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Date : 20180329


Dossier : T-2095-16

Référence : 2018 CF 354

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 mars 2018

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

DONNA BLOIS

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Mme Blois sollicite, en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985 c F-7, le contrôle judiciaire de la décision du 4 novembre 2016 par laquelle Robert Orr, sous-ministre adjoint aux opérations, au ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada, rejetait au dernier palier son grief déposé en application de l’article 208 de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003 c 22, article 2.

[2]  La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.  Résumé des faits

[3]  La demanderesse, Donna Blois, a commencé à travailler au ministère de la Justice en 1996. En mars 2013, elle a obtenu un nouveau poste à Emploi et Développement social Canada (EDSC). En janvier 2015, Mme Blois a accepté un détachement de deux ans comme directrice des activités liées à l’accès à l’information et à la protection des renseignements personnels (AIPRP) à EDSC. L’une des conditions du détachement était un taux de rémunération correspondant au niveau LP-02.

[4]  Selon la description donnée par le défendeur, un détachement est un déplacement temporaire d’un employé vers un autre ministère ou organisme de l’administration publique centrale et d’autres organisations pour lesquelles le Conseil du Trésor est l’employeur, alors qu’une mutation est un déplacement d’un employé d’un poste à un autre. L’employé qui est muté change de poste d’attache de manière permanente.

[5]  Le 22 septembre 2015, M. Lu Fernandes, directeur général de la Direction générale de l’intégrité du Programme de passeport au ministère de l’Immigration et de la Citoyenneté (IRCC) a offert à Mme Blois le poste de directrice de l’Initiative de modernisation du Programme de passeport. La rémunération de ce poste du groupe EX-01 était inférieure de 13 000 $ environ par rapport à celle que Mme Blois touchait à EDSC. Elle affirme avoir répondu à M. Fernandes que le poste l’intéressait si IRCC acceptait de maintenir son taux de rémunération du groupe LP-02, c’est-à-dire si on lui garantissait une protection salariale.

[6]  Mme Blois affirme que le 22 septembre 2015, M. Fernandes l’a appelée pour l’informer qu’il avait consulté le groupe des ressources humaines et qu’il avait été entendu que son salaire serait protégé.

[7]  Dans un courriel transmis à Mme Blois le 8 octobre 2015, M. Fernandes l’informe de ce qui suit : [traduction] « J’ai eu une brève conversation avec mon patron [hier] et il a demandé à voir votre curriculum vitæ pour présenter le dossier au [sous-ministre]. »

[8]  Le 13 octobre 2015, selon Mme Blois, M. Fernandes l’a appelée pour l’informer qu’il avait reçu les approbations requises, mais que les documents de mutation à IRCC prenaient plus long que prévu.

[9]  Dans un courriel envoyé à Mme Blois le 16 octobre 2015, M. Fernandes fait le commentaire suivant : « Nous attendrons donc l’approbation du [sous-ministre] avant d’aller de l’avant. »

[10]  Mme Blois déclare qu’elle a signifié un avis de départ à IRCC quand elle a reçu la confirmation qu’elle serait mutée à IRCC avec une protection salariale.

A.  Ententes de détachement

[11]  Mme Blois a accepté que sa mutation à IRCC soit considérée comme un détachement jusqu’à l’approbation de sa mutation spéciale à un poste EX. Du 26 octobre 2016 au 31 mars 2016, elle a signé les trois ententes de détachement successives qu’on lui a offertes.

[12]  Les trois ententes de détachement stipulaient qu’IRCC poursuivait le processus de mutation et que, jusqu’à ce qu’il soit terminé, Mme Blois continuait [traduction] « de toucher sa rémunération courante avec l’approbation de M. Robert Orr [sous-ministre adjoint] ».

[13]  Dans un courriel daté du 20 novembre 2015, M. Fernandes faisait part à Mark McCombs, d’EDSC, d’un malentendu à IRCC : [TRADUCTION] « Le plan de mutation de [Mme Blois] achoppe à cause de certains problèmes liés au processus des RH (changement dans l’avis concernant la réaffectation). Le groupe des RH nous informe que la meilleure manière de garder Donna serait de lui offrir un détachement à long terme jusqu’à la fin du projet (fin de mars 2017). » M. McCombs a répondu qu’un [TRADUCTION] « détachement jusqu’à 2017 n’est pas possible. Après la mutation de Donna, et tel qu’entendu, j’ai fait une offre (qui a été acceptée) visant à pourvoir son poste de façon permanente. »

[14]  En décembre 2015, une note de service envoyée au bureau du sous-ministre lui demandait d’approuver la mutation de Mme Blois, avec protection salariale, au poste de directrice de l’Initiative de modernisation du Programme de passeport, au sein de la Direction générale de l’intégrité des programmes du secteur Opérations. Il est expliqué dans la note de service que Mme Blois touchait une rémunération au taux maximal du groupe LP-02, soit 137 886 $, alors que le taux maximal du groupe EX-01 s’établissait à 124 300 $. La conclusion de la note de service est la suivante : [traduction] « Il n’existe actuellement aucun poste EX-02 au sein de la Direction générale de l’intégrité des programmes, ni aucune intention d’en créer un. Il est clair toutefois que Mme Blois possède les compétences requises et une expérience suffisamment vaste et riche pour mener à bien le mandat de l’Initiative de modernisation du Programme de passeport. »

[15]  À la fin de décembre, M. Fernandes a envoyé un courriel à Mme Blois pour l’informer que le sous-ministre avait refusé sa mutation.

B.  Refus de la protection salariale

[16]  Le 22 janvier 2016, M. Fernandes a informé Mme Blois que sa mutation à IRCC était conditionnelle à son acceptation d’une baisse de rémunération au taux du groupe EX-01. Il a ajouté que si elle refusait l’offre, son détachement prendrait fin dans un délai de deux semaines.

[17]  Dans un courriel adressé à Mme Blois le 22 janvier 2016, M. Fernandes se disait [traduction] « sincèrement désolé de la tournure des événements. Je ne m’attendais pas à ce que les choses se passent ainsi et ce n’est certainement pas ce que j’avais compris avant votre arrivée. »

C.  Demande de réexamen

[18]  Le 3 février 2016, Mme Blois a écrit au sous-ministre adjoint pour solliciter une mutation avec protection salariale. Le 23 février 2016, M. Fernandes a informé Mme Blois que sa demande ne serait pas présentée au sous-ministre et que son détachement prendrait fin à la fin de mars 2016.

[19]  Le 11 mars 2016, Mme Blois a reçu une lettre du sous-ministre adjoint confirmant que sa demande de réaffectation avec protection salariale ne serait pas réexaminée et qu’elle réintégrerait son poste d’attache au ministère de la Justice à la fin de mars.

[20]  Peu après, Mme Blois a déposé un grief en application de l’article 208 de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Dans l’affidavit joint à l’appui de son grief, Mme Blois déclare n’avoir jamais été informée, [traduction] « à aucun moment, que la protection salariale devait être approuvée par le sous-ministre. Je croyais que M. Orr avait le pouvoir d’approuver ma mutation avec protection salariale, et qu’il était stipulé dans l’entente de détachement qu’il avait approuvé ma protection salariale. »

[21]  Dans son grief, Mme Blois sollicite les réparations suivantes : 1) le respect de l’entente de mutation avec protection salariale à un poste EX-01 de directrice de l’Initiative de modernisation du Programme de passeport d’IRCC; 2) l’indemnisation de ses frais juridiques; 3) l’indemnisation des pertes pécuniaires, y compris la perte d’avantages sociaux, et les pertes liées aux congés de maladie pris par suite des décisions de l’employeur.

[22]  Une audition du grief au dernier palier a été tenue en juin 2016 devant le sous-ministre adjoint, Robert Orr. En novembre de la même année, Mme Blois a été informée du rejet de son grief. Dans la lettre de décision, M. Orr l’informe que la décision avait été prise au motif que la preuve ne permettait pas d’établir qu’une protection salariale lui avait été promise. M. Orr ajoute que M. Fernandes avait écrit à Mme Blois à deux reprises (les 8 et 16 octobre 2015) avant son arrivée à IRCC pour la prévenir que la mutation devait être approuvée par le sous-ministre. M. Orr conclut [traduction] « qu’aucun élément de preuve ne corrobore votre affirmation selon laquelle on vous aurait offert une mutation à un poste EX avec promesse de protection salariale. Il ne fait aucun doute que votre mutation a été envisagée, mais il a toujours été clair qu’elle était conditionnelle à l’approbation du sous-ministre. Il a été décidé finalement de ne pas donner suite à la mesure de dotation proposée. »

D.  Situation d’emploi courante de Mme Blois

[23]  Mme Blois affirme qu’à compter du 24 mars 2016, elle est partie en congé pour des raisons médicales. Elle déclare avoir eu besoin d’un congé à cause du stress subi à IRCC par suite de la décision de ne pas la muter de façon permanente avec une protection salariale.

[24]  Du 1er avril au 26 juin 2016, Mme Blois a occupé un poste de niveau LP-02. Le 27 juin 2016, elle a commencé un détachement à EDSC comme directrice de la Division des politiques sur l’intégrité et des renseignements sur le programme (Programme des travailleurs étrangers temporaires), un poste du groupe EX-01. Ce détachement est assorti d’une protection salariale au niveau LP-02 et doit prendre fin le 30 mars 2018.

[25]  Depuis le début de son affectation à IRCC le 26 octobre 2015, Mme Blois n’a pas reçu une rémunération inférieure au taux de son poste d’attache. Elle affirme toutefois qu’en raison des mesures prises par IRCC, elle a dû prendre 13 semaines de congé pour cause de maladie, dont 4 à 6 semaines sans rémunération.

III.  Questions en litige

[26]  La demanderesse, Mme Blois, soumet trois questions à la Cour : 1) Quelle est la norme de contrôle applicable? 2) Y a-t-il eu atteinte à l’équité procédurale? 3) Le sous-ministre adjoint a-t-il commis une erreur en rejetant son grief?

IV.  ARGUMENTS ET ANALYSE

A.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[27]  La demanderesse fait valoir qu’il n’est pas requis de procéder à une analyse relative à la norme de contrôle pour les questions d’équité procédurale puisqu’il s’agit en l’espèce de déterminer si le décideur a satisfait aux critères d’équité dictés par les circonstances (Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404, aux paragraphes 52 et 53). Le défendeur plaide que la norme de contrôle régissant l’équité procédurale n’a pas encore été arrêtée mais que, peu importe la norme appliquée, l’analyse ne révèle aucune erreur du sous-ministre adjoint.

[28]  Sur le fond, la demanderesse allègue que la norme de la décision correcte s’applique au contrôle d’une décision de dernier palier de la procédure de grief faisant intervenir des principes juridiques de common law (Khalid c Canada (Conseil national de recherches), 2013 CF 438, aux paragraphes 35 à 39). Le défendeur affirme quant à lui qu’une décision de dernier palier de la procédure de grief s’examine selon la norme de la décision raisonnable (Hagel c Canada (Procureur général), 2009 CF 329, au paragraphe 27; confirmée par 2009 CAF 364; Kohlenberg c Canada (Procureur général), 2017 CF 414, au paragraphe 18; Girard c Canada (Ressources humaines et Développement des compétences), 2013 CF 489, au paragraphe 16).

[29]   En ce qui concerne l’équité procédurale, il est généralement admis que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Hagel c Canada (Procureur général), 2009 CF 329, au paragraphe 28). Toutefois, comme l’a fait observer la Cour d’appel fédérale, ce principe est actuellement remis en question (Vavilov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 132, aux paragraphes 11 et 22). En l’espèce, pour les motifs qui suivent, je ne puis conclure que le droit de Mme Blois à l’équité procédurale a été enfreint, peu importe la norme appliquée.

[30]  Je suis conscient que le droit continue d’évoluer pour ce qui a trait à la norme de contrôle applicable à une décision rendue au dernier palier de la procédure de grief mais, à mon avis, la jurisprudence récente des tribunaux d’appel fait pencher la balance du côté de la norme de la décision raisonnable : Canada (Procureur général) c Gatien, 2016 CAF 3; Nor-Man Regional Health Authority Inc. c Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59.

B.  Le sous-ministre adjoint a-t-il enfreint les principes d’équité procédurale?

[31]  La demanderesse soutient que la décision du sous-ministre adjoint est entachée de deux manquements à l’équité procédurale. Premièrement, il a pris en compte certains documents sans l’en informer et sans lui donner l’occasion de fournir une réponse. Deuxièmement, il n’a pas tenu compte d’éléments de preuve obtenus en application de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui, selon Mme Blois, confirment qu’on lui avait promis une mutation permanente.

[32]  Plus précisément, Mme Blois reproche au sous-ministre adjoint d’avoir pris en compte deux courriels d’octobre 2015 dans lesquels M. Fernandes explique qu’il attendait l’approbation du sous-ministre pour confirmer la mutation. Elle soutient que selon les principes d’équité procédurale, elle aurait dû être avisée que ces courriels seraient pris en considération et se voir offrir la possibilité de donner une réponse.

[33]  Deuxièmement, Mme Blois explique qu’en mars 2016, elle a déposé une demande d’accès à tous les documents liés à son emploi à IRCC en application de la Loi sur la protection des renseignements personnels, y compris les communications avec le ministère de la Justice, mais qu’elle n’avait pas encore reçu les renseignements demandés à l’audition du grief au dernier palier. Mme Blois a demandé au sous-ministre adjoint de prendre ces éléments de preuve en considération. Selon elle, rien n’indique qu’il les a reçus et examinés avant de prendre sa décision.

[34]  Le défendeur soutient qu’au dernier palier de la procédure de grief, l’intensité de l’obligation d’équité procédurale se situe au bas de l’échelle (Hagel c Canada (Procureur général), 2009 CF 329, au paragraphe 35). De plus, eu égard aux deux courriels sur lequel s’est fondé le sous-ministre adjoint, le défendeur avance les arguments suivants : a) Mme Blois les avait déjà en main; b) elle était bien au courant qu’IRCC considérait que la décision relative à la mutation relevait du sous-ministre; c) elle a eu l’occasion de soumettre ses observations au sous-ministre adjoint et elle a même fourni un affidavit expliquant sa version des événements; d) tout comme il a été constaté au paragraphe 45 de la décision Chicoski c Procureur général du Canada, 2017 CF 772, les courriels ne contenaient aucun renseignement, argument ou raisonnement inconnu de Mme Blois.

[35]  En ce qui concerne la demande de renseignements soumise en application de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le défendeur exhorte la Cour à refuser d’imposer aux décideurs l’obligation beaucoup trop large de mener une enquête et d’examiner des documents visés par une telle demande au dernier palier de la procédure de grief. Comme la procédure de règlement des griefs n’oblige pas le décideur à mener une telle enquête, il doit lui être loisible de rendre une décision fondée sur les documents que lui ont soumis les parties. Aussi, selon les principes de l’irrecevabilité fondée sur une promesse, il incombait à Mme Blois de fournir une preuve de la promesse à laquelle elle s’est fiée à son détriment. Le sous-ministre adjoint n’était pas responsable d’obtenir des documents en son nom.

[36]  Je conviens avec le défendeur que l’intensité de l’obligation d’équité procédurale au dernier palier de la procédure de grief se situe au bas de l’échelle (Hagel c Canada (Procureur général), 2009 CF 329, au paragraphe 35). Je suis également conscient qu’il est reconnu dans le préambule de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, précitée, que les problèmes liés aux conditions d’emploi doivent se régler de façon « juste, crédible et efficace ». D’après le dossier, je suis convaincu que Mme Blois a eu la possibilité réelle de participer à la procédure de règlement de son grief et d’être entendue.

[37]  Il est évident que les courriels en cause ne contenaient pas de renseignements supplémentaires ou nouveaux que la demanderesse ignorait puisqu’elle en était la première destinataire. De plus, dans l’affidavit présenté à l’appui de son grief, elle explique le contexte de son échange avec M. Lu Fernandes et elle traite de la plupart, sinon de la totalité, des sujets abordés dans les courriels des 8 et 16 octobre. Il était loisible au sous-ministre adjoint de tenir compte de ces courriels en plus de l’affidavit de la demanderesse, et de fonder sa décision sur les documents dont il disposait.

[38]  Je ne suis pas non plus convaincu que si Mme Blois avait été avisée de l’intention du sous-ministre adjoint de tenir compte de ces courriels, l’issue aurait été différente au dernier palier de la procédure de grief. Dans le cadre de la présente demande, Mme Blois a affirmé ce qui suit : [traduction] « Si on m’avait dit qu’ils allaient être utilisés, j’aurais pu expliquer pourquoi les courriels ne discréditent d’aucune façon ma déclaration comme quoi on m’a promis une mutation permanente à IRCC avec protection salariale. » Toutefois, ces observations de la demanderesse confirment tout au plus que les courriels corroborent la chronologie des événements présentée dans son affidavit. Si Mme Blois avait pu formuler ces observations à l’audition du grief, l’exercice décisionnel aurait été le même pour le sous-ministre adjoint : il aurait fait une appréciation globale de la preuve afin de savoir si elle étayait l’allégation de la demanderesse concernant l’irrecevabilité fondée sur une promesse. Par conséquent, même si j’avais conclu que l’équité procédurale exigeait que Mme Blois soit avisée de l’intention du sous-ministre adjoint d’utiliser les courriels en question, j’aurais assimilé le défaut de le faire à un vice de forme n’entraînant « aucun dommage important ni déni de justice » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43.

[39]  Qui plus est, le sous-ministre adjoint n’avait pas à sa disposition les renseignements demandés en application de la Loi sur la protection des renseignements personnels au moment de sa décision, et les circonstances ne l’obligeaient pas à demander des renseignements supplémentaires. L’affidavit de la demanderesse contenait un compte rendu très détaillé de conversations et de courriels qui pour la plupart étaient corroborés par les documents présentés au sous-ministre adjoint.

[40]  À la lumière de ce qui précède, j’estime que le droit de la demanderesse à l’équité procédurale n’a pas été enfreint.

C.  Le sous-ministre adjoint a-t-il déraisonnablement rejeté le grief de la demanderesse?

[41]  La demanderesse soutient qu’IRCC lui a fait une promesse claire et non équivoque de mutation à un poste EX-01 avec protection salariale. Elle dresse la liste des faits qui selon créent la promesse : a) une déclaration verbale de M. Fernandes durant l’appel téléphonique du 13 octobre 2015 comme quoi il avait obtenu les approbations requises pour aller de l’avant avec la mutation; b) les modalités des ententes de détachement stipulant que le Ministère poursuivait le processus de mutation spéciale de cadre supérieur.

[42]  La demanderesse affirme qu’elle a réellement prêté foi à cette promesse puisqu’elle a quitté son poste et qu’elle a commencé à travailler à IRCC.

[43]  Parce qu’elle s’est fiée à une promesse de mutation permanente, elle a fait des changements de situation qui se sont avérés désavantageux sur les plans personnel et professionnel. Par suite de la promesse d’IRCC, elle a notamment renoncé à un détachement de deux ans avec protection salariale comme directrice des activités liées à l’AIPRP, un poste EX-01 au sein d’EDSC. Elle affirme de plus que les actes d’IRCC : a) ont retardé la mise en œuvre de son objectif de transition au groupe EX; b) ont nui à sa réputation professionnelle quand elle est retournée à EDSC après seulement cinq mois; c) l’ont forcée à prendre un congé pour cause de stress.

[44]  S’appuyant sur des courriels dans lesquels il est mentionné que l’offre était conditionnelle à l’approbation du sous-ministre, le défendeur fait valoir qu’il n’existe aucune preuve qu’une promesse de mutation avec protection salariale avait été faite à la demanderesse. Quant aux modalités des ententes de détachement, elles confirment tout au plus qu’un processus d’approbation d’une mesure de mutation spéciale d’un cadre supérieur est en cours.

[45]  Selon le défendeur, Mme Blois n’a pas réussi à établir que le refus du sous-ministre de la muter au poste EX-01 avec protection salariale lui a causé des préjudices. Depuis le 26 octobre 2015 (date de début de sa première affectation à IRCC), Mme Blois n’a pas été rémunérée à un taux moindre que celui de son poste d’attache. De plus, ajoute le défendeur, aucune preuve médicale n’établit un lien entre le refus de sa mutation et son état de santé.

[46]  Enfin, il soutient que même si la Cour parvenait à la conclusion qu’une promesse claire et non équivoque a été faite à Mme Blois et qu’elle a fait de mauvais choix en s’y fiant, cette promesse ne pourrait être réputée exécutoire puisqu’elle n’émanait pas d’une autorité compétente. Seul le sous-ministre pouvait promettre une mutation avec protection salariale. M. Fernandes n’était pas investi de ce pouvoir par la Directive sur la rémunération des cadres supérieurs, la Loi sur la gestion des finances publiques ou la Loi sur l’emploi dans la fonction publique.

[47]  Je conclus que la décision était raisonnable et qu’elle s’inscrivait dans les « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Même s’il ressort clairement des échanges entre les parties et de la décision du sous-ministre adjoint que la mutation de Mme Blois a été envisagée, le dossier indique tout aussi clairement qu’elle n’a jamais été officialisée. Seule une série d’ententes de détachement témoigne d’une intention de rendre la mutation officielle. Néanmoins, les ententes de détachement et les deux courriels d’octobre 2015 n’ont pas eu l’effet combiné d’officialiser la mutation. En raison de l’ambiguïté des courriels et des conversations entre Mme Blois et M. Fernandes, il était tout à fait légitime de la part du sous-ministre adjoint de conclure qu’il n’y avait pas eu de promesse claire et non équivoque de mutation avec protection salariale (Maracle c Travellers Indemnity Co. of Canada, [1991] 2 RCS 50, au paragraphe 57; Salie c Canada, 2013 CF 122, aux paragraphes 89 et 90). Il a par conséquent rejeté cet argument.

[48]  La présente instance repose essentiellement sur une interprétation littérale et les applications courantes de la Directive sur la rémunération des cadres supérieurs, établie sous le régime du paragraphe 6(4,1) de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985 c F-11, et de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, SC 2003 c 22. En l’espèce, l’annexe E de la Directive revêt une importance particulière puisqu’il y est stipulé expressément que toute mutation doit être approuvée par le chef du ministère, soit le sous-ministre en l’occurrence. Dans les courriels mis en cause, il est mentionné à deux reprises que l’approbation du sous-ministre est requise, malgré l’intention des parties d’aller de l’avant avec la mutation. Les courriels faisaient partie de pourparlers auxquels la demanderesse a participé et elle a confirmé leur contenu dans son affidavit. Le sous-ministre adjoint a tenu compte de ces éléments de preuve ainsi que des ententes de détachement.

[49]  Je crois comprendre que les parties ont convenu que les termes « détachement » et « mutation » n’ont pas le même sens dans le contexte de l’emploi dans la fonction publique, et que les mécanismes propres à chaque mesure sont différents (tel qu’il est prévu dans la Directive, la Loi sur la gestion des finances publiques et la Loi sur l’emploi dans la fonction publique). La demanderesse est avocate et elle connaît bien ces politiques. Elle a d’ailleurs attiré l’attention du sous-ministre adjoint sur plusieurs de leurs dispositions lors de l’arbitrage de son grief. Il est clair que les parties ont des divergences de vues relativement à l’interprétation de ces politiques. Toutefois, compte tenu de l’ambiguïté des communications entre les parties et des stipulations claires de la Directive voulant que seuls les administrateurs généraux puissent autoriser les mutations de cadres supérieurs, le sous-ministre adjoint a rendu une décision raisonnable.

[50]  Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2095-16

 

INTITULÉ :

DONNA BLOIS c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 février 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 mars 2018

 

COMPARUTIONS :

Andrew Raven

 

Pour la demanderesse

Simon Deneau

Richard Fader

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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