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Date : 20180404

Dossier : IMM-3891-17

Référence : 2018 CF 359

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2018

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

QIU SHENG JIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), à l’encontre d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration en date du 21 août 2017 (la Décision), dans laquelle le tribunal a conclu que la mesure d’exclusion prise contre le demandeur par la Section de l’immigration était valide, et que les considérations d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisantes pour accorder une dispense spéciale.

[2]  La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

I.  Contexte factuel

[3]  Le demandeur a 58 ans et est citoyen de la Chine. Il a avec sa première épouse une fille de 32 ans qui vit au Canada, et qui a trois enfants, un fils chinois de 15 ans qui vit en Chine avec sa deuxième épouse, et un fils canadien présumé âgé de 3 ou 4 ans né de sa relation avec sa présumée partenaire canadienne, qui est également une immigrante chinoise.

[4]  Il a déposé une demande de résidence permanente depuis la Chine le 31 décembre 2004, dans le cadre du Programme des investisseurs, avec sa première épouse et sa fille. Ils ont tous obtenu le statut de résident permanent le 3 mars 2006.

[5]  Dans sa demande de résidence permanente, le demandeur n’a pas révélé qu’il avait un fils né d’une relation extraconjugale (avec une femme qui est plus tard devenue sa deuxième épouse).

[6]  Environ deux semaines après son arrivée au Canada, le demandeur s’est séparé de sa première épouse, et le 16 mars 2007, il a demandé le divorce. Des doutes ont été soulevés concernant l’authenticité de ce mariage, mais ils n’ont pu être confirmés. Le divorce a pris effet le 11 juillet 2007. La fille née de ce mariage a trois enfants vivant au Canada, qui sont les petits-fils du demandeur, et son expulsion aurait, selon ce qu’affirme le demandeur, une incidence sur leur intérêt supérieur.

[7]  En septembre 2007, le demandeur s’est marié à sa deuxième épouse, avec qui il avait déjà un fils; le 30 novembre 2007, il a procédé au parrainage de sa deuxième épouse, ainsi qu’à celui de la fille de cette dernière-née d’une relation précédente et de leur fils, qui est né en Chine le 30 juillet 2002.

[8]  La demande de parrainage a été rejetée, car l’agent d’immigration qui a traité la demande s’est rendu compte que le demandeur n’avait pas déclaré son fils né d’une relation extraconjugale avec sa deuxième épouse, ni avant d’obtenir le statut de résident permanent, ni au moment où la résidence permanente lui a été accordée en mars 2006 lorsqu’il a immigré au Canada avec sa première épouse. Une enquête a suivi au bureau d’immigration d’Etobicoke.

[9]  Le 20 mars 2013, un rapport au titre du paragraphe 44(1) a été rédigé, dans lequel était cité l’alinéa 40(1)a) de la LIPR pour fausses déclarations, puisqu’il avait omis de déclarer son fils né avant qu’il n’obtienne son visa de résident permanent.

[10]  Avant l’enquête sur l’admissibilité du demandeur, le demandeur a affirmé qu’il avait un fils né à Toronto le 15 septembre 2014 d’une relation avec sa présumée partenaire, Tong, Mei Hou (la partenaire). Cette dernière a une fille née d’un autre mariage. Le mari de la partenaire serait retourné en Chine peu de temps après qu’ils eurent immigré ensemble au Canada en 2006; il n’est revenu au Canada qu’une seule fois en 2012. La partenaire a entamé une procédure de divorce, mais elle n’est pas achevée.

[11]  Des enquêtes ont eu lieu le 20 octobre 2014 et le 25 novembre 2014 devant la Section de l’immigration. À l’audience de la Section de l’immigration, l’appelant a affirmé qu’au moment de sa demande en 2006, il n’était qu’à moitié convaincu d’être le père de son fils, dont il n’avait pas révélé l’existence dans sa demande de résidence permanente, et que c’est pour cette raison qu’il n’avait pas révélé ce renseignement. Le 25 novembre 2014, la Section de l’immigration a pris une mesure d’exclusion contre le demandeur.

[12]  Le demandeur a déposé son avis d’appel auprès de la Section d’appel de l’immigration le 8 décembre 2014. À cette époque, il a allégué avoir eu un fils avec sa présumée partenaire.

[13]  Le 21 août 2017, la Section d’appel de l’immigration a conclu que la décision de la Section de l’immigration concernant l’admissibilité était valide en droit, et que les considérations d’ordre humanitaire ne justifiaient pas la prise de mesures spéciales, notamment en ce qui a trait à sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et à l’intérêt supérieur des enfants. C’était là les seules questions sérieuses avancées par le demandeur.

[14]  Le 11 septembre 2017, le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Section d’appel de l’immigration.

II.  Norme de contrôle

[15]  Le demandeur soutient que la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur en droit en appliquant le mauvais critère juridique dans l’appréciation de l’intérêt supérieur des enfants, notamment en ce qui a trait à l’existence d’une relation suffisamment établie, et que même s’il s’agissait du critère adéquat, il a été appliqué de façon déraisonnable. Cependant, la Cour estime que le demandeur a mal qualifié la décision de la Section d’appel de l’immigration en première instance. La Section d’appel de l’immigration a rejeté l’authenticité de sa relation avec sa partenaire, de même que sa présumée filiation biologique avec le fils de sa partenaire, en raison de conclusions défavorables quant à sa crédibilité, en plus de conclure qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve probants pour appuyer ses affirmations selon lesquelles il participe à la vie des enfants de sa partenaire. Cette question se rapportant à l’appréciation de la preuve faite par la Section d’appel de l’immigration doit être tranchée selon la norme de la décision raisonnable, conformément à la jurisprudence émanant de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.

III.  Discussion

[16]  La Cour conclut que la Section d’appel de l’immigration a correctement décrit la jurisprudence se rapportant à la nécessité d’évaluer de façon globale les différents facteurs s’appliquant, décrits dans l’arrêt Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, au paragraphe 77, citant Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] IABD No 4 (QL).

[17]  Ces facteurs incluent : la gravité des fausses déclarations et leurs circonstances; les remords exprimés par le demandeur; le temps passé au Canada et le degré d’établissement du demandeur; la famille que l’appelant a au pays et les bouleversements que le renvoi occasionnerait pour cette famille; le soutien dont bénéficie le demandeur, au sein de sa famille, et dans la collectivité; l’intérêt supérieur des enfants directement touchés par la décision; l’importance des difficultés que causerait au demandeur son renvoi du Canada, y compris la situation dans le pays de destination probable.

[18]  En examinant ces facteurs, la Section d’appel de l’immigration a souligné la gravité des fausses déclarations du demandeur, qui étaient délibérées, intentionnelles et assorties de peu de remords de sa part.

[19]  Dans son appréciation de l’établissement du demandeur, la Section d’appel de l’immigration a pris en compte sa relation avec sa partenaire et ses enfants. Plusieurs de ces éléments de preuve étaient très pertinents quant à la question de l’intérêt supérieur des enfants et des difficultés potentielles que son expulsion pourrait leur causer.

[20]  La Section d’appel de l’immigration a remis en question la crédibilité de la partenaire concernant sa relation avec son mari, de qui elle n’avait pas divorcé, malgré le fait qu’ils étaient prétendument séparés depuis plusieurs années. Ces doutes étaient liés à la conclusion de la Section d’appel de l’immigration selon laquelle aussi bien le demandeur que sa partenaire n’étaient pas crédibles dans leurs explications concernant l’omission de détails au sujet du père sur le certificat de naissance de l’enfant, et notamment au fait que le dossier de naissance désignait le fils comme un enfant adoptif de la partenaire et de son mari.

[21]  La Section d’appel de l’immigration a également accordé peu de poids au test d’ADN visant à étayer la relation de paternité entre le demandeur et le fils, en raison de l’absence d’éléments de preuve objectifs concernant la façon dont la preuve génétique a été recueillie, par qui et à quel moment. Le dossier indique aussi que la preuve génétique a été obtenue avant que toute enquête n’ait été entreprise.

[22]  La Section d’appel de l’immigration a conclu qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve pour appuyer l’allégation du demandeur selon laquelle sa partenaire et lui formaient un couple, ou entretenaient une relation authentique. Ils n’avaient pas mis leurs affaires en commun, ou présenté différents indices qui auraient prouvé une telle relation. Ils ne vivaient pas ensemble, mais apparemment à proximité l’un de l’autre, tandis que les enfants vivaient avec la partenaire chez elle. Le demandeur affirme avoir travaillé au Canada, mais il n’y a aucun élément de preuve corroborant un tel emploi, ou confirmant qu’il a contribué financièrement à l’entretien de sa partenaire ou aux dépenses des enfants.

[23]  Le demandeur affirme aussi entretenir une relation étroite avec sa fille de 32 ans vivant au Canada, ainsi qu’avec ses trois enfants. Encore une fois, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour appuyer cette affirmation, même de la part de sa fille vivant au Canada, ce qui encore une fois mine sérieusement sa crédibilité.

[24]  Concernant les difficultés auxquelles serait exposé le demandeur en cas de renvoi, la Section d’appel de l’immigration a souligné qu’il parlait peu anglais, mais que rien n’indiquait qu’il ne pourrait pas reprendre sa vie en Chine, étant donné qu’il était auparavant un homme d’affaires prospère. Il est à l’aise financièrement, et est propriétaire d’une maison à Toronto évaluée à environ 900 000 $, qui pourrait être facilement liquidée. Ainsi, même s’il pouvait prétendre à un certain établissement au Canada, il était essentiellement attribuable à ses fausses déclarations, et n’était pas suffisant pour appuyer ses affirmations concernant son établissement.

[25]  En ce qui concerne les difficultés liées à ses problèmes médicaux, la Section d’appel de l’immigration a tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité parce qu’il a omis de fournir des éléments de preuve corroborant son état de santé. La Section d’appel de l’immigration a estimé qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que des éléments de preuve objectifs soient fournis si son état de santé était aussi grave qu’il l’avait décrit. La Section d’appel de l’immigration a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour étayer l’affirmation du demandeur selon laquelle il souffrirait en raison de son état de santé s’il était renvoyé du Canada.

[26]  La Section d’appel de l’immigration a également rejeté l’argument des difficultés causées à la partenaire du demandeur. En plus de ne pas accepter l’authenticité de la relation, elle a rejeté l’affirmation selon laquelle le demandeur avait fourni une aide financière en raison de l’absence d’éléments de preuve corroborants, qui auraient raisonnablement dû être fournis dans les circonstances. La Section d’appel de l’immigration a souligné que la partenaire est propriétaire de sa propre maison, qu’elle est titulaire d’une maîtrise en administration des affaires, et agente immobilière dans la région du Grand Toronto.

[27]  Dans son examen de l’intérêt supérieur des enfants, la Section d’appel de l’immigration s’est appuyée sur ses conclusions antérieures selon lesquelles le demandeur n’entretenait pas de véritable relation avec sa partenaire, qu’il n’était pas non plus le père biologique de l’enfant né au Canada, pour conclure que la relation avec les enfants n’était pas aussi étroite qu’il le prétendait. Il n’y avait aucun élément de preuve objectif appuyant les témoignages du demandeur et de sa partenaire, selon lesquels il fournissait de la nourriture et des vêtements et aidait à prendre soin de son enfant ou de sa belle-fille. Compte tenu des conclusions défavorables concernant la crédibilité du demandeur et de sa partenaire, il était raisonnable de s’attendre à certains éléments de preuve objectifs étayant le rôle du demandeur pendant la période de quatre ans durant laquelle il affirmait aider sa partenaire dans l’éducation et le soutien de son enfant et de sa belle-fille.

[28]  Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a rejeté l’argument du demandeur selon lequel la décision Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 [Maldonado], permet d’affirmer que les témoignages du demandeur et de sa partenaire présumée auraient dû être acceptés, à moins qu’il ne soit prouvé qu’ils n’étaient pas crédibles. En premier lieu, tous deux ont été jugés non crédibles à plusieurs égards. De plus, lorsque la preuve corroborante est disponible au Canada, l’omission de fournir des éléments de preuve corroborants minera le témoignage d’un témoin intéressé, comme le demandeur et sa partenaire en l’espèce. La décision Maldonado est pertinente lorsqu’il est question d’accueillir le témoignage du demandeur à première vue et d’atténuer la nécessité d’éléments de preuve corroborants lorsqu’ils sont difficiles à obtenir. La situation se présente, par exemple, lorsque le demandeur d’asile se trouve dans une situation où il fuit un risque, ou que la source des éléments de preuve corroborants est sous le contrôle du persécuteur. Même à ce moment-là, on estime que « [l]a preuve présentée par un témoin qui a un intérêt personnel dans la cause peut aussi être évaluée pour savoir quel poids il convient d’y accorder, avant l’examen de sa crédibilité, parce que généralement, ce genre de preuve requiert une corroboration pour avoir une valeur probante », comme l’a affirmé le juge Zinn, dans la décision Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 27.

[29]  Comme je l’ai indiqué, le demandeur fonde son argumentation sur le fait que la Section d’appel de l’immigration n’a pas correctement évalué les facteurs d’ordre humanitaire et plus précisément l’intérêt supérieur des enfants. La Cour convient toutefois qu’il n’est pas déraisonnable de conclure qu’avant qu’une telle évaluation soit nécessaire, il incombe au demandeur d’établir qu’il entretenait une relation importante avec les enfants, et en l’espèce avec sa partenaire présumée, de sorte qu’il y ait un fondement lui permettant d’affirmer qu’il a joué un rôle important dans la vie des enfants. Puisque le demandeur n’a pas réussi à établir la preuve de cette relation avec les enfants, et qu’il n’existe aucun élément de preuve probant confirmant qu’il ait participé à leur vie, y compris le fait qu’il était le père biologique du jeune fils de sa partenaire présumée, rien ne permet de justifier qu’un examen des facteurs d’ordre humanitaire concernant les enfants puisse avoir lieu.

[30]  De plus, la Section d’appel de l’immigration a examiné attentivement les éléments de preuve relatifs aux nombreux facteurs pertinents justifiant qu’elle exerce sa compétence discrétionnaire pour faire droit à l’appel. Le demandeur n’a pas démontré une erreur susceptible de révision ou que la décision est déraisonnable parce qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit, ou n’est pas suffisamment expliquée au moyen de motifs transparents, justifiés et intelligibles.

[31]  Par conséquent, la présente demande doit être rejetée. Aucune question n’a été proposée pour certification aux fins d’appel, et aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3891-17

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-3891-17

 

INTITULÉ :

QIU SHENG JIN c LE MINISTRE DE SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 mars 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Raymond Lo

Pour le demandeur

 

David Cranton

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raymond Lo

Avocat

Richmond (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

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