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Date : 20180205


Dossier : T-560-17

Référence : 2018 CF 118

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 février 2018

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

BLAKE MCBRIDE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le serg. McBride demande à la Cour d’annuler la décision définitive rendue sous le régime du système de règlement des griefs de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) par un arbitre au niveau II [arbitre] qui a rejeté son grief concernant l’indemnité de disponibilité du niveau II pour les années 1996 à 1999, lorsqu’il était affecté à l’île Deer, au Nouveau-Brunswick. Dans son grief, il a décrit de la façon suivante l’effet qu’a eu sur lui le refus de lui verser l’indemnité de disponibilité :

[traduction] « J’ai subi une perte de salaire correspondant à 19 592 heures de disponibilité de niveau II équivalant à une heure de rémunération par tranche de 8 heures de travail. Ce qui signifie que j’avais droit à 2 449 heures de rémunération normale au taux des heures normales. Cela correspond à la perte de presque une année complète de revenu, puisque cette indemnité ne m’a pas été versée.

Résumé des faits

[2]  Les faits qui ont donné lieu au grief ne sont pas contestés. Le serg. McBride est un membre de la GRC depuis décembre 1992. De juillet 1996 à octobre 1999, il a été affecté à un détachement d’une personne à l’île Deer, au Nouveau-Brunswick. L’île Deer est accessible par traversier en vingt minutes; les traversiers partent toutes les demi-heures entre 6 h 30 et 23 h. Par conséquent, le recours d’urgence aux services policiers n’est offert que par l’entremise de l’agent de la GRC affecté à l’île.

[3]  Le serg. McBride a rencontré le chef de district à son arrivée et l’arbitre observe qu’il affirme qu’on lui a dit ce qui suit :

[traduction] Il m’a aussi informé lors de cette réunion que je pouvais travailler quand je le souhaitais, mais que je devais m’assurer de travailler le nombre d’heures hebdomadaires exigé, à savoir 80 heures, et que je ne pourrais pas réclamer une rémunération des heures supplémentaires si on m’appelait, mais que je pouvais adapter mon quart de travail pour couvrir les heures travaillées si j’étais appelé. Le [chef de district] s’attendait à ce que je sois disponible pour répondre aux appels, que je sois en service ou non, et que je devais recevoir un téléavertisseur afin de m’assurer que j’étais « facilement » joignable pour répondre à ces appels lorsque je n’étais pas chez moi ou que j’étais sorti sur l’île. [Non souligné dans l’original.]

[4]  La GRC n’a présenté aucun élément de preuve pour contredire le témoignage du serg. McBride quant à l’attente exprimée par son supérieur, à savoir qu’il devait pouvoir répondre aux appels, que ce soit pendant son quart ou non. J’observe que c’est exactement ce qu’on entend par disponibilité. J’observe en outre que le grief n’était lié à aucune revendication pour une rémunération des heures supplémentaires; en revanche, il était lié seulement à l’indemnité de disponibilité pendant son affectation à l’île Deer.

[5]  La politique de la GRC en ce qui concerne l’indemnité de disponibilité à l’époque pertinente était énoncée dans son Manuel d’administration. Elle était la suivante :

[traduction] II.4.F NIVEAU II DE DISPONIBILITÉ – VOLONTAIRE SUR APPEL

F.1.a Il y a une obligation de fournir à nos clients de la collectivité un accès aux services de police 24 heures sur 24.

F.1.b. Les commandants d’unité ou de district qui doivent rendre compte de leurs budgets d’heures supplémentaires ont l’autorité ultime d’approuver l’indemnité de disponibilité de niveau II.

[...]

F.1.d Le niveau II de disponibilité s’appliquera aux unités qui n’offrent pas des quarts 24 heures sur 24 et où il existe un besoin que des membres soient facilement joignables pour fournir au public des services policiers d’urgence pendant les heures creuses.

1. Ceci n’inclut pas les unités de soutien administratif.

[...]

F.1.g. Les heures de disponibilité du niveau II sont accumulées à raison d’une heure par tranche de huit heures au taux des heures normales et ne doivent pas inclure une rémunération des heures supplémentaires (rétroactif au 95-08-30).

[6]  En février 2010, il a appris que le membre de la GRC affecté à l’île Deer après lui était rémunéré au niveau II de disponibilité pour ses heures de disponibilité. Le serg. McBride a immédiatement demandé la rémunération de 2 449 heures de disponibilité de niveau II.

[7]  Le 3 novembre 2011, la demande du serg. McBride a été refusée. Il a contesté cette décision en déposant un grief le 29 novembre 2011. Le grief a été rejeté le 28 septembre 2015. Le serg. McBride a ensuite renvoyé le grief au niveau II. L’arbitre a rejeté le grief le 28 mars 2017.

[8]  La procédure de règlement des griefs et d’arbitrage de la GRC à l’époque pertinente était gérée à l’interne à la GRC; il n’y avait pas d’arbitrage indépendant par un tiers : Voir Canada (Attorney General) v Smith, 2007 NBCA 58, aux paragraphes 3 et 5.

[9]  L’arbitre a formulé deux conclusions préalables : 1) que le grief était déposé dans les délais prescrits, et 2) que le serg. McBride avait la qualité pour déposer son grief. La GRC n’a contesté aucune de ces conclusions.

[10]  L’arbitre a souligné qu’à titre d’arbitre du niveau II, elle rendrait une décision de novo en utilisant le critère à deux volets énoncé à l’article 17 des Consignes du commissaire (griefs), DORS/2003-181. Elle 1) déterminerait si la décision qui fait l’objet du grief était conforme aux lois et aux politiques pertinentes; et 2) si la décision n’était pas conforme et a causé un préjudice, elle déciderait quelle mesure corrective convenait.

[11]  J’observe que DORS/2003-181 a été abrogé. Le règlement qui a remplacé DORS/2003-181 est significativement différent, étant donné qu’un arbitre du niveau II ne mène pas un examen de novo, mais évalue plutôt si la « décision de premier niveau contrevient aux principes d’équité procédurale, est entachée d’une erreur de droit ou est manifestement déraisonnable » Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289, paragraphe 18(2). Aucune des parties ne s’est penchée sur la question de savoir si l’arbitre avait raison de s’appuyer sur les dispositions abrogées. Je présume que l’arbitre l’a fait parce que le grief initial a été présenté avant l’abrogation et le remplacement du Règlement, bien que les décisions rendues lors du processus de règlement du grief aient été rendues après l’abrogation de la disposition.

[12]  L’arbitre a affirmé qu’il incombait au serg. McBride de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le rejet de sa demande pour une indemnité de disponibilité du niveau II était contraire à la politique, et a cité de longs passages du Manuel d’administration, qu’elle a appelé par la suite « la politique ». L’arbitre a conclu que la politique dispose que la seule personne qui peut autoriser la disponibilité au niveau II est le chef de district. Elle a conclu que le chef de district n’a pas suivi les procédures nécessaires pour autoriser la disponibilité. Elle a également conclu que le serg. McBride n’avait pas l’autorité pour se déclarer en disponibilité. Elle a par conséquent conclu que peu importe si le serg. McBride s’estimait en disponibilité 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, il n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que le chef de district exigeait qu’il soit en disponibilité, et elle a conclu qu’il a établi le contraire en déclarant que l’on ne lui a jamais proposé une indemnité de disponibilité.

[13]  L’arbitre a affirmé qu’elle appliquait la politique de 1998. En fait, elle s’était fondée sur la politique de 1988, qui avait été abrogée et remplacée avant que le serg. McBride soit affecté à l’île Deer. La section II.9.H.1.B de la politique de 1988 dispose : [traduction] « Il n’y aura aucun endroit où la disponibilité est permanente ». L’arbitre a conclu que la demande d’une indemnité de disponibilité du serg. McBride était essentiellement une demande pour que son affectation soit un endroit où la disponibilité est permanente, ce qui aurait été contraire à la politique.

[14]  La politique qui en fait s’appliquait au serg. McBride, la politique de 1996, dispose à la section II.9.H.3.f : [traduction] « Ne pas approuver de disponibilité permanente ». Comme l’a fait remarquer à juste titre le serg. McBride : [traduction] « C’est une exigence destinée aux commandants divisionnaires, et non au serg. McBride ». Il soutient que cette erreur à elle seule rend la décision déraisonnable.

[15]  Malgré sa conclusion selon laquelle le chef de district n’a pas explicitement créé un endroit où la disponibilité est permanente, l’arbitre s’est penchée sur la question de savoir si le chef de district a créé un modèle de service de police qui exigeait implicitement que le serg. McBride soit en disponibilité au niveau II. Elle a conclu que la seule preuve documentaire disponible était une note de service du chef de district datée du 31 octobre 1995 qui indiquait que le serg. McBride avait un horaire provisoire lui permettant d’organiser ses propres quarts de travail afin de répondre aux besoins de la collectivité. L’arbitre a conclu que le témoignage du serg. McBride indiquait qu’il était maître de ses choix étant donné qu’il pouvait travailler quand il le souhaitait, et elle a observé que ses calepins indiquaient qu’il a tiré parti de cette flexibilité. Elle a conclu également que si le serg. McBride n’était pas satisfait du modèle policier, c’était sa prérogative de discuter d’autres dispositions.

[16]  L’arbitre a observé que la seule autre communication était la réunion du serg. McBridge avec le chef de district au sujet de sa mutation à l’île Deer, qui est rapportée ci-dessus au paragraphe 3. Elle a conclu que si le serg. McBride a peut-être quitté la réunion ayant compris qu’il était toujours en disponibilité, il lui revenait de clarifier ce que l’on attendait de lui et de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer qu’on lui offrait tous les avantages. Elle a conclu : [traduction] « Il est établi depuis longtemps par les décisions du commissaire qu’il incombe aux membres de connaître les politiques qui régissent leurs tâches et responsabilités précises ». Elle a conclu que le serg. McBride n’a offert aucune justification pour ne pas être au courant de la politique et qu’en demandant l’indemnité de disponibilité du niveau II après la fin de son affectation, il privait effectivement le chef de district de la possibilité d’envisager d’autres dispositions.

[17]  Le serg. McBride a fourni des éléments de preuve selon lesquels d’autres qui étaient dans une situation identique ou semblable recevaient une indemnité pour disponibilité du niveau II. Le premier cas cité était celui du cap. Nagy, qui a travaillé au détachement d’une seule personne de l’île Campobello, au Nouveau-Brunswick, de juillet 1998 à juin 2001, et dont le grief a été accueilli. Le deuxième cas cité était celui du membre de la GRC qui a remplacé le serg. McBride à l’île Deer et dont le grief a été accueilli. Le serg. McBride a demandé une copie de ce grief et de la réponse au moyen du processus de divulgation, mais a été informé par le chef de district que la décision avait été détruite. Néanmoins, la GRC ne conteste pas que le successeur du serg. McBride a bien reçu l’indemnité de disponibilité que le serg. McBride revendique maintenant.

[18]  L’arbitre a écarté cet élément de preuve, indiquant :

[traduction] [C]haque grief est tranché selon son bien-fondé en fonction des éléments de preuve fournis. En fin de compte, la décision dépend de la question de savoir si le plaignant établit que la décision contestée était conforme à la législation pertinente ou aux politiques applicables et non à l’issue d’un grief distinct.

[19]  L’arbitre a présenté un résumé concis de ses motifs aux paragraphes 77 et 78 de sa décision :

[traduction] Pour conclure, bien que le plaignant ait pu estimer qu’il était en disponibilité, je conclus qu’il n’a pas établi que le chef de district avait approuvé qu’une indemnité de disponibilité du niveau II s’appliquait dans son cas. Étant donné que la politique exige cette approbation, le plaignant n’a pas droit à l’indemnité.

En outre, je conclus qu’il incombait au plaignant de contester les circonstances de sa prestation de services au moment de son mandat à l’île Deer. [...] Enfin, je conclus que le rejet par le défendeur de la demande du plaignant d’une rémunération rétroactive au taux de l’indemnité de disponibilité au niveau II pendant son affectation à l’île Deer était conforme à la politique en vigueur à l’époque.

Questions en litige

[20]  Le serg. McBride soutient que la décision qui fait l’objet du contrôle est déraisonnable étant donné que :

  1. l’arbitre a refusé de façon déraisonnable de tenir compte de griefs semblables;
  2. l’arbitre s’est appuyée de façon déraisonnable sur une politique qui n’était plus en vigueur;
  3. l’arbitre a utilisé une logique circulaire de façon déraisonnable;
  4. les conclusions de l’arbitre n’étaient pas compatibles avec les faits établis.

[21]  La décision est susceptible de contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable : Voir Irvine c Canada (Procureur général), 2012 CF 1370, au paragraphe 27, confirmée par 2013 CAF 286.

Discussion

1. Les décisions antérieures fondées sur des faits comparables

[22]  Le serg. McBride a fourni à l’arbitre deux décisions antérieures relatives à des griefs de niveau I, dont il a soutenu qu’elles correspondaient tout à fait à sa situation à l’île Deer. Comme il a été mentionné plus tôt, nous n’avons que la connaissance des faits concernant le grief du serg. Nagy. Toutefois, étant donné que l’autre grief concernait le remplaçant du serg. McBride à l’île Deer, si sa situation était différente de celle du serg. McBride, le fardeau de la preuve quant à cette différence incombait à la GRC étant donné que c’est la GRC qui a détruit tous les documents liés au grief.

[23]  La situation du serg. Nagy est parallèles à celle du serg. McBride et est résumée de façon concise par son avocat au paragraphe 20 de son mémoire :

[traduction] Le premier grief a été déposé par le cap. Nagy. Le grief du cap. Nagy a travaillé au détachement d’une seule personne de l’île Campobello, au Nouveau-Brunswick, de juillet 1998 à juin 2001. L’île Campobello ressemble beaucoup à l’île Deer : toutes les deux sont dans la baie de Fundy; toutes les deux ont une population permanente d’un peu moins de 1 000 habitants; toutes les deux font un peu moins de 50 kilomètres; et toutes les deux sont desservies par un détachement composé d’un seul membre de la GRC. Tant le cpl. Nagy et le serg. McBride devaient être disponibles pour tous les appels pendant les heures creuses étant donné que des renforts n’étaient pas facilement disponibles (et auraient dû venir par traversier ou un autre type de bateau). Tous les deux n’ont pas reçu l’indemnité de disponibilité pendant qu’ils travaillaient, mais ont appris plusieurs années plus tard que leurs successeurs ont reçu l’indemnité de disponibilité. Tous les deux ont demandé une indemnité de disponibilité de niveau II, et le sergent d’état-major Larry McDonald, le même chef de district, la leur a refusée à tous les deux. Les deux ont déposé un grief. Le grief du cap. Nagy a toutefois été accueilli.

[24]  Le serg. McBride soulève deux arguments au sujet de ces décisions antérieures. Premièrement, il s’appuie sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c Bri-Chem Supply Ltd., 2016 CAF 257 [Bri-Chem] qui a conclu qu’un tribunal doit appliquer respectueusement les décisions antérieures et que, s’il choisit de s’en écarter, il doit dire pourquoi il le fait. Le serg. McBride soutient que l’arbitre n’a pas fait de distinction entre les griefs précédents et les faits ni expliqué pourquoi ces décisions étaient erronées; elle n’en a tenu aucun compte, contrairement aux exigences énoncées dans Bri-Chem.

[25]  Le serg. McBride soutient qu’il est bien établi en relations de travail que les gestionnaires doivent appliquer les règles de façon uniforme dans l’ensemble du lieu de travail. Il soutient que, contrairement à ce principe, l’arbitre [traduction] « propose comme question de principe que la politique sur l’indemnité de disponibilité ne devrait pas être appliquée de façon uniforme ».

[26]  Je suis d’accord avec le défendeur quand il dit que la procédure de règlement des griefs de la GRC [traduction] « ne fonctionne pas du tout comme le processus quasi judiciaire examiné dans Bri-Chem » étant donné qu’il ne s’agit pas du même type de rapport hiérarchique. Les arbitres de griefs ne sont pas supervisés par un tribunal dans le régime de la politique de la GRC. En outre, l’argument du plaignant selon lequel le principe du stare decisis exige que son grief reçoit le même traitement de la part de l’arbitre n’a pas beaucoup de sens étant donné que les deux griefs sur lesquels il s’appuie ont obtenu gain de cause au niveau I, tandis que son grief est actuellement au niveau II. Il serait contraire à la logique qu’une autorité supérieure soit liée par des décisions rendues à un niveau inférieur.

[27]  Néanmoins, ces deux décisions indiquent bien que le grief du serg. McBride n’a pas été traité de la même façon au niveau I que les deux autres; bien que les situations aient été substantiellement identiques. À mon avis, c’est un fait qui aurait dû être pris en considération par l’arbitre.

[28]  Si un employeur peut rendre des décisions contraires dans l’interprétation et l’application de ses propres politiques sur des faits identiques, le chaos s’ensuit, et l’application arbitraire de la politique signifie qu’il n’y a pas de « politique » du tout. Pour déterminer si la décision est [traduction] « conforme à [...] politique » en application des anciennes Consignes du commissaire (griefs) ou si elle est [traduction] « manifestement déraisonnable » en application du Règlement plus récent, c’est un facteur très pertinent, et le fait de ne pas le reconnaître rend la décision qui fait l’objet du contrôle judiciaire déraisonnable.

[29]  Bien qu’il était loisible à l’arbitre de rendre une décision contraire aux deux griefs qui avaient été accueillis par la GRC, il ne lui était pas loisible de le faire sans tenir compte de ces décisions ou sans dire pourquoi elle a interprété différemment la politique alors que les faits sont identiques ou quasi identiques.

[30]  Le défendeur soutient que [traduction] « les éléments de preuve au dossier indiquent que le principe du stare decisis n’est pas actuellement appliqué par les arbitres de griefs de la GRC ». Bien que rien n’en dépende, j’observe que l’arbitre en l’espèce semble avoir fait précisément cela dans un autre contexte. Elle a renvoyé aux décisions du commissaire précédent au paragraphe 69 de ses motifs, indiquant qu’il [traduction] « est établi depuis longtemps par les décisions du commissaire qu’il incombe aux membres de connaître les politiques qui régissent leurs tâches et responsabilités précises ». Cela laisse entendre que l’arbitre croyait que les décisions antérieures étaient pertinentes et devaient être suivies, tant par elle que par les membres de la GRC.

2.  La politique qui n’est plus en vigueur

[31]  Il n’est pas contesté que l’arbitre s’est fondée sur une politique qui n’était plus en vigueur. Ce faisant, elle a estimé que la demande d’une indemnité de disponibilité du serg. McBride était essentiellement une demande pour que son affectation soit un endroit où la disponibilité est permanente, ce qui aurait été contraire à la politique. Étant donné qu’elle a appliqué la mauvaise politique, l’arbitre a attribué au serg. McBride le fardeau de prendre des mesures au bon moment pour établir s’il était ou non en disponibilité permanente. En fait, il ne lui incombait que de fournir des éléments de preuve des instructions que son chef de district lui a données, ce qu’il a fait. Si le chef de district lui a donné des instructions selon lesquelles il devait répondre en tout temps, il avait donc la directive d’être en disponibilité. Le fait que le chef de district a peut-être contrevenu à la politique n’est pas pertinent au grief. Cette analyse erronée du fardeau entraîne une décision qui n’est pas raisonnable, et une décision qui très certainement n’est pas équitable à la lumière des deux griefs identiques.

3.  Logique circulaire

[32]  Je ne peux m’empêcher de conclure que certaines parties des motifs de l’arbitre sont déraisonnablement circulaires. Elle indique à plusieurs reprises que l’on n’a jamais offert au serg. McBride une indemnité de disponibilité et que le chef de district n’a pas « officiellement » autorisé de disponibilité. Elle utilise ensuite cette conclusion pour conclure qu’il n’a donc pas droit à une indemnité de disponibilité. Le paragraphe 61 de la décision de l’arbitre est un exemple de ce raisonnement erroné :

Peu importe si le plaignant s’estimait en disponibilité 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, il n’a pas présenté suffisamment de renseignements pour démontrer que le chef de district exigeait qu’il soit en disponibilité. En fait, le contraire a été établi étant donné que le plaignant indique qu’on ne lui a jamais offert d’indemnité de disponibilité, et qu’on n’en a jamais discuté avec lui.

[33]  La première phrase porte sur le cœur de la question, à savoir si le serg. McBride a fourni des éléments de preuve pour établir qu’il devait être en disponibilité. Toutefois, la deuxième phrase confond l’offre d’une indemnité de disponibilité avec un droit à la disponibilité. Ce n’est pas appuyé par la politique; en fait, c’est directement contraire à la politique (remplacée) de 1988 que l’arbitre cite au paragraphe 59 : [traduction] « si un membre doit être en disponibilité en dehors des heures normales de travail, il ou elle sera indemnisé(e) » [non souligné dans l’original].

[34]  Comme il a été indiqué ci-dessus, pour déterminer si le serg. McBride était [traduction] « tenu » d’être en disponibilité, l’arbitre n’examine que la question de savoir si le chef de district a autorisé la disponibilité de façon appropriée (ce qu’il n’avait manifestement pas fait puisque sinon le serg. McBride aurait reçu une indemnité de disponibilité). En revanche, le bien-fondé des mesures prises par le chef de district n’est pas déterminant, il n’est même pas pertinent à la question de savoir si le serg. McBride était tenu d’être en disponibilité. À mon avis, la preuve non contredite est qu’on l’y avait obligé, comme en témoigne la discussion lors de sa réunion avec le chef de district à son arrivée. Affirmer le contraire équivaudrait à conclure que les directives données oralement par un officier supérieur ne sont pas contraignantes et ne doivent pas être respectées.

[35]  Ce raisonnement est conforme à celui de la Cour d’appel fédérale dans Brooke c Canada (Gendarmerie Royale du Canada), [1993] ACF no 240, 152 NR 231, à la page 7 :

Les facteurs que l’intimé a pris en considération et qui l’ont amené à conclure que le requérant n’était pas en disponibilité parce que l’officier qui a donné cet ordre n’y était pas habilité, n’ont rien à voir avec la question de savoir si le requérant a reçu l’ordre « de demeurer disponible et [était] en mesure d’assumer le travail immédiatement ». L’intimé a commis une erreur de droit en fondant sa décision sur ces facteurs. Si l’intimé avait raison de conclure que l’OR/GSIU n’avait pas l’autorisation de mettre les membres en disponibilité - question sur laquelle il n’est pas nécessaire que la Cour prononce - le résultat était, non pas que ceux-ci n’avaient pas été mis en disponibilité, mais que l’ordre donné à cet effet était illégal. La sanction ne consiste pas à refuser l’indemnité à ceux qui ont obéi et n’avaient pas le droit de contester les ordres reçus avant de subir des inconvénients qui leur donnaient droit à l’indemnité. Nous pouvons en toute confiance laisser à l’intimé le soin de décider quelles mesures disciplinaires il souhaiterait recommander et à qui il les adresserait.

[Renvoi omis.]

4.   Les conclusions sont-elles contraires à la preuve?

[36]  Comme il a été mentionné précédemment, je conclus que les conclusions de l’arbitre concernant les faits importants sont contraires aux éléments de preuve dont elle disposait. Plus précisément, la conclusion de l’arbitre du niveau II selon laquelle le serg. McBride « n’a pas présenté suffisamment de renseignements pour démontrer que le chef de district exigeait qu’il soit en disponibilité » est incompatible avec les éléments de preuve. Elle est directement contraire à la preuve non contredite selon laquelle le chef de district a ordonné au serg. McBride de [traduction] « pouvoir répondre aux appels, que ce soit pendant mon quart ou non ».

Conclusion

[37]  Pour tous ces motifs, la décision qui fait l’objet du contrôle n’est pas raisonnable et doit être annulée. Il n’est pas controversé entre les parties que les dépens en l’espèce soient fixés à 5 000 $ et je conclus que ce montant est raisonnable vu la complexité de la demande.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-560-17

LA COUR CONCLUT que la demande est accueillie, que la décision est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre arbitre de niveau II pour qu’une nouvelle décision soit rendue conformément aux présents motifs, et que des dépens de 5 000 $ sont payables au demandeur.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 18e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-560-17

INTITULÉ :

BLAKE MCBRIDE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 NOVEMBRE 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

DATE DES MOTIFS :

LE 5 FÉVRIER 2018

 


COMPARUTIONS :

Christopher Rootham

Alexander Devan

Pour le demandeur

Kevin Palframan

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O’Brien Payne s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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