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Date : 20180209


Dossier : IMM-165-17

Référence : 2018 CF 160

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 février 2018

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

HOSSEINI, FARHAD AMIR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur est un citoyen de l’Iran. En janvier 2010, il a présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Le demandeur est un comptable de profession.

[2]  Le 12 décembre 2016, un agent des visas a rejeté la demande pour le motif que le demandeur était interdit de territoire aux termes de l’alinéa 34(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), puisqu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur constituait un danger pour la sécurité du Canada. L’agent des visas a souligné que les activités qui contribuent aux programmes d’armes de destruction massive du gouvernement de l’Iran représentent un danger pour le Canada, et il a conclu que le demandeur a travaillé toute sa carrière à des postes de niveau supérieur pour des entités ou des sociétés filiales assujetties à des sanctions en raison de leurs activités de financement des armes de destruction massive. Par conséquent, l’agent des visas a estimé qu’il était raisonnable de croire que le demandeur avait directement ou indirectement contribué à la réalisation des programmes d’armes de destruction massive de l’Iran, et qu’il contribuerait de nouveau au développement des armes de destruction massive de l’Iran s’il devait travailler dans son domaine d’expertise au Canada.

[3]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agent des visas. Il soutient que l’agent des visas n’a pas effectué de façon appropriée l’analyse exigée par l’alinéa 34(1)d) de la LIPR, assimilant le travail du demandeur pour des entités nommées dans le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant l’Iran, DORS/2010-165 (Règlement pris en application de la LMES) à un motif d’interdiction de territoire. Le demandeur soutient que la question dont l’agent des visas était saisi n’était pas de savoir si le demandeur avait travaillé ou non pour des entités énumérées à l’article 2 de l’annexe 1 du Règlement pris en application de la LMES, mais si le demandeur posait un danger pour la sécurité du Canada.

[4]  Le demandeur soutient en outre que la décision de l’agent des visas est déraisonnable étant donné qu’il a mal interprété les éléments de preuve dont il était saisi. Plus précisément, il fait valoir que : 1) le demandeur a passé la plus grande partie de sa carrière à travailler pour des entités qui ne sont pas énumérées dans le Règlement pris en application de la LMES; 2) il n’a pas occupé des postes de haute direction au sein de ces entités; 3) il n’avait pas une influence importante sur les entreprises au sein desquelles il a travaillé; et 4) il est déraisonnable de croire qu’il contribuerait de nouveau au développement des armes de destruction massive de l’Iran s’il était amené à travailler dans son domaine d’expertise au Canada.

[5]  La décision d’un agent des visas concernant l’interdiction de territoire pour des raisons de sécurité, en application de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR, sous-entend des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Azizian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 379, au paragraphe 16; Hadian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1182, au paragraphe 15 [Hadian]; Fallah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1094, au paragraphe 13; S. N. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 821, au paragraphe 27). Au moment d’examiner une décision selon la norme du caractère raisonnable, la Cour doit prendre en considération la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[6]  Conformément à l’alinéa 34(1)d) de la LIPR, un ressortissant étranger est interdit de territoire au Canada s’il constitue un danger pour la sécurité du Canada. Dans Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 [Suresh], la Cour suprême du Canada a conclu que pour constituer un « danger pour la sécurité du Canada », la personne doit représenter une « grave menace pour la sécurité du Canada »; pour que la menace soit considérée comme étant grave, « elle doit reposer sur des soupçons objectivement raisonnables et étayés par la preuve » et « le danger appréhendé doit être sérieux, et non pas négligeable » (Suresh, au paragraphe 90; Hadian, au paragraphe 16).

[7]  Les faits qui emportent interdiction de territoire aux termes de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR sont établis selon la norme des « motifs raisonnables de croire », décrite à l’article 33 de la LIPR. Cette norme exige « davantage qu’un simple soupçon, mais rest[e] moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile ». La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 114; Hadian, au paragraphe 17).

[8]  Après avoir examiné attentivement la décision de l’agent des visas et le dossier, je suis d’accord avec le demandeur que la décision de l’agent des visas est déraisonnable. La conclusion de l’agent des visas voulant que le demandeur constituerait un danger pour la sécurité du Canada est viciée, étant donné qu’il n’a pas analysé de manière objective la question de savoir si les éléments de preuve au dossier pourraient appuyer une conclusion selon laquelle il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur constituait une « grave menace » pour la sécurité du Canada, et que, deuxièmement, le danger appréhendé était sérieux et non négligeable. En tirant la conclusion que le demandeur était interdit de territoire simplement parce qu’il avait travaillé pour des entités ou leurs filiales nommées à la liste du Règlement pris en application de la LMES, l’agent des visas a conclu de manière erronée que le demandeur constituait un danger pour la sécurité du Canada.

[9]  En outre, j’estime que certaines des conclusions de l’agent des visas ne sont pas fondées sur des éléments de preuve concluants et dignes de foi. Par exemple, le demandeur affirme dans une lettre en date du 24 octobre 2016 qu’il a travaillé durant la majeure partie de sa carrière pour une entreprise nommée « Personnel’s Savings Investment Company of Behshahr Industrial Development Group of Tehran », une société de capital-investissement. Ses activités se limitent à la négociation d’actions et de titres sur le marché boursier avec les économies du personnel, des employés et des travailleurs du Behshahr Development Group. Même s’il existe à n’en pas douter une certaine confusion concernant les noms des différentes sociétés mentionnées au dossier et les liens entre elles et les entreprises nommées dans le Règlement pris en application de la LMES, l’agent des visas a néanmoins estimé que le demandeur a travaillé pour une entreprise nommée « Savings Investment of Behshar Industries Development », une entité nommée dans le Règlement pris en application de la LMES entre 2010 et 2016. L’agent des visas a fondé sa conclusion sur une simple recherche sur Google portant sur l’entreprise nommée dans le Règlement pris en application de la LMES, recherche qui a généré un résultat à propos de la même entreprise que celle pour laquelle le demandeur a travaillé. Étant donné que le nom de l’entreprise pour laquelle le demandeur a travaillé contient tous les termes de l’entreprise nommée dans le Règlement pris en application de la LMES, il n’est pas étonnant que la recherche sur Google ait donné un résultat portant sur l’employeur du demandeur. Les éléments de preuve au dossier indiquent également que l’entreprise pour laquelle le demandeur a travaillé a été dissoute en 2012. Toutefois, la compagnie litigieuse nommée dans le Règlement pris en application de la LMES est demeurée sur la liste jusqu’en 2016, malgré les modifications au Règlement après 2012. À mon avis, il était déraisonnable que l’agent des visas s’appuie sur une recherche dans Google, étant donné la confusion concernant les différentes entreprises et leurs liens avec les entreprises nommées dans le Règlement pris en application de la LMES. Dans les circonstances en l’espèce, la recherche sur Google ne constituait pas un élément de preuve digne de foi et concluant.

[10]  L’agent des visas a également estimé qu’il était raisonnable de croire que, si le demandeur travaillait dans son domaine d’expertise au Canada, il contribuerait de nouveau au développement des armes de destruction massive de l’Iran et a, par conséquent, conclu qu’il était interdit de territoire aux termes de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR. Je suis d’accord avec le demandeur que cette conclusion est déraisonnable. Les éléments de preuve au dossier montrent que le domaine d’expertise du demandeur touche la comptabilité et la gestion financière. Il indique dans une lettre en date du 24 octobre 2016 qu’il a l’intention de travailler comme comptable au Canada. En l’absence de toute analyse supplémentaire effectuée par l’agent des visas, la croyance de l’agent des visas sous-entend qu’il existe des entreprises et des banques au Canada qui contribuent au développement des armes de destruction massive en Iran.

[11]  Pour les motifs énoncés, je conclus que la décision de l’agent des visas est déraisonnable et qu’elle doit être annulée. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[12]  En guise de conclusion, j’aimerais souligner que le 13 septembre 2017, j’ai accueilli la requête du défendeur en vue de la non-divulgation de certains renseignements contenus dans le dossier certifié du tribunal, conformément à l’article 87 de la LIPR. Le défendeur a donné sa garantie qu’il ne s’appuierait pas sur les renseignements retenus dans la présente demande de contrôle judiciaire, et il a tenu parole.

[13]  J’ai examiné les questions proposées par le demandeur aux fins de certification. Étant donné que la présente décision repose sur les faits en cause et que les questions proposées ne permettent pas de trancher l’affaire en l’espèce, aucune question de portée générale ne devrait être certifiée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-165-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour une nouvelle détermination.

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 22e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-165-17

INTITULÉ :

HOSSEINI, FARHAD AMIR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 janvier 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 9 février 2018

COMPARUTIONS :

Annabel E. Busbridge

Pour le demandeur

Simone Truong

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers Avocats

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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