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Date : 20180219

Dossier : T-1275-17

Référence : 2018 CF 190

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 février 2018

En présence de monsieur le juge en chef

ENTRE :

WENDY JIMMIE, EN SON PROPRE NOM À TITRE DE MEMBRE DE LA PREMIÈRE NATION SQUIALA

demanderesse

et

LE CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION SQUIALA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision rendue par le Conseil de la Première Nation Squiala (la PNS) pour expulser Mme Wendy Jimmie d’une maison dans laquelle elle prétend avoir vécu avec ses enfants depuis environ 18 ans. Mme Jimmie soutient qu’elle a un intérêt important dans la maison, ayant effectué des paiements à l’égard d’un prêt de construction qui lui avait été avancé par la PNS et un tiers, pendant un grand nombre d’années. La maison se trouve dans une « réserve » qui a été réservée à l’usage et au profit de la PNS.

[2]  Il existe un litige connexe entre les parties quant à savoir si le père de Mme Jimmie avait un certificat de possession (CP) valide relativement à la terre sur laquelle la maison est construite.

[3]  Mme Jimmie cherche à faire annuler la décision en expulsion (la décision) pour les motifs que celle-ci était déraisonnable, inéquitable sur le plan des procédures et qu’elle est rendue sans la compétence requise.

[4]  En réponse, le Conseil de la PNS (le Conseil) a soulevé une question préliminaire concernant la compétence de la Cour pour accorder la réparation demandée par Mme Jimmie. Pour résumer, le Conseil affirme que la décision a été prise conformément aux droits privés de la PNS en tant que propriétaire foncier, plutôt que relativement à une loi fédérale ou autre législation subordonnée. À ce titre, il maintient que la décision n’est pas susceptible de contrôle judiciaire devant la Cour.

[5]  Pour les motifs présentés à la partie V ci-dessous, je ne suis pas d’accord. À mon avis, la Cour est compétente pour instruire ce litige.

[6]  Cependant, plutôt que de procéder à l’examen du bien-fondé de la demande, j’ai décidé que les faits particuliers de la présente affaire sont tels qu’il serait de l’intérêt de la justice de convertir la demande en action, conformément au paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7 (la Loi sur les Cours fédérales). Entre autres, cela facilitera l’accès à la justice en fournissant à Mme Jimmie les outils de communication préalable dont elle semble avoir besoin pour permettre à la Cour de trancher le fond unique et exceptionnel de son conflit avec le Conseil (Sivak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 402, aux paragraphes 29 à 32; Association des Crabiers Acadiens Inc. c Canada (Procureur général), 2009 CAF 357, au paragraphe 39).

[7]  Entre temps, une ordonnance sera rendue aux termes de l’article 384 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, afin de poursuivre cette affaire à titre d’instance à gestion spéciale. Le mandat du juge chargé de la gestion de l’instance inclura la tentative de médiation de la présente affaire.

II.  Résumé des faits

[8]  Mme Jimmie est une Indienne inscrite et membre de la PNS.

[9]  Le Conseil est un conseil de bande aux termes de la Loi sur les Indiens, LRC (1985), c I‑5 (la Loi sur les Indiens).

[10]  La maison à partir de laquelle Mme Jimmie a été expulsée aux termes d’une ordonnance (la maison) est une maison isolée dont la PNS prétend être la propriétaire et avoir construit, en partie au moyen de fonds empruntés auprès de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). Cependant, Mme Jimmie affirme qu’elle ou des membres de sa famille immédiate payaient une « hypothèque » sur la maison qui lui avait été avancée par la PNS et la SCHL, à la fin des années 1990, et qu’il restait moins de deux ans pour rembourser cette dette. Un des documents qu’elle a produits dans le cadre de la présente procédure laisse entendre que le prêt en question peut avoir pris la forme d’une entente de « location-achat » avec le Conseil.

[11]  Mme Jimmie soutient en outre que son père, Samuel Jimmie, possède un CP relativement à la terre sur laquelle la maison a été construite. Cependant, le Conseil affirme que le CP a été transféré à la PNS vers le mois de juin 1986. Mme Jimmie maintient que le CP n’a pas été transféré à la PNS à cette époque ni à aucun autre moment. Malheureusement, son père est atteint de démence et n’est pas en mesure d’aider les parties à éclairer davantage la question.

[12]  L’adresse de la terre en cause est 44117, chemin Chilliwack Mountain.

[13]  Mme Jimmie a produit une copie d’une entente de location avec la Première Nation Squiala pour une maison unifamiliale sur cette terre, en date du 16 février 1999. Il y est indiqué que la durée de cette entente (l’entente de location de 1999) est de deux ans. Les mots « location-achat » figurent dans la partie supérieure de l’entente. Mme Jimmie affirme que ces mots ont été écrits par l’administratrice de la bande au moment de la conclusion de l’entente, laquelle est intervenue entre Mme Jimmie (comme locataire) et la PNS (comme propriétaire). Les occupants des lieux ont été identifiés comme les enfants de Mme Jimmie et une personne appelée « Danny ». Entre autres, les modalités de la location prévoyaient que [traduction] « sauf le visiteur occasionnel, personne d’autre ne doit occuper les lieux sans le consentement écrit du propriétaire ».

[14]  Le Conseil a produit une deuxième entente de location d’un an visant le 44117, chemin Chilliwack Mountain, en date du 1er avril 2013, entre lui et le fils de Mme Jimmie, Norman Gabriel (l’entente de location de 2013). Le Conseil a aussi produit plusieurs prolongations de bail annuelles à cette entente. La dernière de ces prolongations annuelles a été accordée le 1er avril 2017, et prend fin le 31 mars 2018. Les locataires identifiés dans l’entente principale et dans les prolongations à cette dernière n’incluent pas Mme Jimmie. Toutefois, contrairement à l’entente de location de 1999, il n’y a pas d’interdiction d’occupation des lieux par d’autres personnes sans le consentement écrit du propriétaire.

[15]  Selon un affidavit déclaré sous serment par Mme Tammy Bartz, l’administratrice de la PNS, M. Gabriel est en défaut de ses obligations aux termes de l’entente de location de 2013 depuis décembre 2016. Il a été avisé de ce fait en mai 2017. Le mois suivant, Mme Bartz a appris qu’il avait quitté la maison au cours du mois d’avril de la même année, et que Mme Jimmie avait réintégré les lieux, avec d’autres membres de sa famille immédiate.

[16]  Peu de temps après, dans une lettre datée du 13 juin 2017, Mme Bartz a informé Mme Jimmie qu’elle n’avait pas le droit d’occuper la maison et qu’elle devait la libérer d’ici le 30 juin 2017. Entre autres, la lettre affirmait ce qui suit : [traduction] « Nous avons déjà parlé avec votre père, à qui la terre appartient, et il a approuvé les nouveaux locataires » (non souligné dans l’original).

[17]  Une deuxième lettre, en date du 20 juillet 2017, a ensuite été envoyée à Mme Jimmie l’informant qu’elle était en violation du droit de propriété et qu’elle devait libérer la maison dans les 14 jours. Entre autres, la lettre indiquait que le père de Mme Jimmie « avait un [CP] sur la terre, mais qu’il avait transféré ce [CP] à la [PNS] le 23 juin 1986 » (non souligné dans l’original).

[18]  Le 31 août 2017, Mme Bartz a fait publier un avis de défaut à afficher sur la porte de la maison. Mme Bartz affirme qu’à sa connaissance, la PNS n’avait reçu aucune réponse concernant cet avis.

[19]  Aucun des documents décrits ci-dessus ne donnait à Mme Jimmie la possibilité de présenter des observations orales ou écrites relativement à l’expulsion de la maison.

[20]  À l’appui de son argument selon lequel elle possède un intérêt important dans la maison, Mme Jimmie a produit une copie d’un échange par courriel entre elle et Mme Bartz, en date du 3 décembre 2012 (le courriel de décembre 2012). Entre autres, le message affirmait qu’il y avait un solde dû de 307,15 $ sur le prêt avancé à la PNS pour financer la rénovation d’une maison non identifiée. Dans son affidavit, Mme Bartz affirme qu’à son avis, le courriel de décembre 2012 semble se rapporter à une autre résidence située dans la réserve de la PNS.

[21]  Lors de l’audience de la présente demande, Mme Jimmie, qui n’est pas représentée par un avocat, était accompagnée de sa fille, Melissa Gabriel. Entre autres, Mme Gabriel a souligné qu’elle était membre du comité des terres de la PNS depuis un grand nombre d’années, et qu’elle est nommée dans la lettre d’expulsion en date du 20 juillet 2017. Elle a aussi expliqué que le père de Mme Jimmie avait donné à cette dernière l’autorisation de construire une maison sur la terre en question en 1997, et que le père de Mme Jimmie avait toujours un CP relativement à cette terre. Selon elle, la bande avait les documents pertinents en sa possession, mais a refusé de les présenter à sa mère. Elle a ajouté que sa mère tentait de régler ce litige aux termes du processus « traditionnel » prévu dans le Squiala First Nation Land Code (10 juillet 2013) (le Code foncier), mais n’avait pas reçu de réponse du Conseil. Elle maintient donc que la décision du Conseil ne respectait pas le Code foncier, qu’elle a aidé à élaborer. Elle a aussi souligné que la « politique » de la PNS, pour traiter des arriérés de paiements par les membres de sa bande, consistait à déduire de tels arriérés des versements annuels qui sont versés à ces personnes. À cet égard, des arriérés sont déduits des versements de Norman Gabriel depuis de nombreuses années.

[22]  Après que Mme Gabriel avait fait les observations qui précèdent, Mme Jimmie a affirmé que ce litige est survenu après qu’elle avait informé l’administratrice de la bande qu’elle avait « repris » la maison et qu’elle souhaitait avoir une mise à jour sur le solde restant de l’hypothèque en cours.

[23]  Mme Jimmie a aussi donné une explication raisonnable de la raison pour laquelle elle n’a pas pu rassembler la preuve qui, selon elle et sa fille, appuie leur version des faits, avant l’audience de la présente demande le 4 octobre 2017. En résumé, elle a affirmé que l’audience avait été organisée d’urgence à la demande du défendeur au cours d’une courte téléconférence de gestion de l’instance présidée par le juge Strickland le 14 septembre 2017. Pendant cette téléconférence, les parties ont accepté de procéder directement à une audience sur la demande, afin d’éviter d’avoir à traiter de la requête en injonction que Mme Jimmie avait présentée. Cependant, Mme Jimmie a dû respecter des engagements de voyage prévus antérieurement pour son travail pendant environ deux semaines.

[24]  À la fin de l’audience et ayant examiné tout ce qui précède, j’ai relevé ce qui, à mon avis, doit constituer les « prochaines étapes » dans la présente instance. J’ai affirmé que je prendrais d’abord une décision quant à la compétence de la Cour à traiter des questions qui ont été soulevées par Mme Jimmie. J’ai noté que si je prends une décision favorable à ce sujet, je placerais l’affaire en gestion de l’instance. J’ai ajouté qu’un des objectifs du processus de gestion de l’instance serait de tenter d’arbitrer le litige entre les parties.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[25]  La décision qui fait l’objet de cette demande est la résolution du Conseil en date du 20 juillet 2017. Ce document était joint à la lettre susmentionnée de la même date. Entre autres, la résolution affirmait que Mme Jimmie violait le droit de propriété et autorisait le chef de la PNS, David Jimmie, qui serait le cousin de Mme Jimmie, à prendre certaines mesures. Ces mesures incluaient l’exécution et la délivrance d’une ordonnance portant que Mme Jimmie libère la maison dans les 14 jours, au nom du Conseil.

IV.  Dispositions législatives applicables

[26]  Conformément au paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale a la compétence initiale exclusive pour connaître de toute demande ou autre procédure de réparation présentée contre tout « office fédéral » (Air Canada c Administration portuaire de Toronto et al, 2011 CAF 347 [Administration portuaire]).

[27]  Les parties conviennent que le Conseil est un « office fédéral » au sens du paragraphe 18(1).

[28]  Selon le paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens, une « bande » indienne est définie comme suit :

Définitions

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

Definitions

2 (1) In this Act,

bande Groupe d’Indiens, selon le cas :

a) à l’usage et au profit communs desquels des terres appartenant à Sa Majesté ont été mises de côté avant ou après le 4 septembre 1951;

b) à l’usage et au profit communs desquels, Sa Majesté détient des sommes d’argent;

c) que le gouverneur en conseil a déclaré être une bande pour l’application de la présente loi. (band)

band means a body of Indians

(a) for whose use and benefit in common, lands, the legal title to which is vested in Her Majesty, have been set apart before, on or after September 4, 1951,

(b) for whose use and benefit in common, moneys are held by Her Majesty, or

(c) declared by the Governor in Council to be a band for the purposes of this Act; (bande)

[29]  Encore une fois, les parties conviennent que la PNS est une telle « bande ».

[30]  En ce qui a trait aux terres dans les « réserves », les dispositions les plus pertinentes de la Loi sur les Indiens aux fins des présentes sont les suivantes :

 

Réserves

Les réserves sont détenues à l’usage et au profit des Indiens

18 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, Sa Majesté détient des réserves à l’usage et au profit des bandes respectives pour lesquelles elles furent mises de côté; sous réserve des autres dispositions de la présente loi et des stipulations de tout traité ou cession, le gouverneur en conseil peut décider si tout objet, pour lequel des terres dans une réserve sont ou doivent être utilisées, se trouve à l’usage et au profit de la bande.

[...]

Reserves

Reserves to be held for use and benefit of Indians

18 (1) Subject to this Act, reserves are held by Her Majesty for the use and benefit of the respective bands for which they were set apart, and subject to this Act and to the terms of any treaty or surrender, the Governor in Council may determine whether any purpose for which lands in a reserve are used or are to be used is for the use and benefit of the band.

[...]

Possession de terres dans des réserves

Possession de terres dans une réserve

20 (1) Un Indien n’est légalement en possession d’une terre dans une réserve que si, avec l’approbation du ministre, possession de la terre lui a été accordée par le conseil de la bande.

Possession of Lands in Reserves

Possession of lands in a reserve

20 (1) No Indian is lawfully in possession of land in a reserve unless, with the approval of the Minister, possession of the land has been allotted to him by the council of the band.

 Certificat de possession

(2) Le ministre peut délivrer à un Indien légalement en possession d’une terre dans une réserve un certificat, appelé certificat de possession, attestant son droit de posséder la terre y décrite.

[...]

 Certificate of Possession

(2) The Minister may issue to an Indian who is lawfully in possession of land in a reserve a certificate, to be called a Certificate of Possession, as evidence of his right to possession of the land described therein.

[...]

Contrôle sur des terres

60 (1) À la demande d’une bande, le gouverneur en conseil peut lui accorder le droit d’exercer, sur des terres situées dans une réserve qu’elle occupe, le contrôle et l’administration qu’il estime désirables.

[...]

Control over lands

60 (1) The Governor in Council may at the request of a band grant to the band the right to exercise such control and management over lands in the reserve occupied by that band as the Governor in Council considers desirable.

[...]

Droits légaux

Lois provinciales d’ordre général applicables aux Indiens

88 Sous réserve des dispositions de quelque traité et de quelque autre loi fédérale, toutes les lois d’application générale et en vigueur dans une province sont applicables aux Indiens qui s’y trouvent et à leur égard, sauf dans la mesure où ces lois sont incompatibles avec la présente loi ou la Loi sur la gestion financière des premières nations ou quelque arrêté, ordonnance, règle, règlement ou texte législatif d’une bande pris sous leur régime, et sauf dans la mesure où ces lois provinciales contiennent des dispositions sur toute question prévue par la présente loi ou la Loi sur la gestion financière des premières nations ou sous leur régime.

[...]

Legal Rights

General provincial laws applicable to Indians

88 Subject to the terms of any treaty and any other Act of Parliament, all laws of general application from time to time in force in any province are applicable to and in respect of Indians in the province, except to the extent that those laws are inconsistent with this Act or the First Nations Fiscal Management Act, or with any order, rule, regulation or law of a band made under those Acts, and except to the extent that those provincial laws make provision for any matter for which provision is made by or under those Acts.

[...]

Inaliénabilité des biens situés sur une réserve

89 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, les biens d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve ne peuvent pas faire l’objet d’un privilège, d’un nantissement, d’une hypothèque, d’une opposition, d’une réquisition, d’une saisie ou d’une exécution en faveur ou à la demande d’une personne autre qu’un Indien ou une bande.

Restriction on mortgage, seizure, etc., of property on reserve

89 (1) Subject to this Act, the real and personal property of an Indian or a band situated on a reserve is not subject to charge, pledge, mortgage, attachment, levy, seizure, distress or execution in favour or at the instance of any person other than an Indian or a band.

Dérogation

(1.1) Par dérogation au paragraphe (1), les droits découlant d’un bail sur une terre désignée peuvent faire l’objet d’un privilège, d’un nantissement, d’une hypothèque, d’une opposition, d’une réquisition, d’une saisie ou d’une exécution.

Exception

(1.1) Notwithstanding subsection (1), a leasehold interest in designated lands is subject to charge, pledge, mortgage, attachment, levy, seizure, distress and execution.

[31]  En plus de ce qui précède, les dispositions suivantes de la Loi sur la gestion des terres des premières nations, LC 1999, c 24 (LGTPN) sont aussi pertinentes à mon examen de la question de compétence soulevée par le défendeur :

Définitions

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

Definitions

2 (1) The definitions in this subsection apply in this Act.

 

accord-cadre L’Accord-cadre relatif à la gestion des terres des premières nations signé le 12 février 1996 par les premières nations et Sa Majesté du chef du Canada, ainsi que les modifications qui peuvent lui être apportées conformément à ses dispositions. (Framework Agreement)

 

Framework Agreement means the Framework Agreement on First Nation Land Management concluded between Her Majesty in right of Canada and the First Nations on February 12, 1996, and includes any amendments to the Agreement made pursuant to its provisions. (accord-cadre)

 

Code foncier et accord spécifique

Adoption du code foncier

6 (1) La mise en place d’un régime de gestion des terres, par la première nation, en conformité avec l’accord-cadre et la présente loi est subordonnée à l’adoption d’un code foncier applicable à l’ensemble des terres comprises dans sa réserve et dans lequel figurent les éléments suivants :

Land Code and Individual Agreement

Adoption of land code

6 (1) A First Nation that wishes to establish a land management regime in accordance with the Framework Agreement and this Act shall adopt a land code applicable to all land in a reserve of the First Nation, which land code must include the following matters:

 

a) la description des terres visées que l’arpenteur général prépare ou fait préparer éventuellement ou toute autre description qui, à son avis, est adéquate pour préciser les terres visées;

(a) a description of the land that is to be subject to the land code that the Surveyor General may prepare or cause to be prepared or any other description that is, in the Surveyor General’s opinion, sufficient to identify those lands;

b) les règles générales — de procédure et autres — applicables en matière d’utilisation et d’occupation de ces terres, notamment en vertu d’un permis ou d’un bail ou en vertu d’un droit ou intérêt découlant soit de la possession accordée en conformité avec le paragraphe 20(1) de la Loi sur les Indiens, soit de la coutume de la première nation;

(b) the general rules and procedures applicable to the use and occupancy of First Nation land, including use and occupancy under

(i) licences and leases, and

(ii) interests or rights in First Nation land held pursuant to allotments under subsection 20(1) of the Indian Act or pursuant to the custom of the First Nation;

c) les règles de procédure applicables en matière de transfert, par dévolution successorale, de droits ou intérêts sur ces terres;

[...]

(c) the procedures that apply to the transfer, by testamentary disposition or succession, of any interest or right in First Nation land;

[...]

f) une disposition relative au processus de consultation populaire visant l’établissement de règles applicables, en cas d’échec du mariage, en matière soit d’utilisation, d’occupation ou de possession des terres de la première nation, soit de partage des droits ou intérêts sur celles-ci;

[...]

(f) a community consultation process for the development of general rules and procedures respecting, in cases of breakdown of marriage, the use, occupation and possession of First Nation land and the division of interests or rights in First Nation land;

[...]

(i) une disposition prévoyant soit la constitution d’un organe chargé de régler les différends concernant les droits ou intérêts sur les terres de la première nation, soit l’attribution de cette fonction à un organe donné;

(i) the establishment or identification of a forum for the resolution of disputes in relation to interests or rights in First Nation land;

j) les règles générales — de procédure et autres — applicables en matière d’attribution ou d’expropriation, par la première nation, de droits ou intérêts sur ses terres;

[...]

(j) the general rules and procedures that apply in respect of the granting or expropriation by the First Nation of interests or rights in First Nation land;

[...]

[32]  Enfin, en l’espèce, les dispositions les plus pertinentes du Code foncier* sont les suivantes :

[traduction]

Définitions

2.1 Dans le présent Code foncier :

« Terre de la bande » désigne une terre de la Première Nation Squiala dans laquelle tous les membres ont un intérêt collectif et qui ne fait pas l’objet d’un intérêt individuel;

« Certificat de possession » désigne une preuve documentaire de l’intérêt d’un membre dans une terre de la Première Nation Squiala conféré à un membre aux termes de l’article 28.4 du présent Code foncier ou, s’il est accordé avant l’entrée en vigueur du présent Code foncier, conféré aux termes du paragraphe 20(2) de la Loi sur les Indiens, qui confère au membre le droit de détenir le certificat aux droits prévus à l’article 28.2;

« Accord-cadre » désigne l’Accord-cadre sur la gestion des terres de Premières Nations, conclu entre le gouvernement du Canada et quatorze Premières Nations le 12 février 1996, et ses adaptations;

« Intérêt » désigne un intérêt dans une terre de la Première Nation Squiala et comprend une attribution résidentielle, un certificat de possession, une propriété à bail, une servitude, un droit de passage, un permis, une licence, une licence d’exploitation de ressources naturelles, un privilège et une hypothèque;

« Attribution résidentielle » désigne une parcelle de terre de la bande attribuée à un membre aux termes de l’article 29.1;

[...]

Primauté

[...]

2.4 En cas d’incohérence ou de conflit entre le présent Code foncier et l’Accord-cadre, l’Accord-cadre l’emporte dans la mesure de l’incohérence ou du conflit.

[...]

Source des pouvoirs

3.1 Les pouvoirs de la Première Nation Squiala pour la gouvernance de son territoire et de ses ressources découlent de ce qui suit :

a) le Créateur de la Première Nation Squiala;

b) du peuple de la Première Nation Squiala au Conseil selon la culture, les traditions, les coutumes et les lois du Code foncier de la Première Nation Squiala;

c) du droit inhérent à l’autogouvernance de la Première Nation Squiala et ses autres droits ancestraux, y compris le titre ancestral.

Definitions

2.1 In this Land Code:

“Band Land” means Squiala First Nation Land in which all Members have a common interest and which is not subject to any individual interest;

Certificate of Possession” means documentary evidence of a Member’s interest in Squiala First Nation Land granted to a Member under section 28.4 of this Land code or if granted prior to this Land Code coming into force, granted pursuant to s. 20(2) of the Indian Act, which entitles the Member holding the Certificate to the Rights set out in section 28.2;

Framework Agreement” means the Framework Agreement on First Nations Land  Management entered into between the Government of Canada and fourteen First Nations on February 12, 1996, as amended;

Interest” means an interest in Squiala First Nation Land and includes a Residential Allocation, Certificate of Possession, Leasehold, Easement, Right-of-Way, Permit, Licence, Natural Resource Licence, charge and Mortgage;

Residential Allocation” means a parcel of Band Land allocated to a Member under section 29.1;

[...]

Paramountcy

[...]

2.4 If there is an inconsistency or conflict between this Land Code and the Framework Agreement, the Framework Agreement will prevail to the extent of the inconsistency or conflict.

[...]

Source of Authority

3.1 The Authority of Squiala First Nation to govern its lands and resources flows from:

a) the Creator to the people of Squiala First Nation;

b) from the people of Squiala First Nation to the Council according to the culture, traditions, customs and Land Code Laws of Squiala First Nation;

c) from Squiala First Nation’s inherent right of self-government and its other aboriginal rights, including aboriginal title.

Objet

4.1 Le présent Code foncier a pour objet de mettre en œuvre l’Accord-cadre et, sans limiter la généralité de ce qui précède, d’établir les principes, les procédures et les structures administratives qui s’appliquent à la Première Nation Squiala et en fonction desquels cette dernière exercera les pouvoirs sur ces terres conformément à l’Accord-cadre.

[...]

Autorisation du Conseil à établir les lois du Code foncier

6.1 Le Conseil est autorisé, conformément au présent Code foncier, à établir les lois du Code foncier relativement à ce qui suit :

a) l’aménagement, la conservation, la protection, l’utilisation et la possession de terres de la Première Nation Squiala;

b) les intérêts et les licences relatifs aux terres de la Première Nation Squiala;

[...]

Intérêts pouvant être expropriés

15.1 La Première Nation Squiala peut exproprier un intérêt dans l’un ou l’autre de ses terres, immeubles et autres structures conformément à l’Accord-cadre et à une loi du Code foncier promulguée en conformité avec l’article 15.3 du présent Code foncier.

[...]

Composition

21.1 Le comité des terres sera formé d’au moins cinq membres nommés par le Conseil conformément au présent article.

[...]

Purpose

4.1 The purpose of this Land Code is to implement the Framework Agreement and without limiting the generality of the foregoing, to set out the principles, procedures and administrative structures that apply to Squiala First Nation and by which Squiala First Nation will exercise authority over those lands in accordance with the Framework Agreement.

[...]

Council May Make Land Code Laws

6.1 Council may, in accordance with this Land Code, make Land Code Laws in respect of:

(a) development, conservation, protection, management, use and possession of Squiala First Nation Land;

(b) Interests and Licences in relation to Squiala First Nation Land; ...

[...]

Interests that May Be Expropriated

15.1 An Interest in Squiala First Nation Land or in any building or other structure on Squiala First Nation may be expropriated by Squiala First Nation in accordance with the Framework Agreement and a Land Code Law enacted in accordance with section 15.3 of this Land Code.

[...]

Composition

21.1 The Land Committee will be comprised of at least five members appointed by Council in accordance with this Section.

[...]

Toutes dispositions par écrit

25.1 Un intérêt dans une terre de la Première Nation Squiala ne peut être créé, accordé, aliéné, cédé ou transféré que par un instrument délivré en conformité avec le présent Code foncier.

Normes

25.2 Le Conseil peut, après avoir examiné intégralement et équitablement toute recommandation formulée par le comité des terres, établir des normes obligatoires, des critères et des formulaires pour les intérêts portés sur des terres de la Première Nation Squiala.

[...]

All Dispositions in Writing

25.1 An Interest in Squiala First Nation Land may only be created, granted, disposed of, assigned or transferred by an Instrument issued in accordance with this Land Code.

Standards

25.2 Council may, after full and fair consideration of any recommendations made by the Lands Committee, establish mandatory standards, criteria and forms for Interests in Squiala First Nation Land.

[...]

Nullité des opérations inappropriées

25.5 L’instrument au moyen duquel la Première Nation Squiala, un membre ou toute autre personne prétend qu’il crée, aliène, cède ou transfère un intérêt dans une terre de la Première Nation Squiala après la date d’entrée en vigueur du présent Code foncier est frappé de nullité s’il contrevient au présent Code foncier.

[...]

Pouvoir de disposer

27.1 Sous réserve du présent Code foncier, le Conseil peut accorder :

a) des intérêts dans les terres de la bande, y compris sans toutefois s’y limiter, des certificats de possession, des propriétés à bail, des licences, des permis, des servitudes et des droits de passage relativement aux terres de la bande;

b) des licences, des licences d’exploitation de ressources naturelles et des permis relativement aux terres de la bande.

[...]

Improper Transactions Void

25.5 An Instrument by which Squiala First Nation, a Member or any other person purports to create, dispose of, assign or transfer an Interest in Squiala First Nation Land after the date this Land Code comes into effect is void if it contravenes this Land Code.

[...]

Authority to Make Dispositions

27.1 Subject to this Land Code, Council may grant:

(a) Interests in Band Land including but not limited to Certificates of Possession, Leaseholds, Licenses, Permits, Easements and rights-of-way in relation to Band Land; and

(b) Licences, Natural Resource Licences and Permits in relation to Band Land.

[...]

Nature de l’intérêt

28.2 Sous réserve du présent Code foncier, un certificat de possession relativement à une parcelle de terre de la Première Nation Squiala représente un intérêt qui donne au membre le droit de détenir l’intérêt pour :

a) la possession permanente exclusive de la terre;

b) tirer profit des ressources provenant de la terre;

c) sous réserve d’un plan d’utilisation des terres et d’une loi de zonage du Code foncier, l’octroi d’intérêts incidents dans la terre, y compris les licences, les licences d’exploitation de ressources naturelles ou les permis;

d) le transfert, le legs ou autre disposition des terres à un autre membre;

e) tout autre droit, conformément au présent Code foncier, qui est joint aux certificats de possession aux termes de la Loi sur les Indiens.

[...]

28.4 Le Conseil peut attribuer un certificat de possession concernant une parcelle de terre de la bande à un membre à des fins résidentielles dans les cas suivants :

a) les terres en question figurent sur un plan d’utilisation des terres comme résidentielles;

b) les terres en question sont arpentées;

c) le membre fait la preuve qu’il est en mesure de financer et de construire une résidence sans aide financière de la Première Nation Squiala.

[...]

Nature of Interest

28.2 Subject to this Land Code, a Certificate of Possession in respect of a parcel of Squiala First Nation Land is an Interest that entitles the Member holding the interest to:

a) permanent, exclusive possession of the land;

b) benefit from the resources arising from the land;

c) subject to a land use plan or zoning Land Code Law, grant subsidiary Interests in the land, including licenses, Natural Resource Licenses or Permits;

d) transfer, devise or otherwise dispose of the land to another Member; and

e) any other rights, consistent with this Land Code, that are attached to Certificates of Possession under the Indian Act.

[...]

28.4 Council may allocate a Certificate of Possession to a parcel of Band Land to a Member for residential purposes if:

(a) the subject lands are shown on a land use plan as designated residential;

(b) the subject lands are surveyed; and

(c) the Member provides evidence of being capable of financing and building a residence without financial assistance from Squiala First Nation.

[...]

Attribution de lots résidentiels

29.1 Le Conseil peut, au moyen d’une location ou autre disposition, attribuer une parcelle de terre de la bande à un membre ou à plusieurs membres à des fins résidentielles.

[...]

Transfert d’un certificat de possession pour une propriété à bail

31.2 Conformément à un accord écrit entre la Première Nation Squiala et un membre, lorsqu’un certificat de possession est annulé aux fins d’accorder à un membre une propriété à bail pour une période maximale de 99 ans pour aider le membre à obtenir le financement approprié, le Conseil confèrera, par voie de résolution, un nouveau certificat de possession des terres en question lorsque toutes les conditions de l’accord écrit seront remplies, pourvu que le membre ne soit pas en contravention des conditions de l’accord.

[...]

Protections

32.1 Conformément à l’Accord‑cadre, les articles 29 et 87 et les paragraphes 89(1) et 89(2) de la Loi sur les Indiens continuent de s’appliquer sur les terres de la Première Nation Squiala.

Hypothèque de l’intérêt d’un membre

32.2 Sous réserve de l’article 32.3, les dispositions du paragraphe 89(1.1) de la Loi sur les Indiens s’appliquent aux propriétés à bail dans une terre de la Première Nation Squiala autorisé en vertu du présent Code foncier.

[...]

Résolution informelle des litiges

36.1 L’intention de la Première Nation Squiala est que, dans la mesure du possible, les litiges soient réglés au moyen de discussions informelles par les parties au litige, et rien dans la présente partie ne sera interprété comme limitant la capacité des parties à régler le litige sans recours à la présente partie.

36.2 L’intention de la Première Nation Squiala est que, dans la mesure du possible, un litige qui n’est pas réglé au moyen de discussions informelles le soit par une participation volontaire des parties à un forum tribal de résolution des litiges ou autre mode substitutif de résolution des litiges plutôt qu’au moyen du système judiciaire traditionnel.

[...]

Établissement du Bureau de l’arbitre

[...]

37.3 L’arbitre sera nommé par le Conseil au besoin, conformément à la présente partie et à toute politique que le Conseil peut établir relativement à une telle nomination.

[...]

Décisions administratives

38.2 Si un membre ou toute autre personne ayant un intérêt dans une terre de la Première Nation Squiala n’est pas d’accord avec une décision administrative prise aux termes du présent Code foncier, la personne doit d’abord tenter de régler la question avec le décideur avant de demander un renvoi du litige à l’arbitre.

38.3 Le Conseil doit établir des politiques et des procédures relatives à un processus interne de résolution des litiges au moyen duquel un membre ou toute personne ayant un intérêt dans une terre de la Première Nation Squiala peut tenter de régler une question conformément à l’article 38.2.

[...]

Autres forums

[...]

42.1 Le Conseil peut établir un Conseil consultatif traditionnel aux fins suivantes :

[...]

b) à la demande d’un membre, offrir un forum pour tenir des discussions liées à la résolution informelle des litiges pour un membre impliqué dans un litige relatif à une terre de la Première Nation Squiala,

en fonction des connaissances et de l’expérience du Conseil consultatif traditionnel des lois, pratiques, protocoles et valeurs traditionnels Sto:lo et Ts’elxwéyeqw.

Allocation of Residential Lots

29.1 Council may, by Lease or other disposition, allocate a parcel of Band Land to a Member or Members for residential purposes.

[...]

Transfer of Certificate of Possession for a Leasehold

31.2 Where, under a written agreement between Squiala First Nation and a Member, a Certificate of Possession is cancelled for the purpose of granting a Member a Leasehold for no more than 99 years to assist the Member to obtain appropriate financing, Council will by Resolution grant a new Certificate of possession of the subject lands when all the terms of the written agreement have been satisfied provided the Member is not in breach of any of the terms of the agreement.

[...]

Protections

32.1 In accordance with the Framework Agreement, sections 29, 87, 89(1) and 89(2) of the Indian Act continue to apply on Squiala First Nation Land.

Mortgage of a Member’s Interest

32.2 Subject to section 32.3, the provisions of section 89(1.1) of the Indian Act apply to leaseholds in Squiala First Nation Land permitted under this Land Code.

[...]

Informal Resolution of Disputes

36.1 Squiala First Nation intends that wherever possible disputes will be resolved through informal discussion by the parties to the dispute and nothing in this part will be construed to limit the ability of the parties to a dispute to settle the dispute without recourse to this Part.

36.2 Squiala First Nation intends that whenever possible, a dispute that is not resolved by informal discussion by the parties to the dispute be resolved through voluntary participation of the parties in a tribal or other alternative dispute resolution forum rather than through the traditional court system.

[...]

Office of Adjudicator Established

[...]

37.3 The Adjudicator will be appointed by Council on an as needed basis as set out in this Part and in any policies Council may establish with respect to such appointment.

[...]

Administrative Decisions

38.2 If a Member or any person with an Interest in Squiala First Nation Land disagrees with an administrative decision made under this Land Code, the person must first attempt to resolve the issue with the decision-maker before requesting a referral of the dispute to the Adjudicator.

38.3 Council must establish policies and procedures for an internal dispute resolution process through which a Member or any person with an Interest in Squiala First Nation Land may attempt to resolve an issue as required by section 38.2.

[...]

Alternate Forums

[...]

42.1 Council may establish a Traditional Advisory Council to:

[...]

(b) at the request of a Member, provide a forum for informal dispute resolution discussions for a Member involved in a dispute with respect to Squiala First Nation Land,

based on the Traditional Advisory Council’s knowledge and experience with traditional Sto:lo and Ts’elxwéyeqw laws, practices, protocols and values.

  *  Une version française du Land Code n’existe pas.

[33]  Selon la preuve par affidavit présentée par Mme Bartz, le Code foncier est entré en vigueur conformément à la LGTPN le 29 juillet 2008.

V.  Discussion

A.  La Cour est-elle compétente pour instruire le présent litige?

[34]  Le défendeur prétend que la Cour n’est pas compétente pour examiner la décision d’expulser Mme Jimmie rendue par le Conseil. Bien qu’il reconnaisse que le Conseil soit un « office fédéral » au sens du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, il maintient que le Conseil n’agissait pas en tant qu’« office fédéral » lorsqu’il a rendu sa décision. Le Conseil ne faisait qu’exercer son droit civil à titre de propriétaire foncier.

[35]  Je ne suis pas d’accord.

[36]  Pour étayer sa thèse, le défendeur s’appuie sur la décision Devil’s Gap Cottagers (1982) Ltd c Première Nation de Rat Portage no 38B (Nation Wauzhushk Onigum), 2008 CF 812 [Devil’s Gap], et l’arrêt Administration portuaire, précité.

[37]  La décision Devil’s Gap, précitée, porte sur une décision prise par le chef et le conseil de la Nation Wauzhushk Onigum (la NWO) de refuser de prolonger un bail ou de conclure un nouveau bail avec la société demanderesse, dont les 33 actionnaires étaient chacun propriétaires d’un chalet situé dans la réserve de la NWO. La demanderesse soutenait que la décision constituait une violation à une obligation contractuelle existante de prolonger la durée du bail jusqu’à la fin de 2020. Il semble que les propriétaires de chalets en question n’étaient pas membres de la NWO.

[38]  En rejetant la demande, la juge Dawson (tel était alors son titre) a noté qu’aucun droit n’avait été accordé à la NWO aux termes du paragraphe 60 de la Loi sur les Indiens pour exercer le contrôle et la gestion de terres dans la réserve de la NWO. Par conséquent, elle a conclu qu’il s’ensuivait qu’une décision de ne pas prolonger le bail contesté ne relevait pas d’un aspect du contrôle ou de la gestion des terres d’une réserve, visé par la Loi sur les Indiens (Devil’s Gap, précitée, au paragraphe 41). En outre, elle a conclu que, conformément au traité no 3, la NWO conservait le droit inhérent de consentir à toute location de terres dans la réserve. À cet égard, elle a souligné entre autres le libellé de ce traité qui cédait les terres en question à la NWO. Selon ces considérations, elle a conclu que le chef et le conseil de la NWO n’agissaient pas à titre d’« office fédéral » lorsqu’ils ont refusé de prolonger le bail de la demanderesse (Devil’s Gap, précitée, aux paragraphes 45, et 64 à 66).

[39]  À mon avis, les considérations qui précèdent sur lesquelles s’était basée la juge Dawson pour tirer cette conclusion se distinguent du fondement factuel sous-jacent au présent litige. Comme je l’examinerai plus loin, la PNS s’est vu accorder le droit d’exercer le contrôle et la gestion sur ses terres de réserve conformément à la LGTPN. Conformément à l’article 6 de la LGTPN et à l’Accord-cadre sur la gestion des terres de Premières nations (l’Accord-cadre) conclu le 12 février 1996 entre Sa Majesté du chef du Canada et diverses Premières Nations, y compris la PNS, cette dernière a ensuite établi le Code foncier. Le régime qui précède, lequel est ancré dans le droit fédéral, a fourni une source importante pour la décision (Anisman c Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 52, aux paragraphes 29 à 31) et il est très pertinent à une analyse de la question de savoir si le Conseil agissait à titre d’« office fédéral » lorsqu’il a rendu la décision.

[40]  Dans l’arrêt Administration portuaire, précité, la Cour d’appel fédérale a expliqué que toutes les conduites d’un « office fédéral » ne sont pas nécessairement susceptibles de révision aux termes de la Loi sur les Cours fédérales. Il s’agit de déterminer si la conduite en question se caractérise mieux comme étant de nature publique ou de nature privée (Administration portuaire, précité, aux paragraphes 50 à 55). La Cour a indiqué que « louer et gérer des locaux » et « embaucher du personnel de soutien » sont des exemples de mesures relevant du domaine privé (Administration portuaire, précité, au paragraphe 52). Après avoir remarqué qu’il peut être « délicat » de déterminer si le pouvoir relève du droit public ou s’il relève du droit privé, la Cour a énoncé les huit facteurs suivants dont il faut tenir compte dans cette analyse :

  1. La nature de la question visée par la demande de contrôle.

  2. La nature du décideur et ses attributions.

  3. La mesure dans laquelle la décision est fondée et influencée par le droit et non pas par un pouvoir discrétionnaire de nature privée.

  4. Les rapports entre l’organisme en cause et d’autres régimes législatifs ou d’autres parties du gouvernement.

  5. La mesure dans laquelle le décideur est un mandataire du gouvernement ou est dirigé, contrôlé ou influencé de façon importante par une entité publique.

  6. Le caractère approprié des recours de droit public.

  7. L’existence d’un pouvoir de contrainte;

  8. Une catégorie d’affaires « exceptionnelles » dans laquelle les mesures prises ont acquis une dimension publique importante.

(Administration portuaire, précité, au paragraphe 60.) [Renvois omis.]

[41]  Je procéderai maintenant à l’analyse de ces facteurs :

  i.  La nature de la question visée par la demande de contrôle.

[42]  Dans l’évaluation de cette question, un point d’intérêt principal est de savoir si la décision était de nature commerciale, privée, ou si elle était d’importance générale pour les membres du public. À cet égard, je considère que la décision elle-même est d’une aide considérable.

[43]  En particulier, un préambule de la résolution du Conseil indique que [traduction] « le Conseil de bande a une obligation à l’égard de tous les membres de la bande Squiala pour gérer les terres de la PNS et les besoins en logement d’une manière équitable et dans le plus grand intérêt de la bande, y compris se conformer à la politique suivante en matière de logement et fournir la résidence à un membre de la bande Squiala qui se trouve déjà sur la liste d’attente ». Cette considération est renforcée dans la lettre, en date du 20 juillet 2017, envoyée à Mme Jimmie pour l’informer de la décision. En particulier, la lettre attire l’attention de Mme Jimmie sur le fait que la PNS [traduction] « a une obligation envers tous les membres de la bande Squiala de gérer nos terres et nos besoins en logement sur nos terres d’une manière équitable et dans le plus grand intérêt de la bande ».

[44]  Les énoncés cités ci-dessus tiennent compte du fait que la décision avait une nature ou une dimension publique importante, notamment, l’obligation du Conseil de gérer les terres et les logements de la PNS dans le plus grand intérêt de la bande. À la lumière de cette obligation, qui est également prise en compte dans les paragraphes 2(1) et 18(1) de la Loi sur les Indiens, on ne peut pas dire que le Conseil n’a pas agi « différemment » par rapport à une partie à une entente conclue dans le secteur privé (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 103).

[45]  De plus, en communiquant la décision à Mme Jimmie, la lettre du 20 juillet 2017 indiquait que la maison [traduction] « se trouve sur une terre qui appartient à la bande, et non sur une terre assujettie à un [CP] » en faveur du père de Mme Jimmie. Cela laisse entendre que la décision comportait une détermination que Mme Jimmie n’avait aucun intérêt dans la terre sur laquelle la maison est construite. Il s’agit d’un fait important que Mme Jimmie conteste, et qui sert à distinguer davantage les présentes circonstances de celles auxquelles est confronté un propriétaire du secteur privé.

[46]  À mon avis, l’étude que je viens de faire penche en faveur de la conclusion selon laquelle la décision avait une dimension publique importante, notamment la gestion des terres et des logements de la PNS d’une manière équitable et dans le plus grand intérêt de la bande. À cet égard, j’ajouterais simplement en passant que Mme Jimmie a affirmé, lors de l’audience de la présente demande, que l’affaire a [traduction] « une incidence sur toute la collectivité ».

  ii.  La nature du décideur et ses attributions.

[47]  Ce facteur envisage une évaluation de la question de savoir si le décideur, en l’espèce, le Conseil, est investi d’un mandat public ou s’est vu confier des attributions de nature publique. De plus, cela exige l’examen de la question de savoir si la décision était étroitement liée à ces attributions.

[48]  Comparativement à un propriétaire ou à un gestionnaire immobilier du secteur privé, le Conseil a un mandat public solide et exerce des responsabilités publiques considérables, notamment en ce qui concerne les terres et les logements. Conformément au Code foncier, le Conseil a le pouvoir d’établir les lois du Code foncier relativement à un large éventail de sujets, y compris la gestion, l’utilisation et la possession de terres par la PNS (article 6.1). Il peut également exproprier des terres de la PNS conformément à l’Accord-cadre et à une loi du Code foncier (article 15.1). De plus, il nomme les membres du comité des terres (article 21.1) et il peut établir des normes obligatoires, des critères et des formulaires pour établir les intérêts dans les terres de la PNS (article 25.2). De plus, il peut conférer des intérêts dans les terres de la PNS, y compris au moyen de CP, de propriétés à bail, de licences, de permis, de servitudes et de droits de passage relativement aux terres de la bande (articles 27.1, 28.4 et 29.1). Il est également responsable de nommer les arbitres pour régler les conflits aux termes du Code foncier (article 37.3), et pour établir un conseil consultatif traditionnel pour fournir des conseils et des directives en ce qui concerne, entre autres, les litiges concernant les terres de la PNS (article 42.1). De plus, il doit établir les politiques et les procédures applicables au processus de résolution des litiges interne au moyen duquel un membre de la bande ou toute personne ayant un intérêt dans une terre de la PNS peut tenter de régler un problème aux termes du Code foncier (article 38.3). Surtout, l’expression « terre de la bande » (terre de la bande) est définie à l’article 2.1 comme signifiant [traduction] « terre [de la PNS] où tous les membres ont un intérêt collectif et qui ne fait pas l’objet d’un intérêt individuel » (non souligné dans l’original).

[49]  Comme je l’ai analysé au paragraphe 43 ci-dessus, la décision a été prise explicitement par le Conseil pour donner suite à son mandat public de gérer les terres de la PNS et les besoins en logement des membres de la bande « d’une manière équitable et dans le plus grand intérêt de la bande ».

[50]  Là encore, l’étude que je viens de faire penche en faveur de la conclusion selon laquelle la décision avait une dimension publique importante.

  iii.  La mesure dans laquelle la décision est fondée et influencée par le droit et non pas par un pouvoir discrétionnaire de nature privée.

[51]  Si une décision contestée a été autorisée directement par une source de droit public comme une loi, un règlement ou une ordonnance, une cour aura davantage tendance à considérer que la question est de nature publique (Administration portuaire, précité, au paragraphe 60).

[52]  Le défendeur soutient que sa décision d’expulser Mme Jimmie représente simplement l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Conseil d’appliquer son droit prévu par la common law en tant que propriétaire de l’expulser d’une résidence où elle n’avait aucun droit de résider. Le défendeur qualifie la décision connexe d’expulser le fils de Mme Jimmie (Norman Gabriel), et les autres membres de sa famille immédiate, comme étant ancrée dans le même exercice du pouvoir discrétionnaire, à la suite du défaut de M. Gabriel de verser les paiements « locatifs ». En outre, le défendeur affirme que la résolution qui comprend la décision a simplement servi à confirmer la décision, et que les résolutions de la PNS n’ont pas le statut de règlement administratif ou autre type de « disposition législative subordonnée ».

[53]  Cependant, les deux premiers préambules à la décision/résolution indiquent que, selon le Code foncier, le Conseil [traduction] « a tous les pouvoirs pour contrôler l’utilisation et l’occupation des terres [de la PNS] » et [traduction] qu’un « intérêt dans les terres de la PNS, y compris une attribution résidentielle, ne peut être accordé que par écrit et doit être autorisé par le Conseil de bande conformément à l’article 25.1 du [Code foncier] ». De plus, en communiquant la décision à Mme Jimmie, le chef de la PNS a mentionné l’article 25.1 ainsi que l’article 25.5, ce dernier prévoyant qu’une cession ou un transfert de droit dans une terre de la PNS est nul s’il contrevient au Code foncier. Le chef a ajouté que cela comprend « une attribution résidentielle ».

[54]  Les renvois susmentionnés au Code foncier indiquent que la décision était, d’une manière importante, soit fondée sur le Code foncier, soit complétée par celui-ci, soit tributaire de celui-ci. Il est entendu que je n’accepte pas l’argument du défendeur selon lequel les renvois dans la décision au Code foncier ont été faits simplement dans le but d’aborder la thèse de Mme Jimmie que son père avait un CP relativement à la terre sur laquelle la maison se trouve. Il semble évident que ces renvois visent l’objectif plus large de fonder la décision dans le Code foncier, du moins en partie.

[55]  Tout comme un règlement peut être considéré comme un élément important du contexte législatif (Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, au paragraphe 58 [Mavi]), le Code foncier peut l’être aussi, surtout étant donné sa relation avec la LGTPN, l’Accord-cadre et la Loi sur les Indiens.

[56]  À mon avis, l’étude que je viens de faire penche en faveur de la conclusion selon laquelle la décision avait une dimension publique importante.

  iv.  Les rapports entre l’organisme en cause et d’autres régimes législatifs ou d’autres parties du gouvernement.

[57]  Si un organe administratif « est intégré à un réseau gouvernemental et exerce un pouvoir en tant qu’élément de ce réseau, les actes qu’il pose seront plus fréquemment qualifiés d’actes de nature publique » (Administration portuaire, précité, au paragraphe 60).

[58]  Tel qu’il a été noté plus haut, le mandat et les responsabilités du Conseil relativement aux terres de la PNS et, dans une certaine mesure, aux logements sont énoncés en détail dans le Code foncier, lequel est lui-même étroitement lié à la LGTPN, à l’Accord-cadre et à la Loi sur les Indiens. En plus des dispositions du Code foncier que j’ai déjà analysées, l’article 2.4 du Code foncier prévoit ceci : [traduction] « En cas d’incohérence ou de conflit entre le présent Code foncier et l’Accord-cadre, l’Accord-cadre l’emporte dans la mesure de l’incohérence ou du conflit. » De plus, l’article 4.1 prévoit que « [l]e présent Code foncier a pour but de mettre en œuvre l’Accord-cadre » et l’article 15.1 indique qu’un intérêt dans une terre de la PNS ou dans un immeuble ou autre structure sur une terre de la PNS « peut [être] expropri[é] conformément à l’Accord-cadre et à une loi du Code foncier promulguée en conformité avec l’article 15.3 du présent Code foncier ».

[59]  En outre, selon les articles 32.1 et 32.2, diverses dispositions de la Loi sur les Indiens continuent de s’appliquer aux terres de la PNS, y compris le paragraphe 89(1.1), qui traite des privilèges, nantissements et hypothèques grevant des droits découlant d’un bail. Je mentionne ceci simplement parce que le chef de la PNS a informé Mme Jimmie que le CP qu’elle soutient que son père possède toujours a été transféré à la bande en 1986. Le dossier semble indiquer qu’un tel transfert peut avoir été une condition d’obtention du prêt ou de l’hypothèque que la bande conteste. En effet, les transferts de CP à ces fins sont traités à l’article 31.2 du Code foncier, qui prévoit qu’un nouveau CP sera accordé lorsque toutes les conditions de l’accord en question ont été remplies, pourvu que le membre de la bande ne soit pas en contravention des conditions de l’accord.

[60]  Pris dans leur ensemble, les liens qui précèdent entre le Conseil, le Code foncier, l’Accord-cadre, la LGTPN et la Loi sur les Indiens penchent en faveur de la conclusion que la décision était de nature publique, particulièrement dans la mesure où ces liens se rapportent aux terres de la PNS, aux intérêts de propriétés à bail et aux attributions résidentielles sur les terres pour les membres de la bande.

[61]  Je m’arrête pour souligner que, en plus de ce qui précède, les parties renvoient à une « politique sur le logement » publiée par la PNS qui n’a pas été déposée devant la Cour. Le défendeur maintient que cette politique n’est pas un règlement administratif ou un autre type de « législation subordonnée » et qu’elle sert simplement à « orienter » le Conseil dans ses décisions en matière de logement.

  v.  La mesure dans laquelle le décideur est un mandataire du gouvernement ou est dirigé, contrôlé ou influencé de façon importante par une entité publique.

[62]  Rien au dossier ne laisse entendre que le Conseil est de quelque façon que ce soit un mandataire du gouvernement fédéral ou qu’il est dirigé, contrôlé ou influencé de façon importante par un organisme public.

[63]  Compte tenu des faits particuliers de la présente affaire, je suis disposé à conclure que ce facteur penche un peu en faveur de la conclusion selon laquelle la décision n’est pas de nature publique. Malgré cette conclusion, il ne faut pas penser que je laisse entendre qu’une conclusion semblable devrait s’ensuivre relativement aux décisions prises par des « offices fédéraux » indépendants dans d’autres circonstances. Bref, pris isolément, l’indépendance d’un décideur administratif par rapport au gouvernement fédéral ou à des entités publiques ne présente pas nécessairement un fondement solide pour conclure que toutes ses décisions constituent l’exercice de pouvoirs de nature privée.

  vi.  Le caractère approprié des recours de droit public.

[64]  Si la nature de la question est telle qu’il serait utile d’accorder un recours de droit public, les cours ont davantage tendance à les considérer comme étant de nature publique (Administration portuaire, précité, au paragraphe 60).

[65]  À mon avis, la réparation recherchée par Mme Jimmie devant la Cour, notamment une ordonnance annulant la décision sur un ou plusieurs des motifs qu’elle a soulevés, a une possibilité de régler le litige entre elle et le Conseil. En effet, il existe une véritable possibilité que ce résultat soit obtenu plus rapidement et de façon moins coûteuse que la recherche de réparations offertes aux termes de la common law, devant une autre Cour, comme le défendeur le préfère.

[66]  Ce facteur est donc favorable à une conclusion voulant que la décision soit considérée comme ayant une dimension publique importante.

  vii.  L’existence d’un pouvoir de contrainte.

[67]  Ce facteur peut être pertinent relativement à l’évaluation de l’exercice d’un pouvoir de contrainte sur le public en général ou sur un groupe défini, comme une profession. À mon avis, ce facteur n’est pas pertinent en l’espèce.

  viii.  Une catégorie d’affaires « exceptionnelles » dans laquelle les mesures prises ont acquis une dimension publique importante.

[68]  Ce facteur peut porter sur des cas « où la fraude, les pots-de-vin, la corruption ou l’atteinte aux droits de la personne ont pour effet de transformer une question qui était de nature privée au départ en une question de nature publique » (Administration portuaire, précité, au paragraphe 60).

[69]  Je suis d’avis que cet extrait ne s’applique pas aux faits de l’espèce.

  ix.  Résumé

[70]  En résumé, pour les motifs que j’ai formulés, plusieurs des facteurs analysés ci-dessus sont favorables à une conclusion selon laquelle la décision devrait être considérée comme ayant constitué l’exercice d’un pouvoir de droit public, plutôt qu’un pouvoir de droit privé. Il s’agit des facteurs suivants : (i) la nature de la question visée par la demande de contrôle, (ii) la nature du Conseil et ses attributions, (iii) la mesure dans laquelle la décision est fondée et influencée par le droit et non pas par un pouvoir discrétionnaire de nature privée, (iv) les rapports entre le Conseil et d’autres régimes législatifs ou d’autres parties du gouvernement, et (v) le caractère approprié des recours de droit public. Cependant, un des facteurs de l’arrêt Administration portuaire est favorable à une conclusion voulant que la décision soit considérée comme ayant constitué l’exercice d’un pouvoir de droit privé. Ce facteur est la mesure dans laquelle le décideur est un mandataire du gouvernement ou est dirigé, contrôlé ou influencé de façon importante par une entité publique. Une autre considération qui favorise une conclusion que la décision devrait être considérée comme ayant simplement été l’exercice d’un pouvoir de droit privé est qu’elle concerne un pouvoir d’expulser, ce qui est parfois considéré comme constituant l’exercice d’un pouvoir de droit privé. J’ai tenu compte de cela en examinant la « nature de la question visée par la demande de contrôle » et j’ai réduit la pondération positive que j’aurais par ailleurs attribuée à ce facteur.

[71]  Soupesant tout ce qui précède, je conclus que la décision représentait l’exercice d’un pouvoir de droit public.

[72]  Même si l’entente de location de 2013 peut sembler semblable aux ententes de location conclues dans le secteur privé, elle était complétée de façon importante par le Code foncier, auquel s’est fié le Conseil pour prendre la décision, et par le chef pour communiquer la décision. Cela a ouvert la porte aux exigences d’équité procédurale et de compétence de la Cour (Mavi, précité, aux paragraphes 49 et 50).

[73]  Ma conclusion selon laquelle la Cour est compétente pour instruire le présent litige est aussi appuyée par les autres facteurs résumés immédiatement ci-dessus (Maloney c Première nation de Shubenacadie, 2014 CF 129, aux paragraphes 32 à 42; Gamblin c Conseil de la Nation des Cris de Norway House, 2012 CF 1536, aux paragraphes 50 à 54).

[74]  Ensemble, ces facteurs distinguent la décision des affaires où la Cour a décidé qu’elle n’était pas compétente pour accorder la réparation demandée relativement à une décision par un conseil de bande (voir, par exemple, Des Roches c Première Nation de Wasauksing, 2014 CF 1126, aux paragraphes 54 à 67; Cottrell c Première nation des Chippewas de Rama Mnjikaning, 2009 CF 261, aux paragraphes 81 et 91 à 93; Peace Hills Trust Co c Moccasin, 2005 CF 1364, aux paragraphes 60 à 62).

B.  La Cour doit-elle exercer son pouvoir discrétionnaire pour instruire le présent litige?

[75]  Ma conclusion voulant que la Cour soit compétente pour instruire le présent litige n’implique pas nécessairement qu’elle devrait exercer cette compétence.

[76]  Même si une cour est compétente pour accorder la réparation recherchée dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, elle a un pouvoir discrétionnaire prépondérant de refuser d’exercer cette compétence (Strickland c Canada (Procureur général), 2015 CSC 37 [Strickland]). Par exemple, elle peut refuser la compétence au motif qu’une autre cour est mieux placée pour trancher la question.

[77]  Cette question est pertinente en l’espèce, parce que le défendeur soutient que le litige devrait être traité devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique (CSCB).

[78]  Pour appuyer cette position, le défendeur soutient que les questions de location sur les terres de réserves indiennes sont gouvernées par la common law, qui relève de la CSCB.

[79]  Les parties conviennent que la Residential Tenancy Act, SBC 2002, c 78, ne s’applique pas aux locations résidentielles dans la réserve de la PNS (Strange v Maple Meadows Mobile Home Park Ltd, 1996 CanLII 504, au paragraphe 4 (CS CB) [Maple Meadows]).

[80]  Pour appuyer sa thèse que le litige en cause devrait être traité devant la CSCB, le défendeur s’appuie sur l’arrêt Matsqui Indian Band v Bird, 1992 CanLII 1255 (CS CB) [Matsqui], et Maple Meadows, précité.

[81]  Cependant, ces décisions se distinguent par le fait qu’elles portaient sur des litiges qui mettaient l’accent sur l’interprétation d’ententes de location et des droits qui sont accordés aux parties à ces ententes en conséquence. Dans l’arrêt Maple Meadows, précité, la question déterminante était de savoir si la location contestée était au mois, ou de plus longue durée, de sorte qu’elle ne pouvait être terminée par le propriétaire que dans des circonstances particulières qui n’avaient pas été établies. Dans l’arrêt Matsqui, la question pertinente en l’espèce était de savoir si le propriétaire demandeur avait le droit d’expulser le défendeur pour avoir omis de payer une augmentation de loyer; la Cour a conclu que le propriétaire avait le pouvoir d’imposer une telle augmentation.

[82]  En revanche, le litige en l’espèce ne vise pas l’interprétation d’une entente de location. Il est plutôt fondé sur la revendication de Mme Jimmie qu’elle a été illégalement expulsée de sa maison dans une réserve, et que la décision de l’expulser était déraisonnable dans les circonstances (ce qui inclut son intérêt important dans la propriété de la maison), qu’elle a été prise d’une manière qui portait atteinte à ses droits à l’équité procédurale et sans la compétence requise.

[83]  J’ajouterai simplement en passant que dans l’arrêt Matsqui, précité, à la page 6, le juge Leggatt a appliqué la common law régissant les rapports entre propriétaires et locataires après ce qu’il a caractérisé d’[traduction] « examen rapide des antécédents ». Ensuite, cette conclusion s’appuyait sur l’arrêt Maple Meadows, précité, au paragraphe 38, où il a été souligné que [TRADUCTION] « le droit commun régissant les rapports entre propriétaires et locataires l’emporte quand il s’agit d’interpréter des contrats de location ».

[84]  Dans la mesure où le litige actuel semble viser beaucoup plus que l’interprétation d’une entente de location, il ne ressort pas clairement des autorités qui ont été portées à mon attention que je devrais refuser d’exercer la compétence de la Cour d’entendre le litige sur le fond. En effet, il y a un certain fondement qui me porte à croire que la CSCB peut prendre la position selon laquelle [traduction] « le gouvernement fédéral a occupé le domaine relatif à la création de tout intérêt exclusif sur les terres dans les réserves, que cet intérêt soit temporaire ou permanent » (Kwikwetlem Indian Band v Cunningham, 2009 BCSC 1032, au paragraphe 33).

[85]  Dans l’arrêt Strickland, précité, la Cour suprême du Canada énonce un certain nombre de considérations pertinentes à la décision d’une cour relativement à la question de savoir si elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour refuser d’entendre une demande de contrôle judiciaire. Ces considérations sont les suivantes :

i.  les objectifs et les considérations de principe qui sous-tendent le régime législatif en cause;

ii.  la nature de l’autre tribunal qui pourrait statuer sur la question et sa faculté d’accorder une réparation;

iii.  l’expertise relative de l’autre décideur;

iv.  la nature de l’erreur alléguée;

v.  l’existence d’un recours adéquat et efficace devant le tribunal déjà saisi du litige;

vi.  la célérité;

vii.  la commodité de l’autre recours;

viii.  l’utilisation économique des ressources judiciaires;

ix.  les coûts.

(Strickland, précité, au paragraphe 42)

[86]  La Cour souligne le fait que les catégories de facteurs pertinents ne sont pas limitées, et qu’il appartient aux cours de les cerner et de les soupeser dans le contexte d’une affaire donnée. Plus précisément, la Cour a déclaré ce qui suit :

La cour doit tenir compte non seulement de l’autre recours disponible, mais aussi de la pertinence et du caractère opportun du contrôle judiciaire dans les circonstances. Bref, la question ne consiste pas simplement à décider si quelque autre recours est adéquat, mais également s’il convient de recourir au contrôle judiciaire. En définitive, cela requiert une analyse du type de la prépondérance des inconvénients.

(Strickland, précité, au paragraphe 43.)

[87]  En l’absence d’observations des parties concernant les facteurs énumérés au paragraphe 85 ci-dessus, j’éviterai de les aborder en détail. En l’espèce, j’observerai simplement que je ne suis pas convaincu que je devrais refuser d’exercer la compétence de la Cour pour instruire le litige des parties sur le fond. En effet, un examen rapide de plusieurs facteurs établis dans l’arrêt Strickland laisserait supposer le contraire.

[88]  En particulier, l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire pour procéder à l’instruction du présent litige sur le fond entraînerait probablement une décision plus rapide et moins coûteuse sur le fond que si une action était intentée à ce moment-ci devant la CSCB. En outre, Mme Jimmie a exprimé l’opinion qu’il serait beaucoup plus commode pour elle que le litige soit réglé devant la Cour. Je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas aussi le cas pour le défendeur. En outre, étant donné que la Cour possède maintenant un certain niveau de compréhension du litige, les considérations d’économie judiciaire sembleraient pencher en faveur de l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire d’instruire le présent litige sur le fond devant la Cour.

[89]  Quant à la nature de la CSCB, de sa capacité à attribuer des réparations et de son expertise relative, j’observerai simplement qu’il n’est pas évident qu’elle soit mieux placée que la Cour pour composer avec les questions soulevées par Mme Jimmie dans la présente instance. Dans certaines décisions, y compris dans l’arrêt Strickland, précité, la Cour a refusé d’exercer sa compétence au motif que l’expertise en la matière des cours supérieures provinciales était évidemment beaucoup plus grande que celle de la Cour. Cependant, il n’est pas nettement évident que c’est aussi le cas relativement aux questions soulevées par Mme Jimmie relativement à la décision, surtout compte tenu des liens entre la décision et le régime fédéral élaboré par la Loi sur les Indiens, la LGTPN, l’Accord-cadre et le Code foncier. En effet, contrairement au rôle mineur qu’a joué la Cour relativement à la Loi sur le divorce, LRC (1985), c 3 (2e suppl.) – les questions qui étaient en jeu dans l’arrêt Strickland, précité – la Cour est régulièrement sollicitée pour évaluer les types de questions que Mme Jimmie a soulevés relativement aux décisions prises par des conseils de bande indiens. Même si la Cour ne traite peut-être pas souvent de décisions prises par ces conseils relativement au logement, elle est souvent sollicitée pour évaluer le caractère raisonnable des décisions des conseils de bande, si elles ont été rendues en conformité avec l’équité procédurale et si elles relevaient de la compétence du conseil de bande.

[90]  Selon ce qui précède, je considère qu’il serait approprié pour moi d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour autoriser l’instruction de la présente demande sur le fond devant la Cour.

VI.  Conclusion

[91]  Pour les motifs que j’ai exposés à la partie V.A. ci-dessus, je conclus que la Cour est compétente pour instruire la demande de Mme Jimmie sur le fond.

[92]  Pour les motifs que j’ai exposés à la partie V.B. ci-dessus, j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire pour permettre que ce bien-fondé soit examiné par la Cour.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-1275-17

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La Cour fédérale est compétente pour instruire la présente demande sur le fond.

  2. La Cour exerce en l’espèce son pouvoir discrétionnaire d’instruire la présente demande sur le fond.

  3. Aux termes du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F‑7, la présente demande sera traitée et instruite comme une action.

  4. Conformément à l’article 384 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, la présente instance se poursuivra à titre d’instance à gestion spéciale.

  5. Le défendeur ne prendra pas de mesure d’expulsion contre la demanderesse jusqu’à au moins 60 jours après la détermination finale sur le fond de la présente demande, ou avant que celle-ci ait fait l’objet d’une résolution par écrit entre les parties.

  6. Les dépens suivront l’issue de la cause.

« Paul S. Crampton »

Juge en chef

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de juin 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-1275-17

INTITULÉ :

WENDY JIMMIE, POUR SON PROPRE COMPTE À TITRE DE MEMBRE DE LA PREMIÈRE NATION SQUIALA c LE CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION SQUIALA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 octobre 2017

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 février 2018

COMPARUTIONS :

Wendy Jimmie (se représentant elle-même)

Melissa A. Charles

 

Pour la demanderesse

 

Peter Millerd

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wendy Jimmie (se représentant elle-même)

Pour la demanderesse

 

Ratcliff & Company LLP

North Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le défendeur

 

 

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