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Date : 20180207


Dossier : IMM-831-17

IMM-538-17

Référence : 2018 CF 142

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 février 2018

En présence de monsieur le juge en chef

ENTRE :

RUSHIYANTHI JESUTHASAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Mme Jesuthasan est une jeune femme tamoule du Sri Lanka. À la suite du refus de sa demande d’asile au Canada, elle a fait une demande en vertu de l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) pour un examen des risques avant envoi. Elle a également fait une demande d’autorisation, en vertu de l’article 25 de la LIPR, pour une demande de résidence permanente depuis le Canada, pour des motifs d’ordre humanitaire. Ces deux demandes ont également été rejetées.

[2]  Mme Jesuthasan cherche maintenant à faire annuler ces deux dernières décisions défavorables.

[3]  Pour les motifs suivants, les demandes de Mme Jesuthasan seront accueillies.

II.  Contexte

[4]  Selon son affidavit, le père de Mme Jesuthasan est décédé durant la guerre civile au Sri Lanka, alors qu’elle avait trois ans. Sa mère avait alors tenté de conserver le noyau familial malgré les bombardements et la violence. Cependant, environ deux ans plus tard, sa mère l’a abandonnée, ainsi que sa sœur, dans un orphelinat.

[5]  Après avoir perdu contact avec sa fratrie, Mme Jesuthasan a retrouvé l’un de ses frères, avec qui elle a vécu jusqu’à la disparition de ce dernier. Avant sa disparition, il avait été enlevé par la police et violemment battu par celle-ci.

[6]  Elle a ensuite été placée dans une famille d’accueil, et affirme avoir été abusée sexuellement à la fois par le père de la famille d’accueil ainsi que par le fils de ce dernier. Elle affirme également avoir été abusée physiquement et sexuellement par des policiers et des hommes armés à plusieurs reprises. Elle soutient qu’à une occasion, les hommes armés l’ont enlevée et violée à maintes reprises.

III.  L’examen des risques avant envoi (ERAR) (IMM-831-17)

[7]  Le fondement de la demande d’ERAR de Mme Jesuthasan repose sur les risques auxquels elle s’exposerait en toute probabilité, selon elle, au Sri Lanka en tant que jeune femme tamoule n’ayant aucune famille dans ce pays et en tant que demandeure d’asile déboutée. Elle affirme que, selon son profil personnel, elle serait probablement victime de détention et de violence, y compris d’agressions sexuelles, à son retour au Sri Lanka.

A.  La décision contestée (la décision relative à la demande d’ERAR)

[8]  La demande d’ERAR de Mme Jesuthasan a été rejetée par un agent principal d’immigration (l’agent) qui a conclu qu’elle avait simplement réitéré les mêmes risques qui avaient été rejetés pour des motifs liés à la crédibilité par la Section de la protection des réfugiés ainsi que par la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.

[9]  L’agent a ajouté que les éléments de preuve objectifs n’avaient pas démontré que Mme Jesuthasan risquerait de subir des préjudices au Sri Lanka en tant que demandeure d’asile déboutée. Après une brève discussion concernant ces éléments de preuve, l’agent a conclu que les documents fournis par la demanderesse à l’appui de sa demande étaient de nature [traduction] « générale » et [traduction] « ne traitent pas des éléments importants de la situation personnelle de la demanderesse ». De plus, l’agent a précisé que Mme Jesuthasan n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour établir qu’elle avait été ou était actuellement menacée par quiconque.

[10]  Enfin, l’agent a rejeté le rapport d’une psychologue fourni par Mme Jesuthasan parce qu’il ne permettait pas de surmonter [traduction] « les conclusions importantes tirées par la Commission sur la crédibilité en regard des contradictions et des explications de [Mme Jesuthasan] » en ce qui concerne les événements qui ont eu lieu selon elle. L’agent a également mentionné que Mme Jesuthasan n’avait pas été en mesure d’expliquer pourquoi ce rapport n’avait pas pu être présenté à la Section de la protection des réfugiés durant son audience.

B.  Question en litige et norme de contrôle

[11]  La seule question en litige soulevée par Mme Jesuthasan concernant la décision relative à l’ERAR est celle de savoir si elle était déraisonnable.

[12]  Lorsqu’elle examine une décision en regard de la norme de la décision raisonnable, la Cour s’attarde à savoir si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). À cet égard, la Cour évaluera si la décision est correctement justifiée, transparente et intelligible.

C.  Discussion

[13]  Mme Jesuthasan soutient que la décision relative à l’ERAR est déraisonnable pour trois raisons. D’abord, elle affirme que l’examen par l’agent du rapport de la psychologue était déraisonnable. En second lieu, elle déclare que l’agent a évalué de façon déraisonnable le risque qu’elle encourrait si elle retournait au Sri Lanka en tant que demandeure d’asile déboutée. Troisièmement, elle soutient que l’agent n’a pas examiné le risque qu’elle encourait en fonction de son profil particulier à titre de femme célibataire tamoule sans famille au Sri Lanka et, qui plus est, est une demandeure d’asile déboutée.

1)  Le rapport de la psychologue

[14]  Mme Jesuthasan affirme que le traitement accordé par l’agent au rapport de la psychologue était déraisonnable parce que l’agent n’a pas tenté d’expliquer pourquoi ce rapport ne permettait pas de [traduction] « surmonter les conclusions importantes en matière de crédibilité » tirées par la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés. Mme Jesuthasan soutient que ce dernier point est particulièrement déraisonnable étant donné que l’agent n’a abordé aucun des graves problèmes de santé mentale soulevés dans le rapport.

[15]  Je conviens que le traitement accordé par l’agent au rapport de la psychologue était déraisonnable à cet égard.

[16]  Le traitement accordé par l’agent au rapport de la psychologue se composait de l’unique paragraphe suivant :

[traduction]

La demanderesse a présenté un rapport de Blake Psychology daté du 16 octobre 2015. Ce rapport indique qu’elle a participé à cette séance d’évaluation psychologique pour évaluer son état émotionnel dans le contexte de ses expériences au Sri Lanka, dans le but de soumettre une nouvelle demande pour pouvoir demeurer au Canada. Je conclus que cela ne permet pas de surmonter les conclusions importantes tirées par la Commission sur la crédibilité au regard des contradictions et des explications de la demanderesse qui n’ont pas convaincu la Commission que ces événements s’étaient produits. De plus, la demanderesse n’explique pas pourquoi ce rapport psychologique tel que celui-ci [sic] n’aurait pas pu raisonnablement être présenté à la Commission durant son audience. Je n’accepte pas ce rapport comme preuve de nouveaux risques encourus.

[17]  Cette brève évaluation ne fait pas mention de l’hypothèse de la psychologue selon laquelle la difficulté de Mme Jesuthasan à se souvenir des détails de certains événements de son passé, et par le fait même à les décrire, pouvait être attribuable à la nature traumatisante de ces événements. À cet égard, la psychologue déduit que cette difficulté se traduit par la manière dont Mme Jesuthasan a appris à faire face aux éléments stressants dans sa vie.

[18]  Dans la mesure où le rapport de la psychologue a offert une explication possible aux incohérences et autres problèmes dans la preuve de Mme Jesuthasan ayant mené au rejet de sa demande d’asile par la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés pour des motifs de crédibilité, il aurait dû être évalué par l’agent.

[19]  Étant donné que l’évaluation de la psychologue était largement fondée sur des événements qui ont été rejetés par la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés pour des motifs de crédibilité, il aurait été raisonnablement loisible à l’agent d’accorder peu d’importance à cette évaluation (Avagyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1003, aux paragraphes 59 à 61 [Avagyan]). Cependant, l’agent devait se livrer à une analyse significative de la situation. Le défaut par l’agent de procéder ainsi était déraisonnable. Compte tenu de l’hypothèse susmentionnée de la psychologue, la déclaration simpliste de l’agent selon laquelle le rapport n’avait pas permis de [traduction] « surmonter les conclusions importantes tirées par la Commission sur la crédibilité au regard des contradictions et des explications de [Mme Jesuthasan] » n’était pas intelligible.

[20]  Cependant, l’agent a présenté un deuxième motif indépendant de son rejet du rapport de la psychologue. Il s’agit du défaut par Mme Jesuthasan d’expliquer pourquoi le rapport ne pouvait pas raisonnablement être présenté à la Section de la protection des réfugiés à son audience. Dans ses explications à la Cour, Mme Jesuthasan a expliqué qu’il lui était impossible de trouver une psychologue de langue tamoule dans la courte période dont elle disposait pour se préparer à l’audience. Dans les observations écrites fournies à l’appui de sa demande d’ERAR, il était simplement indiqué que cela lui avait pris du temps pour trouver une telle psychologue. Quoi qu’il en soit, même si cette explication offerte devant la Cour avait été fournie à l’agent, il n’aurait pas été déraisonnable que ce dernier la rejette. Autrement dit, il aurait été raisonnablement loisible à l’agent de conclure qu’il s’agissait d’une preuve dont il aurait été raisonnable de s’attendre, vu les circonstances, à ce que Mme Jesuthasan puisse être en mesure de la fournir à la Section de la protection des réfugiés, tel que le prévoit l’alinéa 113a) de la LIPR (Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 ACF no 385, au paragraphe 13). Je suis d’avis que le fait de procéder ainsi aurait « fait partie des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité).

[21]  Par conséquent, le rejet du rapport de la psychologue par l’agent n’était pas déraisonnable selon ce deuxième motif.

2)  L’évaluation de l’agent concernant les risques encourus par Mme Jesuthasan, selon ses propres dires, à son retour au Sri Lanka en tant que demandeure d’asile déboutée

[22]  Mme Jesuthasan soutient que le traitement fait par l’agent des éléments de preuve objectifs à l’égard des risques qu’elle encourrait à son retour au Sri Lanka en tant que demandeure d’asile déboutée était déraisonnable. Je partage cet avis.

[23]  À cet égard, Mme Jesuthasan précise que l’agent a cité un extrait d’un document au dossier qui déclarait précisément que les personnes qui sont déportées ou [traduction] « renvoyées » à la suite d’une demande d’asile rejetée sont presque toujours retirées des files d’attente d’immigration, détenues et interrogées, parfois pendant des mois. L’extrait cité déclarait également que, dans les cas des personnes pour qui aucun membre de la famille n’est disponible, la détention peut être illimitée. L’extrait en question était tiré d’un document rédigé en 2011.

[24]  Cependant, l’agent a ensuite fait référence à un autre document rédigé en 2011, dans lequel le Haut-commissariat du Canada au Sri Lanka rapportait seulement quatre cas connus de personnes ayant été détenues à leur retour au Sri Lanka. Le document ajoutait que, dans chacun de ces cas, les personnes faisaient face à des accusations criminelles et que leur détention n’était pas liée à une demande d’asile quelconque à l’étranger ni à leur origine.

[25]  Ce faisant, l’agent n’a pas tenu compte de documents plus récents, rédigés en 2015 et 2016, rapportant que des personnes d’origine tamoule avaient été [traduction] « détenues, torturées et/ou abusées sexuellement » à leur retour au Sri Lanka. Le fait que l’agent n’avait pas pris concrètement l’initiative de consulter ces renseignements plus récents, lesquels contredisaient directement ses conclusions, rendait déraisonnable son évaluation des risques que Mme Jesuthasan prétendait encourir si elle devait retourner dans ce pays (Cepeda-Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1998] ACF no 1425, au paragraphe 17).

3)  Le défaut présumé d’examiner les risques encourus par Mme Jesuthasan selon son profil particulier

[26]  En se rapportant aux documents présentés par Mme Jesuthasan à l’appui de sa demande, l’agent a énoncé ce qui suit :

[traduction]

Je suis d’avis que ces documents sont d’ordre général, et alors qu’ils ont été examinés dans un contexte d’évaluation des conditions du pays, il ne s’agit pas, selon moi, d’éléments de preuve de risques personnalisés qui peuvent être encourus par la demanderesse, et ils ne portent aucunement sur les éléments essentiels de la situation personnelle de la demanderesse. Ces documents ne soutiennent pas l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle est en danger au Sri Lanka. De plus, la demanderesse ne présente pas d’éléments de preuve objectifs suffisants qu’elle a fait ou qu’elle fait actuellement l’objet de menaces par quiconque.

[27]  Mme Jesuthasan soutient que les éléments de preuve documentaires démontrent que les femmes célibataires tamoules au Sri Lanka sont particulièrement vulnérables aux agressions sexuelles et qu’elles sont considérées comme étant des [traduction] « cibles faciles », surtout lorsqu’elles n’ont pas de soutien familial. Elle soutient en outre qu’elle n’est pas tenue de démontrer les risques auxquels elle fait face personnellement. Il suffit plutôt qu’elle puisse démontrer la probabilité qu’elle soit assujettie à des risques à sa vie ou à un traitement ou à des peines cruels et inusités, parce qu’elle appartient à un groupe de personnes confrontées à de tels risques.

[28]  Je partage cet avis. En résumé, il était déraisonnable de la part de l’agent d’exiger des [traduction] « éléments de preuve objectifs suffisants » selon lesquelles Mme Jesuthasan a fait ou qu’elle fait actuellement l’objet de menaces par quiconque. Il était également déraisonnable de la part de l’agent de ne pas avoir examiné avec le soin voulu les documents présentés par Mme Jesuthasan à l’appui de sa demande selon lesquels, à titre de femme célibataire tamoule sans réseau familial au Sri Lanka, elle encourrait un risque de dommage physique beaucoup plus grand que la population générale du Sri Lanka (Salibian c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] ACF no 454, au paragraphe 17; Navaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 244, au paragraphe 12). En tirant cette conclusion, je ne voudrais pas avancer par-là que l’agent aurait dû conclure que Mme Jesuthasan subirait effectivement les risques tels qu’elle les décrit, en fonction de son profil particulier. Je déclare simplement qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de ne pas avoir examiné avec le soin voulu les documents présentés par Mme Jesuthasan à l’appui de sa demande.

[29]  Mme Jesuthasan a mis spécifiquement l’accent sur le fait qu’elle est une femme célibataire tamoule sans réseau familial au Sri Lanka. Elle a également présenté des éléments de preuve documentaire sur les conditions du pays à l’appui de son allégation selon laquelle elle est ainsi exposée à un risque plus élevé de subir des préjudices dans ce même pays. Sur ce point, sa situation se distingue des cas auxquels fait référence le défendeur, lesquels soutiennent la thèse selon laquelle « [l]a preuve documentaire au dossier, à elle seule, ne peut suppléer au manque de preuve liée au cas particulier de la demanderesse » (Ayikeze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1395, au paragraphe 22).

4)  Résumé

[30]  L’agent a traité de façon déraisonnable les éléments de preuve liés aux risques que Mme Jesuthasan a prétendu encourir à son retour au Sri Lanka en tant que demandeure d’asile déboutée. Il en est de même pour la façon dont l’agent a traité les risques que Mme Jesuthasan a prétendu encourir à titre de femme célibataire tamoule sans liens familiaux au Sri Lanka. Je suis d’avis que ces manquements ont rendu la décision relative à la demande d’ERAR déraisonnable dans son ensemble. En résumé, la décision n’appartenait pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Elle sera donc annulée et renvoyée devant un autre décideur pour réexamen conformément aux présents motifs.

IV.  L’évaluation de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (CH) (IMM-538-17)

[31]  Mme Jesuthasan a fondé sa demande CH sur les trois motifs suivants : i) motifs de santé, liés principalement à son trouble dépressif et à son trouble de stress post-traumatique, ii) son établissement au Canada, et iii) les conditions défavorables au Sri Lanka.

[32]  Mme Jesuthasan a demandé à ce que sa demande CH soit évaluée en parallèle avec sa demande d’ERAR. Au bout du compte, les deux demandes, lesquelles se fondaient essentiellement sur le même affidavit, ont été évaluées par le même agent.

A.  La décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire (la décision relative à la demande CH)

[33]  Après avoir examiné les motifs pour lesquels Mme Jesuthasan avait présenté sa demande, l’agent a conclu que ces motifs ne justifiaient pas de la dispenser, pour des motifs d’ordre humanitaire, de l’obligation de demander la résidence permanente depuis l’étranger.

[34]  En ce qui concerne les motifs liés à la santé de Mme Jesuthasan, l’agent a brièvement passé en revue le rapport de la psychologue, à savoir le même rapport dont il est question aux paragraphes 14 à 21 des motifs susmentionnés. Après avoir très brièvement examiné le rapport, l’agent l’a rejeté sur le fondement qu’il indiquait que Mme Jesuthasan nécessitait un traitement de la part d’un professionnel en santé mentale, alors qu’elle n’avait présenté aucune preuve indiquant qu’un tel traitement de suivi avait eu lieu. L’agent a mentionné ce qui suit : [traduction] « Je conclus qu’une preuve de suivi de traitement aurait été présentée par la demanderesse si elle croyait avoir besoin d’un tel soutien. »

[35]  Concernant l’établissement de Mme Jesuthasan au Canada, l’agent a déclaré que cette dernière n’avait pas réussi à prouver que le fait d’avoir rompu les divers liens tissés avec diverses personnes connues ici au Canada aurait un effet néfaste important sur elle, étant donné qu’elle a vécu la majeure partie de sa vie au Sri Lanka. Entre d’autres mots, l’agent n’était pas convaincu du fait que l’établissement de Mme Jesuthasan au Canada était si important que son départ pourrait lui causer des difficultés.

[36]  En ce qui concerne les conditions défavorables au Sri Lanka, l’agent a soulevé i) le préjudice allégué qu’elle subirait aux mains de personnes qui la viseraient plus particulièrement à cause de son passé, et ii) les difficultés et la discrimination alléguées auxquelles elle aurait à faire face à titre de femme tamoule. Pour ce qui est du premier point, l’agent a accordé [traduction] « un poids considérable » aux conclusions défavorables en matière de crédibilité de la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés, et a déclaré que Mme Jesuthasan n’avait pas réussi à réfuter ces conclusions. En ce qui concerne les difficultés et la discrimination susmentionnées, l’agent a conclu que Mme Jesuthasan n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour démontrer qu’elle serait exposée à des préjudices ou à de la discrimination [traduction] « à cause de son statut de minorité ethnique et/ou de son sexe ». Tout en reconnaissant que les conditions de vie au Sri Lanka ne sont pas aussi favorables qu’au Canada, l’agent a déclaré [traduction] : « [L]’objectif de l’article 25 de la Loi est d’accorder une certaine flexibilité au ministre dans le traitement de situations extraordinaires non prévues par la LIPR et pour lesquelles des motifs d’ordre humanitaire incitent le ministre à agir. »

B.  Question en litige et norme de contrôle

[37]  Quant à la décision relative à l’ERAR, la seule question en litige soulevée par Mme Jesuthasan en ce qui concerne la décision CH est de savoir si elle était déraisonnable. Comme il a été expliqué au paragraphe 12 ci-dessus, dans son contrôle de la question en litige, la Cour s’attachera à établir si la décision est adéquatement justifiée, transparente et intelligible.

C.  Discussion

[38]  Mme Jesuthasan soutient que la décision relative à la demande CH est déraisonnable en ce qui concerne i) l’évaluation de sa santé mentale ii) le traitement des risques allégués de difficultés et de discrimination auxquels elle ferait face vu son profil particulier, et iii) le critère juridique général appliqué par l’agent dans l’évaluation de sa demande dans son ensemble.

1)  L’évaluation effectuée par l’agent de la santé mentale de Mme Jesuthasan

[39]  L’évaluation effectuée par l’agent de la santé mentale de Mme Jesuthasan différait légèrement du traitement accordé à cette question dans la décision relative à l’ERAR. Cette fois, l’agent a déclaré ce qui suit :

[traduction]

La demanderesse a présenté un rapport médical daté du 16 octobre 2015 de Blake Psychology indiquant qu’elle a assisté à deux séances en septembre 2015. Le rapport stipule que la demanderesse exprime une peur intense face à la possibilité de retourner au Sri Lanka et dit subir de l’anxiété. Le rapport indique que les réactions de la demanderesse suggèrent qu’elle subit une détresse psychologique importante causée par les situations traumatisantes vécues durant sa vie et il lui est vivement conseillé de suivre une thérapie individuelle pour faire traiter ses problèmes de santé mentale. Même si le rapport indique que la demanderesse nécessitait un traitement dispensé par un professionnel en santé mentale, aucune preuve n’a été présentée pour démontrer qu’elle a eu un traitement de suivi. Je suis d’avis qu’une preuve de suivi de traitement aurait été présentée si la demanderesse croyait réellement en avoir besoin.

[40]  Se fondant sur Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], Mme Jesuthasan affirme que l’évaluation précédente était déraisonnable pour deux raisons. D’abord, elle maintient que son défaut de faire le traitement de suivi au Canada n’enlève en rien son diagnostic de [traduction] « trouble dépressif majeur ». En second lieu, elle soutient que l’agent a agi de façon déraisonnable en ne tenant pas compte de l’évaluation de la psychologue qui indiquait [traduction] « cela m’apparaît probable qu’elle aura de la difficulté à faire la transition à un retour à sa vie au Sri Lanka et que [son retour dans ce pays] pourrait empirer davantage son bien-être psychologique ».

[41]  En référence à Kanthasamy précité, une majorité des membres de la Cour suprême a affirmé ce qui suit :

[47]  On comprend mal que, après avoir fait droit au diagnostic psychologique, l’agente exige quand même de Jeyakannan Kanthasamy une preuve supplémentaire quant à savoir s’il a ou non cherché à obtenir des soins ou si de tels soins étaient même offerts, ou quant aux soins qui existaient ou non au Sri Lanka. Une fois reconnu qu’il souffre d’un trouble de stress post‑traumatique, d’un trouble d’adaptation et de dépression en raison de ce qu’il a vécu au Sri Lanka, exiger en sus la preuve de l’existence de soins au Canada ou au Sri Lanka met à mal le diagnostic et a l’effet discutable d’en faire un facteur conditionnel plutôt qu’important.

[48] De plus, en s’attachant uniquement à la possibilité que Jeyakannan Kanthasamy soit traité au Sri Lanka, l’agente passe sous silence les répercussions de son renvoi du Canada sur sa santé mentale. Comme l’indiquent les Lignes directrices, les facteurs relatifs à la santé, de même que l’impossibilité d’obtenir des soins médicaux dans le pays d’origine, peuvent se révéler pertinents (Traitement des demandes au Canada, section 5.11). Par conséquent, le fait même que Jeyakannan Kanthasamy verrait, selon toute vraisemblance, sa santé mentale se détériorer s’il était renvoyé au Sri Lanka constitue une considération pertinente qui doit être retenue puis soupesée, peu importe la possibilité d’obtenir au Sri Lanka des soins susceptibles d’améliorer son état (Davis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 97; Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1295). Rappelons que Jeyakannan Kanthasamy a été arrêté, détenu et battu par la police sri‑lankaise, ce qui lui a laissé des séquelles psychologiques. Pourtant, malgré la preuve claire et non contredite de ce préjudice dans le rapport d’évaluation psychologique, lorsqu’elle applique le critère des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » au facteur individuel de l’accessibilité de soins médicaux au Sri Lanka – et conclut que requérir de tels soins ne satisferait pas à ce critère –, l’agente minimise les problèmes de santé de Jeyakannan Kanthasamy.

[Italiques dans l’original.]

[42]  En me fondant sur ce qui précède, je suis d’accord pour dire que l’agent a commis une erreur en i) semblant rejeter le rapport de la psychologue sur le seul fondement que Mme Jesuthasan n’a pas déposé de preuve démontrant qu’elle a cherché à suivre un traitement de suivi; et en ii) ne tenant pas compte de l’évaluation de la psychologue selon laquelle le retour de Mme Jesuthasan au Sri Lanka [traduction] « pourrait avoir un effet encore plus néfaste sur son bien-être psychologique ». Le fait d’écarter cette évaluation de cette manière était déraisonnable (Kanthasamy, précité, au paragraphe 60).

[43]  Comme dans Kanthasamy, précité, l’agent n’était pas tenu d’accorder la demande d’exemption pour motifs d’ordre humanitaire de Mme Jesuthasan sur le fondement du rapport de la psychologue. « [L]’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés » (Kanthasamy, précité, au paragraphe 23). À cet égard, on peut s’attendre à ce que les personnes se voyant refuser une exemption pour motifs d’ordre humanitaire puissent être très déçues ou même déprimées à l’idée de devoir quitter le Canada et retourner dans leur pays d’origine. Cependant, l’exemption pour motifs d’ordre humanitaire « n’est pas censée constituer un régime d’immigration parallèle » (Kanthasamy, précité, au paragraphe 23). Elle a plutôt un caractère exceptionnel (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Legault, 2002 CAF 125, au paragraphe 15; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, au paragraphe 40; Gonzalo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 526, au paragraphe 16; Pervaiz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 680, au paragraphe 40; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 918, au paragraphe 22; Obeng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 61, aux paragraphes 39 à 40). Je ne lis rien dans la décision majoritaire de Kanthasamy qui suggère le contraire. De ce fait, les demandeurs doivent démontrer pourquoi des effets préjudiciables sur leur bien-être psychologique seraient un facteur exceptionnel comparativement aux personnes qui présentent une demande d’exception discrétionnaire, compte tenu de tous les autres faits et facteurs pertinents (Kanthasamy, précité, au paragraphe 25).

[44]  Même si l’agent n’était pas tenu d’accepter l’évaluation de la psychologue de l’état de Mme Jesuthasan, le fait que sa santé mentale puisse empirer si elle devait retourner au Sri Lanka « constitue une considération pertinente qui doit être retenue puis soupesée » (Kanthasamy, précité, au paragraphe 48). Pourtant, l’agent ne l’a pas fait. Il s’agit précisément du défaut, plutôt que du rejet, de la part de l’agent de l’évaluation de la psychologue en tant que tel, qui en a rendu son traitement de cette évaluation déraisonnable.

[45]  Contrairement à Kanthasamy, alors que l’agente en question avait clairement indiqué qu’elle « [ne] réfutait pas le rapport psychologique » (au paragraphe 46), et « comme aucune conclusion négative n’avait été tirée au sujet de la crédibilité » (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 802, au paragraphe 52), des conclusions défavorables graves quant à la crédibilité étaient au cœur de la demande de Mme Jesuthasan à cet égard. En effet, comme cela a été indiqué au paragraphe19 ci-dessus, l’évaluation effectuée par la psychologue se fondait en grande partie sur des événements qui ont été rejetés par la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés pour des motifs liés à la crédibilité. Comme l’a indiqué la Section d’appel des réfugiés, certaines des principales incohérences ayant entraîné les conclusions défavorables quant à la crédibilité se trouvaient dans les documents écrits fournis par Mme Jesuthasan elle-même. Lorsqu’elle a été confrontée à ces incohérences, cette dernière a dit qu’elles étaient fausses. En outre, la psychologue a simplement suggéré à la toute fin de son rapport que le bien-être psychologique de Mme Jesuthasan pourrait se détériorer si elle était renvoyée au Sri Lanka.

[46]  En tenant compte de ce qui précède, il aurait été raisonnablement loisible à l’agent d’accorder peu d’importance à cet aspect de l’évaluation de la psychologue, après l’avoir abordé. Mais le fait de ne pas avoir du tout tenu compte de ce [traduction] « diagnostic » était déraisonnable. Je rejette la position du défendeur selon laquelle l’agent a abordé cette question de façon implicite. Le défaut de l’agent d’aborder cette question a ensuite été aggravé par son rejet de l’évaluation sur le seul fondement qu’il n’y avait eu aucun traitement de suivi au Canada.

[47]  Je comprends la position du défendeur selon laquelle des personnes comme Mme Jesuthasan ne devraient pas pouvoir surmonter des conclusions défavorables en matière de crédibilité en trouvant simplement un psychologue prêt à rédiger un rapport suggérant que i) les incohérences ayant été le fondement de ces conclusions étaient ou auraient pu être attribuables aux mêmes situations traumatisantes jugées vraisemblablement inexistantes par la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés; ou ii) le renvoi de la demanderesse du Canada aura vraisemblablement un effet néfaste sur son bien-être psychologique. De tels rapports ne peuvent pas servir de « panacée pour tous les défauts contenus » dans la cause d’un demandeur (Avagyan, précité; Khatun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 159, au paragraphe 94; Mahari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 999, au paragraphe 25).

[48]  Les agents d’immigration, comme ceux de la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés, ne sont pas tenus d’accepter de telles évaluations à première vue ni de leur accorder un poids important. Cependant, s’ils décident de ne leur accorder que peu ou pas du tout de poids, ils doivent pouvoir en fournir les motifs.

[49]  Par exemple, un agent d’immigration pourrait remarquer la nature conjecturale ou spéculative d’une certaine évaluation qui mentionne que le fait de renvoyer un demandeur du Canada « pourrait » avoir un effet néfaste sur son bien-être psychologique. De la même façon, un agent peut expliquer pourquoi une évaluation psychologique ne permet pas d’aborder de façon satisfaisante les conclusions quant à la crédibilité en ce qui concerne les événements qui sont le fondement principal de l’évaluation. Un agent peut également expliquer pourquoi un effet néfaste diagnostiqué sur le bien-être psychologique d’un demandeur ne satisfait pas au critère d’exception, comparativement aux autres personnes qui présentent une demande d’exemption pour des motifs d’ordre humanitaire, de l’exigence de faire une demande de résidence permanente depuis l’étranger. Ces exemples ne se veulent pas exhaustifs.

2)  Le traitement par l’agent des risques présumés par Mme Jesuthasan

[50]  Mme Jesuthasan soutient que l’évaluation effectuée par l’agent de son profil personnel était déraisonnable pour trois motifs.

[51]  Premièrement, elle indique que l’agent n’a pas abordé un aspect important de ce profil, à savoir qu’elle n’aurait aucun soutien familial au Sri Lanka. Dans les observations écrites fournies par la défenderesse pour soutenir sa demande d’exemption pour motifs d’ordre humanitaire, elle a énoncé que cet aspect viendrait vraisemblablement aggraver les risques présumés auxquels elle devrait faire face à titre de femme célibataire tamoule qui retourne au pays en tant que demandeure d’asile déboutée.

[52]  Deuxièmement, elle affirme que l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants dans la documentation relative au pays et autres éléments de preuve déposés, ce qui vient directement contredire la conclusion de l’agent selon laquelle il n’y avait pas de preuve objective suffisante permettant d’établir que Mme Jesuthasan [traduction] « serait exposée à des préjudices ou à de la discrimination à cause de son statut de minorité ethnique et/ou de sexe. »

[53]  Troisièmement, elle a indiqué que l’agent avait commis une erreur en exigeant que les éléments de preuve démontrent qu’elle sera exposée à des préjudices ou de la discrimination, plutôt que de simplement démontrer qu’elle pourrait être exposée à de tels risques.

[54]  Je suis d’accord pour dire que l’évaluation de l’agent était fautive en ce qui concerne chacun de ces trois aspects, et qu’elle était ainsi déraisonnable.

[55]  En résumé, l’agent n’a pas abordé ni mentionné la déclaration de Mme Jesuthasan selon laquelle les risques cernés par cette dernière seraient vraisemblablement aggravés à cause du fait qu’elle n’a pas de soutien familial au Sri Lanka. Mme Jesuthasan a déposé des éléments de preuve à l’appui de cette observation, y compris une lettre du révérend Manuelpillai David, ainsi que des documents relatifs au pays. Ces éléments de preuve appuyaient sa revendication selon laquelle elle serait vraisemblablement exposée à un niveau de risque accru de discrimination et de préjudices, y compris des agressions sexuelles, à titre de femme célibataire tamoule sans soutien familial. Puisque ces éléments de preuve viennent directement contredire les conclusions de l’agent selon lesquelles Mme Jesuthasan ne serait pas vraisemblablement exposée à de la discrimination ou à des préjudices à son retour au Sri Lanka, le fait que l’agent n’a pas abordé ces éléments de preuve était déraisonnable (Cepeda-Gutierrez, précité). Contrairement à la suggestion du défendeur selon laquelle ces éléments de preuve portaient simplement sur les conditions générales du pays, ils appuyaient l’observation de Mme Jesuthasan selon laquelle elle serait exposée à un risque accru de préjudices et de discrimination en tant que membre d’un groupe particulier de personnes étant sensiblement dans la même situation. Ce groupe de personnes est composé de femmes célibataires tamoules à qui l’on a refusé une demande d’asile à l’étranger, et n’ayant aucun soutien familial au Sri Lanka.

[56]  S’ajoute à l’erreur de l’agent à cet égard sa croyance apparente selon laquelle Mme Jesuthasan devait établir qu’elle [traduction] « subirait des préjudices ou de la discrimination à cause de son appartenance à un groupe ethnique minoritaire et/ou de son sexe » (Non souligné dans l’original). L’agent a utilisé un langage semblable lors de passages ultérieurs de la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, y compris là où il est noté que Mme Jesuthasan n’avait pas démontré qu’elle [traduction] « serait incapable de s’établir à nouveau au Sri Lanka » ou que [traduction] « son renvoi du Canada entraînera des difficultés » (Non souligné dans l’original). Comme l’a fait remarquer la Cour suprême dans Kanthasamy, précité, au paragraphe 56, « les demandeurs sont seulement tenus de démontrer qu’ils seraient vraisemblablement confrontés à des conditions néfastes telles que de la discrimination » (Non souligné dans l’original).

[57]  J’ajouterai simplement en passant qu’une telle preuve n’obligerait pas nécessairement un agent d’immigration à accorder une exemption relativement aux exigences usuelles de la LIPR pour des motifs d’ordre humanitaire. On doit toujours avoir en tête que les dispositions de la LIPR en matière de motifs d’ordre humanitaire sont de nature exceptionnelle et hautement discrétionnaire (voir citations au paragraphe 43 ci-dessus, et Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 CSC 817, au paragraphe 61). Ainsi, il demeure loisible à un agent d’immigration de refuser d’accorder une exemption s’il décide que la discrimination ou les autres risques démontrés n’ont pas été jugés exceptionnels, comparativement à la situation à laquelle d’autres demandeurs déboutés seraient exposés s’ils étaient renvoyés dans leur pays d’origine.

3)  Le critère juridique général appliqué par l’agent

[58]  Mme Jesuthasan soutient que l’agent a commis une erreur en appliquant le mauvais critère juridique à l’évaluation de sa demande. Plus spécifiquement, elle affirme que l’agent a retenu le [traduction] critère des « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » qui a été rejeté dans Kanthasamy, précité, aux paragraphes 21 à 33 et 60. À cet égard, une majorité des membres de la Cour suprême a suggéré un critère plus large qui nécessiterait l’évaluation de tous les motifs d’ordre humanitaire. Mme Jesuthasan maintient que l’agent n’a pas su adopter une telle approche plus large.

[59]  Je ne suis pas d’accord.

[60]  Je reconnais que divers passages de la décision relative à la demande CH laissent croire que l’agent mettait exclusivement l’accent sur l’étendue des [traduction] « contraintes » et [traduction] « difficultés » auxquelles serait exposée Mme Jesuthasan. Cependant, comme l’a noté le défendeur, la décision relative à la demande CH reflète dans son ensemble le fait que l’agent a bel et bien adopté l’approche appropriée.

[61]  Ce point, entre autres, a été clairement mis en évidence dans le dernier paragraphe de la décision, lorsque l’agent indiquait qu’une considération avait été donnée aux [traduction] « circonstances personnelles de la demanderesse, à son degré d’établissement au pays, aux risques encourus, à son statut d’emploi [et] aux difficultés », et qu’une [traduction] « évaluation globale de tous les facteurs pertinents présentés par la demanderesse » avait été effectuée. Bien que l’agent ait pu commettre une erreur dans l’application de ce critère, par exemple dans son défaut de prendre en considération le fait que Mme Jesuthasan n’aurait pas de soutien familial au Sri Lanka, je ne suis pas persuadé que l’agent a appliqué le mauvais critère.

V.  Conclusion

[62]  Pour les motifs énoncés ci-dessus, les demandes seront accueillies.


JUGEMENT DANS LES DOSSIERS IMM-831-17 ET IMM-538-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.  Les présentes demandes sont accueillies.

2.  Les décisions de l’agent d’immigration, datées du 29 décembre 2016 et du 18 janvier 2017, sont annulées. Les demandes d’examen des risques avant renvoi et d’exemption pour motifs d’ordre humanitaire de Mme Jesuthasan en application de l’article 25 de la LIPR sont renvoyées à un autre agent aux fins de réexamen conformément aux présents motifs.

« Paul S. Crampton »

Juge en chef

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de février 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

IMM-831-17

IMM-538-17

 

INTITULÉ :

RUSHIYANTHI JESUTHASAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 août 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 février 2018

 

COMPARUTIONS :

Arash Banakar

Pour la demanderesse

 

Sylviane Roy

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Arash Banakar

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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