellement à l’agent de ne pas avoir considéré le fait que les enfants pourraient ne pas avoir accès aux services d’éducation et de santé du fait qu’ils ne sont pas citoyens indiens. Or, bien qu’il ait été question de la disponibilité de services d’orthophonie, la préoccupation générale d’accès aux services d’éducation et de santé en Inde pour des non-citoyens que soulève aujourd’hui le nouveau procureur des demandeurs n’a jamais été soulevée dans les nombreuses observations écrites faites par les anciens procureurs des demandeurs dans le cadre de leur demande CH. De surcroît, aucuns documents ou autre preuve expliquant l’accès aux soins en Inde pour des touristes ou résidents non citoyens n’ont d’ailleurs été soumis à l’agent. On ne sait donc pas si l’accès à ces ressources dépend de la citoyenneté des enfants et/ou de la résidence permanente des enfants et de leurs parents indiens.

[29]  Il est également vrai que les tribunaux sont, à l’occasion, appelés à exercer le pouvoir parental de la Couronne ou de l’État à l’égard d’enfants dont la vie est menacée ou d’adultes atteints d’une incapacité sérieuse (voir E (Mme) c Eve, [1986] 2 RCS 388 aux pp 407-425, 31 DLR (4e) 1, et jurisprudence citée). Pensons au cas où la compétence parens patriae a été exercée par les tribunaux pour autoriser une transfusion sanguine pour sauver la vie d’un enfant malgré l’opposition religieuse de ses parents, ou encore lorsqu’ils ont été appelés à déterminer si une personne atteinte de déficience mentale devait être stérilisée. Bien que la situation particulière des deux enfants n’entre dans aucune catégorie jurisprudentielle connue, il n’empêche, le nouveau procureur des demandeurs prétend que l’agent devait, de sa propre initiative, faire des recherches supplémentaires pour se satisfaire que les besoins de santé et d’éducation des enfants seront satisfaits en Inde. Je ne crois pas qu’une telle extension de la compétence parens patriae des tribunaux à l’agent d’immigration puisse justifier l’omission des demandeurs – qui, en pratique, exercent le pouvoir tutélaire sur Daksh et Anika – de démontrer, par une preuve convaincante, les difficultés pouvant être causées aux enfants du fait qu’ils ne sont pas citoyens indiens. Il y a lieu de distinguer les faits du présent dossier des affaires où l’analyse de l’agent était clairement déficiente ou était fondée sur un manque d’analyse de la preuve ou sur une compréhension erronée du critère du meilleur intérêt de l’enfant (voir Sebbe aux paras 14-19; Lauture aux paras 32-41; Conka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 985 aux paras 20-24).

[30]  En définitive, je suis satisfait que l’agent a considéré l’intérêt supérieur des deux enfants, Daksh et Anika. Il s’agit d’une considération primordiale dans une demande pour CH. La décision doit bien identifier et définir l’intérêt des enfants, puis l’examiner avec beaucoup d’attention eu égard à l’ensemble de la preuve (voir Kanthasamy au para 39). Le Guide 5291 précise différents éléments pertinents : l’âge de l’enfant; son établissement au Canada; les conditions dans le pays de renvoi; ses besoins médicaux; ses études; son sexe; etc. Or, la décision atteste clairement que l’agent a bien soupesé ces facteurs. L’agent a considéré le jeune âge des enfants, et a ainsi noté que leur établissement au Canada est minimal, puisqu’ils dépendent entièrement de leurs parents. L’agent a également considéré qu’il est dans le meilleur intérêt des enfants d’être avec leurs parents, étant donné que les demandeurs ont toujours donné les meilleurs soins à leurs enfants. L’agent a également considéré le suivi de Daksh en orthophonie au Canada, mais a noté que les demandeurs n’avaient pas soumis de preuves que ce service ne serait pas accessible en Inde. Les demandeurs n’ont pas tenté de démontrer à l’agent que les enfants devraient abandonner leur citoyenneté canadienne pour bénéficier de services d’éducation et de santé en Inde. La conclusion de l’agent au chapitre de l’intérêt des enfants constitue donc une issue acceptable.

Conclusion

[31]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[32]  Les demandeurs proposent que la question suivante soit certifiée :

Un agent étudiant l’intérêt supérieur d’enfants touchés par une demande CH présentée par leurs parents, doit-il s’assurer que les droits découlant de leurs états seront respectés dans le pays d’origine de leurs parents, notamment le droit à l’éducation et le droit à la santé des enfants, lorsqu’ils n’ont pas la nationalité de ce pays, en raison de ses obligations parens patriae?

[33]  Les demandeurs soumettent que de nombreux enfants n’ayant que la nationalité canadienne accompagnent leurs parents vers le pays d’origine de ses derniers dans le cadre de procédures d’expulsion, ce qui confère une portée générale à la question de l’existence d’une obligation parens patriae incombant à l’agent. Cette question est déterminante parce que si la Cour d’appel fédérale conclut que l’obligation en question n’a pas été convenablement exécutée, la décision de l’agent est déraisonnable, de sorte que l’appel devra être accueilli.

[34]  De son côté, le défendeur s’oppose à ce que la question proposée par les demandeurs soit certifiée car elle constitue une question hypothétique, qui ne tient pas compte des faits du dossier sous étude. En somme, les demandeurs invitent la Cour d’appel fédérale à rendre un jugement déclaratoire, alors qu’aucune preuve ni argument portant précisément sur la fréquentation d’institutions scolaires et sur l’accessibilité des soins de santé en Inde n’a été soumis à l’agent dans le présent dossier.

[35]  Je suis d’accord avec le défendeur qu’il ne s’agit pas d’un cas où la Cour doit exercer sa compétence, prévue à l’alinéa 74d) de la LIPR, pour certifier une question grave de portée générale. En effet, une question certifiée doit transcender les intérêts des parties au litige, aborder des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale, et doit être déterminante quant à l’issue de l’appel (voir Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Liyanagamage, 51 ACWS (3e) 910 au para 4, [1994] ACF no 1637 (QL) (CAF) [Liyanagamage]; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168 au para 9 [Zhang]). Il doit ainsi s’agir d’une question qui a été soulevée et examinée devant la Cour fédérale, et qui découle de la preuve au dossier et des faits en litige (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89 au para 12; Zhang aux paras 9 et 13). Comme le disait le juge Décary dans Liyanagamage au paragraphe 4, la question certifiée ne doit être utilisée « comme un moyen d’obtenir, de la cour d’appel, des jugements déclaratoires à l’égard de questions subtiles qu’il n’est pas nécessaire de trancher pour régler une affaire donnée ».

[36]  En l’espèce, la question que les demandeurs souhaitent certifier n’est effectivement pas déterminante quant à l’issue de l’appel. Je suis d’accord avec le défendeur que les demandeurs souhaitent essentiellement obtenir de la Cour d’appel un jugement déclaratoire sur une question hypothétique qui ne découle pas de la preuve ni des faits au dossier. En effet, ceux-ci n’ont soulevé aucuns arguments devant l’agent évaluant la demande CH quant aux difficultés engendrées par la non-citoyenneté des enfants advenant leur retour en Inde. Aucune preuve portant sur l’accessibilité aux soins médicaux ou au système éducatif en Inde n’a également été déposée. Cet argument n’a donc pas été déterminant pour trancher de la présente demande. Il ne convient donc pas de certifier la question soumise par les demandeurs.


JUGEMENT au dossier IMM-3476-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3476-17

 

INTITULÉ :

GEETIKA PURI, GAGAN PURI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 janvier 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 février 2018

 

COMPARUTIONS :

Me Alain Vallières

 

Pour le demandeur

Me Simone Truong

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Alain Vallières

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

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