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Date : 20180320


Dossier : IMM-3954-17

Référence : 2018 CF 315

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2018

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

ANMAR HUSSEIN MOHAMMED AL-HAFIDH

ZAINAB ANMAR HUSSEIN AL-HAFIDH

INAAM YOUSIF ABBAS AL-NUAIMI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) à l’encontre d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, le 18 août 2017, selon laquelle les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR (la décision). La Section de la protection des réfugiés avait tiré la même conclusion. La Section d’appel des réfugiés a rejeté l’appel interjeté par les demandeurs relativement à la décision de la Section de la protection des réfugiés.

II.  Exposé des faits

[2]  Les demandeurs, des citoyens d’Iraq, sont un mari (demandeur principal), sa femme ainsi que leur fille adulte. Les demandeurs sont arrivés au Canada le 10 avril 2016 et ils ont demandé l’asile le 20 mai 2016.

[3]  Les faits qui ont amené les demandeurs à entrer au Canada et à présenter une demande d’asile sont les suivants :

  • Le demandeur principal affirme qu’il a travaillé pour le ministère du Tourisme de l’Iraq jusqu’en 2007.

  • Selon le demandeur principal, en 2008, il est devenu gestionnaire et vérificateur au bureau du président iraquien, un poste qui consistait à tenir l’inventaire des actifs de ce dernier. Le demandeur principal affirme que des membres influents du gouvernement iraquien s’étaient approprié la propriété gouvernementale comme la leur et ont perçu son enquête comme une contestation de leur possession. Le demandeur principal affirme aussi que certains membres du gouvernement ont contesté ses demandes de documentation et commencé à le menacer au début de 2012.

  • En 2012, le demandeur principal affirme avoir demandé à quitter son poste, mais ses demandes de démission ont été rejetées. Selon le demandeur principal, les services de police l’ont avisé qu’ils ne pouvaient pas le protéger.

  • Le demandeur principal affirme avoir pris sa retraite du bureau du président iraquien en 2013 parce qu’il avait atteint l’âge de 63 ans, soit l’âge obligatoire de la retraite en Iraq. Il affirme en outre que malgré le fait qu’il était [traduction] « officiellement retraité » en 2013, il a continué de travailler au bureau du président pour terminer certaines tâches en suspens et ainsi pouvoir être libéré de ses fonctions. Selon lui, il a continué de travailler au bureau du président jusqu’au moment où il s’est enfui au Canada en avril 2016.

  • En 2013, le demandeur principal a voyagé aux Émirats arabes unis.

  • En mars 2015, le demandeur principal et sa femme ont présenté une demande de visa canadien pour rendre visite à l’un de leurs autres enfants. Le demandeur principal a indiqué qu’il était à la retraite dans sa demande. La demande du demandeur principal a été rejetée.

  • En avril 2015, la femme du demandeur principal a obtenu un visa pour le Canada.

  • En juin 2015, le demandeur principal a encore présenté une demande de visa pour le Canada, qui s’est avérée infructueuse. Encore une fois, le demandeur principal a indiqué qu’il était à la retraite et a nommé l’un de ses anciens employeurs – un hôtel à Bagdad.

  • De juin à juillet 2015, la femme du demandeur principal se trouvait au Canada. Elle est retournée en Iraq le 30 juin 2015 et y est demeurée jusqu’en avril 2016, en dépit du fait qu’elle détenait un visa canadien valide.

  • Le demandeur principal affirme qu’en août 2015, quelqu’un a essayé de l’assassiner en plaçant une bombe dans sa voiture. Selon lui, il n’était pas dans la voiture à ce moment-là, mais l’explosion a blessé son chauffeur.

  • En septembre 2015, le demandeur principal a encore une fois présenté une demande de visa canadien. Dans cette demande, il a indiqué qu’il était à la retraite et il a encore déclaré qu’il avait travaillé dans un hôtel à Bagdad en tant que gestionnaire des comptes jusqu’à son départ à la retraite.

  • En octobre 2015, le demandeur principal a obtenu un visa pour le Canada alors qu’il était en voyage aux Émirats arabes unis.

  • Le 29 octobre 2015, le demandeur principal est rentré en Iraq en provenance des Émirats arabes unis.

  • En décembre 2015, la fille adulte a obtenu un visa pour le Canada alors qu’elle était en voyage aux Émirats arabes unis.

  • En janvier 2016, la fille adulte est rentrée en Iraq en provenance des Émirats arabes unis.

  • Le 7 avril 2016, les demandeurs ont quitté l’Iraq pour le Canada en passant par la Turquie.

  • Le 10 avril 2016, les demandeurs sont arrivés au Canada.

  • Le 20 mai 2016, les demandeurs ont présenté une demande d’asile de l’intérieur.

[4]  Selon le demandeur principal, lui et sa famille courent des risques en Iraq en raison de son travail au bureau du président iraquien, où il a dénoncé la corruption par des fonctionnaires de haut niveau. Le demandeur principal et sa femme craignent aussi d’être persécutés en raison de leur mariage de confession mixte (chiite et sunnite).

[5]  Dans une décision du 10 février 2017, la Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur principal n’avait pas présenté d’éléments de preuve crédibles démontrant qu’il avait travaillé pour le bureau du président. Par conséquent, la Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande des demandeurs et a conclu que ceux-ci n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

[6]  Les demandeurs ont interjeté appel devant la Section d’appel des réfugiés, qui l’a rejeté.

III.  Questions devant la Section d’appel des réfugiés

[7]  La Section d’appel des réfugiés a rejeté tous les nouveaux éléments de preuve que les demandeurs avaient présentés. Puisque les nouveaux éléments de preuve n’ont pas été admis, la Section d’appel des réfugiés a rejeté la demande d’audience des demandeurs. L’admissibilité des nouveaux éléments de preuve que les demandeurs ont présentés n’était pas en cause devant la Cour dans la présente demande.

[8]  La Section d’appel des réfugiés a formulé les questions suivantes :

  • a) La Section de la protection des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans son évaluation des demandes de visa des demandeurs?

  • b) La Section de la protection des réfugiés a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il y avait absence de crainte subjective?

  • c) La Section de la protection des réfugiés a-t-elle commis une erreur en rejetant les documents à l’appui des demandeurs?

  • d) Les demandeurs risquent-ils d’être persécutés en Iraq?

A.  La Section de la protection des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans son évaluation des demandes de visa des demandeurs?

[9]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que les demandeurs n’avaient pas présenté d’éléments de preuve crédibles selon lesquels le demandeur principal avait travaillé au bureau du président, qui constitue la raison pour laquelle les demandeurs craignent d’être persécutés en Iraq. La Section de la protection des réfugiés a tiré cette conclusion pour un certain nombre de raisons : 1) les demandes de visas précédentes du demandeur principal, dans lesquelles il avait indiqué avoir pris sa retraite en 2013, comportaient des contradictions; 2) l’explication du demandeur principal selon laquelle il avait [traduction] « pris sa retraite parce qu’il en avait fait la demande et y était admissible, mais n’avait pas été en mesure d’arrêter de travailler »; 3) il [traduction] « ne savait pas » pourquoi ses demandes de visa de 2015 indiquaient qu’il était gestionnaire des comptes pour un hôtel de Bagdad avant son départ à la retraite; et 4) il n’avait pas joint ses véritables antécédents d’emploi parce qu’il craignait que des responsables les vérifient, avertissant ainsi le bureau de son intention de quitter le pays.

[10]  La Section d’appel des réfugiés a conclu que la conclusion de la Section de la protection des réfugiés était fondée sur les éléments de preuve et le résultat d’un processus de raisonnement compréhensible du fait que la Section de la protection des réfugiés bénéficiait d’une position avantageuse et que sa conclusion méritait la déférence. La Section d’appel des réfugiés a abondé dans le sens de la Section de la protection des réfugiés; il y avait une incohérence et une omission et le demandeur principal a eu une occasion de fournir des explications. Il appartenait à la Section de la protection des réfugiés de juger l’explication du demandeur principal comme changeante et insuffisante.

[11]  La Section d’appel des réfugiés a conclu que les observations du demandeur principal selon lesquelles il était [traduction] « officiellement retraité » et [traduction] « continuait de travailler » au bureau du président à la fois étaient contradictoires. La Section d’appel des réfugiés s’attendait à ce que, si le demandeur principal était [traduction] « officiellement retraité », il ne continue pas de travailler au bureau du président jusqu’en 2016. La Section d’appel des réfugiés contestait le défaut du demandeur principal d’inclure son emploi au bureau du président dans ses demandes de visa. La Section d’appel des réfugiés a aussi contesté l’explication du demandeur principal concernant les incohérences de ses demandes de visa, et a conclu qu’il n’avait pas donné sa réponse au départ et qu’il s’était montré hésitant et vague lorsqu’il a donné sa réponse définitive concernant la raison pour laquelle il avait inclus l’emploi à l’hôtel de Bagdad.

[12]  La Section d’appel des réfugiés a rejeté l’argument des demandeurs selon lequel la Section de la protection des réfugiés n’avait pas respecté l’équité procédurale en ne leur disant pas que le bureau du président saurait que le demandeur principal rendait visite à sa fille au Canada. La Section d’appel des réfugiés a conclu que la Section de la protection des réfugiés avait clairement abordé ce point avec les demandeurs et, qu’en guise de réponse, le demandeur principal s’était une nouvelle fois montré vague et n’avait pas directement répondu à la question.

[13]  La Section d’appel des réfugiés a aussi tenu compte de l’argument du demandeur principal selon lequel la Section de la protection des réfugiés aurait dû lui dire que ses voyages fréquents aux Émirats arabes unis nuisaient à son explication selon laquelle il ne pouvait pas quitter l’Iraq sans s’exposer à un risque accru. La Section d’appel des réfugiés a abondé dans le sens du demandeur principal, mais a conclu que cette conclusion n’avait aucune conséquence sur l’issue en général.

B.  La Section de la protection des réfugiés a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il y avait absence de crainte subjective?

[14]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que les actions des demandeurs, dont le fait qu’ils sont retournés en Iraq à plusieurs occasions après avoir reçu leurs visas pour le Canada, révélaient une absence de crainte subjective.

[15]  Les demandeurs ont soutenu que la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur dans cette évaluation de la crainte subjective étant donné qu’ils avaient raisonnablement expliqué qu’ils étaient retournés en Iraq parce qu’ils ne pouvaient pas laisser les deux autres enfants là-bas si ces derniers n’étaient pas en sécurité. La Section d’appel des réfugiés a rejeté l’argument des demandeurs ainsi que les raisons de leurs retours en Iraq, et a accueilli la conclusion de la Section de la protection des réfugiés. Selon la Section d’appel des réfugiés, des dispositions auraient pu être prises pour les autres enfants, qui avaient 26 ans et 29 ans. La Section d’appel des réfugiés a conclu que même si quelques dispositions étaient nécessaires, il était inutile que la femme et la fille adulte retournent en Iraq. Selon la Section d’appel des réfugiés, le fait qu’elles y soient retournées a nui à l’argument des demandeurs selon lequel ils devaient tous quitter l’Iraq ensemble et, par conséquent [traduction] « nuit à la crédibilité de leurs affirmations selon lesquelles toute la famille était menacée et que le [demandeur principal] a été la cible d’une tentative d’assassinat en août 2015 ».

C.  La Section de la protection des réfugiés a-t-elle commis une erreur en rejetant les documents à l’appui des demandeurs?

[16]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur principal n’avait jamais travaillé au bureau du président. Cette affirmation constituait la pierre angulaire de l’allégation de persécution des demandeurs. La Section d’appel des réfugiés a tenu compte des éléments de preuve et a conclu que les demandeurs n’avaient présenté aucun document à l’appui démontrant que le demandeur principal avait travaillé au bureau du président après 2014. J’insiste sur cette conclusion parce qu’elle constitue le pilier de la demande de contrôle judiciaire des demandeurs. Cela dit, le dernier document de correspondance au dossier provenant du bureau du président remonte à février 2014 et le demandeur a dit à l’ASFC qu’il avait travaillé pour la dernière fois au bureau du président en avril 2014.

[17]  En outre, la Section d’appel des réfugiés a conclu qu’aucun document n’appuyait l’argument selon lequel sa voiture, apparemment fournie par le bureau du président, avait été piégée. La Section d’appel des réfugiés a aussi conclu qu’aucune preuve n’appuyait le fait que le chauffeur apparemment embauché par le bureau du président avait été blessé.

[18]  La Section de la protection des réfugiés a relevé plusieurs problèmes concernant les documents à l’appui des demandeurs et a conclu qu’ils étaient insuffisants pour prouver que le demandeur principal avait occupé le poste qu’il prétendait avoir occupé. Parmi ces problèmes, notons des emblèmes et en-têtes flous, et le fait que les certificats de formation et les photos ne prouvent pas l’emploi au bureau du président et qu’ils pourraient se rapporter à un poste occupé dans un hôtel gouvernemental. La Section de la protection des réfugiés a conclu que les cartes qui se rapportaient particulièrement à son travail au bureau du président n’étaient pas dans leur forme originale et semblaient moins authentiques puisque le texte était coupé et le laminage était mal appliqué.

[19]  La Section de la protection des réfugiés a accueilli l’argument des demandeurs selon lequel la Section de la protection des réfugiés n’avait pas étudié adéquatement les correspondances du bureau du président et qu’elle n’avait pas indiqué les caractéristiques de sécurité qu’elle s’attendait à voir sur certaines lettres ni pour quels motifs elle croyait que de telles lettres présenteraient certaines caractéristiques de sécurité. La Section d’appel des réfugiés a accueilli les explications des demandeurs selon lesquelles les en-têtes et les emblèmes sont de mauvaise qualité parce qu’il s’agit de photocopies.

[20]  Toutefois, la Section d’appel des réfugiés a conclu que même si elle accueillait tous les documents à l’appui du demandeur principal provenant du bureau du président, les documents étaient insuffisants pour surmonter les préoccupations susmentionnées en matière de crédibilité et prouver les allégations des demandeurs. La Section d’appel des réfugiés a déclaré :

[traduction]

[34]  La Section d’appel des réfugiés a accueilli l’argument des [demandeurs] selon lequel la Section de la protection des réfugiés n’avait pas étudié adéquatement les correspondances du bureau du président et qu’elle n’avait pas indiqué les caractéristiques de sécurité qu’elle s’attendait à voir sur certaines lettres ni pour quels motifs elle croyait que de telles lettres présenteraient certaines caractéristiques de sécurité. De plus, la Section d’appel des réfugiés accueille l’explication des [demandeurs] selon laquelle les lettres sont des photocopies. Les photocopies expliquent raisonnablement la raison pour laquelle les en-têtes et les emblèmes sont de piètre qualité comparativement au texte des lettres. Peu importe, même si la Section d’appel des réfugiés accueille l’argument des [demandeurs] et tous ses documents à l’appui provenant du bureau du président, ces derniers sont insuffisants pour surmonter les préoccupations susmentionnées en matière de crédibilité et prouver leurs allégations.

[Non souligné dans l’original.]

D.  Les demandeurs risquent-ils d’être persécutés en Iraq?

[21]  La Section de la protection des réfugiés a rejeté l’argument des demandeurs selon lequel ils courent des risques, en raison de l’appartenance chiite du demandeur et de l’appartenance sunnite de sa femme, parce que les demandeurs ont soulevé ce point vers la fin de l’audience, ont omis d’ajouter cette allégation en tant que préoccupation à leurs formulaires Fondement de la demande d’asile, et parce que leurs retours fréquents en Iraq indiquaient qu’il ne s’agissait pas d’un risque crédible à leur endroit. La Section d’appel des réfugiés a conclu que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas commis d’erreur en tirant cette conclusion. Cette question n’est pas devant la Cour.

IV.  Questions en litige

[22]  À mon avis, les deux questions suivantes sont soulevées en l’espèce :

  • a) La Section d’appel des réfugiés a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale en omettant de faire part des nouvelles préoccupations en matière de crédibilité aux demandeurs afin de leur donner l’occasion de répondre?

  • b) La décision de la Section d’appel des réfugiés est-elle autrement déraisonnable?

V.  Norme de contrôle

[23]  La première question est une question d’équité procédurale en ce sens qu’elle se rapporte à un défaut présumé de donner une occasion de répondre. Elle est susceptible d’un contrôle selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43. Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue un contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte :

Une cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

[24]  En ce qui concerne la seconde question, dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 62, la Cour suprême du Canada conclut qu’il est inutile de procéder à une analyse de la norme de contrôle applicable si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». La Cour a établi que la norme de la décision correcte était la norme de contrôle applicable au défaut du décideur de tenir compte d’une question qui doit être abordée selon Ameeri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 373 [Ameeri] selon la juge Gleason, comme elle l’était à l’époque, au paragraphe 20 :

[21]  Par conséquent, le fait que la Commission a omis d’examiner les risques guettant M. Ameeri et Maryam à Bahreïn en raison de leur origine ethnique constitue une erreur susceptible de contrôle qui a pour effet d’annuler la décision, car une décision n’est pas raisonnable si elle ne tient pas compte d’une question qui doit être examinée (voir p. ex. Cunningham c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 636, au paragraphe 19).

[25]  La norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable à cette question.

[26]  Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[27]  La Cour suprême du Canada prescrit aussi que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34). De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte au vu du dossier, est raisonnable (Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir aussi l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62).

[28]  La décision Sanmugalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 200, selon la juge Kane, présente la loi relative à la façon dont la Section d’appel des réfugiés doit aborder les questions de crédibilité en appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés :

[34]  En ce qui a trait aux questions de crédibilité, bien qu’il y ait quelques nuances, la jurisprudence a établi que la SAR pouvait s’en remettre à la SPR dans le cas où la SPR avait entendu directement les témoins, avait eu la possibilité dus (sic) interroger sur leur témoignage ou avait bénéficié d’un avantage dont était privée la SAR (voir, par exemple, Huruglica, au paragraphe 55; Akuffo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1063, au paragraphe 39, [2014] ACF no 1116 (QL); Nahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1208, au paragraphe 25, [2014] ACF no 1254 (QL)). Toutefois, la Cour a également fait remarquer que cette déférence devait découler d’une évaluation indépendante de la preuve, étant donné que la SAR remplit son rôle en tant que tribunal d’appel (voir, par exemple, Khachatourian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 182, au paragraphe 31, [2015] ACF no 156 (QL) [Khachatourian]; Balde c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 624, au paragraphe 23, [2015] ACF no 641 (QL)).

[29]  Enfin, la Cour examine les décisions de la Section d’appel des réfugiés selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35.

VI.  Analyse

Question en litige no 1 : La Section d’appel des réfugiés a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale en omettant de faire part des nouvelles préoccupations en matière de crédibilité aux demandeurs afin de leur donner l’occasion de répondre?

[30]  Les demandeurs soutiennent que la Section d’appel des réfugiés a manqué à son obligation d’équité procédurale en omettant de leur faire part de ses préoccupations en matière de crédibilité afin de leur donner l’occasion de répondre. Plus particulièrement, les demandeurs soutiennent que la Section d’appel des réfugiés a conclu que le demandeur principal avait travaillé au bureau du président, mais qu’il avait pris sa retraite en 2014.

[31]  Il est important de mentionner que le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés a conclu qu’il avait travaillé au bureau du président jusqu’en 2014. Selon les demandeurs, il s’agissait d’une conclusion centrale qui a nui aux allégations de risque du demandeur principal relativement à la tentative d’assassinat de 2015. Les demandeurs indiquent que c’était implicite dans les motifs de la Section d’appel des réfugiés.

[32]  Le défendeur n’est pas de cet avis. Le ministre soutient que la décision de la Section d’appel des réfugiés révèle que celle-ci a fait remarquer que les demandeurs avaient omis de présenter des documents à l’appui pour démontrer que le demandeur principal avait travaillé au bureau du président après 2014, et que l’argument des demandeurs est essentiellement qu’en faisant cette mention, la Section d’appel des réfugiés a implicitement conclu que le demandeur principal avait été employé du bureau du président jusqu’en 2014. Le défendeur soutient qu’on ne peut pas reprocher à la Section d’appel des réfugiés ce qu’elle n’a pas dit.

[33]  Je ne suis pas convaincu que l’affirmation des demandeurs est correcte. En ayant examiné les motifs, je conclus que la Section d’appel des réfugiés n’a pas conclu que le demandeur principal était employé du bureau du président jusqu’en 2014. À aucun moment la Section d’appel des réfugiés n’a fait cette déclaration. Le paragraphe fondamental des motifs de la Section d’appel des réfugiés indique ce qui suit :

[traduction]

[37]  Compte tenu de son témoignage peu fiable concernant les incohérences de sa demande de visa et de ses omissions, de l’absence de crainte subjective des [demandeurs], et de l’absence de documents à l’appui pour corroborer le fait que le [demandeur principal] était employé au bureau du président après 2014, la Section d’appel des réfugiés conclut que le [demandeur principal] n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve crédibles que lui et sa famille représentent une cible en raison de son travail de lutte contre la corruption. Plus particulièrement, la Section d’appel des réfugiés conclut, selon la prépondérance des probabilités, que le [demandeur principal] était retraité depuis 2014 jusqu’à ce qu’il quitte l’Iraq en 2016, et qu’il n’était pas employé au bureau du président durant cette période. Par conséquent, la Section d’appel des réfugiés conclut, selon la prépondérance des probabilités, que sa voiture appartenant au gouvernement n’a pas été piégée dans une tentative d’assassinat, et que sa famille entière n’était pas menacée. La Section d’appel des réfugiés conclut donc que les [demandeurs] ne se heurteraient qu’à une simple possibilité de persécution s’ils rentraient en Iraq en raison du profil présumé du [demandeur principal] en tant qu’« employé du gouvernement » et comme fonctionnaire « anticorruption ».

[Non souligné dans l’original.]

[34]  Selon moi, les motifs de la Section d’appel des réfugiés doivent être examinés dans le contexte de l’allégation du demandeur principal selon laquelle les aspects sérieux de la persécution présumée ont commencé en 2015. La Section d’appel des réfugiés a rejeté cette allégation en concluant que le demandeur principal [traduction] « n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve crédibles que lui et sa famille représentent une cible en raison de son travail de lutte contre la corruption ». La période suivant 2014 était la période la plus critique sur laquelle la Section d’appel des réfugiés devait se pencher en raison de l’allégation du demandeur principal selon laquelle la tentative d’attentat à la voiture piégée avait eu lieu en 2015.

[35]  Bien que la Section d’appel des réfugiés n’indique pas explicitement que le demandeur principal n’a travaillé pour le bureau du président iraquien à aucun moment, elle n’a tiré aucune conclusion selon laquelle il a bel et bien travaillé pour le bureau du président. Il faut comprendre que la Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur principal n’avait jamais travaillé au bureau du président, ni avant, ni après 2014. Respectueusement, et nonobstant les observations de l’avocat, je ne trouve rien dans les motifs de la Section d’appel des réfugiés qui remplace ou rejette la conclusion de la Section de la protection des réfugiés à cet égard. Selon moi, la Section d’appel des réfugiés a appuyé la Section de la protection des réfugiés à cet égard.

[36]  La crédibilité du demandeur principal quant à son emploi présumé au bureau du président constituait la question clé des demandeurs devant la Section d’appel des réfugiés, comme elle l’avait été devant la Section de la protection des réfugiés. La Section d’appel des réfugiés a indiqué au paragraphe 15 que [traduction] « […] la question de l’emploi du [demandeur principal] au bureau du président constituait une question clé à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés, et on les a averti de cette question ». Le demandeur principal savait que la Section d’appel des réfugiés allait examiner ses antécédents professionnels présumés au bureau du président. En effet, il a soulevé la question lui-même. Sa crédibilité et son statut d’emploi ne constituaient en aucun cas de nouvelles questions. Ils représentent les deux côtés d’une même médaille. Les deux questions étaient au cœur du risque qu’il a vainement allégué devant les deux tribunaux. La Section d’appel des réfugiés a dû examiner l’affaire d’elle-même, ce qu’elle a fait.

[37]  En résumé, la Section d’appel des réfugiés n’était pas tenue de donner avis parce que ni la crédibilité du demandeur principal ni son emploi présumé au bureau du président ne constituaient de nouvelles questions. La Section d’appel des réfugiés n’est pas tenue de donner avis lorsqu’elle traite des mêmes questions que celles dont elle est déjà saisie. Par conséquent, Ameeri ne s’applique pas non plus.

[38]  Les demandeurs ont aussi présenté des éléments de preuve documentaire, dont les « Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum-Seekers from Iraq » du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, qui énumère les [traduction] « personnes associées aux autorités iraquiennes (ou qui semblent les appuyer) […] » relativement au profil de risque présumé du demandeur principal. Cette preuve indiquait que les employés du bureau du président étaient [traduction] « susceptibles d’avoir besoin de la protection internationale accordée aux réfugiés ». Toutefois, la Section d’appel des réfugiés n’était pas tenue d’examiner cette preuve puisque ni la Section de la protection des réfugiés ni la Section d’appel des réfugiés n’ont conclu que le demandeur principal était un tel employé.

[39]  Par conséquent, il n’y a eu aucune iniquité procédurale et cet aspect de la demande de contrôle judiciaire n’a pas porté ses fruits.

Question en litige no 2 : La décision de la Section d’appel des réfugiés était-elle autrement déraisonnable?

[40]  Les demandeurs ont soulevé plusieurs problèmes démontrant apparemment le caractère déraisonnable de la décision de la Section d’appel des réfugiés : [traduction]

  1. Le demandeur principal a pris sa retraite en 2014 : le demandeur principal déclare qu’il a tapé 2014 au lieu de 2016 par inadvertance dans le tableau de ses emplois, à l’instar d’autres erreurs typographiques. Ce problème n’a été ni soulevé devant la Section d’appel des réfugiés ni devant la Section de la protection des réfugiés. L’argument selon lequel une erreur s’était glissée est réfuté par les propres déclarations du demandeur dans ses demandes de visa. Aucune de ces déclarations n’appuie son affirmation selon laquelle il a travaillé au bureau du président après 2014. En effet, dans ses demandes de visa, il a affirmé avoir été employé dans un hôtel avant 2014. Je ne constate aucun caractère déraisonnable dans l’évaluation que la Section d’appel des réfugiés a réalisé de la preuve à cet égard.

  2. Les demandes de visa comportaient des omissions et des incohérences inconciliables : en ce qui concerne les demandes de visa précédentes du demandeur principal, celui-ci affirme qu’il n’a pas divulgué son emploi au bureau du président parce qu’il ne voulait pas alerter le bureau du président de son intention de quitter l’Iraq. La Section d’appel des réfugiés a reconnu que parfois, les demandeurs mentent pour obtenir un visa pour le Canada dans le but de présenter une demande d’asile, mais qu’ils doivent immédiatement corriger le dossier. Le demandeur principal soutient qu’il a bien corrigé le dossier au moment de présenter une demande d’asile, dans laquelle il a indiqué avoir été employé au bureau du président. À mon avis, la Section d’appel des réfugiés a répondu à ces allégations dans son rejet des allégations générales des demandeurs. Le rejet était fondé sur les motifs suivants :

Selon son témoignage peu fiable, les incohérences et les omissions de sa demande de visa, l’absence de crainte subjective des [demandeurs] ainsi que l’absence de documents à l’appui corroborant l’affirmation selon laquelle le [demandeur principal] avait été employé au bureau du président […].

  1. L’absence de crainte subjective des demandeurs : les demandeurs soutiennent qu’en retournant en Iraq, ils essayaient de gérer le risque d’éviter une issue défavorable, et le fait qu’ils y soient retournés pour veiller à la sécurité de leur famille ne devrait pas nuire à l’authenticité de leurs motivations. De nombreux retours ont été concédés. Dans le contexte général du dossier, je ne suis pas convaincu que cet aspect du raisonnement de la Section d’appel des réfugiés est déraisonnable.

[41]  Enfin, les demandeurs soutiennent que la Section d’appel des réfugiés a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Respectueusement, ce n’est pas le cas à mon avis. La Section d’appel des réfugiés soulève de nombreux problèmes quant aux éléments de preuve du demandeur principal, à savoir l’absence de tout élément de preuve démontrant qu’il avait travaillé pour le bureau du président après 2014, le fait qu’il n’existait aucun document à l’appui prouvant que sa voiture avait été piégée, l’absence de preuve démontrant que le chauffeur avait été blessé, ainsi que son témoignage peu fiable concernant les incohérences et les omissions importantes de ses multiples demandes de visa. La Section d’appel des réfugiés s’en est adéquatement remise aux conclusions de la Section de la protection des réfugiés. Elle a entrepris sa propre analyse du dossier et a tiré la même conclusion que la Section de la protection des réfugiés concernant cette question clé. L’analyse et les décisions de la Section d’appel des réfugiés à cet égard sont défendables compte tenu du dossier, et sont par conséquent raisonnables.

VII.  Conclusion

[42]  J’ai conclu que le processus décisionnel de la Section d’appel des réfugiés n’a entraîné aucune iniquité procédurale. En ce qui concerne la question du caractère raisonnable, et en prenant du recul pour examiner l’affaire dans son ensemble, à mon humble avis, la décision de la Section d’appel des réfugiés appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Puisque la décision de la Section d’appel des réfugiés est conforme aux normes établies dans Dunsmuir, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

VIII.  Questions à certifier

[43]  Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire, sans aucune question à certifier et aucune ordonnance quant aux dépens.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de décembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3954-17

 

INTITULÉ :

ANMAR HUSSEIN MOHAMMED AL-HAFIDH, ZAINAB ANMAR HUSSEIN AL-HAFIDH, INAAM YOUSIF ABBAS AL-NUAIMI c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 mars 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 mars 2018

 

COMPARUTIONS :

Luke McRae

 

Pour les demandeurs

 

Nina Chandy

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bondy Immigration Law

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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