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Date : 20180315


Dossier : IMM-3200-17

Référence : 2018 CF 302

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 mars 2018

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

PAULO CESAR CANO GRANADOS

(ALIAS PAULO CESAR CANO)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (SAI ou la Commission) datée du 27 juin 2017 (décision). La Section d’appel de l’immigration avait rejeté l’appel du demandeur relativement à une mesure d’expulsion prise par la Section de l’immigration pour absence de compétence.

II.  RÉSUMÉ DES FAITS

[2]  Le demandeur est un résident permanent du Canada. Le 5 mai 1998, il a été reconnu coupable de voies de fait causant des lésions corporelles et il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 9 mois. Le 20 juin 2016, il a été reconnu coupable d’agression armée et il a été condamné à 64 jours de détention avant procès, déjà purgée, ce qui correspond à 96 jours d’emprisonnement, plus un autre jour d’emprisonnement.

[3]  Le 4 novembre 2016, dans un rapport établi en application du paragraphe 44(1) de la LIPR, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a fait valoir que le demandeur était visé à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Le rapport faisait référence aux déclarations de culpabilité du demandeur pour les années 2016 et 1998. Après signature du délégué du ministre, le 7 novembre 2016, l’affaire a été déférée pour enquête à la Section de l’immigration en application du paragraphe 44(2) de la LIPR.

[4]  La Section de l’immigration a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité aux termes de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR et a pris une mesure d’expulsion contre lui le 11 janvier 2017. Le demandeur a interjeté appel de la mesure d’expulsion devant la Section d’appel de l’immigration. Cependant, avant de tirer des conclusions sur le fond de l’affaire, la Section d’appel de l’immigration a invité les parties à lui faire part de leurs observations sur sa compétence pour entendre l’appel.

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[5]  La Section d’appel de l’immigration a conclu qu’elle n’a pas compétence pour entendre l’appel parce que le demandeur n’a pas démontré qu’il avait un droit d’appel dans les circonstances.

[6]  La Section d’appel de l’immigration précise que le demandeur a été déclaré interdit de territoire par la Section de l’immigration en raison de ses déclarations de culpabilité en 2016 et en 1998. Le paragraphe 64(1) de la LIPR retire tout droit d’appel à la Section d’appel de l’immigration dans les cas de grande criminalité qui répondent à la condition du paragraphe 64(2) indiquant que « [l]’interdiction de territoire pour grande criminalité vise, d’une part, l’infraction punie au Canada par un emprisonnement d’au moins six mois. » Le demandeur a été condamné à une peine d’emprisonnement de 9 mois pour sa déclaration de culpabilité en 1998.

[7]  Le demandeur a soutenu que le fait d’appliquer le paragraphe 64(2) à sa déclaration de culpabilité de 1998 contrevient à la présomption à l’encontre de la rétroactivité et il a fait valoir que les dispositions transitoires concernant le paragraphe 64(2) indiquent que le législateur ne voulait pas que la disposition s’applique de manière rétroactive ou rétrospective. La Section d’appel de l’immigration conclut toutefois que la description des dispositions transitoires fournie dans le Bulletin opérationnel 525 (Modifié) — le 10 septembre 2013 (Modifications en matière de droits d’appel à la Section d’appel de l’immigration en raison du projet de loi C-43, Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers) (Bulletin opérationnel 525) n’étaye pas l’argument du demandeur. Selon le Bulletin opérationnel 525 : « si une demande d’enquête est envoyée à la Section de l’immigration après le 19 juin 2013, avec un déféré pour enquête signée par le DM avant le 19 juin 2013, et que la personne visée avait droit d’appel en vertu du paragraphe 63(3) avant le 19 juin 2013, son droit d’appel est maintenu » [souligné dans l’original]. Le Bulletin opérationnel 525 précise en outre : « En ce qui a trait aux personnes dont l’affaire est déférée [au délégué du ministre] pour motif de grande criminalité après le 19 juin 2013, la nouvelle définition de grande criminalité telle que décrite au paragraphe 64(2) s’appliquera et elles n’ont aucun droit d’appel » [souligné dans l’original].

[8]  La Section d’appel de l’immigration a noté que le suivi en application du paragraphe 44(2) concernant le demandeur a été signé le 7 novembre 2016. Puisque cette date est postérieure au 19 juin 2013, la Section d’appel de l’immigration a conclu qu’elle n’a pas compétence pour entendre l’appel conformément aux dispositions transitoires. Si le législateur avait voulu que la Section d’appel de l’immigration conserve sa compétence pour entendre les appels à la suite de peines excédant la limite prévue, il aurait pu s’y prendre autrement, avec un libellé différent ou une disposition limitative.

[9]  La Section d’appel de l’immigration souligne également que le demandeur a présenté un argument d’abus de procédure et qu’il a raison de dire que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) avait attendu près de 19 ans pour joindre la déclaration de culpabilité de 1998 du demandeur au rapport visé au paragraphe 44(2). Toutefois, la Section d’appel de l’immigration conclut que l’affaire dont elle est saisie est une affaire n’ouvrant pas droit à appel et que le ministre n’aurait eu aucune raison de défendre pareil argument en 1998, parce que le demandeur avait effectivement droit d’appel à l’époque. La Section d’appel de l’immigration affirme que le tribunal approprié pour soulever la question de recours abusif est la Cour fédérale, et elle rejette l’appel du demandeur.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[10]  Le demandeur soutient que la présente demande soulève la question en litige suivante :

  1. La Section d’appel de l’immigration a-t-elle compétence pour entendre l’appel du demandeur relativement à la mesure d’expulsion rendue contre lui par la Section de l’immigration?

V.  NORME DE CONTRÔLE

[11]  Par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En effet, si la jurisprudence établit de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à une question particulière portée devant la cour de révision, celle-ci peut adopter cette norme. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente des principes de common law en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision doit soupeser les quatre facteurs de l’analyse de la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[12]  La norme de contrôle applicable à l’interprétation par la Section d’appel de l’immigration à l’égard de sa compétence d’entendre un appel de la Section de l’immigration est celle de la décision raisonnable. Voir l’arrêt Flore c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1098, au paragraphe 20.

[13]  Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47 et l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable, dans la mesure où elle ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. »

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[14]  Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes en l’espèce :

Restriction du droit d’appel

No appeal for inadmissibility

64 (1) L’appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l’étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l’étranger, son répondant.

64 (1) No appeal may be made to the Immigration Appeal Division by a foreign national or their sponsor or by a permanent resident if the foreign national or permanent resident has been found to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality.

Grande criminalité

Serious criminality

(2) L’interdiction de territoire pour grande criminalité vise, d’une part, l’infraction punie au Canada par un emprisonnement d’au moins six mois et, d’autre part, les faits visés aux alinéas 36(1)b) et c).

(2) For the purpose of subsection (1), serious criminality must be with respect to a crime that was punished in Canada by a term of imprisonment of at least six months or that is described in paragraph 36(1)(b) or (c).

[15]  Les dispositions suivantes de la Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers, LC 2013, c 16 (LARCE), qui est entrée en vigueur au moment de la sanction royale le 19 juin 2013 conformément à la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I-21, paragraphe 5(4), sont pertinentes dans la présente demande :

24. Le paragraphe 64(2) de la même loi est remplacé par ce qui suit :

24. Subsection 64(2) of the Act is replaced by the following:

Grande criminalité

Serious criminality

(2) L’interdiction de territoire pour grande criminalité vise, d’une part, l’infraction punie au Canada par un emprisonnement d’au moins six mois et, d’autre part, les faits visés aux alinéas 36(1)b) et c).

(2) For the purpose of subsection (1), serious criminality must be with respect to a crime that was punished in Canada by a term of imprisonment of at least six months or that is described in paragraph 36(1)(b) or (c).

Appel

Appeal

32. Le paragraphe 64(2) de la Loi, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 24, continue de s’appliquer à l’égard de quiconque avait un droit d’appel au titre du paragraphe 63(1) de cette loi avant l’entrée en vigueur de l’article 24.

32. Subsection 64(2) of the Act, as it read immediately before the day on which section 24 comes into force, continues to apply in respect of a person who had a right of appeal under subsection 63(1) of the Act before the day on which section 24 comes into force.

Appel

Appeal

33. Le paragraphe 64(2) de la Loi, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 24, continue de s’appliquer à l’égard de toute personne visée par une affaire déférée à la Section de l’immigration au titre du paragraphe 44(2) de cette loi avant l’entrée en vigueur de l’article 24.

33. Subsection 64(2) of the Act, as it read immediately before the day on which section 24 comes into force, continues to apply in respect of a person who is the subject of a report that is referred to the Immigration Division under subsection 44(2) of the Act before the day on which section 24 comes into force.

[16]  Le 18 juin 2013, le jour précédant l’entrée en vigueur de l’article 24 de la LARCE, le libellé de la LIPR était le suivant :

Droit d’appel : visa

Right to appeal — visa refusal of family class

63 (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.

63 (1) A person who has filed in the prescribed manner an application to sponsor a foreign national as a member of the family class may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision not to issue the foreign national a permanent resident visa.

Droit d’appel : mesure de renvoi

Right to appeal — removal order

(3) Le résident permanent ou la personne protégée peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l’enquête.

(3) A permanent resident or a protected person may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision at an examination or admissibility hearing to make a removal order against them.

Grande criminalité

Serious criminality

64 (2) L’interdiction de territoire pour grande criminalité vise l’infraction punie au Canada par un emprisonnement d’au moins deux ans.

64 (2) For the purpose of subsection (1), serious criminality must be with respect to a crime that was punished in Canada by a term of imprisonment of at least two years.

VII.  THÈSES DES PARTIES

A.  Demandeur

[17]  Le demandeur fait valoir que le refus de lui accorder le droit d’appel devant la Section d’appel de l’immigration est fondé sur une condamnation antérieure de plus de 15 ans à l’entrée en vigueur de la version modifiée du paragraphe 64 (2) de la LIPR, et antérieure de plus de 18 ans à la rédaction du rapport prévu à l’article 44 et au renvoi, est capricieux, arbitraire et porte atteinte à la règle de droit, la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, laquelle a été édictée comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (Royaume-Uni), 1982, c 11 (Charte), et la Déclaration canadienne des droits, SC 1960, c 44. Le demandeur soutient que cette interprétation et cette application de la LIPR ressemblent à un recours abusif et violent la présomption de non-rétroactivité ou de non-rétrospectivité des lois.

[18]  Le demandeur soutient que la présomption à l’encontre de la rétroactivité ou de la rétrospectivité des lois peut seulement être réfutée si le libellé de la loi le décrète expressément. Voir Gustavson Drilling (1964) Ltd c Ministre du Revenu national, (1975), [1977] 1 RCS 271, à la page 279, et Colombie-Britannique c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, au paragraphe 71 [Imperial Tobacco]. Le demandeur omet l’expression « ou n’exige implicitement. » En plus du libellé d’une loi, les tribunaux doivent tenir compte de l’intention du législateur pour déterminer si une loi devrait avoir un effet rétroactif. Voir Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 417, au paragraphe 33. L’examen de l’intention du législateur peut tenir compte des coûts et des iniquités qui résulteraient d’une interprétation rétrospective ou rétroactive. Voir Imperial Tobacco, précité, au paragraphe 71, et MacKenzie c Colombie-Britannique (Commissioner of Teachers’ Pensions) (1992), 94 DLR (4th) 32, à la page 540 (BCCA).

[19]  Le défendeur offre la définition suivante du terme rétrospectivité : [traduction] « Une loi rétrospective […] modifie la loi à l’égard de l’avenir seulement, mais elle jette un regard vers le passé et attache de nouvelles conséquences à l’égard d’une affaire complétée » (Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e édition. (Toronto: Butterworths, 1983), à la page 186). Il soutient qu’une disposition rétroactive est [traduction] « une disposition qui s’applique à des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi [et] modifie la loi applicable aux conduites ou événements passés; de fait, elle considère que la loi était différente de ce qu’elle était réellement » (Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e édition (Toronto: Butterworths, 1994), à la page 513). On dit par ailleurs que l’effet rétroactif [traduction] « accroît la responsabilité d’une partie à l’égard d’une conduite passée » : Landgraf c USI Film Products, 511 US 244, à la page 280 (1994). Le demandeur soutient que l’interprétation que le défendeur donne au paragraphe 64(2) de la LIPR répond à l’une ou l’autre de ces définitions.

[20]  Le demandeur mentionne que la Cour suprême du Canada, dans le récent arrêt Tran c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50 [Tran], analyse en détail la question de rétroactivité dans le contexte du droit de l’immigration. La Cour a conclu que puisque la décision de déférer l’affaire pour enquête reposait sur un rapport visant M. Tran qui « était fondé sur la prémisse d’une interprétation erronée des motifs d’interdiction de territoire en application de l’al. 36(1)a), [la] décision de déférer l’affaire ne peut être maintenue » : Tran, précité, au paragraphe 54. Ce faisant, la Cour a rejeté l’argument du ministre dans l’arrêt Medovarski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51 [Medovarski], et a conclu que « la date pertinente pour évaluer la grande criminalité dont il est question à l’al. 36(1)a) est la date de la commission de l’infraction, et non la date de la décision quant à l’interdiction de territoire » : Tran, précité, au paragraphe 42. [En italique dans l’original.]

[21]  Le demandeur soutient également que les dispositions transitoires de la LARCE devraient être interprétées d’une manière compatible avec la Charte.

[22]  Le demandeur indique que la disposition transitoire à l’article 32 de la LARCE montre que le législateur ne voulait pas que la modification au paragraphe 64(2) de la LIPR ait un effet rétroactif ou rétrospectif. L’article 32 dispose que « [le] paragraphe 64 (2) de la [LIPR], dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 24, continue de s’appliquer à l’égard d’une personne qui avait un droit d’appel au titre du paragraphe 63 (1) de la [LIPR] avant l’entrée en vigueur de l’article 24. » [Non souligné dans l’original.] Le demandeur soutient qu’il avait un droit d’appel le jour où l’article 24 est entré en vigueur et que l’intention du législateur, à l’article 32, était de marquer pour des besoins administratifs et temporels le moment où la nouvelle disposition devait entrer en vigueur.

[23]  Le demandeur soutient également que la disposition transitoire à l’article 33 de la LARCE visait peut-être à apporter une certaine clarté, mais sa référence à une affaire déférée a semé la confusion. Le demandeur soutient que le législateur n’aurait pas pu prévoir qu’un rapport pouvait être rédigé 18 ans après qu’il a été condamné et que l’absence de clarté a créé une situation absurde. Dans Tran, la Cour suprême du Canada a réitéré : « on qualifiera d’absurde une interprétation qui mène à des conséquences ridicules ou futiles, [ou] si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable » : citant Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27, au paragraphe 27. Le demandeur soutient que le temps pendant lequel un rapport est rédigé ne peut pas être un fondement équitable pour décider s’il a des droits d’appel devant la Section d’appel de l’immigration. La présomption du caractère non rétrospectif existe afin de protéger les valeurs de la primauté du droit qui garantissent aux citoyens et aux résidents du Canada une société stable, prévisible et ordonnée. Voir Tran, précité, au paragraphe 44. Le demandeur souligne également le fait que l’iniquité de l’application rétroactive des lois en matière d’immigration mine « la décision du juge chargé de la détermination de la peine qui a façonné, il y a plusieurs décennies, une peine appropriée sans savoir qu’il y aurait des conséquences additionnelles quant à la déportation » : Tran, précité, au paragraphe 45.

[24]  Le demandeur soutient que, même si l’intention du législateur était de modifier le paragraphe 64(2) de la LIPR de manière qu’il ne s’applique pas de façon rétroactive, l’interprétation technique proposée par le défendeur contourne l’intention du législateur afin de rectifier l’omission du ministre de présenter un rapport plus tôt. Le demandeur soutient que le fait de conférer ou de retirer un droit d’appel par le truchement de l’exercice arbitraire du pouvoir discrétionnaire du ministre incite à l’abus de ce pouvoir discrétionnaire, ce qui s’est produit en l’espèce.

B.  Défendeur

[25]  Le défendeur soutient que l’intention évidente du législateur était d’interdire les appels devant la Section d’appel de l’immigration découlant des affaires déférées depuis le 19 juin 2013, peu importe la date de la déclaration de culpabilité.

[26]  Le défendeur dit que le demandeur définit mal la présomption du caractère non rétroactif, car il n’y a pas d’exigence indiquant que la présomption doit être expressément réfutée par le libellé de la loi. La question est plutôt de savoir si la loi est non équivoque et si l’intention du législateur est claire. Voir Tabingo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 377, aux paragraphes 22 et 23 [Tabingo], confirmé par Austria c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 191, aux paragraphes 75 à 78. En plus, le défendeur souligne que la Cour suprême du Canada a conclu expressément que rien n’exige indiquant que les lois aient un caractère rétrospectif. Voir Imperial Tobacco, précité, au paragraphe 69.

[27]  Le défendeur précise également que le législateur « est présumé connaître parfaitement le droit existant, qu’il s’agisse de la common law ou du droit d’origine législative […] [et] il est également censé être au fait de toutes les circonstances entourant l’adoption de la nouvelle loi » : ATCO Gas & Pipelines Ltd c Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4, au paragraphe 59. La cohérence interne du régime législatif est également présumée. Voir 2747-3174 Québec Inc c Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 RCS 919, au paragraphe 207. La conformité à la Constitution est également présumée, et « lorsqu’une disposition peut être interprétée de deux manières également plausibles, il y a lieu d’adopter l’interprétation qui est conforme aux valeurs de la Charte » : Demande fondée sur l’article 83.28 du Code criminel (Re), 2004 CSC 42, au paragraphe 35. Voir aussi R c Summers, 2014 CSC 26, aux paragraphes 55 et 56.

[28]  Le défendeur soutient qu’à la lumière des présomptions susmentionnées, il faut considérer que le législateur savait qu’il supprimait les droits d’appel d’un certain nombre de résidents permanents lorsqu’il a adopté la LARCE. Le législateur savait qu’aucun délai de prescription en application de la LIPR ne s’applique quant au moment où un rapport peut être établi aux termes du paragraphe 44(1) et déféré aux termes du paragraphe 44(2) dans le cas des personnes qui peuvent interdites de territoire pour grande criminalité. Il s’ensuit que le paragraphe 64(2) doit s’appliquer à tous les cas d’interdiction de territoire pour grande criminalité qui n’ont pas été renvoyés à la Section de l’immigration avant le 19 juin 2013. Comme la Section d’appel de l’immigration l’a conclu, le législateur a choisi de ne pas appliquer le délai de prescription à la rédaction et au déféré des rapports d’interdiction de territoire pour grande criminalité. En plus, puisque le législateur a traité la question des cas transitoires en précisant que les cas renvoyés à la Section de l’immigration avant l’adoption de la version modifiée du paragraphe 64(2) ont conservé leur droit d’appel, il faut déduire de la disposition transitoire qu’il avait l’intention de refuser le droit d’appel aux personnes dont le rapport n’a pas été déféré avant le 19 juin 2013. Voir le Bulletin opérationnel 525, précité.

[29]  Le défendeur soutient que, dans l’arrêt Medovarski, la Cour suprême du Canada a rejeté l’argument de l’appelante selon lequel une modification législative qui supprime un droit d’appel enfreint la Charte. Dans l’arrêt Medovarski, la Cour a examiné la question de savoir si la suppression d’un droit d’appel existant devant la Section d’appel de l’immigration, dans les cas de grande criminalité où une peine de plus de deux ans a été infligée, enfreignait l’article 7 de la Charte. La Cour a conclu que la perte de droits d’appel des appelants n’a pas mis en cause la Charte, parce que « l’expulsion d’un non-citoyen ne peut mettre en cause les droits à la liberté et à la sécurité garantis par l’art. 7 » : Medovarski, précité, au paragraphe 46. Même si les droits des appelants garantis par la Charte avaient été en jeu, la Cour a poursuivi en déclarant que l’iniquité de la perte des droits d’appel ne constituait pas un manquement aux principes de justice fondamentale, parce que l’article 7 « n’exige[ent] pas d’accorder la possibilité d’un appel, fondé sur des motifs de compassion, contre la décision d’expulser un résident permanent pour grande criminalité » et parce qu’« [i]l faut s’attendre à ce que la loi change à l’occasion » : Medovarski, précité, au paragraphe 47. Le défendeur soutient également que, comme dans Medovarski, il n’y a pas d’ambiguïté dans les dispositions transitoires qui justifieraient une interprétation fondée sur les valeurs de la Charte.

[30]  Le défendeur souligne également qu’il n’y a aucun délai de prescription prévu par la loi qui s’applique au pouvoir discrétionnaire du ministre de renvoyer des causes pour grande criminalité à la Section de l’immigration. Le défendeur reconnaît que le cas du demandeur n’a pas été déféré après sa déclaration de culpabilité de 1998, mais il soutient que rien dans la législation ne laisse entendre que l’existence d’une déclaration de culpabilité antérieure devrait entraver le pouvoir discrétionnaire du ministre de déférer un cas après une deuxième déclaration de culpabilité. Le défendeur fait valoir que la section 19.4 du Guide opérationnel ENF 6 – Examen des rapports établis en vertu du paragraphe L44(1), (1er décembre 2016), à la section 19.4, indique que la politique de l’ASFC consiste à envoyer une lettre d’avertissement au résident permanent reconnu coupable d’une infraction criminelle grave, si le délégué du ministre croit que le rapport est bien fondé, mais qu’il décide de ne pas le déférer à la Section de l’immigration. La lettre d’avertissement informe l’intéressé « qu’une décision pourrait être prise de déférer le cas à une date ultérieure » et elle est censée avoir un effet dissuasif.

[31]  Le défendeur soutient également qu’il est abusif de la part du demandeur de soutenir que son cas aurait dû être déféré à la Section de l’immigration immédiatement après sa déclaration de culpabilité en 1998 parce que, indépendamment du droit d’appel à la Section d’appel de l’immigration, il aurait pu avoir été expulsé il y a près de vingt ans. Dans l’intervalle, le demandeur n’avait aucun droit d’appel qui se serait cristallisé, donc, la décision de déférer son cas pour enquête, en 2016, ne touche aucun droit acquis. Le défendeur soutient également que la Cour a conclu dans Torre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 591, au paragraphe 32, que le seul délai pertinent dont il faut tenir compte pour déterminer s’il y a eu abus de procédure est le temps écoulé entre la décision d’établir un rapport en application du paragraphe 44(1) et la décision de la Section de l’immigration concernant l’interdiction de territoire.

[32]  Le défendeur soutient que le fait que le demandeur s’appuie à tort sur l’arrêt Tran, puisque la Cour suprême du Canada n’a pas dérogé au principe applicable selon lequel tout effet rétrospectif donné à une disposition législative est une question d’interprétation. Dans l’arrêt Tran, le terme en question était ambigu, contrairement à l’article 64 (1) de la LIPR, qui rejette l’appel à la Section d’appel de l’immigration si un « résident permanent […] est interdit de territoire » au titre de l’une des catégories énumérées. [Je souligne.] Le défendeur soutient que le paragraphe 64(1) ne peut viser qu’une conclusion d’interdiction de territoire [traduction] « qui précède l’entrée en vigueur du paragraphe 64(2) » et qui était elle-même précédée par la déclaration de culpabilité et la condamnation. Par conséquent, la portée temporelle du paragraphe 64(1) est évidente, sous réserve des dispositions transitoires : une personne déclarée interdite de territoire pour grande criminalité, au sens du paragraphe 64(1), ne peut interjeter appel à la Section d’appel de l’immigration si elle a été déclarée interdite de territoire après l’entrée en vigueur du paragraphe 64(2). Toute autre interprétation ajouterait des mots à la loi et irait à l’encontre du libellé de la disposition.

[33]  Le défendeur indique que rien dans Tran ne modifie l’arrêt antérieur Medovarski selon lequel la perte d’un droit d’appel fondé sur des motifs d’ordre humanitaire à la Section d’appel de l’immigration ne porte pas atteinte aux droits garantis par la Charte. Les déclarations tirées de Tran et citées par le demandeur doivent être interprétées en fonction de son scénario factuel différent. En l’espèce, le demandeur a été averti que l’ASFC savait qu’il avait été déclaré coupable une première fois et l’a informé qu’il risquait d’être expulsé s’il y avait récidive. Il n’y a donc aucune attente légitime de la part du demandeur à laquelle il aurait été porté atteinte et rien n’indique que le demandeur aurait agi différemment s’il avait su qu’il ne pourrait pas interjeter appel d’une mesure d’expulsion à la Section d’appel de l’immigration. Le défendeur affirme qu’il n’y a aucune absurdité dans le fait de se fonder sur la déclaration de culpabilité de 1998 du demandeur, ainsi que sur sa déclaration de culpabilité plus récente, pour le déclarer interdit de territoire. Le cas du demandeur a été déféré à la Section de l’immigration en partie en raison de sa criminalité continue, et le fait de manipuler les motifs du renvoi pour lui permettre d’interjeter appel à la Section d’appel de l’immigration fausserait ses antécédents criminels.

[34]  Le défendeur soutient que le demandeur a tort en ce sens qu’il n’avait pas un droit d’appel en application du paragraphe 63(1) de la LIPR avant le 19 juin 2013. L’article 63 énonce les différentes catégories de personnes qui peuvent interjeter appel à la Section d’appel de l’immigration, et c’est le paragraphe 63(3), et non le paragraphe 63(1), qui aurait créé le droit d’appel du demandeur. Puisqu’aucune mesure de renvoi n’avait été prise à l’encontre du demandeur dans le cadre d’une enquête à la Section de l’immigration, son « droit d’appel » était totalement inchoatif et, par conséquent, il ne tombait pas sous le coup de la disposition transitoire de l’article 32 de la LARCE. De même, la deuxième disposition transitoire à l’article 33 se limite aux personnes dont le cas est déféré à la Section de l’immigration, peu importe la date de l’enquête, si elle a eu lieu avant le 19 juin 2013. Cette disposition ne s’applique pas non plus au demandeur. Selon le défendeur, ces dispositions transitoires n’auraient pas été nécessaires si le législateur n’avait pas voulu que le paragraphe 64(2) s’applique de manière rétrospective. Les dispositions protègent les droits d’appel définis, acquis avant l’entrée en vigueur du paragraphe 64(2), mais elles n’empêchent pas l’ASFC de rédiger un rapport sur des déclarations de culpabilité antérieures au 19 juin 2013.

[35]  Le défendeur soutient également que le pouvoir discrétionnaire dont le demandeur se plaint est prévu dans le régime législatif. Dans le cas du demandeur, le pouvoir discrétionnaire a initialement été exercé pour lui envoyer une lettre d’avertissement plutôt que de déférer son cas à la Section de l’immigration. Le défendeur souligne que l’argument du demandeur aurait pour effet d’entraver le pouvoir discrétionnaire de l’ASFC et d’obliger cette dernière à déférer inexorablement toutes les personnes déclarées coupables à la Section de l’immigration pour enquête.

[36]  Le défendeur soutient également que l’argument du demandeur selon lequel la décision du délégué du ministre de le déférer à la Section de l’immigration pour les deux déclarations de culpabilité est un recours abusif, est lui-même une contestation incidente indirecte de la décision du délégué du ministre. Le demandeur n’a pas sollicité le contrôle de la décision du délégué du ministre et la décision faisant l’objet du contrôle est celle de la Section d’appel de l’immigration qui conclut qu’elle n’a pas la compétence pour entendre l’appel. Le déféré est une décision susceptible de contrôle qui devrait demeurer inchangée dans le cadre de la présente demande. Voir Wang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 28, au paragraphe 80.

VIII.  DISCUSSION

A.  Décision faisant l’objet du contrôle

[37]  Le demandeur a été déclaré coupable de voies de fait causant des lésions corporelles en 1998 et il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 9 mois en conséquence.

[38]  Le demandeur aurait pu être déféré pour enquête à cette époque. Les représentants du ministre ont plutôt suivi la procédure habituelle d’envoyer une lettre d’avertissement au demandeur, au lieu de déférer son cas immédiatement pour enquête à la Section de l’immigration.

[39]  Le demandeur a commis une autre infraction et a été déclaré coupable d’agression armée en 2016, condamnation pour laquelle on lui a infligé une peine de 64 jours de détention avant procès, plus un jour en prison.

[40]  Le demandeur a reçu une lettre d’avertissement en application du paragraphe 44(1) de la LIPR et le délégué du ministre a déféré l’affaire à la Section de l’immigration le 7 novembre 2016.

[41]  La Section de l’immigration a pris une mesure d’expulsion le 11 janvier 2017 fondée sur l’interdiction de territoire du demandeur pour grande criminalité.

[42]  Le demandeur a ensuite tenté d’interjeter appel de la mesure d’expulsion à la Section d’appel de l’immigration.

[43]  La Section d’appel de l’immigration a rejeté l’appel au motif que, en application des paragraphes 64(1) et (2) de la LIPR, il n’y avait aucun droit d’appel à la Section d’appel de l’immigration dans le cas du demandeur, de sorte que la Section d’appel de l’immigration n’avait pas compétence pour entendre et trancher l’appel du demandeur. La Cour est maintenant saisie de la demande de contrôle de cette décision.

B.  Les questions en litige

[44]  Essentiellement, le demandeur soutient que l’interdiction prévue par la loi d’en appeler à la Section d’appel de l’immigration en application des paragraphes 64(1) et (2) de la LIPR ne s’applique pas, ou ne devrait pas s’appliquer, à l’espèce, de sorte que la Section d’appel de l’immigration a compétence pour entendre l’appel. Ses arguments sont fondés sur la rétroactivité, le recours abusif et plusieurs droits garantis par la Charte.

C.  Rétroactivité

[45]  Le demandeur soutient que la déclaration de culpabilité et la peine du 20 juin 2016, qui sont postérieures aux modifications de l’article 64 de la LIPR, n’entraînent pas l’application du paragraphe 64(2), parce que la peine était de moins de 6 mois.

[46]  Le demandeur soutient que sa déclaration de culpabilité du 5 mai 1998 sur laquelle le défendeur s’est fondé pour la mesure d’expulsion n’entraîne pas l’application du paragraphe 64(2) de la LIPR, parce qu’elle précède l’entrée en vigueur de ce paragraphe de plus de 15 ans et précède la rédaction du rapport visé à l’article 44 de plus de 18 ans. Il s’agit d’une question d’interprétation législative sur laquelle le demandeur se fonde beaucoup, vu la présomption à l’encontre du caractère rétrospectif ou rétroactif des lois :

19. Il ne fait aucun doute que l’interprétation du défendeur est soit rétrospective, soit rétroactive.

[47]  Comme la Cour suprême du Canada l’a clairement exposé dans Imperial Tobacco, précité, la primauté du droit et les dispositions de notre Constitution n’exigent aucunement que les lois aient seulement un caractère rétrospectif :

69  Sauf en droit criminel, où l’al. 11g) de la Charte limite le caractère rétrospectif et la rétroactivité de la législation, le principe de la primauté du droit et les dispositions de notre Constitution n’exigent aucunement que les lois aient seulement un caractère rétrospectif. Le professeur P. W. Hogg expose avec précision l’état du droit sur ce point (dans Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 2, p. 48-29) :

[traduction] Sous réserve de l’al. 11g), le droit constitutionnel canadien n’interdit pas la rétroactivité (ex post facto) des lois. En matière d’interprétation législative, il faut présumer qu’une loi n’a pas d’effet rétroactif, mais si cet effet est clairement exprimé, il n’y a alors place à aucune interprétation et la loi prend effet au moment prévu. Les lois rétroactives sont en fait courantes.

70  Ainsi, dans Air Canada c Colombie-Britannique, [1989] 1 RCS 1161, p. 1193, le juge La Forest, s’exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour, a affirmé « que la Constitution n’interdit pas » l’adoption d’une taxe rétroactive. Et dans Cusson c Robidoux, [1977] 1 RCS 650, p. 655, le juge Pigeon a écrit, au nom de la Cour, qu’il serait « futile » de laisser croire qu’une loi est inconstitutionnelle parce qu’elle fait revivre des actions déjà jugées prescrites par notre Cour (dans Hôpital Notre-Dame c Patry, [1975] 2 RCS 388).

71  Il n’existe aussi aucune exigence générale que la législation ait une portée uniquement prospective, même si une loi rétrospective et rétroactive peut renverser des expectatives bien établies et être parfois perçue comme étant injuste : voir E. Edinger, « Retrospectivity in Law » (1995), 29 U.B.C. L. Rev. 5, p. 13. Ceux qui partagent cette perception seront peut-être rassurés par les règles d’interprétation législative qui imposent au législateur d’indiquer clairement les effets rétroactifs ou rétrospectifs souhaités. Ces règles garantissent que le législateur a réfléchi aux effets souhaités et « a conclu que les avantages de la rétroactivité [ou du caractère rétrospectif] l’emportent sur les possibilités de perturbation ou d’iniquité » : Landgraf c USI Film Products, 511 U.S. 244 (1994), p. 268.

72  Il convient aussi de faire remarquer que la jurisprudence en common law a toujours eu un effet à la fois rétroactif et rétrospectif. Lord Nicholls a récemment expliqué ce point dans In re Spectrum Plus Ltd.[2005] 3 W.L.R. 58, [2005] UKHL 41, au paragraphe 7 :

[traduction] Une décision judiciaire qui modifie le droit tel qu’on le connaissait jusqu’alors s’applique d’une façon rétrospective aussi bien que prospective. La décision aura un effet rétrospectif dans la mesure où les parties en litige sont concernées, comme c’était le cas du fabricant de bière au gingembre dans Donoghue c Stevenson [1932] AC 562. Lorsque M. Stevenson a fabriqué, embouteillé et vendu sa bière au gingembre, l’interprétation généralement donnée à la loi sur la responsabilité des fabricants aurait pu être celle que lui ont donnée les juges majoritaires de la deuxième division de la Cour de session et la minorité des lords juges dans cette affaire. Mais dans l’action intentée par Mme Donoghue contre M. Stevenson, les obligations légales de ce dernier devaient être déterminées en fonction des énoncés célèbres de Lord Atkin. En outre, en raison de la doctrine du précédent, il en serait ainsi pour quiconque saisit par la suite un tribunal de son affaire. Ses droits et ses obligations seraient tranchés en fonction des règles exposées par la Chambre des lords à la majorité dans cette affaire, même si les événements pertinents sont survenus antérieurement à cette décision.

Cette observation vient renforcer, si au besoin est, l’opinion suivant laquelle le caractère rétrospectif et la rétroactivité ne soulèvent généralement pas de préoccupations d’ordre constitutionnel.

[48]  La Cour a également confirmé dans Tabingo, précitée (confirmée par la Cour d’appel fédérale) qu’il s’agit d’une question d’interprétation législative et il faut déterminer si la disposition législative en litige est suffisamment claire pour que, d’un point de vue raisonnable, elle puisse être seulement interprétée d’une manière à avoir un effet rétrospectif 

[22]  Les tribunaux n’interpréteront pas la loi d’une manière qui retire des droits existants en l’absence d’une intention claire du législateur en ce sens. Cependant, lorsqu’une lois [sic] est dépourvue d’ambiguïté, il n’y a pas lieu de recourir à des présomptions ou à des guides interprétatifs, et les tribunaux ne peuvent appliquer aucune des présomptions interprétatives mentionnées plus haut : Institut professionnel de la fonction publique du Canada c Canada (Procureur général), 2012 CSC 71, aux paragraphes 95, 159 et 160; Colombie-Britannique c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, [2005] 2 RCS 473, au paragraphe 71; Gustavson Drilling (1964) Ltd c Canada (Ministre du Revenu national), [1977] 1 RCS 271.

[23]  Ici, le sens ordinaire de la disposition prévaut. Le sens et l’effet des mots « mis fin » sont clairs. L’article 87.4, de par son libellé, est expressément conçu pour s’appliquer rétrospectivement aux demandes antérieures au 27 février 2008 et pour éliminer l’obligation de continuer de traiter les demandes pendantes. Le sens ordinaire et évident de l’article 87.4 exige que la disposition soit rétrospective et qu’elle porte atteinte à des droits acquis, indépendamment de toute injustice perçue. Les trois présomptions invoquées par les demandeurs sont écartées par la clarté de l’intention du législateur. En outre, interpréter l’article autrement le laisserait sans effet au-delà du remboursement des droits de demande.

[49]  J’estime pour ma part que, en l’espèce, le législateur a clairement indiqué que l’article 64 s’appliquerait à tous les cas d’interdiction de territoire pour grande criminalité n’ayant pas fait l’objet d’un rapport et n’ayant pas été déférés à la Section de l’immigration avant le 19 juin 2013 de sorte que la Section d’appel de l’immigration avait raison de conclure que :

[6]  Le suivi effectué en application du paragraphe 44(2) de la LIPR relativement aux infractions commises par l’appelant en 1998 et en 2016 a été signé le 7 novembre 2016. Puisqu’il a été signé après le 19 juin 2013, la SAI n’a pas la compétence voulue pour trancher l’appel, conformément aux dispositions transitoires.

[50]  Comme la Section d’appel de l’immigration l’a souligné dans sa décision, l’interprétation que donne le demandeur à l’article 64 n’est pas étayée par les dispositions transitoires, qui montrent clairement que le législateur voulait que l’intéressé perde les droits d’appel dont il disposait avant la modification, si le cas n’avait pas été déféré avant le 19 juin 2013. Les dispositions transitoires indiquent clairement que le législateur voulait que seules deux catégories de personnes continuent à avoir des droits d’appel à la Section d’appel de l’immigration :

  quiconque « avait un droit d’appel au titre du paragraphe 63(1) de cette loi avant l’entrée en vigueur de l’article 24 (du projet de loi C-43) »; [je souligne]

  toute personne visée par une affaire déférée à la Section de l’immigration au titre du paragraphe 44(2) de cette loi avant l’entrée en vigueur de l’article 24.

[Souligné dans l’original.]

[51]  De toute évidence, le demandeur n’appartient à aucune de ces catégories de personnes.

[52]  Le Bulletin opérationnel 525 énonce ce qui suit :

  Le répondant d’un étranger dont la demande au titre de la catégorie du regroupement familial a été refusée avant le 19 juin 2013 pour motif de grande criminalité et qui a été puni au Canada par une peine d’emprisonnement d’au moins 6 mois ou est visé aux alinéas 36(1)b) et c) a le droit d’en appeler devant la SAI jusqu’à ce que le délai de soumission des appels soit terminé.

  La personne qui fait l’objet d’un rapport en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR pour grande criminalité et qui a été punie au Canada par une peine d’emprisonnement d’au moins 6 mois ou est visée aux alinéas 36(1)b) et c) a le droit d’interjeter appel de la mesure de renvoi devant la SAI si le déféré pour enquête a été signé par le délégué du ministre (DM) avant le 19 juin 2013, sans égard à la date à laquelle la demande d’enquête a été transmise à la SI. (En d’autres termes, si une demande d’enquête est envoyée à la SI après le 19 juin 2013, avec un déféré pour enquête signé avant le 19 juin 2013, et que la personne visée avait droit d’appel en vertu du paragraphe 63(3) avant le 19 juin 2013, son droit d’appel est maintenu.)

  En ce qui a trait aux personnes dont l’affaire est déférée à la SI pour motif de grande criminalité après le 19 juin 2013, la nouvelle définition de grande criminalité telle que décrite au paragraphe 64(2) s’appliquera et elles n’ont aucun droit d’appel.

[Souligné dans l’original.]

[53]  À mon avis, ces dispositions établissent clairement l’intention du législateur, et la Section d’appel de l’immigration a conclu à juste titre que le demandeur n’avait pas de droit d’appel à la Section d’appel de l’immigration. L’interprétation des dispositions était non seulement raisonnable, elle était correcte, à mon avis.

[54]  Se fondant en grande partie sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Tran, précité, le demandeur indique que l’absence de compétence de la S Section d’appel de l’immigration est fondée sur une interprétation des dispositions législatives pertinentes menant à des conséquences absurdes.

[55]  À cet égard, le demandeur rappelle à la Cour les indications de la Cour suprême concernant cette question au paragraphe 31 dans Tran :

En dernier lieu, mon interprétation évite de donner lieu à des résultats absurdes. Dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, par. 27, le juge Iacobucci a expliqué la présomption selon laquelle le législateur ne peut vouloir de conséquences absurdes :

Selon un principe bien établi en matière d’interprétation législative, le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes. D’après Côté [P.‑A. Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)], on qualifiera d’absurde une interprétation qui mène à des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d’autres dispositions ou avec l’objet du texte législatif (aux pp. 430 à 432). Sullivan partage cet avis en faisant remarquer qu’on peut qualifier d’absurdes les interprétations qui vont à l’encontre de la fin d’une loi ou en rendent un aspect inutile ou futile ([R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994)], à la p. 88).

[56]  En l’espèce, le demandeur soutient que l’absence de compétence est ridicule, extrêmement déraisonnable, inéquitable, illogique et préjudiciable.

[57]  Bien qu’il reconnaisse que la question principale dont la Cour est saisie est une question d’interprétation législative, le demandeur soutient que le législateur ne peut avoir voulu (ou, du moins, son intention n’est pas claire) que l’article 64 de la LIPR – qui a notamment retiré le droit d’appel à la Section d’appel de l’immigration d’un résident permanent qui a été déclaré interdit de territoire pour des motifs de grande criminalité – remonte à des crimes commis en 1998, l’époque où le demandeur a été déclaré coupable de voies de fait causant des lésions corporelles et condamné à une peine de 9 mois. Il allègue que la situation est inéquitable et que le législateur aurait dû établir un délai sur les implications « rétroactives » du paragraphe 64(1), puisque l’absence de délai de prescription contrevient à la primauté du droit et va à l’encontre des enseignements de la Cour suprême dans Tran.

[58]  Ces allégations engendrent entre autres le problème suivant : les questions d’iniquité et de « rétroactivité » et les arguments d’impartialité et d’équité auraient pu être soulevés dans le contrôle judiciaire de la décision de déférer du 7 novembre 2016 ou de la mesure d’expulsion du 11 janvier 2017. Or, le demandeur, à cause de motifs qu’il ne présente pas à la Cour (il n’a déposé aucun affidavit), a décidé de ne pas les attaquer. Il a choisi, plutôt, d’attaquer la décision concernant la compétence de la Section d’appel de l’immigration sur la base que le législateur n’avait pas l’intention d’entraîner un effet rétroactif vaste ou illimité lorsqu’il a adopté l’article 64 de la LIPR.

[59]  Bien que le demandeur n’ait déposé aucun affidavit en l’espèce, le compte rendu détaillé des antécédents criminels rédigé en application du paragraphe L44(1) indique clairement que le demandeur savait évidemment que les déclarations de culpabilité mèneraient à des conséquences graves :

Même s’il est vrai que M. Cano-Granados a été au Canada pendant beaucoup de temps, son renvoi du Canada ne représenterait une difficulté pour personne, puisque personne ne dépend de lui financièrement ou émotivement. Il parle couramment espagnol, la langue du pays où il est né, et il parle couramment anglais. Le Mexique l’accepterait même sans passeport, s’il y retournait. M. Cano-Granados ne devrait pas avoir de problèmes pour se réintégrer dans la culture mexicaine.

M. Cano-Granados a reconnu qu’en 1998, lorsqu’il a été incarcéré, deux agents d’immigration lui ont rendu visite et l’ont interrogé. Il a indiqué qu’ils lui ont donné un avertissement verbal au sujet de sa déclaration de culpabilité au Canada et, selon ses propres dires, [traduction] « ils m’ont fait carrément peur, ils me parlaient dans le blanc des yeux ». Donc, M. Cano-Granados savait que tout acte ultérieur de sa part qui pourrait mener à une déclaration de culpabilité aurait des conséquences plus graves. Même s’il se souvient clairement de la rencontre, il n’a pas pour autant cessé son comportement. Vu les circonstances, un avertissement écrit ne conviendrait pas.

[60]  L’omission du demandeur de contester les décisions précédentes, où il aurait pu invoquer des motifs d’ordre humanitaire et tout autre argument d’équité et de justice qu’il a soulevés devant moi, ne peut servir de fondement pour faire valoir que l’omission du législateur de limiter l’effet « rétroactif » de l’article 64 signifie que l’intention du législateur n’était pas évidente. En fin de compte, la présente demande concerne l’application des principes consacrés d’interprétation des lois qui, à mon avis, sont restés les mêmes, malgré l’arrêt Tran, précité, de la Cour suprême du Canada.

D.  Questions liées à la Charte

[61]  Le demandeur soutient que l’interprétation que le défendeur donne aux dispositions législatives ne peut pas être correcte, car elle porterait atteinte aux droits que les articles 7 et 11 de la Charte confèrent au demandeur. Il y a très peu d’élaboration sur ces points et je crois que tous les arguments à cet égard ont été examinés par la Cour suprême du Canada dans Medovarski, précité, où la Cour suprême a formulé les observations suivantes :

46  Le principe le plus fondamental du droit de l’immigration veut que les non-citoyens n’aient pas un droit absolu d’entrer ou de demeurer au Canada : Chiarelli c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 RCS 711, p. 733. À elle seule, l’expulsion d’un non-citoyen ne peut mettre en cause les droits à la liberté et à la sécurité garantis par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

47  Même si la liberté et la sécurité de la personne étaient en jeu, l’iniquité ne suffit pas pour qu’il y ait manquement aux principes de justice fondamentale. Les motifs d’ordre humanitaire évoqués par Mme Medovarski sont pris en compte, en vertu du par. 25(1) de la LIPR, pour décider s’il y a lieu d’admettre un non-citoyen au Canada. La Charte garantit le caractère équitable de cette décision : voir, par exemple, l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817. De plus, la Cour a statué, dans l’arrêt Chiarelli, que les principes de justice fondamentale mentionnés à l’art. 7 n’exigent pas d’accorder la possibilité d’un appel, fondé sur des motifs de compassion, contre la décision d’expulser un résident permanent pour grande criminalité. Il faut s’attendre à ce que la loi change à l’occasion, et le ministre n’a pas amené Mme Medovarski à croire à tort que son droit d’appel survivrait à tout changement de la loi. Ainsi, pour ces motifs et ceux mentionnés précédemment, toute iniquité découlant du passage à la nouvelle loi ne constitue pas une violation de la Charte.

[62]  Il est évident que les valeurs de la Charte devraient offrir des informations concernant l’interprétation d’une disposition législative contestée, mais, en l’espèce, il n’y a aucune ambiguïté véritable quant à la disposition en litige. Il est également évident dans Medovarski que la perte du droit d’appel ne suffit pas à mettre en jeu des intérêts de liberté et de sécurité et que le demandeur doit s’attendre à ce que la loi change à l’occasion.

[63]  Le demandeur cherche à éviter les effets de Medovarski en citant la décision récente de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Tran, précité. À mon avis, Tran n’a pas d’incidence sur l’issue de l’espèce pour différentes raisons.

[64]  Tout d’abord, Tran ne modifie pas le principe fondamental selon lequel l’application rétroactive des lois demeure une question d’interprétation législative dans chaque cas. Voir Tran, précité, aux paragraphes 48 et 49, citant Imperial Tobacco, précité, au paragraphe 71. Dans la présente affaire — qui diffère de celle dans Tran à cet égard —, l’intention du législateur indique clairement que ceux qui ont été déclarés interdits de territoire pour grande criminalité en application de l’article 64 ne peuvent pas bénéficier d’un appel devant la Section d’appel de l’immigration si leur cas a été déféré à la Section de l’immigration avant l’entrée en vigueur de l’article 64.

[65]  Deuxièmement, Tran ne change pas l’enseignement de Medovarski selon lequel la perte d’un droit d’appel (dans ce cas, un appel pour des motifs d’ordre humanitaire) n’engage pas les droits de la Charte et, en fait, Tran a traité une situation de fait différente de l’espèce.

[66]  Troisièmement, en l’espèce, les éléments de preuve laissent entendre que le demandeur savait qu’il pouvait être renvoyé en raison de sa déclaration de culpabilité de 1998, parce qu’il en avait été informé. La Cour arrive à cette conclusion à la lecture du compte rendu détaillé des antécédents criminels visé au paragraphe L44(1), précité, et de la transcription de l’enquête de la Section de l’immigration, qui montre que le demandeur avait reçu les documents communiqués par le ministre, y compris le compte rendu détaillé des antécédents criminels (dossier certifié du tribunal, à la page 12), et qu’il reconnaissait que les informations fournies étaient exactes (dossier certifié du tribunal, à la page 16).

[67]  Quatrièmement, le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve indiquant que ses actes criminels subséquents auraient été différents s’il avait su qu’il n’avait aucun droit d’appel à la Section d’appel de l’immigration.

E.  Recours abusif — Pouvoir discrétionnaire du ministre

[68]  Le demandeur présente les arguments suivants sur ce point :

[traduction]

36.  En l’espèce, la déclaration de culpabilité et la peine ont eu lieu plus de dix ans avant l’entrée en vigueur dudit article et le défendeur a choisi de ne pas approfondir la chose. S’il l’avait fait, en application de la disposition en vigueur à l’époque, il n’y a aucun doute que le demandeur avait le droit d’interjeter appel devant la Section d’appel de l’immigration. Le défendeur ne l’a pas fait, mais a plutôt choisi de lier ces affaires à des affaires qui ont eu lieu après l’entrée en vigueur de l’article, une déclaration de culpabilité datée du 20 juin 2016, qui a entraîné une peine non visée par le paragraphe 64(2) de la LIPR, pour retirer le droit d’appel du demandeur. Il s’agit clairement d’une réduction absurde des droits de recours du demandeur. Elle ne peut être maintenue, car elle va clairement à l’encontre de l’intention du législateur, conformément à la disposition transitoire, et viole clairement la règle de droit, la présomption à l’encontre de la rétroactivité, et la Charte.

37.  Le défendeur cherche en l’espèce à contourner l’intention du législateur, par une formalité, et à utiliser sa propre décision ou omission d’établir un rapport sous le régime de l’ancienne loi et des années avant l’entrée en vigueur de la restriction du droit d’appel.

38.  L’interprétation de la Loi par le défendeur est de toute évidence inexacte et elle va à l’encontre de la primauté du droit et de la Charte.

39.  Le demandeur propose également que, bien qu’il soit évident que le législateur ne voulait pas que la disposition soit rétroactive, le libellé des dispositions transitoires, liant la rétroactivité de la loi à la rédaction par le ministre du rapport prévu au paragraphe 44(1), pose également problème, voire ultra vires, car conférer ou retirer un droit d’appel se résume à l’exercice arbitraire du pouvoir discrétionnaire du ministre, ouvrant ainsi la porte à des abus comme celui que le ministre tente de faire en l’espèce. Donc, l’article doit recevoir une interprétation large pour être compatible avec la Charte et la primauté du droit, comme la Cour a déjà indiqué qu’il était approprié de le faire (voir plus haut).

[Souligné dans l’original.]

[69]  De toute évidence, la décision du ministre de ne pas recourir à l’expulsion en 1998 était un exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre qui a procuré des avantages considérables au demandeur. La décision dépendait, bien sûr, du risque d’une récidive de la part du demandeur dans l’avenir. Ainsi, le demandeur avait un choix clair : ne pas récidiver et rester au Canada ou récidiver et faire face à une possible expulsion. Le demandeur a fait son choix, qui lui a valu une autre déclaration de culpabilité en 2016.

[70]  À l’évidence, le ministre ne pouvait pas expulser le demandeur, ou a choisi de ne pas le faire, jusqu’à ce que le demandeur fasse son choix. En l’espèce, l’idée voulant que le ministre ait en quelque sorte attendu que la législation soit modifiée pour que le demandeur perde son droit d’appel à la Section d’appel de l’immigration n’est pas étayée par les faits. C’est le demandeur qui a lui-même mis en branle le déféré et l’enquête.

[71]  Je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision.

IX.  QUESTION À CERTIFIER

[72]  Le demandeur a demandé à la Cour de certifier les trois questions suivantes :

La rédaction du rapport en application de l’article 33 des dispositions transitoires a-t-elle mené à une conséquence absurde qui rend cet article ultra vires?

L’application de l’article 33 des dispositions transitoires a-t-elle mené à des conséquences absurdes qui rendent cet article ultra vires?

Les dispositions transitoires devraient-elles recevoir une interprétation large de façon que la SAI ait la compétence pour entendre les appels sous le régime de l’article 63 de la LIPR avant à l’entrée en vigueur de l’article 24 de la LARCE?

[73]  À mon avis, toutes ces questions reviennent au même : La Section d’appel de l’immigration a-t-elle compétence pour entendre un appel d’une mesure de renvoi lorsque la peine infligée qui supprimerait le droit d’appel en application des paragraphes 64(1) et (2) de la LIPR fait suite à une déclaration de culpabilité antérieure à la modification du paragraphe 64(2) par l’article 24 de la LARCE et n’aurait pas supprimé le droit d’appel avant la modification du paragraphe 64(2)?

[74]  Je pense que je dois être d’accord avec le défendeur pour dire que, en l’espèce, les dispositions transitoires qui permettent les exceptions à la règle générale dans le paragraphe 64(2) n’entrent même pas en jeu et que le demandeur n’en tire aucun avantage. À mon avis, les questions ne soulèvent aucun point déterminant, de sorte que des réponses favorables ne seraient pas déterminantes. Cependant, même si la question, telle que reformulée, peut être considérée comme déterminante compte tenu du niveau d’équité procédurale due pendant la rédaction du rapport visé à l’article 44, la Cour d’appel fédérale a déjà reconnu que les déclarations de culpabilité antérieures à la modification du paragraphe 64(2) peuvent supprimer les droits d’appel à la Section d’appel de l’immigration. Voir Sharma c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 319, aux paragraphes 38, 40 et 41. Par ailleurs, comme la Cour suprême du Canada a déjà examiné les arguments fondés sur la Charte dans Medovarski, il ne subsiste aucune question grave de portée générale qui pourrait satisfaire aux critères de la certification. Voir Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, aux paragraphes 15 et 16, et Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, au paragraphe 46.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3200-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 1er jour de juin 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3200-17

 

INTITULÉ :

PAULO CESAR CANO GRANADOS, (ALIAS PAULO CESAR CANO) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er février 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Russell

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 mars 2018

 

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

Pour le demandeur

 

Kristina Dragaitis

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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