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Date : 20180215


Dossier : IMM-3444-17

Référence : 2018 CF 179

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 février 2018

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

ARIFAWAFA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La présente demande de contrôle judiciaire d’Arifa Wafa a pour but de contester la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) par laquelle a été rejeté l’appel que la demanderesse avait interjeté à l’encontre du refus d’accorder un visa de résident permanent à son époux, Ehsanullah Amani Zaheer.

[2]  Mme Wafa est une citoyenne canadienne et M. Zaheer est un citoyen afghan. Ils se sont rencontrés en ligne en 2009 et se sont mariés par procuration le 2 juin 2013. Ils ne se sont jamais rencontrés en personne et, selon toutes les apparences, n’ont jamais tenté de se rencontrer.

[3]  La demande de visa de résident permanent de M. Zaheer a d’abord été rejetée au motif que son mariage à Mme Wafa n’était pas authentique étant donné qu’il a été contracté à des fins d’immigration.

[4]  Mme Wafa a interjeté appel devant la Commission. Une fois de plus, l’issue a été défavorable. La Commission n’était pas convaincue de l’authenticité du mariage, et a plutôt conclu que les motifs de M. Zaheer n’étaient pas véritables. La présente demande découle de cette décision.

[5]  M. Harding, s’exprimant au nom de Mme Wafa, soutient que la Commission a commis cinq erreurs importantes dans son traitement de la preuve. Ces erreurs sont les suivantes :

  • a) La Commission a mal interprété les éléments de preuve sur le développement de la relation entre Mme Wafa et M. Zaheer, notamment les raisons pour lesquelles ils se sont mariés.

  • b) La Commission n’a pas tenu compte de façon raisonnable des éléments de preuve concernant l’étendue de la communication entre Mme Wafa et M. Zaheer.

  • c) La Commission n’a pas bien totalisé les transferts de fonds importants de Mme Wafa à M. Zaheer.

  • d) La Commission a mal interprété les éléments de preuve concernant leur cérémonie de mariage et la réception qui a suivi.

  • e) La Commission a concentré son analyse de façon déraisonnable sur le fait que M. Zaheer n’a pas tiré profit de la possibilité d’obtenir un visa de résident permanent pour les États-Unis.

[6]  Toutes ces questions litigieuses ont trait au traitement des éléments de preuve par la Commission, et la norme de contrôle applicable est, par conséquent, celle de la décision raisonnable. En fait, il s’agit du genre de questions à l’égard desquelles le décideur doit faire preuve d’une grande retenue au contrôle judiciaire. Il s’agit également d’une situation dans laquelle il convient que la Cour complète les motifs de la Commission lorsqu’une justification supplémentaire de la décision peut se trouver dans le dossier (Delta Air Lines Inc c Lukács, 2018 CSC 2, aux paragraphes 23 et 24, [2018] ACS no 2 (QL).

[7]  Pour déterminer le caractère raisonnable de la décision de la Commission, il est important de comprendre exactement la raison pour laquelle elle a rejeté l’appel logé par Mme Wafa. Pour en venir à cette décision, la Commission a tiré les deux conclusions clés suivantes :

  • a) Mme Wafa et M. Zaheer ont entretenu leur relation par téléphone, par Internet et par correspondance pendant une période de huit ans, mais n’ont pas réussi à expliquer la raison pour laquelle aucune tentative sérieuse n’a été faite pour se rencontrer. Particulièrement préoccupant était le manque d’une explication plausible quant à l’omission de M. Zaheer de solliciter un visa de résident permanent préautorisé aux États-Unis. Cette question a amené la Commission à conclure que, [traduction] « si leur mariage était authentique et s’ils tenaient véritablement à leur relation, ils se seraient déjà rencontrés ». Même après le rejet de la demande de parrainage, ni M. Zaheer ni Mme Wafa n’ont tenté de se rencontrer aux États-Unis.

  • b) Les prétextes des parties pour ne pas avoir tenté de se rencontrer aux États-Unis [traduction] « sont contraires au bon sens » parce que cette étape évidente n’aurait pas nui à la demande de droit d’établissement au Canada.

  • c) En dépit de leur communication soutenue pendant de nombreuses années, Mme Wafa n’avait pas [traduction] « la connaissance des conditions de vie de [M. Zaheer] à laquelle on pourrait raisonnablement s’attendre ».

  • d) M. Zaheer n’a jamais eu de communication significative avec la famille de Mme Wafa.

  • e) Les parties n’ont pas été en mesure d’expliquer pourquoi ils avaient attendu un an après le mariage par procuration avant de faire une demande de parrainage à titre de conjoint.

  • f) Les parties n’ont pas été en mesure de justifier le long délai entre leurs fiançailles et leur mariage.

  • g) La raison pour laquelle il y a eu une interruption notable des communications entre 2011 et 2016 n’a pas été expliquée adéquatement. De plus, Mme Wafa avait peu d’information sur les conditions de vie de M. Zaheer, ce qui suggère un manque de communication significative et continue.

  • h) La réception de mariage très sobre et l’absence de membres de la famille qui auraient été censés y être ont soulevé des préoccupations.

  • i) Les professions d’amour immédiates de M. Zaheer suivies peu après de la demande en mariage étaient invraisemblables et plutôt conformes à des motifs d’immigration.

[8]  L’avocat de Mme Wafa soutient que la Commission a commis une erreur en concluant que M. Zaheer était motivé à poursuivre sa relation dans le but de venir au Canada. L’erreur découlerait du témoignage de M. Zaheer selon lequel, au moment où il a commencé à s’intéresser à Mme Wafa, il ne savait pas où elle habitait et croyait qu’elle habitait peut-être à Kaboul.

[9]  L’erreur suggérée doit être examinée à la lumière de l’ensemble des motifs de la Commission de douter des motifs de M. Zaheer. La Commission a exprimé ses conclusions comme suit :

[traduction]

Je conclus que le mariage de la demanderesse et de M. Zaheer a été contracté principalement aux fins d’obtenir un visa pour le Canada. Bien qu’il puisse être conforme aux normes culturelles afghanes d’exprimer de l’intérêt pour le mariage au début d’une communication avec une femme, je conclus que son témoignage, qui raconte qu’il est tombé sur la page Facebook de la demanderesse, qu’il a eu le coup de foudre pour elle, et qu’il lui a ensuite fait la demande en mariage après avoir passé les trente‑deux premières années de sa vie sans avoir envisagé le mariage, n’est pas crédible. Je n’estime pas que ses professions d’amour au tout début de sa correspondance avec la demanderesse soient authentiques. Bien que rien ne prouve qu’il ignorait que la demanderesse vivait au Canada jusqu’à ce qu’elle le lui dise par Skype le 13 décembre 2009, je n’accepte pas le témoignage de M. Zaheer selon lequel il avait d’abord cru que la demanderesse venait de Kaboul. Le courriel du 19 novembre 2009 de M. Zaheer révèle qu’il savait que la demanderesse ne vivait pas en Afghanistan et semblait détachée des coutumes afghanes. La correspondance sur Skype révèle que M. Zaheer écrivait comme si la demanderesse et lui entretenaient déjà une relation étroite avant même de connaître quoi que ce soit de la situation personnelle de l’autre. Quand je prends en compte la révélation de M. Zaheer à son entrevue de demande de visa où il a affirmé qu’il cherchait une conjointe vivant à l’extérieur de l’Afghanistan, je conclus qu’il avait un motif lié à l’immigration de courtiser et finalement de se marier avec la demanderesse. Je déduis de son manque de volonté d’obtenir un visa aux États-Unis qu’il préférait de beaucoup immigrer au Canada.

[10]  Toutes les conclusions tirées ci-dessus sont raisonnablement étayées par l’ensemble de la preuve. Le témoignage de M. Zaheer relatant qu’il s’est immédiatement entiché de la demanderesse et a peu après fait sa demande en mariage est contraire au bon sens et, comme l’a également conclu la Commission, son comportement était plutôt motivé par son désir urgent de partir de l’Afghanistan. À cela, il faut ajouter l’aveu de M. Zaheer durant son entrevue de demande de visa suivant lequel il cherchait une épouse [traduction] « n’importe où » à l’extérieur de l’Afghanistan. Tout cela conforte amplement la Commission dans ses doutes sur les motifs de mariage de M. Zaheer. D’ailleurs, rien dans la décision de la Commission ne laisse entendre qu’elle avait des réserves quant aux bonnes intentions de Mme Wafa.

[11]  La Commission a reconnu que le transfert des sommes importantes qu’a fait Mme Wafa à M. Zaheer était signe de bonne foi. La façon dont la Commission a examiné les transferts de fonds, bien que brève, était raisonnablement étayée par les éléments de preuve. En fait, ces versements en disent plus long sur la bonne foi de la demanderesse que sur celle de son époux. De toute façon, cette question invite simplement la Cour à donner du poids à cet élément de preuve, ce qui n’est pas le rôle de la Cour saisie d’une demande de contrôle judiciaire.

[12]  Il est très clair que la décision de la Commission était principalement fondée sur le fait que de 2009 à 2017, Mme Wafa et M. Zaheer ne se sont jamais rencontrés en personne et n’ont jamais fait d’efforts à cet égard. Bien que Mme Wafa ait des raisons médicales qui l’empêchent de voyager en Afghanistan, M. Zaheer n’avait aucun empêchement. En fait, il avait accès aux États-Unis et aurait pu venir à la frontière entre le Canada et les États-Unis s’il avait voulu se prévaloir de cette option. Compte tenu des transferts de fonds de Mme Wafa, le coût du voyage de M. Zaheer ne constituait pas un obstacle. La Commission a raisonnablement rejeté leur explication selon laquelle ils préféraient obtenir l’approbation canadienne pour les motifs suivants :

[traduction]

[11]  Le témoignage des deux « époux » a révélé que l’avocat qui les avait aidés dans leur demande les avait informés qu’ils seraient réunis au Canada dans un délai de six mois, et qu’il s’agit de la raison pour laquelle M. Zaheer n’a pas donné suite au processus d’obtention d’un visa pour les États-Unis. Toutefois, cela va à l’encontre du bon sens. Personne n’a expliqué comment la présence de M. Zaheer aux États-Unis ou son statut d’immigrant américain provoquerait un retard dans son immigration au Canada. De plus, son immigration aux États-Unis aurait permis à la demanderesse de lui rendre visite, étant donné qu’elle n’était pas en mesure de voyager en Afghanistan et qu’elle avait des raisons médicales qui restreignaient sa capacité de voyager. Finalement, même si la demanderesse et M. Zaheer suivaient le conseil voulant qu’ils soient réunis dans un délai de six mois, ils étaient déjà fiancés depuis trois ans et mariés par procuration depuis un an au moment du dépôt de leur demande, et il s’est écoulé deux ans de plus avant que M. Zaheer ne soit appelé à l’entrevue de demande de visa. Une autre année s’est écoulée entre le moment du rejet de la demande et le moment de son audience. Durant toute cette période, rien ne démontre que M. Zaheer ait donné suite aux demandes répétées de documents visant à compléter sa demande de visa pour les États-Unis. Je conclus que, si le mariage était authentique, M. Zaheer aurait fait des efforts pour obtenir son visa pour les États-Unis afin que la demanderesse et lui puissent se rencontrer. Il convient de souligner que, bien que la demanderesse n’ait pas voyagé outre-mer, elle est allée à Toronto pour rendre visite à ses parents et en Californie pour rendre visite à sa sœur.

[13]  Je pourrais ajouter à ce qui précède que le prétendu optimisme du couple concernant l’entrée vraisemblablement rapide de M. Zaheer au Canada a été démenti par le rejet de sa demande de visa de visiteur en 2010 et par le rejet initial de leur demande de parrainage de conjoint le 10 mars 2016 au motif que leur histoire n’était pas crédible. Par la suite, le fait que le couple ne se soit pas rencontré devient inexplicable.

[14]  Il n’y a rien de déraisonnable dans la façon dont la Commission a traité les éléments de preuve concernant le manque de volonté de M. Zaheer d’obtenir un visa pour les États-Unis et d’ainsi faciliter une rencontre en personne. Le fait qu’ils n’aient pas franchi cette étape évidente de leur engagement prétendument profond et mutuel pendant une période de huit ans était, à lui seul, un motif suffisant pour conclure que le motif de M. Zaheer pour se marier était fondamentalement lié à l’immigration.

[15]  Mme Wafa reproche à la Commission ses conclusions selon lesquelles il subsisterait des lacunes inexpliquées dans le dossier documentaire détaillant l’étendue de leurs communications. Elle attire l’attention sur des éléments de preuve selon lesquels le dossier était beaucoup plus volumineux et sur le fait qu’elle n’a fourni que des échantillons à la Commission. Ce n’est pas une préoccupation légitime. La Commission a retenu le témoignage de Mme Wafa au sujet des échantillons (voir le paragraphe 10 de la décision de la Commission), mais elle avait tout de même le droit de s’attendre à ce que les échantillons soient représentatifs de la relation sur l’ensemble de la période de huit ans. En fait, un demandeur qui ne fournit pas aux décideurs l’ensemble du dossier disponible doit s’attendre à une conclusion de la sorte.

[16]  Les critiques que Mme Wafa a formulées au sujet des conclusions de la Commission concernant la cérémonie du mariage, les réceptions ultérieures, et le fait que M. Zaheer n’a pas interagi avec la famille de Mme Wafa ne sont pas fondées non plus. Bien que d’autres explications aient été offertes à l’égard de ces questions, la Commission n’était pas tenue de les accepter – même si les éléments de preuve n’étaient pas contestés. La Commission était autorisée à examiner les questions comme elle l’a fait et à tirer ses propres conclusions concernant la validité de cette relation.

[17]  En conclusion, je ne trouve aucun élément dans les motifs de la Commission qui constituerait une erreur susceptible de révision et la demande est, par conséquent, rejetée.

[18]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et aucune question de portée générale n’est soulevée en l’espèce.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3444-17

LA COUR rejette la présente demande.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3444-17

INTITULÉ :

ARIFA AWA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 JANVIER 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

DATE DES MOTIFS :

LE 15 FÉVRIER 2018

COMPARUTIONS :

Malvin J. Harding

POUR LA DEMANDERESSE

Edward Burnet

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Malvin J. Harding

Avocat

Surrey (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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