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Date : 20180305


Dossier : IMM-2469-17

Référence : 2018 CF 249

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 mars 2018

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

TINUADE IBUKUN ADESEMOWO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Tinuade Ibukun Adesemowo (la demanderesse), sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration, du 2 juin 2017, qui a refusé sa demande visant à reporter son renvoi en application de l’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) jusqu’à ce que la Cour rende une décision sur sa requête en réexamen de l’ordonnance du 20 février 2017, qui rejetait sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue à l’issue de l’examen des risques avant renvoi (ERAR).

[2]  Pour les motifs qui suivent, je conclus au caractère théorique de la demande.

I.  Contexte

[3]  Les antécédents d’immigration de la demanderesse sont décrits de façon détaillée pour établir le contexte nécessaire à la présente décision.

[4]  La demanderesse, une citoyenne du Nigéria, est arrivée au Canada le 24 février 2016. Elle a présenté une demande d’asile le 3 mars 2016, alléguant la persécution au Nigéria en raison de son orientation sexuelle. Un rapport établi en application de l’article 44 a été émis en raison du défaut de la demanderesse de respecter l’alinéa 20(1)a) de la Loi, étant donné qu’elle est entrée au Canada sans visa en utilisant le passeport d’une autre personne.

[5]  Le 17 mars 2016, la demanderesse a été arrêtée et détenue par l’ASFC, car il était improbable qu’elle se présente à l’examen par le délégué du ministre en application du paragraphe 44(2). Le jour même, des représentants de l’immigration ont découvert que la demanderesse avait été reconnue coupable d’importation de drogues au Royaume-Uni en 2007, qu’elle avait été condamnée à sept ans de prison et qu’elle avait purgé une peine de trois ans avant d’être renvoyée au Nigéria par le Royaume-Uni. Un rapport établi en application du paragraphe 44(1) a également été transmis à la demanderesse pour le motif qu’elle était interdite de territoire au Canada pour grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)b) de la Loi.

[6]  Le 19 mai 2016, la demanderesse a été déclarée interdite de territoire au Canada et une mesure de renvoi a été prise. Par conséquent, la demanderesse est exclue de la protection accordée aux réfugiés au Canada.

[7]  La demanderesse a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Dans les circonstances où un demandeur est interdit de territoire au Canada, l’ERAR se limite seulement aux facteurs exposés à l’article 97 de la Loi. En réponse à son ERAR restreint, la demanderesse a encore soutenu qu’elle encourait un risque au Nigéria en raison de son orientation sexuelle.

[8]  Le 30 septembre 2016, l’ERAR restreint de la demanderesse a été rejeté. L’agent chargé de l’ERAR a tiré des conclusions défavorables quant au fondement de la demande de la demanderesse, entre autres conclusions.

[9]  La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision relative à l’ERAR a été rejetée le 20 février 2017, la demanderesse n’ayant pas mis en état sa demande dans les délais prescrits par la loi (la demande d’ERAR rejetée). La demanderesse soutient que son avocate était inefficace et qu’elle n’a pas respecté les dates de dépôt. Le dossier comprend un affidavit de la précédente avocate de la demanderesse en réponse aux plaintes formulées. Dans ce dossier, l’avocate fait notamment remarquer que selon elle, la demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable concernant l’ERAR était dénuée de tout fondement; toutefois, elle n’en a pas informé sa cliente en temps opportun.

[10]  Le 23 mai 2017, la demanderesse a été informée qu’elle serait expulsée le 3 juin 2017.

[11]  Le 30 mai 2017, la demanderesse a déposé une requête en modification ou en annulation, et en réexamen de sa demande d’ERAR rejetée.

[12]  Le 31 mai 2017, après les heures normales de travail, la demanderesse a écrit à l’ASFC pour demander que son renvoi du 3 juin 2017 soit reporté jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur sa requête en modification ou en annulation et en réexamen de sa demande d’ERAR rejetée qu’elle avait déposée le jour précédent. Le 1er juin 2017, la demanderesse a déposé des observations écrites pour appuyer sa demande de report de son renvoi dans lesquelles elle a également soulevé son état de santé et a réitéré sa peur pour sa sécurité au Nigéria en raison de son orientation sexuelle.

[13]  La décision de l’agent qui fait maintenant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire a été rendue le jour suivant, soit le 2 juin 2017. L’agent a refusé de reporter le renvoi de la demanderesse.

[14]  La demanderesse a simultanément déposé une requête devant notre Cour en vue de surseoir à la décision de l’agent et par conséquent de surseoir à son renvoi du Canada.

[15]  Le 2 juin 2017, le juge Southcott a accordé le sursis de la décision de l’agent, concluant que le critère applicable à une demande de sursis formulé dans Toth c Canada (Emploi et Immigration) (1988), 86 NR 302, 6 Imm LR (2d) 123 (CAF) – qui requiert que la demanderesse établisse : 1) qu’il y a une question sérieuse à juger; 2) qu’elle subirait un préjudice irréparable si elle était expulsée entre maintenant et le moment où la présente demande sera tranchée; 3) que la prépondérance des inconvénients repose en sa faveur – était respecté.

[16]  Le 24 juillet 2017, la Cour a rejeté la requête de la demanderesse en annulation et en réexamen de sa demande d’ERAR rejetée le 20 février 2017.

[17]  Par conséquent, l’événement et la date à laquelle la demanderesse demandait le report de son renvoi sont passés.

II.  La décision qui fait l’objet du contrôle – la décision de l’agent de reporter le renvoi

[18]  L’agent a noté ses obligations légales en application du paragraphe 48(2) de la LIPR, d’exécuter la mesure de renvoi d’un demandeur « dès que possible » ainsi que son pouvoir discrétionnaire limité de reporter le renvoi. L’agent a noté que l’intégralité de la preuve déposée par la demanderesse a été examinée et a fait l’objet d’un examen attentif.

[19]  L’agent a relaté l’historique procédural comme noté ci-dessus jusqu’à la date de sa décision, y compris la déclaration de la demanderesse selon laquelle son avocate précédente avait commis une erreur en ne mettant pas en état sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision défavorable à l’issue de l’ERAR. L’agent a souligné l’affirmation erronée de la demanderesse selon laquelle elle aurait eu droit automatiquement à un sursis statuaire si son avocate précédente avait mis sa demande en état.

[20]  L’agent a noté que cela ne faisait pas partie de son rôle d’évaluer le bien-fondé de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision défavorable concernant l’ERAR de la demanderesse, pour laquelle la demanderesse soutient qu’elle aurait obtenu l’autorisation si ce n’avait été de l’erreur de son avocate précédente. L’agent a noté que son rôle n’était pas de procéder à « un examen auxiliaire des risques », mais plutôt de décider si la preuve déposée pour justifier le report de renvoi jusqu’à l’évaluation des allégations de nouveaux risques ou de nouveaux éléments de preuve concernant les risques qui exposeraient la demanderesse à des risques en application de l’article 97 était convaincante.

[21]  L’agent a noté que le risque prétendu auquel la demanderesse se dit exposée en raison de son orientation sexuelle avait déjà été évalué dans le cadre de son ERAR. L’agent a également conclu que les éléments de preuve documentaire déposée par la demanderesse n’indiquaient pas que la situation au Nigéria s’était détériorée de manière importante pour la population LGBT depuis son ERAR.

[22]  L’agent a abordé les observations de la demanderesse sur son état de santé mentale qui la mettrait à risque, y compris la stigmatisation qu’elle subirait en conséquence. L’agent a conclu que cela n’était pas une preuve nouvelle et convaincante, soulignant qu’elle avait été examinée par l’agent chargé de l’ERAR. L’agent a conclu que les risques liés à l’état de santé mentale de la demanderesse n’étaient pas postérieurs à sa demande d’ERAR. Conséquemment, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de nouveaux éléments de preuve convaincants concernant les risques pour justifier qu’un report était requis pour une évaluation plus poussée des risques.

[23]  L’agent a ensuite examiné les problèmes de santé de la demanderesse, notant que son pouvoir discrétionnaire limité était axé sur la question de savoir s’il existait des éléments de preuve d’un préjudice grave et préjudiciable qui résulterait de l’exécution du renvoi comme prévu.

[24]  La demanderesse avait prétendu qu’elle avait reçu un diagnostic de fibromes, de kystes de l’ovaire, de troubles de comportement alimentaire, de dépression et de trouble de stress post-traumatique. Les observations de la demanderesse indiquent que [traduction] « l’avis de [son] équipe médicale est [sic] effroyable, et confirme que l’expulser au Nigéria la priverait non seulement du soutien médical qu’elle recevait et de son équipe médicale, mais également pourrait causer prématurément sa mort ».

[25]  L’agent a examiné la preuve médicale de l’équipe médicale du centre de détention de Vanier où la demanderesse avait été détenue pendant plusieurs mois. La preuve indiquait que la demanderesse avait récemment eu une échographie qui n’a soulevé aucune préoccupation et qui a conclu qu’elle était « apte à voyager ».

[26]  L’agent a également noté le rapport psychiatrique du Dr Harrison indiquant que la demanderesse aurait besoin [traduction] « d’un environnement propice et réconfortant pour une santé mentale optimale ».

[27]  L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour indiquer que la santé de la demanderesse subirait un préjudice irréparable à son retour au Nigéria. De plus, les éléments de preuve présentés n’étaient pas suffisants pour indiquer que la demanderesse n’aurait pas accès ou ne recevrait pas les soins médicaux nécessaires au Nigéria. L’agent a souligné que la déclaration de la demanderesse selon laquelle son renvoi « pourrait causer prématurément sa mort » était spéculative et n’était pas du tout appuyée par un élément de preuve objective.

[28]  L’agent a également noté les circonstances personnelles de la demanderesse : elle est interdite de territoire au Canada pour criminalité; elle avait été détenue dans un centre de détention de l’immigration depuis son arrestation en mars 2016; elle n’a pas de famille au Canada; son frère, sa sœur et son père habitent au Nigéria; et elle aurait un soutien familial « quelconque » au Nigéria.

[29]  L’agent a conclu que, selon tous les éléments de preuve examinés, il ou elle ne pouvait pas conclure qu’un renvoi exposerait la demanderesse à des risques en application de l’article 97. Par conséquent, il n’y avait pas assez de motifs pour justifier un report de son renvoi.

III.  La décision de surseoir au renvoi de la demanderesse

[30]  Notre Cour a accueilli la requête en sursis de la décision de l’agent du 2 juin 2017 présentée par la demanderesse, et par conséquent a accordé un sursis à son renvoi au Nigéria, au motif qu’une question sérieuse avait été soulevée concernant le fait que l’agent s’appuyait sur le rapport médical de l’équipe médicale du centre de Vanier. Le juge Southcott a conclu que l’avis médical, notamment que la demanderesse était apte à voyager, ne lui avait pas été communiqué et que cela soulevait une question portant sur l’équité procédurale. Le juge Southcott était également convaincu que la demanderesse avait établi un préjudice irréparable, étant donné que le préjudice allégué était lié à son état de santé déclaré.

IV.  Questions en litige

[31]  La demanderesse soutient que l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale en s’appuyant sur la preuve médicale qui aurait dû être présentée à la demanderesse et à laquelle cette dernière aurait dû avoir l’occasion de répondre. Elle soutient également que la décision n’est pas raisonnable parce que l’agent a écarté, ou a mal apprécié la preuve des risques auxquels elle ferait face, et a entravé son pouvoir discrétionnaire en rejetant la demande de report.

[32]  À mon avis, la première question à résoudre est celle de savoir si la demande de contrôle judiciaire est théorique étant donné que la demanderesse a demandé le report de son renvoi jusqu’à ce que sa requête en réexamen de sa demande d’ERAR rejetée soit tranchée. Cet événement a déjà eu lieu; la Cour a rejeté la requête le 24 juillet 2017.

V.  La norme de contrôle applicable

[33]  La décision d’un agent concernant une demande de report d’un renvoi est examinée selon la norme de la décision raisonnable (Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81, au paragraphe 25, [2010] 2 RCF 311, [Baron]).

[34]  Les questions d’équité procédurale doivent être examinées par un tribunal judiciaire selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339).

[35]  Les questions sur le caractère théorique sont également examinées selon la norme de la décision correcte (Baron, au paragraphe 24).

VI.  La présente demande de contrôle judiciaire est-elle théorique?

[36]  Comme il a été mentionné précédemment, la demanderesse a demandé le report de son renvoi jusqu’à ce qu’une décision soit prise sur sa requête en réexamen de sa demande d’ERAR rejetée du 20 février 2017. Cette requête a été rejetée le 24 juillet 2017. Selon la décision relative à l’ERAR, la demanderesse ne ferait pas face à des risques en application de l’article 97; cette décision est par conséquent définitive. L’événement et la principale raison du report de son renvoi sont passés.

[37]  La demanderesse soutient que la demande n’est pas théorique, mais que si elle l’est, la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour tenir compte de son bien-fondé.

[38]  Les observations écrites que le défendeur a déposées à l’étape de l’autorisation soutiennent que la demande est théorique. Le défendeur a noté que, quel que soit l’issue du présent contrôle judiciaire, la demanderesse est toujours interdite de territoire au Canada et recevra une autre ordonnance de renvoi, qu’elle pourrait encore essayer de reporter. Le défendeur note également que si la demande de report est rejetée, la demanderesse peut encore en demander le contrôle judiciaire. Le défendeur a ajouté que cela remet en question l’objectif de poursuivre la présente demande. Toutefois, à l’audience de la présente demande, le défendeur semblait faire valoir que la Cour devrait trancher la demande sur le fond étant donné que la demande d’autorisation de contrôle judiciaire avait été accordée et que les deux parties avaient déposé des observations par écrit et avaient comparu devant la Cour.

[39]  Bien que la Cour ait entendu les arguments sur le fond de la présente demande, je remets en question les motifs pour lesquels la Cour devrait tenir compte du caractère raisonnable ou correct de la décision de l’agent. Le sursis à l’exécution de la décision de l’agent a donné à la demanderesse ce qu’elle a demandé – le report de son renvoi jusqu’à ce que sa demande d’ERAR rejetée soit tranchée, ainsi que du temps supplémentaire pour le traitement de son état de santé. Toutefois, elle est toujours interdite de territoire au Canada. Les risques liés à son retour au Nigéria ont été entièrement évalués dans l’ERAR, et cette décision est définitive. Comme le note le défendeur, il peut maintenant donner une nouvelle instruction à la demanderesse pour qu’elle se présente en vue de son renvoi, ce qui déclenchera la possibilité que la demanderesse demande un report de ce renvoi si des motifs suffisants sont déposés. En cas de refus, la demanderesse pourrait encore une fois demander le sursis à cette ordonnance de la part de notre Cour. L’issue de cette demande de contrôle judiciaire n’aura aucun effet pratique sur la demanderesse, car la décision de l’agent s’appuyait sur la demande de la demanderesse visant à reporter son renvoi à un événement qui a déjà eu lieu.

[40]  Dans Baron, la Cour d’appel fédérale a tenu compte du caractère théorique du contrôle judiciaire d’une décision qui rejette une demande de report. La Cour d’appel fédérale a noté que le caractère d’une demande de report est pertinent. La Cour d’appel fédérale a examiné la jurisprudence pertinente, y compris Amsterdam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 244, [2008] ACF no 303 (QL) [Amsterdam], où le juge Strayer a conclu que la demande de contrôle judiciaire était de caractère théorique parce que le report de renvoi avait été accordé pour permettre au demandeur de participer à deux événements, qui avaient alors déjà eu lieu. Dans Amsterdam, le juge Strayer a refusé de certifier une question aux fins d’appel au motif que le droit était bien établi. Le juge Strayer a noté, au paragraphe 15 :

Comme le donnent à penser les affaires susmentionnées, il semble exister un large consensus au sein de la Cour sur le fait qu’on doit répondre à une telle question par l’affirmative. Je vois mal comment il pourrait en être autrement si la plainte qui fait l’objet du contrôle judiciaire consiste à dire que l’agent d’exécution n’a pas reporté le renvoi de façon à permettre à l’intéressé de régler une question qui, selon le demandeur, justifiait le report, et qu’en raison d’un sursis accordé par la Cour la question a été réglée entre-temps. En de telles circonstances, un contrôle judiciaire ne peut avoir aucun effet concret.

[41]  Dans Baron, au paragraphe 37, la Cour d’appel fédérale a souscrit à son avis en faisant remarquer ce qui suit :

Si j’ai bien compris les motifs du juge Strayer, c’est la survenance des faits au sujet desquels le demandeur réclamait le report de son renvoi, en l’occurrence l’audience du Tribunal de la famille et son rendez-vous chez le médecin, qui rendait la demande de contrôle judiciaire théorique. Dans ces conditions, comme l’affirme le juge Strayer dans l’extrait précité, « un contrôle judiciaire ne peut avoir aucun effet concret ». À la lumière des faits dont disposait le juge, je ne puis qu’abonder dans le même sens que lui. Il est toutefois évident que le juge Strayer n’a pas conclu que la demande dont il était saisi était théorique du simple fait que la date prévue pour le renvoi était passée, ce qui est la position adoptée par la juge de première instance.

[42]  Dans Baron, la Cour d’appel fédérale n’a pas conclu que la demande dont elle était saisie était théorique, car l’événement pour lequel le report de renvoi était demandé – qui était que la décision relativement à une demande pour motifs d’ordre humanitaire en suspens soit rendue – n’avait pas encore eu lieu (au paragraphe 38).

[43]  En l’espèce, l’événement pour lequel le report a été demandé, soit la décision sur la requête en annulation et en réexamen de la demande d’ERAR rejetée, a eu lieu. Dans la mesure où la demanderesse a également demandé un report pour attendre le résultat d’autres examens médicaux, cet événement a également eu lieu. À mon avis, selon la jurisprudence, la décision relative à la présente demande de contrôle judiciaire est théorique.

[44]  Les parties soutiennent que la demande devrait être entendue sur le fond malgré toute conclusion de caractère théorique, fondamentalement parce que les arguments ont été faits et que l’audience a eu lieu. J’ai tenu compte des facteurs exposés dans Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, 57 DLR (4th) 231, pour orienter la Cour dans sa décision d’entendre ou non le bien-fondé d’une demande autrement théorique. Les facteurs – 1) l’existence d’un rapport d’opposition entre les parties; 2) un souci d’économie judiciaire; 3) la nécessité pour la Cour de ne pas empiéter sur la sphère législative – ne sont pas particulièrement utiles dans les circonstances de l’espèce. Il n’y a aucune crainte d’empiétement sur la sphère législative. Les ressources judiciaires sont déjà utilisées. Bien qu’il reste toujours un rapport d’opposition entre les parties, il ne cible pas la décision de l’agent.

[45]  Dans l’éventualité où la demande de contrôle judiciaire est tranchée sur le fond et est accueillie, il n’y aurait aucune raison pratique de remettre la demande de report de la mesure de renvoi de la demanderesse à un autre agent d’immigration pour réexamen. Bien que l’agent ait refusé de reporter le renvoi de la demanderesse, l’ordonnance de la Cour qui a suspendu l’ordonnance de l’agent a eu pour effet de reporter le renvoi de la demanderesse comme elle l’a demandé et jusqu’à ce que notre Cour rende la décision concernant la présente demande de contrôle judiciaire. Une nouvelle ordonnance de renvoi serait requise advenant le cas où le défendeur tenterait d’expulser la demanderesse.

[46]  Dans l’éventualité où la demande de contrôle judiciaire est tranchée sur le fond et est rejetée, comme l’explique le défendeur, un nouvel avis de convocation sera quand même requis advenant le cas où le défendeur chercherait à renvoyer la demanderesse.

[47]  Je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent de refuser le report du renvoi de la demanderesse est manifestement théorique et qu’il n’y a aucun motif d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour examiner le bien-fondé.

VII.  Observations

[48]  Malgré la conclusion sur le caractère théorique, j’ai noté quelques observations concernant les circonstances de l’espèce et le droit en vigueur.

[49]  En l’espèce, la demanderesse a reçu le 23 mai 2017 instruction de se présenter en vue de son renvoi le 3 juin 2017. Elle a fait une demande de report de son renvoi en fin de journée le 31 mai 2017, soit deux jours ouvrables avant son renvoi prévu. Elle a déposé ses observations le 1er juin 2017. L’agent a été aux prises avec la tâche difficile d’examiner toutes les observations et les éléments de preuve, et de rendre une décision dans un délai très court – et l’a fait le 2 juin 2017. La description faite ci-dessus de la décision de l’agent reflète l’examen approfondi qu’il a effectué de la preuve qui lui a été présentée et du droit applicable.

[50]  Contrairement aux observations de la demanderesse concernant la portée du pouvoir discrétionnaire de l’agent, il est évident en droit que l’agent de renvoi a un pouvoir discrétionnaire limité. L’agent a reconnu la portée appropriée de son pouvoir discrétionnaire et a examiné la question de savoir si la preuve justifiait l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

[51]  Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale dans Baron, au paragraphe 49 :

Il est de jurisprudence constante que le pouvoir discrétionnaire dont disposent les agents d’exécution en matière de report d’une mesure de renvoi est limité. J’ai exprimé cet avis dans la décision Simoes c. Canada (M.C.I.), [2000] ACF. No. 936 (CF. 1re inst.) (QL), 7 Imm.L.R. (3d) 141, au paragraphe 12 :

[12]  À mon avis, le pouvoir discrétionnaire que l’agent chargé du renvoi peut exercer est fort restreint et, de toute façon, il porte uniquement sur le moment où une mesure de renvoi doit être exécutée. En décidant du moment où il est « raisonnablement possible » d’exécuter une mesure de renvoi, l’agent chargé du renvoi peut tenir compte de divers facteurs comme la maladie, d’autres raisons à l’encontre du voyage et les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n’ont pas encore été réglées à cause de l’arriéré auquel le système fait face. Ainsi, en l’espèce, le renvoi de la demanderesse, qui devait avoir lieu le 10 mai 2000, a pour des raisons de santé été reporté au 31 mai 2000. En outre, à mon avis, l’agent chargé du renvoi avait le pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi tant que l’enfant de la demanderesse, qui était âgée de huit ans, n’avait pas terminé son année scolaire.

[52]  La Cour d’appel fédérale a fait écho aux commentaires de la Cour fédérale et les a soulignés dans Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 CF 682, au paragraphe 51 (de Baron) :

[…]

Pour respecter l’économie de la Loi, qui impose une obligation positive au ministre tout en lui accordant une certaine latitude en ce qui concerne le choix du moment du renvoi, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi devrait être réservé aux affaires où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain. Pour ce qui est des demandes CH, à moins qu’il n’existe des considérations spéciales, ces demandes ne justifient un report que si elles sont fondées sur une menace à la sécurité personnelle.

[Souligné dans l’original.]

[53]  Ces principes ont été récemment résumés par le juge Gascon dans Newman c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 888, au paragraphe 18, [2016] ACF no 852 (QL) [Newman] :

[18]  Le pouvoir discrétionnaire que l’agent chargé du renvoi peut exercer est fort restreint et, de toute façon, il porte uniquement sur le moment où une mesure de renvoi doit être exécutée. Cela a été reconnu par la Cour d’appel fédérale dans Baron, où le juge Nadon a déclaré que « le pouvoir discrétionnaire dont disposent les agents d’exécution en matière de report d’une mesure de renvoi est limité » (Baron, au paragraphe 49). L’exercice du pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi devrait être réservé aux affaires où « le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain » (Baron, au paragraphe 51; Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 CF 682 [Wang], au paragraphe 48). L’agent d’exécution peut aussi exercer son pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi lorsqu’il existe des facteurs qui peuvent avoir une influence sur le moment du renvoi, p. ex., des facteurs qui ont trait aux arrangements de voyage, et ceux sur lesquels ces arrangements ont une incidence, notamment le calendrier scolaire des enfants et les incertitudes liées à la délivrance des documents de voyage ou les naissances ou décès imminents (Baron, au paragraphe 51; Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF. no 936 [Simoes], au paragraphe 12). Je souligne également que le paragraphe 48(2) de la LIPR prévoit expressément qu’une ordonnance de renvoi doit être appliquée « dès que possible ». Le ministre n’a pas le pouvoir de refuser d’exécuter l’ordonnance.

[54]  Les principes directeurs continuent d’être que le report doit être réservé aux cas où le défaut de report exposera un demandeur à un risque de mort, à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain, et que des circonstances exceptionnelles sont requises pour justifier le report d’un renvoi (Baron, au paragraphe 67, Newman, au paragraphe 18).

[55]  Comme il a été mentionné précédemment, à la suite de l’ordonnance de la Cour qui a suspendu la décision de l’agent en attendant la décision relativement à la présente demande de contrôle judiciaire, le renvoi de la demanderesse a été en fait reporté. Maintenant, les événements pour lesquels le report avait été demandé, la décision relativement à la demande d’ERAR et la décision relativement à la présente demande de contrôle judiciaire ont eu lieu.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : La demande de contrôle judiciaire est théorique.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2469-17

 

INTITULÉ :

TINUADE IBUKUN ADESEMOWO c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 janvier 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 mars 2018

 

COMPARUTIONS :

Oluwakemi Oduwole

 

Pour la demanderesse

 

Christopher Crighton

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Topmarké Attorneys LLP

Avocats

North York (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

TORONTO (ONTARIO)

 

Pour le défendeur

 

 

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