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Date : 20180223


Dossier : IMM-3355-17

Référence : 2018 CF 213

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er mars 2018

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

X.Y.

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS

[1]  La demanderesse est une Éthiopienne célibataire de 34 ans qui, après son arrivée au Canada en 2013, a appris deux choses : (i) elle est séropositive; (ii) sa mère – sa seule famille immédiate restante – est décédée en Éthiopie. Elle est maintenant exposée au risque de retourner en Éthiopie, à moins qu’elle ne puisse démontrer que des motifs d’ordre humanitaire justifient l’examen de sa demande en sol canadien. La Cour est saisie pour la deuxième fois du dossier de la demanderesse et, pour la deuxième fois, sa demande sera accueillie.

[2]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse sur le fondement de motifs d’ordre humanitaire a été rejetée. Cette demande reposait sur le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à savoir sur les difficultés auxquelles elle serait confrontée lors de son retour en Éthiopie en raison de sa séropositivité et du fait qu’elle serait séparée de sa famille et de ses amis proches qui sont au Canada, puisqu’il ne reste aucun membre de sa famille immédiate en Éthiopie.

[3]  Un agent principal (l’agent) de la Section d’appel de l’immigration (SAI) a refusé sa demande et c’est ce refus qui est à l’origine de la présente demande de contrôle judiciaire. Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’accueille la présente demande.

I.  Contexte

[4]  La demanderesse est arrivée au Canada en provenance d’Éthiopie en février 2013 et elle a demandé le statut de réfugié parce qu’elle craignait d’être persécutée et d’être exposée à un danger du fait de ses opinions politiques. Bien qu’elle ait appris qu’elle était séropositive à la suite des examens médicaux qu’elle a subis pendant le processus de demande d’asile, elle n’a pas divulgué cette information durant l’instance. Elle a déclaré que c’est parce qu’elle était bouleversée et s’était sentie honteuse en apprenant qu’elle était séropositive qu’elle ne l’a pas dit, car elle craignait que d’autres membres de la communauté éthiopienne l’apprennent et que pour cette raison, ils la rejettent. Sa demande d’asile a été rejetée en avril 2013 pour des raisons d’identité et de crédibilité.

[5]  En décembre 2014, la demanderesse a présenté sa première demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, à savoir sa crainte de retourner en Éthiopie en tant que femme séropositive. Cette demande a été refusée en mars 2015. En mai 2015, la demanderesse a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) et, en juillet 2015, elle a présenté une deuxième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire dans laquelle elle invoquait les difficultés auxquelles elle ferait face en raison de sa séropositivité étant donné qu’aucun membre de sa famille immédiate ne vivait en Éthiopie et qu’elle était bien établie au Canada. L’ERAR et la deuxième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ont tous deux été refusés en juillet 2016.

[6]  La Cour a annulé la décision relative aux motifs d’ordre humanitaire en décembre 2016 et a renvoyé l’affaire pour qu’elle soit examinée de nouveau par un autre agent. En janvier 2017, la demanderesse a fourni d’autres renseignements à l’appui de sa demande. L’agent a rejeté la demande en juillet 2017 pour des raisons qui seront précisées ci‑dessous.

II.  Questions

[7]  La présente affaire soulève trois questions :

  1. L’agent a-t-il appliqué le mauvais critère pour déterminer si la séropositivité de la demanderesse pourrait causer des difficultés?
  2. La décision est‑elle déraisonnable parce que l’agent n’a pas tenu compte d’éléments clés qui auraient mené à une conclusion contraire?
  3. La décision est‑elle déraisonnable parce que l’agent n’a pas abordé la situation particulière de la demanderesse suivant une approche fondée sur des considérations d’ordre humanitaire?

III.  Analyse

[8]  La norme de contrôle applicable aux décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18.

A.  L’agent a‑t‑il appliqué le mauvais critère pour déterminer si la séropositivité de la demanderesse pourrait causer des difficultés?

[9]  La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur en concluant qu’il était peu probable qu’elle soit reconnue comme étant séropositive, puisqu’elle avait été diagnostiquée au Canada et qu’aucun membre de sa famille immédiate ne vivait en Éthiopie. L’agent a souligné que la preuve démontrait qu’il n’y avait eu que très peu de cas de divulgation non autorisée par des professionnels de la santé et il a conclu que les craintes de la demanderesse à cet égard reposaient sur des suppositions. La demanderesse soutient qu’en gros, l’agent a dit qu’elle pouvait « cacher » sa séropositivité et n’avait donc pas à craindre d’être victime de discrimination ou de violence.

[10]  Dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, la Cour suprême du Canada a établi le cadre d’analyse applicable à la question de la crainte de faire l’objet de discrimination qui relève de l’analyse des motifs d’ordre humanitaire :

[56]  [...] le demandeur doit seulement montrer qu’il sera vraisemblablement touché par une condition défavorable comme la discrimination. La preuve d’actes discriminatoires contre d’autres personnes qui partagent les mêmes caractéristiques personnelles est donc clairement pertinente pour l’application du par. 25 (1), et ce, que le demandeur puisse démontrer ou non qu’il est personnellement visé. Des inférences raisonnables peuvent en être tirées.

[11]  La Cour s’est prononcée sur cette question à plusieurs reprises. Dans la décision Sheikh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 264 [Sheikh], le juge Russel Zinn a annulé une décision selon laquelle la crainte de M. Sheikh d’être victime de persécution religieuse au Pakistan en raison de son mariage avec une Pakistanaise chrétienne n’était pas fondée : « il n’y avait pas de ʻpossibilité sérieuse que cela se concrétise’, car il y avait peu de chance que les faits soient communiqués par les personnes qu’il connaît ou par sa famille au Pakistan » (paragraphe 7). Le juge Zinn a jugé que c’était une erreur :

[14]  [...] [i]l importe peu de connaître la probabilité que les faits sur lesquels repose la persécution soient découverts par les agents de persécution. En fait, toute analyse de la part de la Commission relative à cette question relèverait d’hypothèses, à défaut de conclure au vu de la preuve que les faits ne seraient jamais découverts. Il est aussi facile d’imaginer des situations dans lesquelles il pourrait y avoir de graves conséquences pour les gens dotés de caractéristiques immuables, mais qui pourraient difficilement être découvertes (les homosexuels en Ouganda par exemple). Ces demandeurs ont‑ils moins le droit à une protection parce que la Commission suppose qu’il est peu probable que cette caractéristique soit découverte? Cette Cour a constamment affirmé que de telles personnes ont droit à une protection si elles prouvent que leur crainte subjective de persécution est objectivement confirmée par une preuve que la persécution présenterait un risque réel si leur identité devait être révélée.

[12]  De même, dans la décision Isesele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 222 [Isesele], la juge Ann Marie McDonald a annulé une décision par laquelle une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par une jeune femme du Nigéria, qui invoquait les difficultés auxquelles elle ferait face en raison de son orientation sexuelle, avait été rejetée. La décision reposait en partie sur la conclusion que la jeune femme pourrait « être discrète concernant son orientation sexuelle » (paragraphe 9). Le juge McDonald a déclaré :

[14]  Ces observations dénotent clairement que l’agente sous‑entend que, tant que Mme Isesele demeure discrète quant à sa bisexualité, elle peut éviter la discrimination. Cependant, la Cour a conclu que le fait d’obliger une femme à dissimuler sa relation avec une autre femme afin d’éviter une punition pourrait être une grave atteinte aux droits de la personne fondamentaux, et équivaudrait donc à de la persécution (Sadeghi‑Pari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 282 (CanLII), au paragraphe 29).

[15]  De plus, il était déraisonnable pour l’agente d’assumer que Mme Isesele ne subirait pas de discrimination ou de difficultés tant qu’elle faisait preuve de discrétion et évitait d’adopter un comportement public ou une expression qui pourrait indiquer qu’elle est membre de la communauté LGBTQ. L’agente devait examiner ce qui arriverait à Mme Isesele si son identité était découverte au Nigéria, et non s’il était probable qu’elle ne soit pas découverte (voir Sheikh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 264 (CanLII), aux paragraphes 10 et 14).

[13]  L’application de cette analyse aux faits de l’affaire dont je suis saisi m’amène à conclure que l’agent a commis une erreur semblable. L’agent fait état de la preuve selon laquelle les personnes séropositives sont stigmatisées et font l’objet de discrimination en Éthiopie – ce sur quoi je reviendrai plus loin – et ajoute ce qui suit :

[traduction]

J’ai examiné le rapport dans son intégralité et je constate que les personnes atteintes du VIH ont tendance, dans une forte proportion, à ne pas divulguer leur séropositivité à leurs enfants, aux leaders communautaires, chefs religieux, collègues, amis et voisins. À cet égard, je note que la demanderesse a reçu un diagnostic de VIH après son arrivée au Canada. Je note aussi que, comme la demanderesse a mentionné qu’elle n’avait aucun lien familial ou autre en Éthiopie, la preuve ne permet pas d’affirmer que des gens sont au courant de sa séropositivité dans son pays natal pas plus qu’elle ne permet de savoir comment les gens pourraient être mis au courant de son état de santé. À cet égard, il est difficile de comprendre comment la demanderesse pourrait être prise pour cible et être exposée à la discrimination ou à la violence en raison de sa séropositivité.

[14]  J’estime que c’est précisément là l’erreur qui a été relevée dans les décisions Sheikh et Isesele. La question de la découverte potentielle de la séropositivité de la demanderesse a joué un rôle important dans la décision de l’agent de refuser la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire; c’est une erreur qui justifie l’annulation de la décision. Je conviens également avec la demanderesse qu’il est à peu près impossible de savoir si ce mauvais raisonnement a entaché le reste de l’analyse des difficultés rencontrées par la demanderesse à laquelle s’est livré l’agent.

B.  La décision est‑elle déraisonnable?

[15]  La demanderesse avance deux arguments principaux à l’appui de la conclusion que la décision de l’agent est déraisonnable : (i) le décideur a commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments qui auraient mené à une conclusion contraire; et (ii) le décideur a commis une erreur en évaluant le degré d’établissement de la demanderesse au Canada. J’examinerai chacun de ces arguments à tour de rôle.

(1)  L’agent a-t-il écarté des éléments de preuve qui auraient mené à une conclusion contraire?

[16]  La demanderesse soutient que la décision est déraisonnable parce que l’agent a écarté des éléments de preuve convaincants à deux égards importants : (i) le risque de violence physique ou de harcèlement qui pèse sur les personnes séropositives en Éthiopie, et (ii) le caractère suffisant des protections juridiques et des mécanismes de réparation et de soutien. La demanderesse fait valoir que l’agent était tenu d’expliquer pourquoi il avait écarté ces éléments de preuve, et que cette absence d’explication rend la décision inintelligible, et partant, déraisonnable.

[17]  La Cour a conclu que les décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire sont hautement discrétionnaires et commandent une très grande retenue. Je souscris à l’énoncé du droit formulé par le juge Henry Brown dans la décision Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27 :

[2]  Il n’est pas demandé à la Cour de réévaluer la preuve, et elle ne saurait le faire de toute façon. Un contrôle judiciaire n’est pas une occasion de remettre en litige l’affaire entendue par l’instance inférieure, et il ne s’agit nullement d’un nouveau procès. La question primordiale n’est pas de savoir si la décision de première instance est juste ou non, mais plutôt si elle est raisonnable ou déraisonnable. La question clé consiste à savoir si la décision de l’agent appartient aux issues acceptables au regard des faits et du droit.

[3]  En adoptant l’article 25 de la LIPR, le législateur a conféré au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration le pouvoir et la responsabilité d’appliquer la norme juridique appropriée et d’arriver, dans les affaires fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, à une décision qui est raisonnable, selon la définition qu’en donne la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (CSC) [Dunsmuir]. Le ministre a délégué ce pouvoir à des agents CH afin que ces derniers puissent prendre de telles décisions en son nom. Selon la jurisprudence, tant le ministre que ses agents délégués jouissent à cet égard d’un pouvoir exceptionnel et hautement discrétionnaire. Leur pouvoir appelle une retenue considérable de la part de la Cour.

[18]  De façon générale, il est présumé que les décideurs ont examiné l’ensemble de la preuve qui leur a été présentée, mais la Cour a conclu qu’une décision dans laquelle il n’est fait référence qu’aux éléments de preuve qui étayent la conclusion à laquelle le décideur est parvenu, sans tenir compte de ceux susceptibles de contredire cette conclusion, pouvait être jugée déraisonnable. L’extrait souvent cité à l’appui de cette affirmation est tiré de la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 FTR 35, 1998 CanLII 8667 (CF) [Cepeda-Gutierrez] :

[17]  Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments de preuve dont il [disposait] » : Bains c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe (sic) sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[19]  En l’espèce, la question est de savoir si le décideur a commis une erreur en ce qui concerne la preuve qui contredisait la conclusion à laquelle il est arrivé. À cet égard, il est nécessaire d’examiner en détail la décision comme telle. Puisque je conclus que les deux questions sont étroitement liées dans la décision, j’exposerai la preuve relative à chaque question et en ferai ensuite une analyse conjointe.

[20]  S’agissant du risque de violence, l’agent fait observer que l’on ne saurait tenir compte de la crainte d’un risque de violence dans le cadre d’une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, puisque l’examen de cette crainte relève des articles 96 ou 97 de la LIPR. L’agent a cependant conclu à juste titre que l’évaluation d’un tel risque peut faire partie de l’analyse d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, alors que le décideur se penche sur les difficultés que le retour dans son pays d’origine pourrait imposer à un demandeur. À ce sujet, voici ce qu’on peut lire dans la décision :

[traduction]

À cet égard, j’ai examiné les observations de l’avocat selon qui le VIH peut être un facteur de risque de violence en Éthiopie. L’avocat affirme que les taux de violence et de harcèlement sont plus élevés à Addis‑Abeba que dans plusieurs régions rurales, et il cite le HIV Stigma Index, selon lequel 19 % des personnes interrogées à Addis-Abeba ont déclaré avoir été victimes de harcèlement physique au cours de la dernière année en raison de leur séropositivité. L’enquête indique également que plus de femmes que d’hommes ont été agressées. Je souligne que la requérante résidait à Addis-Abeba avant son arrivée au Canada.

[21]  Le décideur examine ensuite le risque de divulgation, dont il a été question ci‑dessus dans les présents motifs. Il fait ensuite référence aux prétentions de la demanderesse, qui dit craindre de faire l’objet d’une stigmatisation et d’une discrimination liées au VIH, et d’une coercition reproductive, y compris la stérilisation forcée, l’avortement et la régulation des naissances. Il cite ensuite la preuve suivante :

[traduction]

Voici ce qui a été observé dans le rapport de 2016 des États‑Unis d’Amérique sur les droits de la personne en Éthiopie (2016 United States of America Human Rights Report on Ethiopia) (rapport du Département d’État des États-Unis) :

Stigmatisation sociale liée au VIH et au SIDA

La stigmatisation sociale et la discrimination à l’endroit des personnes atteintes du VIH/SIDA ont continué dans les secteurs de l’éducation, de l’emploi et de l’intégration communautaire. Des personnes atteintes du VIH/SIDA ont déclaré avoir de la difficulté à accéder à divers services. Malgré l’abondance de renseignements anecdotiques, il n’y a pas de statistiques sur l’ampleur du problème.

Cependant, les informations recueillies sur ce pays ne laissent voir aucune augmentation du taux de violence.

[22]  La décision présente ensuite un résumé d’autres éléments de preuve sur la nature et la portée de la discrimination exercée à l’encontre des personnes séropositives. L’agent déclare : [traduction] « [...] je reconnais qu’il existe une certaine discrimination sociétale à l’endroit des personnes atteintes du VIH [...] », et il souligne que la preuve indique que le gouvernement a pris des mesures pour atténuer ce problème (je m’attarderai davantage sur ce sujet plus loin). Dans la dernière partie de sa décision, l’agent déclare :

[traduction]

J’ai examiné les éléments de preuve relatifs au traitement des personnes atteintes du VIH qui résident en Éthiopie et à la situation personnelle de la demanderesse. Je reconnais que la demanderesse pourrait faire face à une certaine discrimination. Je reconnais que les systèmes de soutien susmentionnés qui sont destinés aux personnes atteintes du VIH existent et que ces personnes peuvent se prévaloir de recours légaux, et j’estime que l’existence de telles voies de recours fait oublier le poids que j’accorde au traitement discriminatoire des personnes atteintes du VIH.

[23]  S’agissant de la preuve concernant les protections juridiques et autres mécanismes de soutien, voici le passage clé de la décision :

[traduction]

Comme je l’ai dit, je reconnais qu’il existe une certaine discrimination sociétale à l’égard des personnes atteintes du VIH et j’ai examiné le profil personnel de la demanderesse : une femme célibataire sans soutien familial. Je retiens les observations récentes de l’avocat selon qui les recours en Éthiopie ne sont pas efficaces et n’atténueront pas les difficultés auxquelles ferait face la demanderesse en raison de ces pratiques discriminatoires. Néanmoins, j’ai également pris connaissance de la preuve documentaire concernant les initiatives du gouvernement éthiopien qui, avec l’aide de donateurs étrangers, a pris des mesures pour répondre aux besoins des personnes atteintes du VIH/sida, les soigner et les aider, et pour ainsi réduire la stigmatisation sociale et la discrimination. L’Éthiopie s’est dotée de lois et de règlements qui protègent les personnes atteintes du VIH contre la discrimination. Elle a notamment adopté des dispositions générales de non-discrimination et des dispositions qui mentionnent expressément le VIH, en relation avec l’éducation, le logement, l’emploi et les soins de santé. Les tests obligatoires de dépistage du VIH, à titre de condition d’emploi, sont strictement interdits par les lois sur le travail du pays [...] Des organisations gouvernementales et non gouvernementales (ONG) ont travaillé fort à la mise en œuvre de ces lois et règlements (p. ex. : la Commission des droits de la personne de l’Éthiopie, le ministère fédéral du Travail et des Affaires sociales, le ministère fédéral de la Condition féminine, l’Association des femmes juristes de l’Éthiopie, la Coalition des femmes, le Réseau des femmes atteintes du VIH et autres). L’Association des femmes juristes de l’Éthiopie offre des services juridiques gratuits aux personnes atteintes du VIH, et il existe des programmes visant à réduire la stigmatisation et la discrimination liées au VIH, et à sensibiliser les personnes atteintes du VIH à leurs droits.

[24]  La demanderesse soutient que la décision doit être annulée parce que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve concernant le risque de violence, ou de la preuve indiquant que les protections juridiques en Éthiopie ne sont pas efficaces et que les ONG ne peuvent offrir aucune aide utile parce que le gouvernement a limité de façon importante leurs activités.

[25]  En ce qui concerne le risque de violence, la décision renvoie bel et bien au principal élément de preuve, le HIV Stigma Index, un document détaillé dans lequel il est indiqué que 19 % des personnes séropositives interrogées à Addis-Abeba ont déclaré avoir été victimes de harcèlement physique, et que 31 % d’entre elles ont fait l’objet d’insultes verbales, de harcèlement ou de menaces. Toutefois, l’agent fait ensuite référence à un rapport plus récent du Département d’État des États‑Unis avant d’ajouter que [traduction] « les informations recueillies sur ce pays ne laissent voir aucune augmentation du taux de violence ». Je suis d’accord avec le défendeur que cette déclaration renvoie au rapport du Département d’État des États-Unis, et qu’il ne s’agit pas d’un commentaire général sur le risque de violence en Éthiopie. J’estime cependant que l’absence totale de discussion concernant la preuve de la violence généralisée et du harcèlement dont font l’objet les personnes séropositives dans la ville où la demanderesse devrait retourner relève du champ d’application de la doctrine établie dans la décision Cepeda‑Gutierrez.

[26]  Il ressort de la preuve que, dans le cadre d’une enquête exhaustive auprès de personnes séropositives en Éthiopie, près d’un répondant sur cinq à Addis-Abeba a déclaré avoir été victime, au cours de la dernière année, de harcèlement physique en raison de sa séropositivité. L’agent a fait allusion à un document plus récent, le rapport du Département d’État des États‑Unis, mais n’a pas expliqué comment tous ces éléments permettaient de conclure que la demanderesse [traduction] « pourrait faire face à une certaine discrimination » si elle retournait en Éthiopie. Devant la preuve d’un risque généralisé de violence, il incombait à l’agent de préciser qu’il avait tenu compte de ce risque. Cela dit, je ne suis pas en train d’apprécier de nouveau la preuve ni d’imposer une certaine conclusion; j’estime simplement qu’une explication s’impose.

[27]  J’arrive à une conclusion similaire en ce qui concerne la preuve relative au caractère suffisant des protections juridiques et des mécanismes de réparation et de soutien. Sur ce point, la preuve a révélé que le gouvernement éthiopien avait admis dans un rapport que sa politique contre la discrimination envers les personnes atteintes du VIH en milieu de travail est [traduction] « peu appliquée ». Il a aussi été établi que le gouvernement éthiopien avait pris des mesures pour réduire le financement et limiter les activités des ONG auxquelles l’agent fait référence, et en particulier que le Réseau des femmes juristes de l’Éthiopie avait réduit son effectif de 70 % à cause d’une réduction du financement.

[28]  Je conclus que l’agent a commis une erreur en ne faisant aucunement référence à cette preuve. Encore une fois, je ne suis pas en train de dire quelle conclusion il convient de tirer quant à l’efficacité des protections juridiques ou des mécanismes de réparation et de soutien qui s’offrent aux personnes séropositives en Éthiopie. Cependant, l’agent n’a pas indiqué quel poids il a accordé à ces éléments de preuve pour arriver à la conclusion qu’il a tirée à cet égard dans la décision relative aux motifs d’ordre humanitaire et, en l’absence de toute indication que l’agent a considéré ces éléments, il est impossible de conclure que la décision repose véritablement sur un examen équitable de l’ensemble de la preuve pertinente. Me fondant sur le raisonnement exposé dans la décision Cepeda-Gutierrez, je conclus que cette erreur justifie l’intervention de la Cour.

(2)  L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son évaluation du degré d’établissement au Canada?

[29]  La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur en évaluant le degré d’établissement au Canada et cite la décision du juge Donald Rennie dans Lauture c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 336 [Lauture], à l’appui de cet argument. Dans cette affaire, le juge Rennie a conclu que l’agent avait commis une erreur en évaluant l’établissement au Canada dans le cadre de l’analyse des facteurs d’ordre humanitaire :

[21]  En l’espèce, l’agente a conclu que [traduction] « l’engagement [des demandeurs] dans la société est remarquable » et que les liens qu’ils ont tissés dans leur communauté sont importants. Or en dépit de cette conclusion, l’agente n’a pas donné au facteur d’établissement une appréciation favorable aux demandeurs, rejetant plutôt ce facteur au motif que l’engagement communautaire peut également se produire en Haïti. Ce n’est toutefois pas la bonne manière d’appliquer le facteur d’établissement.

[...]

[23]  Plutôt que d’examiner si les demandeurs pourraient faire du bénévolat et fréquenter leur église en Haïti, l’agente aurait dû tenir compte des éléments de preuve que les demandeurs ont présentés relativement à l’emploi, au bénévolat et à l’intégration dans leur communauté au Canada. Elle aurait dû ensuite se demander si ce facteur était neutre ou s’il jouait en faveur ou en défaveur des demandeurs.

[24]  Cette même erreur analytique a été examinée dans le jugement Sosi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1300 (CanLII), où l’agent avait déclaré ce qui suit :

Les demandeurs ont démontré que, en peu de temps, ils s’étaient établis de façon importante au Canada; toutefois, même si l’établissement est un facteur important à prendre en compte dans l’évaluation des difficultés, il n’est pas le seul facteur à prendre en compte. Les qualités de travailleur des membres de cette famille tendent également à démontrer que ceux‑ci pourraient très facilement s’établir de nouveau dans la société kenyane, surtout si l’on tient compte du fait qu’ils seront réunis avec leurs enfants à leur retour. [soulignement ajouté]

[25]  La Cour a conclu que cette analyse était déraisonnable. Voici ce qu’elle a écrit, au paragraphe 18 :

Selon moi, l’utilisation de la conclusion selon laquelle les demandeurs sont bien établis au Canada est mauvaise parce qu’elle tient compte de l’existence d’un facteur énuméré dans le Guide IP 5 comme élément favorisant l’octroi d’un redressement fondé sur des motifs d’ordre humanitaire et l’utilise pour faire le contraire. Manifestement, l’établissement prouvé des demandeurs au Canada devrait jouer en leur faveur parce qu’il n’y a absolument aucune façon de savoir si les capacités personnelles qu’ils ont utilisées pour créer cet établissement peuvent être utilisées au Kenya pour accomplir la même chose.

[26]  En d’autres termes, l’analyse du degré d’établissement des demandeurs ne devrait pas être fondée sur la possibilité qu’auront les demandeurs d’exercer ou non des activités semblables en Haïti. D’après l’analyse effectuée par l’agente, plus le demandeur réussit, est entreprenant et fait preuve de civisme tandis qu’il est au Canada, moins il a de chance que sa demande fondée sur l’article 25 soit accueillie. Mon collègue le juge Russel Zinn a bien exprimé ce point dans le jugement Sebbe c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2012 CF 813 (CanLII), au paragraphe 21 :

[...] Cependant, la présente affaire commande une analyse et une évaluation du degré d’établissement des demandeurs et de la mesure dans laquelle cet élément joue en faveur de l’octroi d’une dispense. L’agent ne doit pas simplement faire abstraction des mesures prises par les demandeurs et en attribuer le mérite au régime canadien de l’immigration et de la protection des réfugiés pour leur avoir donné le temps de prendre ces mesures; il doit reconnaître l’initiative dont les demandeurs ont fait preuve à cet égard. Il doit également examiner si l’interruption de cet établissement milite en faveur de l’octroi de la dispense.

[Le soulignement au paragraphe 24 ci‑dessus a été ajouté par le juge Rennie.]

[30]  En l’espèce, la demanderesse cite l’extrait suivant de la décision afin d’étayer son argument que l’agent a commis la même erreur que celle dont il est question dans les décisions précitées :

[traduction]

La preuve ne permet pas de savoir pourquoi la demanderesse ne pourrait pas renouer avec d’anciens amis ou établir d’éventuelles relations d’affaires. Par ailleurs, je note que la demanderesse se présente comme une personne débrouillarde, indépendante et travaillante, et j’estime que ces qualités pourraient raisonnablement l’aider à se réintégrer si elle retournait dans le pays où elle est née et où elle a été élevée et dont elle connaît très bien la culture.

J’ai tenu compte du fait que la demanderesse pourrait se heurter à certaines difficultés si elle devait retourner en Éthiopie et repartir de zéro. J’ai aussi soupesé ce facteur en regard de sa capacité à être financièrement autonome ainsi que du fait qu’elle est née et a grandi en Éthiopie, qu’elle parle la langue locale et que son degré d’établissement est relativement modéré.

[31]  Dans un passage distinct, l’agent tire une conclusion semblable quant à la capacité de la demanderesse à tisser un réseau de soutien social composé d’amis :

[traduction]

Je note en outre que, compte tenu de la capacité à créer des amitiés que la demanderesse a su démontrer au Canada, je ne sais pour ainsi dire pas pourquoi elle ne pourrait pas faire de même en Éthiopie ou renouer avec ses anciens amis.

[32]  Le défendeur soutient que la décision Lauture ne s’applique pas parce qu’elle repose sur la conclusion que le degré d’établissement des demandeurs au Canada était « remarquable » et que, en l’espèce, une telle conclusion n’a pas été tirée. Il prétend que l’agent doit apprécier non seulement le degré d’établissement au Canada de la personne concernée, mais aussi sa capacité à s’adapter à la vie dans son pays d’origine, et que, en l’espèce, l’agent n’a pas commis d’erreur en procédant à cette appréciation, citant à cet égard une décision non publiée du juge Simon Fothergill, Ageyman c Canada (Citoyenneté et Immigration) (18 juin 2015), dossier de la Cour nIMM-7704-14. Je conviens avec le défendeur que l’agent ne commet pas d’erreur en tenant compte à la fois du degré d’établissement de la personne concernée au Canada et, de façon distincte, de sa capacité à s’adapter à la vie dans son pays d’origine. Ces deux facteurs peuvent faire partie de l’analyse des difficultés, qui est indissociable de la décision fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Cependant, ces facteurs doivent être analysés de façon distincte; c’est ce qu’enseignent la décision Lauture et la jurisprudence qui y est citée. J’estime que ce n’est pas ce que l’agent a fait en l’espèce. Ces deux facteurs distincts ont fait l’objet d’une analyse simultanée de sorte qu’il est impossible de déterminer, en fin de compte, quels facteurs l’agent a jugé favorables à la demanderesse quant à la question de l’établissement et comment ces facteurs ont été évalués par rapport aux difficultés auxquelles elle ferait face pour s’adapter à la vie en Éthiopie.

[33]  Enfin, il importe de préciser que, depuis son arrivée au Canada, la demanderesse a reçu un diagnostic de séropositivité. J’estime que l’agent n’a pas suffisamment analysé les difficultés supplémentaires auxquelles elle ferait face à son retour en Éthiopie en tant que femme célibataire séropositive. Sur ce point, la décision Mings‑Edwards c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 90 [Mings‑Edwards] rendue par la juge Anne Mactavish, est instructive. Dans cette affaire, la Cour a statué :

[12]  Bien que Mme Mings‑Edwards ait pu être indépendante sur le plan financier lorsqu’elle vivait en Jamaïque, elle l’était avant qu’elle ne devienne séropositive. Elle avait aussi peut‑être été en mesure de vivre vie saine, active et indépendante sur le plan financier, mais cela était le cas au Canada, et non en Jamaïque, où la discrimination en matière d’emploi contre les personnes séropositives est omniprésente. L’agent n’a examiné ni l’impact que la séropositivité de la demanderesse aurait aujourd’hui sur sa capacité à être financièrement indépendante en Jamaïque, ni la question de savoir si les difficultés auxquelles elle risquait d’être exposée à cet égard équivalent à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées.

[...]

[14]  Le problème le plus fondamental que soulève la décision vient du fait que, lors de son analyse, l’agent ne s’est jamais vraiment attaqué aux difficultés auxquelles Mme Mings‑Edwards serait exposée en retournant dans une société où elle serait stigmatisée et où elle serait la cible d’une discrimination omniprésente, du fait qu’elle est une femme séropositive, et il n’a pas non plus apprécié ces difficultés.

[Souligné dans l’original.]

[34]  Le défendeur soutient que cette décision devrait se limiter à ses propres faits et il cite la décision Ambassa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 158 [Ambassa] à l’appui de cette affirmation. Bien que je convienne que les décisions Mings‑Edwards et Ambassa sont pertinentes pour la question, je conclus que les faits de l’affaire qui nous occupe ressemblent davantage à ceux de l’affaire Mings‑Edwards. Il a été établi que les personnes séropositives en Éthiopie font l’objet d’une stigmatisation généralisée, de discrimination et de violence, et il ressort clairement de la preuve que les femmes ‑ en particulier les femmes célibataires ‑ souffrent plus que les hommes. La demanderesse a reçu un diagnostic de VIH lorsqu’elle est venue au Canada. L’agent n’analyse pas vraiment en quoi ce changement de situation aura une incidence sur les difficultés associées à son retour en Éthiopie en tant que femme célibataire, sans famille immédiate dans ce pays. Je conclus que l’analyse de ce point particulier est absente, et qu’il s’agit là d’un autre signe du caractère déraisonnable de cette décision.

C.  La décision est‑elle déraisonnable parce que l’agent n’a pas abordé la situation particulière de la demanderesse suivant une approche fondée sur des considérations d’ordre humanitaire?

[35]  Compte tenu de mes conclusions sur les deux premières questions, il n’est pas nécessaire que j’examine cette question.

IV.  Conclusion

[36]  Pour les motifs qui précèdent, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire. L’affaire est renvoyée à la SAI pour examen par un autre panel agent d’immigration. Les parties n’ont soulevé aucune question de droit grave de portée générale, et j’estime que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT MODIFIÉ (dossier IMM‑3355-17)

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée pour examen par un autre agent d’immigration.

  2. L’affaire ne soulève aucune question à certifier.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de février 2019.

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3355-17

INTITULÉ :

X.Y. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 FÉVRIER 2018

JUGEMENT eT MOTIFS modifiÉs :

LE JUGE PENTNEY

DATE DU JUGEMENT ET MOTIFS INITIAUX :

LE 23 FÉVRIER 2018

DATE DU JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS :

LE 1er MARS 2018

COMPARUTIONS :

Meagan Johnston

POUR LA DEMANDERESSE

Neeta Logsetty

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

HIV & AIDS Legal Clinic (Ontario)

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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