Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180226


Dossier : T-138-01

Référence : 2018 CF 218

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 février 2018

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

LE CONSEIL KASKA DENA

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Le Conseil Kaska Dena (le Conseil) a déposé une requête en jugement sommaire en application du paragraphe 213(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Plus précisément, le Conseil cherche à obtenir un jugement sommaire contre le Canada à l’égard des aspects suivants de la réparation réclamée en l’espèce :

a)  un jugement déclarant que le gouvernement du Canada a le pouvoir, aux termes du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, de négocier et de conclure des traités ou des ententes sur des revendications territoriales, au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, avec les peuples autochtones du Canada, y compris les peuples autochtones représentés par le demandeur, qui ont établi à la satisfaction du gouvernement du Canada que leurs droits, titres et intérêts ancestraux à l’égard de leurs terres situées en Colombie-Britannique n’ont jamais fait l’objet d’un traité ou été annulés par la loi;

b)  un jugement déclarant que le gouvernement du Canada a officiellement reconnu et confirmé que le titre ancestral et les intérêts connexes des Kaska Dena à l’égard de leurs terres situées au nord de la Colombie-Britannique n’ont jamais fait l’objet d’un traité et, plus précisément du Traité no 8, et n’ont jamais été annulés par la loi.

c)  un jugement déclarant que la Couronne défenderesse entretient un rapport fiduciaire avec le demandeur et ses membres, et que l’acceptation de la revendication territoriale globale du demandeur par la défenderesse confère à celle-ci ainsi qu’à ses préposés et mandataires les obligations fiduciaires suivantes envers le demandeur et ses membres :

i) l’obligation de protéger le titre ancestral et les intérêts connexes qui font l’objet de la revendication territoriale globale du demandeur, laquelle a été acceptée par le gouvernement du Canada en 1983;

ii) l’obligation de faire preuve de bonne foi à l’endroit du demandeur en ce qui concerne la négociation et le règlement de la revendication territoriale globale à l’égard de ses terres situées au nord de la Colombie-Britannique, dont la validité a été reconnue;

d)  un jugement déclarant que la Couronne défenderesse ainsi que ses préposés et mandataires ont fait preuve de mauvaise foi et ont manqué et continuent de manquer à leur obligation d’agir de bonne foi envers le demandeur et ses membres en ce qui concerne la négociation [et] le règlement de la revendication territoriale globale du demandeur à l’égard de ses terres situées au nord de la Colombie-Britannique, dont la validité a été reconnue;

e)  un jugement déclarant que la Couronne défenderesse ainsi que ses préposés et mandataires ont manqué et continuent de manquer à leur obligation fiduciaire de protéger le titre ancestral et les intérêts connexes du demandeur et de ses membres, dont la validité a été reconnue et confirmée par le gouvernement du Canada en 1983.

[2]  Après avoir pris connaissance des dossiers déposés, y compris les mémoires écrits des parties, et après avoir entendu leurs plaidoiries pendant un jour et demi à Whitehorse (Yukon), je ne puis faire droit à la présente requête. À mon avis, le Conseil a soumis la présente requête afin d’obtenir des jugements déclaratoires énonçant des principes de droit qu’il juge inattaquables, ou qui requièrent un fondement factuel minime, également inattaquable. Or, le Canada met en cause une bonne partie, sinon la totalité des énoncés de droit que le Conseil demande instamment à la Cour d’avaliser, et fait valoir certaines disparités entre l’exposé du Conseil et le fondement factuel ou les inférences qui peuvent en découler.

[3]  Compte tenu de ma décision sur la présente requête et parce que le litige exige la tenue d’un procès, je limiterai autant que possible mes commentaires pour ne pas influencer les parties relativement au point de vue que pourrait adopter un juge de première instance sur les questions en litige au terme d’un procès complet.

RÉSUMÉ DES FAITS

[4]  L’action ayant débuté en 2001, il ne faut pas s’étonner que l’historique de la présente requête soit très long. Le résumé qui suit donne seulement une petite idée du contexte factuel de la requête.

[5]  Le Conseil Kaska Dena a été créé en 1981 pour défendre les intérêts des membres de la Première Nation des Kaska Dena, et plus précisément pour négocier des traités et des ententes sur les revendications territoriales fondées sur les droits revendiqués à l’égard d’un territoire traditionnel situé au nord de la Colombie-Britannique et au Yukon.

[6]  Dans une lettre datée du 22 octobre 1981, le ministre des Affaires indiennes et du Nord de l’époque, John Munro, informait le Conseil sur la procédure à suivre pour présenter une revendication visant le territoire situé en Colombie-Britannique. Se conformant aux conseils du ministre, le Conseil a rencontré le ministre des Affaires indiennes et du Nord le 18 février 1982 et lui a remis le document intitulé « Submission of the Kaska Dena Council for Recognition of Their Comprehensive Claim to Lands in Northern British Columbia » (la revendication territoriale globale). La majeure partie du territoire revendiqué en Colombie-Britannique appartient à la Couronne provinciale. Dans la revendication territoriale globale, le Conseil soutient que le Traité no 8, qui vise une bonne partie du nord de la Colombie-Britannique, n’éteignait pas le titre ancestral des Kaska Dena sur les terres situées au nord de la Colombie-Britannique.

[7]  Par la voie d’une lettre datée du 23 décembre 1983, le ministre des Affaires indiennes et du Nord confirmait la décision du Canada de participer à des négociations sur la revendication territoriale globale. Les parties pertinentes de la lettre de confirmation de 1983 sont les suivantes :

[traduction]

Par suite de notre rencontre à Vancouver le 24 octobre 1983, je confirme la décision que j’ai prise au nom du gouvernement du Canada de participer à des négociations sur la revendication territoriale globale soumise par le Conseil Kaska Dena en février 1982.

La décision du gouvernement fédéral de négocier le règlement de votre revendication est conditionnelle au consentement de la province de la Colombie-Britannique de participer à des négociations tripartites. Le gouvernement fédéral confirme que votre revendication remplit les critères d’acceptation aux fins de négociation énoncés dans la politique fédérale, mais il est important de souligner qu’il n’admet à cet égard aucune obligation ou responsabilité juridique. Au cours des négociations, les déclarations et les prises de position de chacune des parties concernant une procédure judiciaire actuelle ou future seront faites « sous toutes réserves ». Par ailleurs, l’acceptation de votre revendication ne doit pas être interprétée comme une reconnaissance officielle que la superficie du territoire traditionnellement utilisé et occupé par les Kaska Dena est celle qui est délimitée par les lignes tracées sur la carte que vous avez soumise. [Non souligné dans l’original.]

[8]  Au cours des années 1980, la province de la Colombie-Britannique ne semblait pas particulièrement encline à participer à des négociations sur les revendications territoriales, et le dossier n’a guère avancé.

[9]  En 1993, la Commission des traités de la Colombie-Britannique a été créée afin de faciliter les négociations des Premières Nations de la province avec les gouvernements provincial et fédéral. Le 8 novembre 1993, le Conseil a déposé une déclaration d’intention de négocier ses revendications territoriales par l’entremise de la Commission des traités de la Colombie-Britannique. En juin 1995, le Conseil a engagé des négociations tripartites avec le Canada et la Colombie-Britannique et, en janvier 1996, les parties ont signé une entente-cadre aux fins de négociation d’un traité.

[10]  En mars 1999, lors d’une séance de négociation, l’avocat du Canada a informé le Conseil que la position juridique de son client était que le Traité no 8 éteignait le droit des Kaska Dena de revendiquer un titre sur le territoire visé par ce traité qu’ils considèrent comme leur territoire ancestral en Colombie-Britannique.

[11]  Dans une lettre datée du 30 novembre 1999, le ministre des Affaires indiennes et du Nord de l’époque, l’honorable Robert Nault, informait le Conseil comme suit : [traduction] « […] le Canada accepte la revendication du Conseil Kaska Dena aux fins de négociation d’un traité, mais il n’admet aucune obligation ou responsabilité juridique, ni l’existence de droits ou de titre ancestraux ».

[12]  Le 30 septembre 1999, un accord d’adhésion et de règlement signé entre le Canada, la Colombie-Britannique et la Première Nation de McLeod Lake rattachait celle-ci au Traité no 8. L’article 4 du préambule stipule que [traduction] « le Canada affirme que le titre et les droits ancestraux sur des terres des Indiens habitant dans un territoire visé par le Traité no 8 se sont éteints avec son approbation par le gouverneur en conseil le 20 février 1900 ». Dans la présente action intentée le 23 janvier 2001 à l’encontre du Canada, le Conseil cherche notamment à obtenir les cinq jugements déclaratoires énoncés au paragraphe 2, y compris un jugement déclarant que [traduction] « le gouvernement du Canada a officiellement reconnu et confirmé que le titre ancestral et les intérêts connexes des Kaska Dena à l’égard de leurs terres situées au nord de la Colombie-Britannique n’ont jamais fait l’objet d’un traité, et plus précisément du Traité no 8, et n’ont jamais été annulés par la loi ».

[13]  En avril 2001, les parties ont accepté de suspendre le litige dans l’attente de l’issue des négociations. En novembre 2001, le Conseil a signifié un avis d’intention de relancer le litige au gouvernement du Canada. En août 2002, le Canada a déposé une défense et, par la voie d’une lettre datée du 20 mars 2003, le ministre Nault a suspendu les négociations en invoquant le litige en cours.

[14]  De 2003 à 2006, les parties ont tenté, en vain, de négocier un nouvel accord de suspension. Toutefois, en novembre 2006, la Cour a ordonné la suspension de l’action. En 2008, les parties sont finalement parvenues à un accord de suspension et ont repris leurs négociations.

[15]  David Miranda, le négociateur du traité pour le compte du ministère des Affaires autochtones et du Nord, a déclaré par voie d’affidavit que depuis 2008, les négociations se poursuivent entre le Conseil et le Canada, et qu’un accord de principe serait ratifié à 90 %. Les questions encore irrésolues touchent notamment la faune, la sélection des terres et leur superficie, ainsi que l’établissement d’un libellé approprié. Le négociateur mentionne que le gouvernement de la Colombie-Britannique mène les négociations portant sur la sélection des terres puisqu’il a compétence sur le territoire revendiqué. Le Conseil, le gouvernement de la Colombie-Britannique et le gouvernement du Canada ont conclu une entente de traité progressif en vue du transfert de la propriété de certaines terres situées en Colombie-Britannique dans l’attente du traité définitif.

[16]  Le 19 février 2016, le Conseil a adressé une lettre à Jody Wilson-Reybould, dans laquelle il informait le gouvernement de son intention de sortir la présente action de son « hibernation » et plaidait que son titre [traduction] « n’était pas respecté ». Le 29 mars 2017, le Canada a déposé une défense modifiée exposant ses changements de position à l’égard de la portée du Traité no 8. Le Canada est maintenant d’avis que le Traité no 8 n’a pas éteint la légitimité de la revendication des Kaska Dena à l’égard de ses droits, de son titre et de ses intérêts ancestraux relativement au territoire visé par le traité.

[17]  Le 8 décembre 2017, le Conseil a déposé la présente requête en jugement sommaire.

CRITÈRE RELATIF AU PRONONCÉ D’UN JUGEMENT SOMMAIRE

[18]  Le Conseil n’a présenté aucune observation concernant le droit applicable aux jugements sommaires ou les charges de preuve de chacune des parties. Il n’a pas non plus remis en question les déclarations du Canada sur ce sujet. La Cour estime que l’exposé du Canada est fidèle et complet.

[19]  Conformément au paragraphe 215(1) des Règles des Cours fédérales, « [s]i, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence ».

[20]  Notre Cour et la Cour d’appel fédérale ont clarifié le sens du passage « pas de véritable question litigieuse » dans le cadre d’une requête en jugement sommaire.

[21]  Dans la décision Apotex Inc. c Pfizer Canada Inc., 2016 CF 136, au paragraphe 29, confirmée par 2017 CAF 201, la Cour livre un bref exposé sur les charges respectives des parties et ce qu’il faut entendre par « pas de véritable question litigieuse » :

Dans une requête de jugement sommaire, il incombe au requérant – en l’espèce, la demanderesse – d’établir qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse (Morin c Canada, 2013 CF 670, aux paragraphes 25 et 26) et que le cas de la défenderesse « est boiteuse [sic] au point où son examen par le juge des faits à l’instruction n’est pas justifié » [Source Enterprise ltd c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 966, au paragraphe 20].

[22]  La partie requérante a notamment la charge de production de la preuve, comme l’a précisé la Cour dans la décision Kirkbi Ag c Ritvik Holdings Inc., [1998] ACF no 912, au paragraphe 56 :

Il est de droit constant que le fardeau de la preuve incombe à la partie requérant le jugement sommaire. Ce fardeau de persuasion entraîne un fardeau de présentation lorsque, comme c’est le cas dans la présente requête, les faits ou les inférences à tirer des faits font l’objet de contestations importantes. Si l’intimé dans une requête en jugement sommaire a incontestablement l’obligation de présenter son meilleur argument ou de « jouer atout ou risquer de perdre », on peut en dire autant du requérant qui supporte le fardeau de persuasion et donc le fardeau initial de présentation.

[23]  Étant donné que, dans le cadre d’une requête en jugement sommaire, chaque partie est tenue de présenter ses meilleurs arguments, la Cour peut tenir pour acquis qu’aucun nouvel élément de preuve ne sera présenté dans le cadre d’un éventuel procès : Rude Native Inc. c Tyrone T Resto Lounge, 2010 CF 1278, au paragraphe 16. Par conséquent, dans le cadre d’une requête en jugement sommaire, le juge doit décider s’il existe une véritable question litigieuse sur la foi de la preuve présentée à la Cour et des inférences qui peuvent en être tirées. Autrement dit, il doit se demander si la cause de la défenderesse est boiteuse au point où son examen par le juge des faits ne serait pas justifié.

[24]  Je garde à l’esprit la directive donnée par la Cour suprême du Canada au paragraphe 49 de l’arrêt Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, comme quoi il n’existe pas de véritable question litigieuse lorsque :

[...] le juge est en mesure de statuer justement et équitablement au fond sur une requête en jugement sommaire. Ce sera le cas lorsque la procédure de jugement sommaire 1) permet au juge de tirer les conclusions de fait nécessaires, 2) lui permet d’appliquer les règles de droit aux faits et 3) constitue un moyen proportionné, plus expéditif et moins coûteux d’arriver à un résultat juste.

Je garde aussi à l’esprit le devoir de diligence et de prudence qui s’impose dans le cadre de l’examen d’une requête en jugement sommaire. Je souscris à l’observation de la juge Mactavish dans la décision Source Enterprises ltd c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 966, au paragraphe 21 :

Lorsqu’il statue sur ce point, le juge des requêtes doit faire preuve de prudence puisque le prononcé d’un jugement sommaire fera en sorte que la partie ne pourra pas présenter de preuve à l’instruction au sujet de la question litigieuse. En d’autres termes, la partie intimée qui n’a pas gain de cause perdra « la possibilité de se faire entendre en cour » : voir la décision Apotex Inc. c Merck & Co., 2004 CF 314, 248 F.T.R. 82, au paragraphe 12, confirmée par 2004 CAF 298.

DISCUSSION

[25]  Malgré certains recoupements, j’examinerai un à un les cinq jugements déclaratoires que le Conseil souhaite voir prononcés par la voie d’un jugement sommaire

A.  Jugement déclarant que le gouvernement du Canada a le pouvoir, aux termes du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, de négocier et de conclure des traités ou des ententes sur des revendications territoriales, au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, avec les peuples autochtones du Canada, y compris les peuples autochtones représentés par le demandeur, qui ont établi à la satisfaction du gouvernement du Canada que leurs droits, titres et intérêts ancestraux à l’égard de leurs terres situées en Colombie-Britannique n’ont jamais fait l’objet d’un traité ou été annulés par la loi.

[26]  Le Conseil soutient que, conformément au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, le Canada détient la compétence exclusive de [traduction] « conclure des traités et des ententes sur des revendications territoriales » avec lui et que, contrairement à ce que le Canada soutient, le consentement de la Colombie-Britannique n’est pas nécessaire. Il cite la jurisprudence suivante à l’appui de cet argument : St. Catherine’s Milling and Lumber Company v The Queen (Ontario) (1888), 14 AC 46 (CJCP); Ontario Mining Co v Sheybold, [1903] AC 73 (CJCP); Star Chrome Case (Re), [1920] AC 401 (CJCP); R v Whiskeyjack, 1984 ABCA 336; Delgamuukw c Colombie-Britannique, [1997] RCS 313.

[27]  Le Canada soutient que le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 [traduction] « ne confère pas au Canada la compétence exclusive de conclure des traités portant sur des questions qui sont de ressort provincial ». Il ajoute : [traduction] « Cette question juridique complexe requiert l’analyse des dispositions constitutionnelles et de la jurisprudence canadiennes et, dans une certaine mesure, du contexte historique de la conclusion de traités en Colombie-Britannique. »

[28]  Le jugement déclaratoire que sollicite le Conseil ne peut être prononcé puisque la position du Canada sur la preuve présentée n’est pas boiteuse au point où son examen par le juge du procès ne serait pas justifié.

[29]  Dans la mesure où un traité ou une entente sur des revendications territoriales intervenus avec une Première Nation emporte notamment cession ou mise en réserve de terres situées dans une province au bénéfice d’un peuple autochtone, la coopération et le consentement du gouvernement provincial sont nécessaires. Ce constat ressort clairement de l’arrêt unanime de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, au paragraphe 15 :

La coopération fédérale‑provinciale était nécessaire dans le cadre du processus de création des réserves, étant donné que, si le gouvernement fédéral avait compétence à l’égard des « Indiens et [d]es terres réservées aux Indiens » aux termes du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, les terres domaniales en Colombie‑Britannique, où serait nécessairement établie toute réserve, appartenaient à la province. Toute tentative unilatérale du gouvernement fédéral de créer une réserve sur des terres publiques de la province aurait été invalide : Ontario Mining Co. c Seybold, [1903] A.C. 73 (C.P.). Par ailleurs, la province ne pouvait établir une réserve indienne au sens de la Loi sur les Indiens, car elle aurait alors empiété sur la compétence exclusive du fédéral sur « [l]es Indiens et les terres réservées aux Indiens ». [Non souligné dans l’original.]

[30]  Je ne dispose d’aucun élément de preuve qui me permette de conclure que la négociation d’un traité ou d’une entente de règlement d’une revendication territoriale par le Conseil n’a pas pour objectif le transfert de terres situées en Colombie-Britannique, par la création d’une réserve ou par un autre moyen. En l’absence d’une telle preuve, il est impossible d’affirmer que le Canada peut, de manière unilatérale et indubitable, agir de la manière décrite dans le jugement déclaratoire sollicité par le Conseil.

[31]  Je souligne par ailleurs qu’une preuve versée au dossier établit que le Canada, la Colombie-Britannique et le Conseil ont conclu une entente, datée du 10 avril 2013, au titre de laquelle la province transférait au Conseil la pleine propriété de certaines terres. J’y vois une preuve que l’objectif du Conseil est d’obtenir des terres en Colombie-Britannique. L’entente constitue également une preuve que toutes les parties, y compris le Conseil, considéraient que le consentement du gouvernement de la Colombie-Britannique était nécessaire.

[32]  En conséquence, le premier jugement déclaratoire sollicité ne peut être accordé par la voie d’un jugement sommaire. Un dossier complet ainsi qu’un procès seront requis.

B.  Jugement déclarant que le gouvernement du Canada a officiellement reconnu et confirmé que le titre ancestral et les intérêts connexes des Kaska Dena à l’égard de leurs terres situées au nord de la Colombie-Britannique n’ont jamais fait l’objet d’un traité et, plus précisément du Traité no 8, et n’ont jamais été annulés par la loi.

[33]  Le Conseil soutient que la Politique sur les revendications territoriales globales de 1973 stipule qu’il faut établir qu’un titre et des droits ancestraux n’ont pas été annulés par un traité ou par la loi pour que la revendication soit acceptée aux fins de négociation. Il s’ensuit, selon le Conseil, que le Canada ne peut plus prétendre qu’il n’a pas établi le bien-fondé de sa revendication de titre.

[34]  Or, selon la preuve, lorsque la revendication du Conseil a été acceptée aux fins de négociation en 1983, le Canada a déclaré ce qui suit :

Le gouvernement fédéral confirme que votre revendication remplit les critères d’acceptation aux fins de négociation énoncés dans la politique fédérale, mais il est important de souligner qu’il n’admet à cet égard aucune obligation ou responsabilité juridique. [...] Par ailleurs, l’acceptation de votre revendication ne doit pas être interprétée comme une reconnaissance officielle que la superficie du territoire traditionnellement utilisé et occupé par les Kaska Dena est celle qui est délimitée par les lignes tracées sur la carte que vous avez soumise. [Non souligné dans l’original.]

[35]  Pour cette raison, un procès est nécessaire afin d’établir si le Canada a reconnu que les Kaska Dena possèdent un titre ancestral sur des terres en Colombie-Britannique, et quelles sont précisément les terres visées. Compte tenu du dossier soumis à la Cour, le jugement déclaratoire sollicité ne peut être prononcé dans le cadre d’une requête en jugement sommaire. La position du Canada n’est pas dénuée de fondement au point qu’un procès n’est pas requis.

C.  Jugement déclarant que la Couronne défenderesse entretient un rapport fiduciaire avec le demandeur et ses membres, et que l’acceptation de la revendication territoriale globale du demandeur par la défenderesse confère à celle-ci ainsi qu’à ses préposés et mandataires les obligations fiduciaires suivantes envers le demandeur et ses membres :

[36]  Le Conseil allègue qu’un rapport fiduciaire entre lui et la Couronne découle nécessairement des liens historiques entre la Couronne et les peuples des Premières Nations ainsi que du libellé de la Politique sur les revendications territoriales globales de 1973.

[37]  Je suis d’accord avec le Canada sur le fait que le Conseil n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve, voire aucun, permettant à la Cour de trancher qu’il existe une obligation de fiduciaire ou la nature de celle-ci. On ne saurait tirer une telle conclusion du simple fait que le Canada a accepté une revendication aux fins de négociation.

[38]  Dans l’arrêt Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, au paragraphe 18, la Cour suprême du Canada observe qu’une revendication de droits et de titre ancestraux, même lorsque la cause est solide, ne crée pas forcément une obligation de fiduciaire :

L’honneur de la Couronne fait naître différentes obligations selon les circonstances. Lorsque la Couronne assume des pouvoirs discrétionnaires à l’égard d’intérêts autochtones particuliers, le principe de l’honneur de la Couronne donne naissance à une obligation de fiduciaire. Le contenu de l’obligation de fiduciaire peut varier en fonction des autres obligations, plus larges, de la Couronne. Cependant, pour s’acquitter de son obligation de fiduciaire, la Couronne doit agir dans le meilleur intérêt du groupe autochtone lorsqu’elle exerce des pouvoirs discrétionnaires à l’égard des intérêts autochtones en jeu. Comme il est expliqué dans Wewaykum, par. 81, l’expression « obligation de fiduciaire » ne dénote pas un rapport fiduciaire universel englobant tous les aspects des rapports entre la Couronne et les peuples autochtones :

[...] [considérer l’] « obligation de fiduciaire » […] comme si elle imposait à la Couronne une responsabilité totale à l’égard de tous les aspects des rapports entre la Couronne et les bandes indiennes[, c’est] aller trop loin. L’obligation de fiduciaire incombant à la Couronne n’a pas un caractère général, mais existe plutôt à l’égard de droits particuliers des Indiens.

En l’espèce, des droits et un titre ancestraux ont été revendiqués, mais n’ont pas été définis ou prouvés. L’intérêt autochtone en question n’est pas suffisamment précis pour que l’honneur de la Couronne oblige celle‑ci à agir, comme fiduciaire, dans le meilleur intérêt du groupe autochtone lorsqu’elle exerce des pouvoirs discrétionnaires à l’égard de l’objet du droit ou du titre. [Non souligné dans l’original.]

[39]  La preuve qu’a soumise le Conseil à l’appui de la présente requête ne permet pas à la Cour de décider que sa revendication du droit et du titre à l’égard de terres situées en Colombie-Britannique a été définie ou prouvée, exception faite de la terre qui lui a déjà été transférée au titre de l’entente de traité progressif. En l’absence d’une telle preuve, le jugement déclaratoire sollicité ne peut être prononcé.

D.  Jugement déclarant que la Couronne défenderesse ainsi que ses préposés et mandataires ont fait preuve de mauvaise foi et ont manqué et continuent de manquer à leur obligation d’agir de bonne foi envers le demandeur et ses membres en ce qui concerne la négociation [et] le règlement de la revendication territoriale globale du demandeur à l’égard de ses terres situées au nord de la Colombie-Britannique, dont la validité a été reconnue;

[40]  Le Conseil soutient qu’en mars 1999, au cours d’une séance de négociation, l’avocat du Canada l’a informé que sa position juridique était que le Traité no 8 éteignait le droit des Kaska Dena de revendiquer un droit sur le territoire visé par celui-ci qu’ils considèrent comme leur territoire ancestral en Colombie-Britannique. Il affirme que l’acceptation de sa revendication découlait de la reconnaissance de son titre sur le territoire visé en Colombie-Britannique, et qu’un changement de position 16 ans plus tard est une preuve de mauvaise foi.

[41]  Le Conseil ajoute que le Canada a aussi fait preuve de mauvaise foi en refusant à plusieurs reprises de participer aux négociations sur sa revendication.

[42]  Le Canada soutient que son changement de position au cours de négociations était sous réserves et qu’il n’a pas eu d’incidence sur les négociations, tel que le ministre l’a confirmé par écrit. Il fait valoir en outre que le fait pour une partie de revoir son analyse juridique ne constitue en aucun cas une preuve de mauvaise foi.

[43]  Si le Canada avait changé sa position pour une autre raison que celle qu’il a énoncée – pour retarder ou mettre fin aux négociations, par exemple –, on pourrait lui reprocher d’avoir agi avec mauvaise foi. Cependant, la Cour ne dispose pas d’une preuve suffisante pour statuer sur les motifs et le raisonnement qui sous-tendent cette décision. Cela exige la production d’éléments de preuve et un contre-interrogatoire. Bref, cet examen doit se faire dans le cadre d’un procès.

E.  Jugement déclarant que la Couronne défenderesse ainsi que ses préposés et mandataires ont manqué et continuent de manquer à leur obligation fiduciaire de protéger le titre ancestral et les intérêts connexes du demandeur et de ses membres, dont la validité a été reconnue et confirmée par le gouvernement du Canada en 1983.

[44]  Puisque le dossier soumis à la Cour ne permet pas d’établir que la Couronne avait une obligation de fiduciaire envers le Conseil ou qu’elle avait [traduction] « reconnu et confirmé » la validité du titre des Kaska Dena, le jugement déclaratoire sollicité ne peut être prononcé.

[45]  Pour ces motifs, la requête est rejetée. Le Canada ne demande pas les dépens et aucuns ne seront adjugés.

 


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-138-01

La COUR ordonne que la requête soit rejetée sans dépens.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de décembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-138-01

INTITULÉ :

LE CONSEIL KASKA DENA c SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

WHITEHORSE (YUKON)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 janvier 2018

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

DATE DES MOTIFS :

Le 26 février 2018

 


COMPARUTIONS :

Stephen Walsh

Pour le demandeur

Suzanne Duncan

Edith Campbell

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stephen Walsh

Avocat

Whitehorse (Yukon)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Bureau du Yukon, Région du Nord

Whitehorse (Yukon)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.