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Date : 20180302


Dossier : T-337-17

Référence : 2018 CF 239

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 mars 2018

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

HAROLD BLACKBIRD

demandeur

et

MHS MASKWACIS HEALTH SERVICES

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Le demandeur, Harold Blackbird, [M. Blackbird] demande le contrôle judiciaire, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, de la décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne [CCDP] le 3 février 2017, rejetant sa plainte contre son ancien employeur, Maskwacis Health Services [MHS], déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H-6 [la LCDP]. M. Blackbird s’est représenté lui-même tout au long de l’instance.

[2]  MHS est un organisme à but non lucratif de régime fédéral, qui se trouve à Maskwacis (Alberta) et qui fournit des services de santé à la Nation crie de Samson, à la Première Nation de Montana, à la Nation crie d’Ermineskin et à la Première Nation de Louis Bull, désignées collectivement comme Cris Maskwacis.

[3]  M. Blackbird est chauffeur de profession, titulaire d’un permis de conduire de classe 1 émis par la province de l’Alberta. Il a travaillé comme chauffeur pour MHS, du 9 mars 2012 au 7 octobre 2014. Il utilisait les véhicules de MHS pour permettre à ses clients de se rendre aux rendez-vous et d’en revenir, dans le cadre de services de santé.

[4]  Le 8 octobre 2014, lors d’une réunion qui s’est tenue dans les locaux de MHS et en présence de plusieurs employés, une lettre datée du 7 octobre 2014 a été lue à haute voix à M. Blackbird, mettant fin à son emploi. Le motif invoqué était l’insubordination. M. Blackbird a été informé qu’il recevrait une somme correspondant à deux semaines de salaire, à titre d’indemnité de préavis, plus un montant équivalant à cinq jours de paie, en vertu du Règlement du Canada sur les normes du travail.

[5]  Les brèves raisons évoquées dans la lettre de congédiement étaient que, les 5 et 6 octobre 2014, contrairement aux instructions données à M. Blackbird le 29 septembre 2014, il a mis les véhicules sur vérins, sans en aviser préalablement son superviseur ou obtenir sa permission.

[6]  M. Blackbird a déposé une plainte auprès de la CCDP le 6 février 2015. Il a estimé qu’il avait été victime de discrimination par MHS, parce qu’il n’est pas un Cri de Maskwacis et qu’il est à moitié caucasien. Il a aussi prétendu qu’il subissait un traitement différentiel pour s’être exprimé sur la nécessité de réparer les véhicules qu’il conduisait. Il a affirmé que ses plaintes étaient ignorées et que des sanctions disciplinaires étaient prises contre lui lorsqu’il soulevait les questions de sécurité et qu’il entreprenait de montrer à MHS qu’il était nécessaire d’effectuer des réparations, ainsi que le coût de certaines réparations et de certains équipements de sécurité.

[7]  MHS affirme que la plainte adressée par M. Blackbird à la CCDP souffrait de ce qu’il appelle une [traduction] « lacune fatale » : il n’y a aucune preuve du lien entre un traitement préjudiciable allégué à l’endroit de M. Blackbird et un motif de discrimination illicite.

[8]  Environ onze mois après avoir reçu la plainte, la CCDP a désigné une enquêtrice [l’enquêtrice] le 8 janvier 2016, pour l’examiner. Cette enquêtrice a rendu son rapport le 19 septembre 2016 [le rapport]. Elle a recommandé à la CCDP de rejeter la plainte en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la LCDP, se fondant sur le fait qu’il n’était pas nécessaire d’approfondir l’enquête.

[9]  Après avoir reçu les observations écrites de M. Blackbird et de MHS en ce qui concerne le rapport de l’enquêtrice, la CCDP a informé les parties, le 3 février 2017, que la demande était rejetée car, compte tenu de toutes circonstances les relatives à la plainte, il n’était pas nécessaire d’approfondir l’enquête.

[10]  Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

II.  L’enquête de la CCDP

[11]  La plainte de M. Blackbird a été examinée sur la base de deux articles de la LCDP, à savoir : l’article 7 (congédiement ou traitement défavorable — par des moyens directs ou indirects — fondé sur un motif de distinction illicite) et l’article 14 (harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite, en l’occurrence, pour toute question relative à l’emploi : alinéa c)). Considérant les allégations de M. Blackbird, les motifs de distinction illicite étaient ceux qui sont fondés sur la race, la nationalité ou l’origine ethnique (LCDP, paragraphe 3(1)).

[12]  Les faits ne sont pas contestés avec véhémence. Les parties sont complètement en désaccord sur la façon dont l’enquêtrice et la CCDP auraient dû tenir compte de ces faits.

[13]  M. Blackbird croit sincèrement avoir fait l’objet d’un traitement différentiel défavorable et de discrimination, en grande partie parce qu’il n’est pas issu des Cris de Maskwacis et qu’il est à moitié caucasien. Dans sa plainte initiale et dans les observations présentées à CCDP au sujet du rapport de l’enquêtrice, il a fourni plusieurs exemples de ce qu’il considère comme un mauvais traitement. Il a contesté le traitement et l’analyse de ses plaintes par l’enquêtrice.

[14]  MHS affirme que M. Blackbird a été congédié à cause de son insubordination après avoir reçu des avertissements. Elle affirme également qu’il n’a pas fourni de preuve du lien entre les présumées mesures discriminatoires prises et un motif de distinction illicite, en vertu de la LCDP.

[15]  L’enquêtrice a examiné les pièces figurant déjà au dossier, ainsi que les observations présentées par chacune des parties. Par ailleurs, elle a interrogé certains employés actuels et passés de MHS, notamment : M. Blackbird, Lori Ward (directrice du personnel), Randy Littlechild (directeur exécutif), Tammy Crane-Johnston (directrice des transports), Andy Neposse (doyen et chauffeur chez MHS), Luna Lldzi (chauffeur chez MHS, membre d’une des Premières nations en Colombie-Britannique et non issu des Cris), Mark Graham (ancien chauffeur chez MHS, qui est caucasien), et Henry Shawanda (chauffeur chez MHS, membre d’une des Premières nations en Ontario (Première nation Wikwemikong, Manitoulin)).

[16]  L’enquêtrice a précisé que les questions qu’elle devait trancher étaient celles de savoir si MHS n’a pas veillé à ce que l’environnement de travail soit exempt de harcèlement, a traité M. Blackbird différemment et de façon défavorable dans le cadre de son emploi, et s’il avait été congédié en raison de sa race, de sa nationalité ou de son origine ethnique. Elle a ensuite identifié des mesures et des considérations supplémentaires à l’égard de chacun de ces motifs.

[17]  Dans le rapport de l’enquêtrice, la plainte de M. Blackbird s’est articulée autour de trois volets, à savoir : le présumé harcèlement, le présumé traitement différentiel, et le présumé congédiement. Elle a indiqué que la période en cause va de février 2014 à octobre 2014.

[18]  L’enquêtrice s’est engagée dans un processus en deux étapes. Premièrement, elle a déterminé si les actes reprochés ont eu lieu et s’ils étaient liés à un motif de distinction illicite (ainsi que d’autres critères qui variaient selon celle des trois allégations qui était examinée). Une fois la première étape franchie, l’enquêtrice a examiné les agissements de MHS (par exemple si MHS avait été informée par M. Blackbird — ou si MHS avait par ailleurs été informée ou aurait dû avoir connaissance — de ces actes et, si MHS pouvait fournir une explication raisonnable concernant ses agissements).

[19]  À maintes reprises, l’enquêtrice a conclu que les actes à l’origine des plaintes de M. Blackbird ont eu lieu. Toutefois, au bout du compte, après avoir examiné et exposé les éléments de preuve, l’enquêtrice a conclu qu’aucune des allégations de M. Blackbird n’était fondée.

[20]  En ce qui concerne les allégations de harcèlement, l’enquêtrice a décidé que MHS avait agi de façon appropriée et traité les incidents qui ont justifié la prise de mesures. De même, elle a conclu qu’en ce qui concerne les allégations de traitement différentiel, MHS n’a fait que suivre ses politiques et aurait réagi de la même manière envers tout employé. Enfin, pour ce qui est du congédiement de M. Blackbird, l’enquêtrice a estimé que MHS a donné une explication raisonnable à ses agissements.

[21]  En raison de ses conclusions, l’enquêtrice a indiqué à la CCDP qu’une enquête plus approfondie n’était pas nécessaire.

III.  La décision de la CCDP

[22]  Dans sa décision du 3 février 2017, la CCDP a rejeté la plainte en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la LCDP [la décision] qui prévoit que la CCDP « rejette la plainte […] si elle est convaincue […] que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié ».

[23]  Pour parvenir à cette décision, la CCDP a examiné le rapport élaboré par l’enquêtrice, ainsi que les documents fournis par la partie demanderesse et la partie défenderesse, en réponse à ce rapport et à la plainte initiale de la partie demanderesse.

[24]  Les observations du demandeur à la CCDP, en réponse au rapport, représentent 7 pages et abordent une vaste gamme de sujets. Bien qu’il trouve à redire sur les éléments de preuve en général, M. Blackbird a essentiellement soumis des arguments comme suit :

  • - le rapport ne reflétait pas tous les documents soumis;

  • - la défenderesse et son avocat ont menti;

  • - au cours de la réunion du 29 septembre 2014, on s’était adressé à lui comme à un enfant, et les commentaires faits à son endroit étaient des remarques déplacées à caractère sexuel;

  • - l’enquêtrice était partiale.

  • - l’enquêtrice a déclaré à tort qu’ils ont essayé la médiation par la CCDP.

IV.  Dispositions législatives applicables

[25]  Les critères de rejet d’une plainte par la CCDP sans renvoi au Tribunal sont énoncés à l’alinéa 44(3)b) de la LCDP :

44 (3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

[...]

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

44 (3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

...

b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied:

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

 

V.  Questions

[26]  M. Blackbird a fait de nombreuses allégations. Les deux questions à trancher sont celles de savoir si la décision a été rendue d’une manière inéquitable sur le plan de la procédure et, si celle-ci est déraisonnable.

[27]  M. Blackbird soutient que l’enquêtrice et, par conséquent, la CCDP, ont mal géré et mal apprécié les éléments de preuve qu’il a fournis. Les cas qu’il invoque en sa faveur sont par exemple :

  • - l’enquêtrice a modifié son congé pour cause de stress de deux semaines, en congé de maladie de deux jours;

  • - l’enquêtrice était partiale, vu qu’elle a pris le parti de MHS et n’a pas correctement traité les points suivants :

    • § la réunion du 29 septembre 2014, lors de laquelle il affirme avoir été harcelé sexuellement

    • § son congédiement

    • § son allégation selon laquelle MHS a menti à l’enquêtrice au sujet de ce qui s’est passé lors de la réunion et selon laquelle l’enquêtrice était partiale

    • § la façon dont la plainte de harcèlement sexuel vis-à-vis de M. Blackbird a été traitée par MHS

    • § le harcèlement dont a été victime M. Blackbird de la part des autres employés, du fait de son non appartenance à la communauté Crie

    • § le traitement défavorable qu’il a subi

[28]  M. Blackbird affirme en outre que l’enquêtrice a commis des erreurs de fait en déclarant notamment à tort que les parties ont participé à un processus de médiation.

[29]  Je n’entends pas me pencher sur l’erreur incontestée commise par l’enquêtrice en affirmant à tort que les parties ont participé à un processus de médiation. Cette déclaration erronée n’a eu aucun impact sur la conclusion de l’enquêtrice à propos du bien-fondé des plaintes de M. Blackbird. Elle ne rend pas le rapport lui-même déraisonnable ou inéquitable sur le plan procédural.

[30]  Les questions d’équité procédurale et relatives au caractère raisonnable de la décision soulevées par M. Blackbird sont étroitement liées. Après examen des faits et des arguments présentées par les parties, il ressort que l’analyse des événements en question ne s’accorde pas facilement avec les questions relatives au caractère raisonnable de la décision ou d’équité procédurale. Elles seront donc considérées comme applicables, dans le cadre de l’analyse de chacun des motifs principaux identifiés par M. Blackbird.

VI.  Norme de contrôle

[31]  La question de savoir si, par sa décision, la CCDP a enfreint les principes de l’équité procédurale est revue selon la norme de la décision correcte : Ritchie c Canada (AG), 2017 CAF 114, au paragraphe 16, 19 Admin LR (6e) 177 [Ritchie]. Le contrôle selon la norme de la décision correcte, en vue de déterminer si l’enquête elle-même était suffisamment approfondie, peut nécessiter une certaine retenue envers le jugement de la CCDP, fondé sur les faits : Bergeron c Canada (AG), 2015 CAF 160, au paragraphe 69, 99 Admin LR (5e) 1; voir également l’arrêt Ritchie, au paragraphe 44.

[32]  Les conclusions de fait et l’exercice par la CCDP de son pouvoir discrétionnaire d’annuler une plainte, au motif qu’elle ne nécessite pas une enquête approfondie, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Toutefois, la gamme des issues possibles acceptables pourrait avoir une portée plus réduite lorsque le résultat, comme dans le présent cas, est qu’on ne donnera pas de suite à une plainte et que l’affaire est classée : Attaran c Canada (Procureur général), 2015 CAF 37, au paragraphe 14, 380 DLR (4e) 737.

[33]  Le caractère raisonnable d’une décision tient principalement à la justification de celle-ci, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, 2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]. Essentiellement, « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables. » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Newfoundland and Labrador (Conseil du Trésor) 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708 [Je souligne]

[34]  Lorsqu’elle détermine le caractère raisonnable d’une décision, la Cour est consciente du fait que la CCDP tient lieu de mécanisme d’examen préalable pour le tribunal. À cet égard, une décision rendue par la CCDP ne sera pas infirmée « uniquement parce qu’elle aurait pu en arriver à une conclusion différente eu égard à la preuve. La Cour n’a pas à analyser à la loupe le rapport de l'enquêteur ou à reprendre son travail » : Abi-Mansour c Canada (Agence du revenu du Canada), 2015 CF 883, au paragraphe 21, 257 ACWS (3e) 415.

VII.  Discussion

A.  Contexte

(1)  Règles de droit applicables

[35]  Étant donné que la CCDP n’a pas fourni de motifs supplémentaires dans la lettre de refus, le rapport de l’enquêtrice constitue les motifs à l’appui de sa décision préliminaire : Canada (AG) c Sketchley, 2005 CAF 404, au paragraphe 37, [2006] 3 RCF 392 [Sketchley].

[36]  Dans le cadre d’un contrôle fondé sur la norme de la décision raisonnable, le rapport de l’enquêtrice ne sera pas jugé déraisonnable en raison d’erreurs, à moins que les erreurs d’enquête « soient à ce point fondamentales que les observations complémentaires présentées à la CCDP par les parties ne puissent y remédier » : Sketchley, au paragraphe 38.

[37]  En ce qui concerne l’allégation de M. Blackbird selon laquelle le rapport ne rendait pas compte de tous les documents transmis à l’enquêtrice, celle-ci n’est pas tenue de faire référence à chaque document ou élément de preuve, à moins que ce dernier soit important ou crucial et puisse avoir une incidence sur l’issue de l’affaire. [traduction] « Des faits inexacts ou confus, qui sont sans conséquence pour déterminer si des actes discriminatoires ont effectivement eu lieu, ne peuvent pas, à eux seuls, amener à conclure que la décision est déraisonnable [Références omises] » : Ritchie, au paragraphe 30.

(2)  Position de M. Blackbird

[38]  Les questions soulevées par M. Blackbird dans la présente demande sont pratiquement les mêmes que celles qu’il a présentées à la CCDP. Je vais donc tenir compte des exemples qu’il a soumis à la CCDP, ainsi que de ses déclarations lors de l’audience. Ce faisant, je conviens que MHS fait valoir que, lorsque la CCDP a entériné la recommandation contenue dans le rapport de l’enquêtrice, elle avait déjà reçu et est présumée avoir tenu compte des observations de M. Blackbird.

[39]  Dans une large mesure, les observations présentées par M. Blackbird traduisent un désaccord avec les conclusions de fait tirées par l’enquêtrice. À son avis, il a subi un traitement différentiel parce qu’il est à moitié caucasien et n’est pas issu des Cri de Maskwacis. En particulier, il n’est pas d’accord avec la façon dont l’enquêtrice a évalué la preuve, ni avec ses conclusions selon lesquelles MHS ne lui a pas infligé un traitement différentiel, et n’a pas failli à son devoir d’empêcher que ses employés aient un comportement discriminatoire envers lui. Il allègue que ses conclusions attestent de sa partialité à son égard.

[40]  L’enquêtrice a bel et bien relevé à plusieurs reprises que le comportement à propos duquel M. Blackbird s’est plaint a eu lieu. Cependant, elle a également conclu qu’aucun élément de preuve n’étayait la thèse selon laquelle M. Blackbird subissait personnellement un préjudice du fait de ce comportement. À mon sens, compte tenu des éléments de preuve, ces conclusions, dont certaines sont analysées plus bas, étaient raisonnables et n’ont pas été formulées contrairement à l’équité procédurale.

B.  La note relative au congé pour stress de deux semaines 

[41]  La première observation soumise à la CCDP consistait à souligner que l’enquêtrice a minimisé le congé pour stress de deux semaines de M. Blackbird en indiquant plutôt qu’il s’agissait d’un congé maladie de deux jours. En effet, le congé pour stress auquel M. Blackbird fait référence n’est pas identifié en tant que tel dans la lettre du médecin qu’il a fournie. Cette lettre indique uniquement que l’état de santé de M. Blackbird a été évalué et qu’il est incapable de travailler à cause de la maladie/blessure dont il a souffert entre le 12 et le 26 septembre 2014. L’enquêtrice a eu raison d’évoquer une note médicale pour congé de maladie de deux semaines, plutôt qu’un congé pour stress.

[42]  Rien n’indique que l’enquêtrice s’était trompée au sujet de la différence entre un congé maladie de deux semaines et un congé pour stress distinct (30 septembre 2014). Elle n’a pas minimisé le congé maladie de deux semaines, puisqu’elle le mentionne au paragraphe 99 de son rapport. L’enquêtrice fait remarquer que M. Blackbird s’est absenté du travail entre le 12 et le 26 septembre 2014. Elle n’a pas, selon ce qu’il prétend, confondu cette période avec la période de congé distincte de deux jours, à laquelle elle fait référence au paragraphe 61 de son rapport.

C.  La réunion du 29 septembre

[43]  M. Blackbird se plaint à propos de plusieurs incidents spécifiques survenus au cours de la réunion du 29 septembre 2014. Trois de ces incidents sont analysés dans la présente partie.

(1)  L’allégation de harcèlement sexuel de M. Blackbird au cours de la réunion

[44]  M. Blackbird soutient que l’enquêtrice a fait abstraction des cas de harcèlement sexuel survenus au cours de la réunion du 29 septembre. À l’appui de sa thèse, M. Blackbird a fourni à l’enquêtrice une transcription partielle de l’enregistrement audio qu’il a effectué au cours de la réunion du 29 septembre.

[45]  Il ressort clairement d’un examen de la transcription de la réunion effectuée par M. Blackbird, que les propos, bien qu’immodérés, ne sauraient être considérés comme du harcèlement sexuel. Il faisait en fait référence aux propos tenus par la directrice des transports et le directeur exécutif au cours de cette réunion, concernant les plaintes reçues contre M. Blackbird. Ces propos ont été tenus au cours d’une discussion au sujet des plaintes de harcèlement sexuel à son endroit. Au regard du contexte, les exemples s’inscrivaient dans un effort d’expliquer à M. Blackbird le processus qu’il était tenu de suivre pour répondre aux plaintes.

[46]  Dans son rapport, l’enquêtrice a conclu que la transcription fournie par M. Blackbird ne révélait pas que les propos tenus au cours de la réunion du 29 septembre répondaient à la définition de harcèlement, en vertu de la LCDP. J’ai examiné la transcription de la réunion et je suis d’accord avec l’enquêtrice pour avoir écarté les éléments de preuve fournis par M. Blackbird.

(2)  Enquête relative au congédiement de M. Blackbird

[47]  L’enquêtrice a reconnu que M. Blackbird a été congédié le 7 octobre 2014. M. Blackbird a estimé que c’est parce qu’il n’est pas issu des Cris de Maskwacis et est à moitié caucasien. MHS a nié que tel était le motif du congédiement.

[48]  L’enquêtrice a exigé de MHS que soit fournie une explication raisonnable quant au congédiement de M. Blackbird, à savoir qu’il ne s’agissait pas d’un prétexte lui permettant de poser des gestes discriminatoires fondés sur des motifs de distinction illicite.

[49]  MHS a fourni sa politique relative à la discipline/de révocation à l’enquêtrice, ainsi que les documents révélant les mesures disciplinaires préalablement prises à l’encontre de M. Blackbird. Il s’agissait notamment d’un avertissement verbal datant du 2 juillet 2013 (omission d’aller chercher un client, impolitesse envers les clients, conduite non sécuritaire), d’un avertissement écrit datant du 24 septembre 2013 (non-respect des procédures d’approbation préalable des achats, absence à une réunion obligatoire, omission d’aller chercher un client, conduite non sécuritaire), et d’un avertissement écrit datant du 29 septembre 2014 (non-respect des directives reçues du directeur exécutif, non-respect des procédures de demande d’entretien des véhicules), et à un moment donné, d’une suspension qui, comme nous le verrons plus loin, a été annulée au cours de la réunion. Dans le dernier cas, M. Blackbird a été averti qu’en cas d’autres infractions, il serait congédié.

[50]  MHS a affirmé à l’enquêtrice que, moins de deux semaines après la réunion du 29 septembre, M. Blackbird a refusé de conduire trois véhicules et les a mis hors service. M. Littlechild a déclaré que, dans ces cas, M. Blackbird mettait les véhicules sur vérins afin de les inspecter, et retirait les pièces qui selon lui n’étaient pas conformes aux normes de sécurité. MHS a fourni à l’enquêtrice des éléments de preuve attestant du fait que les véhicules ne présentaient aucun défaut.

[51]  MHS a déclaré à l’enquêtrice que l’incident qui a entraîné l’émission d’une lettre de congédiement, lorsque M. Blackbird a mis un véhicule hors service à Edmonton, est la goutte qui a fait déborder le vase. Il a insisté sur le fait que ce véhicule n’était pas en état de circuler, qu’il fallait qu’on vienne les chercher le client et lui, et que le véhicule soit remorqué. Les deux personnes qui sont allées récupérer le véhicule ont estimé qu’il n’était pas nécessaire de le remorquer. Ils l’ont ramené à MHS et, même s’il était en état de circuler, des réparations ont été effectuées plus tard durant le mois.

[52]  L’enquêtrice a conclu que M. Blackbird avait reçu plusieurs avertissements verbaux et écrits pour n’avoir pas respecté la procédure adéquate de demande de réparations, et que MHS n’a fait qu’appliquer sa politique disciplinaire en le congédiant. Elle a conclu que MHS avait fourni une explication raisonnable à ses actes et qu’il ne s’agissait pas d’un prétexte lui permettant de poser des gestes discriminatoires fondés sur des motifs de distinction illicite.

[53]  Face aux allégations non fondées de M. Blackbird selon lesquelles son congédiement résultait de, ou était renforcé par, son origine ethnique et son statut racial, l’enquêtrice disposait de documents écrits attestant de son manquement à la discipline progressive, et du fait qu’il avait été préalablement averti qu’il serait congédié s’il ne changeait pas d’attitude. À la question de savoir si ces éléments suffisaient à justifier le congédiement, dans le cadre d’une poursuite engagée pour congédiement injuste, il suffisait de fournir suffisamment de pièces justificatives pour que l’enquêtrice puisse raisonnablement tirer les conclusions figurant dans son rapport, et que la CCDP s’en remettre à ces conclusions, en dépit des critiques de M. Blackbird.

(3)  Allégation selon laquelle MHS a menti à l’enquêtrice et selon laquelle celle-ci était partiale contre M. Blackbird

[54]  M. Blackbird prenait très à cœur son allégation selon laquelle MHS a menti à l’enquêtrice. Sa conviction que cela est arrivé peut également expliquer son allégation selon laquelle l’enquêtrice était partiale lorsqu’elle a tiré des conclusions quant à la crédibilité.

[55]  L’incident auquel M. Blackbird fait référence est la suspension de deux semaines dont il avait initialement fait l’objet lors de la réunion du 29 septembre, mais qui a été annulée avant la fin de cette réunion. Il a déclaré que cet exemple attestait de la malhonnêteté de MHS car cette information a été fournie à l’enquêtrice, sans préciser que la suspension était annulée. Il déclare par ailleurs que l’enquêtrice a accepté à tort l’explication de MHS selon laquelle, même si la suspension n’était plus valable à la fin de la réunion du 29 septembre, M. Blackbird avait reçu un avertissement. En outre, il soutient que l’omission de l’enquêtrice d’écouter l’enregistrement audio de cette réunion (qu’il prétend avoir mis à sa disposition sur une clé USB), est un exemple de manquement à l’équité procédurale.

[56]  Le dossier certifié du tribunal, transmis par la CCDP, ne comporte pas la clé USB que M. Blackbird a affirmé avoir envoyée à l’enquêtrice. Toutefois, la transcription faite par M. Blackbird confirme que, contrairement à son allégation selon laquelle MHS a menti ou a été malhonnête, elle a modifié la sanction prononcée contre lui. À un moment donné au cours de la réunion, il a été demandé à M. Blackbird de quitter la pièce. À son retour, il a été informé de l’annulation de la suspension de deux semaines. Compte tenu de ce témoignage, il n’était pas déraisonnable que l’enquêtrice retienne la version des faits présentée par MHS, selon laquelle M. Blackbird a reçu un avertissement au cours de la réunion du 29 septembre (comme l’indique le rapport disciplinaire daté et signé le 29 septembre, bien qu’il n’ait pas été signé par M. Blackbird). Cela n’atteste pas non plus, à mon avis, de la partialité ou d’un quelconque manquement à l’équité procédurale par l’enquêtrice.

D.  Les plaintes de harcèlement sexuel contre M. Blackbird

[57]  En septembre 2014, deux allégations verbales distinctes de harcèlement sexuel ont été faites contre M. Blackbird. Cela s’est produit à quelques semaines d’intervalle. L’une des plaintes provient d’un client qui, d’après M. Blackbird, lui envoyait des messages textes comportant des propos inappropriés. L’autre plainte, selon M. Blackbird, ne provenait pas d’un client, mais plutôt d’une personne se faisant passer pour [traduction] « quelqu’un d’autre ».

[58]  M. Blackbird a répondu à la première plainte en fournissant des exemples de propos et photos déplacés qu’il a reçus sur son téléphone portable professionnel. Il a également affirmé qu’il ne connaissait pas la personne à l’origine de la seconde plainte. Bien que le directeur exécutif le lui ait demandé, M. Blackbird n’a pas fourni plus de détails au sujet de la plainte que ceux précédemment mentionnés, et n’a pas fourni des réponses écrites au directeur exécutif.

[59]  M. Blackbird, quant à lui, se plaint à la CCDP d’avoir été harcelé lorsque ses superviseurs lui ont demandé au cours de la réunion du 29 septembre 2014, premier jour de son retour au travail, de répondre à la plainte verbale et à la plainte pour usage de faux.

[60]  M. Littlechild a déclaré à l’enquêtrice que MHS a vérifié que M. Blackbird avait conduit la cliente qui a déposé la première plainte, le jour où elle affirme que l’incident est survenu. M. Littlechild a demandé tant à la plaignante qu’à M. Blackbird, de soumettre une plainte écrite et une réponse écrite respectivement, mais n’a reçu ni l’une ni l’autre. Après réception de la deuxième plainte, M. Littlechild a demandé à rencontrer M. Blackbird qui était en congé de maladie à ce moment. Cette réunion s’est donc tenue le premier jour où M. Blackbird a repris le travail.

[61]  Pour ce qui est des deux plaintes, M. Blackbird a soutenu que ses superviseurs et dirigeants n’avaient aucunement le droit de l’interroger à propos de la première plainte (puisqu’une plainte écrite n’avait pas été fournie) ou de la deuxième plainte (puisqu’il y avait usage de faux), et que le faire relevait du harcèlement.

[62]  L’enquêtrice a examiné ses discussions avec M. Blackbird et M. Littlechild, la transcription de la réunion du 29 septembre, faite par M. Blackbird, et la politique de MHS sur l’utilisation du téléphone portable/de l’ordinateur. Elle est arrivée à la conclusion que M. Littlechild jouait son rôle de dirigeant lorsqu’il a exigé une réponse écrite de M. Blackbird aux allégations graves formulées contre lui durant l’exercice de sa fonction.

[63]  L’enquêtrice a conclu que les incidents décrits par M. Blackbird relevaient des conseils prodigués ou des mesures disciplinaires prises par un superviseur. Il ne s’agissait pas de harcèlement; ces mesures relevaient de la compétence de la direction. Elle a conclu que tout employé, quelque soit sa race, sa nationalité ou son origine ethnique, aurait reçu le même traitement. Par conséquent, aucune analyse complémentaire n’était requise. Cette conclusion était raisonnable.

E.  Allégations de traitement différentiel et de harcèlement par d’autres employés

[64]  Comme cela a été précédemment mentionné, l’une des plaintes principales de M. Blackbird était le fait d’être traité différemment parce qu’il n’est pas issu des Cris de Maskwacis et est à moitié caucasien. Il affirme avoir été victime de harcèlement pour la même raison.

(1)  Utilisation du terme Mooniyaw ou Moonias

[65]  M. Blackbird allègue que les termes « Mooniyaw », et « Moonias » étaient désobligeants et étaient utilisés à plusieurs reprises lors de réunions formelles et de conversations informelles. L’enquêtrice a conclu qu’il s’agissait d’une allusion gênante liée à un motif de distinction illicite.

[66]  Elle a par ailleurs conclu qu’au vu des informations qu’elle avait reçues, il ne semble pas que le terme Mooniyaw soit désobligeant. L’enquêtrice a examiné le fait que M. Blackbird a entendu ce terme pour la première fois lors d’une retraite en février 2014, et que M. Graham l’a entendu deux fois en un an, une fois provenant d’un client. Elle a également constaté que M. Blackbird trouvait ce terme inacceptable.

[67]  MHS a affirmé que le terme Mooniyaw et ses variantes servaient à décrire une personne de race blanche, à saluer, et n’étaient pas désobligeants. La majorité des témoins interrogés par l’enquêtrice ont affirmé que ce terme était utilisé pour décrire une personne de race blanche.

[68]  Pour déterminer si l’utilisation du terme Mooniyaw ou Moonias a eu un effet préjudiciable sur l’environnement de travail de M. Blackbird ou a eu des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour lui, l’enquêtrice a examiné les évaluations du rendement de M. Blackbird. Elle a conclu qu’il n’y a pas eu des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour M. Blackbird, après qu’il s’est opposé à l’utilisation de ces termes. L’utilisation de ces termes n’a pas eu un effet préjudiciable sur M. Blackbird, ni sur son travail.

[69]  Compte tenu de ces conclusions, l’enquêtrice a estimé qu’il n’était pas nécessaire de passer à l’étape suivante, à savoir déterminer si MHS a pris les mesures nécessaires. Cette conclusion découle naturellement des éléments de preuve; elle est raisonnable.

[70]  Cependant, M. Blackbird a évoqué auprès de la CCDP et dans sa demande, le fait que l’enquêtrice n’a pas posé de questions précises sur l’emploi du terme « Mooniyaw Squasies » qui d’après lui signifie [traduction] « petites filles blanches ». Il affirme que, mise dans son contexte, cette expression est offensante lorsqu’elle est régulièrement employée au bureau.

[71]  La plainte initialement adressée par M. Blackbird à la CCDP faisait référence à l’utilisation de l’expression « Mooniyaw Squasies » lors de la retraite du personnel, lorsque M. Nepoose a affirmé que c’est ainsi qu’il appelait les filles du bureau parce qu’elles ne parlaient pas leur langue crie. À cet égard, la plainte ne portait pas sur le traitement de M. Blackbird. Cependant, c’était un exemple de langage qu’il ne trouvait pas approprié au lieu de travail.

[72]  La CCDP n’était pas convaincue qu’il fallait infirmer le rapport de l’enquêtrice sur ce fondement, et moi non plus. Il ne s’agit pas d’un vice fondamental du genre de celui dont il est question dans Sketchley qui entraînerait le rejet du rapport de l’enquêtrice. D’ailleurs, il est possible que ce ne soit pas un vice, étant donné que d’après les observations, le terme Mooniyaw ne semble pas être désobligeant en tant que tel.

(2)  M. Blackbird n’est pas un cri et n’est pas issu de la communauté Maskwacis

[73]  M. Blackbird soutient que, parce qu’il n’est pas issu des Cris de Maskwacis, et des Premières nations qu’elle comporte, il n’est pas autorisé à participer aux réunions, ni à voter. Dans les observations qu’il a présentées à la CCDP, il mentionne que la Loi sur les Indiens est un document raciste et discriminatoire, et que le racisme et la discrimination ont été infligés aux collectivités autochtones de l’Amérique du Nord par les gouvernements coloniaux. M. Blackbird a fourni ces exemples à l’appui de son argument selon lequel les personnes vivant hors réserve ne sont pas traitées de la même manière que celles vivant dans la réserve. Par conséquent, parce qu’il n’était pas issu de la communauté Maskwacis, il recevait un traitement différentiel de la part de MHS du fait de sa race, de sa nationalité et de son origine ethnique.

[74]  Les éléments de preuve dont disposait l’enquêtrice indiquaient de manière générale la nature des employés à MHS. Il y avait environ120 employés, dont 95 % étaient des femmes. 20 à 25 employés étaient caucasiens. MHS n’est pas dirigé par des bandes; il existe un conseil d’administration distinct, même s’il est également constitué par des membres issus de la bande.

[75]  Il était raisonnable de la part de l’enquêtrice de conclure que, d’un point de vue linguistique, il n’est pas nécessaire de parler la langue crie pour travailler à MHS. Parmi les dix chauffeurs qui ont travaillé pour MHS au moment où l’enquête a été effectuée, quatre ou cinq n’appartenaient à aucune des quatre Nations cries. Il s’agit des Indiens inscrits qui appartiennent à d’autres réserves en Ontario, en Colombie-Britannique et dans les Maritimes. Sur ce fondement, 40 à 50 % des chauffeurs pourraient également avoir vécu les mêmes expériences que M. Blackbird si ses allégations selon lesquelles il a été victime de discrimination de la part de MHS, parce qu’il n’était pas issu des Cri de Maskwacis, étaient vraies. Aucun des éléments de preuve dont disposait l’enquêtrice n’attestait du fait que les autres chauffeurs faisaient l’objet de discrimination par MHS sur cette base. La seule mention d’un éventuel traitement différentiel a été faite par un chauffeur caucasien qui a affirmé avoir été désigné pour travailler sur appel lors de la Journée nationale des Autochtones. Ce chauffeur a affirmé qu’il ne pouvait qu’émettre des hypothèses quant au fait que c’est parce qu’il n’était pas un autochtone, et qu’il avait été invité à célébrer cette journée et aurait pu honorer cette invitation s’il ne recevait pas d’appels d’urgence pour aller chercher des clients.

[76]  M. Blackbird soutient que c’est également à cause de ces motifs qu’il a été congédié. Il ajoute qu’il était amené à conduire des véhicules non sécuritaires. Comme nous l’avons vu plus haut, la question de son congédiement a déjà été traitée. La question liée aux véhicules non sécuritaires est examinée ci-dessous.

[77]  M. Blackbird est convaincu qu’il a subi un mauvais traitement parce qu’il n’était pas issu de la communauté Maskwacis. Cependant, il n’a pu fournir aucune preuve à l’enquêtrice, à la CCDP, ni à la présente Cour, qu’il a fait l’objet d’un traitement différentiel ou discriminatoire sur cette base.

(3)  Harcèlement par d’autres employés

[78]  L’enquêtrice a également examiné les plaintes pour harcèlement présentées par M. Blackbird. Il a déclaré que le personnel de soutien faisait des blagues sur le fait qu’il entretenait une relation et qu’un collègue chauffeur l’a harcelé dans le parc de stationnement parce qu’il a eu vent de sa plainte au sujet de son épouse, la directrice du personnel de MHS.

[79]  L’enquêtrice a conclu que le comportement en cause a eu lieu et que M. Blackbird l’a trouvé gênant. À la question de savoir si ce comportement était lié au fait qu’il ne soit pas issu des Cris de Maskwacis, elle a cependant conclu que le personnel de soutien ne faisait que répondre aux conversations engagées par M. Blackbird. De plus, dans les déclarations écrites faites au moment où l’incident est survenu, ni M. Blackbird, ni l’autre chauffeur, n’ont fait référence au fait que M. Blackbird n’est pas issu des Cris de Maskwacis.

[80]  L’enquêtrice a conclu que M. Blackbird a déposé une plainte lors de la réunion du 29 septembre, au sujet des commentaires du personnel de soutien et que, le 30 septembre, il a déposé une plainte écrite au directeur de l’autre chauffeur, pour se plaindre de son comportement.

[81]  L’enquêtrice a conclu qu’il y avait eu harcèlement et que MHS en avait été au courant. Elle a donc examiné si MHS avait pris les mesures appropriées à la suite à ce harcèlement. Elle a conclu que la direction avait demandé aux deux chauffeurs de déposer des rapports écrits de cet incident, ce qu’ils ont fait, et ces rapports ont été conservés dans les dossiers du personnel. Elle a souligné le fait que M. Blackbird n’a pas sollicité une médiation, ni déposé un grief, pour se plaindre au sujet de ces événements.

[82]  L’enquêtrice a conclu que MHS a pris les mesures qui s’imposaient pour régler la question du harcèlement et mettre un terme à cette pratique. Cette conclusion correspond aux éléments de preuve soumis et doit être respectée.

[83]  Bien que M. Blackbird ait allégué que l’enquêtrice était partiale, il ne peut mentionner aucun exemple concret attestant de cette partialité. Il semble que cette allégation contribue à son insatisfaction générale à l’égard de ce qu’il jugeait être une omission fautive de l’enquêtrice de tenir compte des éléments de preuve et son omission de faire concorder les conclusions contradictoires et les éléments de preuve. Tel qu’indiqué plus haut, l’enquêtrice a justifié ses conclusions dans le rapport. Elle a certes constaté que certains des agissements dont M. Blackbird s’est plaint, notamment l’utilisation du terme Mooniyaw, ont eu lieu, cependant elle a également conclu qu’il n’était pas désobligeant. Il n’existait aucun élément de preuve pour étayer l’allégation de M. Blackbird selon laquelle l’enquêtrice était partiale.

(4)  Plainte de harcèlement de M. Blackbird contre ses dirigeants

[84]  Le 17 septembre 2014, M. Blackbird a déposé une plainte écrite de harcèlement contre MHS, alléguant, entre autres, qu’il avait subi un traitement différentiel défavorable de la part de la direction (directeur exécutif, M. Littlechild, et la directrice des transports, Mme Crane‑Johnston). La teneur de la plainte déposée auprès de la CCDP avait trait au fait que, pendant que M. Blackbird était en congé de maladie, MHS n’a pas suivi sa propre politique, à savoir mener des enquêtes et résoudre cette plainte de harcèlement.

[85]  Pendant son enquête, l’enquêtrice a examiné la politique de MHS relative aux procédures de traitement des plaintes, ainsi que la lettre rédigée par la directrice du personnel le 6 octobre 2014, en réponse à la plainte de M. Blackbird datant du 17 septembre 2014. Dans la lettre rédigée par la directrice du personnel, il a été constaté qu’un rendez-vous pour discuter de la plainte de M. Blackbird avait été fixé pour le 1er octobre cependant, M. Blackbird était en congé et devait revenir le 6 octobre.

[86]  L’enquêtrice a estimé que MHS avait suivi ses politiques et ne traitait pas M. Blackbird de manière défavorable sur la base de sa race, de sa nationalité ou de son origine ethnique. Elle a conclu que MHS aurait appliqué cette politique de la même manière avec tout employé et qu’il n’était pas nécessaire de prendre d’autres mesures pour instruire cette plainte.

[87]  Compte tenu des éléments de preuve dont disposait l’enquêtrice, il était raisonnable de tirer cette conclusion.

F.  Allégations de traitement différentiel défavorable par l’employeur

(1)  Assignation de véhicules non sécuritaires à M. Blackbird

[88]  M. Blackbird a prétendu que des véhicules non sécuritaires et en mauvais état lui étaient assignés. Après avoir discuté de la question avec M. Blackbird et la direction de MHS, l’enquêtrice a conclu que rien ne justifiait la plainte de M. Blackbird. Elle a constaté que de nouveaux véhicules avaient été assigné à M. Blackbird et à deux autres chauffeurs en 2013, au même moment. L’enquêtrice a aussi relevé qu’avant septembre 2014, M. Blackbird n’avait soulevé aucune question de fond quant aux assignations de véhicules ou aux réparations et à l’entretien.

[89]  Les documents fournis par MHS ont révélé qu’en septembre et octobre 2014, les trois véhicules assignés à M. Blackbird et dont il s’est plaint, ont été substitués par des véhicules de remplacement. Cela signifie que M. Blackbird n’avait pas à conduire le véhicule dont il se plaignait et que des réparations pouvaient être effectuées si nécessaire. L’enquêtrice a par ailleurs conclu que d’après les éléments de preuve, si aucun véhicule n’était mis à la disposition de M. Blackbird, il serait mis en congé payé.

[90]  Après avoir examiné ces éléments de preuve, l’enquêtrice a conclu qu’elle n’avait pas besoin d’envisager d’autres mesures dans le cadre de l’enquête sur cette plainte, et que cette conclusion était raisonnable.

(2)  Demande de participer à une réunion alors qu’il était en congé de maladie

[91]  M. Blackbird a affirmé qu’alors qu’il était en congé de maladie, on lui a demandé d’assister à une réunion avec M. Littlechild. Par la suite, il devait rencontrer M. Littlechild le 29 septembre, premier jour de son retour au travail.

[92]  MHS a affirmé avoir demandé que la réunion se tienne ce jour parce que c’était le premier jour du retour de M. Blackbird au travail, et ils avaient reçu la seconde plainte de harcèlement sexuel contre M. Blackbird. La direction voulait donc aborder cette question parce qu’elle était grave. M. Littlechild a déclaré à l’enquêtrice qu’il avait également sollicité une rencontre avec M. Blackbird à propos de ces plaintes.

[93]  L’enquêtrice a conclu que cet incident avait eu lieu, mais que MHS aurait réagi de la même manière avec tout employé à la suite des allégations d’inconduite. Rien, dans le dossier, n’indique que cette conclusion était déraisonnable ou qu’elle est fondée sur une quelconque partialité de l’enquêtrice.

VIII.  Résumé et conclusion

[94]  Comme nous l’avons déjà dit, la CCDP a rejeté la plainte de M. Blackbird, sans motifs additionnels, après avoir reçu les observations sur le rapport, de la part des deux parties. M. Blackbird n’a pas démontré qu’il était déraisonnable de conclure au rejet de la plainte.

[95]  L’enquêtrice n’est pas tenue en vertu de la loi de mentionner chaque élément de preuve qu’elle a examiné. En conséquence, toute omission de mentionner un document examiné ou un argument qui lui a été présenté n’a pas pour effet de rendre le rapport déraisonnable, à moins qu’un élément de preuve crucial qui aurait mené à une autre conclusion ait été omis. L’examen du dossier ne révèle aucune omission de ce genre.

[96]  La conclusion de l’enquêtrice selon laquelle MHS a fourni une explication raisonnable au congédiement de M. Blackbird est en soi une conclusion raisonnable. À mon avis, l’enquêtrice a raisonnablement conclu, au vu des éléments de preuve dont elle disposait, que M. Blackbird n’a pas suivi les politiques et procédures de MHS, et qu’il avait précédemment reçu des avertissements verbaux et écrits. Sa conclusion selon laquelle son congédiement n’était pas un prétexte permettant de poser des gestes discriminatoires fondés sur des motifs de distinction illicite, appartenait aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Dans le même ordre d’idée, lorsque la CCDP est parvenue à la même conclusion après la réception et l’examen du rapport de l’enquêtrice, en même temps que les observations des parties à propos du rapport, cette décision appartenait aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[97]  La Cour d’appel fédérale a établi que, pour déterminer la portée d’une enquête, il faut concilier les intérêts d’un plaignant avec les ressources limitées mises à la disposition de la CCDP :

[39] Tout contrôle judiciaire d’une procédure de la Commission doit reconnaître que l’organisme est maître de son processus et doit lui laisser beaucoup de latitude dans la façon dont il mène ses enquêtes. Une enquête portant sur une plainte concernant les droits de la personne ne doit pas être astreinte à une norme de perfection. Il n’est pas nécessaire de remuer ciel et terre. Les ressources de la Commission sont limitées et son volume de travail est élevé. Celle‑ci doit alors tenir compte des intérêts en jeu : ceux des plaignants à l’égard d’une enquête la plus complète possible et l’intérêt de la Commission à assurer l’efficacité du système sur le plan administratif. [Citations omises.]

Tahmourpour c Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113, 27 Admin. L.R. (4e) 315.

[98]  Les éléments de preuve fournis, ainsi que les déclarations signées des témoins (notamment des 3 chauffeurs qui ne sont pas issus des Cris de Maskwacis), révèlent l’insuffisance des éléments de preuve permettant d’établir un lien entre un motif illicite et ce qui est arrivé au demandeur. L’enquêtrice a soupesé les éléments de preuve et a tiré un certain nombre de conclusions tantôt en faveur, tantôt en défaveur de M. Blackbird. Son enquête était détaillée et approfondie. M. Blackbird aurait préféré qu’elle affirme que les éléments de preuve étaient en sa faveur. Il justifie et explique cette issue négative par le fait que, d’après lui, l’enquêtrice doit avoir été partiale contre lui.

[99]  Le Tribunal canadien des droits de la personne a déclaré qu’une conviction ou une impression subjective d’un plaignant selon laquelle il y a eu discrimination ne constitue pas un motif suffisant :

[traduction]

La conviction ou le sentiment, peu importe si elle est profonde ou forte, que le plaignant a fait l’objet de discrimination, ne constitue pas un motif suffisant pour établir une discrimination. Il faut prouver les faits qui indiquent clairement que la personne alléguant la discrimination a fait l’objet d’un certain type de comportement déplacé fondé sur un motif illicite mentionné dans la LCDP.

McAvinn c Strait Crossing Bridge Ltd, [2001] DCDP no 36, 2001 CarswellNat 3797 (WL Can), au paragraphe 103.

[100]  Je comprends que M. Blackbird croit fermement avoir été maltraité par MHS. J’ai examiné tous les documents et les arguments présentés à l’enquêtrice, à la CCDP et à la présente Cour. Malheureusement, malgré les arguments passionnés et fougueux de M. Blackbird, je ne puis convenir avec lui que le rapport de l’enquêtrice et, par extension, la décision de la CCDP, sont à ce point viciés qu’ils sont déraisonnables, tel que cela est défini en droit, ou ont été obtenus d’une manière inéquitable sur le plan de la procédure.

[101]  À son crédit, M. Blackbird a reconnu, lorsque cela lui a été demandé lors de l’audition de la présente demande, qu’il ne pouvait pas établir un lien entre ses allégations d’inconduite de la part de MHS et un motif illicite en vertu de la LCDP. Il a par ailleurs reconnu qu’il aurait peut‑être dû intenter une action pour congédiement injustifié. Il sait que la Cour ne peut pas se pencher sur cette question.

[102]  J’estime que l’enquêtrice a mené une enquête approfondie. Elle a interrogé huit personnes, examiné de nombreux documents, reçu des observations écrites des parties et expliqué ses conclusions de façon assez détaillée. Après avoir reçu d’autres observations de M. Blackbird et de MHS, la CCDP a convenu avec sa recommandation. En définitive, le processus décisionnel était intelligible, justifié et transparent. L’issue fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, comme l’exige l’arrêt Dunsmuir. Cela implique que la décision est raisonnable.

[103]  Pour tous les motifs ci-dessus, la demande est rejetée. Bien que MHS sollicite les dépens, je refuse de les accorder dans la présente affaire.


JUGEMENT DANS T-337-17

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée, sans dépens.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-337-17

 

 

INTITULÉ :

HAROLD BLACKBIRD c MHS MASKWACIS HEALTH SERVICES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 janvier 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 mars 2018

COMPARUTIONS :

M. Harold Blackbird

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Mme Leah M. McDaniel

 

Pour le dÉfendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Field LLP

Edmonton (Alberta)

 

Pour le dÉfendeur

 

 

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