Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20180307

Dossier : IMM-1999-17

Référence : 2018 CF 251

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2018

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

JULIA NJILABU MPOYI

JOY-RACHEL TSHIABU MPOYI

MAURICE KALONJI KAPUTU MPOYI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Les demandeurs, Mme Julia Mpoyi et ses enfants (les demandeurs), sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision (la décision) rendue par un agent principal d’immigration (l’agent), datant du 24 avril 2017, dans laquelle l’agent a rejeté leur demande, en application du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), de statut de résidents permanents au Canada pour des considérations d’ordre humanitaire (CH).

II.  Contexte

[2]  La demanderesse principale, Mme Julia Mpoyi, est citoyenne de la République démocratique du Congo et elle n’est citoyenne d’aucun autre pays. En 1995, ses parents, l’une de ses deux sœurs et elle ont immigré en Afrique du Sud après avoir quitté la République démocratique du Congo, où ils ont été reconnus comme réfugiés au sens de la Convention. Mme Mpoyi est maintenant réfugiée au sens de la Convention, et résidente permanente d’Afrique du Sud.

[3]  En 2002, Mme Mpoyi a épousé un autre réfugié congolais en Afrique du Sud, Roger Mpoyi. Ensemble, ils ont deux enfants, les demandeurs mineurs Joy-Rachel Mpoyi et Maurice Mpoyi (les enfants). Les enfants sont nés avant que Mme Mpoyi n’obtienne la résidence permanente en Afrique du Sud. En conséquence, les deux enfants ont la citoyenneté congolaise, plutôt que sud-africaine. Les enfants sont des résidents permanents de l’Afrique du Sud et y sont reconnus comme réfugiés.

[4]  En 2010, Roger Mpoyi et Mme Mpoyi se sont séparés. Ils ont finalement divorcé en 2013. Mme Mpoyi a obtenu la garde exclusive des enfants. Après la séparation, Mme Mpoyi a subvenu à ses propres besoins et à ceux de ses enfants grâce aux revenus de son poste à plein temps au South African Revenue Service (Service du revenu de l’Afrique du Sud) et à l’exploitation de sa propre entreprise à Cape Town, où elle vendait des vêtements et accessoires. Mme Mpoyi a beaucoup voyagé pour soutenir les activités de son entreprise. La preuve présentée à l’agent démontrait qu’elle s’était rendue en Chine à neuf reprises, deux fois en Europe et au moins une fois en Thaïlande, au Brésil et aux États-Unis. En outre, des timbres sur son passeport démontraient qu’elle s’était rendue en République démocratique du Congo, son pays natal et le pays dont elle s’était enfuie, à 11 reprises. Alors qu’elle vivait en Afrique du Sud, Mme Mpoyi et ses enfants partaient régulièrement en vacances.

[5]  Les éléments de preuve documentaire démontraient qu’aux alentours de 2008, des attaques xénophobes commençaient à se produire en Afrique du Sud, les étrangers devenant la cible d’intimidations, de menaces et de violences physiques. Les migrants d’autres pays africains étaient particulièrement visés parce que certains Sud-Africains noirs les accusaient de prendre leur travail et de contribuer au taux élevé de criminalité. Lors d’une vague d’attaques lancées en 2012, Mme Mpoyi affirme que son entreprise a été victime d’une bombe incendiaire et a été détruite. Par la suite, elle a continué à travailler depuis son domicile. Les manifestations xénophobes de ce type et la violence se sont répandues à travers le pays en 2014. Craignant de rester à Cape Town, Mme Mpoyi a déménagé à Johannesburg. Elle a été transférée vers un nouveau lieu de travail pour son emploi gouvernemental et a commencé à travailler à la boutique de son petit-ami, Guylain Kapongo (M. Kapongo).

[6]  Après avoir déménagé avec sa famille à Johannesburg, Mme Mpoyi affirme qu’elle a commencé à recevoir des appels lui disant de [traduction] « rentrer chez elle » en République démocratique du Congo. Elle prétend qu’elle a signalé ces appels menaçants à la police, mais cette dernière lui a dit qu’elle ne pouvait pas intervenir avant qu’un crime réel n’ait été commis.

[7]  Le 1er avril 2015, après que M. Kapongo a quitté sa boutique, Mme Mpoyi prétend qu’elle a été abordée par un groupe d’hommes faisant semblant d’être des clients. Ils ont pointé une arme à feu sur elle, ont pris tout l’argent du magasin, ont emmené Mme Mpoyi dans une voiture et l’ont conduite chez elle. À son domicile, ils l’ont agressée, l’ont accablée de noms péjoratifs, ont utilisé des mots racistes, et ont continué à proférer des menaces de mort. Quelqu’un la menaçait d’un couteau pendant ce supplice. Ils ont finalement chargé ses objets de valeur dans un camion et sont partis avec ses biens. Avant de partir, ces hommes auraient dit à Mme Mpoyi de quitter le pays, lui disant [traduction] « si tu ne quittes pas le pays, nous allons violer tes enfants, puis nous allons te tuer ».

[8]  Le lendemain de cette agression, Mme Mpoyi s’est rendue à la police pour signaler le crime. La police lui a demandé de remplir un affidavit et a dit qu’elle enquêterait. Mme Mpoyi dit qu’elle n’a plus eu de nouvelles de la police.

[9]  Craignant pour leur sécurité, les demandeurs ont quitté l’Afrique du Sud. Ils se sont rendus à Rochester aux États-Unis, et ensuite à Buffalo. Ils ont tenté de présenter une demande d’asile au Canada au poste frontalier de Fort Erie le 28 avril 2015. Un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a conclu que les demandeurs ne pouvaient pas présenter une demande d’asile en application de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR parce qu’ils avaient été reconnus comme réfugiés au sens de la Convention en Afrique du Sud.

[10]  En novembre 2015, les demandeurs ont présenté une demande de statut de résident permanent pour considérations d’ordre humanitaire, conformément au paragraphe 25(1) de la LIPR. Le 8 août 2016, les demandeurs ont été avisés qu’un agent principal d’immigration avait rejeté leur demande CH. Les demandeurs ont demandé le contrôle judiciaire de cette décision, qui a été accordé par la juge Simpson le 23 février 2017. La juge Simpson a ordonné que l’affaire soit réexaminée par un autre agent (voir Mpoyi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 228, [2017] ACF no 202 [Mpoyi]).

[11]  À la suite de la décision de la juge Simpson, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a donné aux demandeurs l’occasion de mettre à jour leur dossier. Les demandeurs ont fourni à IRCC d’autres éléments de preuve et ont demandé qu’on leur délivre des permis de séjour temporaires conformément au paragraphe 24(1) de la LIPR, si leur demande CH était refusée.

[12]  Le 24 avril 2017, l’agent a examiné et a refusé la demande CH mise à jour des demandeurs. L’agent a également refusé d’examiner les demandes alternatives de permis de séjour temporaires des demandeurs. Ce sont ces deux décisions qui font l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Pour les motifs qui suivent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire en ce qui concerne les permis de séjour temporaires, mais rejette la demande de contrôle judiciaire en ce qui concerne la demande CH.

III.  Les questions soulevées devant l’agent par Mme Mpoyi, en son propre nom et au nom des enfants

[13]  Mme Mpoyi a soutenu qu’il serait dans l’intérêt supérieur des enfants qu’ils demeurent au Canada. Elle a indiqué qu’ils avaient été victimes de racisme à l’école en Afrique du Sud, que leur renvoi du Canada vers l’Afrique du Sud perturberait leurs progrès scolaires, et que son propre trouble de stress post-traumatique serait aggravé si elle devait retourner en Afrique du Sud, ce qui aurait une incidence négative sur les enfants. Elle a également indiqué à l’agent que l’un de ses enfants souffre d’asthme et qu’il n’est pas toujours facile d’obtenir des soins médicaux en Afrique du Sud.

[14]  En ce qui concerne l’établissement au Canada, Mme Mpoyi a soutenu qu’elle avait cinq sœurs au Canada et qu’elle était active dans son église et dans sa communauté.

[15]  En ce qui concerne le risque, elle a soutenu que sa [traduction] « boutique avait été incendiée parce qu’elle était d’origine étrangère ». Elle a également souligné les conditions ayant cours dans le pays qui attestent des discriminations dont sont victimes les étrangers en Afrique du Sud. Elle a allégué qu’elle serait victime de discrimination étant donné qu’elle est propriétaire d’une entreprise et que cette discrimination [traduction] « pouvait aller jusqu’à la mort ».

IV.  Motifs de la décision de l’agent

[16]  Dans les premières lignes de ses motifs, l’agent a déclaré qu’il avait pris en considération tous les documents présentés par Mme Mpoyi et ses enfants. Il a mentionné les facteurs d’ordre humanitaire suivants : l’établissement au Canada; le risque/la discrimination; les incidents liés à l’entreprise de Mme Mpoyi; l’agression subie en 2015; les problèmes de santé; l’intérêt supérieur des enfants, y compris la vie scolaire des enfants en Afrique du Sud; et la vie scolaire au Canada.

[17]  En ce qui concerne la question de l’établissement, l’agent a indiqué que les demandeurs étaient arrivés au Canada moins de deux ans avant l’audience. Il a indiqué que cela constituait une période relativement courte. L’agent a aussi mentionné les activités communautaires de Mme Mpoyi et ses activités à l’église. Il a examiné l’emploi de Mme Mpoyi et a indiqué que cette dernière n’avait produit aucune preuve de gains au Canada pour 2015. Pour l’année 2016, Mme Mpoyi a produit des formulaires T-4 qui indiquent un revenu total au Canada de 2 425,01 $. Outre ce revenu, elle a pu subvenir aux besoins de sa famille avec [traduction] « une assistance financière de dernier recours du gouvernement ». L’agent a reconnu les efforts déployés par Mme Mpoyi pour suivre des cours dans le but de devenir plus employable au Canada. En ce qui concerne ses cinq sœurs, Mme Mpoyi a admis que les femmes en question n’étaient pas des sœurs, mais des cousines ou des amies proches. Elle a ensuite indiqué qu’elle avait une sœur qui vivait au Canada. L’agent a souligné les affirmations contradictoires faites par Mme Mpoyi concernant sa famille au Canada et a également indiqué que Mme Mpoyi n’avait déposé aucune preuve pour corroborer le lien familial avec la seule personne dont elle a finalement allégué qu’elle était sa sœur. Toutefois, l’agent lui a accordé [traduction] « le bénéfice du doute » et a admis que Mme Mpoyi avait une sœur au Canada. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas de preuve que les liens avec sa sœur ou avec ses amies au Canada seraient brisés par un retour en Afrique du Sud. L’agent a indiqué que Mme Mpoyi n’avait présenté aucune preuve pour démontrer qu’elle avait coupé ses liens professionnels en Afrique du Sud. En fonction de tous les renseignements disponibles, l’agent a conclu que l’établissement de Mme Mpoyi au Canada était limité.

[18]  En ce qui concerne les facteurs de risque et de discrimination, l’agent a indiqué que Mme Mpoyi est une réfugiée de la République démocratique du Congo et une résidente permanente de l’Afrique du Sud. L’agent a reconnu l’affirmation selon laquelle les demandeurs mineurs ont été victimes de remarques racistes à l’école et que Mme Mpoyi n’était pas en mesure d’inscrire son fils à l’école de son choix. L’agent a mentionné [traduction] « un ensemble de documents significatifs » présentés par les demandeurs qui témoignent de tensions raciales et de la migration des personnes, particulièrement des commerçants étrangers, de l’Afrique du Sud. L’agent a souligné que le passeport de Mme Mpoyi indiquait des « douzaines » de visites en République démocratique du Congo malgré son affirmation qu’elle connaissait très peu ce pays depuis son départ à l’âge de 13 ans. L’agent a mentionné en détail des documents sur les conditions du pays en ce qui concerne la violence contre les immigrés. Il a également indiqué que tandis que Mme Mpoyi avait produit des photos de son entreprise avant qu’elle ne soit incendiée en 2012, elle n’avait produit aucune photographie, ni de rapports de police ni d’articles de journaux concernant l’incendie criminel allégué. L’agent a relevé que Mme Mpoyi avait indiqué qu’un membre de sa famille était propriétaire de l’entreprise, mais qu’elle n’avait pas présenté d’éléments de preuve en ce qui concerne le temps qu’elle consacrait à l’entreprise ou sa relation d’affaires, si elle en avait une, avec le propriétaire. En raison de son poste permanent à temps plein avec le gouvernement de l’Afrique du Sud, l’agent a conclu que Mme Mpoyi avait révélé un manque de renseignements à ce sujet. L’agent a indiqué qu’après que l’entreprise a été incendiée, Mme Mpoyi a continué de voyager comme par le passé, et a poursuivi ses affaires en ligne. L’agent a choisi d’accorder peu de poids à l’incendie criminel allégué pour des motifs racistes, étant donné l’absence de preuve de la relation de Mme Mpoyi avec le propriétaire de l’entreprise, le manque de documents et d’éléments de preuve de l’incendie criminel allégué (par exemple des photos, des rapports de police, des articles de journaux, etc.). Il est évident que l’agent était également peu convaincu en ce qui concerne la motivation raciale de l’agression contre Mme Mpoyi et les menaces proférées contre ses enfants à la suite de l’incident de 2015. Mme Mpoyi n’a présenté aucun rapport de police, aucun rapport d’hôpital ou de médecin concernant des blessures et aucune photo des locaux vides après que les articles ont été prétendument chargés dans un camion. Toutefois, l’agent a, une fois de plus, déclaré qu’il tenait compte du fait que l’incident aurait été traumatisant, mais a conclu, en accordant à Mme Mpoyi « le bénéfice du doute », que les événements entourant l’agression constituaient [traduction] « un acte criminel isolé ». L’agent a conclu : [traduction] « Je ne peux pas conclure que cette agression criminelle a été planifiée à cause de son origine ethnique. La demanderesse a peut-être été ciblée en raison de la réussite de son entreprise. » L’agent a ensuite renvoyé aux conditions du pays et a conclu que [traduction] « la possibilité d’être victime d’un acte criminel en Afrique du Sud n’est pas déterminée par l’origine ethnique d’une personne, l’acte est plutôt motivé par la cupidité. »

[19]  L’agent s’est ensuite penché sur les questions de traumatismes et de problèmes de santé. L’agent a examiné les incidents de violence dont Mme Mpoyi a été victime et a juxtaposé ce fait contre ses 20 années d’études, de travail et de succès en Afrique du Sud. L’agent a conclu que Mme Mpoyi n’avait pas fait l’objet de discrimination en raison de son origine congolaise, mais qu’elle avait été victime d’actes criminels généralisés en Afrique du Sud. Tout en acceptant le fait que les demandeurs avaient présenté des documents qui montrent des tensions raciales contre les commerçants étrangers, l’agent a conclu que ces documents n’avaient pas établi de lien entre cette tension et la situation des demandeurs.

[20]  En ce qui concerne les problèmes de santé de Mme Mpoyi, l’agent a examiné le rapport d’évaluation psychiatrique du Dr Parul Agarwal (Dr Agarwal) et d’autres éléments de preuve médicale de séances de consultation continue de Mme Mpoyi pour son trouble de stress post-traumatique. L’agent a conclu que Mme Mpoyi pouvait poursuivre son traitement recommandé en Afrique du Sud, affirmant que [traduction] « rien n’indique qu’elle ne serait pas en mesure de suivre le conseil des spécialistes si elle devait retourner en Afrique du Sud ». En outre, il a conclu que Mme Mpoyi n’avait pas démontré qu’elle n’aurait pas accès au traitement nécessaire en Afrique du Sud. Il a également mentionné le régime des soins de santé de Mme Mpoyi en Afrique du Sud.

[21]  Enfin, l’agent a examiné l’intérêt supérieur des enfants. Il a affirmé qu’aucun élément de preuve n’avait été présenté pour démontrer que les enfants avaient été victimes de racisme institutionnalisé. L’agent a admis que Mme Mpoyi avait de la difficulté à inscrire son fils à son école préférée. Toutefois, l’agent a conclu que cela ne suffisait pas pour établir la discrimination. L’agent a reconnu que les enfants ont peut-être fait face à des incidents de racisme, d’intimidation ou de remarques péjoratives, mais cela ne faisait pas partie des considérations d’ordre humanitaires (CH).

[22]  L’agent a examiné la capacité des enfants de s’adapter au système d’éducation canadien, et a reconnu que le système de l’Afrique du Sud a dû les préparer relativement bien pour ce transfert. Il a conclu que les enfants avaient reçu une bonne éducation en Afrique du Sud et qu’ils continueraient à recevoir une bonne éducation.

[23]  L’agent a conclu qu’il n’y avait aucune preuve qui démontre que les enfants n’auraient pas accès à la scolarité ou aux soins de santé, ou que leur retour aurait des répercussions négatives importantes sur leur éducation ou leur santé.

[24]  En ce qui concerne la crainte de Mme Mpoyi pour ses enfants, l’agent a examiné tous les éléments de preuve et a conclu que la menace alléguée en 2015 constituait une partie d’un acte criminel aléatoire et n’était pas fondée sur la xénophobie ni la discrimination. En analysant l’intérêt supérieur des enfants, l’agent s’est penché sur l’emplacement d’autres membres de la famille, y compris le père des enfants.

[25]  Dans sa conclusion, l’agent a encore une fois souligné que Mme Mpoyi avait été en mesure d’étudier, de travailler, et d’obtenir un statut de résidente permanente en Afrique du Sud, ce qui à son tour lui avait permis de fonder une famille, d’obtenir un bon emploi, de voyager, de faire des affaires et d’être prospère. Il a fait remarquer que l’objectif d’une demande CH n’est pas de comparer la situation du pays de retour à la situation au Canada afin de décider si une exception devrait être accordée.

V.  Dispositions pertinentes

[26]  Les dispositions pertinentes de la LIPR sont les paragraphes 24(1) et 25(1) qui sont rédigés comme suit :

Permis de séjour temporaire

24 (1) Devient résident temporaire l’étranger, dont l’agent estime qu’il est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la présente loi, à qui il délivre, s’il estime que les circonstances le justifient, un permis de séjour temporaire — titre révocable en tout temps.

Temporary resident permit

24 (1) A foreign national who, in the opinion of an officer, is inadmissible or does not meet the requirements of this Act becomes a temporary resident if an officer is of the opinion that it is justified in the circumstances and issues a temporary resident permit, which may be cancelled at any time.

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

 

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

VI.  Questions en litige

[27]  Les demandeurs soulèvent les questions suivantes en ce qui concerne cette affaire.

  1. L’agent a-t-il commis une erreur, lorsqu’il n’a ni examiné ni rendu de décision concernant la demande alternative des demandeurs pour l’obtention de permis de séjour temporaires?

  2. L’agent a-t-il commis une erreur en écartant les éléments de preuve personnelle des demandeurs?

  3. L’agent a-t-il commis une erreur lors de l’examen des conditions défavorables en Afrique du Sud?

  4. L’agent a-t-il commis une erreur en évaluant les éléments de preuve psychologique?

  5. L’agent a-t-il commis une erreur en évaluant l’intérêt supérieur des enfants?

VII.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[28]  Il est bien établi que le traitement de la preuve par l’agent lors de l’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants et des autres facteurs d’ordre humanitaire est assujetti à une norme de contrôle de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909, aux paragraphes 44 et 45 [Kanthasamy]; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, [1999] ACS no 39, au paragraphe 62 [Baker]; Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 RCF 360, au paragraphe 18; Tisson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 944, [2015] ACF no 945, au paragraphe 15).

[29]  Quand un examen selon la norme du caractère raisonnable est justifié, la Cour doit dûment prendre en compte les décisions de l’agent, et enfin déterminer si la décision « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 47 et 49 [Dunsmuir]). En outre, le contrôle judiciaire, que ce soit selon la norme de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte, ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 RCS 458, au paragraphe 54. À l’exception de la première question soulevée par les demandeurs, toutes les autres questions commandent l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[30]  La Cour a toujours soutenu qu’une demande de permis de séjour temporaires est susceptible de faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte (Abdeli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 146, [2015] ACF no 110, au paragraphe 30 [Abdeli], se référant à Turner c Canada (Procureur général), 2012 CAF 159, au paragraphe 43; Shah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1269, [2011] ACF no 1553, au paragraphe 36 [Shah]; Dhandal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 865, [2009] ACF no 1029, aux paragraphes 11 à 17 [Dhandal]; Lee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1461, [2006] ACF no 1841, au paragraphe 18 [Lee]).

B.  L’agent a-t-il commis une erreur lorsqu’il n’a ni examiné ni rendu de décision concernant la demande alternative des demandeurs pour l’obtention de permis de séjour temporaires?

[31]  Dans ses observations à l’appui de la demande CH des demandeurs, l’avocat des demandeurs a précisément demandé : [traduction] « Si l’agent décisionnel n’est pas prêt à accueillir la présente demande de résidence permanente, nous demandons que des permis de séjour temporaires soient délivrés aux demandeurs, conformément au paragraphe 24(1) de la LIPR. » Pour ce qui est de cette question, l’agent a formulé la conclusion suivante : [traduction] « La présente demande ne relève pas de mes fonctions » et « il faudrait déposer une demande distincte à cet égard ».

[32]  Les demandeurs ont soutenu que c’était une erreur de droit qui devrait entraîner une annulation de la décision. Les demandeurs soutiennent qu’une demande de permis de séjour temporaires relève directement des fonctions de l’agent. Le défendeur soutient que cette thèse est erronée, étant donné que l’agent, en tant qu’agent principal d’immigration dans une région, n’avait pas le pouvoir délégué d’examiner une demande de permis de séjour temporaires en application du point 84 de l’Instrument de désignation et de délégation signé par l’honorable John McCallum, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à l’époque, le 22 juin 2016. La position du défendeur est correcte. Cela dit, IRCC avait l’obligation d’examiner la demande de permis de séjour temporaires en application du paragraphe 24(1) de la LIPR. Il n’existe pas de disposition qui régisse les formalités des demandes de permis de séjour temporaires. Une simple lettre suffit à enclencher la demande (Japson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 520, [2004] ACF no 694, aux paragraphes 23 à 25 [Japson]; Lee, aux paragraphes 16 à 18; Shah, aux paragraphes 77 à 79; Dhandal, aux paragraphes 11 à 17). Par conséquent, l’agent aurait dû faire suivre la demande de permis de séjour temporaires des demandeurs au décideur approprié lorsqu’il a décidé de rejeter la demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire. Le fait qu’il ne l’a pas fait constitue une erreur susceptible de révision.

[33]  Le défendeur est d’accord d’accueillir la demande de contrôle judiciaire des demandeurs en ce qui concerne cette question. Par conséquent, j’accueille la demande, en ce qui concerne le refus d’examiner la demande de permis de séjour temporaires, et ordonne que l’affaire soit renvoyée à un agent principal d’immigration qui a le pouvoir délégué approprié pour examiner l’affaire.

C.  La décision concernant la demande CH était-elle déraisonnable?

[34]  Je me penche désormais sur le caractère raisonnable de la décision concernant la demande CH. Il vaut la peine de répéter que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur. Une décision raisonnable ne doit pas être une décision correcte ni la décision qu’un juge siégeant en révision aurait rendue face au même ensemble de circonstances.

[35]  À la partie IV des présents motifs, j’ai décrit en quelques détails l’approche adoptée, et les conclusions tirées par l’agent. Bien que l’agent ait peut-être accordé peu de poids à des facteurs que les demandeurs considéraient comme importants, et un poids important à des facteurs que les demandeurs considéraient comme relativement mineurs, la tâche de pondérer les éléments de preuve relève précisément des compétences de l’agent. L’agent a fait des efforts considérables pour examiner chacune des questions soulevées par les demandeurs. Bien que les demandeurs ne soient pas d’accord avec les conclusions de l’agent, je ne peux pas conclure que l’une d’entre elles n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

VIII.  Conclusion

[36]  L’agent avait raison de conclure qu’il n’avait pas l’autorisation d’examiner la demande alternative de permis de séjour temporaires des demandeurs. Toutefois, son affirmation selon laquelle il fallait déposer une demande distincte de permis de séjour temporaires constitue une erreur susceptible de révision. L’agent aurait dû faire suivre cette demande au décideur approprié lorsqu’il a rejeté la demande de résidence permanente des demandeurs au Canada pour des considérations d’ordre humanitaire. Pour ce motif, et avec le consentement du défendeur, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie à cet égard. Je conclus que la décision concernant la demande CH est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire en ce qui concerne cette question est rejetée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1999-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire en ce qui concerne le refus d’examiner les demandes de permis de séjour temporaires est accueillie. Ces demandes sont renvoyées à l’autorité compétente pour un nouvel examen;

  2. La demande de contrôle judiciaire en ce qui concerne le refus de l’agent d’accorder une exception en application du paragraphe 25(1) de la LIPR, pour des considérations d’ordre humanitaire, est rejetée;

  3. Aucune question n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés aux parties.

« B. Richard Bell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de décembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1999-17

 

INTITULÉ :

JULIA NJILABU MPOYI, JOY-RACHEL TSHIABU MPOYI, MAURICE KALONJI KAPUTY MPOYI c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 novembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 mars 2018

 

COMPARUTIONS :

Benjamin Liston

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Asha Gafar

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Benjamin Liston

Avocat

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.