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Date : 20180207


Dossier : IMM-3435-17

Référence : 2018 CF 139

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 février 2018

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

OBAIDULLAH MAYELL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Mayell demande que la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle il a perdu l’asile aux termes de l’alinéa 108(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, soit annulée. Cet alinéa prescrit ce qui suit : « Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger […] [s’]il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité ».

[2]  M. Mayell est un citoyen afghan âgé de 32 ans. Il a quitté l’Afghanistan il y a de nombreuses années et en 2003, à l’âge de 18 ans, il est arrivé au Canada avec sa famille, en tant que réfugié parrainé par le gouvernement. Il est marié et a un enfant né au Canada.

[3]  Il a demandé un passeport afghan et il l’a obtenu le 13 novembre 2012. Il a voyagé en Afghanistan avec son passeport afghan à quatre reprises entre 2012 et 2015. Il a également utilisé ce passeport pour voyager en Inde depuis l’Afghanistan en 2015 et depuis le Canada en 2017.

[4]  Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a présenté une demande visant la révocation de l’asile au demandeur, en application de l’alinéa 108(1)a) de la Loi. Le 10 juillet 2017, la Section de la protection des réfugiés a accueilli la demande du ministre.

[5]  Je conclus que la seule question sérieuse soulevée par la présente demande consiste à rechercher si la décision de la Section de la protection des réfugiés était raisonnable compte tenu des éléments de preuve qui lui ont été présentés.

[6]  Les conséquences de la perte de l’asile sont importantes et graves, et le juge Boswell les a résumées dans l’arrêt Yuan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 923 (Yaun), aux paragraphes 6 à 11. Notamment, ces personnes sont susceptibles d’être visées par des procédures de renvoi.

[7]  Il n’est pas controversé entre les parties que le critère pour déterminer si l’on s’est réclamé à nouveau de la protection du pays dont on a la nationalité a été énoncé par le juge O’Reilly dans la décision Cerna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1074, au paragraphe 12.

Le fait de s’être réclamé de nouveau de la protection du pays dont on a la nationalité comporte trois éléments : (1) le réfugié doit avoir agi volontairement; (2) le réfugié doit avoir eu l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité; et (3) le réfugié doit avoir effectivement obtenu cette protection (Nsende c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 531, aux paragraphes 12 à 15; Cabrera Cadena c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 67, au paragraphe 22).

[8]  M. Mayell a déposé un témoignage sous serment selon lequel il a obtenu son passeport uniquement dans le but de voyager en Afghanistan pour se marier. Lors de son témoignage, il a indiqué qu’il voulait se rendre en Afghanistan avec sa carte de résident permanent, mais qu’il n’aurait pas pu y entrer sans un passeport afghan. Il a également indiqué que son avocat de l’époque l’avait informé qu’il pourrait se rendre en Afghanistan s’il demandait un passeport à l’ambassade, à Ottawa, et que ce serait [traduction] « acceptable » de le faire.

[9]  Il a voyagé en Afghanistan pour la première fois en 2012 pour se marier. Il s’y est rendu une deuxième fois pour rendre visite à sa femme et une troisième fois pour assister aux funérailles de son beau-père. Il y est retourné une quatrième fois afin d’accompagner sa femme lors d’un aller-retour en Inde pour qu’elle puisse se présenter à une entrevue relative à la demande de parrainage qu’il avait déposée.

[10]  Il a indiqué qu’il n’avait aucune intention de rester en Afghanistan puisque sa vie était au Canada.

[11]  La Section de la protection des réfugiés a conclu qu’il était incontesté que M. Mayell avait obtenu un passeport afghan et qu’il avait voyagé en Afghanistan. Il s’agissait alors de rechercher s’il avait réfuté la présomption selon laquelle les démarches effectuées démontraient une intention volontaire de se prévaloir de la protection des autorités afghanes.

[12]  On a conclu que le simple fait qu’un réfugié obtienne un passeport délivré par le pays dont il a la nationalité crée une présomption réfutable selon laquelle le réfugié a eu l’intention de se réclamer à nouveau de la protection de ce pays : Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 459. On a également conclu que l’utilisation du passeport par le réfugié lors de ses voyages crée une présomption selon laquelle il a effectivement obtenu la protection dudit pays. Dans la décision Yuan, les deux présomptions ont été réfutées puisque, même si le réfugié est entré dans le pays dont il avait la nationalité, il s’est caché des autorités pendant son séjour; il ne comptait donc pas sur la protection de son pays et ce dernier ne lui en offrait aucune.

[13]  En l’espèce, M. Mayell a obtenu un passeport de l’Afghanistan et il l’a utilisé pour voyager dans ce pays. M. Mayell n’a présenté aucun élément de preuve selon lequel il n’avait pas reçu la protection diplomatique de l’Afghanistan lors de ses voyages avec son passeport afghan. Dans ces circonstances, à moins qu’il ne réfute la présomption relative à l’intention, la seule question consiste à rechercher s’il a volontairement obtenu le passeport.

[14]  Je rechercherai d’abord si M. Mayell a obtenu le passeport volontairement. Lors de son témoignage, il a indiqué qu’il voulait utiliser sa carte de résident permanent pour voyager, mais il ne pouvait pas le faire, alors il n’avait d’autre choix que d’obtenir un passeport afghan, une situation indépendante de sa volonté.

[15]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que M. Mayell aurait pu prendre d’autres dispositions pour se marier. Elle a conclu qu’il aurait pu se marier dans un autre pays, notamment l’Inde ou le Pakistan, ou se marier au moyen d’une procuration. Comme aucun élément de preuve ne démontre que M. Mayell ne pouvait pas se prévaloir de telles dispositions, je suis d’avis que la Section de la protection des réfugiés a raisonnablement conclu que ses agissements étaient volontaires.

[16]  La question déterminante est de savoir si M. Mayell a fourni des éléments de preuve suffisants pour réfuter la présomption selon laquelle il avait l’intention de se réclamer à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité.

[17]  La Section de la protection des réfugiés a noté l’observation de M. Mayell selon laquelle son manque d’instruction et l’avis juridique inexact formulé par son ancien avocat, selon lequel il serait [traduction« acceptable » de retourner en Afghanistan, allaient à l’encontre d’une conclusion voulant qu’il eût eu l’intention de se réclamer à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité. Lors de son témoignage, il a indiqué qu’il avait toujours eu l’intention de revenir au Canada avec sa femme pour y vivre et que c’est ce qu’il a fait, en réalité.

[18]  Je suis d’avis que la Section de la protection des réfugiés n’a pas accordé suffisamment de poids au fait que M. Mayell s’est rendu en Afghanistan uniquement parce que son avocat lui a indiqué que l’obtention d’un passeport afghan ne compromettrait pas son statut au Canada, que ce serait [traduction« acceptable ». À la lecture du dossier, il est manifeste que si on lui avait correctement indiqué que l’obtention du passeport et les voyages en Afghanistan mettraient en péril son statut au Canada, il n’aurait pas demandé le passeport et il n’aurait donc pas été en mesure de voyager en Afghanistan. Devant cette réalité, il est fort probable qu’il aurait considéré d’autres options pour se marier et qu’il aurait fait venir sa femme auprès de lui au Canada.

[19]  La Section de la protection des réfugiés aurait dû rechercher si les éléments de preuve concernant la compréhension subjective de M. Mayell quant à la possibilité d’obtenir et d’utiliser un passeport pour voyager en Afghanistan sans compromettre son statut au Canada réfutaient la présomption selon laquelle il avait l’intention d’obtenir la protection de l’Afghanistan.

[20]  La Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en omettant d’examiner véritablement et correctement les conséquences de l’avis juridique erroné quant à l’intention de M. Mayell de se réclamer à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité. En conséquence, la décision est déraisonnable et sera annulée.

[21]  Aucune question de certification n’a été proposée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3435-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.  L’intitulé de la cause est modifié afin d’y indiquer le bon défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

2.  La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à la Section de la protection des réfugiés pour être réexaminée par un autre commissaire.

3.  Aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-3435-17

INTITULÉ :

OBAIDULLAH MAYELL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 janvier 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

DATE DES MOTIFS :

Le 7 février 2018


COMPARUTIONS :

Bjorn Harsanyi

Pour le demandeur

Maria Green

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Bureau régional des Prairies – Edmonton

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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