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Date : 20180307


Dossier : T-348-16

Référence : 2018 CF 250

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2018

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

OCEANEX INC.

demanderesse

et

CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS) ET MARINE ATLANTIQUE S.C.C.

défendeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DE TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR

intervenant

JUGEMENT ET MOTIFS

Résumé des faits  4

Les parties  4

Le trajet constitutionnel  7

Dispositions applicables  9

(i) Conditions de l’union  9

(ii) Loi constitutionnelle de 1982  10

(iii) Loi autorisant l’acquisition de Marine Atlantique S.C.C.  11

(iv) Loi sur la gestion des finances publiques  13

(v) Loi sur les transports au Canada  23

(vi) Loi maritime du Canada  25

Éléments de preuve  26

Historique de l’établissement des tarifs  29

L’entente tripartite  31

Entente bilatérale et ententes d’exploitation auxiliaires  32

Stratégie de revitalisation 2007 (phase I)  34

Stratégie de revitalisation 2010 (phase II)  36

Questions en litige et norme de contrôle  39

Question constitutionnelle  41

Observation préliminaire – Demande de contrôle judiciaire d’Oceanex  42

Question en litige no 1 : Qui a pris la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017, le ministre ou Marine Atlantique? Si Marine Atlantique a pris la décision, s’agit-il d’un office fédéral au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales?  43

a) Qui a pris la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017, le ministre ou Marine Atlantique?  44

Observations d’Oceanex  44

Observations de Marine Atlantique  48

Observations du Canada  51

Observations du procureur général de Terre-Neuve  58

Analyse  58

(i) Absence d’exigence législative voulant que le ministre établisse les tarifs de transport de marchandises  58

(ii) Plan d’entreprise  61

(iii) Contrôle sur Marine Atlantique  71

(iv) Entente bilatérale  82

(a) Effet du décret de 1987 sur la modification de l’entente bilatérale  89

(b) Le paragraphe 7(2) de l’entente bilatérale a-t-il été modifié par les parties de sorte que le ministre n’était pas tenu d’approuver les tarifs de Marine Atlantique, lesquels étaient inférieurs à 5 %?  102

b) Marine Atlantique constitue-t-elle un office fédéral?  107

Observations d’Oceanex  108

Observations de Marine Atlantique  111

Analyse  113

(i) Le pouvoir de Marine Atlantique n’est pas conféré par une loi.  116

(ii) Prérogative royale  118

Question en litige no 2 : Oceanex a-t-elle qualité pour produire la demande?  133

Observations d’Oceanex  133

Observations de Marine Atlantique  138

Observations du Canada  139

Analyse  142

(i) Intérêt direct pour agir  142

(ii) Qualité pour agir dans l’intérêt public  153

(a) Question justiciable sérieuse  155

(b) Intérêt réel ou véritable  158

(c) Manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour  160

Question 3 : L’article 5 de la LTC était-il pertinent à la prise de la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017?  166

Observations d’Oceanex  166

Observations de Marine Atlantique  168

Observations du Canada  170

Observations du procureur général de Terre-Neuve  172

Analyse  174

Question 4 : Si l’article 5 de la LTC est une considération pertinente, peut-il restreindre le niveau de coût pour la collectivité que le Canada assume pour offrir des services de traversier sur le trajet constitutionnel, dont la prestation découle des Conditions de l’union?  194

Observations d’Oceanex  194

Observations du Canada  198

Observations de Marine Atlantique  199

Observations du procureur général de Terre-Neuve  202

Analyse  207

Question 5 : La décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 était-elle raisonnable?  224

Conclusion  224

Dépens  227

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Oceanex Inc. (« Oceanex ») aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 (la « Loi sur les Cours fédérales »), contestant une décision qui approuvait les tarifs de 2016-2017 d’offre par Marine Atlantique S.C.C. (« Marine Atlantique ») de services de transport commercial de marchandises par voie maritime entre Port aux Basques (île de Terre-Neuve) et North Sydney (Nouvelle-Écosse). Comme nous le verrons ci-dessous, l’identité du décideur est en cause et la contestation a entraîné un avis de question constitutionnelle.

[2]  Oceanex affirme que le ministre des Transports (le « ministre ») a permis à Marine Atlantique d’imposer des tarifs de transport de marchandises largement subventionnés, qui concurrencent de manière déloyale Oceanex et qui lui sont préjudiciables, et que la décision ayant permis de mettre en place les tarifs commerciaux de transport de marchandises de 2016-2017 (la « décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 ») a été prise sans tenir compte de considérations pertinentes, et en contradiction avec celles-ci, notamment, la Politique nationale des transports (PNT), telle qu’elle est énoncée à l’article 5 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10 (« LTC »). Pour les motifs exposés ci-dessous, j’ai déterminé que la demande d’Oceanex ne peut être accueillie.

Résumé des faits

[3]  Ce qui suit est une courte description des parties, de la législation pertinente, des éléments de preuve et du contexte factuel qui a précédé la prise de décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017.

Les parties

[4]  Oceanex est une société constituée et exploitée en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44 (la « LCSA »). Elle se décrit comme exerçant des activités de transport maritime à courte distance et offrant un service de transport de marchandises intermodal au Canada. En tant que transporteur de marchandises, elle offre des services de transport commercial de marchandises quai à quai réguliers par voie maritime entre les ports d’Halifax (Nouvelle-Écosse), de Montréal (Québec) et de St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador). Elle mentionne qu’elle offre également un service de transport intermodal de marchandises entre l’île de Terre-Neuve et des destinations dans toute l’Amérique du Nord. Oceanex a été constituée en 1991 et, de 1998 à 2007, elle était exploitée en tant que fiducie à activités restreintes et cotée à la Bourse de Toronto. En 2007, un groupe d’investisseurs a fait l’acquisition des actions en circulation d’Oceanex et ils ont privatisé la société. L’un de ces investisseurs était le capitaine Sidney J. Hynes, qui occupe la fonction de président exécutif d’Oceanex depuis la privatisation. Oceanex possède et exploite actuellement trois navires et affirme qu’elle transporte tout type de mouvement de marchandises, y compris les cargaisons diverses, le matériel de manutention horizontale, les conteneurs et les remorques.

[5]  Marine Atlantique est une société constituée et exploitée aux termes de la LCSA. Elle est aussi une société d’État mère, tel que cela est défini au paragraphe 83(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 (« LGFP »), et figure comme telle à l’Annexe III de la LGFP. En tant que société d’État, ses activités de société et sa gestion des finances sont régies par la partie X de la LGFP. Selon l’histoire de la société, CN Marine Corporation a été constituée en personne morale en décembre 1977, aux termes de la LGFP, époque à laquelle ses actions étaient détenues par sa société mère, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le « CN »). En décembre 1978, le nom de CN Marine Corporation est devenu CN Marine Inc. En 1986, conformément à la Loi autorisant l’acquisition de Marine Atlantique S.C.C., L.C. 1986, ch. 36 (« LAAMA »), le ministre a fait l’acquisition auprès du CN de toutes les actions ordinaires de CN Marine Inc. qui étaient détenues en fiducies par Sa Majesté du chef du Canada et, conformément à l’article 3 de la LAAMA, le nom de la société est devenu Marine Atlantique S.S.C.

[6]  Marine Atlantique offre actuellement des services pour deux liaisons. La première est un service quotidien offert toute l’année entre North Sydney (Nouvelle-Écosse) et Port aux Basques (Terre-Neuve-et-Labrador) qui transporte à la fois des voyageurs et des expéditions commerciales. Le trajet de 96 milles marins prend environ six heures d’un port à l’autre. Hors saison, de janvier à mars, il y a au moins deux traversées prévues par jour à partir de North Sydney et de Port aux Basques, soit 28 traversées par semaine. Pendant la saison intermédiaire, de septembre à décembre et d’avril à juin, le rythme passe à 34 traversées par semaine et, en haute saison, de juillet à août, il y a 46 traversées par semaine. La deuxième liaison est entre North Sydney et Argentia (Terre-Neuve-et-Labrador). Elle est saisonnière, de juin à septembre, sert principalement au transport des passagers, est un trajet de 280 milles marins, ce qui prend environ 14 h à 16 h de port à port, et est offerte une fois par jour du lundi au samedi. Marine Atlantique exploite actuellement quatre navires qui peuvent accueillir le trafic commercial et de véhicules de tourisme privés, ainsi que des passagers. Elle possède trois de ces navires et en affrète un quatrième.

[7]  Il incombe au ministre des Transports d’assurer la gestion et la direction du ministère des Transports (« Transports Canada » ou « TC ») (paragraphe 3(2) de la Loi sur le ministère des Transports, L.R.C. (1985), ch. T-18 (la « Loi sur le ministère des Transports »). Cela comprend répondre des sociétés d’État relevant de la compétence de Transports Canada, comme Marine Atlantique, devant le Parlement. La Direction générale de la gouvernance du portefeuille et des sociétés d’État de Transports Canada appuie le ministre dans l’exercice de ces responsabilités visant à rendre compte au Parlement. Le Canada reconnaît qu’aux termes des Conditions de l’union de Terre-Neuve au Canada (« Conditions de l’union »), qui sont incorporés à la Loi sur Terre-Neuve, 12-13 George VI, ch. 22 (R.‑U.) (la « Loi sur Terre-Neuve »), citée au paragraphe 52(2) de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, ch. 11 (la « Loi constitutionnelle de 1982 ») et, par conséquent, font partie de la Constitution du Canada, le Canada a l’obligation constitutionnelle de fournir un service de traversier entre North Sydney (Nouvelle-Écosse) et Port aux Basques (Terre-Neuve-et-Labrador) (le « trajet constitutionnel »). Le service est effectué par Marine Atlantique.

[8]  En vertu d’une ordonnance datée du 19 juillet 2016, le procureur général de Terre-Neuve-et-Labrador (le « procureur général de Terre-Neuve ») a obtenu le statut d’intervenant dans cette demande. Le procureur général de Terre-Neuve affirme intervenir parce que la demande exige une interprétation judiciaire de quelques-unes des dispositions les plus importantes des Conditions de l’union et parce que toute décision éliminant ou réduisant la subvention fédérale accordée à Marine Atlantique sera préjudiciable à l’économie et au bien-être des citoyens de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le trajet constitutionnel

[9]  Bien que la distance du trajet constitutionnel ne soit pas longue, seulement 96 milles marins, le trajet est extrêmement important pour les résidents et l’économie de Terre-Neuve-et-Labrador. Ce trajet a été décrit comme la planche de salut économique de la province : il permet de livrer de la marchandise aux magasins, d’exporter vers des marchés, de transporter les touristes jusqu’aux hôtels et des amis et de la famille chez eux; comme l’autoroute maritime de la province (On Deck & Below: A Report on the Gulf Ferry Forum, rapport de septembre 1999 au ministre fédéral des Transports, affidavit de M. Leamon, pièce 4), et comme [traduction] « un élément d’infrastructure essentiel à la consolidation de l’économie de la province » (Our Place in Canada: Main Report of the Royal Commission on Renewing and Strengthening Our Place in Canada, affidavit de M. Leamon, pièce 6). En ce qui a trait au service de traversier du trajet constitutionnel, un rapport d’examen spécial de Marine Atlantique préparé par le vérificateur général du Canada (« rapport de 2009 du vérificateur général ») a décrit Marine Atlantique, qui est le seul fournisseur de services de traversier pour ce trajet, comme un axe de transport vital vers Terre-Neuve-et-Labrador. Ses clients commerciaux transportent environ la moitié des biens qui entrent dans la province, notamment 90 % environ des produits périssables (affidavit de M. Leamon, pièce 8). Le Conseil canadien des relations industrielles a jugé en 2003 qu’une grève ou un lock-out touchant le service de traversier de Marine Atlantique à tout moment de l’année imposerait un risque imminent et grave pour la sécurité ou la santé du public à Terre-Neuve (décision Marine Atlantique S.C.C., 2004 CCRI 275, aux paragraphes 41 à 45, affidavit de M. Leamon, pièce 5) et, un rapport préparé par le comité consultatif du ministre des Transports sur Marine Atlantique S.C.C. souligne qu’il est généralement reconnu que Marine Atlantique joue un rôle essentiel dans la vie économique et sociale de la province, transportant près de 37 % de tous les passagers, 65 % de toute la marchandise (y compris 95 % de tous les produits périssables) ainsi que des marchandises dangereuses, et que les touristes voyageant par traversier contribuent à l’économie de la province (A Strategy for the Future of Marine Atlantic Inc., comité consultatif du ministre des Transports sur Marine Atlantique S.C.C., le 31 mars 2005, affidavit de M. Leamon, pièce 7).

Dispositions applicables

(i)  Conditions de l’union

[10]  Lorsque Terre-Neuve est devenue une province du Canada en 1949, le fondement établi pour cette union était établi dans les Conditions de l’union. Les articles 31, 32 et 36 s’appliquent à la présente demande :

Services, ouvrages et biens publics

31.  À la date de l’Union ou aussitôt que possible après cette date, le Canada prendra à son compte les services ci-après énumérés et, à compter de la date de l’Union, libérera la province de Terre-Neuve des frais publics subis à l’égard de chaque service absorbé, savoir :

a)  Le chemin de fer de Terre-Neuve, y compris le service de vapeurs et autres services maritimes;

b)  Le Newfoundland Hotel, si le gouvernement de la province de Terre-Neuve le demande dans les six mois à compter de la date de l’Union;

c)  Le service postal et les services télégraphiques et téléphoniques d’État;

d)  L’aviation civile, y compris l’aéroport de Gander;

e)  Les douanes et l’accise;

f)  La défense;

g)  La protection et l’encouragement de la pêche et l’exploitation des services de boëtte;

h)  Les levés géologiques, topographiques, géodésiques et hydrographiques;

i)  Les phares, signaux de brume, bouées, balises et autres ouvrages et services publics d’aide à la navigation et à la marine marchande;

j)  Les hôpitaux maritimes, le service de quarantaine et le soin des équipages naufragés;

k)  Le réseau de radiodiffusion d’État; et

l)  D’autres services publics analogues à ceux dont bénéficiera l’ensemble de la population du Canada à la date de l’Union.

32. (1)  Le Canada maintiendra, selon le volume du trafic offert, un service de bateaux à vapeur pour le transport des marchandises et des passagers entre North Sydney et Port-aux-Basques; ce service, dès qu’une route pour véhicules à moteur aura été ouverte entre Corner Brook et Port-aux-Basques, assurera aussi, dans une mesure convenable, le transport des véhicules à moteur.

(2)  Aux fins de la réglementation des tarifs ferroviaires, l’île de Terre-Neuve sera comprise dans la région maritime du Canada et le transport direct entre North Sydney et Port-aux-Basques sera classé comme exclusivement ferroviaire.

(3)  Toute législation du Parlement du Canada accordant des taux spéciaux pour le transport à l’intérieur, à destination ou en provenance de la région maritime sera, dans la mesure appropriée, rendue applicable à l’île de Terre-Neuve.

[...]

36.  Sans préjudice de l’autorité législative du Parlement du Canada prévue dans les Lois constitutionnelles de 1867 à 1940, tous ouvrages, biens ou services pris ou absorbés par le Canada en vertu des présentes clauses relèveront dès lors de l’autorité législative du Parlement du Canada.

(ii)  Loi constitutionnelle de 1982

[11]  Aux termes de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, les Conditions de l’union font partie de la Constitution du Canada :

52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

52. (1) The Constitution of Canada is the supreme law of Canada, and any law that is inconsistent with the provisions of the Constitution is, to the extent of the inconsistency, of no force or effect.

(2) La Constitution du Canada comprend :

(2) The Constitution of Canada includes

a) la Loi de 1982 sur le Canada, y compris la présente loi;

b) les textes législatifs et les décrets figurant à l’annexe;

c) les modifications des textes législatifs et des décrets mentionnés aux alinéas a) ou b).

(a) the Canada Act 1982, including this Act;

(b) the Acts and orders referred to in the schedule; and

(c) any amendment to any Act or order referred to in paragraph (a) or (b).

(3) La Constitution du Canada ne peut être modifiée que conformément aux pouvoirs conférés par elle.

(3) Amendments to the Constitution of Canada shall be made only in accordance with the authority contained in the Constitution of Canada.

[12]  L’article 53 et l’Annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, actualisation de la constitution, énumèrent les modifications à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, tel qu’il a été modifié, maintenant la Loi constitutionnelle de 1867, et d’autres textes législatifs admettant les provinces et les territoires. La Loi sur Terre-Neuve est ainsi énumérée, les Conditions de l’union en constituant une annexe.

(iii)  Loi autorisant l’acquisition de Marine Atlantique S.C.C.

[13]  Conformément au paragraphe 3(1) de la LAAMA, le 27 juin 1986, le nom Marine Atlantique S.C.C. a été substitué à celui de CN Marine Inc., une société constituée en vertu de la Loi sur les sociétés commerciales canadiennes, et les statuts de la société ont été modifiés en conséquence. En outre, le ministre a été autorisé à acquérir toutes les actions ordinaires de Marine Atlantique détenues par le CN et en a fait l’acquisition en fiducie pour Sa Majesté du chef du Canada (paragraphe 4(2)). Les articles 7 et 8 concernent certains biens ou ouvrages et l’article 9 traite de la modification des statuts de Marine Atlantique afin de limiter ses activités au transport maritime :

7 (1) Au reçu de l’ordre du ministre, la Société nationale transfère à Sa Majesté du chef du Canada les biens et ouvrages énumérés à la partie II de l’annexe B du décret C.P. 1979-1449 du 9 mai 1979.

(2) Le ministre est chargé de la gestion et du contrôle des biens et ouvrages transférés à Sa Majesté en application du paragraphe (1).

7 (1) On the direction of the Minister, the National Company shall transfer to Her Majesty in right of Canada the property and works listed in Part II of Schedule B to Order in Council P.C. 1979-1449 of May 9, 1979.

(2) The management, administration and control of the property and works transferred to Her Majesty pursuant to subsection (1) is hereby vested in the Minister.

8 Le ministre peut, aux conditions que le gouverneur en conseil détermine, vendre ou donner en location à Marine Atlantique S.C.C., ou d’une façon générale aliéner au profit de la société, ou permettre à celle-ci, selon entente écrite, d’utiliser les biens suivants — dont la propriété, le contrôle ou l’occupation appartient à Sa Majesté — gérés ou contrôlés par le ministre :

a) des biens meubles ou immeubles, ou des droits sur ceux-ci;

b) tout pouvoir, droit ou privilège afférent à des biens meubles ou immeubles, ou des droits liés à tel pouvoir, droit ou privilège.

8 The Minister, on such terms and conditions as the Governor in Council may prescribe, may sell, lease or otherwise dispose of to Marine Atlantic Inc., or by agreement in writing permit Marine Atlantic Inc. to use,

(a) any real or personal property or interest therein, or

(b) any power, right or privilege over or with respect to any real or personal property or interest therein

that is vested in or owned, controlled or occupied by Her Majesty in right of Canada and over which the Minister has the management, administration or control.

9 Le ministre et Marine Atlantique S.C.C. sont autorisés à prendre les mesures nécessaires pour modifier les statuts de Marine Atlantique S.C.C. afin de limiter les activités de la société à l’acquisition, la mise sur pied, la gestion et l’exploitation d’un service de transport maritime, d’un service d’entretien, de réparations et de radoub, d’une entreprise de construction navale et d’une entreprise ou de services corrélatifs. La procédure de modification est entamée dans les trois mois suivant l’entrée en vigueur du présent article.

9 The Minister and Marine Atlantic Inc. are hereby authorized to take, and shall within three months after the coming into force of this section take, such steps as are necessary to amend the articles of Marine Atlantic Inc. to restrict the business that it may carry on to the acquisition, establishment, management and operation of a marine transportation service, a marine maintenance, repair and refit service, a marine construction business and any service or business related thereto.

(iv)  Loi sur la gestion des finances publiques

[14]  La partie X de la LGFP concerne les sociétés d’État et lie Sa Majesté (article 84). Le paragraphe 83(1) énonce les définitions pour cette partie, y compris la définition d’une « société d’État mère » qui signifie une personne morale appartenant directement à cent pour cent à Sa Majesté, à l’exclusion des établissements publics.

[15]  Conformément au paragraphe 83(2), une personne morale appartient directement à cent pour cent à Sa Majesté si :

a) toutes les actions en circulation de la personne morale, sauf les actions nécessaires pour conférer la qualité d’administrateur, sont détenues, autrement qu’à titre de garantie seulement, par Sa Majesté, en son nom ou en fiducie pour elle;

b) les administrateurs de la personne morale, sauf les administrateurs nommés d’office, sont nommés par le gouverneur en conseil ou par un ministre avec l’approbation du gouverneur en conseil.

(a) all of the issued and outstanding shares of the corporation, other than shares necessary to qualify persons as directors, are held, otherwise than by way of security only, by, on behalf of or in trust for the Crown; or

(b) all the directors of the corporation, other than ex officio directors, are appointed by the Governor in Council or by a minister of the Crown with the approval of the Governor in Council.

[16]  Les activités des sociétés sont abordées dans la section I de la LGFP. Les sociétés d’État sont responsables en dernier ressort devant le Parlement, par l’intermédiaire de leur ministre de tutelle, de l’exercice de leurs activités (article 88). Sur recommandation du ministre, le gouverneur en conseil peut donner des instructions à une société d’État mère, s’il estime qu’il est d’intérêt public de le faire (paragraphe 89(1)). Toutefois, avant que ne soient données des instructions, le ministre de tutelle consulte le conseil d’administration sur leur teneur et leurs effets (paragraphe 89(2)). Le ministre doit aussi faire déposer le texte des instructions qui sont données à une société d’État mère devant chaque chambre du Parlement dans les quinze premiers jours de séance de celle-ci suivant la date de ces instructions (paragraphe 89(4)). Les sociétés d’État mères avisent immédiatement le ministre de la mise en œuvre des instructions qu’elles ont reçues ainsi que de celle de toute mesure connexe (paragraphe 89(6)).

[17]  La section II porte sur les administrateurs et les dirigeants. Administrateurs-dirigeants s’entend du président et du premier dirigeant, indépendamment de leur titre, d’une société d’État mère (article 104.1). L’article 105 prévoit la nomination des administrateurs et des administrateurs-dirigeants :

105 (1) À l’exception des administrateurs-dirigeants, les administrateurs d’une société d’État mère sont nommés à titre amovible par le ministre de tutelle, avec l’approbation du gouverneur en conseil, pour des mandats respectifs de quatre ans au maximum, ces mandats étant, dans la mesure du possible, échelonnés de manière que leur expiration au cours d’une même année touche au plus la moitié des administrateurs.

105 (1) Each director, other than an officer-director, of a parent Crown corporation shall be appointed by the appropriate Minister, with the approval of the Governor in Council, to hold office during pleasure for a term not exceeding four years that will ensure, as far as possible, the expiration in any one year of the terms of office of not more than one half of the directors of the corporation.

...

...

(5) Les administrateurs-dirigeants d’une société d’État mère sont nommés à titre amovible par le gouverneur en conseil pour le mandat que celui-ci estime indiqué.

(5) Each officer-director of a parent Crown corporation shall be appointed by the Governor in Council to hold office during pleasure for such term as the Governor in Council considers appropriate.

[18]  Sous réserve des dispositions de la partie X, le conseil d’administration d’une société d’État est chargé de la gestion des activités de celle-ci (article 109).

[19]  La section III porte sur la gestion et le contrôle financiers :

122 (1) Chaque société d’État mère établit annuellement un plan d’entreprise qu’elle remet au ministre de tutelle pour que celui-ci et, si les règlements l’exigent, le ministre des Finances en recommandent l’approbation au gouverneur en conseil.

122 (1) Each parent Crown corporation shall annually submit a corporate plan to the appropriate Minister for the approval of the Governor in Council on the recommendation of the appropriate Minister and, if required by the regulations, on the recommendation of the Minister of Finance.

(2) Le plan d’une société d’État mère traite de toutes les activités de la société et, le cas échéant, de ses filiales à cent pour cent, y compris leurs investissements.

(2) The corporate plan of a parent Crown corporation shall encompass all the businesses and activities, including investments, of the corporation and its wholly-owned subsidiaries, if any.

(3) Le plan d’une société d’État mère comporte notamment les renseignements suivants :

a) les buts pour lesquels elle a été constituée ou les restrictions quant aux activités qu’elle peut exercer, tels qu’ils figurent dans son acte constitutif;

b) ses objectifs pour la durée du plan et chaque année d’exécution de celui-ci, ainsi que les règles d’action qu’elle prévoit de mettre en oeuvre à cette fin;

c) ses prévisions de résultats pour l’année durant laquelle le plan doit, en conformité avec les règlements, être remis, par rapport aux objectifs pour cette année mentionnés au dernier plan, original ou modifié, approuvé en conformité avec le présent article.

(3) The corporate plan of a parent Crown corporation shall include a statement of

(a) the objects or purposes for which the corporation is incorporated, or the restrictions on the businesses or activities that it may carry on, as set out in its charter;

(b) the corporation’s objectives for the period to which the plan relates and for each year in that period and the strategy the corporation intends to employ to achieve those objectives; and

(c) the corporation’s expected performance for the year in which the plan is required by the regulations to be submitted as compared to its objectives for that year as set out in the last corporate plan or any amendment thereto approved pursuant to this section.

(4) Le plan d’une société d’État mère doit mettre en évidence les principales activités de la société et, le cas échéant, de ses filiales à cent pour cent.

(4) The corporate plan of a parent Crown corporation shall be prepared in a form that clearly sets out information according to the major businesses or activities of the corporation and its wholly-owned subsidiaries, if any.

(5) Il est interdit à une société d’État mère ou à une de ses filiales à cent pour cent d’exercer pendant quelque période que ce soit des activités d’une façon incompatible avec le dernier plan, original ou modifié, qui a été approuvé en conformité avec le présent article pour cette période.

(5) No parent Crown corporation or wholly-owned subsidiary of a parent Crown corporation shall carry on any business or activity in any period in a manner that is not consistent with the last corporate plan of the parent Crown corporation or any amendment thereto approved pursuant to this section in respect of that period.

(6) Dans le cas où une société d’État mère ou l’une de ses filiales à cent pour cent se propose d’exercer une activité d’une façon incompatible avec le dernier plan, original ou modifié, approuvé en conformité avec le présent article, la société, avant que cette activité ne soit commencée, soumet un projet de modification du plan au ministre de tutelle pour qu’il en recommande l’approbation dans les conditions prévues au paragraphe (1).

(6) Where a parent Crown corporation, or a wholly-owned subsidiary of a parent Crown corporation, proposes to carry on any business or activity in any period in a manner that is not consistent with the last corporate plan of the corporation or any amendment thereto approved pursuant to this section in respect of that period, the corporation shall, before that business or activity is so carried on, submit an amendment to the corporate plan to the appropriate Minister for approval as described in subsection (1).

(6.1) Le gouverneur en conseil peut assortir de conditions l’approbation d’un plan ou de ses modifications.

(6.1) The Governor in Council may specify such terms and conditions as the Governor in Council deems appropriate for the approval of a corporate plan or an amendment to a corporate plan.

(7) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, indiquer, pour l’application du présent article, les circonstances qui nécessitent la recommandation du ministre des Finances pour l’approbation du plan, original ou modifié.

(7) The Governor in Council may make regulations prescribing, for the purposes of this section, the circumstances in which the recommendation of the Minister of Finance is required for the approval of a corporate plan or an amendment thereto.

[20]  L’article 120 définit les objectifs comme suit : les objectifs d’une société d’État mère mentionnés dans son plan, original ou modifié, approuvé en conformité avec l’article 122. Les articles 123 et 124 traitent de l’établissement annuel d’un budget de fonctionnement et de budgets d’investissement respectivement :

123 (1) Chaque société d’État mère mentionnée à la partie I de l’annexe III établit annuellement un budget de fonctionnement pour l’exercice suivant; elle le remet au ministre de tutelle pour qu’il en recommande l’approbation au Conseil du Trésor.

123 (1) Each parent Crown corporation named in Part I of Schedule III shall annually submit an operating budget for the next following financial year of the corporation to the appropriate Minister for the approval of the Treasury Board on the recommendation of the appropriate Minister.

(2) Le budget de fonctionnement d’une société d’État mère traite de toutes les activités de la société et, le cas échéant, de ses filiales à cent pour cent, y compris leurs investissements.

(2) The operating budget of a parent Crown corporation shall encompass all the businesses and activities, including investments, of the corporation and its wholly-owned subsidiaries, if any.

(3) Le budget de fonctionnement d’une société d’État mère doit mettre en évidence les principales activités de la société et, le cas échéant, de ses filiales à cent pour cent.

(3) The operating budget of a parent Crown corporation shall be prepared in a form that clearly sets out information according to the major businesses or activities of the corporation and its wholly-owned subsidiaries, if any.

(4) La société d’État mère qui prévoit que le total de ses dépenses ou de ses engagements de dépenses pour une activité principale au cours d’un exercice différera sensiblement du total prévu pour cette activité dans le budget de fonctionnement, original ou modifié, approuvé pour l’exercice en conformité avec le présent article, soumet un projet de modification du budget au ministre de tutelle pour qu’il en recommande l’approbation au Conseil du Trésor.

(4) Where a parent Crown corporation anticipates that the total amount of expenditures or commitments to make expenditures in respect of any major business or activity in a financial year will vary significantly from the total amount projected for that major business or activity in an operating budget of the corporation or any amendment thereto that is approved pursuant to this section for that year, the corporation shall submit an amendment to the budget to the appropriate Minister for the approval of the Treasury Board on the recommendation of the appropriate Minister.

(5) Le Conseil du Trésor peut assortir de conditions l’approbation du budget de fonctionnement ou de ses modifications.

(5) The Treasury Board may specify such terms and conditions as it deems appropriate for the approval of an operating budget or an amendment to an operating budget.

124 (1) Chaque société d’État mère établit annuellement un budget d’investissement pour l’exercice suivant; elle le remet au ministre de tutelle pour qu’il en recommande l’approbation au Conseil du Trésor.

124 (1) Each parent Crown corporation shall annually submit a capital budget for the next following financial year of the corporation to the appropriate Minister for the approval of the Treasury Board on the recommendation of the appropriate Minister.

(2) Le budget d’investissement d’une société d’État mère traite de toutes les activités de la société et, le cas échéant, de ses filiales à cent pour cent, y compris leurs investissements.

(2) The capital budget of a parent Crown corporation shall encompass all the businesses and activities, including investments, of the corporation and its wholly-owned subsidiaries, if any.

(3) Le Conseil du Trésor peut approuver un poste du budget d’investissement visé au paragraphe (1) pour un ou plusieurs exercices suivant celui que vise le budget.

(3) The Treasury Board may approve any item in a capital budget submitted pursuant to subsection (1) for any financial year or years after the financial year for which the budget is submitted.

(4) Le budget d’investissement d’une société d’État mère doit mettre en évidence les principales activités de la société et, le cas échéant, de ses filiales à cent pour cent.

(4) The capital budget of a parent Crown corporation shall be prepared in a form that clearly sets out information according to the major businesses or activities of the corporation and its wholly-owned subsidiaries, if any.

(5) Il est interdit à une société d’État mère ou à une de ses filiales à cent pour cent d’effectuer une dépense d’investissement ou de s’y engager au cours d’un exercice pour lequel la société doit présenter un budget en vertu du présent article, sauf dans les cas suivants :

a) un budget pour cet exercice a été approuvé en conformité avec le présent article;

b) la dépense ou l’engagement:

(i) figure dans un poste relatif à l’exercice et approuvé en conformité avec le paragraphe (3) pour un exercice précédent,

(ii) a été approuvé expressément en conformité avec le présent article comme s’il s’agissait d’un budget d’investissement,

(iii) est, selon le conseil d’administration de la société ou de la filiale, essentiel à la poursuite des activités courantes de l’une ou l’autre telles qu’elles figurent au plan ou au budget de la société approuvés en conformité avec le présent article ou avec les articles 122 ou 123.

(5) No parent Crown corporation or wholly-owned subsidiary of a parent Crown corporation shall incur, or make a commitment to incur, a capital expenditure in any financial year for which the corporation is required to submit a budget pursuant to this section, unless

(a) a budget for that year has been approved pursuant to this section; or

(b) the expenditure or commitment

(i) is included in an item for that year that has been approved pursuant to subsection (3) as part of a budget for a previous year,

(ii) has been specifically approved pursuant to this section as though it were a capital budget, or

(iii) is, in the opinion of the board of directors of the corporation or subsidiary, essential to continue a current business or activity of the corporation or subsidiary as set out in a corporate plan or budget of the corporation that has been approved pursuant to this section or section 122 or 123.

(6) La société d’État mère qui prévoit que le total de ses dépenses ou de ses engagements de dépenses pour une activité principale au cours d’un exercice différera sensiblement, à cause d’un ou de plusieurs projets de dépenses ou d’engagements, du total prévu pour cette activité dans le budget d’investissement, original ou modifié, approuvé pour l’exercice en conformité avec le présent article, soumet un projet de modification du budget au ministre de tutelle pour qu’il en recommande l’approbation au Conseil du Trésor; ces dépenses et engagements ne peuvent se faire avant l’approbation.

(6) Where, by reason of any one or more proposed expenditures or commitments to make expenditures, a parent Crown corporation anticipates that the total amount of expenditures or commitments to make expenditures in respect of any major business or activity in a financial year will vary significantly from the total amount projected for that major business or activity in a capital budget of the corporation or any amendment thereto that is approved pursuant to this section for that year, the corporation shall submit an amendment to the budget to the appropriate Minister for the approval of the Treasury Board on the recommendation of the appropriate Minister, and the expenditure or expenditures shall not be incurred or commitments made before that approval is obtained.

(7) Le ministre des Finances peut exiger que sa propre recommandation, en plus de celle du ministre de tutelle, accompagne un budget d’investissement, original ou modifié, soumis au Conseil du Trésor pour approbation.

(7) The Minister of Finance may require that his recommendation, in addition to that of the appropriate Minister, be obtained before a capital budget or an amendment to a capital budget is submitted to the Treasury Board for approval under this section.

(8) Le Conseil du Trésor peut assortir de conditions l’approbation du budget d’investissement ou de ses modifications.

(8) The Treasury Board may specify such terms and conditions as it deems appropriate for the approval of a capital budget or an amendment to a capital budget.

125 (1) Une fois son plan, budget de fonctionnement ou budget d’investissement, originaux ou modifiés, approuvés en conformité avec les articles 122, 123 ou 124, la société d’État mère en établit un résumé qu’elle soumet au ministre de tutelle pour son approbation.

125 (1) After a corporate plan, operating budget or capital budget, or an amendment thereto, is approved pursuant to section 122, 123 or 124, the parent Crown corporation shall submit a summary of the plan or budget, or the plan or budget as so amended, to the appropriate Minister for his approval.

(2) Le résumé traite de toutes les activités de la société d’État mère et, le cas échéant, de ses filiales à cent pour cent, y compris leurs investissements, et souligne les décisions importantes prises à ces fins.

(2) A summary shall encompass all the businesses and activities, including investments, of the parent Crown corporation and its wholly-owned subsidiaries, if any, and shall set out the major business decisions taken with respect thereto.

(3) Le résumé doit mettre en évidence les principales activités de la société d’État mère et, le cas échéant, de ses filiales à cent pour cent.

(3) A summary shall be prepared in a form that clearly sets out information according to the major businesses or activities of the parent Crown corporation and its wholly-owned subsidiaries, if any.

(4) Le ministre de tutelle fait déposer devant chaque chambre du Parlement un exemplaire de chaque résumé qu’il approuve en conformité avec le présent article.

(4) The appropriate Minister shall cause a copy of every summary he approves pursuant to this section to be laid before each House of Parliament.

(5) Le résumé déposé devant le Parlement en conformité avec le paragraphe (4) est automatiquement renvoyé devant le comité parlementaire chargé des questions qui touchent aux activités de la société qui a établi le résumé.

(5) A summary laid before Parliament pursuant to subsection (4) stands permanently referred to such committee of Parliament as may be designated or established to review matters relating to the businesses and activities of the corporation submitting the summary.

(v)  Loi sur les transports au Canada

[21]  La LTC lie Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province (article 2) et s’applique aux questions de transport relevant de la compétence législative du Parlement (article 3). Sous réserve du paragraphe 4(3), qui ne s’applique pas en l’espèce, les dispositions de la LTC — sauf celles de la section IV de la partie III — et les actes accomplis sous leur régime ne portent pas atteinte à l’application de la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34 (paragraphe 4(2)).

[22]  À l’article 5, la LTC énonce la PNT par déclaration :

5 Il est déclaré qu’un système de transport national compétitif et rentable qui respecte les plus hautes normes possibles de sûreté et de sécurité, qui favorise un environnement durable et qui utilise tous les modes de transport au mieux et au coût le plus bas possible est essentiel à la satisfaction des besoins de ses usagers et au bien-être des Canadiens et favorise la compétitivité et la croissance économique dans les régions rurales et urbaines partout au Canada. Ces objectifs sont plus susceptibles d’être atteints si :

a) la concurrence et les forces du marché, au sein des divers modes de transport et entre eux, sont les principaux facteurs en jeu dans la prestation de services de transport viables et efficaces;

b) la réglementation et les mesures publiques stratégiques sont utilisées pour l’obtention de résultats de nature économique, environnementale ou sociale ou de résultats dans le domaine de la sûreté et de la sécurité que la concurrence et les forces du marché ne permettent pas d’atteindre de manière satisfaisante, sans pour autant favoriser indûment un mode de transport donné ou en réduire les avantages inhérents;

c) les prix et modalités ne constituent pas un obstacle abusif au trafic à l’intérieur du Canada ou à l’exportation des marchandises du Canada;

d) le système de transport est accessible sans obstacle abusif à la circulation des personnes, y compris les personnes ayant une déficience;

e) les secteurs public et privé travaillent ensemble pour le maintien d’un système de transport intégré.

5 It is declared that a competitive, economic and efficient national transportation system that meets the highest practicable safety and security standards and contributes to a sustainable environment and makes the best use of all modes of transportation at the lowest total cost is essential to serve the needs of its users, advance the well-being of Canadians and enable competitiveness and economic growth in both urban and rural areas throughout Canada. Those objectives are most likely to be achieved when

(a) competition and market forces, both within and among the various modes of transportation, are the prime agents in providing viable and effective transportation services;

(b) regulation and strategic public intervention are used to achieve economic, safety, security, environmental or social outcomes that cannot be achieved satisfactorily by competition and market forces and do not unduly favour, or reduce the inherent advantages of, any particular mode of transportation;

(c) rates and conditions do not constitute an undue obstacle to the movement of traffic within Canada or to the export of goods from Canada;

(d) the transportation system is accessible without undue obstacle to the mobility of persons, including persons with disabilities; and

(e) governments and the private sector work together for an integrated transportation system.

(vi)  Loi maritime du Canada

[23]  La Loi maritime du Canada, L.C. 1998, ch. 10 (la « LMC ») énonce son but comme étant le suivant :

4 Compte tenu de l’importance du transport maritime au Canada et de sa contribution à l’économie canadienne, la présente loi a pour objet de :

a) mettre en oeuvre une politique maritime qui permette au Canada de se doter de l’infrastructure maritime dont il a besoin, qui le soutienne efficacement dans la réalisation de ses objectifs socioéconomiques nationaux, régionaux et locaux aussi bien que commerciaux, et l’aide à promouvoir et préserver sa compétitivité;

a.1) promouvoir la vitalité des ports dans le but de contribuer à la compétitivité, la croissance et la prospérité économique du Canada;

b) fonder l’infrastructure maritime et les services sur des pratiques internationales et des approches compatibles avec celles de ses principaux partenaires commerciaux dans le but de promouvoir l’harmonisation des normes qu’appliquent les différentes autorités;

c) veiller à ce que les services de transport maritime soient organisés de façon à satisfaire les besoins des utilisateurs et leur soient offerts à un coût raisonnable;

d) fournir un niveau élevé de sécurité et de protection de l’environnement;

e) offrir un niveau élevé d’autonomie aux administrations locales ou régionales des composantes du réseau des services et installations portuaires et prendre en compte les priorités et les besoins locaux;

f) gérer l’infrastructure maritime et les services d’une façon commerciale qui favorise et prend en compte l’apport des utilisateurs et de la collectivité où un port ou havre est situé;

g) prévoir la cession, notamment par voie de transfert, de certains ports et installations portuaires;

h) favoriser la coordination et l’intégration des activités maritimes avec les réseaux de transport aérien et terrestre.

4 In recognition of the significance of marine transportation to Canada and its contribution to the Canadian economy, the purpose of this Act is to

(a) implement marine policies that provide Canada with the marine infrastructure that it needs and that offer effective support for the achievement of national, regional and local social and economic objectives and will promote and safeguard Canada’s competitiveness and trade objectives;

(a.1) promote the success of ports for the purpose of contributing to the competitiveness, growth and prosperity of the Canadian economy;

(b) base the marine infrastructure and services on international practices and approaches that are consistent with those of Canada’s major trading partners in order to foster harmonization of standards among jurisdictions;

(c) ensure that marine transportation services are organized to satisfy the needs of users and are available at a reasonable cost to the users;

(d) provide for a high level of safety and environmental protection;

(e) provide a high degree of autonomy for local or regional management of components of the system of services and facilities and be responsive to local needs and priorities;

(f) manage the marine infrastructure and services in a commercial manner that encourages, and takes into account, input from users and the community in which a port or harbour is located;

(g) provide for the disposition, by transfer or otherwise, of certain ports and port facilities; and

(h) promote coordination and integration of marine activities with surface and air transportation system.

Éléments de preuve

[24]  Les documents soumis par les parties à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire et en réponse à celle-ci sont abondants. Ils comprennent ne nombreux affidavits accompagnés de plusieurs pièces, ainsi que des transcriptions de contre-interrogatoires sur ces affidavits. Les présents motifs n’aborderont pas explicitement le contenu de chaque affidavit, toutefois, ils sont les suivants :

Oceanex

  1. Affidavit du capitaine Sidney J. Hynes, directeur général d’Oceanex, souscrit le 8 septembre 2016, accompagné de 75 pièces, offrant des renseignements contextuels sur le marché du transport commercial de marchandises et le transport maritime à courte distance; un historique et une description des activités actuelles d’Oceanex; son témoignage concernant Marine Atlantique et ses rapports avec le gouvernement fédéral, y compris les activités de Marine Atlantique, ses subventions et les prétendues modifications de 2010 à l’entente bilatérale; des communications entre Oceanex et le ministre concernant les préoccupations d’Oceanex relativement au traitement de Marine Atlantique par le gouvernement fédéral, ainsi que son témoignage sur les répercussions négatives des tarifs de transport de marchandises subventionnés sur Oceanex (« affidavit no 1 de M. Hynes »);
  1. Le témoignage d’expert de David Gillen, économiste, souscrit le 8 septembre 2016, offrant un témoignage d’opinion sur le rôle de la concurrence dans l’atteinte des objectifs de politique énoncés dans la LTC; la manière dont des tarifs efficaces sur le plan économique sont fixés sur les marchés du transport et les marchés couverts par Marine Atlantique ainsi que les conséquences du subventionnement des tarifs de transport de marchandises de Marine Atlantique sur Oceanex;
  1. Le témoignage d’expert de Peter Neary, souscrit le 18 août 2016, offrant un témoignage d’opinion sur l’origine et la signification de l’article 32 des Conditions de l’union (le « rapport de M. Neary »);

Canada

  1. Affidavit de Michèle Bergevin, directrice, Gestion du portefeuille, Direction générale de la gouvernance du portefeuille et des sociétés d’État à Transports Canada, souscrit le 28 septembre 2016, joignant, à titre de pièce, une copie du document intitulé [traduction] « Mise en œuvre de la décision annoncée dans le budget de 2010 – Orientation pour le plan d’entreprise de 2010-2011 à 2014-2015 » (« affidavit no 1 de Mme Bergevin »);
  1. Affidavit de Michèle Bergevin souscrit le 7 décembre 2016, accompagné de 22 pièces, traitant du rôle de Transports Canada relativement aux services de traversier pour le transport de marchandises et de passagers, l’obligation du Canada, en vertu des Conditions de l’union, de fournir des services pour le transport de marchandises et de passagers sur le trajet constitutionnel, un aperçu de la prestation de services sur le trajet constitutionnel, un aperçu de Marine Atlantique, de sa gouvernance de la société et de sa structure d’entreprise, ainsi que l’historique de l’établissement des tarifs de Marine Atlantique; et accompagné de renseignements sur les rapports entre Transports Canada et l’industrie maritime (« affidavit no 2 de Mme Bergevin »).

Marine Atlantique

  1. L’affidavit de Shawn Leamon, vice-président des Finances de Marine Atlantique, souscrit le 7 décembre 2016, accompagné de 27 pièces, fournissant des renseignements généraux sur Marine Atlantique; un témoignage sur l’importance du service de traversier de Marine Atlantique pour Terre-Neuve-et-Labrador; un aperçu des activités de Marine Atlantique; des renseignements sur la gouvernance de Marine Atlantique et sa capacité à établir des tarifs; ainsi que des renseignements sur l’analyse des subventions de Jeffrey Church (« affidavit de M. Leamon »);
  1. L’affidavit d’expert de Jeffrey Church, économiste, souscrit le 7 décembre 2016, offrant un témoignage d’opinion quant à savoir si le profit additionnel tiré du service aux véhicules commerciaux (pour le transport de marchandises) est positif, ce qui contribuerait aux coûts communs de Marine Atlantique, et réduirait ainsi l’exigence de subvention totale du Canada et, signifiant en réalité que le service de transport de marchandises n’est pas subventionné; et répondant au témoignage de nature économique de David Gillen (« rapport de M. Church »);

Procureur général de Terre-Neuve

  1. Affidavit de Raymond Blake, historien, souscrit le 30 novembre 2016, accompagné de 172 pièces, offrant un témoignage d’opinion sur l’intention des parties aux Conditions de l’union relativement à l’article 32; quant à savoir s’il s’agissait d’un engagement à simplement exploiter des bateaux à vapeur entre deux points ou parfois plus; et quant à savoir s’il devait s’agir d’un service subventionné pour le bénéfice de Terre-Neuve (« rapport de M. Blake »);
  1. Affidavit de Dennis Bruce, économiste, souscrit le 5 décembre 2016, avec 43 sources, répondant au témoignage d’opinion du capitaine Sidney J. Hynes et de David Gillen, et offrant son opinion quant à savoir si les éléments de preuve d’Oceanex ont établi que l’établissement des prix de Marine Atlantique avait des répercussions négatives sur les offres de service d’Oceanex et sur Oceanex, et sur l’incidence sur l’économie de Terre-Neuve-et-Labrador si Marine Atlantique n’était plus subventionnée (« rapport de M. Bruce »);

Affidavits en réponse et en réplique

Oceanex

  1. Affidavit en réponse du capitaine Sidney J. Hynes souscrit le 19 janvier 2017, accompagné de six pièces, répondant à l’affidavit de M. Leamon, au rapport de M. Church et au rapport de M. Bruce (« affidavit no 2 de M. Hynes »);
  1. Affidavit en réponse de David Gillen, souscrit le 19 janvier 2017, répondant aux rapports de M. Church et de M. Bruce;

Procureur général de Terre-Neuve

  1. Affidavit en réponse de Dennis Bruce, souscrit le 1er mars 2017, répondant à l’affidavit no 2 de M. Hynes;

Affidavits complémentaires

Oceanex

  1. Affidavit complémentaire du capitaine Sidney J. Hynes souscrit le 28 février 2017, accompagné de dix pièces, concernant l’admissibilité d’un rapport préparé par Transports Canada par Canadian Pacific Consulting Services (« CPCS ») Transcom Limited (« rapport de CPCS »), daté du 1er mai 2015 (« affidavit no 3 de M. Hynes »);

Autres affidavits complémentaires

Marine Atlantique

  1. Affidavit de Murray Hupman, vice-président des Opérations de Marine Atlantique, souscrit le 20 septembre 2017, concernant les éléments de preuve recueillis lors du contre-interrogatoire du capitaine Sidney J. Hynes portant sur les noms de navires en mesure d’offrir un affrètement à court terme (« affidavit de M. Hupman »);

Oceanex

  1. Affidavit du capitaine Sidney J. Hynes souscrit le 2 octobre 2017, répondant à l’affidavit de M. Hupman (« affidavit no 4 de M. Hynes »);

Historique de l’établissement des tarifs

[25]  Il est constant que, conformément aux Conditions de l’union, le Canada soit obligé d’offrir un service de traversier sur le trajet constitutionnel.

[26]  De la Confédération en 1949 jusqu’en 1977, le Canada a rempli cette obligation par l’intermédiaire du CN. L’affidavit no 2 de Mme Bergevin indique que, selon un contrôle du décret C.P. 1953-197, daté du 13 février 1953 (« décret de 1953 »), le Canada a pris en charge les déficits d’exploitation du trajet constitutionnel parce qu’ils découlaient de cette obligation. En outre, selon un contrôle du décret C.P. 1955-1215, daté du 13 février 1953 (il est en fait daté du 16 août 1955) (« décret de 1955 »), conformément à la Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada, L.R.C., 1927, ch. 172, le gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre, a confié au CN la gestion et l’exploitation des nouveaux traversiers et terminaux de traversiers sur le trajet constitutionnel. Le ministre a approuvé les dépenses d’investissement requises pour la liaison et tout déficit connexe a été payé au CN à même des fonds votés par le Parlement. Le CN a exploité des services côtiers et de traversier à Terre-Neuve-et-Labrador, y compris le trajet constitutionnel, de 1955 à 1977.

[27]  Le 14 décembre 1977, le Canada, représenté par le ministre, et CN ont signé un protocole d’entente sur les services côtiers et de traversiers de la côte Est (le « protocole d’entente »). Le protocole d’entente décrit les rôles, les responsabilités et les rapports du Canada, du CN et de CN Marine, dont la constitution en personne morale a été prévue par le protocole d’entente. En vertu du protocole, le Canada préciserait, pour chaque liaison, la norme minimale de service à offrir et approuverait les modalités de facturation des tarifs par CN Marine à tous les usagers. CN Marine conclurait un contrat avec le Canada pour fournir chaque service côtier ou de traversier requis par le Canada et soumettrait chaque année ses budgets et plans d’investissement et de fonctionnement, ses rapports annuels ainsi que ses comptes vérifiés à l’approbation du gouverneur en conseil et formulerait des recommandations au Canada quant aux tarifs et aux tarifs à facturer. CN Marine Corporation a été constituée en personne morale, en vertu de la LCSA, à titre de filiale du CN le 14 décembre 1977. En décembre 1978, CN Marine Corporation a changé de nom pour devenir CN Marine Incorporated (« CN Marine »).

L’entente tripartite

[28]  Le 18 mai 1979, sur recommandation du ministre, le gouverneur en conseil a approuvé par le décret C.P. 1979-1449, daté du 9 mai 1979 (« décret de 1979 »), la conclusion d’une entente tripartite entre le Canada, le CN et CN Marine (maintenant Marine Atlantique) (l’« entente tripartite »). Les parties ont notamment convenu que les services maritimes et de trafic ferroviaire contractuels seraient assurés conformément aux modalités et conditions d’ententes d’exploitation précises et ainsi d’assurer la demande définie, y compris le transport quai à quai par voie maritime (alinéa 1a)); que le Canada, relativement aux ententes d’exploitation actuelles et futures, aviserait chaque année CN Marine de tout changement concernant la norme de service requise ou le niveau général des tarifs alors envisagé par le Canada (alinéa 6b)); et, que CN Marine devrait préparer et soumettre au ministre deux catégories de documents de planification, y compris un résumé du plan de fonctionnement et une estimation préliminaire des revenus et des dépenses présentant des renseignements comprenant des recommandations sur des tarifs précis que le Canada devrait approuver en tant que frais relatifs à la demande devant être perçus par CN Marine en vertu de chaque entente d’exploitation précise (sous-alinéa 29b)(ii)). De 1978 à 1986, CN Marine a exploité divers services de traversier, y compris le trajet constitutionnel, et d’autres services côtiers au Canada atlantique, conformément à l’entente tripartite.

Entente bilatérale et ententes d’exploitation auxiliaires

[29]  En 1986, conformément à la LAAMA, CN Marine a changé de nom pour devenir Marine Atlantique S.C.C. et le CN a transféré toutes ses actions ordinaires au Canada.

[30]  Par le décret C.P. 1987-463, estampillé approuvé le 12 mars 1987 (le « décret de 1987 »), le gouverneur en conseil, sur la recommandation du ministre, a approuvé l’annulation de l’entente tripartite et de la conclusion d’une entente entre le ministre et Marine Atlantique essentiellement sous la forme de l’entente jointe à l’annexe « A ». Cette entente établit le lien entre le Canada et Marine Atlantique en vertu duquel des ententes d’exploitation auxiliaires sur l’investissement et sur les baux immobiliers ayant trait à des services côtiers et de traversier précis au Canada atlantique pourraient être exécutées, et a été signée le 31 mars 1987 (l’« entente bilatérale »).

[31]  Le préambule de l’entente bilatérale précise que pendant un certain temps, le Canada avait eu recours à Marine Atlantique (anciennement CN Marine Inc.) comme instrument principal pour offrir certains services de transport côtier et de traversiers appuyés par le gouvernement fédéral dans les provinces de l’Atlantique, conformément à l’entente tripartite, et que le Canada et Marine Atlantique souhaitaient poursuivre cet arrangement, sans intervention du CN. Le Canada et Marine Atlantique ont convenu d’établir un ensemble de conditions mutuellement satisfaisantes qui, en fonction des obligations légales imposées par la partie XII de la LGFP, ses règlements connexes et d’autres textes législatifs pertinents adoptés par le Parlement, faciliteraient la prestation, à la demande du Canada, de certains services de traversier et de transport côtier.

[32]  L’article 2 prévoit que l’entente bilatérale entre en vigueur le 1er janvier 1987 et demeure en vigueur jusqu’à sa résiliation, conformément aux termes de l’entente ou par accord écrit des parties. Marine Atlantique devait exploiter les services contractuels (alinéa 1(1)d) et paragraphe 3(1)) tel que cela est précisé dans les ententes d’exploitation auxiliaires, définies comme les ententes auxiliaires d’exploitation actuelles, l’entente auxiliaire actuelle sur le financement de l’investissement ou les ententes auxiliaires actuelles sur les baux immobiliers, selon le contexte (sous-alinéa 1(1)(i)) (l’« entente d’exploitation auxiliaire »). En contrepartie de l’exploitation des services contractuels, le Canada paierait à Marine Atlantique des montants ne dépassant pas les totaux précisés dans les ententes d’exploitation auxiliaires de la période pertinente. Les ententes d’exploitation auxiliaires devaient être modifiées chaque année pour refléter les changements apportés aux montants payables en vertu de celles-ci (paragraphe 3(2)). Concernant l’établissement des tarifs, l’article 3 prévoit ce qui suit : [traduction]

(3)  Tarifs

a)  Après avoir reçu un avis, conformément au paragraphe 6(2) des présentes concernant la modification du niveau général des tarifs, la société doit recommander au ministre, pour qu’il les approuve, les tarifs pour le transport de passagers, de véhicules et de cargaisons; l’approbation des tarifs par le ministre doit ensuite servir à déterminer les montants annuels maximums des paiements en vertu de l’entente d’exploitation auxiliaire.

b)  Toute recommandation pour une société visant une modification tarifaire doit être soumise aux fins d’approbation si le ministre dispose d’au moins soixante (60) jours avant la date souhaitée d’entrée en vigueur. Le ministre se réserve le droit de modifier, en tout temps, les tarifs déjà approuvés et la société doit mettre en œuvre ces changements, selon les instructions du ministre. Les modifications tarifaires approuvées ou ordonnées par le ministre doivent être communiquées à la société au moins trente (30) jours avant la date d’entrée en vigueur et peuvent donner lieu à un changement compensatoire des versements annuels maximums en vertu de l’entente d’exploitation auxiliaire.

c)  La société peut, avec l’approbation préalable du ministre, offrir des réductions lorsque cette action est conforme à une pratique commerciale saine.

d)  Les tarifs approuvés doivent être annexés aux ententes d’exploitation auxiliaires.

[33]  Pour ce qui est du financement de l’investissement, le Canada a accepté de verser des paiements à Marine Atlantique, conformément à la disposition de l’entente auxiliaire sur le financement de l’investissement pour le budget d’investissement annuel approuvé de Marine Atlantique et ses besoins en fonds de roulement (paragraphe 4(1)).

[34]  Il est constant que, conformément à l’entente bilatérale, entre 1987 et 2007, les tarifs annuels recommandés de Marine Atlantique au ministre aux fins d’approbation et que les tarifs approuvés ont été utilisés pour déterminer les versements annuels maximums en vertu de l’entente d’exploitation auxiliaire.

Stratégie de revitalisation 2007 (phase I)

[35]  L’affidavit no 2 de Mme Bergevin indique que, dans les années 1990, le Canada a modifié son rôle pour passer de celui de propriétaire et conducteur de moyens de transport à celui de régulateur, décideur et bailleur de fonds des transports, le cas échéant. En 1995, Transports Canada a publié la Politique maritime nationale qui cherchait à réduire le rôle du Canada dans l’offre de services de traversier. En 1996, la PNT a été adoptée au titre de l’article 5 de la LTC. En 1998, les services de Marine Atlantique ne comprenaient que le trajet constitutionnel et la liaison d’Argentia. En 2006, Transports Canada avait déterminé que la part d’impôts servant à subventionner la liaison d’Argentia devait diminuer et a mis en œuvre une politique de recouvrement des coûts pour la première fois. Cette période est parfois désignée comme la phase I de la stratégie de revitalisation. En 2007, le Canada a annoncé une stratégie à long terme visant à revitaliser les services de transport de marchandises et de passagers exploités par Marine Atlantique. La première phase de cette stratégie comprenait l’adoption d’augmentations tarifaires sur le trajet constitutionnel en les liant à l’indice des prix à la consommation; des frais additionnels imposés pour le carburant; un plan quinquennal devant être établi par le conseil d’administration de Marine Atlantique décrivant les initiatives visant à permettre à Marine Atlantique d’améliorer la prestation de ses services et de réaliser des gains d’efficience opérationnelle, qui pour que les services demeurent abordables, doit comprendre des mesures de limitation des coûts et des stratégies visant à accroître les revenus tirés de services non constitutionnels; la progression du plan de renouvellement de la flotte et des fonds supplémentaires (« Le gouvernement du Canada présente la stratégie à long terme visant la revitalisation de Marine Atlantique S.C.C. », affidavit de M. Leamon, pièce 10). Dans une lettre du ministre Lawrence Cannon à Marine Atlantique datée du 11 janvier 2007 (la « lettre du ministre de 2007 »), le ministre a souligné que lorsque les ministres du Conseil du Trésor ont approuvé le plan d’entreprise de 2006-2010 de Marine Atlantique, ils avaient précisément demandé qu’une stratégie à long terme soit établie. La lettre du ministre de 2007, évoquée plus loin, présentait aussi la stratégie en matière de revenu, y compris l’établissement d’objectif de recouvrement des coûts de 60 à 65 %.

Stratégie de revitalisation 2010 (phase II)

[36]  Le rapport de 2009 du vérificateur général était un rapport d’examen spécial de Marine Atlantique S.C.C. préparé par le vérificateur général, conformément à l’article 138 de la partie X de la LGFP. Le rapport soulevait, entre autres, des préoccupations relatives à la capacité de Marine Atlantique de relever des défis stratégiques, y compris le risque de ne pas être en mesure d’offrir les services dont la prestation lui revenait, et que Marine Atlantique n’avait pas de cadre de planification opérationnelle pour s’assurer que son orientation stratégique et ses plans opérationnels étaient mis en œuvre. Les défis posés à Marine Atlantique comprenaient des traversiers et des biens à terre vieillissants, les capacités pour répondre à la demande de trafic, le défaut d’atteindre l’objectif de recouvrement des coûts établi par le ministre et la nécessiter d’augmenter sa capacité de gestion. Le rapport indique que Marine Atlantique devait s’entendre avec le Canada sur un plan d’action, y compris un financement à long terme, pour surmonter ses défis. Dans sa réponse, Marine Atlantique a accepté la recommandation et a indiqué mettre au point une proposition de revitalisation complète, en collaboration avec Transports Canada. L’affidavit no 2 de Mme Bergevin indique qu’en réponse aux préoccupations soulevées dans le rapport de 2009 du vérificateur général, Transports Canada et Marine Atlantique ont établi la stratégie de revitalisation 2010.

[37]  L’affidavit no 2 de Mme Bergevin indique aussi que dans le cadre la stratégie de revitalisation 2010, le Canada et Marine Atlantique ont accepté de modifier certaines modalités de l’entente bilatérale. Une des modifications étant que Marine Atlantique déterminerait les tarifs pour le trajet constitutionnel, sauf si l’augmentation dépassait 5 % du tarif existant, auquel cas l’approbation du ministre était requise. Comme elle le faisait depuis 2007, Marine Atlantique a continué de décider de tous les tarifs de la liaison Argentia. L’affidavit no 2 de Mme Bergevin précise qu’afin de mettre en œuvre la stratégie de revitalisation de 2010, le Canada et Marine Atlantique ont convenu de travailler à la modification de l’entente bilatérale pour refléter les mesures des parties déjà mises en œuvre.

[38]  En outre, l’affidavit indique que l’adoption de la stratégie de revitalisation 2010 est reflétée dans un document intitulé [traduction] « Mise en œuvre de la décision annoncée dans le budget de 2010 – Orientation pour le plan d’entreprise de 2010-2011 à 2014-2015 » (« Mise en œuvre de la décision annoncée dans le budget de 2010 »). L’affidavit affirme aussi que le document a été créé par des fonctionnaires de Transports Canada et envoyé par courriel à Marine Atlantique le 8 avril 2010. Selon le Canada, l’approbation de la stratégie de revitalisation de 2010 a été communiquée à Marine Atlantique par l’intermédiaire du document intitulé « Mise en œuvre de la décision annoncée dans le budget de 2010 ».

[39]  L’article 13 du document intitulé « Mise en œuvre de la décision annoncée dans le budget de 2010 » prévoit ce qui suit : [traduction]

13.  Les augmentations tarifaires sur le trajet constitutionnel seraient établies par le conseil d’administration de Marine Atlantique jusqu’à concurrence de cinq pour cent par an, en prenant en compte l’environnement opérationnel, la demande de trafic prévue et l’objectif global de recouvrement des coûts pour l’année. Une augmentation tarifaire supérieure devrait être soumise au ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, aux fins d’approbation avec une justification correspondante.

[40]  L’affidavit de M. Leamon indique que Marine Atlantique a interprété cela comme voulant dire que dès lors, le conseil d’administration de Marine Atlantique avait ce pouvoir.

[41]  Il est indiqué ce qui suit à la rubrique « Production de recettes » du plan d’entreprise de 2010-2011 à 2014-2015 de Marine Atlantique :

[traduction] Avec l’approbation de la stratégie de revitalisation, le conseil d’administration de la société accepte à présent la responsabilité des futures modifications tarifaires pour tous les services, y compris jusqu’à concurrence de cinq pour cent par an sur les tarifs constitutionnels. Contrairement à la situation antérieure où les augmentations des tarifs constitutionnels étaient limitées aux augmentations de l’indice des prix à la consommation (IPC), la société bénéficie maintenant d’une flexibilité accrue.

[42]  Le plan d’entreprise de 2010-2011 à 2014-2015 de Marine Atlantique a été approuvé par l’ordonnance 2010-0812, datée du 17 juin 2010.

[43]  Dès l’année 2010-2011, et chaque année subséquente, le conseil d’administration de Marine Atlantique a décidé de toutes les modifications tarifaires pour le trajet constitutionnel et les a mises en œuvre, aucune d’elles n’ayant dépassé 5 % du tarif de l’année précédente. En janvier 2016, Marine Atlantique a annoncé que les tarifs de 2016-2017 augmenteraient de 2,6 % par rapport aux tarifs de l’année précédente pour le trajet constitutionnel. Une résolution du 10 décembre 2015 du conseil d’administration de Marine Atlantique approuvant le plan d’entreprise de 2016-2017 à 2020-2021 reflète cette décision qui est entrée en vigueur le 1er avril 2016.

Questions en litige et norme de contrôle

[44]  Les parties ont abordé la présente demande sous des angles très différents. Oceanex affirme que le ministre a permis à Marine Atlantique de facturer des tarifs de transport de marchandises largement subventionnés, qui concurrencent de manière déloyale Oceanex et qui lui sont préjudiciables. En outre, elle affirme que la décision mettant en place les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 a été prise sans tenir compte de considérations pertinentes, et en contradiction avec celles-ci, notamment, la PNT, telle qu’elle est énoncée à l’article 5 de la LTC. Cela a engendré un certain nombre de questions connexes soulevées par les différents défendeurs. Par exemple, dans leur mémoire des faits et du droit en réponse, Marine Atlantique et le Canada soulèvent la question de savoir si Oceanex a qualité pour introduire la présente demande, question à laquelle Oceanex a été autorisée à répondre au moyen d’un mémoire en réplique.

[45]  À mon avis, après avoir examiné les observations, les questions soulevées en l’espèce peuvent être formulées et traitées comme suit :

  1. Qui a pris la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017, le ministre ou Marine Atlantique? Si Marine Atlantique a pris la décision, s’agit-il d’un office fédéral au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales?
  1. Oceanex a-t-elle qualité pour produire la présente demande?

  2. L’article 5 de la LTC a-t-il été une considération pertinente dans la prise de décision sur les tarifs de transports de marchandises de 2016-2017?

  3. Si l’article 5 de la LTC était une considération pertinente, peut-il restreindre le niveau de coût pour la collectivité que le Canada assume pour offrir des services de traversier sur le trajet constitutionnel, dont la prestation découle des Conditions de l’union?

  4. La décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 était-elle raisonnable?

[46]  La question de la norme de contrôle applicable s’applique seulement à la cinquième question en litige susmentionnée. À cet égard, Oceanex prétend que le ministre a pris la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017, qui était déraisonnable, voire incorrecte, puisque le ministre n’a pas tenu compte de toutes les considérations pertinentes, y compris la PNT et les répercussions des tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 sur Oceanex. Ainsi, la décision devrait être annulée, sans égard à la norme de contrôle applicable (Loi sur les Cours fédérales, au paragraphe 18.1(4); arrêt Première Nation des Hupacasath c. Canada (Affaires étrangères et Commerce international Canada), 2015 CAF 4, aux paragraphes 71 à 73 (arrêt « Hupacasath »; G Régimbald, Canadian Administrative Law, 2d (LexisNexis, 2015), aux pages 232 et 233 (« Régimbald »)).

[47]  Ni Marine Atlantique ni le procureur général de Terre-Neuve ne font d’observations concernant la norme de contrôle. Le Canada affirme qu’Oceanex n’a pas qualité et qu’aucune décision du ministre n’est susceptible de contrôle judiciaire. À titre subsidiaire, il affirme que la norme de contrôle de toute décision pertinente du ministre est la norme de la décision raisonnable.

[48]  À mon avis, la norme de contrôle d’une décision d’un ministre ou d’un office fédéral quant à l’établissement de tarifs est la norme de la décision raisonnable (voir l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 (arrêt « Dunsmuir »). À cet égard, je souligne qu’il a été jugé que les décisions en matière d’établissement de tarifs réglementés par la loi relevaient de la norme de la décision raisonnable, car l’établissement de tarifs justes et raisonnables comprend la détermination des faits et l’application de la loi et des considérations de politiques générales, ces dernières étant souvent de nature polycentrique (voir l’arrêt Bell Canada c. Bell Aliant Communications régionales, 2009 CSC 40, au paragraphe 38; la décision  Re General Increase in Freight Rates (1954), 76 CRTC 12, au paragraphe 4 (CSC), la décision Great Lakes Power Limited v. Ontario Energy Board, 2009 CanLII 39062 (CSC), au paragraphe 22, conf. par 2010 ONCA 399, autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée, 2010 CarswellOnt 9414 et l’arrêt Telus Communications Company c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, 2010 CAF 191, au paragraphe 33). Même si l’établissement des tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 n’était pas régi par la loi, la décision comprenait de façon similaire l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui commande la retenue lors d’un contrôle judiciaire (voir l’arrêt Yukon Energy Corporation v Yukon (Utilities Board), 2017 YKCA 15, au paragraphe 55 et l’arrêt Union Gas Ltd v Ontario (Energy Board), 2013 ONSC 7048, au paragraphe 25).

[49]  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47).

Question constitutionnelle

[50]  Le 28 juillet 2017, Marine Atlantique a déposé un avis de question constitutionnelle dans lequel elle affirmait qu’elle avait l’intention de mettre en doute l’applicabilité ou l’effet de l’article 5 de la LTC et présentait des renseignements généraux ainsi que le fondement juridique de la question constitutionnelle. Aucune question précise n’est formulée, toutefois, Marine Atlantique allègue ce qui suit :

[traduction] [...] Marine Atlantique affirme que les Conditions de l’union permettent et autorisent une subvention du gouvernement du Canada en ce qui a trait au service de Marine Atlantique entre North Sydney et Port aux Basques, et ainsi, que l’article 5 de la LTC ne s’applique pas et ne peut pas s’appliquer pour interdire une telle subvention. Toute conclusion selon laquelle l’article 5 de la LTC interdirait au Canada de subventionner le service de Marine Atlantique entre North Sydney et Port aux Basques, et les tarifs auxquels elle facture ce service ne serait pas conforme à l’engagement constitutionnel du Canada énoncés aux articles 31 et 32 des Conditions de l’union, et en fonction de cette non-conformité, l’article 5 de la LTC serait inopérant.

[51]  J’estime que la question en litige no 4 ci-dessus rend cette idée.

Observation préliminaire – Demande de contrôle judiciaire d’Oceanex

[52]  Pour commencer, il est utile de remettre les questions en litige en contexte afin d’exposer le fondement de la demande d’Oceanex. Dans son avis de demande modifié, Oceanex définit la décision qui fait l’objet du contrôle comme la décision du ministre d’approuver les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017, que le ministre ait directement approuvé les tarifs ou autorisé une tierce partie, Marine Atlantique, à le faire. Subsidiairement, Oceanex affirme que le ministre n’a pas approuvé les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017, comme l’affirme Marine Atlantique. À titre subsidiaire, Oceanex conteste la décision : du ministre d’autoriser au préalable l’augmentation tarifaire proposée par Marine Atlantique jusqu’à concurrence de 5 %; de permettre à Marine Atlantique d’approuver les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017; ou la décision de Marine Atlantique d’approuver ces tarifs.

[53]  Les motifs de la demande comprennent le fait que la décision du ministre d’approuver les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 est incompatible avec la pratique de permettre à la concurrence et aux forces du marché d’être les principaux facteurs en jeu dans la prestation de services de transport viables et efficaces, et a comme effet direct de favoriser indûment des moyens de transport concurrents, comme le transport par camion, à destination et en provenance de l’île de Terre-Neuve, et de réduire l’avantage inhérent des fournisseurs de transport par voie navigable. En outre, en ne tenant pas compte de la PNT, le ministre a commis une erreur de droit et a outrepassé sa compétence en exerçant sa discrétion de manière déraisonnable, allant à l’encontre des politiques d’intérêt public, et en ne tenant pas compte de toutes les considérations pertinentes.

[54]  Les observations écrites d’Oceanex font valoir que le ministre a permis à Marine Atlantique de facturer des tarifs largement subventionnés et de se livrer à une concurrence déloyale avec Oceanex, même si le ministre est lié par la PNT qui, selon Oceanex, prévoit d’abord et avant tout que la concurrence et les forces du marché sont les principaux facteurs en jeu dans la prestation de services de transports viables et efficaces, à de rares exceptions près, et que les tarifs sont incompatibles avec la PNT. Oceanex affirme contester le fait de devoir faire concurrence à une société qui n’a pas à couvrir ses coûts d’investissement et d’exploitation. En outre, Marine Atlantique a été en mesure de conserver sa part de marché au détriment d’Oceanex, en raison de ses tarifs subventionnés.

Question en litige no 1 : Qui a pris la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017, le ministre ou Marine Atlantique? Si Marine Atlantique a pris la décision, s’agit-il d’un office fédéral au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales?

a)  Qui a pris la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017, le ministre ou Marine Atlantique?

[55]  L’historique de la détermination des tarifs pour le trajet constitutionnel est présenté précédemment. Cependant, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si le ministre ou Marine Atlantique a pris, ou avait le pouvoir de prendre, la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017.

Observations d’Oceanex

[56]  Oceanex affirme que, conformément à l’entente bilatérale, le ministre doit : aviser Marine Atlantique du niveau des tarifs chaque année; approuver les tarifs pour le déplacement de passagers, de véhicules ou de cargaison facturés par Marine Atlantique et se réserver le droit de modifier en tout temps des tarifs déjà approuvés (paragraphe 7(2), alinéas 3(3)a) et b). L’entente bilatérale n’a ni été modifiée, ni révoquée ni remplacée, et demeure en vigueur. Par conséquent, le ministre conserve le pouvoir d’approuver les tarifs de Marine Atlantique et ne peut pas soustraire les décisions sur les tarifs au contrôle judiciaire en approuvant les tarifs au préalable ou en déléguant le pouvoir à Marine Atlantique.

[57]  Pour appuyer sa thèse selon laquelle le ministre a pris la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017, lorsqu’elle a comparu devant moi, Oceanex a examiné les événements depuis 1949, puisque selon elle, cela permet d’établir que le Canada a toujours exercé, et continue d’exercer, un contrôle sur les modalités et conditions en vertu desquelles Marine Atlantique, comme ses prédécesseurs, gère le service de traversier, y compris l’établissement des tarifs.

[58]  Oceanex prétend essentiellement qu’en 1949, conformément à l’article 33 des Conditions de l’union et au décret C.P. de 1454, daté du 1er avril 1949 (le « décret de 1949 »), le Canada a transféré certains biens au CN, par la suite à CN Marine, et lui confié le droit de gérer et d’administrer ces biens dans le but d’offrir le service de traversier. Cependant, se voir confier ce droit ne donnait pas au CN un droit absolu d’exploiter et de gérer ces biens et a toujours été assujetti aux modalités et conditions précises établies par le Canada au moyen du décret de 1949. Ce décret a été suivi du décret de 1979 et de l’entente tripartite. Le pouvoir de gestion ne dépendait pas de qui détenait les biens puisque c’est le Canada qui avait établi les modalités et conditions. Les modalités et conditions de l’entente bilatérale, qui ont été autorisées par le décret de 1987, conjointement avec le plan d’entreprise et d’autres mesures de Marine Atlantique, montrent le pouvoir continu du ministre de contrôler les modalités et conditions de l’exploitation et de la gestion du service de traversier sur le trajet constitutionnel.

[59]  Bien qu’Oceanex concède que Marine Atlantique détient les navires de son service ainsi que les terminaux des navires, elle affirme que Marine Atlantique n’est pas assujettie aux modalités et conditions imposées par l’entente tripartite et le décret de 1979, et que Marine Atlantique n’a pas le pouvoir discrétionnaire d’offrir ce service. En outre, en vertu de la LAAMA, le Canada détient entièrement Marine Atlantique. En ce qui a trait aux articles 7 et 8 de la LAAMA, selon Oceanex, en vertu de ces dispositions, le Canada a permis à Marine Atlantique d’avoir tous les biens dont elle avait besoin pour exploiter et gérer le service de traversier, mais sous réserve des modalités et conditions établies par le Canada.

[60]  Oceanex n’est pas d’accord pour dire que Marine Atlantique ne reçoit que des directives générales du Canada en vertu de la LGFP. Elle soutient plutôt que Marine Atlantique est assujettie à un contrôle gouvernemental étroit relativement aux aspects importants des activités de la société. En outre, Marine Atlantique est assujettie à une reddition de compte en vertu de la LGFP, y compris soumettre les plans d’entreprise, les budgets d’exploitation et les budgets d’investissement. Selon Oceanex, le plan d’entreprise est la forme de contrôle gouvernemental la plus directe sur Marine Atlantique, puisque ce document établit la mission, la stratégie, les objectifs et les activités d’entreprise de Marine Atlantique. Le plan d’entreprise comprend aussi les frais, les traversées, le rendement annuel et les perspectives financières de Marine Atlantique qui sont tous des éléments précis du plan sujets à approbation.

[61]  Oceanex soutient aussi que Marine Atlantique et le ministre travaillent en étroite collaboration pour établir le plan d’entreprise avant de soumettre le document au gouverneur en conseil aux fins d’approbation. Ce processus de consultation équivaut à une approbation de facto ou à une approbation préalable du plan d’entreprise par le ministre, avant même que le document soit transmis au gouverneur en conseil aux fins d’approbation finale. Selon Oceanex, conformément à la LGFP, il n’est pas loisible au conseil d’administration de Marine Atlantique d’approuver et d’annoncer des tarifs avant l’approbation du plan d’entreprise.

[62]  Oceanex prétend aussi que la lettre de 2007 du ministre imposait d’autres modalités et conditions à Marine Atlantique, y compris des objectifs de recouvrement des coûts. Cette lettre demandait à Marine Atlantique d’établir des objectifs de rendement exhaustifs et de les inclure dans les ententes auxiliaires subséquentes.

[63]  Concernant le document intitulé « Mise en œuvre de la décision annoncée dans le budget de 2010 », a été produit par Transports Canada en réponse aux critiques du vérificateur général et a servi à informer Marine Atlantique des étapes qu’elle devait suivre pour remédier à la situation. Il démontre aussi un contrôle du Canada sur Marine Atlantique. Bien qu’il prétende approuver préalablement l’établissement par le conseil d’administration de Marine Atlantique des augmentations tarifaires annuelles entre 2010 et 2015, jusqu’à concurrence de 5 % par an sans soumission au ministre aux fins d’approbation, il ne mentionne ni la PNT ni les facteurs qui peuvent avoir été pris en considération pour en arriver à ces augmentations tarifaires annuelles. Il ne modifie pas non plus ni ne prétend modifier l’entente bilatérale. Au mieux, le document représente l’approbation préalable du ministre des augmentations tarifaires annuelles jusqu’à concurrence de 5 %. Quoi qu’il en soit, le processus lié à la budgétisation annuelle et au plan d’entreprise s’est poursuivi et a fait intervenir le ministre dans l’approbation de tarifs précis qui ont fini par être soumis à l’approbation du Conseil du Trésor et du gouverneur en conseil, même si les augmentations étaient inférieures à 5 %.

[64]  Oceanex prétend également qu’une lettre du 30 octobre 2014 de Lisa Raitt, alors ministre, à M. Paul Griffin, directeur général de Marine Atlantique (la « lettre de 2014 de la ministre »), énonce d’autres exigences pour Marine Atlantique et confirme le contrôle de la ministre sur l’ensemble des décisions financières de fond de Marine Atlantique. Plus précisément, Marine Atlantique n’avait pas le pouvoir de mettre en œuvre les exigences de la lettre de 2014 de la ministre jusqu’à ce que son plan d’entreprise et ses budgets de fonctionnement et d’investissement soient approuvés. Oceanex prétend qu’il n’existe aucun élément de preuve selon lequel la lettre de 2014 de la ministre a été rédigée en tenant compte de la PNT.

[65]  Le 6 janvier 2016, Marine Atlantique a publié son Sommaire du Plan d’entreprise 2016-2017 aux fins d’approbation par le Canada. Oceanex affirme que le processus d’approbation était identique au processus suivi avant 2010 et comme l’exige la LGFP. Bien que Marine Atlantique allègue ne recevoir d’orientation politique que de la part du ministre, la preuve montre clairement que le ministre et le Canada jouent un rôle important dans pratiquement tous les aspects des activités de Marine Atlantique, y compris l’approbation finale des tarifs subventionnés de Marine Atlantique. Bien qu’il n’y ait aucune preuve quant aux facteurs qui ont été pris en compte dans l’élaboration des tarifs de transport de marchandises de 2016-2017, il ressort des éléments de preuve non contestés que ni la PNT ni les répercussions de ces tarifs sur Oceanex n’ont été pris en compte lorsque les tarifs ont été établis, ou pour l’année précédente ou pour justifier l’approbation préalable de l’augmentation tarifaire annuelle jusqu’à concurrence de 5 %.

Observations de Marine Atlantique

[66]  Marine Atlantique prétend que, sur le plan du droit et des faits, la décision sur les tarifs de transport des marchandises de 2016-2017 a été prise par elle et non par le ministre.

[67]  Elle prétend qu’il n’existe aucun fondement légal permettant au ministre d’établir les tarifs de Marine Atlantique. Bien qu’en vertu de la LAAMA, le ministre ait fait l’acquisition de l’ensemble des actions ordinaires de Marine Atlantique détenues par le CN (à l’article 4) et de certains autres ouvrages et entreprises auparavant détenus par le CN (au paragraphe 7(1)), c’est seulement relativement à ce dernier bien (et non aux actions de Marine Atlantique ou aux biens en sa possession) que le ministre a été chargé « de la gestion et [le] contrôle », en vertu du paragraphe 7(2) et même alors, seulement jusqu’à ce que le ministre aliène ces biens (à l’article 8). Ni le paragraphe 7(2) de la LAAMA ni aucune autre disposition de cette Loi n’a donné ni ne prétend donner au ministre un contrôle direct sur les biens ou les affaires de Marine Atlantique. Comme pour toute autre société constituée sous le régime de la LCSA, un tel contrôle incombe au conseil d’administration de Marine Atlantique, sauf dans la mesure où le droit d’exercer un tel contrôle a été restreint par contrat (LCSA, à l’article 102). En outre, en 1986, lorsque la LAAMA est entrée en vigueur, Marine Atlantique possédait la totalité des actifs maritimes.

[68]  De plus, conformément aux articles 122 à 124 de la LGFP, le plan d’entreprise, le budget d’exploitation et le budget d’investissement de Marine Atlantique sont approuvés chaque année. Le gouverneur en conseil approuve le plan d’entreprise, tandis que le Conseil du Trésor approuve le budget de fonctionnement et le budget d’investissement; aucun de ces deux budgets n’est approuvé par le ministre. De plus, les rôles du gouverneur en conseil et du Conseil du Trésor en vertu de la LGFP ne sont pas d’établir les tarifs de Marine Atlantique, mais d’approuver un plan d’entreprise et des budgets globaux préparés et soumis par Marine Atlantique. C’est le résultat essentiel qui les intéresse, par des éléments distincts comme les tarifs. Rien dans le processus d’approbation du plan d’entreprise ou du budget défini par la LGFP ne confère aucun droit ni aucune responsabilité au ministre visant à établir les tarifs de Marine Atlantique. Bien que Marine Atlantique consulte Transports Canada sur certains aspects du plan proposé, on s’attend à ce que l’avis des intervenants clés soit sollicité. Toutefois, c’est le conseil d’administration de Marine Atlantique qui approuve les augmentations tarifaires comprises dans le plan. En outre, des lettres concernant les attentes du ministre offrent une orientation politique générale.

[69]  Dans la mesure où le ministre a obtenu le pouvoir d’établir des tarifs, il ne l’a fait qu’aux termes d’un contrat, conformément à l’entente bilatérale. La preuve indique sans équivoque que les parties à l’entente bilatérale sont ensuite parvenues à un accord selon lequel, en dépit de ses modalités initiales, Marine Atlantique pourrait augmenter les tarifs sur le trajet constitutionnel jusqu’à concurrence de 5 % par an et que les parties à l’entente bilatérale ont agi par la suite en se fondant sur cet accord. Marine Atlantique allègue qu’il n’existait aucun obstacle à cela, même si l’accord n’était pas reflété dans une modification officielle écrite à l’entente bilatérale (S.M. Waddams, The Law of Contracts, 7e édition, Toronto, Thompson Reuters, 2016, au paragraphe 332; arrêt Shelanu Inc v Print Three Franchising Corp, (2003), 226 DLR (4th) 577 (Ont CA), aux paragraphes 54 et 94 (arrêt « Shelanu Inc. »); arrêt Shecker v Polonuk (Alta CA), [1992] AJ No 974, à la page 2 et Halsbury’s Laws of England, Contract, Volume 22 (2012), au paragraphe 586 « Form of Variation »).

[70]  En outre, Oceanex n’a aucun motif de se plaindre quant à la manière dont les parties ont exécuté cette entente puisqu’Oceanex n’est ni une partie ni un bénéficiaire visé par ce contrat (arrêt Fraser River Pile & Dredge Ltd. c. Can-Dive Services Ltd., [1993] 3 RCS 108, aux paragraphes 22 et 32 (arrêt Fraser River »)).

[71]  Marine Atlantique prétend que sur le plan du droit, le ministre n’avait pas le pouvoir d’établir les tarifs de Marine Atlantique et que les éléments de preuve établissent qu’en fait, il ne l’a pas fait. Marine Atlantique a pris la décision sur les tarifs de transport des marchandises de 2016-2017 et, en établissant ses tarifs, Marine Atlantique n’était pas un office fédéral au sens de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Établir des tarifs est une décision commerciale et n’est donc pas susceptible de contrôle judiciaire.

Observations du Canada

[72]  Le Canada fait valoir que le ministre n’a pas pris la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 et qu’aucune disposition législative n’exige que le ministre s’en charge. Le Canada et Marine Atlantique sont parties à un contrat qui prévoyait initialement que le ministre doive approuver les tarifs de Marine Atlantique, toutefois, les parties ont modifié les modalités de ce contrat en 2007 et 2010, au terme desquelles le conseil d’administration de Marine Atlantique a approuvé toutes les augmentations tarifaires.

[73]  La clause 32(1) des Conditions de l’union exige que le Canada maintienne un trajet constitutionnel, mais ne précise pas comment le Canada doit remplir cette obligation, y compris comment les frais sont déterminés. La LTC n’établit pas non plus d’exigence sur la manière dont le Canada maintient le trajet constitutionnel. Tandis qu’Oceanex s’appuie sur l’article 5 de la LTC, qui établit la PNT, cette politique n’est pas la source d’exigence juridique voulant que les tarifs soient établis par une partie en particulier. La LGFP n’exige pas non plus que le Canada établisse ou approuve les tarifs de Marine Atlantique. La partie X de la LGFP établit diverses exigences législatives pour les sociétés d’État, comme le processus d’élaboration et d’approbation de plans d’entreprise et de budgets de fonctionnement et d’investissement annuel. Toutefois, l’approbation de ces instruments constitue uniquement l’approbation de l’orientation générale et des objectifs de la société, et ne constitue pas une approbation des tarifs de Marine Atlantique. Bien qu’en abordant son orientation générale, ses objectifs ou les dépenses et les revenus prévus dans son plan d’entreprise et dans ses budgets, Marine Atlantique peut fournir certains renseignements précis, comme des augmentations tarifaires prévues, ces renseignements ne sont fournis qu’à titre informatif. Ni le gouverneur en conseil ni le Conseil du Trésor n’approuve les augmentations tarifaires lors de l’approbation du plan d’entreprise et des budgets de fonctionnement et d’investissement. Marine Atlantique a le pouvoir total d’établir une augmentation tarifaire jusqu’à concurrence de 5 % annuellement. De même la LGFP n’exige pas que le Canada établisse ou approuve les tarifs de Marine Atlantique. La LAAMA ne change pas les pouvoirs légaux de Marine Atlantique, ne porte pas atteinte à sa capacité de conclure un accord, ne change rien au fait que Marine Atlantique est une société dotée des pouvoirs d’une personne physique (aux articles 7 à 9) et ne limite pas les pouvoirs dont Marine Atlantique jouissait déjà. LAAMA ne porte pas sur l’établissement de tarifs et n’impose aucune exigence au ministre visant à établir les tarifs de Marine Atlantique.

[74]  Marine Atlantique n’est pas mandataire de la Couronne. Marine Atlantique est une société d’État mère conformément à la définition fournie à l’annexe III, Partie 1 de la LGFP. Les sociétés mandataires sont également définies dans la LGFP comme étant des sociétés d’État qui ont la qualité de mandataires de Sa Majesté par déclaration expresse en vertu d’une autre loi fédérale. La LAAMA ne fait pas de Marine Atlantique un mandataire de la Couronne. De plus, bien que l’article 3 de la Loi sur le fonctionnement des sociétés du secteur public, L.R.C. (1985), ch. G-4, édicte que toute société (définie comme incluant une société par actions constituée sous le régime de la Loi canadienne sur les sociétés par actions dont toutes les actions émises appartiennent à la Couronne ou sont détenues en fiducie pour elle; article 2) est mandataire de la Couronne, l’article 6 indique que la loi ne s’applique à une société donnée qu’à compter de la prise, par le gouverneur en conseil, d’une proclamation à cet effet. Il n’y a eu aucune proclamation de la sorte relativement à Marine Atlantique Marine Atlantique ne respecte pas non plus le critère de mandataire de la Couronne en common law, tel qu’il est décrit dans R. c. Eldorado Nucléaire Ltée, [1983] 2 RCS 551. Ce critère examine le degré de contrôle exercé par la Couronne sur une entité, ainsi que le degré de pouvoir discrétionnaire que le prétendu mandataire de la Couronne a sur les activités de l’entité. Les éléments de preuve contenus dans l’affidavit de Mme Bergevin indiquent que Marine Atlantique contrôle ses embauches et ses licenciements, établit ses horaires d’appareillage, est responsable de l’approvisionnement et gère ses autres activités quotidiennes, et que ni le Canada ni le ministre ne sont responsables de l’exploitation, de la gestion ou des activités quotidiennes de Marine Atlantique, car ces tâches reviennent à son Conseil d’administration. Marine Atlantique est également une personne morale pouvant poursuivre et être poursuivie en son propre nom. Ainsi, dans la mesure où Oceanex pourrait attribuer indirectement ses allégations de contrôle sur Marine Atlantique à une relation de mandataire, une telle relation n’existe pas.

[75]  Le Canada établit une distinction entre procurer une orientation politique générale à Marine Atlantique, au moyen d’objectifs de recouvrement des coûts, et émettre des instructions aux termes de l’article 89 de la LGFP. Les instructions aux termes de l’article 89 viennent du gouverneur en conseil et la société d’État visée par ces instructions est tenue de s’y conformer. Je ne dispose d’aucun élément de preuve selon lequel Marine Atlantique a reçu de telles instructions. De plus, lorsque les objectifs de recouvrement des coûts ont été établis, en 2007 et en 2010, Marine Atlantique pouvait décider de la manière d’atteindre ces objectifs. Les commentaires de TC sur le plan d’entreprise provisoire de Marine Atlantique ne sont pas non plus des instructions; ce sont des suggestions que Marine Atlantique est libre d’accepter ou de refuser au moment de préparer le plan. Le Canada établit également une distinction entre l’approbation du plan d’entreprise et l’approbation des tarifs, qui ne doivent pas être nécessairement inclus dans le plan. Le Conseil d’administration de Marine Atlantique établit des augmentations tarifaires inférieures à 5 % pour le trajet constitutionnel et Marine Atlantique annonce ses tarifs avant que le gouverneur en conseil approuve le plan d’entreprise. Ce sont des processus distincts; l’approbation des tarifs par Marine Atlantique n’est pas liée à l’approbation du plan d’entreprise par le gouverneur en conseil.

[76]  Pour ce qui est de l’entente bilatérale, il s’agit d’un contrat dont la création n’est pas exigée par la loi et qui n’est pas régi par la loi. L’entente bilatérale fait référence aux [traduction] « services contractuels » que Marine Atlantique fournira au Canada relativement au service de traversier. Les signataires du contrat sont le Canada et Marine Atlantique, qui ont tous deux la capacité requise pour conclure des contrats obligatoires. Le ministre a l’autorité de lier la Couronne selon la common law (Procureur Général du Québec c. Labrecque et autres, [1980] 2 RCS 1057, aux paragraphes 1082 et 1083 (« Labrecque »); Verreault (J.E.) & Fils Ltée c. Procureur général (Quebec), [1977] 1 RCS 41, aux paragraphes 46 et 47 (« Verreault »); The Queen v. CAE Industries Ltd, [1986] 1 FC 129 (FCA), aux paragraphes 37 et 73 (« CAE Industries Ltd »)) et selon le pouvoir énoncé dans la Loi sur le ministère des Transports. Marine Atlantique a, en application du paragraphe 15(1) de la LCSA, et sous réserve des autres dispositions de cette loi, la capacité d’une personne physique et les droits, pouvoirs et privilèges de celle-ci. La LGFP ne limite pas la capacité de Marine Atlantique de conclure des contrats.

[77]  Le statut de l’entente bilatérale, en tant que contrat, ne change pas simplement parce qu’elle a été adoptée en vertu d’un décret. Selon le contexte, un décret peut être de nature législative, juridique ou administrative (Coyle v British Columbia (Minister of Education), 1978 Carwswell BC 493, aux paragraphes 13 à 16 et 90 (« Coyle »); Board of Commissioners of Public Utilities v Nova Scotia Power Corporation (1976), 75 DLR (3d) 72, aux paragraphes 56 et 57 (NSCA) (« NS Power »)). La Cour suprême du Canada a conclu que les décrets qui autorisent un ministre ou une société d’État à conclure un contrat ne sont généralement pas de nature législative. Il s’agit plutôt d’ententes entre les parties établissant l’obligation de chacune et dont les répercussions se limitent aux parties à l’entente (Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 RCS 721, aux paragraphes 26 et 30 (« Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba »)).

[78]  En l’espèce, l’entente bilatérale n’est pas prévue par la loi et est donc de nature administrative plutôt que de nature législative. À cet égard, l’entente bilatérale diffère de l’entente tripartite, qui découlait du décret de 1979 citant des pouvoirs législatifs en vertu de l’article 19 de la Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada, laquelle confiait les installations ferroviaires à une société d’État. La Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada a été abrogée en 1995 dans le cadre de l’ère moderne de déréglementation du secteur des transports, et l’entente bilatérale n’a pas de fondement législatif semblable. Aucun élément de la LAAMA n’exige de décret pour que Marine Atlantique passe des contrats, ce qui signifie que le décret de 1987 n’est pas un texte législatif. De plus, le décret de 1987 a approuvé l’entente bilatérale [traduction] « essentiellement sous la forme de l’entente » jointe, témoignant de l’approbation générale, par le gouverneur en conseil, de la décision du ministre de conclure le contrat, et rien de plus. Le ministre ayant déjà la capacité et le pouvoir de conclure des marchés, le décret de 1987 ne constituait pas une autorisation.

[79]  Les éléments de preuve fournis par le Canada et par Marine Atlantique indiquent qu’en 2007 et en 2010, les parties à l’entente bilatérale ont convenu de modifier ses modalités en ce qui concerne la nécessité d’obtenir l’approbation du ministre pour que Marine Atlantique puisse établir ses tarifs pour la liaison d’Argentia et le trajet constitutionnel, respectivement. Étant donné que les parties consentaient à ces modifications, aucune forme particulière de modification n’était requise (Globe Motors, Inc v TRW Lucas Varity Electric Steering Ltd & Anor, [2016] EWCA Civ 396; Soboczynski v Beauchamp, 2015 ONCA 282 148, aux paragraphes 45 à 53; Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., 2013 CSC 65, aux paragraphes 27 à 35). Les éléments de preuve montrent également qu’après les modifications, les parties ont agi conformément à ces modifications. De 2010 à maintenant, le ministre n’a pas approuvé les tarifs et n’a participé à l’établissement d’aucun tarif de Marine Atlantique. En prenant la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017, Marine Atlantique a exercé ses propres pouvoirs commerciaux, conformément à ses engagements contractuels envers le Canada. Par conséquent, aucune décision du ministre ne devrait donner lieu à une révision judiciaire aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

[80]  Oceanex, qui n’est pas partie à l’entente bilatérale, ne peut pas non plus prétendre faire appliquer les modalités de celle-ci. De même, en l’absence de lien contractuel, Oceanex ne peut se plaindre des activités entreprises par Marine Atlantique ou le Canada en vertu de l’entente. Bien que la common law permette le contrôle judiciaire des décisions des ministres de conclure certains contrats, la revendication d’Oceanex n’est pas fondée sur la conclusion abusive d’un contrat entre le ministre et Marine Atlantique. Oceanex conteste plutôt l’exécution du contrat par le ministre, laquelle ne peut pas donner lieu à un contrôle judiciaire. Le contexte est important parce que les tarifs contestés en l’espèce découlaient d’un contrat plutôt que d’une loi.

[81]  En ce qui concerne le rapport de CPCS, la lettre de 2014 de la ministre indiquait que TC entreprendrait un examen interne des services de traversier financés par le gouvernement fédéral, y compris ceux fournis par Marine Atlantique. En outre, il revient à la Direction générale de la politique maritime de TC d’élaborer la politique, en faisant participer les intervenants. On ne peut donc pas présumer, comme le fait Oceanex, que le rapport de CPCS découlait d’une exigence de se conformer à la PNT et que le seul but de ce rapport était d’assurer la conformité avec la PNT.

Observations du procureur général de Terre-Neuve

[82]  Le procureur général de Terre-Neuve ne se prononce pas quant à l’identité du décideur aux fins d’établissement des tarifs. Selon lui, l’obligation constitutionnelle contenue dans les Conditions de l’union continue de s’appliquer, quelle que soit l’entité à laquelle le Canada confie l’établissement des tarifs.

Analyse

  (i)  Absence d’exigence législative voulant que le ministre établisse les tarifs de transport de marchandises

[83]  Comme il a été mentionné auparavant, CN Marine Inc. (alors appelée CN Marine Corporation) a été constituée en personne morale en vertu de la LCSA en 1977. Conformément au paragraphe 3(1) de la LAAMA, en 1986, le nom Marine Atlantique S.C.C. a été substitué à celui de CN Marine Inc., les statuts de la société ont été modifiés en conséquence et le ministre a fait l’acquisition auprès du CN de toutes les actions de Marine Atlantique. De plus, comme l’exige l’article 9 de la LAAMA, les statuts de Marine Atlantique ont également été modifiés pour limiter les activités de celle-ci à « l’acquisition, la mise sur pied, la gestion et l’exploitation d’un service de transport maritime, d’un service d’entretien, de réparations et de radoub, d’une entreprise de construction navale et d’une entreprise ou de services corrélatifs ». La LAAMA, qui ne contient que neuf articles, ne constitue pas une législation complète. Il s’agit d’une loi autorisant l’acquisition de Marine Atlantique et disposant des questions connexes. Elle ne mentionne pas la question de la gouvernance de la société, pas plus qu’elle n’aborde l’établissement ou l’approbation de tarifs pour les services de traversier. Aucun règlement n’a été appliqué aux termes de la LAAMA.

[84]  En ce qui concerne la LCSA, Marine Atlantique a, en application de cette loi, et sous réserve de ses autres dispositions, la capacité d’une personne physique et les droits, pouvoirs et privilèges de celle-ci. Ses administrateurs gèrent les activités commerciales et les affaires internes de la société ou en surveillent la gestion (paragraphe 102(1) de la LCSA). Les administrateurs et les dirigeants d’une société constituée sous le régime de la LCSA doivent, dans l’exercice de leurs fonctions, agir avec intégrité et de bonne foi au mieux des intérêts de la société, et agir avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne prudente (paragraphe 122(1) de la LCSA). La LCSA est une législation générale qui n’aborde pas la question de l’établissement des tarifs.

[85]  En tant que société d’État mère (article 83 de la LGFP), Marine Atlantique est également régie par la Partie X de la LGFP qui porte sur les activités des sociétés. Ainsi, sous réserve des dispositions de la partie X, le Conseil d’administration de Marine Atlantique est chargé de la gestion des activités de celle-ci (article 109 de la LGFP). Chaque société d’État mère établit annuellement un plan d’entreprise qu’elle remet au ministre de tutelle pour que celui-ci en recommande l’approbation au gouverneur en conseil (article 122 de la LGFP), et établit annuellement un budget de fonctionnement et un budget d’investissement qu’elle remet au ministre de tutelle pour qu’il en recommande l’approbation au Conseil du Trésor (articles 123 et 125 de la LGFP). Une fois son plan d’entreprise et ses budgets de fonctionnement et d’investissement approuvés, la société d’État mère en établit un résumé qu’elle soumet au ministre de tutelle pour son approbation (article 125(1) de la LGFP). Le résumé traite de toutes les activités de la société d’État mère et souligne les décisions importantes prises à ces fins.

[86]  La LGFP aborde la question de la gouvernance d’une société d’État mère de manière générale. Son application, dans le cas de Marine Atlantique, nécessite que le ministre recommande l’approbation du plan d’entreprise et celle du budget de fonctionnement au gouverneur en conseil et au Conseil du Trésor, respectivement. L’approbation par le ministre du résumé du plan d’entreprise, ainsi que du budget de fonctionnement ou d’investissement, a lieu seulement une fois que ce plan et ces budgets ont été approuvés par le gouverneur en conseil et par le Conseil du Trésor. La LGFP ne donne aucune précision quant aux activités des sociétés d’État mères sur lesquelles elle porte, notamment l’établissement de tarifs de transport de marchandises ou d’autres tarifs. La LGFP exige, toutefois, que le plan d’entreprise traite de toutes les activités de la société.

[87]  Le contenu de la LTC sera traité de façon plus approfondie plus loin; il est suffisant pour le moment de dire qu’elle ne contient aucune disposition ayant expressément trait au transport maritime. Elle n’aborde donc pas la question de l’établissement des tarifs dans ce secteur.

[88]  À mon avis, rien dans la LCSA, la LAAMA, la LGFP ou la LTC n’obligeait le ministre à établir ou à approuver les tarifs de transport de marchandises pour 2016-2017, et rien n’empêchait non plus Marine Atlantique d’établir les tarifs. Par conséquent, le point de vue d’Oceanex selon lequel le ministre doit déterminer les tarifs de transport de marchandises ne s’appuie sur aucun fondement législatif. Qui plus est, les statuts de Marine Atlantique, la LCSA et la LGFP indiquent tous que la gestion de Marine Atlantique est de la responsabilité de cette dernière et de son Conseil d’administration.

  (ii)  Plan d’entreprise

[89]  Oceanex prétend que le processus ayant mené à l’établissement du plan d’entreprise et du budget de fonctionnement et d’investissement pour 2016-2017 à 2020-2021 démontre ou laisse supposer une approbation du ministre quant aux tarifs de transport de marchandises pour 2016-2017. Essentiellement, Oceanex affirme que la relation ou l’interaction entre TC, Marine Atlantique et le ministre prouve que le ministre exerçait un contrôle sur les activités de Marine Atlantique et, ainsi, a établi ou approuvé les tarifs de transport de marchandises pour 2016-2017.

[90]  Selon l’affidavit de M. Leamon, tel qu’il est décrit dans le résumé du plan d’entreprise annuel de Marine Atlantique, cette dernière mène ses activités indépendamment de son unique actionnaire, le Canada. Par ailleurs, l’affidavit indique que bien que son actionnaire, par le biais du ministre, offre une orientation politique et un financement pour l’exploitation continue de Marine Atlantique, le conseil d’administration de Marine Atlantique établit son orientation stratégique et ses objectifs organisationnels et en supervise la mise en œuvre.

[91]  Au cours de son contre-interrogatoire, M. Leamon a expliqué que la préparation du plan d’entreprise commençait habituellement au cours de l’été, afin qu’il soit prêt à être approuvé par le conseil d’administration de Marine Atlantique en décembre. Il peut arriver qu’une réunion ait lieu avec TC pendant la préparation du plan d’entreprise, et que les communications soient plus fréquentes, notamment par courriel. Selon le témoignage de M. Leamon, le Bureau du Conseil privé, le Conseil du Trésor et TC emploient tous des analystes qui examinent le plan d’entreprise avant sa soumission aux fins d’approbation par le gouverneur en conseil. Des ébauches du plan d’entreprise sont transmises à TC et, dans une moindre mesure, au Bureau du Conseil privé, au Conseil du Trésor et au ministère des Finances Canada afin qu’ils fournissent leurs commentaires.

[92]  Bien que le conseil d’administration soit responsable de l’établissement de l’orientation stratégique de Marine Atlantique, son actionnaire, par le biais du ministre, fournit une orientation politique générale couvrant l’établissement des niveaux de financement ou d’autres grandes interactions à l’échelle du gouvernement, comme les questions environnementales. Dans le cas de Marine Atlantique, le ministre établit les objectifs de recouvrement des coûts et les normes de ponctualité.

[93]  M. Leamon a expliqué, dans son témoignage, que les prévisions de trafic et de revenus faisaient partie des renseignements financiers de Marine Atlantique inclus dans le budget de fonctionnement et d’investissement et faisaient l’objet de discussions avec TC. Lorsqu’on lui a demandé s’il pensait que le gouvernement exerçait un contrôle important sur la gestion de Marine Atlantique, M. Leamon a répondu par la négative. Il a déclaré, au contraire, que la direction et le conseil jouissaient d’une autonomie pour la gestion stratégique de Marine Atlantique et qu’il y avait eu différents niveaux de contribution au fil des années, selon la situation de Marine Atlantique et ce qu’elle proposait dans le plan d’entreprise. La gestion quotidienne de Marine Atlantique a toujours été entre les mains de la direction et du conseil.

[94]  M. Leamon a confirmé que Marine Atlantique remettait un rapport mensuel de facturation à TC relativement à ses dépenses, rapport dans lequel elle indiquait si elle menait ses activités selon les crédits accordés et faisait part de ses préoccupations éventuelles quant à l’atteinte des objectifs généraux. Des réunions régulières et des communications sur papier entre TC et Marine Atlantique ont également lieu tout au long de l’année, en plus du travail d’ébauche de plan d’entreprise.

[95]  Bien que TC voie des données d’entrée telles que les prévisions de trafic et les prévisions d’augmentations tarifaires de Marine Atlantique, M. Leamon a déclaré dans son témoignage que l’on tenait compte, pour déterminer les crédits, de toute l’information fournie par Marine Atlantique, c’est-à-dire l’ensemble des dépenses et des revenus. Fait important, M. Leamon a mentionné que Marine Atlantique n’attendait pas l’approbation de son plan d’entreprise pour mettre en œuvre les augmentations tarifaires. Par exemple, les augmentations tarifaires de 2017 ont été mises en œuvre en avril, mais au moment de l’examen de M. Leamon, en juin 2017, le plan d’entreprise n’avait pas encore été approuvé. Les tarifs auraient fait l’objet de discussions avec TC dans le cadre du processus de plan d’entreprise, mais TC n’aurait pas approuvé ces tarifs.

[96]  Et, même si Marine Atlantique avait l’obligation de fournir le plan d’entreprise, M. Leamon a indiqué qu’il n’existait pas d’exigence visant la production d’éléments déterminés. Toutefois, les prévisions liées au trafic, aux revenus et aux augmentations tarifaires sont incluses dans le document chaque année.

[97]  L’affidavit no 2 de Mme Bergevin indique qu’aux termes de l’article 109 de la LGFP, le conseil d’administration de Marine Atlantique est chargé de la gestion des activités de cette dernière. C’est le conseil d’administration de Marine Atlantique, et non le Canada, qui est responsable des opérations, de la gestion et des activités quotidiennes de Marine Atlantique. Marine Atlantique n’a pas de lien de dépendance avec le Canada et est propriétaire unique de ses actifs, qui comprennent des navires, des gares maritimes et des actifs connexes. Le Canada continue toutefois de surveiller globalement l’orientation politique générale des sociétés d’État telles que Marine Atlantique, par exemple en ce qui a trait à l’établissement de la politique de recouvrement des coûts et des niveaux de financement. Le ministre s’assure que des plans d’entreprise sont en place et que Marine Atlantique a reçu une orientation politique conforme à son mandat et qu’elle s’acquitte de ce mandat. L’article 122 de la LGFP exige que Marine Atlantique établisse annuellement un plan d’entreprise qu’elle remet au ministre aux fins d’approbation par le gouverneur en conseil. Le plan d’entreprise comprend des renseignements liés aux activités de Marine Atlantique, notamment ses investissements, et indique les objectifs quinquennaux de Marine Atlantique ainsi que sa stratégie pour les atteindre, y compris des indicateurs de rendement et des cibles. Le conseil d’administration approuve ce plan par résolution.

[98]  Pendant son contre-interrogatoire sur son affidavit, Mme Bergevin a déclaré que pendant l’élaboration du plan d’entreprise, TC et Marine Atlantique correspondent ou se rencontrent afin de discuter des plans provisoires avant de soumettre le plan définitif aux fins d’approbation par le gouverneur en conseil. TC émet des commentaires sur les ébauches de plan d’entreprise afin de préciser le contenu avant de demander une approbation officielle. Par exemple, si la stratégie de mesure du rendement de Marine Atlantique ne lui semble pas assez solide, TC peut demander à Marine Atlantique d’inclure davantage de renseignements. TC transmet également le plan provisoire au Bureau du Conseil privé, au Conseil du Trésor et au ministère des Finances Canada, et tout commentaire de ces entités est envoyé à TC. TC et Marine Atlantique communiquent entre octobre et mars pour s’assurer que le plan d’entreprise est approuvé au plus tard le 1er avril de chaque année. Mme Bergevin a affirmé, dans son témoignage, que de tels commentaires ne constituaient pas des instructions. Marine Atlantique est libre de tenir compte ou non de ces commentaires avant de soumettre le plan au ministre aux fins d’approbation par le gouverneur en conseil. Ces commentaires diffèrent également des instructions émises par le ministre aux termes de l’article 89 de la LGFP, qui sont exécutoires pour la société d’État visée. Mme Bergevin n’a pas considéré que le plan d’entreprise était un outil ou un mécanisme permettant au Canada de diriger, d’influencer ou de contrôler Marine Atlantique.

[99]  Je constate que les documents divulgués par Marine Atlantique et figurant au dossier qui m’est présenté établissent un échange d’ébauches de plans d’entreprise pour 2016-2017 à 2020-2021 entre TC et Marine Atlantique, et que le Bureau de la gouvernance des sociétés d’État de TC a émis des commentaires au sujet de ces ébauches et a transmis ces commentaires aux organismes centraux. Ces commentaires sont formulés comme des suggestions. Les commentaires concernaient notamment : la correction de fautes de frappe; l’ajout de détails sur Marine Atlantique et ses activités à l’intention des nouveaux ministres du Conseil du Trésor; l’uniformisation de l’utilisation des acronymes et la définition des termes dans le plan; l’ajout de précisions quant à l’information contenue dans les tableaux et les graphiques; l’inclusion des données sur le trafic de la dernière période afin d’améliorer la section des prévisions; l’ajout d’autres détails sur la situation économique de Marine Atlantique; la confirmation de la durée de vie des navires et du temps nécessaire pour les remplacer; la description détaillée des principaux risques auxquels est confrontée l’organisation; la remise en question de la formulation ou de la description des augmentations tarifaires de Marine Atlantique; la reformulation des objectifs de recouvrement des coûts pour le trajet non constitutionnel; et l’inclusion des frais d’intérêts sur les fonds publics. Ces échanges et ces commentaires n’indiquent pas que le Canada dictait les tarifs.

[100]  Comme il a été vu précédemment, le contenu général du plan d’entreprise d’une société d’État est déterminé par la LGFP. Le plan d’entreprise de Marine Atlantique pour 2016-2017 à 2020-2021 présente la vision de la société, son énoncé de mission et des descriptions de sa structure de gouvernance, de son équipe de direction et de son effectif. Le plan décrit plus en détail le Rapport de la vérificatrice générale du Canada pour 2009, les initiatives stratégiques et les perspectives économiques de Marine Atlantique (y compris les tendances démographiques et les tendances de consommation, les déplacements aériens et l’incidence globale sur le trafic de Marine Atlantique). Le plan d’entreprise comprend également le plan stratégique quinquennal de Marine Atlantique, et décrit de quelle façon ce plan sera mis en œuvre en recourant à une stratégie à long terme pour la flotte, à la gestion des risques, à des modèles de tarification et à d’autres activités. Marine Atlantique décrit également ses perspectives financières, notamment la demande, les tarifs, les prévisions de revenus, les dépenses de fonctionnement, les coûts, les besoins d’investissement et le recouvrement des coûts. Les projections financières et les indicateurs de rendement clé, ainsi que les approbations précises demandées respectivement au gouverneur en conseil et au Conseil du Trésor, sont également abordés et des états financiers sont ajoutés en annexe.

[101]  À la rubrique de la structure de gouvernance, le plan indique ce qui suit :

[traduction] Comme toutes les sociétés d’État, Marine Atlantique a été établie de manière à pouvoir fonctionner indépendamment de son unique actionnaire, le gouvernement du Canada. Bien que l’actionnaire fournisse une orientation politique et un financement pour les activités continues de la société, tel qu’il est indiqué dans la Loi sur la gestion des finances publiques, le conseil d’administration de Marine Atlantique veille à ce que la société s’acquitte de son mandat en établissant son orientation stratégique et ses objectifs organisationnels, et supervise la mise en œuvre de ces objectifs par la direction. Les membres du conseil d’administration sont nommés et leur nombre peut aller jusqu’à dix. Le président du conseil d’administration et le président-directeur général sont nommés par le gouverneur en conseil, sur la recommandation du ministre des Transports, et les membres du conseil sont nommés par le ministre des Transports, avec l’approbation du gouverneur en conseil.

[102]  Les approbations précises demandées sont les suivantes :

[traduction] Marine Atlantique demande au gouverneur en conseil d’approuver son plan d’entreprise pour 2014-2019, demande au Conseil du Trésor d’approuver les plans de fonctionnement et d’investissement qui s’y trouvent (voir la section 8 relative aux états financiers), et demande l’approbation du maintien d’une ligne de crédit, tel qu’il est décrit ci-dessous.

[103]  Quant aux tarifs :

En vue d’atteindre l’objectif de recouvrement des coûts de 65 %, la société a modélisé des prévisions de revenus en s’appuyant sur les renseignements suivants :

  Hausse tarifaire annuelle de 2.6 % pour tous les services de transport, y compris les frais de gestion des remorques sans tracteur, pour la période de planification. Cette augmentation sera mise en œuvre le 1er avril de chaque année.

  Passage de 15 % à 18 % du supplément pour carburant en 2016-2017, suivi de majorations supplémentaires de 3 % par année pendant le reste de la période de planification. Alors que le prix du carburant a fortement diminué, Marine Atlantique doit abandonner le mélange de carburants moins coûteux qu’elle utilise, au profit d’un gazole marin plus cher, afin de respecter la réglementation sur les émissions de soufre. L’augmentation du supplément pour carburant est nécessaire pour compenser la hausse du coût du carburant afin que Marine Atlantique atteigne son objectif de recouvrement des coûts. Cependant, toute augmentation prévue du supplément pour carburant devra être revue puisque le prix du carburant fluctue.

[...]

Bien qu’une hausse tarifaire de 2,6 % ne semble pas très importante en soi, l’effet conjugué de ces augmentations n’est pas négligeable. À la fin de la période de planification, les taux tarifés pour les services offerts par Marine Atlantique auront augmenté de 34 % depuis 2010, et ce, sans tenir compte des répercussions du supplément pour carburant. Ainsi, Marine Atlantique prévoit un certain degré de résistance de la part de ses clients et de ses intervenants quant à ses augmentations tarifaires prévues.

[...]

Marine Atlantique croit qu’une pression à la hausse continue sur les tarifs aura des conséquences négatives sur le trafic, étant donné que le transport maritime deviendra inabordable pour certains et que des méthodes de déplacement moins onéreuses seront plus répandues.

[104]  Le plan d’entreprise, contrairement à ce que pourraient laisser croire les observations d’Oceanex, ne se concentre pas sur l’établissement des tarifs pour 2016-2017. Il s’agit plutôt d’un rapport détaillé des affaires commerciales générales de Marine Atlantique, dont le contenu, d’une manière générale, est prévu par la LGFP.

[105]  Je ne suis pas non plus convaincue que le fait que les administrateurs de Marine Atlantique soient nommés par le ministre, avec l’approbation du gouverneur en conseil, indique un « contrôle » ultime de la société par le ministre, comme le prétend Oceanex. Ce mode de nomination est précisé dans les articles 105(1) et (5) de la LGFP et vaut pour toutes les sociétés d’État. De plus, conformément à la LGFP, le conseil d’administration d’une société d’État est chargé de la gestion des activités de celle-ci.

[106]  De même, la LGFP requiert qu’un plan d’entreprise soit préparé chaque année; ce plan, ainsi que son contenu général, doit être approuvé par le gouverneur en conseil sur recommandation du ministre. La société doit également soumettre, chaque année, un budget de fonctionnement que le Conseil du Trésor approuvera sur recommandation du ministre. Le simple respect de ces exigences législatives n’établit pas, à mon avis, que Marine Atlantique est contrôlée par le ministre de manière plus importante que toute autre société d’État mère devant rendre des comptes au Parlement par l’intermédiaire de ce ministre ou de tout autre ministre responsable.

[107]  De plus, bien que les éléments de preuve établissent que Marine Atlantique collabore étroitement avec la Direction générale de la gouvernance du portefeuille et des sociétés d’État de TC pour la préparation du plan chaque année, rien ne prouve que le niveau de communication ou le contenu des communications ont dépassé ce à quoi on devrait normalement s’attendre lorsqu’une société d’État prépare un plan d’entreprise. Le bon sens et la bonne gouvernance voudraient que les personnes qui préparent un plan d’entreprise, dont l’effet est l’allocation d’importantes sommes d’argent du Parlement pour financer les activités et les dépenses de fonctionnement de la société d’État, consultent le ministère responsable de cette société pour s’assurer d’obtenir les recommandations ministérielles nécessaires avant de soumettre le plan au gouverneur en conseil aux fins d’approbation. Autrement, on risquerait des retards et les conséquences opérationnelles qui en découlent. Rien ne vient non plus prouver qu’au cours de ces communications, TC a dicté les tarifs de transport de marchandises pour 2016-2017 aux fins de préparation du plan d’entreprise.

[108]  Bref, je ne suis pas convaincue que le processus d’élaboration du plan d’entreprise établisse que le ministre a contrôlé le processus, et donc les tarifs, ou que le ministre a approuvé les tarifs. S’il est vrai que TC savait quels tarifs Marine Atlantique proposerait dans son plan d’entreprise et n’a soulevé aucune objection à l’égard de ces tarifs, cela ne revient pas à dire que le ministre a établi et approuvé ces tarifs. Marine Atlantique a établi les tarifs de transport de marchandises pour 2016-2017 par décision de son conseil d’administration. Les tarifs et leur justification étaient indiqués dans le plan d’entreprise de Marine Atlantique. Le gouverneur en conseil a approuvé le plan et le Conseil du Trésor a approuvé le budget de fonctionnement et le budget d’investissement, le tout sur recommandation du ministre. Ce n’est qu’ensuite que le ministre a approuvé un résumé de ces plans, tels qu’ils avaient été approuvés auparavant par le gouverneur en conseil et le Conseil du Trésor. Les tarifs ne représentaient qu’une partie de l’approbation dans son ensemble et n’étaient pas abordés séparément.

[109]  J’aimerais également préciser que le paragraphe 122(6.1) de la LGFP prévoit que le gouverneur en conseil peut assortir de conditions l’approbation d’un plan. En outre, conformément à aux paragraphes 123(5) et 124(8), le Conseil du Trésor peut également assortir de conditions l’approbation du budget de fonctionnement et du budget d’investissement, respectivement. Aucune condition d’approbation de ce type n’a été précisée qui nécessiterait l’établissement des tarifs par le ministre ou empêcherait l’établissement des tarifs par Marine Atlantique ou autrement.

[110]  Pour ce qui est du moment auquel les tarifs ont été établis, comme il a été mentionné précédemment, les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 ont été approuvés par le conseil d’administration de Marine Atlantique par décision datée du 10 décembre 2015. Marine Atlantique a diffusé un communiqué précisant ses tarifs le 28 janvier 2016. Le plan d’entreprise pour 2016-2017 à 2020-2021 n’a pas été approuvé par le gouverneur en conseil avant le 20 mai 2016. Oceanex prétend que Marine Atlantique avait besoin de l’approbation du gouverneur en conseil pour donner suite au plan d’entreprise et qu’elle n’avait par conséquent pas le pouvoir d’établir des tarifs avant l’approbation du plan. Oceanex renvoie la Cour au paragraphe 122(5) de la LGFP pour appuyer sa thèse. Toutefois, le paragraphe 122(5) dispose seulement qu’il est interdit à une société d’État mère d’exercer pendant quelque période que ce soit des activités d’une façon incompatible avec le dernier plan d’entreprise. Je suis d’avis que ce paragraphe ne s’applique pas dans les circonstances.

  (iii)  Contrôle sur Marine Atlantique

[111]  J’ai examiné l’allégation d’Oceanex selon laquelle le ministre contrôlait Marine Atlantique au moyen de son plan d’entreprise susmentionné.

[112]  Oceanex soutient également qu’aux termes du paragraphe 7(2) de la LAAMA, le ministre est chargé de la gestion et du contrôle des biens et ouvrages de Marine Atlantique. Ceci, entre autres ou en plus d’autres éléments, prouve que le ministre contrôle Marine Atlantique, y compris l’établissement de ses tarifs. En revanche, le Canada prétend que l’article 7 sert uniquement à charger le ministre de la gestion et du contrôle des biens et ouvrages précisés. Marine Atlantique affirme que la LAAMA ne confère pas au ministre le contrôle direct de Marine Atlantique et n’aborde pas la question des tarifs. En ce qui concerne le décret de 1979, il s’agit des biens et ouvrages transférés exposés dans la partie II de l’annexe B et ces éléments sont hors de propos puisqu’ils ne se rapportent pas aux actifs maritimes dont Marine Atlantique est propriétaire. En outre, l’article 13 de l’entente tripartite exigeait du CN qu’il vende la totalité de ses intérêts dans les actifs liés aux traversiers à CN Marine, qui est par la suite devenue Marine Atlantique. Ces actifs liés aux traversiers sont énumérés à la partie I de l’annexe B du décret de 1979. En 1986, lorsque la LAAMA est entrée en vigueur, CN Marine (désormais Marine Atlantique) possédait la totalité des actifs maritimes.

[113]  Le paragraphe 7(1) de la LAAMA dispose qu’au reçu de l’ordre du ministre, le CN transfère au Canada les biens et ouvrages énumérés à la partie II de l’annexe B du décret de 1949. Le paragraphe 7(2) dispose que le ministre est chargé de la gestion et du contrôle des biens et ouvrages transférés au Canada en application du paragraphe 7(1).

[114]  Il est indiqué dans le décret de 1979 que le gouverneur en conseil, conformément à l’article 19 de la Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada, confiait au CN la gestion et l’exploitation des terrains détenus ou devant être acquis par le Canada, tel qu’il est prévu à l’annexe A, à la condition que certains de ces terrains soient loués à CN Marine. En outre, conformément à l’article 52 de la LGFP, le gouverneur en conseil a ordonné le transfert au CN de tous les droits, titres et intérêts relatifs aux biens et aux ouvrages énumérés à l’annexe B, en contrepartie de l’émission de la totalité des actions ordinaires de CN au profit du ministre, en fiducie. La partie II de l’annexe B s’intitule [traduction] « Résumé du ministère des Transports – Actifs du secteur ferroviaire situés dans les gares maritimes en date du 1er janvier 1979 ». Comme le titre l’indique, les actifs énumérés sont liés au transport ferroviaire; il n’y a pas de transfert de navires ou d’actifs liés au transport maritime.

[115]  Le décret de 1979, à la rubrique [traduction] « modalités et conditions », indique que pour permettre le mouvement du trafic ferroviaire ou des wagons entre les gares ferroviaires situées à North Sydney et à Port aux Basques, le CN doit obtenir, en achetant, en affrétant, en louant ou autrement, les installations et l’équipement maritime requis pour gérer et exploiter les services nécessaires à ce trafic ferroviaire. Il est également possible, sur approbation du ministre des Transports, de conclure des ententes avec d’autres parties en vue d’assurer la gestion et l’exploitation de tels services. Lorsqu’il existait, entre le Canada et un tiers, une entente prévoyant la gestion et l’exploitation des services de transport de véhicules routiers et de passagers entre North Sydney et Port aux Basques (ainsi que le transport de passagers et de marchandises le long de la côte sud de Terre-Neuve-et-Labrador), le CN n’était pas tenu de gérer et d’exploiter de tels services, conformément à ‘entente en question. Une copie non signée de l’entente tripartite est jointe au décret de 1979, sous l’appellation [traduction] « Annexe “A” aux soumissions au Conseil du Trésor ».

[116]  Ainsi, en 1979, par le biais du décret de 1979, les droits, titres et intérêts du Canada relativement aux biens et ouvrages exposés dans la partie II de l’annexe B (actifs du secteur ferroviaire) ont été transférés du Canada au CN. L’article 2 de l’entente tripartite a donné lieu au transfert au CN, par le Canada, des biens énumérés à la partie II de l’annexe B, [traduction« ces biens étant requis par le CN pour assurer les services contractuels de manutention des wagons ». Le paragraphe 17(a) de l’entente tripartite prévoyait que le CN loue ces biens à CN Marine. Et, en 1986, par le biais du paragraphe 7(1) de la LAAMA, le CN a retransféré les biens au Canada. Par conséquent, dans la mesure où le Canada, par le biais du paragraphe 7(2) de la LAAMA, était chargé de la gestion et du contrôle de ces biens et de ces ouvrages, cela ne concernait que les actifs du secteur ferroviaire. En outre, la dévolution de cette gestion n’a eu aucune incidence sur la façon dont Marine Atlantique a fourni des services de traversier sur le trajet constitutionnel. En d’autres termes, le contrôle des actifs du secteur ferroviaire redonné au Canada par l’article 7 ne signifie pas que le ministre contrôle la gouvernance opérationnelle de Marine Atlantique ou, plus précisément, l’établissement de ses tarifs pour les services de traversier.

[117]  De plus, comme l’a souligné Marine Atlantique, la partie I de l’annexe B du décret de 1979 est intitulée [traduction] « Résumé des actifs des services de traversier et de navigation côtière [...] ». Le décret de 1979 a donné lieu au transfert de ces actifs au CN, comme l’indique le paragraphe 2(a) de l’entente tripartite. En outre, conformément à l’article 13 de l’entente tripartite, le CN a vendu à CN Marine tous ses intérêts dans les biens énumérés à la partie I de l’annexe B, Part I. Ainsi, en 1986, au moment de l’entrée en vigueur de la LAAMA, par laquelle CN Marine est devenue Marine Atlantique, Marine Atlantique possédait déjà la totalité de ces actifs maritimes.

[118]  L’article 8 de la LAAMA, quant à lui, concerne le transfert de biens à Marine Atlantique. Le ministre, selon les modalités et conditions que pourrait imposer le gouverneur en conseil, était autorisé à vendre, à louer ou à transférer autrement à Marine Atlantique ou, au moyen d’une entente écrite, à permettre à Marine Atlantique d’utiliser tout bien meuble ou immeuble ou intérêt sur ce bien, ou tout pouvoir, droit ou privilège relativement à tout bien meuble ou immeuble ou intérêt sur ce bien qui est transféré ou qui appartient au Canada ou qui est contrôlé ou occupé par le Canada, et que le ministre gère ou contrôle. À mon avis, l’article 8 ne sert pas non plus à indiquer que le Canada exerce un contrôle sur Marine Atlantique. Il indique, au contraire, que le Canada permettra à Marine Atlantique d’accéder aux biens et de faire valoir ses droits de propriété nécessaires à l’exécution de ses activités. Quoi qu’il en soit, il est prouvé de manière irréfutable que Marine Atlantique est propriétaire et exploitante de trois navires, et en a affrété un quatrième, avec lesquels elle dessert le trajet constitutionnel et les gares maritimes.

[119]  Il en résulte, à mon avis, que les articles 7 et 8 de la LAAMA ne prouvent pas que le ministre contrôle Marine Atlantique ou ses activités.

[120]  Oceanex soutient également que deux lettres du ministre témoignent du contrôle qu’il exerce sur Marine Atlantique. La première est la lettre de 2007 du ministre. Elle a été envoyée par le ministre Cannon au nouveau président de Marine Atlantique, M. Robert Crosbie. On pouvait y lire que le ministre écrivait afin de souligner certaines des priorités de M. Crosbie, qui se rapportaient à son rôle et pouvaient être mises à jour périodiquement en fonction des changements éventuels, [traduction] « pour définir les attentes générales pour les cinq prochaines années ».

[121]  Le ministre indiquait que le contexte global dans lequel étaient établies les priorités était défini en partie par les examens spéciaux antérieurs du Bureau du vérificateur général, par le rapport du comité consultatif sur Marine Atlantique et par les indications fournies par les ministres du Conseil du Trésor. Ces ministres, lorsqu’ils ont approuvé le plan d’entreprise de Marine Atlantique pour 2006-2010, ont expressément demandé qu’une stratégie à long terme soit mise au point pour aborder les besoins financiers à long terme de Marine Atlantique, en tenant compte des besoins futurs en matière d’investissement et de flotte, des éventuelles mesures de réduction des coûts, des structures tarifaires, du niveau approprié de recouvrement des coûts et des solutions de rechange pour la prestation de services.

[122]  La lettre évoquait le déficit croissant de Marine Atlantique et indiquait qu’un financement supplémentaire était requis. Par conséquent, 54 millions de dollars supplémentaires par rapport au niveau de référence de l’époque avaient été approuvés pour les cinq années suivantes. Une demande d’examen des fonds était également formulée pour le prochain budget. Toutefois, le simple financement de la totalité du déficit de Marine Atlantique ne constituait pas une gestion adéquate des fonds publics. Le ministre se disait convaincu que Marine Atlantique pouvait augmenter son objectif de recouvrement des coûts, tout en admettant que [traduction« compte tenu de la nature essentielle du service et de sa composante constitutionnelle, l’objectif doit être raisonnable, particulièrement en ce qui a trait au niveau de revenus ». Un objectif de recouvrement des coûts situé entre 60 % et 65 % semblait raisonnable (en excluant les dépenses d’investissement et les prestations de retraite); cela représentait une augmentation par rapport au niveau de 56 % qui était alors en vigueur. Le ministre déclarait que le nouveau niveau devait être atteint et maintenu au cours des cinq années suivantes en ayant recours à une approche équilibrée, c’est-à-dire en combinant une stratégie de revenus et une stratégie de limitation des coûts, tel qu’il était indiqué dans la lettre.

[123]  Il était dit que la stratégie de revenus approuvée par le gouvernement mettrait fin à la nature arbitraire des augmentations tarifaires appliquées par le passé. La stratégie appliquait plutôt un raisonnement voulant que les tarifs sur le trajet constitutionnel pour les passagers et les véhicules ne soient pas traités de la même manière que les tarifs sur le trajet non constitutionnel. Ainsi, sur le trajet constitutionnel, les augmentations annuelles des tarifs pour les passagers et les véhicules devaient être égales à l’indice des prix à la consommation. Sur le trajet non constitutionnel, les tarifs devaient être fixés par le conseil d’administration de Marine Atlantique en respectant l’objectif de recouvrement des coûts. Le ministre indiquait qu’il faudrait mettre au point un plan quinquennal exposant des initiatives précises pour permettre à Marine Atlantique d’atteindre et de maintenir l’objectif de recouvrement des coûts.

[124]  En ce qui concerne les mesures du rendement, le ministre expliquait que le Bureau du vérificateur général avait signalé dans un examen spécial en 2004 que Marine Atlantique devait établir des objectifs de rendement plus complets. À cet égard, le ministre demandait aux fonctionnaires de TC de travailler avec Marine Atlantique afin d’élaborer ces objectifs conformément à une étude comparative menée par le ministère, et a demandé que les objectifs soient inclus dans les ententes auxiliaires annuelles d’exploitation et de financement de l’investissement, ainsi que dans le rapport annuel et dans le plan d’entreprise.

[125]  Le ministre concluait, pour chacune des propositions, qu’il était convaincu que le président continuerait à collaborer étroitement avec les fonctionnaires du Ministère et qu’il se réjouissait du soutien continu du président [traduction] « alors que nous travaillons ensemble pour garantir des services de traversier sûrs, fiables, efficaces et abordables assurant un lien social et économique essentiel entre la province de Terre-Neuve-et-Labrador et le reste du Canada ».

[126]  À mon avis, la lettre de 2007 du ministre est importante, car elle montre qu’en 2007, le ministre établissait les tarifs pour le trajet constitutionnel en les liant à l’indice des prix à la consommation. Cependant, pour le trajet non constitutionnel, Argentia, c’était au conseil d’administration de Marine Atlantique d’établir les tarifs conformément à l’objectif de recouvrement des coûts établi. Le ministre avait en outre clairement prévu que le conseil d’administration collaborerait étroitement avec les fonctionnaires de TC pour examiner les propositions établies. Lorsque je la lis dans son ensemble, toutefois, il ne me semble pas que la lettre de 2007 du ministre dicte un contrôle général sur Marine Atlantique, mais plutôt qu’elle établit des attentes générales à long terme.

[127]  Je mentionne, au passage, que l’établissement des tarifs avait été précédemment examiné dans le cadre de l’entente bilatérale. Ainsi, la permission accordée à Marine Atlantique d’établir les tarifs pour Argentia tels qu’ils sont décrits dans la lettre de 2007 du ministre dérogeait aux modalités de cette entente.

[128]  La deuxième lettre, soit la lettre de 2014 de la ministre, a été rédigée sept ans plus tard. Cette lettre, datée du 30 octobre 2014 et envoyée par la ministre Raitt, alors ministre des Transports, à M. Paul Griffin, directeur général de Marine Atlantique, informait ce dernier de décisions récentes du gouvernement ayant des répercussions pour Marine Atlantique et décrivait les attentes du gouvernement à cet égard.

[129]  La lettre indiquait tout d’abord l’intention de TC, au cours de l’année suivante, d’entreprendre un examen interne limité de tous les traversiers financés par le gouvernement fédéral, y compris les services offerts par Marine Atlantique, afin d’éclairer les décisions sur la manière dont le gouvernement devrait appuyer les services de traversier à long terme. La ministre précisait également que des pouvoirs stratégiques avaient été conférés à Marine Atlantique pour acheter les navires MV Highlander et MV Blue Puttees en 2015-2016 et pour affréter de nouveau le navire MV Atlantic Vision pendant une durée maximale de trois ans. Marine Atlantique devait également commencer à chercher un autre navire convenable pour l’affrètement afin de remplacer le MV Atlantic Vision, semblable aux MV Highlander et MV Blue Puttees, afin d’assurer l’homogénéité de la flotte.

[130]  De plus, une somme maximale de 517,2 millions de dollars sur trois ans (2015-2016 et 2017-2018) avait été garantie pour couvrir les dépenses d’investissement et les déficits opérationnels de Marine Atlantique. La lettre précisait en outre que Marine Atlantique devait poursuivre ses activités de la manière la plus efficace, efficiente, sécuritaire et respectueuse de l’environnement possible, tout en maintenant son objectif global de recouvrement des coûts de 65 % en utilisant la formule existante. Marine Atlantique devait également viser un recouvrement des coûts de 100 % pour ses services non prévus par la Constitution (Argentia, gestion des remorques sans tracteur et service à bord) en utilisant la formule existante.

[131]  La ministre informait également le directeur général que l’entente bilatérale entre Marine Atlantique et le Canada serait annulée après la résolution de toutes les questions liées aux biens immobiliers. [TRADUCTION] « Marine Atlantique devrait plutôt entamer une planification en fonction d’un ensemble d’indicateurs de rendement clés et d’objectifs examinés annuellement dans le cadre du processus de planification générale. »  Les cibles pour les indicateurs étaient définies comme étant l’efficacité et la fiabilité des services de traversier, ainsi que la satisfaction des clients. Après l’approbation du plan d’entreprise et des budgets de fonctionnement et d’investissement de Marine Atlantique pour 2014-2015 à 2018-2019, Marine Atlantique détiendrait le pouvoir requis pour commencer à mettre en œuvre les initiatives. La ministre remerciait tout le personnel de Marine Atlantique qui collaborait étroitement avec les fonctionnaires du Ministère en leur fournissant les renseignements nécessaires pour mettre au point la stratégie de Marine Atlantique.

[132]  La lettre de 2014 de la ministre n’établissait pas de tarifs et n’y faisait aucune référence. De plus, tel qu’il sera expliqué plus en détail ci-après, elle a été rédigée après que Marine Atlantique et le Canada ont déclaré que l’entente bilatérale, qui exigeait que le ministre établisse les tarifs, a été modifiée pour permettre au conseil d’administration de Marine Atlantique d’établir des augmentations allant jusqu’à 5 % sur le trajet constitutionnel, et ce, sans approbation ministérielle.

[133]  En résumé, bien que ces lettres confirment l’existence d’une étroite collaboration entre Marine Atlantique et TC, établissent des attentes générales et confirment que le ministre avait établi des taux de recouvrement des coûts que Marine Atlantique devait atteindre, je ne suis pas convaincue que cela soit révélateur d’un niveau de contrôle ministériel sur Marine Atlantique qui dépasse ce à quoi on pourrait s’attendre dans ces circonstances. Marine Atlantique est une société d’État responsable en dernier ressort devant le Parlement, par l’intermédiaire du ministre, de l’exercice de ses activités (article 88 de la LGFP). Ainsi, on peut s’attendre à voir une relation de travail continue entre elle et TC. Plus précisément, alors que la lettre de 2007 du ministre liait effectivement les tarifs pour le trajet constitutionnel à l’indice des prix à la consommation, elle précisait que les tarifs pour la liaison d’Argentia devaient être établis par Marine Atlantique. Contrairement à la lettre de 2007 du ministre, la lettre de 2014 de la ministre n’établissait pas de tarifs pour le trajet constitutionnel. À mon avis, bien qu’elle dénote un transfert de responsabilité quant à l’établissement des tarifs, cette lettre n’appuie pas l’idée que le ministre a pris la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017.

[134]  Enfin, il convient de mentionner qu’aux termes de l’article 89 de la LGFP, le gouverneur en conseil peut donner des instructions à une société d’État mère, s’il estime qu’il est d’intérêt public de le faire. Toutefois, avant que ne soient données des instructions, le ministre consulte le conseil d’administration sur leur teneur et leurs effets et prend les autres mesures énoncées à l’article 89. Bien que dans certaines parties de ses observations écrites, Oceanex utilise le terme « instruction », je ne dispose d’aucun élément de preuve me permettant de croire que des instructions aient été transmises à Marine Atlantique.

  (iv)  Entente bilatérale

[135]  Marine Atlantique, dans l’exercice de sa capacité d’entreprise, était autorisée à conclure des contrats et des ententes avec le Canada et avec d’autres entités en lien avec la poursuite de ses activités.

[136]  À cet égard et tel qu’il est indiqué dans le protocole d’entente, il convient de noter que le vérificateur général a critiqué l’absence d’ententes contractuelles entre le Canada et le CN quant aux services de traversier et de navigation côtière de la côte Est. Selon l’entente tripartite, l’objectif des parties contractantes était d’établir et de maintenir des conditions mutuellement satisfaisantes qui permettraient l’exécution, de temps à autre, d’ententes d’exploitation précises relativement à la gestion et à l’exploitation de certains services de traversier et de navigation côtière, qualifiés de « services maritimes contractuels ». Les parties ont convenu que les services maritimes contractuels seraient gérés et exploités conformément aux modalités et conditions des ententes d’exploitation précises, et ont convenu d’assurer le volume du trafic offert.

[137]  Le préambule de l’entente bilatérale, qui a remplacé l’entente tripartite, précise que les parties, par le biais de l’entente bilatérale, conviennent d’établir un ensemble de conditions mutuellement satisfaisantes qui, en fonction des obligations légales imposées par la Partie XII de la LGFP, ses règlements connexes et d’autres textes législatifs pertinents adoptés par le Parlement, faciliteraient la prestation, à la demande du Canada, de certains services de traversier et de navigation côtière. Compte tenu du préambule et des engagements et accords mutuels contenus dans l’entente bilatérale, les parties se sont entendues sur la prestation des services contractuels, c’est-à-dire les services de traversier et de navigation côtière tels qu’ils ont été définis, et ont convenu que Marine Atlantique assurerait les services contractuels tel qu’il est indiqué dans les ententes d’exploitation auxiliaires.

[138]  Oceanex ne remet pas en question le pouvoir de Marine Atlantique de conclure l’entente bilatérale. Elle soutient plutôt que Marine Atlantique et le ministre sont assujettis aux modalités de cette entente. À ce propos, l’entente bilatérale, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1987, obligeait le ministre, à l’égard de l’entente actuelle et des ententes auxiliaires futures, à informer Marine Atlantique, d’ici le 30 avril de chaque année, de toute modification des normes et des niveaux de service ainsi que du niveau général des tarifs (paragraphe 7(2)). Après avoir reçu cet avis, Marine Atlantique devait recommander au ministre, pour qu’il les approuve, les tarifs pour le transport de passagers, de véhicules et de cargaisons; l’approbation des tarifs par le ministre devait ensuite servir à déterminer les montants annuels maximums des paiements dans le cadre de l’entente d’exploitation (paragraphe 3(3)). Ainsi, en application de l’entente bilatérale, le ministre a approuvé les tarifs.

[139]  Il n’est pas contesté que l’entente bilatérale ne comprenait aucune modification officielle écrite permettant à Marine Atlantique d’appliquer des hausses annuelles des tarifs de transport de marchandises allant jusqu’à 5 %, et ce, sans l’approbation du ministre. Selon Oceanex, sans une telle modification, Marine Atlantique ne pouvait pas prendre la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017; seul le ministre pouvait le faire et, à cet égard, il devait tenir compte de tous les facteurs pertinents, y compris l’article 5 de la LTC et les répercussions des tarifs sur Oceanex. Lorsqu’elle a comparu devant moi, Oceanex a également prétendu que toute modification de l’entente bilatérale n’était possible qu’aux termes d’un décret.

[140]  La question est donc de savoir si le Canada et Marine Atlantique pouvaient modifier les modalités de l’entente bilatérale et, le cas échéant, si l’entente bilatérale a par la suite été modifiée pour permettre à Marine Atlantique d’établir ces tarifs.

[141]  Examinons maintenant le contexte de la prétendue modification de l’entente bilatérale. Selon le document intitulé « Mise en œuvre de la décision annoncée dans le budget de 2010 », l’objectif de la deuxième phase de la stratégie de revitalisation était de renforcer la gouvernance et la gestion de Marine Atlantique, d’améliorer ses services à la clientèle, de revoir son orientation commerciale et d’atteindre ou de dépasser un objectif de recouvrement des coûts de 60 à 65 %. En matière de renforcement de la gouvernance et de la gestion, le document indique que cet objectif comprenait l’augmentation des capacités de Marine Atlantique en matière de gestion des finances, des risques, du rendement, de l’actif et des projets. Le renforcement de la gouvernance supposait également une reddition de comptes accrue entre le personnel de gestion des services et le conseil d’administration, et entre le conseil d’administration et le ministre. En cherchant à réaliser ces objectifs au moyen de l’approche proposée, MAI corrigerait les principales lacunes relevées dans le rapport de 2009 du vérificateur général.

[142]  La justification fournie à la rubrique [traduction] « stratégies de gouvernance » est que le renouvellement de la gouvernance était nécessaire pour appuyer davantage la réponse de Marine Atlantique aux recommandations du vérificateur général. L’entente bilatérale, quant à elle, puisque la LAAMA n’offre aucun cadre global pour la relation contractuelle entre le Canada et Marine Atlantique, a été signée relativement à l’exploitation de services précis de traversier et de navigation côtière au Canada. Toutefois, l’entente n’avait pas été mise à jour depuis 1987, bien que Marine Atlantique ait connu d’importants changements, notamment la réduction de ses services, passant de l’exploitation de services de traversier entre quatre provinces et un État américain, à un service reliant Terre-Neuve-et-Labrador à la Nouvelle-Écosse. La raison de la révision de l’entente bilatérale a été indiquée et le document intitulé « Mise en œuvre de la décision annoncée dans le budget de 2010 » indique que TC poursuivra avec Marine Atlantique la mise au point d’une nouvelle entente bilatérale en vue de la soumettre au Conseil du Trésor aux fins d’approbation par le gouverneur en conseil d’ici la fin de 2010-2011.

[143]  À la rubrique [traduction] « stratégies de revenus », le document traite d’un recouvrement des coûts de 100 % sur les services à valeur ajoutée (c.-à-d. le service non constitutionnel) et de hausses tarifaires minimales sur le trajet constitutionnel :

[traductionAugmentations tarifaires minimes sur le trajet constitutionnel

11.  L’approche susmentionnée protège la clientèle qui emprunte uniquement le trajet constitutionnel entre North Sydney et Port aux Basques. Les tarifs pour ce service destiné aux passagers, aux véhicules des passagers et aux véhicules commerciaux ne devraient pas avoir à augmenter de plus de 3 % par année pour atteindre l’objectif global de recouvrement des coûts de la société. Toutefois, les augmentations tarifaires annuelles en fonction de l’IPC ne sont plus viables dans un avenir proche étant donné que les coûts de Marine Atlantique ont augmenté beaucoup plus rapidement que ses revenus.

12.  Marine Atlantique prévoit augmenter ses tarifs de transport sur le trajet constitutionnel de 6 % en octobre 2010, après l’annonce du plan de renouvellement des actifs et une amélioration importante prévue du service à la clientèle. Il convient de noter que la dernière hausse tarifaire, qui remonte à janvier 2009, cadrait avec l’augmentation de 2,5 % de l’IPC.

13.  Les augmentations tarifaires sur le trajet constitutionnel seraient établies par le Conseil d’administration de Marine Atlantique jusqu’à concurrence de cinq pour cent par an, en prenant en compte l’environnement opérationnel, la demande de trafic prévue et l’objectif global de recouvrement des coûts pour l’année. Une augmentation tarifaire supérieure devrait être soumise au ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, aux fins d’approbation avec une justification correspondante.

[Non souligné dans l’original.]

[144]  Pour ce qui est de la mise en œuvre, le document « Mise en œuvre de la décision annoncée dans le budget de 2010 » indique que peu après l’approbation par le Cabinet de ce mémoire au Cabinet, le président de Marine Atlantique recevrait du ministre une lettre décrivant les attentes, expliquant la stratégie de revitalisation et demandant à Marine Atlantique d’intégrer les stratégies détaillées dans le plan d’entreprise de 2010-2011 à 2014-2015 afin de continuer de progresser vers une orientation plus commerciale, de respecter les stratégies de recouvrement des coûts et d’améliorer le service à la clientèle. La mise en œuvre graduelle du plan quinquennal serait supervisée chaque année par TC et ferait l’objet d’un compte rendu dans les soumissions annuelles du plan d’entreprise de Marine Atlantique au Conseil du Trésor.

[145]  Le document « Mise en œuvre de la décision annoncée dans le budget de 2010 » a été envoyé à Marine Atlantique par courriel le 8 avril 2010. L’affidavit no 2 de Mme Bergevin indique que l’approbation de la stratégie de revitalisation de 2010 a été communiquée à Marine Atlantique par l’intermédiaire du document intitulé « Mise en œuvre de la décision annoncée dans le budget de 2010 ».

[146]  L’entente bilatérale n’a pas été modifiée officiellement par la suite et rien ne prouve qu’une lettre décrivant les attentes ait été envoyée par le ministre après la délivrance du document intitulé « Mise en œuvre de la décision annoncée dans le budget de 2010 ».

[147]  Toutefois, le plan d’entreprise de Marine Atlantique pour 2010-2011 à 2014-2015 décrit l’entente bilatérale révisée, dont l’achèvement est prévu en 2010-2011. Pour ce qui est de l’établissement des tarifs par Marine Atlantique, à la rubrique [traduction] « renouvellement de la gestion », on peut lire ce qui suit :

[traduction3.4 Génération de revenus

La stratégie de génération de revenus de Marine Atlantique a été mise au point en s’appuyant sur la recherche effectuée par deux sociétés d’experts-conseils spécialisées en marketing et en stratégie de tarification. La nouvelle approche de génération de revenus fera croître les revenus en optimisant les prix pour les services existants et en mettant en place de nouveaux services et tarifs, les objectifs étant les suivants :

  Améliorer le recouvrement des coûts pour les services constitutionnels.

  Progresser vers un recouvrement des coûts de 100 % pour les services non constitutionnels.

  Tarifs pour les services existants : Marine Atlantique mettra en place des hausses tarifaires pour un certain nombre de ses services existants à partir de 2010-2011, y compris les tarifs de base pour les liaisons d’Argentia et du Golfe, ainsi que les services de gestion des remorques sans tracteur. L’article 5.7 donne davantage de détails sur ces mesures.

  Mise en place de nouveaux services et tarifs : Marine Atlantique mettra en place une nouvelle redevance pour les terminaux et la sécurité en 2010-2011 et jettera les bases de la mise en œuvre d’une tarification dynamique en 2011-2012 avec la mise au point de l’approche de tarification dynamique entamée pendant la dernière partie de l’exercice 2010-2011. L’article 5.2.4 donne davantage de détails sur la tarification dynamique.

Les mesures susmentionnées engendreront des revenus supplémentaires pour la société et amélioreront son recouvrement global des coûts. Avec l’approbation de la stratégie de revitalisation, le Conseil d’administration de la société accepte à présent la responsabilité des futures modifications tarifaires pour tous les services, y compris jusqu’à concurrence de cinq pour cent par an sur les tarifs constitutionnels. Contrairement à la situation antérieure où les augmentations des tarifs constitutionnels étaient limitées aux augmentations de l’indice des prix à la consommation (IPC), la société bénéficie maintenant d’une flexibilité accrue.

[Non souligné dans l’original.]

[148]  De même, le rapport annuel de Marine Atlantique pour 2010-2011 reflète également ce changement de pouvoir quant à l’établissement des tarifs; à la rubrique [traduction] « Notes afférentes aux états financiers, nature des opérations et pouvoir », on peut lire ce qui suit :

Le gouvernement accorde chaque année à la société des crédits parlementaires pour ses opérations, dans la mesure où les revenus commerciaux ne permettent pas de récupérer le coût de la prestation des services de traversier. Le Conseil d’administration de la société accepte la responsabilité des modifications tarifaires pour tous les services, y compris jusqu’à concurrence de cinq pour cent par an sur les tarifs constitutionnels. La société établit également un supplément pour carburant en fonction de l’objectif annuel de recouvrement des coûts. Les acquisitions de navires, de bâtiments et d’équipement sont soumises à l’approbation des crédits parlementaires.

[149]  Ce changement est également reflété dans l’entente d’exploitation auxiliaire de Marine Atlantique pour 2010-2011.

[150]  Une résolution du Conseil d’administration de Marine Atlantique datée du 10 décembre 2015 approuvait le plan d’entreprise pour 2016-2017 à 2020-2021, y compris la hausse de 2,6 % des tarifs, l’augmentation de 3 % du supplément pour carburant en 2016-2017, ainsi que le plan d’investissement pour 2016-2017 incluant le plan de renouvellement de la flotte (l’augmentation du supplément pour carburant a par la suite été abrogée par décision du Conseil d’administration datée du 27 janvier 2016).

[151]  Les éléments de preuve contenus dans les affidavits de M. Leamon et de Mme Bergevin indiquent qu’au cours de chaque année depuis 2010, l’augmentation des tarifs de Marine Atlantique était inférieure à 5 % et était approuvée par Marine Atlantique sans participation du ministre.

(a)  Effet du décret de 1987 sur la modification de l’entente bilatérale

[152]  Lorsqu’elle a comparu devant moi, Oceanex a prétendu que le Canada et Marine Atlantique ne pouvaient pas modifier l’entente bilatérale et que toute modification nécessitait une autorisation obtenue par décret. Cela signifie que si Marine Atlantique a effectivement modifié les tarifs, cette modification a eu lieu sans autorisation et n’est pas recevable.

[153]  Le raisonnement d’Oceanex, si je le comprends bien, est que conformément au décret de 1949, le gouverneur en conseil a simplement confié au CN la gestion et l’exploitation du chemin de fer de Terre-Neuve, mais sous réserve des modalités et conditions que pourrait imposer le gouverneur en conseil de temps à autre. Le décret de 1949 n’accordait donc aucun droit absolu au CN. Ensuite, le rapport de 1976 que le Vérificateur général du Canada a remis à la Chambre des communes indiquait que conformément aux Conditions de l’union, en 1949, le Canada avait pris en charge l’exploitation du chemin de fer de Terre-Neuve, qui comprenait des services de traversier, et avait attribué la gestion et l’exploitation des services au CN au moyen d’une ordonnance, sous réserve et aux termes des règlements et conditions dont pourrait décider le gouverneur en conseil de temps à autre. Toutefois, aucun règlement ni aucune condition n’ont été émis et le CN a exploité les services sans entente ou directives officielles. Les critiques ont débouché, en 1977 sur le protocole d’entente entre le Canada et le CN, lequel exposait les modalités et conditions pour ces services. Grâce au décret de 1979 et à l’entente tripartite, le Canada a continué à exercer le pouvoir qu’il détenait depuis 1949 (mais qu’il n’avait pas utilisé avant le protocole d’entente) sur les [traduction] « modalités et conditions » régissant Marine Atlantique. Le décret de 1987 a suivi, qui autorisait l’entente bilatérale. À cet égard, Oceanex affirme que l’article 8 de la LAAMA correspond étroitement aux [traduction] « modalités et conditions » établies entre le Canada et le CNR. Elle prétend également que l’entente bilatérale reflète et met en application le pouvoir du gouverneur en conseil sur les modalités de fonctionnement de Marine Atlantique et, par conséquent, qu’un décret est nécessaire pour modifier cette entente.

[154]  Inversement, le Canada prétend que, même s’il y avait une disposition législative qui exigeait un décret en 1949, ce n’est plus le cas maintenant. La LAAMA ne comporte aucune disposition exigeant un décret. Le décret de 1987 n’a fait qu’approuver la décision du ministre de conclure l’entente bilatérale, et il s’agit du seul décret qui soit pertinent à l’heure actuelle. Cela dit, il ne confère pas au ministre la capacité ou l’autorité de conclure l’entente bilatérale, lesquelles découlent de sa capacité en tant que personne physique à conclure des contrats, et il n’enjoint pas au ministre de solliciter un décret en vue de modifier l’entente bilatérale.

[155]  À mon avis, pour trancher ce litige, il est nécessaire de prendre en compte, dans une certaine mesure, l’historique législatif pertinent. Par voie du décret de 1949, le gouverneur en conseil a reconnu que, conformément aux Conditions de l’union, le Canada prendrait à son compte le chemin de fer de Terre-Neuve, y compris le service de bateaux à vapeur et autres services maritimes. En outre, aux termes des dispositions de la Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada, le gouverneur en conseil peut, de temps à autre, par voie d’un décret, confier à CN la gestion et l’exploitation de lignes de chemin de fer, de biens et de travaux, de même que les pouvoirs, les droits ou les privilèges se rapportant à des lignes de chemin de fer, à des biens ou à des travaux qui, de temps à autre, pourraient être dévolus au Canada ou être possédés, contrôlés ou occupés par le Canada, sous réserve et aux termes de tels règlements et conditions, le gouverneur en conseil pouvant, de temps à autre, décider que la gestion et l’exploitation se poursuivent selon le bon plaisir du gouverneur en conseil et qu’elles soient sujettes à cessation ou à modification, de temps à autre, en totalité ou en partie, par le gouverneur en conseil. Par conséquent, par voie du décret de 1949, le gouverneur en conseil a ordonné que, à compter du 1er avril 1949, le chemin de fer de Terre-Neuve, y compris le bien y étant décrit dont le titre est dévolu au Canada soit par les présentes confié à CN aux fins de gestion et d’exploitation, selon les conditions expressément précisées dans la Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada, notamment que cette gestion et cette exploitation se poursuivent selon le bon plaisir du gouverneur en conseil et soient sujettes à cessation ou à modification, de temps à autre, en totalité ou en partie, par le gouverneur en conseil.

[156]  Il convient tout d’abord de noter que l’article 19 de la Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada énonçait expressément que le gouverneur en conseil peut, de temps à autre, par voie d’un décret, confier à CN la gestion et l’exploitation du bien y étant décrit. À ce titre, en 1949, la loi exigeait un décret si le gouverneur en conseil souhaitait confier la gestion et l’exploitation du bien ou le contrôle d’un chemin de fer à CN. En outre, le décret de 1949 a permis au gouverneur en conseil d’établir des modalités et des conditions quant à l’attribution du mandat de gestion et exploitation; cela dit, aucun élément de preuve ne me permet de croire que de telles modalités et conditions ont été établies.

[157]  La Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada a été abrogée dans sa totalité le 24 août 1995. Avant l’abrogation de cette loi, le gouverneur en conseil, par voie du décret de 1953, a modifié les conditions régissant l’attribution du mandat à CN qui étaient concernées par le décret de 1949 de sorte que, à compter du 1er janvier 1952, le Canada puisse assumer, à titre d’obligation directe, tout déficit survenant dans l’exploitation du trajet constitutionnel, et que les dépenses en immobilisations engagées dans le cadre du service ne soient pas portées aux comptes de CN, mais plutôt présentées en tant qu’éléments distincts dans les Comptes publics du Canada. Également avant l’abrogation de cette loi, par voie du décret de 1955, le gouverneur en conseil, encore une fois aux termes de l’article 19 de la Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada, a ordonné que la gestion et l’exploitation du traversier MV William Carson et du service de traversier assuré entre North Sydney et Port aux Basques soient confiées à CN, selon les conditions précisées dans la Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada, notamment que cette gestion et cette exploitation se poursuivraient selon le bon plaisir du gouverneur en conseil et seraient sujettes à cessation ou à modification, de temps à autre, par le gouverneur en conseil. Encore une fois, jusqu’à ce moment-là, aucune modalité ou condition n’étaient imposées par le décret de 1949 ni par celui de 1953.

[158]  Le protocole d’entente, conclu entre le Canada et le CN en 1977, ne fait pas mention d’un décret. Dans la section du protocole d’entente détaillant les renseignements généraux, il est notamment indiqué que les mandats confiés précédemment et le financement des déficits d’exploitation par le gouvernement ont donné lieu à une gestion diffuse et n’ont pas su fournir des mesures incitatives adéquates pour favoriser l’efficience. De plus, il est indiqué que le vérificateur général a critiqué l’absence d’ententes contractuelles entre le Canada et le CN quant aux services de traversier et de navigation côtière de la côte Est. Il était énoncé que le protocole d’entente avait pour but d’établir la compréhension des parties en ce qui concerne la constitution en personne morale de CN Marine et les rôles, responsabilités et rapports du Canada, de CN et de CN Marine relativement à la fourniture des services de traversier et de navigation côtière. Le protocole d’entente énonce qu’il n’établit pas d’obligations juridiquement contraignantes entre les parties (2(2)), mais qu’il facilitait la passation de marchés avec CN Marine quant à la fourniture des services en fournissant une déclaration générale des responsabilités pour chaque partie (4(1)c), 4(2), 4(3)a)).

[159]  Subséquemment, par voie du décret de 1979, le gouverneur en conseil, conformément à l’article 19 de la Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada, entre autres, a modifié le décret de 1949 en y ajoutant les modalités et conditions précisées en lien avec la gestion et l’exploitation du chemin de fer de Terre-Neuve. Il est à noter que c’était la toute première fois que de telles modalités et conditions avaient été énoncées. Ces dernières sont présentées ci-dessous :

[traduction] Modalités et conditions

(1)  en vue d’assurer la circulation du trafic ferroviaire par wagons de chemin de fer, au sein et entre les terminaux ferroviaires situés dans les ports de North Sydney, en Nouvelle-Écosse, et Port aux Basques, à Terre-Neuve, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada devra :

a)  obtenir, au moyen d’un achat, d’un affrètement, d’une location ou autre, les installations et l’équipement marin dont la Compagnie a besoin pour gérer et exploiter les services qui sont nécessaires pour assurer une telle circulation du trafic ferroviaire; ou

b)  sur approbation du ministre des Transports, conclure des ententes avec d’autres parties en vue d’assurer la gestion et l’exploitation de tels services.

(2)  Lorsqu’une entente visant à assurer la gestion et l’exploitation des services est en vigueur entre Sa Majesté et toute tierce partie relativement au :

a)  transport de véhicules routiers et de passagers entre les ports de North Sydney, en Nouvelle-Écosse, et Port aux Basques, à Terre-Neuve; et

b)  transport de passagers et de marchandises le long de la côte sud de Terre-Neuve et le long des côtes du nord de Terre-Neuve et du Labrador,

la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada ne sera pas tenue de gérer et d’exploiter ces services tels qu’ils sont établis en vertu de l’entente.

[160]  En conséquence, tel que l’a autorisé le décret de 1979, l’entente tripartie a été conclue le 18 mai 1979. L’entente tripartite énonce que les parties ont pour objectif d’établir et de gérer un ensemble de conditions mutuellement acceptables qui faciliteraient l’exécution, de temps à autre, d’ententes d’exploitation précises en lien avec la gestion et l’exploitation de certains services de traversier et de transport côtier (les « services maritimes contractuels ») et souligne que, par voie du décret de 1979, le gouverneur en conseil a modifié ou annulé certains décrets ou des portions de ceux-ci qui prévoyaient que certains biens du Canada et la gestion et l’exploitation de divers services de traversier et de transport côtier seraient confiés à CN.

[161]  Enfin, par voie du décret de 1987, le gouverneur en conseil, sur la recommandation du ministre, a approuvé l’annulation de l’entente tripartite et la conclusion d’une entente entre le ministre et Marine Atlantique essentiellement sous la forme de l’entente jointe à l’annexe « A », soit l’entente bilatérale. Le décret de 1987 ne fait nullement mention d’exigences législatives sous-jacentes énonçant la nécessité d’un décret pour appliquer cette action, contrairement aux décrets antérieurs qui étaient prescrits par l’article 19 de la Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada et renvoyaient à cet article lorsqu’il était question de confier la gestion et l’exploitation à CN.

[162]  Tel qu’il est susmentionné, le Canada soutient que, en l’absence d’une exigence législative, le décret de 1987 n’est qu’une simple reconnaissance par le gouverneur en conseil de la décision du ministre de conclure l’entente bilatérale. Il ne confère pas au ministre l’autorité, ou une source de pouvoir, lui permettant de conclure l’entente bilatérale. Le Canada allègue que le ministre avait la capacité juridique de conclure des contrats en application de la Loi sur le ministère des Transports, mais aussi parce que le ministre est en mesure de le faire en sa capacité de personne physique.

[163]  À cet effet, la disposition de la Loi sur le ministère des Transports portant sur le pouvoir général énonce simplement que le ministre occupe sa charge à titre amovible et qu’il assure la direction et la gestion du ministère (paragraphe 3(2)). En ce qui concerne les responsabilités précisées, celles-ci se rapportent uniquement aux canaux (paragraphe 7(1)) et au fait que le ministre peut exercer les pouvoirs et fonctions attribués par la loi, règlement ou décret, juste avant le 2 novembre 1936, au ministre de la Marine et, pour ce qui est de l’aviation civile, au ministre de la Défense nationale. Cependant, il est énoncé que, sous réserve de restrictions législatives autrement imposées, un ministre qui assure la gestion et la direction de son ministère, tel qu’il est décrit au paragraphe 3(2) de la Loi sur le ministère des Transports, se voit ainsi conférer par la loi l’autorité de conclure des contrats dans le domaine de pouvoir de son ministère (The Queen v. Transworld Shipping Ltd., [1976] 1 FC 159, 163 (CAF), aux pages 307 et 308). Tel qu’il est présenté dans l’ouvrage de Peter W. Hogg et al. intitulé Liability of the Crown, 4e éd. (Toronto : Carswell, 2011), à la page 322 :

[traduction] Autre que celle reconnue par la loi, la portée du pouvoir d’un fonctionnaire de l’État pour ce qui est d’assujettir la Couronne à un contrat est déterminée par le droit général en matière de mandat. Aucune loi ni aucun décret n’est nécessaire pour conférer le pouvoir de conclure des contrats. À moins d’une limitation imposée par une loi ou un décret (ou une autre directive du cabinet), un ministre, en sa qualité de directeur général d’un ministère, a le pouvoir d’assujettir la Couronne à un contrat en ce qui concerne toutes les questions qui s’inscrivent dans la portée des activités de son ministère...

[164]  Le Canada fait également valoir que le ministre a le pouvoir de conclure des contrats en common law et fait référence à l’arrêt Verreault pour étayer ses propos. Dans ce dernier, suite à un arrêté en conseil signé par le lieutenant-gouverneur de la province de Québec autorisant le ministre du Bien-être social à signer le contrat nécessaire à l’achat d’un terrain en vue de l’érection d’un foyer pour personnes âgées, le sous-ministre du Bien-être social a signé, au nom du ministre, un contrat avec l’appelante en vertu duquel cette dernière devait construire un tel foyer. À la suite d’élections, les travaux ont été interrompus. En Cour supérieure, l’appelante a obtenu un montant pour le profit perdu ainsi que pour dommages à sa réputation. La Cour d’appel du Québec a subséquemment rejeté l’action au motif que le contrat était nul, l’arrêté en conseil n’autorisant que l’achat du terrain et non la construction.

[165]  La Cour suprême du Canada a accueilli l’appel et a conclu que, en l’absence de restrictions législatives, un contrat signé par un représentant du gouvernement agissant dans les limites de son mandat apparent est un contrat valide obligeant le gouvernement. La Cour suprême du Canada a déterminé que la première loi en litige n’a pu être établie comme une législation de portée générale statuant qu’un arrêté en conseil est nécessaire pour la construction. De plus, ni l’arrêté en conseil en question, ni le contrat n’ont fait référence à cette législation. En ce qui concerne la seconde loi, l’article 8 de la Loi constituant le département du bien-être social, à l’instar de l’article 12 de la Loi sur le ministère des Transports, prévoit que nul acte, contrat, document ou écrit n’engage le ministère, ni ne peut être attribué au ministre, s’il n’est signé par lui ou par le sous-ministre. La Cour suprême du Canada a tranché qu’elle ne peut conclure des articles 8 et 10 – qui énoncent que le lieutenant-gouverneur en conseil peut autoriser le ministre, selon les conditions qu’il aura établies, à organiser des écoles et d’autres institutions gérées par le ministère – que le ministère ne pouvait pas accorder un contrat pour la construction du foyer pour personnes âgées sans l’autorisation du lieutenant-gouverneur en conseil.

[166]  Il était donc nécessaire d’établir si, en l’absence de restrictions législatives, un ministre est en mesure d’accorder un contrat au nom du gouvernement. La Cour suprême du Canada était d’avis qu’un contrat signé par un représentant du gouvernement agissant dans les limites de son mandat apparent est un contrat valide obligeant le gouvernement. Cependant, en l’absence de crédits affectés au contrat par le Parlement, le contrat n’est pas exécutoire. Dans cette affaire, pour étayer que le ministre peut conclure l’entente bilatérale en sa capacité de personne physique, le Canada s’appuie sur l’affirmation suivante de la Cour suprême : « Sa Majesté est évidemment une personne physique, et je cherche en vain le principe d’après lequel les règles générales du mandat, y compris celles du mandat apparent, ne lui seraient pas applicables. »

[167]  La Cour suprême du Canada a repris ce principe dans l’arrêt Labreque, concluant que le rapport entre un fonctionnaire et son employeur n’est pas, strictement parlant, un rapport avec un être abstrait qui serait l’État; c’est un lien avec une entité relativement plus concrète, la Couronne, qui personnifie l’État, mais qui ne jouit que du pouvoir exécutif. « La Couronne c’est également le Monarque, une personne physique qui, en plus de la prérogative, jouit d’une capacité générale de contracter selon les règles du droit commun. Cette capacité générale de contracter, tout comme la prérogative, est aussi l’un des attributs de la Couronne du chef de la Province : Verreault & Fils c. Le Procureur général du Québec ».

[168]  Notre Cour, dans la décision CAE Industries Ltd, a fait référence à l’arrêt Verreault, concluant ce qui suit :

[traduction] 73  Je conclus que, par le biais de la décision qu’elle a rendue dans l’arrêt Verreault, la Cour suprême du Canada cherchait à s’éloigner de ce que l’on considérait comme étant la sagesse juridique conventionnelle, notamment qu’un ministre de la Couronne n’est pas investi du pouvoir d’assujettir la Couronne à un contrat à moins que ce pouvoir existe en vertu d’une loi ou d’un décret. Je comprends que cette affaire établit que, selon les règles générales liées aux mandats, y compris les mandats apparents, un ministre de l’État, en tant que dirigeant d’un ministère, est investi du pouvoir d’assujettir la Couronne à un contrat, à moins que ce pouvoir ne soit restreint par une loi ou en vertu d’une loi. À mon avis, l’objet du contrat qui nous intéresse s’inscrivait dans les responsabilités générales des ministres responsables des ministères chargés des travaux ou concernés par ceux-ci.

[169]  Dans le cas en l’espèce, bien que le pouvoir général accordé au ministre aux termes du paragraphe 3(2) de la Loi sur le ministère des Transports n’autorise pas expressément le ministre à signer des contrats en lien avec le transport, il ne restreint pas le pouvoir du ministre à cet égard. Oceanex ne fait mention d’aucune autre restriction législative qui pourrait empêcher le ministre de conclure l’entente bilatérale sans un pouvoir législatif explicite. En outre, il n’y a aucune disposition législative, comme l’article 19 de la Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada, selon laquelle un décret doit être prononcé afin d’autoriser le ministre à conclure l’entente bilatérale avec Marine Atlantique. En outre, selon l’arrêt Verreault, le paragraphe 12(1) de la Loi sur le ministère des Transports n’indique pas que le ministre ne peut pas conclure un contrat sans l’autorisation obtenue par voie d’un décret. Par conséquent, la conclusion de l’entente bilatérale s’inscrirait, à mon avis, dans les responsabilités générales et les pouvoirs du ministre (CAE Industries Ltd, au paragraphe 74).

[170]  Cela dit, il y a le décret de 1987 à prendre en compte. Tel qu’il a été mentionné précédemment, ce décret énonce que le gouverneur en conseil a approuvé l’annulation de l’entente tripartite et la conclusion par le ministre d’une entente avec Marine Atlantique, à savoir l’entente bilatérale. Oceanex fait valoir que cela signifie que l’entente bilatérale ne peut, à ce titre, être modifiée sauf par voie d’un décret.

[171]  Étant donné que j’ai conclu qu’un décret n’est pas nécessaire pour autoriser le ministre à conclure l’entente bilatérale, je suis également d’avis qu’il n’est pas nécessaire qu’un décret l’autorise à modifier ladite entente.

[172]  Je suis aussi d’avis que la simple existence du décret de 1987 ne lui confère pas – tout comme l’entente bilatérale – un statut juridique. Dans l’arrêt Coyle, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a fait référence à la décision rendue par la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans NS Power, où l’on a fait valoir que l’approbation de certains contrats par voie d’un décret conférait aux contrats un [traduction] « statut juridique particulier ». La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a souligné qu’il existe au moins deux sortes de décrets. Il peut s’agir de l’exercice par un gouverneur en conseil d’un pouvoir législatif conféré par la loi. Il peut également s’agir d’actes administratifs de la nature de ceux couramment prescrits par la loi. Ces derniers sont de nature exécutive. Ils ne promulguent pas de lois ou de règlements, mais remplissent des fonctions de direction par le biais du pouvoir de la prérogative royale ou tel qu’il est autorisé par la loi, par exemple la nomination de fonctionnaires, l’approbation des dépenses et l’approbation des contrats (Coyle, au paragraphe 14).

[173]  Dans NS Power, les approbations des contrats en question par voie de décret ont été déterminées comme étant des actes d’approbation qui ne relevaient pas de l’exercice par le gouverneur en conseil d’un pouvoir législatif qui lui avait été conféré par le législateur. Il s’agissait plutôt d’actes de contrôle administratifs de la nature de ceux couramment prescrits par la loi en vue d’assurer une supervision, par le Cabinet, des actions importantes ou hors de l’ordinaire d’une société d’État. Les approbations étaient comme les autres approbations du gouverneur en conseil, approbations que la société devait obtenir avant de prendre des mesures, notamment avant de conclure des contrats. Les approbations étaient des actes de natures exécutives, semblables aux milliers de décrets qui ne promulguent pas de lois ou de règlements, mais qui remplissent des fonctions de direction au moyen de l’exercice de la prérogative royale ou, plus couramment, tel qu’il est autorisé par la loi. Dans cette affaire, l’incidence juridique d’accorder une telle approbation se résumait simplement à accorder à la société le pouvoir de conclure certains contrats, un pouvoir qui serait sans effet sans une telle approbation, rendant le contrat hors compétence de la société (aux paragraphes 56 et 57).

[174]  Dans l’arrêt Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, la Cour suprême du Canada a examiné si certains types de décrets, de même que certains documents inclus par référence, correspondaient à l’article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba et devaient ainsi être traduits. La Cour suprême a examiné les critères qui étaient appliqués pour distinguer les instruments législatifs des autres types d’instruments. En ce qui a trait aux décrets autorisant un ministre ou une société d’État à conclure un contrat, la Cour suprême conclu que, d’ordre général, un instrument de cette nature ne comporte pas de « règle de conduite » (c’est-à-dire une règle qui établit les standards ou normes de conduite, lesquels déterminent la façon dont les droits sont exercés et les responsabilités sont assumées), ce qui a force de loi et ne s’applique manifestement pas à un nombre indéterminé de personnes. Ces types de décrets ont été déterminés comme n’étant pas de nature législative, bien que la situation puisse être différente si le contrat est conclu en vertu d’une loi, essentiellement à titre de substitut aux fins de promulgation d’un règlement. Il en est de même pour les contrats et les annexes pouvant être joints à un tel décret, puisque, dans la plupart des cas, les instruments auxquels ils sont joints ne sont pas de nature législative, tout comme les documents inclus en pièce jointe.

[175]  Dans le cas en l’espèce, le décret de 1987, qui approuvait la conclusion de l’entente bilatérale par le ministre, n’était pas nécessaire ni prononcé aux termes d’une loi. Il n’est pas de nature législative, ne promulgue pas une règle de conduite et n’a pas force de loi pour un nombre indéterminé de personnes (Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, aux paragraphes 19 et 20). À mon avis, le décret de 1987, bien qu’il ne fût pas strictement nécessaire, était de nature exécutive et servait à confirmer l’approbation par le Parlement de la ligne de conduite recommandée du ministre, soit l’exécution de l’entente bilatérale, un contrat ayant d’importantes répercussions au chapitre des coûts et qui nécessite l’approbation annuelle des crédits par le Parlement.

[176]  Dans ces circonstances, je ne puis conclure, comme l’affirme Oceanex, qu’un décret était nécessaire pour modifier l’entente bilatérale. Qui plus est, à mon avis, une fois que l’entente bilatérale a été exécutée, ce fut les modalités de ce contrat qui ont régi la relation entre les parties, y compris la modification de cette entente.

(b)  Le paragraphe 7(2) de l’entente bilatérale a-t-il été modifié par les parties de sorte que le ministre n’était pas tenu d’approuver les tarifs de Marine Atlantique, lesquels étaient inférieurs à 5 %?

[177]  L’entente bilatérale ne mentionne aucune modification. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que les modifications soient présentées par écrit, tout comme la modification de l’entente sanctionnée. Il est à noter que l’article 34 prévoit que le défaut par le ministre d’exiger que l’on s’acquitte de toute obligation, ou le défaut d’exercer tout droit précisé dans l’entente, ne constituera pas un abandon, une renonciation ou une cession de tout droit du Canada en vertu de l’entente. Pourtant, c’est ce qu’a fait le ministre, et il n’insiste pas sur l’application du droit d’établir les tarifs. Ou, plus précisément, d’aviser annuellement Marine Atlantique de tout changement apporté au chapitre des normes et des niveaux de services et du niveau général des tarifs aux termes du paragraphe 7(2). De plus, il n’est pas contesté qu’il y a eu modification; les signataires du contrat s’entendent d’ailleurs sur ce point.

[178]  De même, l’article 33 indique que, advenant un litige quant à l’interprétation, à la signification, à l’application ou à l’obligation découlant d’un engagement figurant dans l’entente bilatérale, la question devra être résolue au moyen d’une décision définitive et exécutoire qui sera prise par le gouverneur en conseil après avoir consulté le président du conseil de la société. Il n’y a aucune disposition semblable qui exigerait une décision du gouverneur en conseil pour modifier l’entente. Par ailleurs, les signataires du contrat n’ont fait mention d’aucun litige quant à son application. De plus l’article 35 énonce qu’aucune condition ou obligation implicite de quelque type que ce soit par le Canada ou au nom de celui-ci ne découlera de l’entente bilatérale, et que les engagements et les accords qu’elle contient et qui sont conclus par le Canada sont les seuls accords et engagements en vertu desquels les droits à l’encontre du Canada pourraient être fondés. Cela ne laisse pas entendre que le Canada est implicitement tenu d’apporter des modifications à l’entente bilatérale par écrit ou sous réserve de l’approbation du gouverneur en conseil.

[179]  Oceanex ne conteste pas le statut de l’entente bilatérale comme étant quoi que ce soit d’autre qu’un contrat. Elle estime plutôt que l’entente bilatérale ne pourrait pas être modifiée sans décret et que, effectivement, elle n’a pas été modifiée en l’absence d’une modification par écrit. Cependant, compte tenu de l’élément de preuve tel qu’il a été décrit ci-dessus, il est clair que, depuis 2010, le Canada et Marine Atlantique sont partis du principe que l’entente bilatérale avait été ainsi modifiée.

[180]  Il existe un précédent établissant qu’un contrat écrit peut être annulé ou modifié au moyen d’une entente verbale subséquente, et que la conduite ultérieure des parties peut justifier une modification ou une annulation (voir l’ouvrage de S.M. Waddams intitulé The Law of Contracts, 7e éd. (Toronto : Thomson Reuters, 2017), au paragraphe 332; Triple R Contracting Ltd. v. 384848 Alberta Ltd., 2001 ABQB 52, aux paragraphes 21 et 22).

[181]  Tel qu’il est mentionné dans l’arrêt Shelanu Inc : [traduction]

[54]  Lors de l’instance, l’existence d’une entente verbale et, à ce titre, l’intention des parties, était en litige. Le juge qui présidait s’est fondé sur la conduite ultérieure des parties pour supposer qu’elles ne souhaitaient pas continuer d’être liées par les clauses d’exclusion de l’entente. Le juge qui présidait avait conclu que, précédemment, Print Three avait accepté oralement la cession d’une franchise par Shelanu, et qu’elle avait permis à celle-ci de changer d’endroit et de louer des locaux sans officialiser quoi que ce soit par écrit. Comme les parties ont, par le biais de leur conduite ultérieure, modifié l’entente écrite de sorte qu’elle ne représente plus l’intention des parties, la Cour refusera d’exécuter l’entente écrite. Et ce, en dépit d’une clause exigeant que les changements apportés à l’entente soient indiqués par écrit. Voir Colautti Construction Ltd. v. City of Ottawa, 1984 CanLII 1969 (ON CA), 46 OR (2d) 236, 9 DLR (4th) 265 (C.A.), par le juge Cory.

[55]  Lors de l’appel, l’appelante a reconnu l’existence de l’entente verbale et de ses modalités, mais a demandé à notre Cour d’exécuter l’entente écrite plutôt que l’entente verbale. Cette observation, en réalité, demande à notre Cour de ne pas donner effet à l’intention des parties. Une telle observation est contraire à la théorie classique de l’interprétation des contrats, qui met en relief que les cours doivent déterminer et donner effet à l’intention des parties : R. Sullivan, Contract Interpretation in Practice and Theory, (2000) 13 S.C.L.R. (2d) 369.

[56]  À la page 378, Sullivan affirme que [traduction] « si, comme le laisse supposer l’ensemble de la preuve, il y a conflit entre l’intention des parties, d’une part, et le sens du texte, d’autre part, l’intention devrait l’emporter. » Le professeur Waddams a également fait valoir que si une partie sait ou a des raisons de croire qu’un contrat écrit sur lequel s’est fondée cette partie ne reflète pas l’intention de l’autre partie, le contrat ne doit pas être exécuté. Voir S.M. Waddams, The Law of Contracts, 3e éd. (Toronto : Canada Law Book, 1993), aux paragraphes 328 et 329.

[182]  En règle générale, la doctrine de la connexité dicte qu’un contrat ne peut pas conférer de droits ni imposer d’obligations à une personne qui n’est pas partie à celui-ci. Bien que des exceptions raisonnées puissent s’appliquer, cela dépend de l’intention des parties contractantes. Le critère de l’intention a été établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Fraser River, soit que les parties au contrat doivent avoir l’intention d’accorder le bénéfice en question au tiers qui cherche à invoquer la disposition contractuelle et les activités exercées par le tiers qui cherche à invoquer la disposition contractuelle doivent être les activités mêmes qu’est censé viser le contrat en général, ou la disposition en particulier, là encore compte tenu des intentions des parties.

[183]  Le cas en l’espèce diffère de celui présenté dans l’arrêt Fraser River. Rien ne porte à croire que le Canada et Marine Atlantique avait l’intention d’accorder un avantage à Oceanex dans le cadre de l’entente bilatérale, ou en application du paragraphe 7(2). Par conséquent, la règle du tiers bénéficiaire ne s’applique pas. Comme Oceanex, en tant que tierce partie, ne s’est pas raisonnablement fiée au paragraphe 7(2), il n’y avait aucune raison de limiter les pouvoirs dont disposent les parties pour changer les modalités de leur relation (Angela Swan et Jakub Adamski, Canada Contract Law, 3e éd. (Markham : LexixNexis, 2012), au paragraphe 3.28). Oceanex est une tierce partie à l’entente bilatérale, et ni l’entente, ni la common law empêchent le Canada et Marine Atlantique de convenir de modifier les modalités de l’entente bilatérale.

[184]  En effet, en insistant que le ministre approuve les tarifs, Oceanex cherche à faire appliquer le paragraphe 7(2) de l’entente bilatérale. Cependant, il n’y a aucun principe constitutionnel ou juridique pertinent qui permettrait d’empêcher le Canada et Marine Atlantique de modifier l’entente bilatérale, et la preuve quant à leurs actions ultérieures établit clairement qu’ils ont procédé de cette façon.

[185]  De plus, je juge non fondée l’observation d’Oceanex voulant que le document intitulé « Mise en œuvre de la décision annoncée dans le budget de 2010 » illustre que l’approbation du gouverneur en conseil était requise pour modifier l’entente bilatérale, ou que le fait qu’il mentionne qu’on entend procéder à une révision de l’entente bilatérale exclut la possibilité de modifier celle-ci. Ce dernier point n’est également pas étayé par le fait que le document indique expressément que les tarifs sur le trajet constitutionnel seraient établis par le conseil d’administration de Marine Atlantique jusqu’à un maximum de 5 % par année.

[186]  En conclusion, compte tenu des éléments de preuve dont je dispose, je conclus que c’est Marine Atlantique, et non le ministre, qui a pris la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017. Aucune loi n’imposait au ministre d’établir des niveaux de tarifs précis. Les décrets antérieurs, le plan d’entreprise, les lettres de la ministre ou la relation entre TC et Marine Atlantique ne permettent pas non plus d’établir que le Canada exerçait un contrôle sur les activités de Marine Atlantique, outre sa relation avec celle-ci en tant que société d’État, et aurait ainsi effectivement pris la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017. De plus, même si l’entente bilatérale accordait à la ministre le droit contractuel convenu de procéder ainsi, les parties à ce contrat ont apporté et appliqué une modification non officielle à l’entente bilatérale en vue de permettre à Marine Atlantique d’établir des augmentations de tarifs allant jusqu’à 5 %, et ce, sans approbation ministérielle. Aucune des parties contractantes ne conteste ce fait, et les actions respectives de ces dernières appuient la modification envisagée. Par ailleurs, aucun décret n’était nécessaire pour autoriser la modification.

b)  Marine Atlantique constitue-t-elle un office fédéral?

[187]  Le fait que j’aie conclu que Marine Atlantique a pris la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 soulève la question suivante : ce faisant, Marine Atlantique a-t-elle agi à titre d’office fédéral, accordant ainsi à notre Cour compétence pour contrôler la décision en cause?

Observations d’Oceanex

[188]  Oceanex prétend que la Loi sur les Cours fédérales permet à notre Cour de contrôler des décisions prises par un office fédéral qui tirent leur origine d’une loi ou d’une prérogative royale. Une interprétation large de la compétence de la Cour accroît la responsabilité de l’administration publique et promeut l’accès à la justice (Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, au paragraphe 32 [TeleZone]). De même, l’exercice de l’autorité publique doit procéder de la loi pour que soit maintenue la responsabilité du gouvernement dans le contrôle judiciaire (Dunsmuir, au paragraphe 28).

[189]  En l’espèce, la source de la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 et à la fois la loi et la prérogative royale. Le décret de 1949 et le décret de 1979, tous deux émis en vertu de l’article 19 de la Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada, avaient un lien statutaire direct. Le décret de 1987 et l’entente bilatérale, par son préambule, sont liés à la LGFP. Le gouverneur en conseil a exercé la prérogative lorsqu’il a approuvé l’entente bilatérale par voie du décret de 1987. Tout exercice de la prérogative royale peut être susceptible de contrôle judiciaire, tel qu’il a été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hupacasath (aux paragraphes 66 et 67), la Cour ayant tenu compte de la nature de la décision contestée plutôt que de la source du pouvoir. Bien qu’il y eut un temps où la prérogative n’était pas susceptible de contrôle judiciaire, seules les décisions purement politiques sont désormais exemptées d’un contrôle judiciaire par la Cour, notamment l’octroi de décorations ou une déclaration de guerre (Black v. Canada (Prime Minister) (2001), 54 OR (3d) 215 (ON CA), aux paragraphes 50 et 51 [Black v. Canada]). Puisque l’établissement de tarifs n’est pas une question purement politique, Oceanex fait valoir que la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 est susceptible de contrôle judiciaire en tant qu’exercice de la prérogative royale. En outre, même si la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 est une décision de nature politique, Oceanex affirme que ce fait a uniquement une incidence sur la norme de contrôle, et non sur la compétence de la Cour.

[190]  Oceanex fait également valoir que la prérogative royale comprend l’exercice de pouvoirs en tant que personne physique (Médecins Canadiens pour les soins aux réfugiés c. Canada (Procureur général), 2014 CF 651, au paragraphe 392; Peter W Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e éd. (Toronto : Carswell, 2007), au paragraphe 1.9). Dans le cas en l’espèce, par voie du décret de 1987, le gouverneur en conseil a approuvé l’entente bilatérale au moyen de la prérogative.

[191]  Même si Oceanex est d’avis que le ministre a pris la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017l, à titre subsidiaire, elle prétend que Marine Atlantique a agi à titre d’office fédéral lorsqu’elle a établi les tarifs pour le trajet constitutionnel et que, de ce fait, sa décision est susceptible de contrôle judiciaire. Bien que Marine Atlantique ne soit pas une mandataire de la Couronne, et qu’elle a la capacité juridique de conclure un contrat en vertu de la LCSA, les décisions de la société peuvent tout de même faire l’objet d’un contrôle judiciaire au moyen d’une analyse fonctionnelle de ses rôles publics et privés (Air Canada c. Administration Portuaire De Toronto Et Al, 2011 CAF 347 [Air Canada]).

[192]  Marine Atlantique est le principal instrument du gouvernement pour assurer un service de traversier sur le trajet constitutionnel, ce qui est de nature publique. Oceanex fait valoir que la fonction essentielle de Marine Atlantique est de fournir des services sur le trajet constitutionnel, un acte de nature publique qu’il est impossible de dissocier de l’établissement des tarifs. Le fait que le Canada s’acquitte de son obligation constitutionnelle par le biais d’un contrat avec Marine Atlantique, une société d’État, n’a pas pour effet de changer la nature de la question et ne met pas l’établissement des tarifs à l’abri du contrôle judiciaire (Air Canada, au paragraphe 52; DRL Vacations c. Administration portuaire de Halifax, 2005 CF 860, au paragraphe 55 [DRL Vacations]; Archer c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1175,  aux paragraphes 25-27 et 35-36 [Archer]; TeleZone, aux paragraphes 3 et 32; Dunsmuir, aux paragraphes 28-29; Rubin v. President Canada Mortgage & Housing Corp., [1989] 1 FCR 265, aux paragraphes 17-18; Re Doctors Hospital and Minister of  Health et al., (1976), 12 OR (2d) 164 (ON SC); Union Saint-Laurent, Grand Lacs c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2009 CF 408, aux paragraphes 223-225). Oceanex prétend que l’ensemble du processus décisionnel montre qu’il a été façonné par des politiques et des instruments publics, y compris la LGFP, l’entente bilatérale et le décret de 1987. Étant donné son étroite relation avec TC, Marine Atlantique est également intégrée au réseau gouvernemental, son existence étant [traduction] « inextricablement liée à un régime législatif ». De plus, Marine Atlantique est publiquement financée, dirigée et contrôlée par le ministre, et ses activités proprement dites ne peuvent pas être qualifiées comme étant dépourvues d’un lien de dépendance avec le ministre. Étant donné que Marine Atlantique est financièrement dépendante du gouvernement, elle se distingue des entités autonomes telles que les autorités portuaires (DRL Vacations, au paragraphe 17). Selon Oceanex, un examen de l’ensemble de la matrice juridique et factuelle permet d’établir que Marine Atlantique sert une fin publique et que la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

Observations de Marine Atlantique

[193]  Marine Atlantique prétend qu’en établissant ses tarifs, elle n’a pas agi en vertu d’un pouvoir qui lui avait été conféré à titre d’office fédéral. Le pouvoir d’établir des tarifs pour les services qu’elle assure découlerait plutôt de sa personnalité juridique en tant que société dotée des pouvoirs d’une personne physique que lui accorde la LCSA, et non d’un pouvoir qui lui aurait été conféré sous le régime d’une loi fédérale. Bien que Marine Atlantique ait, en partie, cédé ce droit par la conclusion de l’entente bilatérale, en 2010, le ministre a rétrocédé une partie de son pouvoir d’établissement des tarifs. Le ministre, en renonçant à son droit contractuel d’établir des tarifs, n’a pas conféré de pouvoir à Marine Atlantique, mais a simplement éliminé une restriction contractuelle (Pillsbury Canada Ltd v Minister of National Revenue, [1964] CTC 294 (Ex Ct), au paragraphe 22; Southam Inc et al v Attorney General of Canada et al, [1990] 3 FC 465, à la page 13 (CAF) [Southam]).

[194]  Même si on a perçu comme une renonciation au pouvoir le fait que les pouvoirs d’établissement des tarifs inhérents à Marine Atlantique lui aient été cédés de nouveau en 2010, Marine Atlantique peut uniquement être un office fédéral si cette renonciation a eu lieu en vertu d’une loi fédérale ou d’une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale (Southam, aux pages 13 et 14). Dans le cas en l’espèce, aucune loi ne visait à autoriser Marine Atlantique à établir des tarifs de transport commercial de marchandises. De plus, aucun pouvoir ne lui a été attribué par voie d’une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale. Toute attribution a eu lieu par contrat. Le droit de la Couronne d’acquérir ou d’aliéner des droits par contrat, dans le cas présent en acquérant puis en cédant les droits contractuels relatifs au contrôle sur les tarifs de Marine Atlantique conformément à l’accord bilatéral, découle de sa capacité en tant que personne physique et non d’un pouvoir ou d’un privilège propre à la Couronne (Christopher Forsyth et William Wade, Administrative Law, 11d (Oxford : Oxford University Press, 2014), à la page 180; HWR Wade, Procedure and Prerogative in Public Law, (1985), 101 LQR 180, à la page 191; Labreque, à la page 1082).

[195]  Enfin, pour qu’une décision soit susceptible de contrôle judiciaire, elle doit englober l’exercice d’un pouvoir public, et ne pas simplement constituer les actes d’une partie en sa qualité personnelle ou commerciale. La définition d’« office fédéral » n’englobe pas les pouvoirs de nature privée que peut exercer une société, qui ne sont que des éléments accessoires de sa personnalité juridique ou de son entreprise autorisée. Les activités de Marine Atlantique consistent à assurer des services de traversier, et la décision quant aux tarifs qui doivent être imposés pour ce service est une décision commerciale privée, et non une question de droit public. Marine Atlantique n’est pas un mandataire de la Couronne ni un organe administratif reconnu par la loi ayant des responsabilités publiques. Par ailleurs, l’établissement des tarifs par Marine Atlantique ne découle pas directement d’une source de droit publique. De plus, Marine Atlantique n’est pas intégrée au réseau gouvernemental et n’exerce pas un pouvoir en tant qu’élément de ce réseau. Aucun élément de preuve ne permet de conclure que la décision du conseil d’administration de Marine Atlantique était dirigée, contrôlée ou influencée de façon importante par le gouvernement ou une autre entité publique. Par conséquent, sa décision n’était pas celle d’un office fédéral et n’était pas susceptible de contrôle judiciaire (DLR Vacations, aux paragraphes 32, 48 et 55; Air Canada, aux paragraphes 50-52; Wilcox v. Canadian Broadcasting Corp., [1980] 1 FCR 326, au paragraphe 10 (C.F. 1re inst.)).

[196]  Bien que les activités de Marine Atlantique servent à respecter une obligation constitutionnelle, l’établissement des tarifs imposés pour ce service est une décision commerciale privée. Par sa nature même, l’établissement des tarifs est privé et ne découlent pas de pouvoirs de droit public. Marine Atlantique ne gère pas non plus un programme ou un régime gouvernemental dans l’intérêt public. Les obligations de Marine Atlantique en matière de reddition de compte aux termes de la LGFP sont les mêmes que toute autre société d’État, et cela ne signifie pas qu’elle est intégrée au réseau gouvernemental.

Analyse

[197]  Le point de départ pour examiner cette question est l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, qui est libellé ainsi :

18 (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

18 (1) Subject to section 28, the Federal Court has exclusive original jurisdiction

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

(a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal; and

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

(b) to hear and determine any application or other proceeding for relief in the nature of relief contemplated by paragraph (a), including any proceeding brought against the Attorney General of Canada, to obtain relief against a federal board, commission or other tribunal.

...

...

(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

(3) The remedies provided for in subsections (1) and (2) may be obtained only on an application for judicial review made under section 18.1.

[198]  Le terme « office fédéral » est défini à l’article 2 de la Loi comme suit :

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 (1) In this Act,

office fédéral Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. 

federal board, commission or other tribunal means any body, person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made pursuant to a prerogative of the Crown, other than the Tax Court of Canada or any of its judges, any such body constituted or established by or under a law of a province or any such person or persons appointed under or in accordance with a law of a province or under section 96 of the Constitution Act, 1867; 

[199]  La Cour suprême du Canada a tranché que la définition d’« office fédéral » est très large, englobant des décideurs qui « vont du Premier ministre et des organismes les plus importants jusqu’au garde-frontière et au douanier locaux, et englobent tous ceux qui se situent entre ces deux extrêmes » (TeleZone, au paragraphe 3).

[200]  La Cour d’appel fédérale a tranché qu’il faut procéder à une analyse en deux étapes pour déterminer si un organisme ou une personne constitue un office fédéral :

[29]  Les mots clés de la définition d’« office fédéral » que donne l’art. 2 précise que l’organisme ou la personne a exercé, exerce ou est censé exercer une compétence ou des pouvoirs « prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale [...] ». On doit donc procéder à une analyse en deux étapes pour déterminer si un organisme ou une personne constitue un office fédéral. Il est ainsi nécessaire en premier lieu de déterminer la nature de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer. Deuxièmement, il y lieu de déterminer la source ou l’origine de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer.

[30]  Au paragraphe 2:4310 de leur ouvrage intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada, vol. 1, édition sur feuilles mobiles (Toronto : Canvasback Publishing, 1998), les éminents auteurs, D.J.M. Brown et J.M. Evans, ont écrit que lorsqu’il s’agit de déterminer si un organisme ou une personne est un « office fédéral », il convient d’examiner [traduction] « la source de la compétence du tribunal ». Voici ce qu’ils écrivent à ce sujet :

[traduction] En fin de compte, la source de la compétence d’un tribunal – et non pas la nature du pouvoir exercé ou de l’office l’exerçant – est le premier facteur déterminant quant à savoir si elle fait partie de la définition. Le test consiste à chercher à savoir si l’office détient les pouvoirs en vertu d’une loi fédérale ou d’une ordonnance prise en vertu d’une prérogative de la Couronne fédérale.[...]

(Anisman c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 52, aux paragraphes 29 et 30 [Anisman]; voir également Nation Innue c. Pokue, 2014 CAF 271, au paragraphe 11).

  (i)  Le pouvoir de Marine Atlantique n’est pas conféré par une loi.

[201]  Il a été décidé que les termes « prévus par une loi fédérale » qui figurent à l’article 2 signifient que la source de la compétence ou des pouvoirs qui sont prévus doit être une loi fédérale (Southam, à la page 13). Tel qu’il a été mentionné précédemment, Marine Atlantique n’a pas déterminé les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 en fonction d’une autorité en matière d’établissement de tarifs qui lui aurait été attribuée par une loi fédérale. Son conseil d’administration a plutôt procédé en fonction d’un pouvoir général qui lui est conféré aux termes de la LCSA ou de la LGFP pour mener les activités de la société. Cela comprenait la conclusion d’un contrat, à savoir l’entente bilatérale, sa modification effective, et la résolution du conseil d’administration ainsi obtenue d’établir les tarifs. En outre, tel qu’il a également été discuté précédemment, le fait que la conclusion de l’entente bilatérale par le ministre ait été approuvée par voie d’un décret ne confère pas un caractère législatif à l’entente.

[202]  Oceanex a initialement soutenu que, puisque Marine Atlantique est une société constituée en personne morale en vertu de la LCSA, ses pouvoirs sont prévus aux termes d’une loi fédérale, ce qui fait qu’elle correspond à la définition d’un office fédéral. Elle a admis devant moi que cela signifierait que les milliers de sociétés constituées en personne morale en vertu de la LCSA, y compris Oceanex, correspondraient à cette définition et que, incidemment, les décisions de toutes ces entités seraient susceptibles d’un contrôle judiciaire si les décisions étaient jugées comme étant de nature publique. Oceanex affirme également que l’entente bilatérale est [traduction« liée » à la LGFP. Selon Oceanex, il en est ainsi parce que l’entente bilatérale a été autorisée par voie du décret de 1987 et que le préambule de l’accord indique que les parties ont convenu d’établir des conditions mutuellement acceptables, ce qui correspondrait aux exigences législatives imposées par la partie XII de la LGFP. Le pouvoir est donc conféré par une loi fédérale, soit la LGFP.

[203]  Dans la mesure où Oceanex suggère que la LGFP est une loi fédérale qui confère un pouvoir à Marine Atlantique dans le cadre des paragraphes 2(1) et 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, je ne suis pas d’accord. La LGFP s’applique à toutes les sociétés d’État; elle établit leurs responsabilités en matière de reddition de compte, y compris la production d’un plan d’entreprise devant être approuvé par le gouverneur en conseil. Elle ne concerne pas expressément Marine Atlantique. En ce qui concerne le préambule de l’entente bilatérale, justement, il ne s’agit que d’un simple préambule. De toute façon, il ne sert qu’à établir que les conditions contractuelles convenues pour la prestation du service de traversier seront conformes à la LGFP et aux autres lois fédérales pertinentes. Bien qu’il fasse mention de la LGFP, il ne confère pas un pouvoir à Marine Atlantique aux termes de la LGFP. De plus, je ne conviens pas que l’attribution de pouvoirs en vertu d’une loi fédérale peut d’une quelconque façon être combinée au moyen d’un « ensemble de droits » découlant de décrets antérieurs, de l’allégation par Oceanex du contrôle exercé sur Marine Atlantique par le ministre et de liens tels que celui à la LGFP.

[204]  À mon avis, le pouvoir que Marine Atlantique cherchait à exercer était l’établissement des tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 dans le cadre de son processus de planification générale. Bien que, en application de l’entente bilatérale et de la LGFP, il fut nécessaire de produire un plan d’entreprise, et bien que Marine Atlantique ait inclus ses tarifs dans celui-ci, la source de son pouvoir d’établissement des tarifs n’était pas de nature législative.

  (ii)  Prérogative royale

[205]  Il reste maintenant à déterminer si Marine Atlantique exerçait un pouvoir qui lui avait été conféré par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale.

[206]  La prérogative royale est décrite comme étant un ensemble de pouvoirs et de droits divers qui sont intrinsèquement conférés à la Couronne et uniquement à celle-ci, tel que le pouvoir de dissoudre le Parlement. Parallèlement, la Couronne détient le pouvoir d’une personne ordinaire, notamment le pouvoir de conclure des contrats. Ces pouvoirs ne constituent pas une prérogative, puisqu’ils sont détenus par plusieurs. De plus, [traduction] « [i]l n’y a aucune notion de « prérogative » dans la signature d’un contrat du gouvernement ou dans l’émission d’un paiement ex gratia par un ministère » (HWR Wade, Procedure and Prerogative in Public Law (1985), 101 LQR 180, à la page 191).

[207]  Dans Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3 [Khadr], la Cour suprême du Canada a examiné si la réparation demandée dans cette affaire devait être écartée en raison du fait qu’elle touchait la prérogative royale en matière d’affaires étrangères. Elle a défini la prérogative en ces termes :

[34]  La prérogative royale est [traduction] « le résidu du pouvoir discrétionnaire ou arbitraire dont la Couronne est légalement investie à tout moment » : Reference as to the Effect of the Exercise of the Royal Prerogative of Mercy Upon Deportation Proceedings, [1933] R.C.S. 269, p. 272, le juge en chef Duff, citant A. V. Dicey, Introduction to the Study of the Law of the Constitution (8e éd. 1915), p. 420. Il s’agit d’une source limitée de pouvoir administratif ne découlant pas de la législation, que confère la common law à la Couronne : Hogg, p. 1‑17.

[208]  La Cour suprême a conclu que, dans cette affaire, la prérogative royale en matière d’affaires étrangères n’avait pas été supplantée par l’article 10 de la Loi sur le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et avait continué d’être exercée par le gouvernement fédéral. La décision en cause, de ne pas demander le rapatriement de M. Khadr, a été rendue dans l’exercice de la prérogative royale en matière d’affaires étrangères.

[209]  La Cour suprême du Canada a ensuite affirmé (au paragraphe 36) qu’il revient à l’exécutif et non aux tribunaux de déterminer si et comment il exercera ses pouvoirs, mais les tribunaux ont compétence pour déterminer si la prérogative royale invoquée par la Couronne existe véritablement et, dans l’affirmative, pour décider si son exercice contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») (Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 RSC 44 (CSC)) ou à d’autres normes constitutionnelles (Air Canada v. British Columbia (Attorney General), [1986] 2 SCR 539 (CSC)).

[210]  De même, dans l’arrêt Hupacasath, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

[32]  Le pouvoir du gouverneur en conseil de prendre le décret découle de la prérogative royale. Il s’agit des pouvoirs inhérents ou historiques, modelés par la common law, dont dispose toujours la Couronne (Peter W. Hogg, c.r. et al., Liability of the Crown, 4e éd. (Toronto, Carswell, 2011), aux pages 19 et 20. Selon un autre point de vue, la prérogative est [traduction] « le résidu du pouvoir discrétionnaire ou arbitraire dont la Couronne est juridiquement investie à tout moment » (A.V. Dicey, Law of the Constitution, 10e éd. (1959), à la page 424).

[211]  Tout comme l’arrêt Khadr, l’arrêt Hupacasath portait sur la conduite des affaires étrangères. Dans cette affaire, le Canada avait signé avec la Chine un accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers. Le gouverneur en conseil avait adopté un décret autorisant le ministre des Affaires étrangères à prendre les mesures requises en vue de l’entrée en vigueur d’un accord (un traité bilatéral) entre le Canada et la Chine. L’accord est entré en vigueur lorsque le ministre a signé et transmis à la Chine un instrument de ratification. La Cour d’appel fédérale a affirmé que la conduite des affaires étrangères est un domaine où la Couronne dispose de certaines prérogatives, dont le pouvoir de conclure des traités et des accords. Dans cette affaire, pour faire entrer l’accord en vigueur, la Couronne a usé de sa prérogative et, par l’intermédiaire du gouverneur en conseil, a pris un décret qui enjoignait au ministre de délivrer un instrument de ratification. Le ministère s’est ensuite conformé au décret.

[212]  Tel qu’il a été discuté précédemment, dans le cas en l’espèce, bien qu’il ne fut pas nécessaire pour la Couronne d’user d’une prérogative traditionnelle, le ministre ayant l’autorité et la capacité de conclure des contrats aux termes de la Loi sur le ministère des Transports ainsi qu’en common law, la conclusion de l’entente bilatérale par le ministre a été approuvée par voie du décret de 1987. À cet égard, le décret de 1987 était le moyen général en fonction duquel la prérogative royale était exercée par le gouverneur en conseil (Coyle, au paragraphe 17). Étant donné que le gouverneur en conseil n’a pas approuvé la conclusion de l’entente bilatérale en tant que l’exercice d’un pouvoir législatif qui lui a été conféré en vertu de la loi, le décret de 1987 peut seulement représenter l’exécution de la fonction exécutive sous l’autorité d’une prérogative royale, soit l’approbation de la conclusion du contrat (Coyle, au paragraphe 14).

[213]  Je ne suis pas d’accord avec Oceanex que, dans l’arrêt Hupacasath, la Cour d’appel fédéral aurait en fait transformé la nature du critère lié à la compétence de notre Cour énoncé dans l’arrêt Anisman, soit que le pouvoir est conféré au décideur par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, ayant opté d’examiner la nature de la décision contestée plutôt que la source du pouvoir (aux paragraphes 66 et 67).

[214]  Dans l’arrêt Hupacasath, la Cour d’appel fédérale a traité les questions de compétence et de justiciabilité. En ce qui concerne la compétence, elle a affirmé que, dans les affaires où est demandé le contrôle d’ordonnances ou de décisions prises en vertu d’une loi, il ne fait aucun doute que notre Cour a compétence (paragraphe 30). Lorsque pouvoir du gouverneur en conseil de prendre un décret n’est pas conféré par une loi fédérale, la source de son pouvoir découle de la prérogative royale (au paragraphe 32). En principe, l’exercice d’une pure prérogative royale peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. La question en cause devant la Cour d’appel fédérale visait à déterminer devant quel tribunal ce contrôle judiciaire pouvait avoir lieu, étant donné que la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire des exercices de pures prérogatives royales avait été remise en question dans la décision Black v Canada.

[215]  La Cour d’appel fédérale a affirmé que la prise par le gouverneur en conseil d’un décret autorisant le ministre à délivrer un instrument de ratification d’un traité relevait de la prérogative royale et de rien d’autre. À ce titre, la question en jeu était de savoir si les fonctionnaires fédéraux se livrant à l’exercice d’une pure prérogative exerçaient, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales, des [traduction] « pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale ». Après analyse, la Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit : [traduction]

[54]  Une interprétation selon laquelle la Cour fédérale dispose d’un pouvoir de contrôle à l’égard des exercices fédéraux de prérogative pure est conforme à l’objectif du législateur, qui veut que toutes les décisions administratives fédérales soient susceptibles de contrôle par les Cours fédérales. L’interprétation contraire mettrait hors de la compétence des Cours fédérales un large éventail de décisions administratives qui découlent de la prérogative fédérale, et dont certaines ont d’importantes répercussions à l’échelle nationale : on trouvera une liste de prérogatives fédérales dans Peter W. Hogg, c.r., et al., Liability of the Crown, précité, aux pages 23 et 24, et S. Payne, « The Royal Prerogative », dans M. Sunkin et S. Payne, réd., The Nature of the Crown: A Legal and Political Analysis (Oxford : Oxford University Press, 1999).

[...]

[57]  Ces préoccupations sont fortement en jeu dans l’affaire qui nous occupe. Advenant l’adoption de l’interprétation contraire, il reviendrait aux cours supérieures provinciales de procéder en l’espèce au contrôle de la prise par le gouverneur en conseil du décret qui autorise le ministre à délivrer l’instrument de ratification – un pur exercice de prérogative. Notre Cour aurait cependant compétence exclusive, en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, pour contrôler la délivrance par le ministre de l’instrument de ratification – l’exercice d’un pouvoir prévu « par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale » aux termes du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Il faudrait deux instances distinctes devant deux cours distinctes, cela ouvrant toute grande la voie à des dépenses, à des retards, à de la confusion et un manque de cohérence inutiles.

[216]  Ainsi, à mon avis, la Cour d’appel fédérale n’a pas laissé entendre que la source de pouvoir n’est pas pertinente pour ce qui est de la détermination de la compétence. Au contraire, elle a tranché que notre Cour a compétence pour contrôler tant un pur exercice de prérogative que l’exercice d’un pouvoir prévu par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative.

[217]  La Cour d’appel fédérale a ensuite examiné si l’exercice d’une pure prérogative royale était susceptible de contrôle judiciaire, à savoir si l’objet de l’instance, étant axé sur les politiques et ayant trait aux relations internationales, était justiciable. C’est dans ce contexte que la Cour a tranché que [traduction] « [p]our savoir si la question dont la Cour est saisie est justiciable, la question de la source du pouvoir du gouvernement n’est pas pertinente » (au paragraphe 63). En d’autres mots, que la source de pouvoir découle d’une loi ou d’une prérogative ne détermine pas si l’action ou la décision sur laquelle porte la plainte est susceptible de contrôle/justiciable (aux paragraphes 63 et 64).

[218]  Par conséquent, avant que la question de justiciabilité ne soit soulevée, pour que notre Cour ait compétence, il faut qu’un pouvoir soit conféré, pouvoir dont la source est une loi ou une prérogative royale.

[219]  Cependant, tel qu’il a été discuté ci-dessus, le décret de 1987 a servi, sur recommandation du ministre, à approuver l’annulation de l’entente tripartite et la conclusion par le ministre d’une entente avec Marine Atlantique, essentiellement sous la forme du document en annexe, c’est-à-dire l’entente bilatérale. Ainsi, le décret de 1987 a servi à confirmer l’approbation par le législateur de la ligne de conduite recommandée du ministre. La prise du décret de 1987 n’a pas eu lieu aux termes d’une disposition législative; il s’agissait de l’exercice d’une pure prérogative. Cependant, l’approbation de cette ligne de conduite par le gouverneur en conseil n’a pas, dans ce cas, conféré un pouvoir au ministre puisqu’il avait l’autorité et la capacité de conclure un contrat aux termes de l’article 3 de la Loi sur le ministère des Transports et/ou en common law. À ce titre, comme le décret de 1987 a uniquement servi à confirmer l’approbation par le législateur de la conclusion de l’entente bilatérale par le ministre, en procédant ainsi, le ministre n’exerçait pas un pouvoir qui lui avait été conféré en vertu d’une prérogative royale. De plus, le décret de 1987 en tant que tel ne confère aucun pouvoir à Marine Atlantique, le décideur. Les pouvoirs et responsabilités de Marine Atlantique, y compris l’établissement des tarifs, découlent des modalités et conditions de l’entente bilatérale. Autrement dit, ils sont de nature contractuelle.

[220]  Dans le cas en l’espèce, il pourrait possiblement être avancé que la « source première » (Air Canada, au paragraphe 49) du pouvoir d’établir des tarifs découle de la prérogative royale ayant approuvé la conclusion de l’entente bilatérale par le ministre. Néanmoins, comme j’ai conclu plus haut, aucun élément de l’entente bilatérale n’empêchait les parties à cette entente de modifier ses modalités, et aucun décret n’était requis pour le faire. Par conséquent, même si le pouvoir d’établissement des tarifs a été conféré indirectement au ministre au moyen d’une prérogative royale par voie du décret de 1987 ayant approuvé sa conclusion de l’entente bilatérale, l’une des modalités de celle-ci ayant attribué la responsabilité en matière d’établissement des tarifs au ministre, les parties ont subséquemment modifié cette modalité de manière à attribuer cette responsabilité à Marine Atlantique. Dans ces circonstances, je ne puis conclure que Marine Atlantique exerçait un pouvoir qui lui avait été conféré en vertu d’une prérogative royale lorsqu’elle a pris la décision sur les tarifs de transport des marchandises de 2016-2017.

[221]  Par ailleurs, les circonstances en l’espèce diffèrent de celles de la décision Archer, sur laquelle Oceanex s’est fortement appuyée, dans laquelle le pouvoir de louer conféré au ministre avait été sous-délégué. Dans cette affaire, le ministre s’est vu conférer le pouvoir relatif aux ports inscrits par l’article 4 de la Loi sur les ports de pêche et de plaisance et le pouvoir de consentir des baux relatifs aux ports aux termes de l’article 8 de cette loi. Notre Cour a tranché que, lus ensemble, les articles 4 et 8 donnaient au ministre l’option de déléguer son autorité relative à l’utilisation et à la gestion des ports aux locataires. Dans le cas en l’espèce, il n’y a aucun fondement législatif qui confère la responsabilité en matière d’établissement des tarifs au ministre, ni aucune délégation. La capacité de Marine Atlantique d’établir ses tarifs découle de la modification apportée à l’entente bilatérale.

[222]  De même, dans la décision Halterm Ltd. v. Halifax Port Authority (2000), 184 FTR 16 (C.F. 1re inst.), invoquée par Oceanex, la Cour a conclu que lorsque l’administration portuaire cédait à bail un immeuble fédéral ou négociait un tel bail en faveur de Halterm, elle exerçait les pouvoirs qui lui sont attribués par la Loi maritime du Canada. Elle n’exerçait pas les pouvoirs particuliers dont est investie une société. Étant donné qu’elle exerçait les pouvoirs qui lui sont expressément conférés par la Loi maritime du Canada, elle constitue donc un « office fédéral » lorsqu’elle négocie des baux. Par conséquent, la Cour avait compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire déposée par Halterm. Encore une fois, ce n’est pas le cas en l’espèce.

[223]  Et bien que les contrats qui sont étroitement régis par la loi et dont l’exécution obéit aux principes du droit public (arrêt Canada (Procureur général) c. Mavi), 2011 CSC 30, aux paragraphes 49 à 50 (arrêt « Mavi »), citant l’arrêt Rhine c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 422 (CSC), ce n’est pas le cas en l’espèce.

[224]  En conclusion, à mon avis dans ces cas particuliers, Marine Atlantique n’agissait pas à titre d’office fédéral lorsqu’elle a pris la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017, car elle n’avait pas compétence ni le pouvoir qui lui est conféré par une loi fédérale ou une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale. Par conséquent, la Cour n’a pas compétence sur la question. La conclusion a un effet déterminant.

[225]  Toutefois, au cas où j’aurais tort, je vais déterminer si l’établissement des tarifs était de nature publique. Il en est ainsi parce que, même si une entité, y compris une société d’État, peut constituer un office fédéral à certaines fins, ce n’est pas nécessairement le cas à toutes les fins (DRL Vacations, au paragraphe 41; Jackson v Canada (Attorney General) (1997), 7 Admin LR (3d) 138, au paragraphe 4 (« Jackson (CF) »), conf. par (2000) 25 Admin LR 247; Air Canada, au paragraphe 52; Assoc. canadienne des quotidiens c. Société canadienne des postes, [1995] 3 RCF 131, au paragraphe 15; Re Aeric Inc and Chairman, Canada Post Corp, [1985] 1 FC 127, aux paragraphes 14 et 15 (CAF) (décision « Aeric »); Labrador Airways Ltd v Canada Post Corp (2001), 102 ACWS (3d) 704, aux paragraphes 6 à 8 (« Labrador Airways Ltd »)). La mesure prise ou le pouvoir exercé doit plutôt être de nature publique. Une entité n’agit pas à titre d’office fédéral lorsqu’elle prend une mesure de nature privée ou exerce un pouvoir de nature privée (arrêt Air Canada, au paragraphe 50 et décision DRL Vacations, au paragraphe 48). Dans chaque affaire, la Cour doit examiner la nature des pouvoirs exercés (Aeric, au paragraphe 15; Jackson (CF), au paragraphe 4). Tel qu’il est mentionné dans l’arrêt Air Canada :

52  Tous les tribunaux administratifs fédéraux importants possèdent le pouvoir de prendre des décisions de nature publique. Ils possèdent par ailleurs le pouvoir exprès ou implicite d’agir dans des domaines privés, par exemple pour louer et gérer des locaux, embaucher du personnel de soutien, etc. Techniquement, chacun de ces pouvoirs prend sa source première dans une loi fédérale. Toutefois, comme les décisions de principe citées ci‑après le démontrent, il est fréquent que les mesures prises dans l’exercice de ces pouvoirs ne soient pas susceptibles de contrôle. Par exemple, supposons qu’un tribunal administratif fédéral bien connu résilie le contrat conclu avec une société relativement aux services de conciergerie pour ses locaux. Ce faisant, il n’exerce pas un pouvoir central à la mission administrative que lui a attribuée le législateur. Il ne fait en réalité qu’agir comme n’importe quelle autre entreprise. Le pouvoir qu’exerce le tribunal administratif dans ce cas doit être qualifié de pouvoir de nature privée et non publique. En l’absence de circonstances exceptionnelles, le recours que pourrait exercer l’entreprise de services de conciergerie serait une action pour rupture de contrat, et non pas une demande de contrôle judiciaire de la décision du tribunal administratif de résilier le contrat.

[226]  Dans l’arrêt Air Canada, la Cour d’appel fédérale a également mentionné que la Cour suprême du Canada avait réaffirmé que les rapports qui sont de nature essentiellement privée sont régis par le droit privé et non par le droit public (arrêt Air Canada, au paragraphe 60; arrêt Dunsmuir; voir aussi l’arrêt Mavi). Elle indique toutefois qu’il peut ne pas y avoir de réponse complète à la question de savoir ce qui est de nature publique ou privée. Au lieu de cela, les facteurs cités au fil du temps par la jurisprudence doivent être considérés dans le contexte des faits de chaque affaire :

[60]  Pour trancher la question de la nature publique ou privée d’une mesure, il convient d’apprécier l’ensemble des circonstances : Cairns c. Farm Credit Corp., [1992] 2 C.F. 115 (1re inst.); Jackson c. Canada (Procureur général) (1997), 141 F.T.R. 1 (1re inst.). Il existe un certain nombre de facteurs qu’il convient de prendre en compte pour décider si une question est associée à une caractéristique, à un élément ou à un contexte suffisamment public pour qu’elle relève du droit public. La question de savoir si tel facteur ou tel ensemble de facteurs particuliers fait pencher la balance d’un côté et rend une question « publique » dépend des faits de l’affaire et de l’impression d’ensemble donnée à la Cour. Voici un certain nombre de facteurs pertinents qui ressortent de ces décisions :

[227]  La Cour d’appel fédérale a ensuite précisé certains des facteurs pertinents (renvois omis) :

i.  La nature de la question visée par la demande de contrôle. Est‑ce une question privée, commerciale ou de portée plus vaste intéressant les membres du public?

ii.  La nature du décideur et ses attributions. S’agit‑il d’un décideur public, comme un mandataire de la Couronne ou un organisme administratif reconnu par la loi et à qui des attributions de nature publique ont été confiées? La question en cause est‑elle étroitement liée à ces attributions?

iii.  La mesure dans laquelle la décision est fondée et influencée par le droit et non pas par un pouvoir discrétionnaire de nature privée. Lorsqu’une décision particulière est autorisée directement par une source de droit public comme une loi, un règlement ou une ordonnance, ou découle directement d’une telle source, le tribunal aura davantage tendance à considérer que la question est de nature publique[.] Il sera d’autant plus enclin à le faire si la source de droit public fournit le critère en fonction duquel la décision est prise[.] Les mesures prises en vertu d’un pouvoir découlant d’une source autre qu’une loi, comme le droit contractuel général ou des considérations commerciales, sont plus fréquemment considérées comme non susceptibles de contrôle judiciaire[.]

iv.  Les rapports entre l’organisme en cause et d’autres régimes législatifs ou d’autres parties du gouvernement. Si l’organisme est intégré à un réseau gouvernemental et exerce un pouvoir en tant qu’élément de ce réseau, les actes qu’il pose seront plus fréquemment qualifiés d’actes de nature publique[.] Le seul fait que l’organisme en question soit mentionné dans une loi n’est pas toujours suffisant[.]

v.  La mesure dans laquelle le décideur est un mandataire du gouvernement ou est dirigé, contrôlé ou influencé de façon importante par une entité publique. Par exemple, les personnes privées embauchées par le gouvernement pour effectuer une enquête au sujet d’une allégation d’inconduite visant un fonctionnaire public peuvent être considérées comme exerçant un pouvoir de nature publique[.] L’obligation de faire approuver ou contrôler par le gouvernement les politiques, règlements administratifs ou autres questions peut être un élément pertinent[.]

vi.  Le caractère approprié des recours de droit public. Si la nature de la mesure est telle qu’il serait utile d’accorder dans ce cas un recours de droit public, les tribunaux sont davantage enclins à considérer qu’il s’agit là d’une question de nature publique[.]

vii.  L’existence d’un pouvoir de contrainte. L’existence d’un pouvoir de contrainte sur le public en général ou sur un groupe défini, comme une profession, peut être un indice de la nature publique. Il y a lieu de différencier cette situation avec celle où les parties acceptent volontairement de relever d’un organisme.

viii.  Une catégorie d’affaires « exceptionnelles » dans laquelle les mesures prises ont acquis une dimension publique importante. Lorsqu’une mesure a des conséquences exceptionnelles et très graves sur les droits d’un large secteur de la population, elle est susceptible de contrôle. Cela peut comprendre les cas où la fraude, les pots‑de‑vin, la corruption ou l’atteinte aux droits de la personne ont pour effet de transformer une question qui était de nature privée au départ en une question de nature publique[.]

[228]  Aucun des facteurs n’est déterminant (voir aussi la décision DRL Vacations, au paragraphe 48).

[229]  En l’espèce, la nature de la question visée par la demande de contrôle est l’établissement des tarifs de transport de marchandises de 2016-2017. Tel que cela est décrit précédemment, la demande de contrôle judiciaire d’Oceanex à l’égard de la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 fait valoir que la décision était incompatible avec la pratique de permettre à la concurrence et aux forces du marché d’être les principaux facteurs en jeu dans la prestation de services de transport viables et efficaces. Plus précisément, elle fait valoir que les tarifs largement subventionnés de Marine Atlantique lui permettent de se livrer à une concurrence déloyale avec Oceanex et que la décision n’a pas tenu compte de la PNT en établissant les tarifs. Ainsi, examinée en contexte, la plainte d’Oceanex voulant qu’on lui refuse un avantage concurrentiel est au fond une question d’ordre commercial privée étant donné qu’il s’agit du seul autre fournisseur important de services maritimes de transport de marchandises à Terre-Neuve. Bien que les tarifs aient une portée générale pour les usagers publics du trajet constitutionnel, ce n’est pas le fond de la demande d’Oceanex. En effet, Oceanex reconnaît que sans subvention, les tarifs de Marine Atlantique augmenteraient (voir, par exemple, la transcription du contre-interrogatoire du capitaine Hynes du 7 juin 2017, à la question 577). Oceanex ne fonde pas non plus sa demande en fonction des répercussions négatives du subventionnement sur les contribuables canadiens. Toutefois, d’un point de vue général, la décision d’établissement des tarifs est aussi de nature publique. Il en est ainsi parce que Marine Atlantique en desservant le trajet constitutionnel remplit l’obligation constitutionnelle du Canada.

[230]  Pour les motifs exposés précédemment, le Canada est d’avis que Marine Atlantique n’est pas mandataire de la Couronne et Oceanex ne conteste pas cela. Elle n’est pas non plus un tribunal administratif reconnu par la loi. La décision d’établissement des tarifs n’est pas autorisée directement par une source de droit public et ne découle pas directement d’une telle source. Le pouvoir d’établir des tarifs découle généralement du statut société de Marine Atlantique, mais plus précisément de la modification à l’entente bilatérale, c’est-à-dire, d’un contrat. Aucune loi ni réglementation n’énonce que Marine Atlantique devait prendre la décision d’établissement des tarifs ou établir tout critère en vertu duquel elle devait le faire. Cependant, une orientation politique générale lui a été donnée, y compris des objectifs de recouvrement des coûts, qui pourrait avoir des répercussions sur les tarifs, tout comme d’autres facteurs comme le point de vue du Canada selon lequel les tarifs sur le trajet constitutionnel doivent être raisonnables pour être accessibles aux utilisateurs et ne pas violer son obligation constitutionnelle.

[231]  Marine Atlantique est une société d’État mère. Il s’agit ainsi d’une personne morale distincte. Tel qu’il a été mentionné précédemment, elle est régie par la LGFP qui comporte une obligation de rendre compte. Marine Atlantique s’entretient avec TC lorsque Marine Atlantique prépare son plan d’entreprise et son budget d’exploitation annuels. Marine Atlantique n’est pas financièrement autonome. Cependant, je ne conclus pas qu’en respectant les obligations de la LGFP, qui sont nécessaires pour justifier l’affectation de fonds publics requise, Marine Atlantique est intégrée au réseau gouvernemental et exerce un pouvoir en tant qu’élément de ce réseau. Cela dit, en tant que société d’État, la LGFP impose bien une obligation à Marine Atlantique selon laquelle le plan d’entreprise doit être approuvé par le gouverneur en conseil. Cependant, cette obligation n’aborde pas de détails et, dans le cas de Marine Atlantique, les tarifs mêmes ne sont pas approuvés distinctement par le gouverneur en conseil. Il est évident, toutefois, que les tarifs, puisqu’ils représentent la principale source de revenus de Marine Atlantique, sont un facteur qui sous-tend l’approbation du plan et l’affectation de fonds pour compenser son déficit d’exploitation.

[232]  Concernant une réparation, en l’espèce, la seule réparation concrète, si Oceanex obtenait gain de cause, serait une déclaration selon laquelle le décideur avait l’obligation de tenir compte de la PNT en établissant les tarifs et devra en tenir compte dans de futures décisions d’établissement des tarifs. Puisque les clients de Marine Atlantique ont déjà payé les tarifs établis par la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017, il n’est tout simplement pas pratique d’annuler cette décision.

[233]  Même si les tarifs ont une incidence sur les usagers publics du trajet constitutionnel, Marine Atlantique n’a aucun pouvoir coercitif sur le public. Je ne conclus pas non plus que la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017, majorant les tarifs pour les usagers de 2,6 %, a eu des conséquences exceptionnelles et très graves sur les droits d’un large secteur de la population. Toutefois, ne pas avoir tenu compte d’une politique pertinente en établissant les tarifs, comme l’allègue Oceanex, présente un intérêt public puisque cela relève de la primauté du droit.

[234]  Dans un contexte général, Marine Atlantique offre le service de transport maritime en cause en raison de l’obligation constitutionnelle du Canada de le faire. L’affidavit no 2 de Mme Bergevin indique que le ministre est d’avis que les tarifs sur le trajet constitutionnel doivent être raisonnables afin que le service soit accessible au public. Autrement dit, le Canada ne voit pas son obligation constitutionnelle simplement comme l’offre d’un service de traversier sur le trajet constitutionnel, mais comme l’offre d’un service qui, grâce à ses tarifs, est accessible à ses usagers publics. En ce sens, l’établissement de tarifs par Marine Atlantique comprend un élément public.

[235]  Globalement, mon impression générale est que la décision sur les tarifs de transport des marchandises de 2016-2017 comportait un intérêt public et n’était pas de nature purement privée et commerciale ni accessoire à l’exercice des pouvoirs généraux de gestion de la société de Marine Atlantique (voir Labrador Airways Ltd, aux paragraphes 6 à 8).

[236]  Toutefois, j’ai conclu précédemment que Marine Atlantique ne répond pas à la définition d’un office fédéral, car elle n’exerçait pas de pouvoir lui étant conféré par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale et, par conséquent, la Cour n’a pas compétence pour entendre cette affaire. Le fait que la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 présente peut-être un aspect de droit public, que j’ai abordé seulement au cas où j’aurais commis une erreur dans ma conclusion sur la compétence, ne remédie pas à cette incompétence.

[237]  De même, au cas où j’aurais commis une erreur dans mes conclusions précédentes, je vais également examiner la qualité d’Oceanex pour produire la présente demande de contrôle judiciaire.

Question en litige no 2 : Oceanex a-t-elle qualité pour produire la demande?

Observations d’Oceanex

[238]  En réponse la contestation de Marine Atlantique et du Canada quant à sa qualité, Oceanex soutient qu’elle a un intérêt direct pour agir ou, subsidiairement, qualité pour agir dans l’intérêt public en l’espèce.

[239]  Pour ce qui est de l’intérêt direct pour agir, l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales énonce qu’une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par quiconque est directement touché par l’objet de la demande. La Cour d’appel fédérale a interprété « directement touché » comme voulant dire qu’il faudrait que la décision faisant l’objet du contrôle ait affecté les droits de l’appelante, lui ait imposé en droit des obligations, ou lui ait porté préjudice (arrêt Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada c. Odynsky), 2010 CAF 307, au paragraphe 58 (« B’Nai Brith »)). Oceanex soutient qu’elle est touchée de manière préjudiciable par l’objet des tarifs de transport commercial de marchandises largement subventionnés de Marine Atlantique et, par conséquent, a qualité pour demander un contrôle judiciaire.

[240]  Oceanex affirme aussi qu’il n’existe aucun principe général de droit qui empêche des personnes dont les intérêts commerciaux sont touchés de manière préjudiciable par une décision de demander un contrôle judiciaire. Par conséquent, la nature commerciale de son intérêt dans l’affaire n’est pas déterminante. De même, la PNT prévoit un équilibre des intérêts commerciaux dans les services de transport, ce qui appuie la reconnaissance de la qualité d’Oceanex. En outre, une analyse de la qualité met l’accent sur l’effet de la décision sur le demandeur plutôt que la nature d’un intérêt du demandeur (décision Ultima Foods Inc. c. Canada (Procureur général), 2012 CF 799, au paragraphe 102 (décision « Ultima Foods » et arrêt B’Nai Brith aux paragraphes 57 et 58). Un préjudice direct à des intérêts commerciaux comprend le risque qu’un demandeur mette fin à ses activités ou perde des parts de marché ou de revenus (décision Henry Global Immigration Services c. Canada (Citizenship and Immigration) (1998), 84 ACWS (3d) 756, au paragraphe 22 (C.F. 1re inst.) (décision « Henry Global Immigration Services »; décision Ultima Foods, au paragraphe 111). En l’en l’espèce, les tarifs subventionnés de Marine Atlantique ont des répercussions préjudiciables directes sur Oceanex, y compris sa capacité à conquérir une part plus importante du marché du transport commercial de marchandises et à augmenter ses tarifs, conduisant à son incapacité de couvrir ses coûts totaux et de remplacer ses navires.

[241]  Oceanex soutient que la jurisprudence invoquée par les défendeurs se distingue au motif que les demandeurs qui y sont mentionnés n’étaient en fait pas directement touchés par la décision en question (Rothmans of Pall Mall Canada Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), 67 D.L.R. (3d) 505, aux paragraphes 509, 510 et 513 (Rothmans); décision Aventis Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1396, aux paragraphes 15 à 18 (décision Aventis); décision Arctos Holdings Inc et al v Attorney General of Canada et al, 2017 FC 533, au paragraphe 51 (décision Arctos) et arrêt CanWest Media Works Inc. c. Canada (Santé), 2008 CAF 207, au paragraphe 16 (arrêt CanWest)). Cette jurisprudence concernait aussi des allégations de tort futur qui était spéculatif et ne présentait pas un préjudice financier direct pour la demanderesse (arrêt CanWest).

[242]  Oceanex soutient qu’elle a démontré que le tort découlant de la décision d’établissement de tarifs était suffisant pour établir sa qualité. En outre, si les défendeurs avaient mis ses éléments de preuve en doute, ils auraient alors dû chercher à obtenir plus de précisions. Permettre aux défendeurs de soulever cette question de preuve maintenant équivaudrait à un abus de procédure. De plus, seul le procureur général de Terre-Neuve a contesté la preuve de préjudice, tandis que le Canada et Marine Atlantique ne l’ont pas fait.

[243]  En plus d’être touchée sur le plan commercial, Oceanex soutient que la décision en question l’a également directement touchée au niveau légal. Il en est ainsi, car en l’espèce, il s’agit de savoir si le décideur a bien tenu compte des facteurs énumérés dans la PNT, un texte réglementaire qui le lie. Refuser à un concurrent la possibilité de contester une décision parce que le décideur n’a pas pris en compte tous les facteurs énumérés dans la PNT qui, selon Oceanex, fait de la libre concurrence une règle générale qui doit orienter le gouvernement, à laquelle l’intervention publique est une exception, rendrait la PNT vide de sens et sans pertinence.

[244]  Subsidiairement, même si Oceanex n’a pas fait la preuve qu’elle était directement touchée, cela ne l’empêche pas de satisfaire aux critères relatifs à la qualité pour agir dans l’intérêt public (arrêt Toronto Coalition to Stop the War c. Canada (Sécurité publique et Protection civile, 2010 CF 957, au paragraphe 79; décision Friends of the Island Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1993] 2 CF 229, au paragraphe 80, inf. pour d’autres motifs, 131 DLR (4th) 285), autorisation d’interjeter appel à la SCC refusée, [1996] C.S.C.R. no 80 (décision Friends of the Island)), dont les principes doivent être interprétés d’une façon libérale et souple (arrêt Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society (2012 CSC 45 , aux paragraphes 40, 42 (arrêt Downtown Eastside)).

[245]  Oceanex affirme qu’elle satisfait aux critères à trois volets relatifs à la qualité pour agir établis dans l’intérêt public, dans l’arrêt Downtown Eastside. D’abord, concernant une question justiciable sérieuse, s’assurer que la décision du ministre a été prise conformément à la politique législative du gouvernement, la PNT, satisfait à ce volet. L’affirmation selon laquelle les tarifs de Marine Atlantique sont une question de politique ne permet pas à une décision d’échapper à tout examen.

[246]  Concernant le deuxième volet, Oceanex satisfait à l’exigence visant à avoir un intérêt réel ou véritable quant à l’issue de la demande de par son rôle de longue date à l’égard de l’objet de la présente demande et elle affirme qu’il existe un lien suffisant entre son intérêt et la décision faisant l’objet du contrôle. Cela diffère de l’arrêt Infant Number 10968 v. Ontario (2006) 81 OR (3d) 172 (Cour supérieure de l’Ontario, conf. par (2008) 88 OR (3d) 600 (CA Ont.) (arrêt Infant Number 10968), dans lequel le demandeur n’avait pas de véritable intérêt dans l’issue de la procédure. Oceanex soutient qu’elle a un véritable intérêt dans des tarifs de transport de marchandises concurrentiels et n’est pas un trouble‑fête. En outre, ce volet met l’accent sur le traitement de la question en cause plutôt que de la nature de l’intérêt d’Oceanex dans l’affaire.

[247]  Ce troisième volet est également satisfait puisque la présente procédure est une manière raisonnable et efficace de soumettre la cause à la Cour. Il n’existe pas d’autre manière pratique de se pencher sur la conformité du ministre avec la PNT et aucune autre partie ne sollicitera le contrôle de la décision du ministre. De plus, l’interprétation de la PNT et des Conditions de l’union sont d’une importance générale pour le public et justifie d’aller de l’avant avec la présente demande (arrêt Downtown Eastside, aux paragraphes 47, 50 et 51; arrêt Friends of the Island, aux paragraphes 81 et 83. En outre, le fait que la question en litige soulevée par Oceanex mette l’accent sur la concurrence ne soustrait pas le litige au domaine de la PNT et fait relever la question de la Loi sur la concurrence, dont le statut n’est pas le mécanisme pertinent pour garantir que le ministre se conforme à la PNT. Oceanex soutient que la Loi sur la concurrence ne permet pas aux particuliers d’intenter des poursuites et en l’espèce, le Bureau de la concurrence a refusé d’enquêter, ne laissant d’autre choix à Oceanex que d’introduire la présente demande. Oceanex fait valoir que bien que la loi n’énonce pas clairement si le Bureau de la concurrence peut interpréter les Conditions de l’union ou obliger le ministre à observer la PNT, la Cour fédérale a les pouvoirs nécessaires pour remédier à la présente question en litige. Par conséquent, il n’y a pas lieu de renvoyer l’affaire au Bureau de la concurrence. En outre, le Canada n’a pas déjà soulevé la question en litige auprès d’Oceanex.

Observations de Marine Atlantique

[248]  Marine Atlantique soutient que, conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, une partie peut solliciter le contrôle judiciaire d’une décision si cette partie est directement touchée par l’objet de la demande. Toutefois, la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 ne porte que sur les tarifs de transport de marchandises facturés par Marine Atlantique à des tiers. Oceanex n’a aucun intérêt dans l’objet de la demande, mis à part son intérêt commercial à titre de concurrente de Marine Atlantique, ce qui ne suffit pas à faire d’Oceanex une personne directement touchée par la décision pour lui accorder qualité pour agir pour présenter la présente demande de contrôle judiciaire (Donald J.M. Brown et John M. Evans, c.r., et l’honorable John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (Toronto: Thomson Reuters, 2017), au paragraphe 4.3435 (« Brown et Evans »); Rothmans, à la page 510; décision Aventis, au paragraphe 15; décision Arctos, aux paragraphes 52 et 53).

[249]  Marine Atlantique soutient qu’Oceanex, dans ses observations en réponse, a prétendu pour la première fois que la Cour devrait exercer sa discrétion et accorder qualité pour agir dans l’intérêt public. Toutefois, il est manifeste d’après le dossier et les observations et d’Oceanex qu’elle poursuit des démarches uniquement dans son propre intérêt commercial. Oceanex n’a pas désigné d’autres membres qui profiteraient d’une issue de la demande en sa faveur. Le résultat recherché par Oceanex entraînerait plutôt des répercussions négatives sur le public en raison de tarifs plus élevés. Ce n’est pas non plus le cas dans l’arrêt Downtown Eastside où les intimées ont soulevé des questions d’importance pour le public qui transcendent leurs intérêts immédiats (au paragraphe 73).

[250]  En outre, dans CanWest, la Cour d’appel fédérale a indiqué qu’un appelant « ne peut certainement pas invoquer un intérêt qui ne satisfait pas aux conditions exigées pour se voir reconnaître la “qualité pour agir dans l’intérêt privé” pour établir qu’elle a un “intérêt véritable” lui permettant d’obtenir la qualité pour agir dans l’intérêt public » (au paragraphe 15). Par conséquent, pour les motifs établis par Marine Atlantique, Oceanex ne peut pas se voir reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt privé et ne satisfait pas au critère visant la qualité pour agir dans l’intérêt public.

Observations du Canada

[251]  Le Canada soutient que le ministre n’a pas pris la décision sur les tarifs de transport des marchandises de 2016-2017, mais que s’il l’avait prise, Oceanex présenterait un défaut de qualité puisqu’elle ne peut pas satisfaire aux critères nécessaires. Les décisions portant sur les tarifs de Marine Atlantique ne sont pas des décisions qui touchent directement Oceanex. Oceanex n’est pas non plus partie à l’entente bilatérale, qui, elle le concède, donne lieu aux obligations au cœur de la présente demande, par conséquent, elle n’a pas qualité pour tenter de faire appliquer ses modalités. Elle n’a pas non plus tenu un rôle de longue date à l’égard de l’objet de cette entente ni revendiqué un intérêt particulier dans sa gestion. L’annulation des tarifs de 2016-2017 a une incidence sur les intérêts de Marine Atlantique plutôt que sur les intérêts d’Oceanex.

[252]  Le Canada soutient que le seul intérêt plausible d’Oceanex dans la présente demande est la contestation de l’iniquité perçue de la part du ministre dans le traitement de Marine Atlantique, comptant parmi les concurrents d’Oceanex, une iniquité qui ne la touche que sur le plan commercial. Oceanex a affirmé que sa véritable plainte ne concernait pas l’établissement des tarifs de 2016-2017, mais l’iniquité perçue dans les crédits votés par le Parlement pour Marine Atlantique, qui selon Oceanex, sont anticoncurrentiels. En outre, elle dépose la présente plainte malgré le fait qu’elle a déjà présenté un grief auprès du Bureau de la concurrence. Cela ne donne pas ouverture à la qualité pour agir puisqu’un intérêt purement commercial dans l’objet d’un contrôle judiciaire proposé n’est pas suffisant pour qu’une partie ait un intérêt direct dans l’objet de l’instance (arrêt Rothmans, aux pages 509-510; arrêt CanWest, aux paragraphes 13 et 14 et décision Aventis).

[253]  De plus, dans ses observations initiales, Oceanex n’a pas souhaité se voir reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public; une fois de plus, elle ne satisfait pas aux critères pertinents (arrêt Downtown Eastside, au paragraphe 37; arrêt Infant Number 10968, aux paragraphes 24 et 34). L’intérêt reconnu d’Oceanex est de nature purement commerciale et privée, et non de nature publique. Par conséquent, elle ne peut pas démontrer un intérêt réel ou véritable dans le contentieux.

[254]  La preuve établie qu’Oceanex ne prétend pas représenter l’intérêt public en déposant la présente demande. Oceanex soutient plutôt qu’elle présente la demande en vertu de son rôle de concurrente de Marine Atlantique, donc l’intérêt n’a trait qu’à Oceanex et à ses actionnaires, et consiste à obtenir des revenus supérieurs pour une société privée. Il ne s’agit pas d’une situation liée à l’accès à la justice dans laquelle un groupe représentant un intérêt public plus large peut se voir reconnaître la qualité pour agir pour faire valoir des demandes, même lorsqu’il n’a aucun intérêt de nature publique ou privée (arrêt CanWest, aux paragraphes 13 et 14).

[255]  La présente demande n’est pas non plus une manière raisonnable ou efficace de soumettre la question à la Cour. Il est affirmé dans le témoignage par affidavit de M. Hynes que les intérêts d’Oceanex en l’espèce étaient de nature commerciale fondés sur des tarifs de transport anticoncurrentiels. La présente plainte met l’accent sur des questions liées à la concurrence, qu’Oceanex a partiellement soulevées auprès du Bureau de la concurrence. Selon le témoignage du capitaine Hynes, ce dernier a soulevé la question auprès du Bureau de la concurrence il y a des années, mais le Bureau a refusé d’enquêter. Bien que le Bureau de la concurrence ait le pouvoir discrétionnaire d’enquêter de mener une enquête sur les plaintes en matière de concurrence, il existe un recours devant la Cour fédérale pour les plaignants non satisfaits (arrêt Charette c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2003 CAF 426. Oceanex dépose plutôt la présente demande pour contourner le processus du Bureau de la concurrence et contester de façon indirecte les tarifs de Marine Atlantique. Une question se pose également pour savoir si Oceanex est la partie la plus indiquée pour soulever la question puisqu’il existe d’autres groupes qui pourraient contester la question en litige de l’établissement des tarifs, qui représentent vraiment l’intérêt public et qui ne sont pas tenus de répondre de leurs actions devant des actionnaires privés.

[256]  Tandis que la décision rendue dans l’arrêt Globalive Wireless Management Corp. c. Public Mobile Inc., 2011 CAF 194 (arrêt Public Mobile) a accordé la qualité pour agir dans l’intérêt public à une entreprise, cette décision diffère de la jurisprudence antérieure en raison de la question en litige unique soumise à la Cour. L’arrêt Public Mobile porte sur un décret modifiant la décision d’un organe administratif en vertu de pouvoirs conférés par la loi aux termes de la Loi sur les télécommunications. Dans cet arrêt, la Cour a décidé que si la qualité pour agir dans l’intérêt public n’était pas reconnue, le décret serait par conséquent à l’abri du contrôle judiciaire. Il faut faire une distinction avec l’arrêt Public Mobile, puisque la plainte pour pratiques anticoncurrentielles d’Oceanex n’est pas une question d’importance publique pour tous les Canadiens. La situation ne concerne pas non plus la mise à l’abri des mesures du gouvernement alors qu’une décision a été prise par Marine Atlantique, conformément à l’entente bilatérale. Aucune décision n’a été prise par le ministre, rien ne justifie donc un contrôle judiciaire. Dans l’arrêt Public Mobile, il est également souligné que la Cour doit prendre garde de ne pas accueillir de demande de contrôle judiciaire visant à éliminer la concurrence et à préserver des ressources judiciaires limitées.

Analyse

  (i)  Intérêt direct pour agir

[257]  Le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit ce qui suit :

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

[258]  Dans B’nai Brith, la Cour d’appel fédérale a jugé qu’afin d’être « directement touchée » par les décisions du gouverneur en conseil, il faudrait que les décisions en question aient affecté les droits de la partie présentant une demande de contrôle judiciaire, lui aient imposé en droit des obligations, ou lui aient porté préjudice : Rothmans; Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (P.G.), 2009 CAF 116 (Irving Shipbuilding)). Dans cet arrêt, aucune preuve ne fait valoir que B’nai Brith a ainsi été touchée. Ce critère a toujours été appliqué par la jurisprudence subséquente (voir, p. ex., l’arrêt Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, au paragraphe 29; décision Burry v Newfoundland & Labrador (Citizen’s Representative), 2010 NLTD(G) 103, au paragraphe 25).

[259]  La jurisprudence appuie aussi la proposition selon laquelle un intérêt commercial dans les questions faisant l’objet d’un contrôle judiciaire ne confère pas en soi qualité pour agir (arrêt CanWest, au paragraphe 17; Rothmans; décision Aventis, au paragraphe 19; décision Arctos, au paragraphe 52).

[260]  Dans Rothmans, la demande portait sur l’interprétation législative de la définition d’une cigarette, telle qu’elle est établie à l’article 6 de la Loi sur la taxe d’accise. Le ministère du Revenu national (Douanes et Accise) a adopté la thèse selon laquelle le filtre d’une cigarette ne devrait pas être inclus pour déterminer sa longueur, aux fins de la définition. Les appelants ont prétendu qu’il devrait être inclus et que la thèse du ministère avait donnée aux entreprises intimées un avantage concurrentiel ayant causé un préjudice aux appelantes. Elles ont cherché à obliger le ministre à inclure le filtre pour déterminer la longueur. Les questions en appel étaient de savoir si les appelantes avaient qualité pour agir et, quoi qu’il en soit, si les formes précises de réparation demandées seraient pertinentes pour contester la mesure prise par le ministre.

[261]  Les compagnies appelantes et intimées se livraient concurrence dans la fabrication et la vente de produits du tabac. Les appelantes n’ont pas prétendu être intéressées par la vente de cigarettes dans les proportions en cause. Elles n’ont pas non plus demandé l’interprétation qu’elles prétendent exacte pour être en mesure de faire quelque chose de particulier qu’elles ne pouvaient pas faire alors, mais plutôt pour empêcher les compagnies intimées d’entreprendre quelque chose qui, à leur avis, leur conférait un avantage commercial. La Cour d’appel fédérale a jugé que cela était suffisant pour donner ouverture à une qualité pour agir. Les appelantes n’avaient pas de grief réel et l’interprétation :

[...] ne porte pas atteinte aux droits des appelantes et ne leur impose aucune obligation légale supplémentaire. De même on ne peut soutenir qu’elle porte directement atteinte à leurs intérêts. Si elle permet aux compagnies intimées de faire quelque chose que les appelantes ne peuvent faire, c’est parce que celles-ci ont décidé de ne pas le faire.

(Rothmans, à la page 510)

[262]  La Cour d’appel fédérale a également souligné qu’il peut être admis que dans certains contextes, un intérêt concurrentiel peut être perçu comme conférant un statut pour contester une mesure administrative, donnant l’exemple du recours au certiorari pour annuler l’octroi d’une licence prétendument délivrée par excès de compétence. Toutefois, une personne ne devrait pas avoir le droit d’entraver une décision officielle touchant un concurrent existant ni d’y faire obstacle dans le seul but d’empêcher un concurrent d’obtenir un avantage quelconque, en particulier lorsque la mesure visée par la plainte est quelque chose dont la personne qui se plaint peut elle-même profiter. En outre, elle a souligné que le motif de la demande doit être pris en considération et qu’il faut garder à l’esprit l’intérêt public en matière de concurrence dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire judiciaire pour ce qui est de reconnaître ou non la qualité pour agir dans un rapport de concurrence.

[263]  Dans la décision Aventis, la Cour d’appel fédérale mentionne qu’elle a jugé à plusieurs reprises que la personne qui n’est pas partie à une décision prise par le ministre, mais qui est touchée par celle-ci uniquement au sens commercial n’a pas la qualité requise pour demander le contrôle judiciaire de la décision en vertu du paragraphe 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Elle cite Rothmans et précise :

[15]  Aventis tente d’établir une distinction en faisant valoir que, dans cette affaire, la demanderesse n’avait pas de produit équivalent sur le marché, alors qu’en l’espèce, Aventis a un tel produit. Bien qu’elle porte sur les faits, cette distinction ne modifie en rien le principe juridique suivant lequel la partie qui cherche à protéger uniquement un avantage commercial n’a pas la qualité requise pour contester les décisions prises par le ministre sur des questions de ce genre.

[264]  La Cour a conclu que les principes juridiques étaient clairs : un intérêt commercial ne suffit pas à lui seul à permettre à une personne qui n’était pas partie à la demande d’avis de conformité soumise au ministre de solliciter la réparation prévue à l’article 18.1.

[265]  Dans l’arrêt CanWest, la demanderesse a déposé une demande de contrôle judiciaire sollicitant un bref de mandamus enjoignant au ministre de la Santé et au procureur général du Canada d’effectuer une enquête et d’intenter des poursuites concernant les violations par des entités américaines d’interdictions de publicité directe aux consommateurs prévues par la Loi sur les aliments et drogues et son règlement afférent. La Cour a conclu que CanWest n’avait pas qualité pour agir, ce qui a été déterminant puisque CanWest n’a pas pu démontrer d’intérêt direct dans l’issue de la demande :

[15]  Dans les termes les plus simples, les seules parties directement touchées par l’ordonnance de mandamus ou la déclaration demandées par CanWest seraient les entités américaines qui selon CanWest enfreignent l’interdiction de faire de la PDC et les défendeurs.

[16]  De fait, le dossier ne permet pas de conclure qu’un jugement favorable aurait des répercussions commerciales pour CanWest. Devant moi, l’avocat de CanWest a tenté de faire valoir qu’une telle décision avantagerait CanWest au plan financier. Il a soutenu que si on empêchait les entités américaines de faire de la PDC dans les médias américains auxquels les Canadiens peuvent à l’heure actuelle avoir accès, les sociétés pharmaceutiques souhaitant annoncer leurs produits au Canada choisiraient de le faire, d’une manière permise par la loi, par l’entremise des médias relevant de CanWest. Autrement dit, il fait valoir que les mêmes règles s’appliqueraient également à tous. Or, cette assertion pose problème parce qu’elle se fonde sur de pures suppositions. Rien ne me permet de conclure que CanWest bénéficierait de recettes publicitaires additionnelles si des médias américains faisaient l’objet d’enquêtes et de poursuites.

[17]  Même en tenant pour acquis qu’elle a un intérêt commercial dans l’issue de la procédure, je ne suis pas convaincue que CanWest est une partie « directement touchée » par l’objet de la demande. Un intérêt commercial dans les questions faisant l’objet d’un contrôle judiciaire ne confère pas en soi qualité pour agir (Rothmans of Pall Mall Canada Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), [1976] 2 C.F. 500, 67 D.L.R. (3d) 505 (C.A.F.); Aventis Pharma Inc. c. Ministre de la Santé et al, 2005 CF 1396, 45 C.P.R. (4th) 6, par. 19, 143 A.C.W.S. (3d) 350).

[Souligné dans l’original.]

[266]  En appel, CanWest a renoncé à son argument suivant lequel la Cour fédérale avait commis une erreur en concluant qu’elle n’était pas directement touchée au sens de la Loi sur les Cours fédérales.

[267]  Dans Ultima Foods, une demande de contrôle judiciaire a été présentée par des transformateurs laitiers canadiens et des producteurs de yogourt visant le contrôle judiciaire de la décision du ministre du Commerce international défendeur de délivrer des permis d’importation supplémentaires au laitier américain défendeur. Renvoyant à Rothmans et à la décision CanWest, la Cour a noté que l’auteur d’une demande de contrôle judiciaire est « directement touché » par une décision au sens du paragraphe 18.1(1) lorsque la décision touche ses droits ou ses obligations légales ou lui cause directement préjudice. Toutefois, les demanderesses ne l’ont pas persuadée que la décision de délivrer les permis relatifs au yogourt Chobani touche directement leurs droits ou leurs obligations légales de quelque façon que ce soit.

[268]  En ce qui concerne la question du préjudice direct, même s’il existait des témoignages par affidavits sur la façon dont les permis nuiraient aux demanderesses, y compris le fait qu’elles seraient contraintes de livrer concurrence à un concurrent subventionné et de faire concurrence à un produit importé qui bénéficiait d’un avantage concurrentiel majeur, selon les éléments de preuve fournis au cours de son contre-interrogatoire sur les affidavits, la juge Simpson n’était pas convaincue que les demanderesses subiraient un préjudice direct, concluant ce qui suit :

[111]  Il ressort à l’évidence de la preuve que les demanderesses craignent d’être désavantagées sur le plan concurrentiel par suite de la délivrance de permis pour le yogourt Chobani, mais qu’elles sont néanmoins confiantes en ce qui concerne les perspectives de ventes de leur propre yogourt grec. Ainsi que l’avocat du procureur général l’a fait observer, si les demanderesses craignaient effectivement que leur entreprise subisse un préjudice direct, on s’attendrait à ce qu’il existe des documents internes faisant état de prévisions de pertes de ventes, de pertes de parts de marché, d’atteinte à la réputation et de préoccupations quant à la capacité de se voir attribuer un quota suffisant de lait canadien. À défaut de tels éléments de preuve et compte tenu des éléments de preuve contraires déjà mentionnés, je conclus que les permis délivrés pour le yogourt Chobani ne causeront aucun préjudice direct aux demanderesses. Tout au plus, il se peut que l’on assiste à une brève période de perturbation au cours de laquelle les demanderesses devront faire face à la concurrence pour développer leur part de marché au fur et à mesure que les ventes de yogourt grec augmentent.

[269]  Il a également été jugé que la question de la qualité pour agir devrait être tranchée non dans l’abstrait, mais dans le contexte du motif de contrôle sur lequel les demanderesses s’appuient (arrêt Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), au paragraphe 28; voir aussi la décision P & S Holdings Ltd. c. Canada, 2015 CF 1331, au paragraphe 35, conf. par 2017 CAF 41).

[270]  En l’espèce, dans son avis de demande modifié, Oceanex affirme notamment que la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 est incompatible avec la pratique de permettre à la concurrence et aux forces du marché d’être les principaux facteurs en jeu dans la prestation de services de transport viables et efficaces, et a comme effet direct de favoriser indûment des moyens de transport concurrents, comme le transport par camion, à destination et en provenance de l’île de Terre-Neuve, et de réduire l’avantage inhérent des fournisseurs de transport par voie navigable comme Oceanex. En outre, elle soutient que la décision touche directement les droits et les intérêts d’Oceanex en tant que fournisseur de services de transport par voie navigable à destination et en provenance de l’île de Terre-Neuve, y compris son droit d’exercer et de se livrer à la concurrence librement en ce qui a trait au transport de marchandises, sans le fardeau inéquitable des tarifs largement subventionnés de Marine Atlantique approuvés en violation des obligations imposées par la PNT, conformément à l’article 5 de la LTC; que la décision avait eu un effet préjudiciable sur la capacité continue d’Oceanex à maintenir son niveau actuel de services de transport par voie navigable à destination de Terre-Neuve; que l’effet continu des tarifs largement subventionnés reflétés dans la décision ont eu et continueront d’avoir un effet préjudiciable sur la capacité d’Oceanex d’obtenir, de financer et d’exploiter un navire de remplacement ainsi que sur ses occasions de croissance, comparativement à ce qu’elles auraient été sur un marché vraiment concurrentiel.

[271]  Dans ses observations écrites, Oceanex indique qu’elle et Marine Atlantique effectuent le même transport commercial de marchandises pour la même clientèle. Bien qu’Oceanex s’attende à devoir livrer concurrence en ce qui concerne le trafic de transport maritime commercial à courte distance, elle [traduction] « conteste le fait de devoir faire concurrence à une société qui n’a pas à couvrir ses coûts d’investissement et d’exploitation, et facture par conséquent des tarifs largement subventionnés ». Le fondement de sa demande tel qu’il est énoncé dans ses observations écrites est que la décision sur les tarifs de transport des marchandises de 2016-2017 est déraisonnable puisqu’elle n’a pas tenu compte de la PNT, du rapport de CPCS ou de l’effet préjudiciable des tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 sur la concurrence.

[272]  Appliquant tout cela à l’affaire dont je suis saisie, je souligne en premier lieu que la responsabilité d’établir des tarifs, qu’elle incombe au ministre ou à Marine Atlantique, découle de l’entente bilatérale, un contrat auquel seuls le Canada et Marine Atlantique étaient parties. Ainsi, Oceanex n’a aucun droit, de participation ou autre, découlant de cette entente. L’entente bilatérale n’impose pas non plus d’obligations légales à Oceanex. De même, la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017, prise conformément à l’entente bilatérale, ne touche pas directement les droits d’Oceanex et ne lui impose aucune obligation légale.

[273]  Oceanex soutient également qu’en plus d’être touchée sur le plan commercial, la décision l’a également directement touchée au niveau légal. Cela vient du fait que refuser à un concurrent la possibilité de contester une décision parce que les facteurs énumérés dans la PNT n’ont pas été pris en compte rendrait la PNT vide de sens. Je souligne que le critère relatif à la qualité pour agir est clair. Il nécessite que, pour être directement touchée par la décision, la décision doive toucher les droits d’Oceanex. Oceanex n’indique pas de droits ainsi touchés et ne justifie pas sa proposition selon laquelle il est suffisant que la décision l’ait [traduction] « directement touchée au niveau légal ». Si le critère relatif à la qualité pour agir était aussi vaste qu’Oceanex le soutient, toute entité aurait un intérêt direct pour agir au motif qu’elle présente une demande. Il ne peut pas en être ainsi.

[274]  Concernant l’effet préjudiciable direct, Oceanex ne conteste pas la décision sur les tarifs de transport des marchandises de 2016-2017 en tant que cliente de Marine Atlantique directement touchée par l’augmentation tarifaire visée, sa plainte n’est pas fondée sur l’augmentation tarifaire proprement dite. En outre, les répercussions alléguées de la décision sont toutes de nature commerciale et portent sur le rôle d’Oceanex en tant que concurrent de Marine Atlantique. Elles sont indirectes au sens où elles ne découlent pas de l’augmentation tarifaire de 2,6 % proprement dite et ne résultent pas de la décision d’augmenter les tarifs de ce montant. Même si Oceanex affirme que la concurrence sur le marché était une considération pertinente requise en vertu de l’article 5 de la LTC et que cela n’a pas été abordé par le décideur, Oceanex soutient essentiellement qu’en tant que concurrente elle est touchée de manière préjudiciable sur le plan commercial par le subventionnement du trajet constitutionnel par le Canada. À mon avis, il n’est pas suffisant de démontrer un intérêt direct pour agir (Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 RCS 607, au paragraphe 22).

[275]  Quoi qu’il en soit, j’ai également des réserves à l’égard des allégations de répercussions commerciales d’Oceanex. Oceanex soutient que les tarifs subventionnés ont des répercussions préjudiciables directes sur capacité à augmenter ses tarifs, conduisant à son incapacité de couvrir ses coûts totaux et de remplacer ses navires. Toutefois, comme l’a indiqué le procureur général de Terre-Neuve dans ses observations, Oceanex a fourni très peu de renseignements concernant son marketing financier et ses données opérationnelles. Oceanex n’a remis que deux documents financiers d’une page portant tous les deux sur le résultat minimum avant intérêts, impôts et amortissements. Ces deux documents indiquent en fait une croissance de la rentabilité entre 2007 et 2014. Le procureur général de Terre-Neuve soutient également que tandis que le témoignage par affidavit de M. Hynes fait valoir qu’une répercussion préjudiciable déterminante sur Oceanex, résultant de tarifs subventionnés de transport de marchandises, a été la perte continue ou potentielle de volume liée aux tarifs de transport de marchandises par Oceanex, un tableau joint à cet élément de preuve indique que depuis 2009, Oceanex a en réalité accru sa part de marché, tandis que les volumes de Marine Atlantique ont baissé. Au cours de son contre-interrogatoire, le capitaine Hynes concède qu’il n’y a eu aucune perte de volume continue et que la part de marché d’Oceanex a en fait augmenté.

[276]  En ce qui a trait à la qualité pour agir, je n’ai pas besoin de tirer de conclusion sur les répercussions financières sur Oceanex, tel que cela est indiqué dans la décision Ultima Foods, lorsqu’un concurrent prétend qu’il craint que son entreprise subisse un préjudice, on s’attendrait à ce qu’il existe des documents internes faisant état de prévisions de pertes de ventes, de pertes de parts de marché et d’autres préoccupations. En l’espèce, on s’attendrait à ce qu’il existe des états financiers appuyant le fait que selon les tarifs courants de transport des marchandises, Oceanex ne peut pas couvrir ses coûts totaux et remplacer ses navires.

[277]  Oceanex s’appuie aussi sur la décision Henry Global Immigration Services pour faire valoir qu’un préjudice direct aux intérêts commerciaux comprend le risque qu’un demandeur mettre fin à ses activités professionnelles. Ce précédent concernait une décision du Consulat général du Canada à Hong Kong de déroger à politique existante, d’envoyer les lettres à l’adresse domiciliaire des clients de la demanderesse et de ne plus correspondre avec la demanderesse qui était leur conseillère en immigration. Cette cour a conclu que la décision faisant l’objet du contrôle avait pour effet d’empêcher la demanderesse d’agir à titre de conseillère auprès des demandeurs sollicitant le droit d’établissement, ou du moins de nuire sérieusement à la demanderesse et il est possible de soutenir qu’elle risquait d’obliger la demanderesse à mettre fin à ses activités en ce qui concerne les demandeurs venant de Chine, soit la principale, sinon la seule, source de clientèle de la demanderesse. Je souligne que la décision Henry Global Immigration Services a été rendue en 1998, elle est donc antérieure aux décisions dans l’arrêt B’Nai Brith de la Cour d’appel fédérale ainsi qu’aux décisions dans Ultima Foods, Aventis et CanWest qui sont toutes davantage semblables à la présente affaire sur le plan factuel. En outre, bien qu’Oceanex fasse valoir qu’elle est commercialement désavantagée par le subventionnement des tarifs de Marine Atlantique, rien ne prouve qu’Oceanex risque de mettre fin à ses activités professionnelles en raison de l’augmentation de 2,6 % des tarifs de transport de marchandises découlant de la décision faisant l’objet du contrôle. Son affirmation est fondée de manière plus générale sur ce qu’elle qualifie de tarifs largement subventionnés.

[278]  Il est possible de faire une distinction avec Rothmans en tenant compte du fait que dans cette affaire, le but ou le motif de la demande était d’obtenir un avantage concurrentiel dont la demanderesse elle-même a choisi de ne pas bénéficier alors qu’en l’espèce, Oceanex ne cherche pas à empêcher un avantage commercial, mais elle prétend plutôt qu’elle est commercialement désavantagée par la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017. Toutefois, en fin de compte, son motif est l’espoir d’obtenir un avantage commercial si le subventionnement peut être contesté grâce à l’application de la PNT. Sur le plan factuel, elle se rapproche donc davantage de la décision Ultima Foods, mais son intérêt demeure commercial.

[279]  En définitive, dans ces circonstances, je ne peux conclure qu’Oceanex satisfait au critère relatif à l’intérêt direct pour agir.

  (ii)  Qualité pour agir dans l’intérêt public

[280]  Dans Downtown Eastside, la Cour suprême du Canada a abordé les règles de droit relatives à la qualité pour agir définissant le raisonnement qui sous-tend les restrictions à la qualité pour agir. Elle a indiqué que selon l’approche traditionnellement retenue, la qualité pour agir était limitée aux personnes dont les intérêts privés étaient en jeu ou pour qui l’issue des procédures avait des incidences particulières. Cependant, dans les causes de droit public, notamment la présente instance, les tribunaux ont tempéré ces limites et adopté une approche souple et discrétionnaire quant à la question de la qualité pour agir dans l’intérêt public, guidés en cela par les objectifs qui étaient sous-jacents aux limites traditionnelles. Dans cet arrêt, Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society – dont l’objet consiste notamment à améliorer les conditions de travail des travailleuses du sexe – et Mme Kiselbach, une ancienne travailleuse du sexe, ont lancé une vaste contestation constitutionnelle des dispositions du Code criminel relatives à la prostitution.

[281]  La Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit :

37  Lorsqu’ils exercent le pouvoir discrétionnaire de reconnaître ou non la qualité pour agir dans l’intérêt public, les tribunaux doivent prendre en compte trois facteurs : (1) une question justiciable sérieuse est‑elle soulevée? (2) le demandeur a‑t‑il un intérêt réel ou véritable dans l’issue de cette question? et (3) compte tenu de toutes les circonstances, la poursuite proposée constitue‑t‑elle une manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux? : Borowski, p. 598; Finlay, p. 626; Conseil canadien des Églises, p. 253; Hy and Zel’s, p. 690; Chaoulli, par. 35 et 188. Le demandeur qui souhaite se voir reconnaître la qualité pour agir doit convaincre la cour que ces facteurs, appliqués d’une manière souple et téléologique, militent en faveur de la reconnaissance de cette qualité. Toutes les autres considérations étant égales par ailleurs, un demandeur qui possède de plein droit la qualité pour agir sera généralement préféré.

[282]  Ces facteurs devraient être vus comme des considérations connexes devant être appréciées et soupesées de façon cumulative plutôt que séparément, à la lumière des objectifs qui sous‑tendent les restrictions à la qualité pour agir et appliqués d’une manière souple et libérale de façon à favoriser la mise en œuvre de ces objectifs sous‑jacents (arrêt Downtown Eastside, aux paragraphes 20 et 36). Lorsqu’il s’agit de décider s’il est justifié de reconnaître cette qualité dans les affaires de droit public, les tribunaux doivent exercer leur pouvoir discrétionnaire et mettre en balance, d’une part, le raisonnement qui sous-tend les restrictions à cette reconnaissance et, d’autre part, le rôle important qu’ils jouent lorsqu’ils se prononcent sur la validité des mesures prises par le gouvernement. « En somme, les règles de droit relatives à la qualité pour agir tirent leur origine de la nécessité d’établir un équilibre “entre l’accès aux tribunaux et la nécessité d’économiser les ressources judiciaires” : Conseil canadien des Églises, p. 252 » (arrêt Downtown Eastside, au paragraphe 23).

(a)  Question justiciable sérieuse

[283]  Pour être considérée comme une question justiciable sérieuse, la question soulevée doit constituer un point constitutionnel important ou constituer une question importante et l’action doit être loin d’être futile, bien que les tribunaux ne doivent pas examiner le bien-fondé d’une affaire autrement que de façon préliminaire (arrêt Downtown Eastside, au paragraphe 42). En insistant sur l’existence d’une question justiciable, les tribunaux s’assurent d’exercer leur pouvoir discrétionnaire de reconnaître la qualité pour agir d’une façon qui est cohérente avec l’objectif de demeurer dans les limites du rôle constitutionnel qui leur est propre. Lorsqu’est en cause un litige que les tribunaux peuvent trancher, ceux-ci ne devraient pas refuser de statuer au motif qu’à cause de ses incidences ou de son contexte politiques, il vaudrait mieux en laisser l’examen et le règlement au législatif ou à l’exécutif (arrêt Downtown Eastside, au paragraphe 40).

[284]  En l’espèce, Oceanex ne soulève pas directement de question constitutionnelle. Toutefois, elle affirme que les Conditions de l’union n’exigeaient pas que le Canada offre des tarifs précis sur le trajet constitutionnel, subventionne les tarifs ou offre un niveau de service précis, et que les clauses 32(2) et (3) n’ont pas d’application actuelle. Et, quoi qu’il en soit, elle soutient que le Canada n’a pas prouvé que le ministre, pour justifier sa dérogation à la PNT, a pris en compte les Conditions de l’union lorsqu’il a approuvé les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017. Oceanex soutient qu’assurer que la décision du ministre a été prise conformément à politique législative du gouvernement soulève une question justiciable sérieuse satisfaisant au premier volet du critère relatif à la qualité pour agir.

[285]  Marine Atlantique fait valoir que l’article 5 de la LTC ne s’applique pas et, quoi qu’il en soit, elle ne peut pas appuyer une demande de contrôle judiciaire de sa décision sur les tarifs de transport de marchandises à la lumière des Conditions de l’union qui impose le fardeau d’un subventionnement relativement aux tarifs de Marine Atlantique. Marine Atlantique soulève aussi la question constitutionnelle présentée précédemment.

[286]  Le Canada affirme qu’en vertu des Conditions de l’union, elle est constitutionnellement tenue d’offrir un service de traversier sur le trajet constitutionnel et la manière dont elle y parvient, y compris la manière dont les tarifs sont établis, n’est pas réglementée par les Conditions de l’union ni par aucune autre loi. Il s’agit plutôt d’une pure question de politique qui met en cause les obligations du Canada envers Terre-Neuve.

[287]  Le procureur général de Terre-Neuve voit la contestation d’Oceanex comme un effort de mettre un terme au subventionnement du trajet constitutionnel par le Canada et est intervenu parce qu’une interprétation des dispositions des Conditions de l’union est requise et parce que toute décision éliminant ou réduisant la subvention fédérale accordée à Marine Atlantique sera préjudiciable à l’économie et au bien-être des citoyens de Terre-Neuve-et-Labrador.

[288]  Je souligne qu’Oceanex ne conteste pas la constitutionnalité de la loi et ne prétend pas que la Charte ou d’autres droits ont été violés. Elle prétend plutôt que la question justiciable sérieuse est le défaut allégué du décideur de prendre en compte comme considération pertinente, l’article 5 de la LTC, la PNT qui exigeait, selon Oceanex, de prendre en compte l’incidence sur la concurrence que les tarifs subventionnés de Marine Atlantique avaient sur ses activités.

[289]  À mon avis, même si la question qu’Oceanex soulève entraîne accessoirement des considérations constitutionnelles, la question est essentiellement de savoir si une politique s’applique et, dans l’affirmative, si elle a été prise en compte dans le processus décisionnel. Dans l’affirmative, il se pose alors des questions constitutionnelles. Ainsi, pour Oceanex, il s’agit essentiellement d’une question commerciale et non d’une question d’intérêt public. Oceanex est principalement préoccupée par son intérêt personnel dans l’affaire et non par la manière dont le subventionnement des tarifs de Marine Atlantique touche les utilisateurs publics des services visés.

[290]  Cela dit, une question sérieuse n’a pas besoin d’être d’ordre constitutionnel et la qualité pour agir dans l’intérêt public a été reconnue, dans certains cas, lorsque la décision en cause serait autrement à l’abri du contrôle judiciaire (arrêt Public Mobile et arrêt B’Nai Brith). En l’espèce, si le décideur devait tenir compte de la PNT, mais ne l’a pas fait, il s’agit alors d’une question potentiellement justiciable sérieuse, car elle a trait à la primauté du droit.

(b)  Intérêt réel ou véritable

[291]  En ce qui concerne l’intérêt d’Oceanex, il ressort clairement de la preuve qu’Oceanex est depuis longtemps incommodée par le subventionnement des tarifs. En 2009, Oceanex a écrit au ministre pour exprimer sa préoccupation relativement au supplément de carburant et aux frais de remorques sans tracteur, faisant valoir qu’ils pouvaient être interprétés comme une forme de subvention octroyée aux compagnies de transport étant donné le subventionnement de Marine Atlantique. Dans une lettre du 18 février 2011, Oceanex a demandé à rencontrer le ministre de l’époque pour aborder ses préoccupations soulevées relativement au subventionnement de Marine Atlantique et à ses répercussions sur la compétitivité d’Oceanex. Dans une lettre datée du 31 mai 2011, Oceanex a soulevé ses préoccupations au ministre de l’époque concernant le rabais pour le commerce offert sur la liaison d’Argentia et affirmant que Marine Atlantique, une société d’État, avait recours à des tactiques concurrentielles déloyales. Une lettre semblable d’Oceanex a suivi le 28 septembre 2011, affirmant que l’industrie du camionnage commercial recevait une subvention de la part de Marine Atlantique à laquelle Oceanex ne pouvait pas livrer concurrence. Dans une lettre datée du 21 novembre 2011, Oceanex a reconnu avoir rencontré le ministre pour expliquer ses préoccupations concernant le niveau de subventionnement de Marine Atlantique et les répercussions sur ses activités; le ministre de l’époque a répondu le 14 mars 2012, reconnaissant qu’Oceanex était préoccupée par le niveau de subventions reçues par Marine Atlantique, mais a souligné que, comme le savait Oceanex, ces subventions venaient appuyer l’obligation constitutionnelle du gouvernement du Canada. Une correspondance semblable d’Oceanex comprend des lettres datées du 5 avril 2012, du 16 mai 2012, du 6 juillet 2012, du 24 octobre 2012 et un courriel du 25 octobre 2015 comprenant une présentation PowerPoint du 5 février 2013, intitulée [traduction] « Un commentaire sur certaines pratiques commerciales de Marine Atlantique S.C.C., la législation et le cadre de gouvernance en vertu desquels la société d’État œuvre » et une lettre datée du 17 novembre 2015. En réponse à cette dernière lettre, dans un courriel du 2 mai 2016, le ministre de l’époque a fait savoir qu’il avait pris en note les préoccupations d’Oceanex liées au niveau de subventions perçues par Marine Atlantique et qu’en 2015, Transports Canada avait chargé un consultant externe d’évaluer notamment le marché du transport de marchandises à Terre-Neuve, dont l’analyse interne était en voie d’être achevée. Cela a vraisemblablement donné lieu au rapport de CPCS.

[292]  Le dossier indique clairement que l’intérêt d’Oceanex est le désavantage concurrentiel perçu auquel elle fait face en raison du subventionnement de Marine Atlantique. Même si Oceanex a clairement abordé la question, elle ne l’a pas fait du point de vue d’un citoyen préoccupé, d’un contribuable ni d’un utilisateur du service de traversier. En effet, le témoignage du capitaine Hynes au cours du contre-interrogatoire sur son témoignage par affidavit était que si des subventions étaient retirées, Marine Atlantique devrait doubler, voire tripler, les tarifs pour ses utilisateurs. Toutefois, Oceanex conçoit cet intérêt dans le contexte d’un défaut allégué de tenir compte d’une politique pertinente, la PNT, du décideur lorsqu’il a pris la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017. À cet égard, Oceanex a démontré un intérêt véritable à l’égard de la question de la concurrence dans le transport de marchandises sur le trajet constitutionnel. La concurrence est une considération reflétée par la PNT dont la faisabilité de la mise en application concerne le fond de la demande d’Oceanex.

(c)  Manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour

[293]  En ce qui concerne une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour, bien qu’Oceanex conçoive le présent contrôle judiciaire comme une contestation de l’établissement des tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 fondée sur le défaut de tenir compte de la PNT, comme je l’ai mentionné précédemment, l’essentiel de la plainte d’Oceanex fait valoir que le subventionnement au niveau actuel est anticoncurrentiel. De longs rapports d’économistes ont été produits et tentent notamment de comparer les activités d’Oceanex à celles de Marine Atlantique afin d’aborder l’existence et les répercussions des subventions à la lumière de différents types de navires, liaisons d’exploitation, gains en efficience et d’autres facteurs. Cela incite à se demander si la question en litige est vraiment une question qui aurait dû être soulevée auprès du Bureau de la concurrence, conformément à la Loi sur la concurrence. Le témoignage du capitaine Hynes à ce sujet au cours de son contre-interrogatoire était que même si aucune plainte n’avait été déposée au sujet des allégations de pratiques anticoncurrentielles d’Oceanex, il y a plusieurs années un appel téléphonique avait été donné au Bureau de la concurrence. Le capitaine Hynes a affirmé que le Bureau de la concurrence décide [TRADUCTION] « de ce sur quoi il enquête et il n’avait pas l’intention d’enquêter à ce sujet ». En réponse à une demande d’engagement d’aviser de la date et des détails de la plainte d’Oceanex auprès du Bureau de la concurrence concernant les pratiques anticoncurrentielles de Marine Atlantique ou de Transports Canada, Oceanex a répondu que ce n’était pas pertinent. Comparaissant devant moi, l’avocat d’Oceanex a affirmé que le Bureau de la concurrence n’a pas compétence à l’égard des Conditions de l’union ou de l’application de la PNT. Toutefois, aucun fondement législatif ni aucun précédent n’ont été fournis à l’appui de cette thèse. De même, le Canada et Marine Atlantique, tout en affirmant que l’affaire avait été valablement introduite devant le Bureau de la concurrence et que si Oceanex n’était pas satisfaite du refus d’enquêter, elle aurait pu demander le contrôle judiciaire du refus, ces parties n’ont pas substantiellement abordé la question en litige.

[294]  En bref, on peut vraiment se demander si l’allégation d’Oceanex, puisqu’il est question de restrictions de concurrence, ne relève pas plutôt du Bureau de la concurrence qui, avec l’expertise dont il dispose, pourrait bien être un endroit plus approprié. Toutefois, compte tenu des arguments limités des parties, je ne suis pas en mesure de tirer de conclusion à cet égard.

[295]  Quoi qu’il en soit, pour ce qui est des autres facteurs à prendre en compte relativement à l’intérêt public, Oceanex est certainement bien placée pour présenter la demande. Il est également peu probable qu’une autre partie vienne remettre en question la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017. Les utilisateurs publics n’auraient pas tendance à rechercher des tarifs plus élevés d’après les préoccupations d’Oceanex, cependant ils seraient probablement très inquiétés par une augmentation des tarifs. C’est spéculer que de laisser entendre que les groupes de surveillance composés de contribuables pourraient remettre en question la décision. Et il ne s’agit évidemment pas d’une situation d’accès à la justice concernant une partie désavantagée dont les droits sont touchés.

[296]  Cependant, tel qu’il est indiqué dans Downtown Eastside, le principe de la légalité renvoie à deux concepts : les actes de l’État doivent être conformes à la Constitution et au pouvoir conféré par la loi, et il doit exister des manières pratiques et efficaces de contester la légalité des actions de l’État. Oceanex affirme que si on lui refuse qualité d’agir, il n’y aura alors aucun autre moyen de contester la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017, qui ne sera donc pas susceptible de contrôle judiciaire.

[297]  Dans B’Nai Brith, la Cour d’appel fédérale, bien que ne reconnaissant pas de qualité d’agir à B’Nai Brith, convenait avec les juges des requêtes que le critère à trois volets relatif à la qualité d’agir était respecté, tel qu’il est exposé dans Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236 (« Conseil canadien des Églises »). Dans B’Nai Brith, la Cour d’appel fédérale a abordé la préoccupation soulevée dans Conseil canadien des Églises relativement à la mise à l’abri du gouvernement par rapport à certaines contestations :

[61]  Avant de passer à une autre question, je tiens à ajouter qu’en l’espèce la reconnaissance de la qualité pour agir dans l’intérêt public est compatible avec le souci dont la Cour suprême du Canada, pour des raisons de principe, a fait état dans l’arrêt Conseil canadien des églises, précité. À la page 256 de cet arrêt, la Cour suprême a indiqué qu’une trop grande restriction apportée à la reconnaissance de la qualité pour agir dans l’intérêt public aurait pour effet de mettre les actes publics à l’abri des contestations. La Cour a reconnu la qualité pour agir dans l’intérêt public dans une affaire où le contraire aurait mis à l’abri de toute contestation les décisions gouvernementales et où étaient réunis les critères d’intervention dégagés dans l’arrêt Conseil canadien des églises : Harris c. Canada, [2000] 4 C.F. 37 (C.A.).

[62]  Comme dans l’affaire Harris, précitée, le souci d’éviter cette mise à l’abri systématique est en jeu en l’espèce. Les décisions du gouverneur en conseil ont été favorables à messieurs Odynsky et Katriuk. Ni l’un ni l’autre n’aurait porté les décisions à l’attention de la Cour, étant donné que ces décisions ne les touchaient aucunement ni l’un ni l’autre. Comme le juge des requêtes l’a fait remarquer, (au paragraphe 16), « [d]ans une affaire comme la présente, dans laquelle il n’y a pas eu révocation de la citoyenneté, la décision du gouverneur en conseil ne fera jamais l’objet d’un contrôle judiciaire, à moins qu’un tiers ne le demande ». Compte tenu de son expérience, de ce qu’elle sait des antécédents en ce domaine et des efforts qu’elle a déployés dans des affaires telles que celle‑ci, l’appelante était bien placée pour contester en justice la décision du gouverneur en conseil. Le fait de ne pas reconnaître à l’appelante qualité pour agir dans l’intérêt public voudrait dire que les décisions du gouverneur en conseil sont à l’abri du contrôle judiciaire. Cela n’est pas souhaitable.

[298]  Mon vrai souci en l’espèce, en fin de compte, est la perspective que la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 et toutes les décisions en matière d’établissement de tarifs de transport de marchandises ne soient plus susceptibles de contrôle judiciaire. Cette possibilité découle de la circonstance quelque peu inhabituelle dans laquelle les tarifs sont déterminés en l’espèce. J’entends par là le fait que la responsabilité d’établir des hausses tarifaires inférieures à 5 % a été attribuée à Marine Atlantique par le biais d’une modification de l’entente bilatérale, dont la signature par le ministre a été approuvée au moyen du décret de 1987, mais pas sur la base d’un fondement législatif ou en raison d’un défaut d’autorité ou d’une incapacité du ministre. Si la PNT s’applique à la prise de décisions sur les tarifs de transport de marchandises, alors la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 ne devrait pas être à l’abri du contrôle judiciaire parce que la responsabilité en matière de prise de décision a été attribuée par contrat à Marine Atlantique. De même, si la hausse tarifaire avait dépassé 5 % et avait été décidée par le ministre, cette décision ne devrait pas être à l’abri du contrôle judiciaire pour le motif que la responsabilité en matière d’établissement des tarifs résulte d’un contrat alors que la contestation repose sur un prétendu défaut de tenir compte d’une politique pertinente.

[299]  Dans Public Mobile, la même préoccupation a fait que l’on a reconnu aux concurrents la qualité pour agir dans l’intérêt public :

[55]  En voulant contester le décret, Public Mobile a clairement soulevé des questions sérieuses ayant trait à l’interprétation de la Loi ainsi qu’à l’application du critère du contrôle de fait en l’espèce. Il n’y a aucun moyen raisonnable et efficace de soumettre cette question à la cour autre que celui d’obtenir la qualité pour agir dans l’intérêt public. On ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce que Globalive ou le procureur général conteste le décret. Seule Public Mobile l’a contesté.

[56]  Si la qualité pour agir dans l’intérêt public n’était pas reconnue, le décret serait par conséquent à l’abri du contrôle judiciaire. Il est fondamental pour maintenir la primauté du droit d’assurer qu’aucune mesure gouvernementale n’échappe au contrôle des tribunaux. Dans Conseil canadien des Églises, la Cour suprême affirme que « l’objet fondamental de la reconnaissance de la qualité pour agir dans l’intérêt public est de garantir qu’une loi n’est pas à l’abri de la contestation » (à la page 256; voir aussi Hy and Zel’s Inc. c. Ontario (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 675, à la page 692). Il importe de ne pas appliquer de manière mécanique les exigences qui concernent la qualité pour agir dans l’intérêt public (Corporation of the Canadian Civil Liberties Assn. c. Canada (A.G.) (1998), 40 O.R. (3d) 489, aux pages 497 et 519 (motifs de la juge Charron), autorisation d’en appeler refusée, Bulletin de la CSC. 1999, page 422). L’application du critère par la Cour devrait plutôt reposer sur le contexte factuel et sur les questions de politique en jeu, y compris le spectre que les mesures du gouvernement se trouvent à l’abri du contrôle des tribunaux et l’importance de la question soulevée par le demandeur pour le public(voir Odynsky, au paragraphe 61; Harris c. Canada, [2000] 4 C.F. 37 (C.A.); Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society c. Canada (A.G.), 2010 BCCA 439, 10 B.C.L.R. (5th) 33, à la page 41 [Downtown Eastside Sex Workers]).

[57]  Il est certes vrai que les tribunaux doivent mettre en équilibre cette considération et l’importance de l’économie des ressources judiciaires conjuguée au fait d’empêcher que le contrôle judiciaire devienne entre concurrents une arme visant à éliminer la concurrence. Cependant, lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, les intérêts de tous les Canadiens sont en jeu à un degré inhabituel, les préoccupations qui portent sur le fait pour les actes publics de se trouver à l’abri des tribunaux deviennent primordiales. De telles préoccupations n’autorisent pas les tribunaux à ne pas appliquer le test énoncé dans Conseil canadien des Églises, mais j’estime que le présent contexte se prête à reconnaître à Public Mobile un intérêt suffisant dans l’issue du litige pour qu’elle obtienne la qualité pour agir dans l’intérêt public. Une distinction peut donc être établie entre l’affaire CanWest Media Works Inc. c. Canada (Santé), 2008 CAF 207, 382 N.R. 365, dans laquelle la Cour a statué qu’un intérêt commercial indirect ne constituait pas un intérêt véritable dans l’issue du litige permettant d’obtenir la qualité pour agir dans l’intérêt public, et la présente affaire. Il n’y avait aucune préoccupation dans Canwest Global quant à la possibilité que les mesures gouvernementales soient à l’abri du contrôle judiciaire.

[300]  Je reconnais que dans ces circonstances, il faut se demander si l’établissement des tarifs de transport de marchandises est, en fait, une action du gouvernement pouvant donner lieu à une qualité pour agir dans l’intérêt public. Cela dépend en partie de l’identité du décideur, de la question de savoir si la décision était de nature purement contractuelle, et de la question de savoir si la PNT s’applique à la décision. J’aborde toutefois la question de la qualité pour agir subsidiairement à ma conclusion selon laquelle Marine Atlantique a pris la décision et la Cour n’a pas compétence parce qu’aucune compétence n’a été attribuée ou qu’il n’existe aucun pouvoir législatif ni aucune prérogative. De plus, la question de l’application de la PNT a trait au fond de l’affaire plutôt qu’à la question de la qualité pour agir. Compte tenu de ceci, en appréciant les facteurs de la décision Downtown Eastside et en gardant à l’esprit les objectifs sous-jacents du droit relatif à la qualité pour agir, je suis convaincue qu’il s’agit de circonstances où je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire en faveur d’Oceanex et reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public.

Question 3 : L’article 5 de la LTC était-il pertinent à la prise de la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017?

[301]  J’ai conclu que Marine Atlantique était le décideur et n’était pas un office fédéral pour la prise de la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017; la Cour n’a donc pas compétence. Cette conclusion a un effet déterminant. Toutefois, au cas où ces conclusions seraient erronées, j’aborderai également la question centrale qui est celle de savoir si l’article 5 de la LTC, c’est-à-dire la PNT, est applicable et aurait par conséquent dû être pris en compte par le décideur.

Observations d’Oceanex

[302]  Oceanex prétend qu’aux termes des articles 2 et 3 de la LTC, la PNT lie la Couronne et s’applique précisément à toutes les questions de transport relevant de l’autorité législative du Parlement, sans se limiter aux modes de transport abordés par la LTC. Elle affirme également que la PNT exige manifestement que la concurrence soit une priorité et que toute mesure publique stratégique soit une exception à cette règle. On considère que la PNT oriente le pouvoir discrétionnaire des décideurs et y impose des limites juridiques et, bien qu’elle n’impose aucun résultat particulier, elle établit les facteurs à prendre en compte lors de la prise de décisions. En l’espèce, le ministre devait tenir compte de la PNT et accorder un poids approprié à ses facteurs pertinents dans le contexte d’un processus équitable (Ferroequus Railway Company Ltée. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2003 CAF 454, aux paragraphes 21 et 22 (« Ferroequus »); Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1, aux paragraphes 37 et 38 (« Suresh »)). La Cour doit déterminer si le ministre a exercé son pouvoir en tenant compte des contraintes législatives que la PNT imposait à son pouvoir discrétionnaire.

[303]  Oceanex affirme que même si l’on considérait, dans Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Moffatt, 2001 CAF 327 (« Moffatt »), que la PNT était un énoncé d’intention ou une clause déclaratoire, les énoncés d’intention limitent le pouvoir discrétionnaire des décideurs (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statues, 6e éd. (Markham : LexisNexis, 2014), p. 1445 (« Sullivan »)). En outre, en permettant au ministre de ne pas tenir compte de la PNT pour établir les tarifs de Marine Atlantique, on ferait perdre tout son sens à la PNT. La nature polycentrique de la PNT ne signifie pas non plus que le ministre est libre de ne pas tenir compte de la politique : soit la politique s’applique à la décision, soit elle ne s’y applique pas. Le fait de ne pas tenir compte de la PNT porte un coup fatal à la décision sur les tarifs de transport de marchandises et enlève toute nécessité d’examiner les liens entre les Conditions de l’union et cette politique.

[304]  Oceanex prétend que les éléments de preuve démontrent qu’en établissant les tarifs de transport des marchandises de 2016-2017, ni la PNT, ni le rapport de CPCS, ni l’incidence des tarifs sur Oceanex n’ont été pris en compte. Puisque le décideur n’a pas tenu compte de ces facteurs importants, la décision doit être annulée et l’affaire doit être renvoyée au décideur, en lui demandant d’examiner de nouveau le dossier et de formuler une nouvelle décision en tenant compte de ce dont il n’avait pas tenu compte précédemment (Régimbald, aux paragraphes 232 et 233; Oakwood Development Ltd. c. St-François Xavier, [1985] 2 RCS 164, au paragraphe 174; Atwal v Canada (Secretary of State), [1994] FCJ No 1113, au paragraphe 10 (CF 1re inst.); Brown & Evans, aux paragraphes 14-176 à 14-183).

[305]  Oceanex affirme également que les tarifs fortement subventionnés de Marine Atlantique sont en conflit total avec la PNT, qu’ils font que les services de transport de marchandises ne sont pas fournis de la façon la plus efficace possible par l’entreprise la plus efficace, et qu’ils portent particulièrement préjudice à Oceanex et constituent une forme d’intervention publique qui favorise indûment une entreprise, Marine Atlantique, en violation de la PNT. Non seulement les tarifs auraient-ils dû être pris en compte dans le contexte des critères de la PNT, mais ils auraient également dû être pris en compte vu les efforts déployés depuis longtemps par Oceanex pour que le ministre traite ces questions. TC a retenu les services de CPCS pour examiner le degré de distorsion du marché de transport de marchandises entre Terre-Neuve et le continent ayant découlé de l’appui que le Canada a offert à Marine Atlantique, ainsi que pour déterminer les solutions possibles en matière de structures de frais modifiées. L’existence du rapport de CPCS prouve que les questions qui y sont étudiées étaient pertinentes pour le ministre et son mandat, mais le ministre n’en a pas tenu compte au moment d’approuver les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017.

Observations de Marine Atlantique

[306]  Marine Atlantique affirme que l’article 5 de la LTC n’est rien d’autre qu’un énoncé d’intention indiquant la manière d’interpréter les dispositions de fond de la LTC, et qu’il ne fournit aucune base pour annuler les tarifs commerciaux de Marine Atlantique (Sullivan, au paragraphe 14.39; Greater Vancouver Regional District v. British Columbia, 2011 BCCA 345, au paragraphe 43 (« Greater Vancouver »)).

[307]  L’article 5 de la LTC n’est pas attributif de compétence (Moffatt, au paragraphe 27). Ainsi, bien que cet article puisse servir à définir l’objet de cette loi, celle-ci pouvant aussi contribuer à l’interprétation de ses dispositions et, dans ce contexte, aider à définir les limites des pouvoirs discrétionnaires conférés par la loi, la décision sur les tarifs de transport des marchandises de 2016-2017 n’a pas été prise par le ministre ou par Marine Atlantique en application d’une quelconque disposition de la LTC. L’article 5 ne régit donc pas la décision sur les tarifs.

[308]  En outre, tous les énoncés d’objectif n’établissent pas une politique unifiée et cohérente. Ils peuvent imposer un certain nombre de politiques ou de principes contradictoires que les interprètes du droit doivent soupeser lorsqu’ils appliquent les textes législatifs à des cas particuliers, comme c’est le cas avec l’article 5 qui est polycentrique et définit des objectifs divergents. En l’espèce, les tarifs plus faibles de transport commercial de marchandises servent certains des objectifs de l’article 5. Même lorsque l’article 5 s’applique, il sert rarement de base à une réparation (Ferroequus, au paragraphe 22; Sullivan, au paragraphe 14.44; Jackson v Canadian National Railway, 2012 ABQB 652, conf. par 2012 ABCA 440, aux paragraphes 57 à 63 (« Jackson (AB) »)) et la nature polycentrique de l’article 5 témoigne du fait qu’il n’a jamais eu pour but de définir une norme permettant d’évaluer les décisions au moyen d’un contrôle judiciaire puisque la Cour ne peut substituer ses propres conclusions à celles du décideur quant à la manière dont les objectifs contradictoires doivent être conciliés.

Observations du Canada

[309]  Le Canada fait valoir que la LTC n’établit aucune exigence quant à la façon de gérer le trajet constitutionnel. La PNT, telle qu’elle figure à l’article 5 de la LTC, n’est la source d’aucune exigence légale selon laquelle les tarifs devraient être établis par une partie donnée, devraient être augmentés ou devraient connaître une hausse plus rapide. La PNT est un énoncé de politique général enchâssé dans la loi qui porte sur l’obtention d’un système de transport national qui soit concurrentiel, économique et efficace. Il s’agit d’une politique polycentrique, dans la mesure où la PNT fait intervenir un grand nombre de considérations et d’intérêts entremêlés et interdépendants (P. Cane, An Introduction to Administrative Law, 3d (1996), à la page 35, cité dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 RCS 982, au paragraphe 36 (« Pushpanathan »)), reconnaissant en particulier le rôle de l’intervention publique dans le système de transport national.

[310]  La PNT est un cadre politique obligatoire uniquement à l’égard de ce qui est visé par la LTC (chemins de fer et aéroports). Au mieux, les grandes orientations de la PNT servent de toile de fond à la prise de décisions par le ministre et ne peuvent pas entraver l’exercice de son pouvoir discrétionnaire quant à la manière dont le trajet constitutionnel doit être exploité. L’établissement des tarifs sur ce trajet n’est pas imposé par une règle de droit, mais cela peut faire partie des considérations plus larges du ministre. Ces considérations plus larges comprennent la Politique maritime nationale, qui réglemente le transport maritime et aborde expressément les services offerts par Marine Atlantique. Le ministre n’est pas non plus tenu, chaque fois qu’il prend une décision dans le contexte maritime national, de se prévaloir précisément de la PNT en la nommant pour indiquer qu’il a tenu compte des intérêts polycentriques (Pushpanathan, au paragraphe 36; Via Rail Canada Inc. c. Canada (Office des Transports), 2005 CAF 79, inf. pour d’autres motifs, 2007 CSC 15) ancrés dans la politique (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, aux paragraphes 86 à 88). La nature polycentrique de la PNT joue également contre la thèse d’Oceanex selon laquelle la concurrence est la priorité de la politique.

[311]  La PNT ne prétend pas régler les questions de concurrence déloyale quant à un mode de transport, et la LTC ne prévoit pas de recours en cas de prétendue concurrence déloyale. Ces questions relèvent de la Loi sur la concurrence.

[312]  Quoi qu’il en soit, la démarche stratégique élargie du Canada est conforme aux objectifs stratégiques de la PNT. En 1995, le Canada a cherché, avec la Politique maritime nationale, à réduire son rôle dans la prestation de services de traversier et à diminuer l’intervention publique, afin que les services soient fournis par le secteur public ou confiés aux provinces, tout en continuant, cependant, à appuyer les services prévus par la Constitution ainsi que les services requis dans les collectivités éloignées  En 1998, Marine Atlantique avait réduit ses services au trajet constitutionnel et à la liaison d’Argentia, ses autres itinéraires de traversier ayant été privatisés. Pour ces services restants, le Canada s’est efforcé de réduire l’intervention publique, comme en témoignent les processus des stratégies de revitalisation 2007 et 2010 à partir desquels les politiques de recouvrement des coûts ont été établies sur le trajet constitutionnel et la liaison d’Argentia. Ces mesures visent à établir un équilibre entre les coûts pour les contribuables canadiens et les coûts pour les utilisateurs des services de traversier dans le contexte de l’obligation constitutionnelle du Canada, à laquelle le Canada ne peut se soustraire, et aux termes de laquelle les services doivent être facilement accessibles pour les utilisateurs. Les documents au dossier, y compris les discussions du Cabinet, témoignent de cet équilibre.

[313]  Quoi qu’il en soit, ces décisions stratégiques prises par le Canada en tant qu’autorité chargée de la réglementation de Marine Atlantique sont au bout du compte des décisions relevant purement de la politique et mettant en jeu l’obligation constitutionnelle du Canada envers Terre-Neuve-et-Labrador; la nature de cette obligation et les souhaits de la province à son égard constituent des considérations pertinentes pour le Canada lors de la prise de décisions quant au service.

Observations du procureur général de Terre-Neuve

[314]  Le procureur général de Terre-Neuve prétend que le législateur ne prévoyait pas que l’article 5 de la LTC devienne un mécanisme de réglementation, de contrôle et d’attribution relativement à la concurrence dans un secteur de transport précis, et l’interpréter de la sorte va au-delà de son usage et de sa fonction voulus.

[315]  Le procureur général de Terre-Neuve souligne qu’Oceanex affirme avoir été lésée par le subventionnement de Marine Atlantique, comme l’indiquent ses observations écrites, était donné que les tarifs pratiqués par Marine Atlantique l’empêchent de rentabiliser suffisamment son investissement et que ces tarifs sont anticoncurrentiels et incompatibles avec l’article 5 de la LTC. Le procureur général de Terre-Neuve affirme que, bien que la présente demande de contrôle judiciaire soit présentée en vertu de la LTC, il s’agit en fait d’une plainte en matière de concurrence, dont la caractérisation est appuyée par le contenu de l’avis de demande modifié d’Oceanex et par les nombreuses références dans l’affidavit no 1 de M. Hynes.

[316]  Cependant, l’objectif de la LTC n’est pas de réglementer la concurrence. Le procureur général de Terre-Neuve souligne que la loi qui existait avant la LTC, à savoir la Loi sur les transports nationaux (« LTN »), incluait un mécanisme par lequel il était possible de demander à la commission des transports une autorisation d’interjeter appel d’un tarif établi par un transporteur, si le demandeur croyait que ce tarif était contraire à l’intérêt public. La commission pourrait mener une enquête et rendre une ordonnance obligeant le transporteur à retirer l’élément préjudiciable. Ainsi qu’il est indiqué dans l’affidavit no 1 de M. Hynes, une société devancière d’Oceanex a utilisé ce mécanisme législatif pour déposer, dans les années 1990, des plaintes contre le CN au sujet de tarifs de transport commercial de marchandises préjudiciables entre Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse. Toutefois, le Parlement a abrogé la LTN et l’a remplacée par la LTC, qui est exempte de ce genre de mécanisme. En outre, l’application de la Loi sur la concurrence au secteur du transport découle implicitement du fait que l’article 4(2) de la LTC indique expressément que celle-ci n’a aucune incidence sur l’application de la Loi sur la concurrence.

[317]  Le procureur général de Terre-Neuve affirme que la fonction juridique précise de l’article 5 de la LTC n’est pas claire. Dans Moffatt, il a été établi qu’il s’agissait d’une disposition déclarative établissant les objectifs de la PNT du Canada. La Cour d’appel fédérale, dans Ferroequus, a fait remarquer que la politique mettait en évidence les considérations souvent contradictoires que l’Office national des transports devait soupeser lors de la prise d’une décision. La politique avait alors une portée générale, ne servant qu’à guider et à structurer l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’Office national des transports dans une situation donnée, et dictait rarement un résultat en particulier. Dans Jackson (AB), au paragraphe 58, il a été établi que l’article 5 était un énoncé d’objectif, en citant Sullivan, dont l’auteur indique que les énoncés d’objectif ne s’appliquent pas directement aux faits, mais donnent plutôt une orientation quant à la façon d’interpréter les dispositions de fond de la loi (Sullivan, à la page 454). En l’espèce, Oceanex ne cherche pas à utiliser l’article 5 pour interpréter une disposition de fond de la LTC; son application est en fait complètement distincte de la LTC. Ni le ministre ni Marine Atlantique n’établit de tarifs en application d’un article précis de la LTC. En fait, même s’il contenait une disposition précise quant à l’établissement des tarifs, la jurisprudence et les commentaires émis dans Sullivan indiquent que l’article 5 n’aurait que peu de poids.

Analyse

[318]  Comme je l’ai mentionné plus tôt, la LTC dispose qu’elle lie le Canada ou une province (article 2) et qu’elle s’applique aux questions de transport relevant de l’autorité législative du Parlement (article 3). De plus, rien de ce qui est entrepris en application de la LTC (sauf la section IV, Prix, tarif et services, de la partie III, Transport ferroviaire) n’a d’incidence sur le fonctionnement de la Loi sur la concurrence, sous réserve du paragraphe 4(3), qui n’est pas pertinent en l’espèce.

[319]  L’article 5 constitue une déclaration; il précède les dispositions relatives à l’interprétation de la LTC et les parties I à IV de cette loi qui viennent ensuite. Bien qu’Oceanex se concentre uniquement sur l’article 5 de la LTC, affirmant qu’il s’agissait d’une considération pertinente relativement à l’établissement des tarifs de transport de marchandises de 2016-2017, il me semble qu’il serait utile d’examiner d’un peu plus près la LTC dans son ensemble.

[320]  Conformément au paragraphe 7(1) de la LTC, l’Office national des transports est maintenu sous le nom d’Office des transports du Canada (l’« Office »). La partie II de la LTC porte sur le transport aérien, y compris la délivrance, la suspension ou l’annulation de licences. L’Office peut enquêter sur les plaintes relatives à des prix ou à des taux excessifs, et en ordonner l’annulation ou la modification, selon ce qu’il estime raisonnable dans les circonstances (article 66). La partie III concerne le transport ferroviaire, et la section IV porte sur les prix, les tarifs et les services, y compris les plaintes relatives aux frais déraisonnables ou aux conditions connexes. Si l’Office les juge déraisonnables, il peut ordonner, par arrêté, l’établissement de nouveaux frais ou de nouvelles conditions connexes (article 120.1). L’Office peut également établir des prix de ligne concurrentiels (paragraphe 132(1)). Enfin, en vertu de la partie IV, il peut avoir recours à l’arbitrage. La LTC ne traite pas de la même façon le transport maritime par navire ou autrement.

[321]  Toutes les parties citent la décision rendue en 2003 par la Cour d’appel fédérale dans Ferroequus. Dans cette affaire, Ferroequus demandait à l’Office, en vertu du paragraphe 138(1) de la LTC, de rendre une ordonnance l’autorisant à exploiter ses wagons sur certaines parties du chemin de fer appartenant au Canadien National, afin de livrer concurrence au CN et au Canadien Pacifique dans l’acheminement de céréales des Prairies. Le paragraphe 138(2) de la LTC donnait à l’Office le pouvoir de rendre l’ordonnance demandée :

138 (2) L’Office peut prendre l’arrêté et imposer les conditions, à l’une ou à l’autre compagnie, concernant l’exercice ou la limitation de ces droits, qui lui paraissent justes ou opportunes, compte tenu de l’intérêt public.

138 (2) The Agency may grant the right and may make any order and impose any conditions on either railway company respecting the exercise or restriction of the rights as appear just or desirable to the Agency, having regard to the public interest.

[322]  L’Office a refusé d’acquiescer à la demande d’ordonnance de droits de circulation, surtout parce que Ferroequus n’avait fourni aucune preuve d’abus ou d’inefficacité du marché attribuable à la conduite des transporteurs ferroviaires existants ou à un problème au chapitre des tarifs ou des services, attribuable au manque de concurrence.

[323]  En appel devant la Cour d’appel fédérale, Ferroequus a soutenu, entre autres, que le libellé du paragraphe 138(2) ne corroborait pas une interprétation aussi restrictive et contraire à la PNT, laquelle est édictée par l’article 5 de la LTC et qui prescrit que la concurrence et les forces du marché sont, chaque fois que la chose est possible, les principaux facteurs en jeu dans la prestation de services de transport viables et efficaces. Ferroequus a fait valoir que l’Office aurait dû considérer l’article 138 comme une mesure adoptée par le Parlement en vue de promouvoir la concurrence, tout comme d’autres dispositions dans la même partie de la Loi sont conçues pour accroître la concurrence, notamment celle sur le recours à l’interconnexion et celle sur les prix de lignes concurrentiels.

[324]  La Cour d’appel fédérale n’était pas de cet avis et a estimé que l’Office n’avait commis aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire pour ce qui est de la question de la concurrence. Dans le contexte de la nature indissociable des questions relatives au pouvoir discrétionnaire et des questions relatives à l’interprétation des règles de droit, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

[20]  Premièrement, le libellé non limitatif du paragraphe 138(2) où sont définis les pouvoirs que la Loi confère à l’Office est empreint de discrétion. La seule limite que la Loi impose au pouvoir discrétionnaire de l’Office d’octroyer des droits de circulation est qu’il doit tenir compte « de l’intérêt public ».

[21]  Deuxièmement, il est bien établi que les facteurs dont l’Office doit tenir compte quand il décide si l’octroi de droits de circulation est dans l’intérêt public sont énoncés dans la Politique nationale des transports. Cette Politique jalonne de balises l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’Office et, parce qu’elle est inscrite dans la Loi, elle impose également une limite légale à ce pouvoir.

[22]  Cependant, étant donné que la Politique porte sur des considérations souvent contradictoires que l’Office doit concilier quand il rend une décision particulière, elle agit inévitablement à un niveau assez général et ne sert qu’à guider et à structurer l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’Office, quelle que soit la situation de fait. Elle impose donc une limite légale relativement souple à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’Office, en ce sens qu’elle lui dicte rarement comment trancher une affaire en particulier.

[325]  À cet égard, la Cour d’appel fédérale a ajouté qu’il était important de noter que la question de savoir s’il convient d’octroyer à une compagnie de chemins de fer des droits de circulation sur les voies d’une autre compagnie était une question hautement polycentrique. Selon les faits de cette affaire, il a fallu soupeser les intérêts contradictoires des expéditeurs et des producteurs d’une part et des transporteurs ferroviaires d’autre part. L’étendue des répercussions de la décision ainsi que les nombreux intérêts sur lesquels elle pourrait avoir une incidence sont reflétés par la diversité et le nombre des intervenants qui ont comparu devant l’Office.

[326]  À mon avis, il convient de noter que dans Ferroequus, la décision faisant l’objet du contrôle concernait le refus de l’Office d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder une ordonnance, comme il en avait le pouvoir en vertu de l’article 138 de la LTC. Les circonstances sont différentes en l’espèce. Rien dans la LTC ne se rapporte à l’établissement de tarifs de transport maritime de marchandises et aucune décision découlant des dispositions de cette loi n’a été prise, que ce soit par l’Office ou par un autre décideur. Même s’il était bien établi, dans Ferroequus, que les facteurs dont l’Office devait tenir compte pour décider si l’octroi de droits de circulation était dans l’intérêt public étaient énoncés dans la PNT, il n’existe pas le même lien qu’entre la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 et l’article 5 de la LTC. En effet, dans Ferroequus, la Cour d’appel fédérale a indiqué que le litige concernait le rôle que joue l’accroissement de la concurrence dans l’exercice du pouvoir qu’exerce l’Office d’accorder aux compagnies de chemin de fer le droit de se servir des voies d’une autre compagnie. Ce pouvoir est conféré par le paragraphe 138(2) de la LTC.

[327]  La décision Moffatt portait également sur un appel d’une décision de l’Office. M. Moffatt voulait s’adonner au transport de marchandises dans des conteneurs entre la région centrale du Canada et Terre-Neuve. Conformément à la LTC, il a déposé une demande d’arbitrage d’un différend surgi entre lui et le CN. M. Moffatt a indiqué ce qu’il croyait être les prix les plus élevés que le CN pouvait appliquer eu égard aux principes énoncés dans la clause 32(2) des Conditions de l’union. L’Office a conclu que puisque le CN avait proposé des tarifs de bout en bout, ceux-ci étaient visés par la clause 32(2), et a soumis la question à l’arbitrage, en demandant à l’arbitre de développer une structure tarifaire de la région maritime et un barème conforme aux Conditions de l’union.

[328]  La Cour d’appel fédérale a déterminé que l’Office n’avait pas compétence pour juger si la clause 32(2) des Conditions de l’union s’appliquait à l’établissement des tarifs pour le transport de marchandises à destination de Terre-Neuve et pour confier à l’arbitre la tâche de mettre au point les tarifs.

[329]  La Cour d’appel fédérale a mentionné que l’Office était une création du législateur et que les pouvoirs qu’il exerçait devaient lui être conférés par sa loi constitutive. Il fallait donc se demander si la loi avait conféré à l’Office le pouvoir de procéder à l’examen de l’application de la clause 32(2) et d’ordonner à l’arbitre de développer une structure tarifaire de la région maritime ainsi que des taux conformes aux Conditions de l’union.

[330]  Il existait trois sources possibles pour une telle compétence. La première était la partie IV de la LTC, le texte en vertu duquel l’Office a été saisi de la question. La Cour d’appel fédérale a conclu que la partie IV de la LTC n’autorisait nullement l’Office à se livrer à l’examen qu’il a effectué. La Cour d’appel fédérale a ensuite demandé s’il y avait dans la LTC, hormis la partie IV, des dispositions qui donnent à l’Office le pouvoir d’effectuer un examen. Elle a conclu qu’il n’y avait dans la LTC aucune disposition conférant à l’Office les pouvoirs, attributions et fonctions permettant d’administrer l’ensemble de la LTC. Elle a tranché que si la LTC ne conférait pas expressément compétence à l’égard d’un examen se rapportant à la clause 32(2) après qu’a été présentée une demande d’arbitrage, une telle compétence n’existait pas. À l’égard de l’affirmation de l’Office voulant que l’article 5 lui confère la compétence requise, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

[27]  Cependant, l’article 5 n’est pas une disposition attributive de compétence. Sans minimiser son importance, je crois que l’article 5 est une disposition déclarative qui énonce les objectifs de la Politique nationale des transports du Canada. Ces objectifs sont mis en oeuvre par les dispositions de la LTC qui autorisent la prise de règlements et, vu l’environnement largement déréglementé d’aujourd’hui, par l’absence de tels règlements. L’article 5 ne confère pas en tant que tel à l’Office la compétence qu’il s’est arrogée en l’espèce. S’il était interprété de la sorte, alors toute question juridique pourrait vraisemblablement elle aussi être portée devant l’Office pour qu’il la résolve. À l’évidence, l’article 5 n’était pas destiné à conférer à l’Office une compétence sur tous les différends intéressant les transporteurs, du seul fait que tels différends font intervenir des questions juridiques ou constitutionnelles. Certes, la Constitution doit être observée. Mais l’article 5 ne donne pas à l’Office la latitude entière d’examiner toute question constitutionnelle qui est soulevée devant lui lorsque la loi ne lui confère nullement le pouvoir de procéder à un tel examen. C’est ce qu’a conclu le juge La Forest dans l’arrêt Cuddy Chicks, précité, au regard du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, et ses propos sont également applicables à l’article 5 de la LTC. Au reste, contrairement à la loi antérieure, la LTC ne fait pas mention de la clause 32(2), et l’Office n’a aucune compétence générale pour réglementer les barèmes de fret comme c’était le cas dans ladite loi antérieure.

[331]  Alors que la Cour d’appel fédérale s’est ensuite demandé si la clause 32(2) conférait une compétence à l’Office, en concluant que ce n’était pas le cas, l’important en l’espèce est sa conclusion selon laquelle l’article 5 est une disposition déclarative qui énonce les objectifs de la PNT, qui sont mis en œuvre par les dispositions de la LTC qui autorisent la prise de règlements. La LTC ne contient aucune disposition réglementaire concernant expressément le secteur maritime, contrairement aux secteurs aérien et ferroviaire. Elle ne contient aucune disposition relative à l’établissement des tarifs dans ce secteur. Bien que la Cour, dans Moffatt, ait par ailleurs déclaré que les objectifs de la PNT sont également mis en œuvre par l’absence de dispositions réglementaires, voulant peut-être ainsi dire que les forces de la concurrence entraient naturellement en ligne de compte en raison de la déréglementation, cela n’a que peu d’importance pour la présente analyse.

[332]  Dans Jackson (AB), le plaignant prétendait que la politique du législateur voulait que le transport ferroviaire soit fourni à tous les utilisateurs au coût total le plus faible, que les compagnies de chemin de fer supportent le coût réel des services qui leur sont fournis aux frais du public, et que les compagnies de chemin de fer ne reçoivent qu’une rémunération juste et raisonnable. L’article 5 de la LTC était au cœur de l’argumentation du plaignant selon laquelle, en faisant payer les tarifs maximums, le Canadien National et le Canadien Pacifique enfreignaient les politiques sous-jacentes aux dispositions précises de la LTC.

[333]  La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a cité les décisions Moffatt et Ferroequus. En s’appuyant sur Sullivan, elle a établi que l’article 5 était un énoncé d’objectif : [traduction]

[58]  L’article 5 de la LTC est un « énoncé d’objectif », tel que le décrit Ruth Sullivan dans l’ouvrage Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Vancouver: Butterworths Canada Ltd., 1994), aux pages 263 et 264 :

[...] Un énoncé d’objectif est une disposition exposée dans la législation qui indique les principes ou les politiques que la législation est censée mettre en œuvre ou les objectifs qu’elle est censée atteindre. Les énoncés d’objectif se trouvent habituellement au début d’une loi ou de la partie de la loi à laquelle ils se rapportent. Certains sont explicites et commencent par les mots « La présente loi a pour objet... » ou « Il est déclaré que... ». D’autres ne font qu’énumérer les principes ou les politiques que le législateur souhaite décréter sans tambour ni trompette...

Comme les préambules, les énoncés d’objectif révèlent l’objectif de la loi et constituent également une source importante de valeurs législatives. Au contraire des préambules, ils se trouvent après la formule d’édiction de la loi et font partie de ce qui est promulgué, ce qui les rend contraignants en ce sens que les tribunaux ne peuvent aller à leur encontre; ils ont la force et le poids des lois dûment promulguées. En l’absence d’une directive législative expresse, toutefois, il revient toujours aux tribunaux de déterminer quel usage faire des objectifs et des valeurs exposés dans ces énoncés.

[...] Les énoncés d’objectif jouent un rôle important dans la loi de réglementation moderne. Celle-ci établit un cadre général pour conférer les pouvoirs afin d’atteindre des objectifs particuliers ou de mettre en application certaines politiques. Les énoncés d’objectif exposent clairement ces politiques et ces objectifs [...].

Dans certains cas, les énoncés d’objectif vont tous dans le même sens et guident les interprètes du droit vers un résultat en particulier [...].

[...]

[...] [l]es déclarations contenues dans un énoncé d’objectif peuvent appuyer la compréhension, par les juges, de la loi dans son ensemble et orienter l’interprétation dans un sens précis.

Les énoncés d’objectif n’établissent pas tous une philosophie unifiée et cohérente. Il arrive parfois qu’un énoncé d’objectif impose un certain nombre de politiques ou de principes contradictoires que les interprètes du droit doivent soupeser lorsqu’ils appliquent les textes législatifs à des cas particuliers.

[...]

[61]  Le plaignant, dans son mémoire sur la loi relativement à la certification, caractérise ainsi la Politique nationale des transports enchâssée dans l’article 5 :

(a) les services de transport doivent être fournis au coût le plus bas possible pour satisfaire les besoins des expéditeurs;

(b) les transporteurs, « dans la mesure du possible », doivent supporter « une juste part du coût réel » des ressources et des services mis à leur disposition sur les fonds publics;

(c) chaque transporteur, « dans la mesure du possible », doit seulement être « indemnisé, de façon juste et raisonnable, » pour les services devant être fournis.

[62]  Il s’agit, au mieux, d’une simplification à outrance des objectifs énoncés dans la Politique nationale des transports. La Politique nationale des transports n’édicte pas qu’une forme quelconque de transport doit être fournie au coût le plus bas possible; elle indique plutôt qu’un réseau de transport sûr, rentable et bien adapté doit utiliser tous les modes de transport existants au coût le plus bas possible. Bien que la Politique nationale des transports dispose que les transporteurs doivent, « dans la mesure du possible », supporter une juste part du coût réel des ressources mises à leur disposition sur les fonds publics, et être indemnisés de façon juste et raisonnable pour les services qu’ils fournissent, ces énoncés de politique généraux doivent être interprétés dans le contexte global de la politique, qui met également l’accent sur l’importance de la concurrence, des forces du marché et de la viabilité économique de chaque mode de transport.

[63]  La Politique nationale des transports établit un certain nombre de principes contradictoires et a pour but d’orienter les décisions de l’Office. Comme l’a dit le juge Sexton dans Via Rail Canada Inc. c. Office des transports du Canada, 2005 CAF 79, [2005] 4 FCR 473, au paragraphe 39, « [...] l’article 5 de la LTC est polycentrique, c’est-à-dire qu’il exige que l’Office pondère des principes opposés ». Il n’établit pas d’obligation particulière, pour les compagnies de chemin de fer, de facturer des tarifs inférieurs à ceux exigés par l’Office pour tenir compte de la baisse des coûts d’entretien des wagons-trémies.

[334]  Dans la sixième édition de Sullivan, l’auteur explique qu’un énoncé d’objectif (ou énoncé de politique ou énoncé de principes) n’est pas, à proprement parler, un élément descriptif, mais plutôt un type de disposition interprétative. [TRADUCTION] « Sa fonction n’est pas d’établir les principes ou les politiques que la loi vise à mettre en œuvre, ou l’objectif qu’elle est censée avoir » (paragraphe 14.38). L’auteur ajoute :

[traduction]

14.39  Les énoncés d’objectif peuvent révéler le but d’une loi en décrivant les objectifs à atteindre ou en définissant les principes directeurs, les normes et les politiques. Au contraire des préambules, ils se trouvent après la formule d’édiction de la loi et font partie de ce qui est promulgué, ce qui les rend contraignants en ce sens qu’ils ont la force et le poids des lois dûment promulguées. Toutefois, comme les définitions et les dispositions d’application, les énoncés d’objectif ne s’appliquent pas directement aux faits, mais donnent plutôt des directives sur la façon d’interpréter les dispositions de fond de la loi (celles qui s’appliquent aux faits).

[335]  Il est expliqué, dans Sullivan, que ce point essentiel avait été négligé par l’appelant dans Greater Vancouver : l’appelant y a affirmé qu’un énoncé d’objectif dans la Local Government Act de la Colombie-Britannique créait une procédure contraignante de manière et de forme quant à la consultation, et cet argument a été rejeté. Au contraire, [TRADUCTION] « comme la Cour d’appel de la Colombie-Britannique l’a fait remarquer à juste titre, les énoncés d’objectif et de principe ne donnent pas lieu à des droits ou à des obligations juridiquement contraignants, et ne prétendent pas non plus le faire. Ces énoncés ne font qu’exposer les objectifs ou les principes sur lesquels il est possible de s’appuyer pour interpréter les droits et les obligations créés ailleurs dans la loi » (Sullivan, au paragraphe 14.40).

[336]  Pour ce qui est de la fonction des énoncés d’objectif, Sullivan fait remarquer qu’ils jouent un rôle important dans les lois modernes relatives aux « programmes ». Ces lois établissent un cadre général pour conférer les pouvoirs administratifs et législatifs afin d’atteindre des objectifs particuliers ou de mettre en application certaines politiques. [TRADUCTION] « Les énoncés d’objectif exposent clairement ces politiques et ces objectifs. Ils offrent un contexte pour l’ensemble de la loi ». Sullivan ajoute que les énoncés d’objectif n’établissent pas tous une philosophie uniforme et cohérente : [TRADUCTION] « Il arrive parfois qu’un énoncé d’objectif impose un certain nombre de politiques ou de principes contradictoires que les interprètes du droit doivent soupeser lorsqu’ils appliquent les textes législatifs à des cas particuliers. » (paragraphe 14.44).

[337]  À mon avis, tout ce qui précède indique très clairement que l’article 5 de la LTC est un énoncé d’objectif tel que le définit Sullivan. Il s’agit donc d’une disposition interprétative qui établit la politique visée par la loi dans laquelle elle est enchâssée, à savoir la LTC. Plus important encore, en tant qu’énoncé d’objectif, la PNT ne crée pas de droits ou d’obligations juridiquement contraignants. Elle expose plutôt les objectifs ou les principes sur lesquels il est possible de s’appuyer pour interpréter les droits et les obligations créés ailleurs dans la loi. De plus, dans les circonstances où la PNT s’applique, il ne faut pas oublier que sa nature polycentrique nécessite que l’Office pondère ses principes opposés.

[338]  Par conséquent, bien que l’article 5 puisse certainement être cité à l’appui de l’interprétation des dispositions de fond de la LTC et doive orienter les décisions prises par l’Office en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par cette loi, ce n’est pas le cas en l’espèce. La décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 n’a pas été prise par l’Office. La LTC ne confère ni pouvoir ni compétence à l’Office ou à toute autre entité pour prendre des décisions quant aux tarifs de transport de marchandises par voie maritime ou pour traiter les plaintes découlant de ces tarifs. Comme il est mentionné ci-dessus, la LTC ne contient aucune disposition quant à la réglementation ou à la surveillance des tarifs de transport maritime.

[339]  Oceanex, pour sa part, renvoie la Cour au paragraphe 14.45 de Sullivan :

[traduction]

14.45  Les énoncés d’objectif délimitent le pouvoir discrétionnaire. Une autre fonction importante des énoncés d’objectif est de définir les limites du pouvoir discrétionnaire que confère un texte législatif. Cette fonction est évidente lorsque les énoncés d’objectif se trouvent dans les dispositions qui confèrent un pouvoir discrétionnaire aux commissions ou tribunaux administratifs. De telles dispositions peuvent conférer des pouvoirs devant être exercés de façon générale « pour l’application de la présente loi » ou à des fins particulières indiquées dans le texte de la disposition.

[340]  Toutefois, il me semble que même si l’article 5 peut définir les limites du pouvoir discrétionnaire, il ne le fait qu’en ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire conféré par la LTC et exercé en vertu de celle-ci. Ainsi, tandis qu’Oceanex cite Ferroequus pour appuyer son point de vue selon lequel la PNT impose des limitations juridiques au pouvoir discrétionnaire du décideur ayant pris la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017, il ne s’agit pas de circonstances dans lesquelles la PNT s’applique pour limiter le pouvoir discrétionnaire de ce décideur quant à l’établissement des tarifs, étant donné que cette décision n’a pas été prise en vertu de la LTC.

[341]  Oceanex affirme également que l’article 5 de la LTC lie le ministre aux termes des articles 2 et 3 de cette loi :

2 La présente loi lie Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province.

2 This Act is binding on Her Majesty in right of Canada or a province.

3 La présente loi s’applique aux questions de transport relevant de la compétence législative du Parlement.

3 This Act applies in respect of transportation matters under the legislative authority of Parliament.

[342]  À mon avis, l’article 2 est une disposition interprétative dont l’objet est semblable à celui des clauses constitutives ou relatives à l’interprétation, à savoir faciliter l’application des dispositions de fond de la LTC. L’article 2 sert plus précisément à réfuter la présomption d’immunité de la Couronne en common law, telle qu’elle a été codifiée par l’article 17 de la Loi d’interprétation, LRC 1985, ch. I-21 :

17 Sauf indication contraire y figurant, nul texte ne lie Sa Majesté ni n’a d’effet sur ses droits et prérogatives.

17 No enactment is binding on Her Majesty or affects Her Majesty or Her Majesty’s rights or prerogatives in any manner, except as mentioned or referred to in the enactment.

[343]  Autrement dit, l’article 2 réfute la présomption en common law selon laquelle la loi ne porte pas préjudice aux droits ou aux prérogatives de la Couronne en liant expressément cette dernière (Sullivan, au paragraphe 27.1). L’article 2 ne confère pas autrement de privilèges ou d’obligations juridiques précis à la Couronne.

[344]  Je ne crois pas non plus que l’indication, dans l’article 3, que la LTC s’applique aux questions de transport relevant de l’autorité du Parlement fait que la PNT lie le ministre sans qu’il y ait de référence aux dispositions de fond de la LTC. Bien qu’en application de l’article 3, la LTC s’applique à toutes les questions de transport relevant de l’autorité du Parlement (ce qui comprend la navigation et le transport maritime), comme je l’ai déjà mentionné, le rôle de l’article 5 (soit la PNT) en tant que disposition déclarative enchâssée dans la LTC est principalement d’interpréter ou d’expliquer les dispositions législatives de fond de cette loi.

[345]  Comme les clauses constitutives ou les énoncés d’intention, la portée d’application de la LTC aux termes de l’article 3 doit également prendre en considération la loi elle-même. Par exemple, la LTC s’applique précisément aux questions de transport ferroviaire et aérien, tel qu’il est indiqué dans les parties II et III, respectivement. Elle s’applique également à d’autres formes de transport aux termes de la partie V, qui porte sur les obstacles injustifiés au transport des personnes ayant une déficience. L’article 172 permet à l’Office d’enquêter pour déterminer s’il existe des obstacles abusifs au transport et autorise l’Office à prendre des mesures correctives. Pris dans leur ensemble, les articles 172 et 3 appliquent la LTC au secteur du transport maritime. Dans ce contexte, la PNT, et en particulier l’alinéa 5d), guide le pouvoir discrétionnaire de l’Office quant à la suppression des obstacles injustifiés dans le secteur du transport maritime. Toutefois, la compétence ou les pouvoirs de l’Office à cet égard découlent des dispositions de fond de la LTC et non de la PNT.

[346]  Il est également possible que l’article 3 s’applique conformément au paragraphe 52(1), qui exige que le ministre dépose chaque année devant le Parlement un rapport sur la situation des transports au Canada, incluant la mesure dans laquelle les transporteurs et les modes de transport sont indemnisés, directement et indirectement, du coût des ressources, des installations et des services qu’ils sont tenus de mettre à la disposition du public. L’article 3 ferait vraisemblablement en sorte que le transport maritime soit visé par l’exigence indiquée à l’article 52.

[347]  Je ne suis pas convaincue, cependant, que les articles 2 et 3 s’appliquent de manière à imposer au ministre une obligation ou un devoir d’examiner expressément l’article 5 de la LTC (c’est-à-dire la PNT) lorsqu’il prend des décisions ou des mesures ne découlant pas des pouvoirs qui lui sont conférés ou des obligations qui lui sont imposées par la LTC. Autrement dit, les articles 2 et 3 doivent se lire dans le contexte des dispositions applicables importantes de la LTC afin de déterminer de quelle manière la Couronne est liée. Conclure le contraire reviendrait à dire que toutes les décisions prises par le ministre dans chaque secteur de transport nécessitent une prise en compte de la PNT et une référence explicite à celle-ci.

[348]  Oceanex, citant Suresh, affirme que le ministre devait tenir compte de la PNT et accorder une importance suffisante à ses facteurs pertinents. Toutefois, les paragraphes 37 et 38 de Suresh, cités par Oceanex à cet égard, portent sur l’analyse de la norme de contrôle de la Cour suprême du Canada :

37  C’est dans ce contexte qu’il faut interpréter les passages de Baker où il est question de l’« importance accordée » à certains facteurs (par. 68 et 73-75). Il n’incombait à personne d’autre qu’au ministre d’accorder l’importance voulue aux facteurs pertinents. Cet arrêt n’a pas pour effet d’autoriser les tribunaux siégeant en révision de décisions de nature discrétionnaire à utiliser un nouveau processus d’évaluation, mais il repose plutôt sur une jurisprudence établie concernant l’omission d’un délégataire du ministre de prendre en considération et d’évaluer des restrictions tacites ou des facteurs manifestement pertinents : voir Anisminic Ltd. c. Foreign Compensation Commission, [1969] 2 A.C. 147 (H.L.); Re Sheehan and Criminal Injuries Compensation Board (1974), 52 D.L.R. (3d) 728 (C.A. Ont.); Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; Dagg, précité, par. 111-12, le juge La Forest (dissident pour d’autres motifs).

38  Cette norme tient dûment compte des diverses obligations du Parlement, du ministre et du tribunal de révision. Le Parlement a pour tâche d’établir, conformément aux limites fixées par la Constitution, les critères et procédures applicables en matière d’expulsion. Le ministre doit rendre une décision conforme à la fois à la Constitution et aux critères et procédures établis par le Parlement. Enfin, le rôle du tribunal appelé à contrôler la décision du ministre consiste à déterminer si celui‑ci a exercé son pouvoir discrétionnaire conformément aux limites imposées par les lois du Parlement et la Constitution. Si le ministre a tenu compte des facteurs pertinents et respecté ces limites, le tribunal doit confirmer sa décision. Il ne peut l’annuler, même s’il aurait évalué les facteurs différemment et serait arrivé à une autre conclusion.

[349]  Pour ce qui est de la norme de contrôle qui devrait être appliquée à une décision du ministre sur la question de savoir si un réfugié représente un danger pour la sécurité du Canada, la Cour suprême du Canada a convenu que le tribunal de révision devait généralement faire preuve de retenue. La décision discrétionnaire du ministre doit être annulée seulement si elle est manifestement déraisonnable parce qu’elle aurait été prise arbitrairement ou de mauvaise foi, qu’elle n’est pas étayée par la preuve ou que le ministre a omis de tenir compte des facteurs pertinents (Suresh, au paragraphe 29).

[350]  La Cour suprême du Canada, dans Suresh, a également évoqué sa décision antérieure dans in Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, déclarant que, dans la mesure où elle avait contrôlé l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre dans cette affaire, sa décision se fondait sur l’omission du délégataire du ministre de se conformer à des lignes directrices établies par le ministère lui‑même, telles qu’elles se dégageaient des objectifs de la Loi sur l’immigration, ainsi que des obligations découlant de conventions internationales et, surtout, des directives destinées aux agents d’immigration.

[351]  Ainsi, la Cour suprême du Canada a déclaré que c’était dans ce contexte qu’il fallait interpréter les passages de Baker où il est question de l’importance accordée à certains facteurs : « Cet arrêt n’a pas pour effet d’autoriser les tribunaux siégeant en révision de décisions de nature discrétionnaire à utiliser un nouveau processus d’évaluation, mais il repose plutôt sur une jurisprudence établie concernant l’omission d’un délégataire du ministre de prendre en considération et d’évaluer des restrictions tacites ou des facteurs manifestement pertinents ». À cet égard, elle a fait référence aux décisions Anisminic Ltd. c. Foreign Compensation Commission, [1969] 2 A.C. 147 (H.L.); Re Sheehan and Criminal Injuries Compensation Board (1974), 52 D.L.R. (3d) 728 (C.A. Ont.); Maple Lodge Farms Ltd c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2 (« Maple Lodge Farms »); et Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403 (« Dagg »).

[352]  Dans Maple Lodge Farms, aux pages 7 et 8, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

C’est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s’ingérer dans l’exercice qu’un organisme désigné par la loi fait d’un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

(Voir également Dagg, au paragraphe 111.)

[353]  À mon avis, les circonstances ne sont pas les mêmes que dans Maple Lodge Farms, étant donné que la LTC ne contient pas de cadre administratif ou de dispositions relativement aux tarifs de transport de marchandises par voie maritime et que le décideur à l’origine de la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 n’exerçait pas son pouvoir discrétionnaire à cet égard. Ainsi, le motif de la prise en compte de considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, en tant que motif d’intervention par un tribunal de révision, n’est pas applicable.

[354]  De plus, pour les motifs exposés précédemment, je ne suis pas convaincue que la PNT était un facteur « manifestement pertinent » que le décideur était tenu de prendre en compte lorsqu’il a établi les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017. Il n’existe aucun lien législatif entre la PNT et le processus décisionnel relatif aux tarifs de transport de marchandises; il n’existe pas de règlements, de lignes directrices ou d’autres critères relativement à l’application de la PNT dans ce contexte de prise de décision qui fournirait un tel lien, et Oceanex n’indique aucune jurisprudence soutenant que la PNT est un facteur « manifestement pertinent » dans l’établissement des tarifs, ni aucune autre décision qui n’a pas été rendue conformément aux dispositions de la LTC. Ainsi, bien que les questions comme la concurrence soient, de façon générale, pertinentes à l’établissement de tarifs pour le trajet constitutionnel, la PNT n’est pas, en l’espèce, un facteur « manifestement pertinent » dont il faut absolument tenir compte (voir Brown et Evans, au paragraphe 15-2321).

[355]  De plus, et quoi qu’il en soit, la PNT ne peut pas non plus entraver le processus de prise de décision. Les énoncés de politique peuvent uniquement servir de guide; c’est la loi applicable qui doit être interprétée et appliquée (voir Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, au paragraphe 31). En l’espèce, la LTC ne s’applique pas à la prise de décisions relatives au transport de marchandises.

[356]  Oceanex affirme également que l’existence du rapport de CPCS prouve que le ministre pensait qu’il était lié par la PNT. Je ne souscris pas non plus à cette thèse.

[357]  Le rapport de CPCS, qui a été préparé par TC, s’intitule [traduction] « Évaluation des liaisons intérieures à Terre-Neuve et de la concurrence ». L’objectif de ce rapport était d’évaluer le degré de distorsion du marché de transport de marchandises entre Terre-Neuve et le continent ayant découlé de l’appui que le Canada a offert à Marine Atlantique. Le rapport a étudié cette possible distorsion du marché dans le contexte d’une pression à la baisse sur les tarifs d’Oceanex et pour ce qui est de dissuader d’autres transporteurs maritimes d’entrer sur le marché. Oceanex a obtenu le rapport de CPCS en faisant une demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1. Dans mon ordonnance du 12 mai 2017, j’ai permis que le rapport soit déposé au moyen d’un affidavit complémentaire (affidavit no 3 de M. Hynes); toutefois, comme l’a reconnu Oceanex, on ne pouvait compter sur la véracité de son contenu.

[358]  Le rapport de CPCS ne fait aucune référence à la PNT. Il n’y est pas indiqué qu’il a été produit en raison d’une quelconque obligation imposée par l’article 5 de la LTC. Le rapport visait plutôt à évaluer le degré de distorsion du marché et à déterminer les solutions possibles en matière de structures de frais modifiées. Il y est indiqué que la recherche et l’analyse découlant de l’étude contribueraient à l’analyse interne de TC et à l’évolution future des politiques.

[359]  Compte tenu des éléments de preuve dont je dispose, j’estime qu’il est fort probable que TC ait commandé cette étude en réponse aux plaintes actuelles d’Oceanex concernant le subventionnement de Marine Atlantique. En effet, Oceanex a pris part à l’étude. Par conséquent, même si le rapport de CPCS montre que les préoccupations d’Oceanex étaient bien connues, il n’établit pas que ce rapport découle des préoccupations d’Oceanex ou du fait que le ministre se croyait lié par la PNT.

[360]  En conclusion, pour les motifs qui précèdent, je conclus qu’il n’était pas nécessaire de tenir compte de l’article 5 de la LTC, c’est-à-dire la PNT, au moment de prendre la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017. Ainsi, le fait de ne pas avoir tenu compte de l’article 5 au moment de prendre la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 ne constitue pas une erreur susceptible de révision et ne rend pas la décision déraisonnable.

Question 4 : Si l’article 5 de la LTC est une considération pertinente, peut-il restreindre le niveau de coût pour la collectivité que le Canada assume pour offrir des services de traversier sur le trajet constitutionnel, dont la prestation découle des Conditions de l’union?

[361]  Ayant conclu qu’il n’était pas nécessaire de tenir compte de l’article 5 de la LTC au moment de prendre la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017, je n’examine la question 4 que dans l’éventualité où j’aurais commis une erreur dans mes conclusions précédentes.

Observations d’Oceanex

[362]  Oceanex affirme qu’il n’y a pas de preuve que le ministre a pris en compte les Conditions de l’union, pour justifier le non-respect de la PNT, lorsqu’il a approuvé les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017; par conséquent, la Cour n’a pas besoin de tenir compte des exigences des Conditions de l’union, ni d’examiner les liens entre ces conditions et la PNT. Quoi qu’il en soit, les Conditions de l’union n’offrent aucune garantie de niveaux de tarifs précis pour le transport commercial de marchandises, et ne garantissent pas non plus de subventionnement du service. Selon Oceanex, la question en litige est de savoir si le niveau actuel des tarifs subventionnés est dicté par les Conditions de l’union. Autrement dit, la question est de savoir si le niveau actuel des tarifs est la seule manière pour le Canada de respecter son obligation constitutionnelle sans enfreindre la PNT.

[363]  Oceanex affirme que la considération primordiale quant à l’interprétation des Conditions de l’union est le sens des mots choisis par les parties (Prince Edward Island (Minister of Transportation and Public Works) v Canadian National Railway Co, [1991] 1 FC 129, aux paragraphes 11 et 12 (« PEI Railway »); Colombie-Britannique (Procureur général) c. Canada (Procureur général); Acte concernant le chemin de fer de l’Île de Vancouver (Re), [1994] 2 RCS 41 (« Vancouver Island Railway »)). L’article 31 ne garantit pas de subvention et peut uniquement signifier que s’il y a un coût pour la collectivité, ce coût sera pris en charge par le Canada. Oceanex comprend par là que [traduction] « nous octroierons une somme au besoin, mais pas nécessairement sous forme de subvention ». De même, bien que la clause 32(1) oblige le Canada à maintenir le service sur le trajet constitutionnel, selon le volume du trafic offert, son libellé n’oblige pas à offrir le service de transport de marchandises à des tarifs précis et ne garantit pas le subventionnement du service.

[364]  Bien que le sens de la clause 32(1) n’ait pas été examiné auparavant par les tribunaux, les expressions [traduction] « volume du trafic offert » et [traduction] « marchandises à transporter » ont été prises en compte dans des décisions concernant le secteur ferroviaire. Ces décisions indiquent que l’expression « selon le volume du trafic offert » doit être interprétée comme voulant dire « à un niveau correspondant à la demande » et ne vont pas dans le sens d’une interprétation requérant des tarifs subventionnés en violation de la PNT ou des tarifs créant artificiellement une demande (Canadian National Railway Company v. Emerson Milling Inc., 2017 FCA 79, aux paragraphes 88 à 92 (« CNR v Emerson Milling Inc »); Northumberland Ferries Ltd v Canada, [1944] ExCR 123, au paragraphe 90 (« Northumberland Ferries »); Canadian Pacific Railway Co v Quebec (AG), [1930] SCR 94, au paragraphe 4; A. MacMurchy et S. Denison, Canadian Railway Law Annotated, 1903 (Canada Law Book : 1905), aux pages 379 à 381). En outre, les faits historiques prouvent que le Canada et Terre-Neuve n’ont jamais convenu que l’expression « selon le volume du trafic offert » garantissait un niveau précis de service ou de tarifs.

[365]  Oceanex soutient aussi qu’actuellement, les clauses 32(2) et (3) n’exigent pas de tarifs subventionnés sur le trajet constitutionnel. Concernant le contexte actuel de la déréglementation, la Cour d’appel fédérale a plutôt rejeté l’idée que la clause 32(2) requiert une quelconque réglementation des tarifs et a jugé que la clause 32(3) est actuellement inapplicable et, par conséquent, n’oblige pas le ministre à approuver des tarifs particuliers (arrêt Moffatt, aux paragraphes 30, 52, 60). En outre, l’article 32 doit aussi être interprété à la lumière de l’article 36 qui prévoit que tous services pris ou absorbés par le Canada en vertu des Conditions de l’union relèveraient des lois du Canada, y compris la LTC et la PNT.

[366]  À la lumière d’une lecture simple des Conditions de l’union, il n’y a aucune raison de déroger à la PNT. Et, quoi qu’il en soit, étant donné que les obligations découlant de la PNT et des Conditions de l’union incombent au ministre, il lui revenait à tout le moins de justifier pourquoi les Conditions de l’union ont donné lieu à toute inobservation des principes fondamentaux de la concurrence avancés dans la PNT (Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé), [2001] OJ no 4767, aux paragraphes 166, 168, 177 et 184 (C.A. Ont.)).

[367]  Lorsqu’elle a comparu devant moi, Oceanex a aussi soutenu que la preuve à caractère historique appuyant le rapport M. Neary réfute l’interprétation des Conditions de l’union comme exigeant une garantie de tarifs précise ou empêchant l’application de la PNT au trajet constitutionnel. Par exemple, les ébauches des Conditions de l’union échangées entre les délégations du Canada et de Terre-Neuve montrent des tentatives de la part de Terre-Neuve d’élargir l’obligation du Canada relativement au trajet constitutionnel, comme l’ajout du mot [traduction] « efficace » ou l’exigence d’une réglementation des tarifs pour tous les services de traversier, mais elles ont été rejetées. Cela vient appuyer la conclusion de M. Neary selon laquelle l’article 32 a une signification précise et limitée, propre à ses circonstances particulières. Le terme « subvention » n’est pas non plus utilisé dans les documents historiques en référence au service de traversier du trajet constitutionnel, par conséquent, considérer que les Conditions de l’union concernent une subvention est un exercice dangereux.

[368]  Oceanex conteste aussi l’expertise de M. Blake. Selon Oceanex, l’expertise de M. Blake repose sur des événements historiques survenus après 1949 plutôt qu’au cours de la période précédant l’adhésion de Terre-Neuve à la Confédération. Ce manque d’expertise réfute l’opinion de M. Blake selon laquelle les parties aux Conditions de l’union avaient compris que le Canada assumerait tous les coûts liés au service de traversier et que ce service ne serait pas exploité contre recouvrement des coûts. En outre, Oceanex soutient que des parties des documents historiques contredisent le témoignage de M. Blake, par exemple, le fait que le trajet constitutionnel était rentable en 1947, selon des sources au sein de la délégation de Terre-Neuve. Au cours de son contre-interrogatoire sur son témoignage d’expert par affidavit, M. Blake n’a pas non plus été en mesure de citer des documents précis qui ont établi que le Canada et Terre-Neuve avaient compris que le gouvernement fédéral devrait offrir une subvention pour le service de traversier une fois que le Canada aurait pris le service à son compte.

Observations du Canada

[369]  Le Canada soutient que la clause 32(1) des Conditions de l’union exige qu’il maintienne un trajet constitutionnel, mais ne précise pas comment le Canada doit remplir cette obligation, y compris comment les frais sont déterminés. À cet égard, depuis 1987, le Canada a conclu un contrat avec Marine Atlantique en vue de devenir le fournisseur de service pour le trajet.

[370]  Les Conditions de l’union font partie du droit constitutionnel du Canada et doivent être interprétées comme telles (arrêt Hogan v Newfoundland (Attorney General), 2000 NFCA 12, au paragraphe 44, autorisation de pourvoi refusée [2000] C.S.C.R. no 191 (arrêt Hogan; arrêt Vancouver Island Railway, aux paragraphes 62 à 72; Canada v Prince Edward Island, [1978] 1 FC 533 (FCA), aux paragraphes 35 à 37 (PEI (1977)); décision Friends of the Island, au paragraphe 68).

[371]  En adoptant une interprétation ordinaire (arrêt Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53, aux paragraphes 31 à 44), la clause 32(1) n’empêche pas l’établissement par le Canada de péages et de frais connexes ni de passer des contrats avec d’autres parties pour offrir des services de traversier. Toutefois, puisque l’article 32 prévoit une obligation constitutionnelle, il devrait être interprété conformément à son objectif plus large : garantir un réseau de voiries entre Terre-Neuve et le Canada continental. Oceanex n’a pas contesté l’existence de l’obligation du Canada d’offrir un service de traversier sur le trajet constitutionnel. Cette obligation est au premier plan de la considération du Canada dans l’offre de ce service. Le Canada est aussi au courant du coût global pour les contribuables canadiens. Les exigences relatives au recouvrement des coûts du Canada pour Marine Atlantique visent à équilibrer les coûts entre les utilisateurs du service de traversier et les contribuables. Lorsque le Parlement vote des crédits, un équilibre est constamment recherché entre les coûts pour les contribuables, la nécessité d’un service facilement accessible aux utilisateurs et, surtout, le point de vue de Terre-Neuve sur la prestation du service. Ces facteurs sont tous soupesés pour ce qui est de s’assurer que le Canada ne manque pas à son obligation constitutionnelle.

[372]  Le Canada n’a formulé aucune observation sur l’article 31 et a estimé que son interprétation n’était pas nécessaire pour aborder la présente demande. Le Canada n’a rien ajouté sur l’interprétation de la clause 32 et a maintenu que la présente demande serait examinée sans recourir aux Conditions de l’union.

Observations de Marine Atlantique

[373]  Marine Atlantique fait valoir que puisque la Constitution est la loi suprême du Canada, l’article 5 de la LTC ne peut pas appuyer une demande de contrôle judiciaire concernant des décisions liées aux tarifs de Marine Atlantique. Il en est ainsi parce que les Conditions de l’union imposent le fardeau d’une subvention au Canada.

[374]  L’article 31 exigeait que le Canada prenne à son compte le chemin de fer de Terre-Neuve, y compris le service de vapeurs et libère la province de Terre-Neuve des frais publics à l’égard de ces services. Ce libellé reconnaît clairement qu’il y aurait des frais publics permanents, ou une subvention, associés au service que le Canada paierait plutôt que Terre-Neuve. En d’autres termes, un fardeau évident a été imposé au Canada pour couvrir les coûts de chaque service pris en charge. La thèse d’Oceanex selon laquelle l’article 5 de la LTC peut empêcher ou limiter le subventionnement des activités de Marine Atlantique par le Canada va à l’encontre de l’engagement constitutionnel visé à l’article 31.

[375]  Marine Atlantique soutient que la clause 32(1) exige que le Canada maintienne, selon le volume du trafic offert, un service de bateaux à vapeur pour le transport des marchandises et des passagers sur le trajet constitutionnel. La clause 32(2), rédigée à l’époque de la réglementation des tarifs ferroviaires, prévoit que le transport direct entre North Sydney et Port-aux-Basques sera classé comme exclusivement ferroviaire. En d’autres termes, le coût pour les expéditeurs et les passagers devait être équivalent au coût du trafic ferroviaire sur la distance du détroit de Cabot, il devait être subventionné par le Canada. Même s’il subsiste des désaccords concernant la portée actuelle de la clause 32(2) (arrêt Moffatt, au paragraphe 61), l’article 32 dans son ensemble a toujours pour effet d’imposer le fardeau d’une subvention gouvernementale au Canada. Et même si la disposition est actuellement suspendue, elle peut tout de même être utilisée lors de l’interprétation des Conditions de l’union dans son ensemble et est importante parce qu’elle illustre clairement qu’il existe une subvention implicite sur le trajet constitutionnel. La clause 32(2) ne pourrait être appliquée qu’en facturant des coûts inférieurs aux coûts d’expédition actuels. Quant au libellé « selon le volume du trafic offert », cela peut uniquement vouloir dire que le service doit être accessible au public et abordable pour ce dernier.

[376]  Bien qu’il n’y ait pas d’éléments de preuve clairs sur la rentabilité du service de traversier sur le trajet constitutionnel avant 1949, le service n’a pas été rentable depuis et le coût de la subvention a été assumé par le Canada en tant que frais publics comme l’exige l’article 31. Le but de la subvention était de rendre le transport des passagers, des marchandises et des véhicules plus abordables sur la liaison la plus courte à destination et en provenance de l’île de Terre-Neuve. Lorsque de nouvelles provinces, comme l’Île-du-Prince-Édouard (« Î.-P.-É. ») et Terre-Neuve ont rejoint le Canada, l’idée, dans la mesure du possible, était de ne pas les mettre dans une position désavantageuse, même si une partie de la géographie n’était pas avantageuse. Les Conditions de l’union prévoyaient que le désavantage géographique inhérent à Terre-Neuve pouvait être atténué par le subventionnement des tarifs sur le trajet constitutionnel. C’est ce subventionnement qu’Oceanex conteste, mais le subventionnement découle du fait que le Canada a assumé les frais publics.

[377]  Toute décision de subventionner les services de Marine Atlantique en vue de respecter l’obligation constitutionnelle du Canada est uniquement régie par les Conditions de l’union. Le paragraphe 52(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit que la compétence dont jouit le Canada en vertu de ces dispositions législatives ne peut être assujettie à aucune contrainte juridique, par conséquent, la LTC ne saurait l’emporter sur des obligations constitutionnelles en vertu des Conditions de l’union. Ainsi, il n’y a pas matière à contrôle judiciaire aux termes de l’article 5 de la LTC de la décision du Canada d’offrir une subvention en vue de respecter son engagement constitutionnel aux termes des Conditions de l’union.

[378]  De même, les décisions relatives au montant de la subvention autorisé par le ministre et voté par le Parlement en vue de respecter les obligations du Canada aux termes des Conditions de l’union ne sont pas susceptibles de contrôle selon l’article 5 de la LTC. Le Canada est conscient que, sans crédits, les tarifs auraient dû être tellement élevés que le service requis sur le trajet constitutionnel aurait été inaccessible pour beaucoup. La décision relative au montant de la subvention nécessaire pour respecter l’engagement constitutionnel du Canada est une décision de principe sur les dépenses de fonds publics. Une Cour ne peut, sous le couvert d’un contrôle judiciaire fondé sur l’article 5 de la LTC, exiger que le Parlement ou le ministre réduise la subvention.

Observations du procureur général de Terre-Neuve

[379]  Le procureur général de Terre-Neuve soutient que les Conditions de l’union obligent le Canada sur le plan constitutionnel à offrir des services subventionnés pour le transport de marchandises et des passagers sur le trajet constitutionnel, et ce, perpétuellement. En raison de cette obligation constitutionnelle, l’objectif politique global de la compétitivité énoncé à l’article 5 de la LTC ne s’applique pas à la décision du ministre ou de Marine Atlantique établissant les tarifs du trajet constitutionnel.

[380]  Dans l’interprétation des Conditions de l’union, le point de départ est le texte même. Si le texte est clair à première vue, il n’est alors pas nécessaire d’avoir recours aux éléments de preuve historiques. Si le texte n’est pas clair, alors une cour peut recourir à des éléments de preuve supplémentaires pour déterminer quelle était l’intention des parties en 1949. La décision PEI Railway et l’arrêt Vancouver Island Railway ont tous les deux interprété des conditions d’union provinciales et n’ont pas écarté le recours à des éléments de preuve historiques, même s’il n’était pas utile de le faire dans ces deux cas. Une méthode d’interprétation stricte n’est plus utilisée même dans le domaine du droit relatif aux contrats commerciaux (arrêt Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53). Il a aussi été conclu que les tribunaux ne sont pas limités à une interprétation textuelle stricte dans l’interprétation des Conditions de l’union et qu’elles ne doivent pas être interprétées de façon strictement contractuelle (arrêt Hogan, au paragraphe 54).

[381]  Le procureur général de Terre-Neuve soutient aussi que les Conditions de l’union obligent le Canada à financer le trajet constitutionnel. Tandis que la clause 32(1) n’impose aucune obligation financière au Canada en ce qui a trait au trajet constitutionnel, les Conditions de l’union doivent être interprétées dans leur ensemble. La clause 32(1) et les alinéas 31a) et 33a) doivent être interprétés ensemble afin de déterminer les obligations financières du Canada. La clause 32(1) impose une obligation perpétuelle au Canada d’exploiter un service de traversier sur le trajet constitutionnel par l’utilisation du verbe « maintiendra » (arrêt Canadian National Railway Co. c. Board of Commissioners of Public Utilities [1976] 2 RCS 112, au paragraphe 35 (arrêt Public Utilities). L’obligation du Canada d’assumer les frais associés au service est explicitement énoncée à l’alinéa 31a) et, conformément à l’alinéa 33a), en 1949, le Canada a obtenu le droit de propriété des bateaux à vapeur du chemin de fer de Terre-Neuve qui desservaient le trajet constitutionnel. Bien que l’alinéa 31a) ne précise pas ce qu’englobe l’expression « frais publics », elle doit signifier davantage que le simple fait d’alléger les dettes associées à la construction du chemin de fer, avant la Confédération, puisque cela est expressément prévu à l’article 23. Par conséquent, il est nécessaire d’examiner la jurisprudence et les éléments de preuve historiques pour dissiper l’ambiguïté de ce libellé.

[382]  Le procureur général de Terre-Neuve soutient que l’alinéa 31a) impose une obligation financière large et directe au Canada et que cela est conforme à la jurisprudence existante. Par exemple, dans PEI (1977) les conditions de l’union de l’Île-du-Prince-Édouard sont interprétées comme imposant une obligation financière et opérationnelle à l’exploitation d’un service de traversier entre l’Î.-P.-É. et le Nouveau-Brunswick. Le but et l’effet des conditions des deux provinces étaient de transférer l’obligation financière associée à l’exploitation d’un service de traversier interprovincial subventionné au gouvernement du Canada. Déterminer que Marine Atlantique doit facturer l’intégralité des coûts du service directement aux utilisateurs revient à déterminer que le Canada ne devrait plus assumer les frais publics du service. Le procureur général de Terre-Neuve soutient aussi que les éléments de preuve historiques appuient l’argument selon lequel les Conditions de l’union Terre-Neuve et celles de l’Î.-P.-É. sont semblables sur le fond en ce qui concerne le transport et aborde ce point dans ses observations écrites.

[383]  En outre, les documents historiques appuient la thèse selon laquelle les parties aux Conditions de l’union n’ont jamais cherché à ce que Terre-Neuve assume l’intégralité des coûts de l’exploitation du service. Plus précisément, M. Blake souligne que le Canada a subventionné le service de traversier du golfe de 1906 à 1923, lorsqu’il a été nationalisé par Terre-Neuve. Après 1923, le service a en effet été subventionné par le Dominion de Terre-Neuve en tant que division du chemin de fer de Terre-Neuve déficitaire qui a enregistré des pertes entre 1904 et 1921. C’est seulement en 1936-1937 et pendant quelques années au cours de la Seconde Guerre mondiale que la situation financière de la société de chemin de fer s’est améliorée. Les principaux documents joints au rapport de M. Blake démontrent qu’au cours de la période précédant la Confédération, le Canada savait parfaitement que le service de bateaux à vapeur nécessiterait des subventions d’investissement et d’exploitation. M. Blake a conclu qu’on ne s’attendait pas à ce que le service de traversier de Port aux Basques à North Sydney fonctionne selon un modèle de recouvrement des coûts et qu’il était entendu qu’Ottawa couvrirait l’ensemble des déficits occasionnés par le service de traversier et, en outre, que le service, comme l’union de Terre-Neuve au Canada plus généralement, apporterait de nombreux avantages aux habitants de Terre-Neuve. Il s’agissait d’un service de traversier en faveur de Terre-Neuve-et-Labrador.

[384]  De même, un article de Jeffery Collins joint comme pièce au rapport de M. Neary concluait que l’alinéa 31a) prévoyait que le Canada assume la responsabilité financière du service de chemin de fer et de traversier qui était largement responsable de la dette importante de Terre-Neuve, encourue pendant les années précédant la Confédération, et que les deux gouvernements ont reconnu que l’exploitation d’un système de transport moderne à Terre-Neuve avec sa [traduction] « population faible et dispersée » serait un effort coûteux permanent que la province, avec sa faible assiette fiscale, ne serait pas financièrement en mesure de maintenir sans aide fédérale (Jeffrey Collins, « Executive Federalism and the Terms of Union: A New Approach to Understanding the “Roads-for-Rails” and “Roads-for-Boats” Agreements » (2012) 27:2 Newfoundland and Labrador Studies).

[385]  En outre, l’attitude du Canada et de Terre-Neuve après l’union appuie l’interprétation selon laquelle l’alinéa 31a) constitue une obligation financière. Le décret de 1953 et le décret de 1955 montrent que le Canada estimait que les Conditions de l’union l’obligeaient à prendre en charge les déficits de fonctionnement et d’investissement liés au service. Les déficits de l’Î.-P.-É. et de Terre-Neuve devaient être traités de la même manière.

[386]  Concernant l’application de l’article 36, le procureur général de Terre-Neuve n’est pas d’accord pour dire que la politique de transport du Canada est, depuis 1949, passée de la régulation et du subventionnement des tarifs à une politique fondée sur les principes du marché libre et de la concurrence, tel que cela est reflété dans l’article 5 de la LTC, de sorte que les Conditions de l’union sont assujetties à ces nouvelles politiques en vertu de l’article 36.

[387]  Même si l’article 36 peut conférer au Parlement le pouvoir de légiférer sur le trajet constitutionnel, il ne lui accorde par le pouvoir de modifier l’essence même des Conditions de l’union. L’interpréter comme tel reviendrait à ce que le Canada ait un pouvoir unilatéral de modifier la Constitution. La modification des conditions d’union provinciales doit être faite à l’aide de la formule de modification de l’article 43 de la Loi constitutionnelle de 1982 (arrêt Hogan, au paragraphe 61). Ainsi, l’évolution du raisonnement politique sur le transport depuis 1949 tel que le reflète l’article 5 de la LTC n’est pas pertinente. Les Conditions de l’union doivent être interprétées en fonction de ce qu’elles signifiaient au moment où elles ont été signées.

[388]  Le procureur général de Terre-Neuve affirme qu’il ne demande pas à la Cour de déterminer la portée de l’obligation financière du Canada ni le montant qui y est associé relativement au trajet constitutionnel. Il suffit plutôt à la Cour de déterminer que l’obligation existe de manière à supprimer les tarifs de l’obligation de l’article 5 de la LTC.

Analyse

[389]  J’ai déterminé précédemment que le défaut de tenir compte de l’article 5 de la LTC, soit la PNT, lors de l’établissement des tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 n’était pas une erreur susceptible de révision. Par conséquent, il n’est pas strictement nécessaire que j’examine aussi, subsidiairement, si la LTC était une considération requise, puis si les obligations constitutionnelles du Canada imposées par les Conditions de l’union restreignaient ou limitaient l’application ou l’effet de la PNT. Toutefois, au cas où j’aurais commis une erreur dans mes conclusions précédentes, j’aborderai également cette question.

[390]  Pour commencer, il ne fait nul doute que la Constitution est la loi suprême du Canada (Loi constitutionnelle de 1982, à l’article 52), que les Conditions de l’union font partie de la Constitution du Canada (Loi constitutionnelle de 1982, à l’alinéa 52(2)b) et à son annexe no 21; arrêt Hogan, aux paragraphes 44 et 61; décision Friends of the Island, au paragraphe 57; arrêt Vancouver Island Railway, au paragraphe 54; décision PEI Railway, au paragraphe 7) et que les conditions de l’union en vertu desquelles les provinces se sont jointes au Canada ont engendré des obligations constitutionnelles et des obligations pour le Canada (arrêt Friends of the Island, au paragraphe 57; arrêt PEI (1977), au paragraphe 35; arrêt Vancouver Island Railway, au paragraphe 55).

[391]  À l’appui de leurs thèses respectives, Oceanex et le procureur général de Terre-Neuve ont présenté le témoignage d’expert par affidavit d’historiens abordant l’histoire du trajet constitutionnel, les Conditions de l’union ainsi que l’exploitation subséquente de ce trajet.

[392]  Le rapport de M. Neary, préparé au nom d’Oceanex et intitulé [traduction] « Origine de l’article 32 des Conditions de l’union entre Terre-Neuve et le Canada », indique que son but était de comprendre l’origine et la signification de l’article 32, plus particulièrement, de répondre à la question suivante : [traduction] « selon les documents historiques, pourquoi les parties ont-elles inclus la phrase “selon le volume du trafic offert”, à l’article 32 des Conditions de l’union de Terre-Neuve au Canada et qu’est-ce que cette phrase était censée viser? »

[393]  Bien que le rapport de M. Neary indique que la recherche relative à cet article n’a pas permis de trouver de débat sur cette phrase dans les négociations qui ont précédé les Conditions de l’union, son auteur affirme qu’en contexte, « offering » (« offert » en français) a un sens courant en anglais standard faisant valoir une demande découlant naturellement du marché. Le rapport de M. Neary a aussi conclu que l’article 32 a désormais perdu une partie de sa signification initiale et littérale. Cette conclusion est fondée sur un protocole d’entente de 1988 entre le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial visant à cesser les activités du chemin de fer de Terre-Neuve au profit d’un système intermodal (entente « Roads for Rails ») conjointement avec une politique nationale de déréglementation. M. Neary affirme que l’article 32 est en partie, mais pas en intégralité, une disposition relative aux [traduction] « tombée en désuétude », à cet égard, faisant référence aux dispositions du protocole d’entente de 1988 (articles 3 et 9), et à l’arrêt Moffat, à l’appui de la déclaration selon laquelle l’article 32 a vidé de sa substance par la déréglementation.

[394]  Le rapport de M. Blake est long, il contient 94 pages et 75 documents en annexe. Il retrace l’histoire de ce qui est maintenant qualifié de trajet constitutionnel, ou plus précisément, de son subventionnement de 1892 aux négociations des Conditions de l’union. M. Blake fait valoir que Terre-Neuve et le Canada ont compris en 1948 que le trajet constitutionnel n’était pas susceptible d’être une activité financièrement autonome et que le gouvernement fédéral devrait fournir un subside ou une subvention pour couvrir les coûts de l’exploitation de traversiers. En outre, il soutient que sa recherche a permis d’établir que Terre-Neuve et le Canada avaient compris lors des négociations qui ont menées aux Conditions de l’union que, conformément aux articles 31, 32 et 33, non seulement le Canada était responsable d’exploiter et de maintenir le service de traversier sur le trajet constitutionnel et d’offrir un service efficace, mais il lui incombait aussi d’assumer l’ensemble des coûts associés à l’exploitation du service. Les deux parties croyaient aussi que lorsque le Canada a repris le chemin de fer de Terre-Neuve, y compris les services de bateaux à vapeur, cela donnerait lieu à des frais de transport moindre à destination et en provenance de Terre-Neuve, ce qui entraînerait par la suite une baisse du coût de la vie à Terre-Neuve. Rien ne permettait de penser que les services de traversier sur le trajet constitutionnel seraient exploités contre recouvrement des coûts. Il était également entendu que le Canada couvrirait l’ensemble des déficits occasionnés par le service de traversier qui, comme l’union de Terre-Neuve au Canada, apporteraient de nombreux avantages aux habitants de Terre-Neuve.

[395]  J’estime que les rapports d’expert des historiens sont très intéressants et instructifs, y compris en ce qui a trait à la négociation des Conditions de l’union et à la situation financière relativement au chemin de fer de Terre-Neuve et aux services de traversier de 1860 jusqu’après la Confédération. Toutefois, je ne peux pas conclure qu’il est nécessaire de recourir à des éléments de preuve historiques en l’espèce, puisqu’à mon avis, le texte des Conditions de l’union est clair.

[396]  Dans la décision PEI Railway, la Cour d’appel fédérale a mentionné que l’exposé des arguments de l’appelant contenait le contexte factuel et historique complet lié à la question en litige dont elle était saisie, qui était de savoir si la décision de l’Office national des transports, dont l’effet était d’ordonner l’abandon par le CN de huit lignes de chemin de fer qui constituaient l’intégralité du réseau ferroviaire desservant l’Î.-P.-É., était contraire aux conditions de l’union de l’Î.-P.-É., et pour ce motif, hors du ressort de l’Office. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il n’était pas nécessaire de faire référence à ce contexte en détail pour trancher les questions dont elle était saisie.

[397]  Les conditions de l’union de l’Î.-P.-É. portaient nomment ce qui suit :

[traduction]

Le Canada est tenu des dettes et obligations à la charge de l’Île-du-Prince-Édouard lors de l’union.

Le gouvernement du dominion prend en charge les dépenses relatives :

[...]

au transport toute saison par bateaux à vapeur, dans de bonnes conditions d’efficacité, des passagers et du courrier, entre l’île et le continent, en vue d’assurer une liaison permanente avec le chemin de fer intercolonial et le réseau ferroviaire du dominion;

[...]

La propriété des chemins de fer en construction à contrat pour le gouvernement de l’île est transférée au Canada.

[398]  La Cour d’appel fédérale a affirmé que les conditions de l’union de l’Î.-P.-É. n’exigeaient pas que le Canada exploite le chemin de fer à l’Î.-P.-É. ni qu’il maintienne ou exploite une liaison ferroviaire entre le chemin de fer de l’Î.-P.-É. et le chemin de fer continental. Les conditions de l’union de l’Î.-P.-É. énoncent plutôt expressément que la propriété des chemins de fer de l’Î.-P.-É. est transférée au Canada et que le Canada assumera le coût d’un service qui assurera une liaison permanente avec le chemin de fer intercolonial et le réseau ferroviaire du dominion : [traduction]

[11]  À mon avis, ce que soutient l’appelant en réalité, c’est que les Conditions de l’adhésion ne sont pas claires à première vue, comme le démontrent ce qu’il appelle leur mauvaise rédaction, leur brièveté, leur mauvais agencement et ainsi de suite. Pour dissiper le doute, il faut découvrir une entente implicite à même les circonstances à l’époque et le comportement des parties depuis l’adoption des Conditions de l’adhésion. Je trouve cette approche plutôt dangereuse car elle peut facilement mener à une nouvelle rédaction des Conditions, voire à un réaménagement qui en fausserait les termes au profit de l’une des parties. Mais, essentiellement, je juge erronée l’approche de l’appelant parce que ce qui importe sûrement le plus, c’est le sens à donner aux mots choisis par les parties dans les Conditions de l’adhésion.

[12]  À cet égard, je n’estime pas que les mots choisis sont mal exprimés ou laissent par ailleurs à désirer. De fait, je crois que le sens et l’intention des Conditions pertinentes de l’adhésion sont clairs et que ces dernières expriment l’accord qu’envisageaient les parties. En d’autres termes, point n’est besoin de recourir aux règles d’interprétation des lois, aux éléments de preuve extrinsèques ou aux antécédents législatifs lorsque le libellé à l’étude est clair.

[399]  La Cour d’appel fédérale a ensuite conclu que ces deux dispositions liées aux chemins de fer des conditions de l’union de l’Î.-P.-É. n’imposaient pas d’obligation d’exploiter le réseau ferroviaire à perpétuité, comme l’a affirmé l’appelant. Pour en arriver à cette conclusion, elle a indiqué s’être appuyée sur la signification claire du libellé employé dans les conditions de l’union de l’Î.-P.-É.

[400]  De même, dans l’arrêt Vancouver Island Railway, la Cour suprême du Canada s’est demandé si le Canada avait une obligation constitutionnelle continue envers la province de la Colombie-Britannique d’assurer maintien du service de trains de voyageurs et de marchandises sur une ligne de chemin de fer entre Victoria et Nanaimo. Il s’en est suivi un examen de l’article 11 des conditions de l’union de la Colombie-Britannique qui selon la Cour suprême ont un statut constitutionnel. La Cour suprême a déclaré :

55  Les obligations en matière de chemin de fer qui sont imposées au Canada et qui ont ainsi force constitutionnelle sont énoncées surtout dans le premier paragraphe de l’art. 11, que je reproduis :

11. Le gouvernement de la Puissance s’engage à faire commencer simultanément, dans les deux années de la date de l’Union, la construction d’un chemin de fer du Pacifique aux Montagnes-Rocheuses, et du point qui pourra être choisi, à l’est des Montagnes-Rocheuses, jusqu’au Pacifique, pour relier la côte maritime de la Colombie-Britannique au réseau des chemins de fer canadiens,  et de plus à faire achever ce chemin de fer dans les dix années de la date de l’Union.

Je dois souligner, au départ, que l’art. 11 ne fait nullement état d’exploitation de chemin de fer continue, perpétuelle ou autre.

[...]

68  On ne peut soutenir que le Canada ou la Colombie-Britannique ignorait, en 1871, la distinction qui existe entre la construction et l’exploitation d’un chemin de fer. On trouve une comparaison utile dans les conditions qui ont régi l’adhésion de l’Île-du-Prince-Édouard à la Confédération en 1873 (Conditions de l’adhésion de l’Île-du-Prince-Édouard (reproduites dans L.R.C. (1985), App. II, no 12); voir aussi la Loi constitutionnelle de 1982, annexe, no 6) :

Que le gouvernement du Canada se chargera des dépenses occasionnées par les services suivants :

...

Un service convenable de bateaux à vapeur, transportant les malles et passagers, qui sera établi et maintenu entre l’Île et les côtes du Canada, l’été et l’hiver, assurant ainsi une communication continue entre l’Île et le chemin de fer Intercolonial, ainsi qu’avec le réseau des chemins de fer du Canada; [Je souligne.]

Dans l’arrêt La Reine du chef du Canada c. La Reine du chef de l’Île-du-Prince-Édouard, précité, la Cour d’appel fédérale a effectivement tenu pour acquis que cette disposition imposait clairement au Canada une obligation d’assurer un service, et la cour a seulement déterminé comment « continu » devait être ce service. Il existe un contraste frappant entre cette disposition et l’art. 11 applicable à la Colombie-Britannique: où trouve-t-on dans l’art. 11 le renvoi à l’exploitation d’un service ferroviaire?

69  Bien que les dispositions constitutionnelles doivent être susceptibles d’évoluer, l’interprétation en la matière doit néanmoins commencer par l’examen du texte de la loi ou de la disposition constitutionnelle en cause. Dès 1883, dans l’arrêt Attorney-General of Ontario c. Mercer (1883), 8 App. Cas. 767 (C.P.), prononcé par le lord chancelier (le comte de Selborne), à la p. 778, on avait reconnu, en interprétant l’art. 109 de la Loi constitutionnelle de 1867, que :

[traduction] Il est bien établi en droit que chaque terme doive, à première vue, être interprété dans son sens primaire et naturel, sauf si la matière ou le contexte nécessite qu’on lui attribue un sens secondaire ou plus restreint.

De même, parallèlement au développement de l’interprétation constitutionnelle par analogie à l’« arbre susceptible de croître » dans l’arrêt Edwards c. Attorney-General for Canada, précité, on a aussi affirmé qu’ [traduction] « il s’agit de savoir non pas ce qu’on a supposément voulu dire, mais bien ce qu’on a dit » (le lord chancelier Sankey, à la p. 137). En passant, je ne voudrais pas que l’on croie que je me suis prononcé sur l’applicabilité des autres grands principes formulés dans l’arrêt Edwards à certaines conventions comme les Conditions de l’adhésion, qui visaient à résoudre des problèmes spécifiques.

[Souligné dans l’original.]

[401]  La Cour suprême a jugé que la méthode d’interprétation proposée par la Colombie-Britannique a rejeté la proposition simple selon laquelle il faut d’abord tenir compte du libellé de la disposition à interpréter, faisant référence à la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt PEI Railway, précité.

[402]  La Cour suprême du Canada a jugé que, de la même manière, une réponse a été apportée assez facilement à l’argument présenté par la Colombie-Britannique puisque l’article 11 était clair à première vue, il imposait une obligation de construction au Canada et non une obligation d’exploitation.

[403]  De même, à mon avis, les Conditions de l’union pertinentes en l’espèce sont claires à première vue. L’article 31 et la clause 32(1) prévoient ce qui suit :

31.  À la date de l’Union ou aussitôt que possible après cette date, le Canada prendra à son compte les services ci-après énumérés et, à compter de la date de l’Union, libérera la province de Terre-Neuve des frais publics subis à l’égard de chaque service absorbé, savoir :

a)  Le chemin de fer de Terre-Neuve, y compris le service de vapeurs et autres services maritimes;

[...]

32. (1)  Le Canada maintiendra, selon le volume du trafic offert, un service de bateaux à vapeur pour le transport des marchandises et des passagers entre North Sydney et Port-aux-Basques; ce service, dès qu’une route pour véhicules à moteur aura été ouverte entre Corner Brook et Port-aux-Basques, assurera aussi, dans une mesure convenable, le transport des véhicules à moteur.

[404]  Comme l’a déclaré la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt Public Utilities :

35  A la condition 31, le Canada accepte de prendre à son compte les divers services publics et en particulier ceux exploités par le Chemin de fer de Terre-Neuve; dans la description de ce dernier, apparaît l’énoncé suivant: « y compris le service de vapeurs et autres services maritimes ». Le service de bateaux à vapeur reçoit une mention particulière : en vertu de la condition 32 le Canada s’engage expressément à maintenir un service de bateaux à vapeur pour le transport des marchandises et des passagers entre North Sydney et Port‑aux‑Basques.

[405]  En réalité, il est constant que, conformément aux Conditions de l’union, le Canada ait l’obligation constitutionnelle d’offrir un service de traversier sur le trajet constitutionnel. C’est en ce qui a trait à l’obligation financière que cela commande et pour ce qui est de savoir si la PNT peut limiter cette obligation que les parties ne sont pas d’accord.

[406]  Chaque mot dans un document constitutionnel doit être interprété dans son sens premier et naturel, sauf si le contexte nécessite un sens plus restreint (arrêt Vancouver Island Railway, au paragraphe 69, faisant référence à Attorney-General of Ontario v Mercer (1883), 8 App Cas 767 (PC)). À mon avis, « frais publics », qui figure à l’article 31 ne peut vraiment dire qu’une seule chose. C’est-à-dire que, dans la mesure où tout revenu généré par l’exploitation d’un service pris à son compte par le Canada ne dépasse pas les coûts engendrés par l’offre de ce service (coûts de fonctionnement ou d’investissement), il s’agit de « frais publics » en ce qu’ils nécessitent l’utilisation des deniers des contribuables pour les payer. Selon une interprétation ordinaire, l’alinéa 31a) et la clause 32(1) lus conjointement font valoir une obligation financière prospective, puisque des frais publics sont engagés dans le maintien du service de traversier sur le trajet constitutionnel. À l’heure actuelle, il s’agit de la somme votée chaque année par le Parlement devant être versée à Marine Atlantique, comme cela est établi dans son plan d’entreprise, pour le coût lié à l’offre de ce service.

[407]  Ainsi, bien que l’alinéa 31a) ne fasse effectivement aucune référence à l’octroi d’une « subvention », la prise en charge des « frais publics » à l’égard du service de traversier et du son maintien a pour effet de subventionner les déficits enregistrés par ce service s’il n’est pas autosuffisant. La conduite du Canada et de Terre-Neuve depuis 1949 indique clairement que ces parties interprètent l’expression « frais publics » comme signifiant que le Canada serait responsable du paiement des déficits découlant de l’exploitation du trajet constitutionnel (PEI (1977), au paragraphe 69).

[408]  Oceanex affirme que l’article 31 ne « garantit » pas de subvention ou de niveau de subventionnement, pas plus qu’il n’exige que le service soit offert à des tarifs précis. Il est vrai que ces termes ne sont pas employés dans l’article 31. Toutefois, Oceanex semble accepter que, si la prestation du service de traversier sur le trajet constitutionnel engendre des frais publics, ceux-ci doivent être pris en charge par le Canada. À mon avis, le fait que l’article 31 ne mentionne pas les garanties, les frais et les subventions a peu d’importance. La nécessité d’une subvention et son niveau seront dictés par l’engagement de frais publics et le niveau de déficit. L’établissement des tarifs est fonction de ces conditions et d’autres facteurs, par exemple le fait que le Canada estime que le service doit être raisonnablement accessible pour les utilisateurs.

[409]  Le procureur de Terre-Neuve prétend que l’application de la LTC en vue de limiter ou d’éliminer la subvention pour le trajet constitutionnel reviendrait essentiellement à modifier unilatéralement les Conditions de l’union, en l’absence de la révision constitutionnelle requise. À mon avis, il suffit de dire que la PNT, qui est un énoncé de politique générale enchâssé dans la LTC, ne peut compromettre l’obligation constitutionnelle du Canada aux termes de l’alinéa 31a) et de l’article 32.

[410]  Il est significatif de constater qu’Oceanex conteste essentiellement le niveau global de subventionnement accordé à Marine Atlantique et son incidence générale sur les tarifs de cette dernière, et non l’augmentation de 2,6 % des tarifs de transport de marchandises par rapport à l’année précédente, augmentation sur laquelle porte la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017. Oceanex affirme que si Marine Atlantique était rentable, ou moins déficitaire, le niveau actuel de subventionnement de son déficit ne serait pas nécessaire. En effet, si Marine Atlantique était forcée d’augmenter ses tarifs afin de réduire substantiellement ou d’éliminer son déficit d’exploitation et le besoin de subventionnement qui en découle, elle serait moins concurrentielle, ce qui serait avantageux d’un point de vue commercial pour Oceanex. C’est peut-être vrai, mais compte tenu de l’obligation constitutionnelle du Canada de fournir et de maintenir un service de traversier sur le trajet constitutionnel, la tolérance face au niveau de déficit de Marine Atlantique, et donc son subventionnement, sont finalement une question distincte de politique d’intérêt public et de dépenses publiques qui relève du Parlement.

[411]  Je ferai remarquer, à cet égard, que les décisions de financement concernant l’affectation des ressources publiques relèvent de la fonction d’élaboration des politiques du gouvernement. Ces décisions sont de nature politique et ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire : [traduction] « Sur le plan du droit et pour des raisons de principe constitutionnel, une décision de dépense de fonds publics relève de la seule autorité du législateur et n’est pas justiciable » (Amalgamated Transit Union Local 1374 v Saskatchewan (Finance), 2017 SKQB 152, au paragraphe 45; voir également Hamilton-Wentworth (Regional Municipality) v. Ontario (Minister of Transportation) (1991), 78 DLR (4th) 289, aux paragraphes 303 et 304 (Ont Div Ct); Brown et Evans, aux pages 15 à 12; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 RCS 525).

[412]  Quant à l’observation d’Oceanex selon laquelle, d’après Moffatt, les clauses 32(2) et 32(3) ne nécessitent pas actuellement de tarifs subventionnés sur le trajet constitutionnel, ces clauses ont trait à la réglementation applicable en matière de tarifs ferroviaires. La clause 32(2) indique qu’aux fins de la réglementation des tarifs ferroviaires, l’île de Terre-Neuve sera comprise dans la région maritime du Canada et le transport direct entre North Sydney et Port-aux-Basques (c.-à-d. le transport par navire) sera classé comme exclusivement ferroviaire. La clause 32(3) édicte que toute législation du Parlement du Canada accordant des taux spéciaux pour le transport à l’intérieur, à destination ou en provenance de la région maritime sera, dans la mesure appropriée, rendue applicable à l’île de Terre-Neuve (voir Public Utilities, au paragraphe 38).

[413]  Comme je l’ai déjà mentionné, Moffatt concernait un appel interjeté par l’Office des transports du Canada. Une des sources possibles de la compétence de l’Office dans cette affaire était l’article 32. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’étant donné que la clause 32(2) ne mentionnait pas l’Office, aucune compétence ne lui était expressément conférée pour réglementer les tarifs ferroviaires en général ou les tarifs à destination et en provenance de Terre-Neuve en particulier. La Cour d’appel fédérale s’est ensuite demandé si la clause 32(2) pouvait être envisagée de telle sorte que l’Office ait par nécessité le pouvoir implicite de réglementer les tarifs ferroviaires. La Cour d’appel fédérale n’a pas retenu cette explication et a déclaré que la clause 32(2) n’imposait pas par elle-même une réglementation :

[30]  Pourrait-on dire cependant que l’Office a par nécessité le pouvoir implicite de réglementer les tarifs ferroviaires? En d’autres termes, pourrait-on dire que la clause 32(2) requiert une réglementation des tarifs et que cette réglementation suppose nécessairement qu’il doit y avoir un organisme de réglementation et que cet organisme doit être l’Office? Je ne le crois pas. À mon avis, la clause 32(2) n’impose pas par elle-même une réglementation des tarifs. L’expression « aux fins de la réglementation des tarifs ferroviaires » suppose l’existence d’une réglementation qui se rapporte au reste de la clause, mais elle ne veut pas dire que le législateur doit édicter ou maintenir cette réglementation. La réglementation des tarifs ferroviaires dont parle l’expression « aux fins de la réglementation des tarifs ferroviaires » a toujours existé dans la Loi sur les chemins de fer, la Loi nationale sur les transports ou la Loi nationale de 1987 sur les transports. Pour que la clause 32(2) soit applicable, il doit exister dans la loi appliquée par l’Office une réglementation applicable en matière de tarifs ferroviaires.

[414]  La Cour d’appel fédérale a conclu que la clause 32(3) était un exemple manifeste d’une disposition constitutionnelle qui n’est plus applicable compte tenu de l’abrogation, en 1966, de la Loi sur les taux de transport des marchandises dans les provinces Maritimes. On ne peut sérieusement affirmer que la clause 32(3) s’appliquait encore « au point d’imposer le maintien de lois prévoyant des tarifs spéciaux à l’intérieur de la région maritime ou à partir de la région maritime ». La clause 32(3) ne garantissait l’accès de Terre-Neuve qu’aux tarifs spéciaux prévus pour la région maritime dans des lois, pour le cas où le législateur fédéral déciderait un jour d’édicter de telles lois. Cependant, la clause 32(3) n’a aucune application aujourd’hui. Bien qu’elle fasse partie intégrante de la loi suprême du Canada, le principe de l’approche évolutive ne permettait pas de lui donner effet (paragraphe 60). De même, la clause 32(2) subsiste et elle garantira à Terre-Neuve la protection qu’elle prévoit, pour le cas où le législateur fédéral édicterait, en matière de tarifs ferroviaires, une réglementation qui met en jeu la clause 32(2). En attendant, elle est suspendue (Moffatt, au paragraphe 61).

[415]  À mon avis, bien que les clauses 32(2) et 32(3) puissent être suspendues en l’absence de législation promulguant la réglementation des tarifs ferroviaires concernant la clause 32(2), ou en l’absence de législation prévoyant des tarifs spéciaux pour le transport à l’intérieur, à destination ou en provenance de la région maritime, cela n’a pas d’incidence sur la portée de l’alinéa 31a) et de la clause 32(1). Autrement dit, l’absence de réglementation spéciale des tarifs ferroviaires qui se serait appliquée au service de transport de marchandises sur le trajet constitutionnel, ou d’autres tarifs spéciaux sur le transport, ne libère pas le Canada de son obligation d’offrir et de maintenir le service de traversier, d’en assumer le coût pour la collectivité le cas échéant, cette obligation ne pouvant pas être prescrite par la PNT. Cela signifie simplement que puisqu’aucun tarif précis n’a été réglementé, ce qui n’existe pas ne peut pas être appliqué.

[416]  Oceanex affirme également que l’expression « selon le volume du trafic offert » que l’on trouve dans la clause 32(1) doit être interprétée comme voulant dire « à un niveau correspondant à la demande » et ne va pas dans le sens d’une interprétation requérant des tarifs subventionnés en violation de la PNT ou des tarifs créant artificiellement une demande. Je suis d’avis que les décisions citées par Oceanex, CNR v Emerson Milling Inc, aux paragraphes 88 et 89, Northumberland Ferries et Canadian Pacific Railway Co v Quebec (Attorney General), [1965] SCR 602, au paragraphe 4, n’appuient pas cette interprétation et, de toute façon, qu’il n’est pas nécessaire d’envisager l’interprétation du libellé « selon le volume du trafic offert » aux fins de l’espèce.

[417]  Enfin, Oceanex affirme que l’article 32 doit être interprété à la lumière de l’article 36. Selon Oceanex, cela signifie que tous les services pris ou absorbés par le Canada en vertu des Conditions de l’union relèveraient des lois du Canada, y compris la LTC et la PNT.

[418]  À première vue, l’article 36 indique que sans préjudice de l’autorité législative du Parlement prévue dans les Lois constitutionnelles de 1867 à 1940 (désormais les Lois constitutionnelles de 1867 à 1982), tous ouvrages, biens ou services pris ou absorbés par le Canada en vertu des présentes clauses relèveront dès lors de l’autorité législative du Parlement. Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans Public Utilities, l’article 36 « [...] confirme, si on pouvait encore en douter, qu’à compter du transfert, le Chemin de fer de Terre-Neuve, relève tel qu’énoncé aux conditions 31 et 33, de l’autorité législative du Canada et non de la province de Terre-Neuve » (au paragraphe 16).

[419]  Je suis d’avis que l’article 36 ne fait que confirmer que les services transférés au Canada sont soumis à l’autorité législative du Canada. Toutefois, le paragraphe 52(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 indique que la Constitution est la loi suprême du pays et qu’elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. Ainsi, la LTC est une loi fédérale et par voie d’application générale, par exemple au moyen de l’article 172, elle s’applique au secteur du transport maritime, comme je l’ai déjà mentionné. L’article 5, la PNT, est une disposition déclarative exposant la politique à prendre en compte lors de la prise de décisions aux termes de la LTC. Il ne lie pas les décideurs chargés des décisions relatives aux tarifs de transport maritime de marchandises. De plus, même s’il liait les décideurs et devait obligatoirement être pris en compte, il ne peut servir à prescrire, financièrement ou autrement, l’obligation constitutionnelle du Canada, découlant des Conditions de l’union, de fournir un service de traversier sur le trajet constitutionnel. La lecture conjointe des articles 32 et 36 n’y change rien. Par conséquent, dans la mesure où Oceanex laisse entendre que l’article 36 vient donner préséance à la LTC par rapport aux obligations du Canada en application de l’alinéa 31a) et de la clause 32(1), je ne suis pas d’accord.

[420]  En conclusion, compte tenu de l’obligation constitutionnelle du Canada, je ne suis pas convaincue que la PNT puisse servir à limiter le niveau de frais publics assumés par le Canada pour respecter son obligation constitutionnelle de fournir un service de traversier sur le trajet constitutionnel, comme l’exigent les Conditions de l’union.

[421]  De plus, Marine Atlantique transporte quotidiennement des passagers, leurs véhicules ainsi que des marchandises sur le trajet constitutionnel. Les Conditions de l’union ne précisent pas de quelle façon le service de traversier doit être fourni ou maintenu et, entre le Canada et Terre-Neuve, ce point n’est pas en litige. Les éléments de preuve dans le dossier dont je suis saisie montrent également clairement que le Canada considérait que cette obligation était primordiale, qu’il était obligatoire de s’en acquitter et que le Canada devait s’assurer qu’un service de traversier était facilement accessible pour les passagers et les expéditeurs de marchandises souhaitant emprunter le trajet constitutionnel. En outre, il est clair que le ministre et le Cabinet étaient au courant de la plainte de longue date d’Oceanex selon laquelle le subventionnement permettait à Marine Atlantique de facturer des frais de transport de marchandises moins élevés, ce qui avait des répercussions négatives sur les tarifs et les activités d’Oceanex. Le dossier montre également qu’à partir des années 1990, le Canada a pris des mesures pour réduire les services de traversier financés par des fonds publics, au moyen de la Politique maritime nationale, qui abordait précisément le cas de Marine Atlantique et le concept de commercialisation, tout en reconnaissait l’obligation constitutionnelle du Canada. D’autres mesures ont suivi pour aborder la question du coût pour la collectivité du trajet constitutionnel, par exemple l’établissement pour Marine Atlantique d’un objectif de recouvrement des coûts de 60 à 65 %. À mon avis, les décisions concernant le montant approprié de fonds publics nécessaires pour fournir le service sur le trajet constitutionnel sont, au bout du compte, des décisions stratégiques du gouvernement du Canada qui sont distinctes de la décision faisant l’objet du contrôle.

Question 5 : La décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 était-elle raisonnable?

[422]  J’ai déterminé que la PNT n’était pas un facteur pertinent et que, par conséquent, le décideur n’avait pas commis d’erreur en n’en tenant pas compte lorsqu’il a pris la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 et que, de toute façon, la PNT ne peut restreindre le niveau de coût pour la collectivité que le Canada assume pour s’acquitter de son obligation constitutionnelle, découlant des Conditions de l’union, de fournir des services de traversier sur le trajet constitutionnel; compte tenu de tous ces éléments, je n’ai pas besoin de déterminer si la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 était déraisonnable pour le motif qu’elle a été prise sans tenir compte de la PNT.

Conclusion

[423]  En résumé, je conclus que Marine Atlantique a pris la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017. Cette décision a été prise aux termes d’une modification non officielle de l’entente bilatérale, modification acceptée et mise en œuvre par le Canada et par Marine Atlantique, en tant que parties à cette entente. Même si le décret de 1987 permettait au ministre de conclure l’entente bilatérale, il n’y avait aucune obligation législative d’émettre un décret pour ce faire, et le ministre avait l’autorité et la capacité de conclure des ententes en vertu de la Loi sur le ministère des Transports et en common law. Il n’était donc pas nécessaire de publier un décret pour autoriser le ministre à conclure l’entente bilatérale ou à la modifier. Étant donné que Marine Atlantique n’exerçait pas de compétence ou de pouvoir prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale lorsqu’elle a pris la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017, elle n’agissait pas en tant qu’office fédéral aux termes du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Par conséquent, conformément au paragraphe 18(1), la Cour n’a pas compétence sur la question. La conclusion a un effet déterminant. Toutefois, si je fais erreur en tirant cette conclusion, et si le décideur agissait en tant qu’office fédéral, j’ai également examiné et tranché, dans une telle éventualité, que la question comporte un aspect de droit public qui est nécessaire pour permettre l’examen de la décision par la Cour.

[424]  Également dans l’éventualité d’une erreur de ma part dans ma conclusion ci-dessus quant à l’identité du décideur et à la compétence, j’ai examiné et tranché qu’Oceanex n’a pas la qualité pour agir dans l’intérêt public dans ce dossier puisque ses intérêts sont purement commerciaux. Toutefois, compte tenu des circonstances, et en particulier de la possibilité que des décisions sur les tarifs de transport prises sans tenir compte d’une politique pertinente soient à l’abri des contestations, j’ai exercé mon pouvoir discrétionnaire et accordé à Oceanex la qualité pour agir dans l’intérêt public.

[425]  Encore une fois, dans l’éventualité d’une erreur de ma part dans mes conclusions ci-dessus, je me suis ensuite demandé si la PNT était un facteur pertinent dans la prise de la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017; j’ai conclu que ce n’était pas le cas. Ce sont plutôt une disposition déclarative et un énoncé d’intention qui établissent la politique visée par la LTC, définissant les objectifs ou les principes qui peuvent servir à interpréter les droits et les obligations créés par les dispositions de fond de la LTC. La PNT ne crée pas par elle-même de droits ou d’obligations juridiquement contraignants. De plus, en l’absence d’un lien statutaire ou autre entre la LTC et le processus de prise de décisions relatives au transport de marchandises, la PNT n’est pas non plus une considération pertinente.

[426]  Enfin, et encore une fois dans l’éventualité d’une erreur dans mes conclusions ci-dessus, j’ai procédé à un examen et conclu que même si la PNT était une considération pertinente, elle ne pouvait pas restreindre le niveau de coûts pour la collectivité que le Canada assume pour offrir des services de traversier sur le trajet constitutionnel, dont la prestation découle de l’alinéa 31a) et de l’article 32 des Conditions de l’union. Oceanex conteste essentiellement le niveau global de subventionnement accordé à Marine Atlantique et son incidence sur les tarifs de cette dernière, et non l’augmentation tarifaire de 2,6 % apportée par la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017, qui est la décision – prise par Marine Atlantique – sur laquelle porte le présent contrôle. Les décisions concernant le montant nécessaire et acceptable de fonds publics alloués par le Parlement pour faire face aux coûts publics ou aux déficits découlant de la prestation par Marine Atlantique des services sur le trajet constitutionnel sont, au bout du compte, des décisions stratégiques du gouvernement du Canada concernant l’utilisation des fonds publics nécessaires pour s’acquitter de l’obligation constitutionnelle du Canada.

[427]  Ces conclusions étant tirées, il n’était pas nécessaire de se demander si la décision sur les tarifs de transport de marchandises de 2016-2017 était déraisonnable du fait qu’elle avait été prise sans tenir compte de la PNT.

[428]  Pour l’ensemble des motifs précédemment exposés, je conclus que la demande d’Oceanex doit être rejetée.

Dépens

[429]  Dans une directive datée du 24 janvier 2018, la Cour a demandé que les parties fassent une suggestion commune de montant forfaitaire quant aux dépens. En cas de désaccord entre les parties, chacune devait soumettre son propre montant de dépens.

[430]  Les parties ne sont pas parvenues à s’entendre quant au montant des dépens. Toutefois, dans une lettre du 8 février 2018, les avocats du procureur général de Terre-Neuve ont indiqué que lors d’une téléconférence tenue le 1er février 2018, toutes les parties ont convenu avec le procureur général de Terre-Neuve qu’il ne devrait pas recouvrer les dépens et qu’il ne devrait pas être condamné à en payer. Cet accord a par la suite été confirmé par Oceanex, le Canada et Marine Atlantique. Par conséquent, aucuns dépens ne seront adjugés au procureur général de Terre-Neuve.

[431]  Dans une lettre du 5 février 2018, Oceanex a demandé des dépens de 662 614,74 $, soit 62 844,95 $ pour les frais (colonne III) et 599 769,79 $ pour les débours. Oceanex a affirmé, conformément à l’article 400 des Règles des Cours fédérales, que la Cour devait exercer son pouvoir discrétionnaire et accorder à Oceanex les dépens pour un deuxième avocat (50 % des frais prévus par le tarif) à tous les contre-interrogatoires, ainsi que les dépens pour deux premiers avocats et un second avocat (50 % des frais prévus par le tarif) à l’audition de la demande. Oceanex a également déclaré que le montant de ses débours était principalement composé de frais associés aux rapports d’expert d’Oceanex (519 094,67 $), aux déplacements (32 779,36 $) et aux transcriptions et frais de sténographie judiciaire (9 840,41 $). Subsidiairement, Oceanex a réclamé 642 206,79 $ à titre de dépens, soit 42 437 $ pour les frais (colonne III) et 599 769,79 $ pour les débours, ce qui comprend les frais pour un seul avocat lors des contre-interrogatoires, ainsi que pour un premier avocat et un second avocat (50 % des frais prévus par le tarif) lors de l’audition de la demande.

[432]  Dans une lettre du 5 février 2018, le Canada a réclamé des dépens de 67 413,61 $ calculés conformément à la colonne III du tarif B des Règles des Cours fédérales, et correspondant à 45 330,55 $ de frais applicables et à 22 083,06 $ de débours. Dans une lettre du 6 février 2018, le Canada a demandé, compte tenu du montant élevé des dépens réclamés par Oceanex, dans le cas où Oceanex obtiendrait gain de cause, que les parties aient la possibilité de présenter des observations sur les dépens d’Oceanex.

[433]  Dans une lettre du 5 février 2018, les avocats de Marine Atlantique ont demandé des dépens de 285 000 $ (taxes incluses), soit 54 000 $ de frais et 231 000 $ de débours, calculés conformément à la colonne III du tarif B.

[434]  Compte tenu de mes conclusions énoncées précédemment, et conformément à l’article 400 des Règles des Cours fédérales qui donne à la Cour le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer, j’accorde au Canada les dépens réclamés de 67 413,61 $, et à Marine Atlantique un montant de dépens forfaitaire de 150 000 $, le tout devant être payé immédiatement par Oceanex.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-348-16

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Pour cette demande, le Canada aura droit à ses dépens de 67 413,61 $ et MAI aura droit à une somme forfaitaire globale de 150 000 $, le tout devant être payé immédiatement par Oceanex.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-348-16

 

INTITULÉ :

OCEANEX INC. c. CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS) ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Du 23 au 25 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 mars 2018

 

COMPARUTIONS :

Guy J. Pratte

Nadia Effendi

Peter O’Flaherty

 

Pour la demanderesse

 

Kathleen McManus

Joseph Cheng

 

Pour le défendeur

Canada (Ministre

des Transports)

 

Peter Hogg

Jeff Galway

Alexander (Sandy) MacDonald

 

Pour la défenderesse

MARINE ATLANTIQUE S.C.C.

 

Rolf Pritchard

Justin Mellor

 

Pour l’intervenant

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

 

Pour le défendeur

Canada (Ministre

des Transports)

 

Blake, Cassels & Graydon LLP

Avocats

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

 

Pour la défenderesse

MARINE ATLANTIQUE S.C.C.

 

Procureur général de Terre-Neuve-et-Labrador

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

Pour l’intervenant

 

 

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