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Date : 20180320

 


Dossier : T-932-17

T-1330-17

T-735-17

T-1052-17

Référence : 2018 CF 319

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2018

En présence de monsieur le juge Noël

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

S. ROBERT CHAD

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  RAPPEL DES FAITS

[1]  Le ministre du Revenu national (le demandeur) procède actuellement à la vérification de Robert S. Chad (le défendeur) pour ses déclarations de revenus personnelles de 2011, 2012 et 2013 dans le cadre du programme Initiative relative aux entités apparentées.

[2]  Le défendeur a reçu deux demandes péremptoires, envoyées par Mme Parmpal Sandhu, vérificatrice à l’Agence du revenu du Canada (l’Agence), dans lesquelles on exigeait qu’il produise des documents et des renseignements (les demandes péremptoires) aux termes des articles 231.1 et 231.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985), c 1 (5e suppl.) (la LIR).

[3]  Le défendeur a déposé deux avis de demande de contrôle judiciaire en vue d’obtenir un certiorari afin d’annuler les décisions du ministre, dans lesquelles les demandes péremptoires ont été délivrées, au motif qu’elles avaient été délivrées irrégulièrement, qu’elles étaient ultra vires, invalides ou non conformes à la LIR et qu’elles avaient une portée trop large.

[4]  Conformément aux articles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), le défendeur a demandé tous les documents sur lesquels on s’est appuyé pour délivrer les demandes péremptoires. Le demandeur a signifié un dossier caviardé certifié et signé par la vérificatrice de l’Agence, Mme Sandhu (le dossier certifié).

[5]  Le demandeur a déposé deux demandes aux termes de l’article 37 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC (1985), c C-5 (les demandes présentées au titre de l’article 37), qui sont accessoires aux deux demandes de contrôle judiciaire. Les demandes présentées au titre de l’article 37 visent des ordonnances interdisant la divulgation de renseignements caviardés au motif qu’ils porteraient atteinte à l’intérêt public. Pour appuyer l’opposition à la divulgation, la Couronne compte uniquement sur le certificat de Mme Sue Murray, directrice générale de la Direction du secteur international et des grandes entreprises de l’Agence (le certificat). Le certificat énonce de façon générale que l’intérêt public protège ce qui suit : les discussions et les analyses documentées entre les vérificateurs et les spécialistes de l’Agence, ainsi que les outils internes et les méthodes de vérification utilisés pendant les enquêtes en cours. On soutient que la divulgation de ces renseignements nuirait aux opérations de vérification en cours et faciliterait la structuration des réponses des contribuables aux demandes de vérification trompeuses. On soutient également que la divulgation des méthodes et techniques de vérification n’a aucun lien avec la question soulevée dans la demande de contrôle judiciaire.

[6]  La Cour a ordonné que les demandes présentées au titre de l’article 37 soient traitées avant la demande de contrôle judiciaire.

[7]  Le défendeur allègue que l’approche du demandeur quant à la divulgation a créé un manquement à l’équité procédurale. Le défendeur demande donc une ordonnance pour que le demandeur convoque Mme Murray à un contre-interrogatoire qui est, selon lui, nécessaire et utile pour mettre à l’épreuve les opinions et les conclusions figurant dans le certificat. Le demandeur s’oppose au contre-interrogatoire de Mme Murray.

II.  QUESTIONS EN LITIGE

[8]  Tout d’abord, à la suite d’une conférence de gestion de l’instance tenue le 4 décembre 2017, les parties ont été invitées à présenter des observations écrites sur le fondement juridique d’un processus proposé sur lequel s’appuyer pour donner suite aux demandes présentées au titre de l’article 37.

[9]  Deuxièmement, étant donné qu’aucun affidavit n’a été déposé par le demandeur pour appuyer l’opposition à la divulgation faite aux termes de l’article 37, la question dont nous sommes saisis est de savoir si une partie devrait être autorisée à contre-interroger l’auteur d’un certificat.

III.  DISCUSSION

A.  Quel est le processus approprié à suivre aux termes de l’article 37 de la Loi sur la preuve au Canada pour déterminer la validité des oppositions à la divulgation de renseignements?

[10]  Les deux parties conviennent qu’il n’y a aucune procédure établie qui dicte un processus précis à suivre pour statuer sur les oppositions fondées sur l’article 37. La Cour possède un pouvoir discrétionnaire absolu pour choisir sa propre procédure en fonction des circonstances dont elle est saisie. Au moment de déterminer la forme et l’ampleur du processus de demande présentée au titre de l’article 37, la Cour devrait tenir compte de la nature de l’intérêt public en jeu, du contexte factuel et législatif dans lequel le demandeur s’oppose à la divulgation des renseignements, ainsi que du caractère délicat des documents caviardés (voir R c Pilotte, [2002] OJ no 866, aux paragraphes 52 et 60).

[11]  L’opposition fondée sur l’article 37 découle du contexte factuel et législatif d’une demande de contrôle judiciaire contestant une demande de renseignements présentée par le ministre au défendeur, dans le cadre d’une vérification en cours du défendeur en application de la LIR, aux fins de cette vérification. De plus, la Cour doit tenir compte du contexte législatif lié à la LIR. Le régime fiscal canadien est fondé sur l’autodéclaration, de sorte que, pour s’acquitter de ses obligations légales, le ministre s’est vu accorder de vastes pouvoirs d’inspection et de vérification des renseignements et des documents des contribuables faisant l’objet de vérifications, et d’examen de toute question relative au contribuable afin de s’assurer que les contribuables paient le bon montant d’impôt; ceci est dans l’intérêt public (voir eBay Canada Ltd c Ministre du revenu national, 2008 CAF 141 (CanLII), au paragraphe 39; AGT Ltd c Canada (AG), [1996] 3 PC 505 (CF 1re inst.), au paragraphe 54). Cela dit, la Cour doit être consciente des considérations d’équité dans les demandes de contrôle judiciaire, afin de s’assurer que le dossier du tribunal contient tous les éléments possibles qui ne sont pas couverts par le privilège dont le décideur était saisi lorsque la décision qui fait l’objet du contrôle a été rendue.

[12]  La Cour a déterminé que, dans la présente instance, les procédures suivantes devraient être suivies :

  1. La Cour doit déterminer si la Couronne a établi l’intérêt public comme demandé;
  2. Si cette décision ne peut pas être prise uniquement en fonction du certificat, d’autres observations, comme un affidavit secret et des documents non caviardés, doivent être déposées pour appuyer le privilège revendiqué, qui sera traitée de façon ex parte;
  3. La Cour doit déterminer si le défendeur a établi une « apparence de droit » pour la divulgation des renseignements expurgés (Khan c R, 1996 CanLII 4032 (CF), [1996] 2 CF 316, aux paragraphes 24 et 25);
  4. Une fois qu’une cause apparente de divulgation a été établie, la Cour doit examiner les renseignements expurgés (Khan c R., [1996] 2 CF 316, au paragraphe 25);
  5. Si la Cour conclut que la divulgation des renseignements expurgés empiéterait sur l’intérêt public précisé, elle doit établir une pondération des intérêts. Les intérêts à pondérer sont l’intérêt public de la divulgation et l’intérêt public précisé par le demandeur. La Cour peut examiner la forme originale des renseignements expurgés à cette étape (Wang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 493, aux paragraphes 36 et 37);
  6. Déterminer si les renseignements expurgés doivent être divulgués.

[13]  Bien qu’il s’agisse d’une contestation d’une interdiction de publication au moment du procès, je conclus que les commentaires de la Cour suprême du Canada dans Toronto Star Newspaper Ltd c Ontario, 2005 CSC 41 sont extrêmement pertinents en ce qui a trait aux oppositions à la divulgation et à leur adjudication dans le cadre d’audiences ex parte à huis clos.

1.  Dans tout environnement constitutionnel, l’administration de la justice s’épanouit au grand jour – et s’étiole sous le voile du secret.

2.  Cette leçon de l’histoire a été consacrée dans la Charte canadienne des droits et libertés. L’alinéa 2b) de la Charte garantit, en termes plus généraux, la liberté de communication et la liberté d’expression. La vitalité de ces deux libertés fondamentales voisines repose sur l’accès du public aux renseignements d’intérêt public. Ce qui se passe devant les tribunaux devrait donc être, et est effectivement, au cœur des préoccupations des Canadiens.

[14]  Comme l’a si éloquemment expliqué le juge Fish dans Toronto Star, la publicité et la transparence des procédures judiciaires sont des principes fondamentaux du système juridique canadien. Toutefois, des exceptions limitées à ce principe sont nécessaires au bon fonctionnement et à l’intégrité de notre système juridique :

3.  Bien que fondamentales, les libertés que je viens de mentionner ne sont aucunement absolues. Dans certaines circonstances, l’accès du public à des renseignements confidentiels ou de nature délicate se rapportant à des procédures judiciaires compromettra l’intégrité de notre système de justice au lieu de la préserver. Dans certains cas, un bouclier temporaire suffira; dans d’autres, une protection permanente sera justifiée.

4.  Les demandes concurrentes se rapportant à des procédures judiciaires amènent nécessairement les tribunaux à exercer leur pouvoir discrétionnaire. La présomption de « publicité » des procédures judiciaires est désormais bien établie au Canada. L’accès du public ne sera interdit que lorsque le tribunal compétent conclut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, que la divulgation serait préjudiciable aux fins de la justice ou nuirait indûment à la bonne administration de la justice.

[15]  Les exceptions quant au principe de la publicité des procédures judiciaires doivent être faites d’une manière qui tient compte de son caractère fondamental. Ces exceptions limitées doivent être soigneusement protégées afin de s’assurer qu’elles ne sont utilisées que lorsque les circonstances le justifient. Par conséquent, le demandeur doit fonder la demande présentée au titre de l’article 37 sur des affirmations précises et concrètes plutôt que sur des déclarations vagues et trop générales. Il doit présenter suffisamment d’éléments de preuve pour convaincre la Cour que l’affirmation du privilège d’intérêt public est légitime dans les circonstances.

[16]  Selon le demandeur, il n’y a pas d’exigence législative ou de common law de présenter des éléments de preuve au-delà du certificat. Je ne suis pas d’accord. À cette étape-ci, le certificat de Mme Sue Murray dans sa forme actuelle, sans autre document déposé à la Cour, ne me donne pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que la revendication fondée sur l’intérêt public est justifiée. Le certificat ne contient que des déclarations vagues et trop générales, qui prétendent à l’existence d’un privilège d’intérêt public sans le corroborer. Au fil des ans, l’expérience m’a appris qu’un certificat public, aux termes de l’article 37, ou qu’un avis aux termes de l’article 38 ne suffit pas dans une demande pour rendre une décision sur la validité de la revendication.

[17]  Dans le contexte de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, aucun élément de preuve direct n’est requis pour appuyer le privilège absolu que constitue la confidentialité des renseignements du Conseil privé de la Reine pour le Canada. Ainsi, une opposition fondée sur l’article 39 est définitive et inattaquable, une fois qu’elle a fait l’objet d’une attestation valide. Cependant, dans le cas des articles 37 et 38 de la Loi sur la preuve au Canada, les oppositions ne sont pas absolues et peuvent être vérifiées et évaluées par la Cour.

[18]  Des allégations ministérielles non vérifiées en matière de confidentialité peuvent créer un climat de soupçon et de cynisme. Le juge O’Connor a fait les commentaires suivants à ce sujet dans le cadre de l’enquête Arar :

Je soulève cette question pour faire ressortir que la multiplication des réclamations aggrave les problèmes de transparence et d’équité procédurale accompagnant inévitablement toute enquête qui ne peut être totalement publique en raison des préoccupations [de confidentialité liées à la sécurité nationale]. En conséquence, le grand public n’en est que plus soupçonneux et cynique à l’égard des réclamations de confidentialité légitimes du gouvernement liées à la sécurité nationale. Au début de ce genre d’enquêtes, il importe de déployer tous les efforts possibles pour éviter la multiplication des réclamations.

(Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar, Rapport sur les événements concernant Maher Arar : analyse et recommandations (2006), au paragraphe 302, cité dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Harkat, 2014 CSC 37, au paragraphe 63).

[19]  Dans Harkat, la juge en chef McLachlin a traité de la question de la confidentialité dans le contexte d’un certificat de sécurité aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. La juge en chef a déclaré que le rôle du juge est un rôle de gardien pour éviter que le ministre ne multiplie les revendications. De plus, elle a expliqué que le juge « doit être vigilant et sceptique quant aux allégations du ministre relatives à la confidentialité. Les tribunaux ont formulé des commentaires quant à la propension du gouvernement à exagérer les réclamations de confidentialité fondées sur la sécurité nationale » (voir Harkat, précité, aux paragraphes 63 à 65).

[20]  Étant donné qu’à cette étape de l’instance, personne, sauf le ministre ou le demandeur, n’a vu le contenu des renseignements protégés, il serait « inconcevable » de rendre une décision d’une telle importance sans voir les renseignements non divulgués. Comme l’a expliqué le juge Mosley dans Soltanizadeh c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2018 CF 114, au paragraphe 38 :

Par exemple, les juges désignés à cette époque se sont en fait abstenus d’examiner les documents classifiés pour déterminer si les affirmations du ministre étaient valides. Ils préféraient s’appuyer sur les affidavits et observations confidentiels que le gouvernement leur fournissait : décision Henrie, précitée, paragraphe 23 (page 240 dans le rapport original). Aujourd’hui, il est inconcevable que des juges désignés affectés à l’examen des demandes présentées au titre de l’article 38 de la LPC ou de l’article 87 de la LIPR s’appuient sur des affirmations du ministre selon lesquelles il y aurait préjudice sans lire les renseignements en question.

[21]  Accepter le certificat dans sa forme actuelle sans présenter d’autres observations serait ne pas assumer correctement mon rôle de juge et ne pas prendre en compte les fonctions judiciaires qui m’ont été confiées. Mon rôle dans ce genre de procédure exceptionnelle est de veiller à ce que les nuages de soupçon soient dispersés, ce qui, en retour, permettra de faire preuve d’équité.

[22]  Considérant que le certificat ne contient que des affirmations généralisées, pour être en mesure d’affirmer adéquatement son privilège, le demandeur devrait déposer auprès de la Cour, de façon confidentielle, une copie non caviardée des documents caviardés qui auraient trait à l’intérêt public revendiqué et de tout autre document ou affidavit qui pourrait être approprié pour appuyer adéquatement la validité du privilège allégué. La Cour sera tenue, en l’espèce, de tenir l’audience à huis clos afin de pouvoir traiter des éléments de preuve et des observations ex parte.

B.  Étant donné qu’aucun affidavit n’a été déposé par le demandeur pour appuyer l’opposition à la divulgation faite aux termes de l’article 37, la deuxième question dont nous sommes saisis est de savoir si une partie devrait être autorisée à contre-interroger l’auteur d’un certificat.

[23]  Le défendeur a déposé une requête en vue d’obliger le demandeur à produire la déclaration de Mme Sue Murray aux fins de contre-interrogatoire pour mettre à l’épreuve ses opinions et ses conclusions dans le certificat, sur lequel le demandeur s’appuie pour prouver sa revendication du privilège. Le défendeur fait valoir que le contre-interrogatoire est nécessaire avant que la Cour puisse statuer sur la question de savoir si les renseignements caviardés devraient demeurer non divulgués. Il ajoute que la possibilité de contre-interroger un témoin sur son témoignage est une règle fondamentale d’équité.

[24]  En réponse, le demandeur soutient que la position du défendeur quant au contre-interrogatoire sur le certificat n’est pas fondée sur les principes de common law ni sur les procédures légales fondées sur l’article 37. De plus, il soutient que la question de savoir si la Couronne a suffisamment établi les motifs d’immunité d’intérêt public sera déterminée par la Cour et non par le défendeur.

[25]  Les procédures fondées sur l’article 37 ne sont pas des demandes de contrôle judiciaire, comme l’a expliqué la Cour d’appel fédérale dans Ribic :

Il importe de se rappeler que la procédure introduite en application de l’article 38.04 de la Loi [...] n’est pas une procédure de contrôle judiciaire. Ce n’est pas une procédure destinée à réformer une décision du procureur général de ne pas divulguer des renseignements sensibles. L’interdiction de divulguer des renseignements sensibles est une interdiction édictée par l’alinéa 38.02(1)a) de la Loi.

(Ribic c Canada, 2003 CAF 246, au paragraphe 15)

[26]  Une demande présentée au titre de l’article 37 est une procédure distincte, indépendante des demandes de contrôle judiciaire de la demande péremptoire et uniquement accessoire à ces dernières. Par conséquent, le défendeur n’a ni la qualité ni le droit d’assister à l’audience fondée sur l’article 37 (voir R c Basi, [2009] 2009 CSC 52, au paragraphe 50; R v Ames, 2017 ABQB 651, au paragraphe 5). Je conviens avec le demandeur que le rôle ultime du juge, et non du défendeur dans le cadre d’une demande présentée au titre de l’article 37, est de déterminer si le certificat convainc la Cour de la portée appropriée de l’opposition ou du privilège.

[27]  Dans le contexte de l’équité et de la transparence, la Cour devrait tenir compte des observations du défendeur sur la portée des privilèges lorsqu’elle statue sur l’opposition à la divulgation. Elle devrait aussi tenir compte des préoccupations du défendeur à l’égard de la validité du certificat et du rôle sous-jacent que Mme Murray a joué dans la vérification et le caviardage.

[28]  Avant et après l’audience à huis clos, le juge qui présidera l’audience convoquera une conférence de gestion de l’instance pour informer le défendeur de l’état de l’instance. Au besoin, et si les circonstances l’exigent, le juge qui préside demandera à l’avocat du défendeur de présenter d’autres observations sur toute autre question qui pourrait assurer l’équité dans ces circonstances.

[29]  Le défendeur peut également soumettre une liste de questions liées à la portée du privilège que le juge de première instance, en application de l’article 37, pourrait envisager de poser à un témoin potentiel lors d’une audience ex parte. Cependant, il est important de rappeler au défendeur que le juge qui préside le procès a le pouvoir discrétionnaire de décider si Mme Murray ou tout autre témoin devrait être interrogé par ledit juge. Le juge a également le pouvoir discrétionnaire de déterminer le type de questions qu’il posera au témoin.

[30]  Par souci d’équité, le juge qui préside l’audience doit adopter toutes les mesures raisonnables pour permettre au défendeur de comprendre dans toute la mesure du possible les questions en jeu lors de l’audience ex parte – à huis clos, sans aller jusqu’à divulguer les renseignements caviardés. La Cour doit être prudente, minutieuse, vigilante et exigeante dans les procédures ex parte afin de s’assurer que la revendication du privilège du demandeur est pleinement vérifiée. Les considérations d’équité doivent transparaître à toutes les étapes de la procédure prévue à l’article 37.

[31]  Le défendeur n’a présenté aucune référence législative ni aucune jurisprudence à l’appui de sa demande selon laquelle son avocat devrait être en mesure de vérifier les opinions et les conclusions du certificat par un contre-interrogatoire. Dans le contexte de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, la Cour, dans Kevork c Canada, [1984] 2 CF 753 (CF 1re inst.), s’est prononcée sur la possibilité pour un défendeur de contre-interroger l’auteur d’un certificat. La Cour a déterminé qu’il n’y avait pas de droit de contre-interroger l’auteur du certificat, en l’absence de [traduction] « circonstances importantes et exceptionnelles ».

[32]  Dans Harris c La Reine, 2001 CFPI 498, appliquant le raisonnement de la décision Kevork à une opposition fondée sur l’article 37 dans le contexte d’un contrôle judiciaire lié à l’impôt, la Cour a statué qu’il n’existe pas de droit légal ou de common law de contre-interroger l’auteur d’un certificat. Aussi, les questions liées au caractère suffisant du certificat devraient être prises en compte lors de l’audition de la demande présentée au titre de l’article 37. Enfin, l’autorisation de contre-interroger est une décision discrétionnaire et, en l’absence de [traduction] « circonstances importantes et exceptionnelles », le contre-interrogatoire ne devrait pas être permis.

[33]  J’aimerais d’abord préciser qu’un certificat n’est pas un affidavit qui, habituellement, par souci d’équité, donne à la partie adverse la possibilité de contre-interroger un témoin sur la preuve qu’il a déposée. Dans une instance fondée sur l’article 37, le contre-interrogatoire par l’avocat de la partie adverse n’est pas une condition préalable pour assurer l’équité. Comme nous l’avons mentionné ci‑dessus, l’opposition à la divulgation et à l’attestation d’un intérêt public déterminé crée une procédure accessoire où le défendeur n’a pas qualité pour agir. De plus, le contre-interrogatoire de l’avocat du défendeur n’est pas nécessaire pour que la Cour puisse déterminer si l’intérêt public de la divulgation l’emporte sur l’intérêt public précisé pour empêcher la divulgation.

[34]  Le défendeur soutient que le contre-interrogatoire serait productif parce qu’il permettrait à Mme Murray de justifier ses conclusions énoncées dans le certificat puisqu’on ne sait pas si elle croit que les renseignements caviardés se limitent à la seule vérification du défendeur, ou s’ils procureraient un avantage quelconque aux contribuables de façon plus générale. On soutient également que le contre-interrogatoire aiderait à déterminer dans quelle mesure Mme Murray a traité la vérification ou la demande avant le certificat. De plus, on fait valoir que cela donnerait l’occasion de demander à Mme Murray si elle a tenu compte des problèmes sous-jacents distincts des demandes lorsqu’elle a signé le certificat.

[35]  Après avoir examiné le type de questions et de sujets à l’égard desquels l’avocat du défendeur aimerait faire un contre-interrogatoire, je ne peux m’empêcher de conclure que ces types de questions seront automatiquement entravées par une série constante d’oppositions de la part de l’avocat du demandeur fondées sur le privilège d’intérêt public prévu à l’article 37, qui n’a pas encore été déterminé. Ainsi, le contre-interrogatoire de l’avocat du défendeur se transformerait en un exercice inutile et inefficace, ce qui prolongerait inutilement la demande présentée au titre de l’article 37, qui est déjà compliquée. Je profite de l’occasion pour rappeler aux parties que les Règles des Cours fédérales stipulent que les Règles « sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » (article 3 des Règles).

C.  L’« apparence de droit » aux fins de la divulgation

[36]  Comme l’explique le juge Mactavish dans Wang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 493 :

[39]  Lorsqu’elle est appelée à statuer sur une demande faite en vertu de l’article 37 de la LPC, la Cour doit tout d’abord déterminer si la demande peut être traitée en fonction des affidavits déposés ou si les demandeurs ont établi l’existence d’une « apparence de droit » à la divulgation; dans ce dernier cas, la Cour doit examiner les éléments de preuve en litige afin de décider de la validité de la revendication du privilège : Khan, précité, au paragraphe 24.

[37]  Pour déterminer si une apparence de droit de divulgation a été établie, le juge Rothstein, tel était alors son titre, a énoncé les facteurs suivants à prendre en considération :

  1. la nature de l’intérêt public que l’on tente de protéger par le secret;
  2. la question de savoir si un fait crucial pour la défense sera probablement ainsi établi;
  3. la gravité de l’accusation ou des questions concernées;
  4. l’admissibilité des documents et leur utilité;
  5. la question de savoir si les requérants ont établi qu’il n’existe pas d’autres moyens raisonnables d’obtenir les renseignements;
  6. la question de savoir si la divulgation demandée vise la communication de certains documents ou constitue un interrogatoire à l’aveuglette.

  (Khan c R, (1996) 2 CF 316, aux paragraphes 24 et 25).

[38]  En tant que juge responsable de la gestion de l’instance, afin d’accélérer les procédures, je considère que les motifs invoqués par le défendeur en vue du contre-interrogatoire établissent une apparence de droit à la divulgation des renseignements caviardés. Plus précisément, les préoccupations exprimées par le défendeur portent sur les facteurs suivants : la nature de l’intérêt public que l’on tente de protéger par le secret, la question de savoir si un fait crucial pour la défense sera probablement ainsi établi et la question de savoir si le défendeur a établi qu’il n’existe pas d’autres moyens raisonnables d’obtenir les renseignements.

[39]  Comme dernier commentaire, je souligne que les articles 317 et 318 des Règles établissent qu’un demandeur, dans une demande de contrôle judiciaire, peut demander à un décideur administratif d’attester que tous les documents pertinents relatifs à la décision administrative sont divulgués. Dans le contexte particulier des demandes de contrôle judiciaire, il est essentiel et nécessaire qu’un demandeur reçoive le dossier certifié du tribunal complet.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106

Federal Courts Rules, SOR/98-106

Obtention de documents en la possession d’un office fédéral

Matériel en la possession de l’office fédéral

Material in the Possession of a Tribunal

Material from tribunal

 

317 (1) Toute partie peut demander la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents quant à la demande, qu’elle n’a pas mais qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande, en signifiant à l’office une requête à cet effet puis en la déposant. La requête précise les documents ou les éléments matériels demandés.

(…)

317 (1)A party may request material relevant to an application that is in the possession of a tribunal whose order is the subject of the application and not in the possession of the party by serving on the tribunal and filing a written request, identifying the material requested.

(…)

Documents à transmettre

Material to be transmitted

318 (1) Dans les 20 jours suivant la signification de la demande de transmission visée à la règle 317, l’office fédéral transmet:

318 (1) Within 20 days after service of a request under rule 317, the tribunal shall transmit

a) au greffe et à la partie qui en a fait la demande une copie certifiée conforme des documents en cause (…)

(a) a certified copy of the requested material to the Registry and to the party making the request; or

Les considérations d’équité fondamentales militent en faveur d’un dossier le plus complet possible, afin qu’un demandeur puisse exercer pleinement son droit à un contrôle judiciaire en comprenant les motifs pour lesquels une décision administrative a été rendue. Dans les demandes de contrôle judiciaire, l’équité exige de donner accès à un dossier certifié du tribunal complet contenant les « documents pertinents » de la demande. Cela suffit pour répondre au critère visant à déterminer si on a établi l’existence d’une « apparence de droit à la divulgation ».

[40]  La Cour demande donc au demandeur de déposer à la Cour, de façon confidentielle, des copies non caviardées de tous les documents sur lesquels le ministre s’est appuyé dans le dossier certifié du tribunal, afin que la Cour puisse effectuer l’exercice de pondération exigé par la loi pour déterminer si la divulgation des renseignements caviardés empiéterait sur l’intérêt public déterminé (voir le paragraphe 37(4.1) de la Loi sur la preuve au Canada).


JUGEMENT

  LA COUR ORDONNE ET ADJUGE ce qui suit :

  1. La requête du défendeur visant à contre-interroger Mme Sue Murray est rejetée;
  2. Le 6 avril 2018 au plus tard, le demandeur doit déposer auprès du greffe de la Cour, de façon confidentielle, une copie non caviardée des documents réclamés dans le cadre de la revendication fondée sur l’intérêt public et tout autre document ou affidavit que le demandeur peut choisir;
  3. La Cour se réserve le droit d’examiner les certificats de Mme Sue Murray et de toute autre personne, au besoin;
  4. Une audience à huis clos sera fixée après la réception des documents confidentiels;
  5. Afin d’assurer l’équité, des conférences sur la gestion de l’instance seront fixées avant et après l’audience ex parte;
  6. Les présents motifs seront consignés dans tous les dossiers connexes;
  7. Les dépens suivront l’issue de la cause.

« Simon Noël »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 9e jour de décembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-932-17, T-1330-17, T-735-17, T-1052-17

 

INTITULÉ :

Le PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c

S. ROBERT CHAD

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 mars 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 mars 2018

 

COMPARUTIONS :

Margaret McCabe

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Peter T. Linder, c.r.

Emmett Scrimshaw

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Peacock Linder Halt & Mack LLP

Calgary (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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