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Date : 20180214


Dossier : IMM-2705-17

Référence : 2018 CF 170

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Toronto (Ontario), le 14 février 2018

En présence de monsieur le juge Grammond

ENTRE :

ABDIRAHMAN ISSE MOHAMUD

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Abdirahman Isse Mohamud, soutient qu’il est susceptible de faire l’objet de persécution en Somalie en raison de son appartenance à un groupe minoritaire. La Section de la protection des réfugiés [SPR] a rejeté sa demande d’asile après avoir conclu que M. Mohamud n’avait pas prouvé qu’il est citoyen somalien. Elle a aussi conclu que la demande de M. Mohamud n’avait [traduction] « aucun fondement crédible » en vertu du paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27. En raison de cette conclusion, M. Mohamud est privé du droit de porter la décision de la SPR en appel devant la Section d’appel des réfugiés.

[2]  M. Mohamud demande maintenant à cette Cour de réviser cette décision. Il soutient que la SPR a tiré des conclusions de fait erronées. Par conséquent, les conclusions de la SPR  quant à son identité et à l’absence de « fondements crédibles » ne peuvent être maintenues. Ces arguments entraînent un contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable (Mohamud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 598, au paragraphe 22; Boztas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 139, au paragraphe 5).

[3]  Bien que M. Mohamud soulève plusieurs questions, l’une est déterminante pour l’issue de cette demande : la SPR a conclu qu’une partie clé de la preuve par affidavit était frauduleuse parce qu’elle contenait une erreur typographique. Je suis d’accord avec M. Mohamud que cette conclusion était déraisonnable et que pour cette raison, la décision de la SPR doit être renvoyée pour nouvel examen.

[4]  Compte tenu des conditions en Somalie, M. Mohamud n’a pas été en mesure de présenter devant la SPR des documents délivrés par le gouvernement à l’appui de son identité. Il s’est plutôt appuyé sur le témoignage par affidavit de sa mère et d’un ami de la famille. L’affidavit sous serment de Safiya Adow Alasow, la mère de M. Mohamud, contenait l’erreur suivante :

[TRADUCTION]

Moi, Safiya Adow Alasow, confirme être la mère d’Abdirahman Ise Mohamud. Mon fils est né le 30 avril 1995 à Mogadiscio, en Somalie. Mon fils est marié à mon fils et moi nous sommes citoyens somaliens. Nous sommes membre du clan Madi ban et nous sommes musulmans, sinos et nous suivons les rites soufis.

[Non souligné dans l’original.]

[5]  Selon la SPR, il s’agit d’une erreur [traduction] « flagrante » qui aurait dû être décelée et corrigée soit par le notaire public ou l’interprète somalien qui auraient participé à la préparation du document. La SPR a demandé à M. Mohamud d’expliquer cette erreur, mais n’a pas été satisfaite de sa réponse selon laquelle il s’agit d’une erreur informatique s’étant produite lors de la transcription. Par conséquent, la SPR a conclu que l’affidavit de Mme Alasow était frauduleux et ne lui a accordé aucune valeur. La SPR a aussi tiré une inférence défavorable à l’endroit de la crédibilité globale de M. Mohamud parce que celui-ci avait présenté un affidavit frauduleux sans explication.

[6]  M. Mohamud soutient qu’une erreur typographique mineure dans la déclaration de Mme Alasow ne peut pas, à elle seule, raisonnablement justifier une conclusion selon laquelle le document est frauduleux. Je suis d’accord. La SPR ne peut pas juger un document comme inauthentique en fonction d’une hypothèse : elle doit le faire en fonction de la preuve (Jacques c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 423, au paragraphe 16 [Jacques]). Dans certains cas, une preuve suffisante émane du document lui-même (Jacques, au paragraphe 16). Dans ce cas, par contre, la conclusion de la SPR selon laquelle l’affidavit de Mme Alasow était frauduleux était déraisonnable (Jacques, au paragraphe 17; Ali c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 814, au paragraphe 31 [Ali]).

[7]  Selon la SPR, il était improbable qu’un document rédigé par des professionnels contienne une telle erreur. Par contre, les erreurs de rédaction ne prouvent pas nécessairement l’absence d’authenticité (voir Arubi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 36, au paragraphe 35). Elles se produisent même dans les décisions de la Cour (Ali, au paragraphe 31). Le SPR a aussi négligé de renvoyer aux aspects de la déclaration de Mme Alasow qui renforcent sa crédibilité (Jacques, au paragraphe 18) : le document nomme l’interprète somalien qui a participé à sa rédaction et contient le sceau du notaire public qui a reçu le serment. De cette façon, le document était conforme à ce qu’on attend raisonnablement d’une déclaration sous serment (voir X.Y. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1325, au paragraphe 13).

[8]  Les conclusions d’invraisemblance ne doivent être tirées que dans les cas les plus évidents, et doivent tenir compte des réalités du contexte culturel du demandeur (Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7; Duroshola c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 518, aux paragraphes 24 à 26). Je suis d’accord avec M. Mohamud que la SPR a négligé de tenir compte du peu de connaissances de Mme Alasow et du fait qu’elle fiée à des tiers dans la préparation du document. En outre, il était déraisonnable que la SPR s'attende à ce que M. Mohamud explique l’erreur dans l’affidavit de Mme Alasow puisqu’il n’a pas rédigé ce document (Sitoo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2004 CF 1513, au paragraphe 13).

[9]  Enfin, une conclusion selon laquelle un document jugé faux ou irrégulier peut miner la crédibilité globale d’un demandeur « commande la prudence » (Guo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 400, au paragraphe 7). De telles affirmations sont graves (Agyemang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 265, aux paragraphes 13 et 14). La conclusion déraisonnable de la SPR a été aggravée par l’inférence négative qu’elle a tirée à l’égard de la crédibilité globale de M. Mohamud pour avoir présenté un document frauduleux.

[10]  La décision doit être renvoyée pour nouvel examen puisque je ne peux pas conclure que la décision de la SPR concernant la question centrale relativement à l’identité de M. Mohaumd aurait été différente en l’absence des erreurs soulevées (Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 823, au paragraphe 28). Il m’est inutile de répondre aux autres questions que M. Mohamud soulève.

[11]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune question à des fins de certification n’a été présentée et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans IMM-2705-17

LA COUR STATUE que

  1. la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à une formation différente de la Section de la protection des réfugiés pour nouvel examen;

  2. aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2705-17

 

INTITULÉ :

ABDIRAHMAN ISSE MOHAMUD c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 FÉVRIER 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 fÉVRIER 2018

 

COMPARUTIONS :

Me Lina Anani

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me John Loncar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lina Anani

Avocate

Toronto, Ontario

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto, Ontario

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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