Dossier : IMM-1951-17
Référence : 2018 CF 297
Ottawa (Ontario), le 15 mars 2018
En présence de monsieur le juge Bell
ENTRE :
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BRIAN STIVEND PENA MORA
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Demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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Défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de l’affaire
[1]
Ce jugement porte sur une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 [LIPR], à l’encontre de la décision d’une agente d’immigration, datée du 7 avril 2017, de rejeter la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire du demandeur, demande qui avait été faite en vertu de l’article 25 de la LIPR. Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande.
II.
Faits
[2]
Le demandeur, âgé de vingt-quatre (24) ans, est citoyen de la Colombie. Il est arrivé au Canada accompagné de ses parents le 7 février 2015.
[3]
Le demandeur et ses parents ont réclamé l’asile en arrivant au Canada, alléguant être persécutés par un groupe de trafiquants de drogues en raison de leur implication auprès de jeunes défavorisés. Leur demande d’asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés [SPR]. La Cour fédérale a ensuite refusé d’accorder leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du SPR le 28 août 2015.
[4]
Le 12 octobre 2016, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de la LIPR afin de bénéficier d’une dérogation à l’exigence de la loi voulant que les demandes de résidences permanentes soient faites depuis l’extérieur du Canada. La demande a été rejetée le 7 avril 2017. Cette décision fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
III.
Décision visée par la demande
[5]
Le 7 avril 2017, une agente d’immigration a rejeté la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire du demandeur. Après avoir considéré son établissement au Canada, la situation et les conditions qui prévalent en Colombie, ainsi que l’effet combiné des facteurs analysés, elle a déterminé que le demandeur n’avait pas soulevé de facteurs suffisants justifiant une dispense des exigences de la LIPR afin que sa demande puisse être traitée au Canada.
[6]
En ce qui concerne l’établissement du demandeur, l’agente a considéré que la période d’établissement au Canada d’un peu plus de deux (2) ans du demandeur était courte. Elle était satisfaite que le demandeur avait une petite amie, mais ne pouvait conclure qu’ils faisaient vie commune ou que l’amie ne pourrait accompagner le demandeur s’il devait quitter le Canada.
[7]
L’agente a également noté que le demandeur habite avec son frère aîné, résident permanent du Canada, ainsi que ses parents. Elle a jugé qu’il n’y a pas d’interdépendance entre le demandeur et son frère, que ses parents n’ont pas de statut au Canada et qu’ils pourraient rester en contact avec différents moyens de communications électroniques.
[8]
Finalement, l’agente a accordé un certain poids positif au fait que le demandeur a un emploi, fait du bénévolat et apprend le français, ainsi qu’aux lettres d’appui fournies par ses collègues et amis. Par contre, elle a jugé que le fait de quitter amis, emploi et activités au Canada pour se rendre à l’étranger afin de présenter une demande de visa d’immigrant n’occasionnait pas de difficultés justifiant l’octroi d’une dispense en vertu de l’article 25 de la LIPR.
[9]
Ensuite, l’agente s’est penchée sur les conditions qui prévalent en Colombie et a constaté que le demandeur reprenait les faits sur lesquels il avait fondé sa demande d’asile, demande qui avait été rejetée par la SPR après avoir été jugée non crédible. Elle a accordé plus de poids aux conclusions de la SPR qu’à la lettre du frère du demandeur faisant état d’événements survenus, preuve qu’elle avait considérée comme étant partiale. L’agente a constaté que le demandeur n’avait pas fourni d’autres éléments de preuve permettant à cette première d’évaluer la crédibilité des allégations, ni d’éléments de preuve témoignant de la situation particulière du demandeur à l’égard des conditions générales qui prévalent en Colombie.
[10]
L’agente a conclu que l’effet combiné des différents facteurs examinés ne justifiait pas l’octroi de la dispense prévue à l’article 25 de la LIPR.
IV.
Question en litige
[11]
Le demandeur soulève plusieurs questions à être tranchées. Le défendeur en propose une seule : le refus de l’agente d’accorder la dispense demandée aux termes de l’article 25 de la LIPR est-il raisonnable ? À mon avis, la réponse à cette question résout cette requête.
V.
Dispositions pertinentes
[12]
L’article 25 de la LIPR prévoit :
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VI.
Norme de contrôle
[13]
Selon la jurisprudence constante de la Cour, la décision d’un agent d’immigration d’accorder ou de refuser une dispense des exigences de la LIPR pour des motifs d’ordre humanitaire est une décision discrétionnaire qui soulève des questions de faits et de droit. Ainsi, elle est soumise à la norme de la décision raisonnable, qui commande la retenue judiciaire (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au para. 47 [Dunsmuir]; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. no 39 au para. 62). La Cour n’interviendra pas si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable »
(Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 au para. 59).
VII.
Position des parties sur les questions pertinentes
[14]
Les parties sont en désaccord sur le caractère raisonnable de la décision de l’agente en ce qui a trait à deux aspects, notamment l’établissement du demandeur au Canada, ainsi que la situation et les conditions qui prévalent dans son pays d’origine. Le demandeur prétend que les conclusions sur ces deux questions sont déraisonnables, alors que l’intimé prétend qu’elles sont tout à fait raisonnables.
A.
Établissement
[15]
Le demandeur prétend que l’agente n’a pas compris son degré d’établissement au Canada, en ce qu’elle n’a pas accordé suffisamment de poids à la preuve qu’il a soumis relativement à son emploi, son engagement bénévole et son cercle social. Il réfère à la décision Lauture c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 336, [2015] A.C.F. no 296 pour l’énonciation des facteurs qu’un agent doit prendre en compte. Le demandeur reproche à l’agente d’avoir erronément écarté la preuve relative à son établissement en raison de la courte durée de son séjour au Canada et d’avoir utilisé « uniquement le critère de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées, pour nier que la vie du demandeur est maintenant au Canada ».
[16]
Le défendeur prétend, au contraire, que l’agente a soupesé chacun des éléments soulevés par le demandeur et que la décision rendue au terme de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire est raisonnable, en ce qu’elle appartient aux issues possibles (Dunsmuir au para. 47). Le défendeur plaide que l’agente n’a pas utilisé le critère des difficultés « inhabituelles et injustifiées ou démesurées »
, mais qu’elle a plutôt effectué une analyse globale des motifs humanitaires invoqués par le demandeur. Le défendeur rappelle qu’un certain degré d’établissement, à lui seul, n’est pas suffisant pour accorder une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (Ramos Tarayao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 350, [2008] A.C.F. no 439 au para. 16; Buio c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 157, [2007] A.C.F. no 205 au para. 37; Kawtharani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 162, [2006] A.C.F. no 220 au para. 20). De plus, le simple fait de devoir quitter le Canada pour présenter sa demande de visa depuis l’étranger implique des difficultés inhérentes qui sont insuffisantes pour justifier l’octroi d’une dispense des exigences de la LIPR (Walker c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 447, [2012] A.C.F. no 479 au para. 34; Baoju Xie c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 580, [2010] A.C.F. no 686 au para. 41).
B.
Conditions en Colombie
[17]
Le demandeur prétend que l’agente « a fracturé son analyse pour indiquer que la situation à [sic] la Colombie sont des conditions générales du pays »
. Il reproche à l’agente d’avoir confondu son rôle, révisant la crédibilité de sa demande d’asile. Le demandeur critique la décision de l’agente d’écarter la lettre de son frère et d’avoir utilisé « uniquement le critère de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées, pour nier que la vie du demandeur est maintenant au Canada »
.
[18]
Le défendeur soutient plutôt qu’une demande d’exemption des exigences de la LIPR n’est pas un appel d’une décision de la SPR quant aux risques allégués qui ont été jugés non crédibles (Hussain c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2000] A.C.F. no 751, 97 A.C.W.S. (3d) 726 au para. 12; Kouka c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1236, [2006] A.C.F. no 1561 aux paras 26-28; Nkitabungi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 331, [2007] A.C.F. no 449 au para. 8). De plus, comme le demandeur n’a pas démontré de lien entre la situation générale du pays et sa situation personnelle, la décision de l’agente ne peut être considérée déraisonnable (Piard c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 170, [2013] A.C.F. no 165 au para. 16; Lalane c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 6, [2009] A.C.F. no 658 aux paras 38, 42-44; Rahman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 138, [2009] A.C.F. no 187 au para. 39; Jakhu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 159, [2009] A.C.F. no 203 au para. 27).
VIII.
Analyse
[19]
Le demandeur n’a démontré aucune erreur dans les motifs de l’agente qui puisse justifier l’intervention de la Cour. L’agente a tenu compte de tous les éléments soulevés par le demandeur dans sa demande et elle a analysé leur effet combiné. Clairement, le demandeur est en désaccord avec les conclusions de l’agente, mais cela ne suffit pas pour que la décision soit considérée comme n’appartenant pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir au para. 47). La LIPR ne crée pas un régime d’immigration parallèle :
[23] L’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le par. 25(1) (voir Rizvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 463, par. 13 (CanLII); Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16640 (C.F. 1reinst.), par. 12). De plus, ce paragraphe n’est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle (Chambre des communes, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Témoignages, no 19, 3e sess., 40e lég., 27 mai 2010, 15 h 40 (Peter MacDougall); voir également Témoignages, no 3, 1re sess., 37e lég., 13 mars 2001, 9 h 55 à 10 h (Joan Atkinson)).
(Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909 au para. 23)
[20]
Je considère que la décision de l’agente est raisonnable.
JUGEMENT dans le dossier IMM-1951-17
LA COUR STATUE que :
La demande est rejetée sans dépens;
Aucune question n’est certifiée pour être considérée par la Cour d’appel fédérale.
« B. Richard Bell »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-1951-17
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INTITULÉ :
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BRIAN STIVEND PENA MORA c MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉES ET DE LA CITOYENNETÉ
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 7 novembre 2017
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :
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LE JUGE BELL
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DATE DES MOTIFS :
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LE 15 mars 2018
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COMPARUTIONS :
Me Alfredo Garcia
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Pour la partie DEMANDERESSE
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Me Guillaume Bigaouette
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POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Alfredo Garcia
Avocats Semperlex, s.e.n.c.r.l.
Montréal (Québec)
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Pour la PARTIE DEMANDERESSE
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Procureur Général du Canada
Montréal (Québec)
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POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE
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