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Date : 20180329

Dossier : IMM-3777-17

Référence : 2018 CF 353

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 29 mars 2018

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

SIRAJ AHMED

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 11 août 2017 par laquelle un délégué du ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté Canada (délégué) a conclu que le demandeur constitue un danger pour le public et, par conséquent, qu’il doit faire l’objet d’une mesure de renvoi du Canada en application de l’alinéa 115(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[2]  Étant donné que le délégué n’a pas répondu à la demande de contre-interrogatoire du demandeur, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

Résumé des faits

[3]  Le demandeur est un citoyen du Pakistan. Il est arrivé au Canada en octobre 1993 et a revendiqué le statut de réfugié. Le 13 janvier 1995, la Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a conclu que le demandeur est un réfugié au sens de la Convention, et il a obtenu la résidence permanente le 9 mai 1996. En 2010, à la suite de condamnations pour voies de fait graves en 2000, pour trafic de drogues en 2001 et pour complot en vue d’importer de la drogue en 2007, il a été conclu que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada. En 2013, un délégué du ministre a rouvert l’avis de danger, fondé sur de nouveaux éléments de preuve, et a confirmé la décision initiale. Le 28 août 2015, notre Cour a annulé le nouvel examen de 2013, et a renvoyé l’affaire pour réexamen. Le délégué a réexaminé l’avis de danger le 11 août 2017 et a conclu que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada et que le renvoi ne violerait pas l’article 7 de la Charte des droits et libertés (Charte).

Décision faisant l’objet du contrôle

[4]  Le délégué a d’abord souligné que l’alinéa 115(2)a) de la LIPR crée une exception à la protection offerte par ailleurs aux réfugiés au sens de la Convention, les empêchant ainsi d’être renvoyés dans un pays où ils seraient exposés à un risque de persécution. L’exception s’applique à des personnes qui sont interdites de territoire pour grande criminalité et qui, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada. L’alinéa 36(1)a) de la LIPR décrit l’interdiction de territoire pour grande criminalité. Le délégué a décrit les circonstances entourant la condamnation du demandeur en 2000 pour voies de fait graves, sa condamnation en 2001 pour les six chefs d’accusation de trafic d’une substance désignée (cocaïne), sa condamnation en 2007 pour complot en vue d’importer une substance désignée (héroïne), de complot pour le trafic de substances désignées (héroïne), la possession en vue de trafic (héroïne), la possession d’une substance désignée (cocaïne) et la possession en vue d’en faire le trafic (héroïne) entraînant une peine d’emprisonnement de 16 ans, son manquement aux conditions de la probation, et d’autres éléments de preuve pertinents, y compris une décision de la Commission des libérations conditionnelles rendue le 23 décembre 2016, et un plan correctionnel en date du 31  mars 2017. S’appuyant sur ces éléments de preuve, le délégué a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité. Il a également conclu que ses activités criminelles étaient à la fois graves et dangereuses pour le public et a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il représente un danger présent et futur pour le public au Canada dont la présence au pays présente un risque inacceptable. Étant donné que le demandeur n’a pas contesté cette conclusion dans la présente demande de contrôle judiciaire, il n’est pas nécessaire d’aborder de façon plus détaillée les conclusions du délégué sur cette question.

[5]  Le délégué a ensuite effectué une évaluation des risques, dont le but était de déterminer si le demandeur, un réfugié au sens de la Convention, serait personnellement exposé à un risque de persécution, à un risque pour sa vie, ou à un risque de torture, de traitements ou de peines cruels et inusités s’il était renvoyé au Pakistan. Cette évaluation devait être éclairée par le paragraphe 115(1) de la LIPR et l’article 7 de la Charte.

[6]  Le délégué a résumé les antécédents du demandeur, faisant référence au contenu de son formulaire de renseignements personnels (FRP) de 1994, où il affirmait qu’il était en danger à cause de son appartenance au mouvement Muhajir Qaumi (MMQ), et a souligné que la transcription de l’instance devant la CISR a indiqué que l’une des pièces justificatives du demandeur était un mandat d’arrêt du Pakistan du 6 mai 1993. Le délégué a aussi mentionné l’avis de danger du 10 novembre 2010 (avis de danger de 2010), selon lequel le demandeur ne serait pas exposé à des risques au retour au Pakistan en raison de son appartenance au MMQ. Le délégué a également souligné qu’un deuxième avis de danger, daté du 23 octobre 2013 (avis de danger de 2013), tenait compte de nouveaux éléments de preuve, notamment un premier rapport d’information daté du 5 janvier 1990 (PRI de 1990) qui indiquait que le demandeur avait été arrêté pour dommage à un bien public, et, une fois de plus, il a décidé que le demandeur devrait être renvoyé du Canada. De plus, l’avis de danger de 2013 avait été annulé par notre Cour dans Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1024 (Ahmed 2015). Le délégué a cité des parties de cette décision, qui avait conclu que le délégué avait outrepassé sa compétence en n’acceptant pas la conclusion de la CISR selon laquelle le demandeur était membre de la communauté mohajir et du MMQ et a utilisé cette conclusion pour refuser la demande de réexamen.

[7]  Le délégué a indiqué qu’un article de journal du quotidien Ummat News (l’article de presse d’Ummat News) et le PRI de 1990, qui avait été présenté avec la demande de réexamen du demandeur concernant l’avis de danger de 2013 (et non le mandat d’arrestation présenté à la CISR par le demandeur en 1994 dans le cadre de sa demande d’asile initiale) avaient été envoyés à la section d’examen des risques (SER) de l’ambassade du Canada à Islamabad le 21 avril 2017, aux fins de vérification. La SER a répondu le 10 mai 2017. Elle a fait savoir que le PRI de 1990 était frauduleux et qu’elle estimait que l’article de presse d’Ummat News était probablement frauduleux. De plus, le 12 juillet 2017, la SER a clarifié la méthodologie pour vérifier le PRI de 1990. Le délégué a également mentionné certaines parties des observations de l’avocat du demandeur, qui comprenaient une affirmation selon laquelle la communication d’un document par les autorités canadiennes pour en déterminer l’authenticité exposait le demandeur à un risque accru.

[8]  Quant à l’affirmation selon laquelle le demandeur était exposé à un risque en tant que musulman chiite, le délégué a conclu que cela n’était pas justifié par le dossier. Cette conclusion n’a pas fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. Le délégué n’a pas non plus conclu qu’il y avait un risque en raison de l’interdiction de territoire du demandeur au motif de son appartenance au MMQ. La raison était que la conclusion d’interdiction de territoire à l’encontre du demandeur se fondait sur ses déclarations de culpabilité, et non son appartenance au MMQ. Et, bien que la décision rendue dans Ahmed 2015 soit accessible au public, elle ne fait pas référence à la date de naissance du demandeur ni à sa conclusion selon laquelle il était interdit de territoire au motif de son adhésion au MMQ. De même, comme il avait été expliqué à l’avocat au moyen d’un message par télécopieur du 13 juillet 2017, le processus de vérification ne comprenait pas le fait que la police au Pakistan avait obtenu une copie du PRI frauduleux de 1990 portant le nom du demandeur. Ainsi, la notion selon laquelle la police pakistanaise aurait confirmé que le PRI de 1990 était frauduleux pour contrarier le demandeur était sans fondement, tout comme la notion selon laquelle la vérification le mettait en danger.

[9]  Le délégué n’a pas non plus accepté qu’il y avait un risque pour le demandeur en raison des affirmations de sa famille portant que lui et sa famille avaient récemment été menacés et que les membres de sa famille étaient maltraités par le mouvement Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP), le Parti du peuple pakistanais (PPP) et des sources gouvernementales. Le délégué a indiqué qu’après avoir acquis le statut de résident permanent en 1996, le demandeur est retourné au Pakistan sans incident à trois reprises à la fin des années 1990, avant de perdre son statut en raison de sa criminalité. Cela démontrait que, malgré le mandat d’arrestation de 1993, son adhésion au MMQ et ses périodes de détention entre 1989 et 1992, son cas ne préoccupait plus sérieusement les autorités à la fin des années 1990. De plus, sa crainte alléguée, de même que d’autres craintes supplémentaires et continues de retourner au Pakistan, y compris le meurtre du père du demandeur, n’ont surgi qu’au moment où le processus lié à l’avis de danger a été amorcé en 2009. À la suite de la publication de l’avis de danger de 2010, le demandeur a soulevé d’autres nouvelles allégations de risque, notamment que sa maison avait été incendiée en 2011 et que son frère était ciblé par le TTP. Ces allégations étaient appuyées par des affidavits de membres de la famille au Pakistan, des articles de journaux et le PRI de 1990. Le délégué a accordé très peu de poids à ces affirmations et ces documents en raison des résultats de la vérification de la SER. De plus, la caution du demandeur a relevé en 2013 l’absence de problèmes familiaux au Pakistan et les affidavits des membres de la famille du demandeur semblaient avoir été rédigés pour appuyer la tentative du demandeur de demeurer au Canada, plutôt qu’en raison des difficultés authentiques auxquelles sa famille est exposée. Les affidavits étaient également quelque peu vagues et contenaient des renseignements qui différaient entre eux aussi bien qu’avec les éléments de preuve de l’affidavit du demandeur au dossier, ce que le délégué décrit comme des incohérences.

[10]  Le délégué a également conclu que le demandeur n’était pas en danger en raison de son adhésion au MMQ. Étant donné que le demandeur avait été en mesure de retourner au Pakistan à la fin des années 1990 sans incident, cela indiquait que le mandat d’arrestation non exécuté de 1993 ne posait pas de problème à ce moment-là. Il y avait également peu d’éléments qui laissaient entendre qu’il avait le profil d’une personne qui pose une préoccupation importante pour les autorités pakistanaises, étant donné le temps écoulé depuis qu’il avait été actif sur le plan politique. Bien que la preuve documentaire ait montré que Karachi était politisée et violente, le MMQ demeure le parti politique le plus important dans la ville de 27 millions d’habitants. Les membres du parti ont été ciblés dans certains cas; toutefois, il y a eu peu d’éléments de preuve portant que le demandeur ait été politiquement actif dans le MMQ depuis son arrivée au Canada, il y a 24 ans. De plus, les personnes qui sont victimes de mauvais traitements ne représentent qu’une petite minorité de membres du MMQ. En outre, la violence anti-MMQ est en grande partie un phénomène de Karachi et le demandeur peut décider de déménager dans une autre ville au Pakistan, et la preuve documentaire appuyait des options viables de réinstallation.

[11]  Quant à la prétention selon laquelle le demandeur serait exposé à un risque, à son retour, en tant que demandeur d’asile débouté, après l’examen de la preuve documentaire que le délégué a décrite, ce dernier a conclu que le Pakistan avait changé sa base de données électronique au moins deux fois depuis que le demandeur est parti et qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour laisser entendre qu’il serait signalé comme une personne d’intérêt dans l’un ou l’autre des nouveaux systèmes. Il ne semble pas non plus qu’il y ait une procédure habituelle d’entrevue pour les rapatriés. Et, qu’il ait été identifié ou non comme un membre ou un ancien membre du MMQ, la simple appartenance au plus grand parti à Karachi ne semble pas être un motif de détention à l’arrivée.

[12]  Le délégué a conclu que le demandeur ne serait pas personnellement exposé à une menace à sa vie, à sa liberté ou à la sécurité de sa personne, selon la prépondérance des probabilités, s’il était renvoyé au Pakistan.

[13]  Enfin, le délégué a examiné les considérations d’ordre humanitaire (CH) présentées par le demandeur, y compris l’exploitation réussie d’un restaurant et des lettres de soutien de la part de membres de la collectivité. Le délégué a indiqué que toute la famille du demandeur habite au Pakistan et que le Service correctionnel du Canada se demandait si le demandeur utilisait son entreprise pour mener des activités illégales. Dans l’ensemble, le délégué a conclu que même si le demandeur manquera probablement à ses amis et sera vraisemblablement contrarié de ne plus être en mesure d’exploiter son restaurant, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve portant qu’il subirait des conséquences durables en raison de son renvoi, et il serait probablement en mesure de se rétablir au Pakistan. Les facteurs d’ordre humanitaire ne l’ont pas emporté sur le risque que le demandeur posait pour le public au Canada.

Questions en litige et norme de contrôle

[14]  Les questions en litige en l’espèce peuvent être formulées ainsi :

  1. Le délégué a-t-il manqué à l’équité procédurale en ne tenant pas compte de la demande du demandeur de contre-interroger l’agent de la SER?

  2. Le délégué a-t-il outrepassé sa compétence?

  3. Le délégué a-t-il tiré des conclusions déraisonnables concernant le risque?

[15]  La norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale. Cette norme n’exige pas la retenue envers les délégués (Barre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 1091, au paragraphe 16; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43).

[16]  Le critère du caractère raisonnable s’applique aux questions mixtes de fait et de droit, y compris les questions d’évaluation des risques (Nagalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153, au paragraphe 32 (Nagalingam CAF); Kongolo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 489, au paragraphe 15; Cheikh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 896, au paragraphe 11; Omar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 231, au paragraphe 33). Dans le contexte d’un contrôle judiciaire, le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

Question en litige no 1 : Le délégué a-t-il manqué à l’équité procédurale en ne tenant pas compte de la demande du demandeur de contre-interroger l’agent de la SER?

Thèse du demandeur

[17]  Le demandeur fait valoir que le délégué a manqué à l’obligation d’équité procédurale envers lui en lui refusant la possibilité d’un contre-interrogatoire, malgré sa demande officielle de le faire, et en ne donnant aucun motif pour son refus. Selon le demandeur, le délégué s’est appuyé en grande partie sur des documents internes pour discréditer le PRI de 1990 et l’article de presse d’Ummat News.

[18]  Une note au dossier – Résultats de la vérification UCI : 2941-1297 (note au dossier) indiquait que le délégué a envoyé ces documents à la SER aux fins de vérification et que la SER a conclu que le PRI de 1990 était frauduleux et que l’article de presse d’Ummat News était probablement frauduleux. Lorsque la note au dossier a été communiquée, le demandeur s’est opposé à son utilisation et a affirmé que la communication de documents aux autorités pakistanaises augmenterait le risque auquel il serait exposé à son retour. Par la suite, le délégué a communiqué le courriel du 12 juillet 2017 (le courriel du 12 juillet 2017) qui décrit le processus de vérification. Par la suite, l’avocat du demandeur a affirmé son droit de contre-interroger l’agent de la SER afin de comprendre le processus utilisé pour évaluer la fiabilité des renseignements et de déterminer si la conduite de l’agent de la SER avait donné lieu à une demande d’asile sur place fondée.

[19]  Malgré le fait qu’il a soulevé ces préoccupations, le délégué a accepté les conclusions de la SER sans tirer de conclusion concernant la fiabilité des renseignements. La fiabilité de la vérification du PRI de 1990 est particulièrement importante étant donné qu’il n’y a pas de système national de suivi des PRI et aucune coordination systémique entre les diverses organisations de police aux niveaux interprovincial ou interorganisationnel. Le délégué a omis de répondre à la demande de contre-interrogatoire et a rejeté l’allégation de risque découlant de la vérification du PRI de 1990 comme étant sans fondement. Étant donné qu’il a omis d’au moins fournir des motifs de son refus du contre-interrogatoire, le délégué a manqué à l’obligation d’équité procédurale (Nagalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 176, aux paragraphes 160 à 188, et 200 (Nagalingam)). Le demandeur affirme que le droit à un contre-interrogatoire fait partie de l’obligation d’équité envers une personne qui est exposée à un refoulement et, lorsque ce droit est refusé sans motifs, la décision ne peut être maintenue.

[20]  En réponse, le demandeur ajoute que rien dans Nagalingam n’appuie la proposition selon laquelle le contre-interrogatoire ne devrait être envisagé que lorsqu’un renseignement était l’unique source des conclusions du décideur (Nagalingam, au paragraphe 179). De plus, l’interprétation subséquente de cette décision par la jurisprudence a conclu que l’équité procédurale exige que le droit à un contre-interrogatoire soit accordé à un demandeur d’asile lorsqu’il est confronté à un témoignage qui s’oppose à la thèse du demandeur (Rezmuves c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 973 (Rezmuves)). De plus, le fait d’être respectueusement attentif aux motifs qui pourraient être offerts à l’appui d’une décision ne donne pas pouvoir absolu de reformuler la décision en substituant à l’analyse qu’elle juge déraisonnable sa propre justification du résultat (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 54; JMSL c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 114, aux paragraphes 29 et 30). Et, lorsqu’une décision passe sous silence une question essentielle, la Cour ne peut fournir des motifs qui n’ont pas été donnés (Lloyd c Canada (Agence du revenu), [2016] ACF no 374; Akhlaghi c Canada (Procureur général), 2017 CF 912).

Thèse du défendeur

[21]  Le défendeur soutient que même si le demandeur a tenté de contre-interroger l’agent de la SER [traduction] « pour pleinement comprendre le processus utilisé pour évaluer la fiabilité des renseignements et pour déterminer si, en raison de sa conduite, mon client n’avait pas une demande d’asile sur place fondée », il est évident qu’aucune demande d’asile sur place ne pouvait être présentée étant donné qu’aucun renseignement identifiant le demandeur n’a été fourni aux autorités du Pakistan.

[22]  Quoi qu’il en soit, il n’y a aucune erreur sur le fait que le délégué n’a pas consenti à la demande du demandeur de contre-interroger l’agent de la SER. Aucune procédure préétablie n’est nécessaire et il faut faire preuve de retenue envers le tribunal dans son choix de procédure (Baker c Canada, [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 27). Et, bien que certaines procédures aient été élaborées au moyen de la législation et de la jurisprudence qui régissent les exigences de la communication et l’équité pour rendre un avis de danger, dans le cours normal des choses, elles n’incluent pas les droits associés à un tribunal officiel, comme l’interrogatoire ou le contre-interrogatoire des témoins. En l’espèce, le demandeur connaissait la preuve à réfuter.

[23]  La demande de contre-interrogatoire ne pouvait avoir pour objectif que la remise en question de la fiabilité des résultats de l’enquête de la SER. Toutefois, le délégué s’est fondé sur de nombreux facteurs, et non pas uniquement sur le faux PRI de 1990, pour conclure que le demandeur ne serait pas exposé à un risque à son retour au Pakistan. Ces facteurs sont notamment ses retours précédents au Pakistan à la fin des années 1990, une affirmation, par un ancien avocat, qui n’était pas appuyée par les éléments de preuve et selon laquelle ces retours étaient autorisés grâce à des pots-de-vin; l’article de presse frauduleux d’Ummat News; le témoignage de la caution du demandeur selon lequel la famille du demandeur n’avait pas de problèmes mis à part ceux auxquels font face généralement tous les citoyens du Pakistan; et les affidavits vagues et contradictoires des membres de la famille du demandeur. De plus, même si le demandeur soutient maintenant que le PRI de 1990 n’est pas fiable, c’est lui-même qui a présenté le document comme nouvel élément de preuve probant du risque qu’il court s’il retourne au Pakistan.

[24]  Le défendeur a aussi fait une distinction entre la jurisprudence sur laquelle le demandeur s’appuie, y compris l’affaire Nagalingam, dans laquelle un délégué s’est fortement appuyé sur un seul affidavit d’un agent de police qui reflétait son opinion fondée sur le témoignage par ouï-dire. En l’espèce, le délégué s’est appuyé sur une multitude d’éléments de preuve pour conclure que le demandeur ne serait pas exposé à un risque s’il était renvoyé au Pakistan. De plus, l’enquête auprès de la police du Pakistan était uniquement factuelle, puisqu’il s’agissait de connaître les détails du PRI de 1990 émis par ce poste de police et conservés dans ses dossiers. Il était raisonnable que le délégué s’appuie sur des conclusions de fait rendues par les autorités canadiennes à Islamabad, à la demande du délégué. De plus, dans Nagalingam, il était question d’un délégué qui faisait référence à de nombreuses sources sans préciser la source fondée sur des ouï-dire qui étayait les autres sources, empêchant ainsi le tribunal d’évaluer dans quelle mesure le délégué s’est appuyé sur l’affidavit contesté.

[25]  Bien que le délégué n’ait pas fourni de raisons explicites pour refuser la demande de contre-interrogatoire, il n’est pas nécessaire que les raisons incluent tous les détails qu’une cour de révision préférerait avoir, et le délégué n’était pas non plus tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif menant à sa décision (Construction Labour Relations c Driver Iron Inc, [2012] 3 RCS 407, au paragraphe 3; Antrim Truck Centre c Ontario (Transports), [2013] 1 RCS 594, aux paragraphes 53 et 54; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16 (Newfoundland Nurses)). À la lumière des éléments de preuve et des circonstances, la décision implicite du délégué de ne pas permettre un contre-interrogatoire était raisonnable.

[26]  Le défendeur soutient que l’enquête plus approfondie du délégué et le courriel du 12 juillet 2017 reçu de la SER, qui indiquait qu’aucun renseignement n’avait été communiqué au sujet du demandeur, avaient répondu entièrement à la possibilité d’une demande sur place découlant de la vérification par la SER du PRI de 1990. Bien que le demandeur affirme que ce soit « tout simplement incroyable », il n’y a aucun élément de preuve qui pourrait même soulever une préoccupation voulant qu’un agent d’immigration canadien qui n’a aucun intérêt dans l’affaire ne dise pas la vérité.

[27]  Le défendeur soutient également que le demandeur n’a pas demandé un contre‑interrogatoire en temps opportun, sachant que la décision était effectivement définitive.

Discussion

[28]  À titre d’information, dans une lettre en date du 14 novembre 2012, l’ancien avocat du demandeur a écrit à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) pour demander un nouvel examen de l’avis de danger de 2010. La demande se fondait sur de nouveaux éléments de preuve et était accompagnée de divers documents à l’appui de la demande. Il s’agissait notamment d’une déclaration solennelle du demandeur en date du 23 août 2012, à laquelle était joint l’article de presse d’Ummat News, ainsi que du PRI de 1990. À la suite de la demande de contrôle judiciaire de l’avis de danger de 2013 qui a donné raison au demandeur, l’ASFC a fourni quatre documents au demandeur par le biais d’une lettre d’équité et de communication en date du 16 mai 2017 (la lettre d’équité et de communication). Elle comprenait la note au dossier, l’article de presse d’Ummat News, et le PRI de 1990.

[29]  La note au dossier indique que le 21 avril 2017, le PRI de 1990 et l’article de presse d’Ummat News ont été envoyés à la SER aux fins de vérification, et que le 10 mai 2017 les renseignements suivants ont été reçus :

1 – Le PRI

[traduction]

« Selon nos recherches et nos vérifications, nous pouvons confirmer que le PRI est frauduleux.

La SER a confirmé que le PRI no 193/90 fait à ce poste de police (S.I.T.E.) existe, mais n’a absolument rien à voir avec ce document. »

2 – L’article :

[traduction]

« Nos recherches sur les médias ont révélé ceci :

  • Il y a eu des troubles dans la province du Sindh, et en particulier à Karachi, en juillet 2011, à la suite d’une déclaration par l’un des principaux ministres du Parti du peuple pakistanais (PPP) contre les dirigeants du mouvement Muttahida Quami

  • Ces troubles civils découlaient de l’agitation par des membres du MMQ, notamment des véhicules et des biens publics endommagés et incendiés https://tribune.com.pk/story/209497/karachi-violence-tension-grips-city-after-mirzas-statements/ https://tribune.com.pk/story/209408/mirza-calls-altaf-hussain-100-timesbigger/

  • Le registre du South Asia Intelligence Review de juillet 2011 n’indique rien qui ressemble à ce qui a été mentionné dans l’article de presse fourni https://www.satp.org/satporgtp/countries/pakistan/sindh/datasheet/karachi incident2011.htm

Ce sont les seules traces que nous avons pu trouver en rapport avec le sujet, les incendies, le MMQ, les événements et les activités terroristes au cours de cette période. En outre, la SER s’inquiète de la facilité avec laquelle une personne peut payer pour faire paraître une publicité ou un article dans la presse pakistanaise. En particulier, le média dans lequel l’article a paru n’est pas considéré comme étant le plus fiable ou crédible des médias. La SER maintient son opinion selon laquelle les renseignements ont probablement été fabriqués de toute pièce. »

[30]  Le 28 juin 2017, l’avocat du demandeur a fourni une longue lettre en réponse à la lettre d’équité et de communication. En ce qui concerne la SER selon laquelle le PRI de 1990 était frauduleux, l’avocat était d’avis qu’aucun poids ne pouvait être donné à l’avis de la SER sans élément de preuve quant à la façon dont il a été obtenu et à la fiabilité de la source des renseignements. En outre, l’avocat n’avait pas eu la possibilité de présenter des observations sur la fiabilité de l’information en raison de l’absence de communication. Ce qui est encore plus important, c’est qu’on ne savait pas de quelle façon ces renseignements avaient été obtenus et, plus précisément, on ne savait pas quels renseignements avaient été fournis pour obtenir cet avis. L’avocat a fait valoir que le fait que les autorités canadiennes aient communiqué un document dans le but de déterminer s’il était authentique a sans doute alerté les autorités pakistanaises au fait que les autorités canadiennes effectuaient des vérifications au sujet du demandeur, augmentant ainsi le risque auquel il serait exposé. L’avocat a également fait valoir que le fait que le délégué n’ait pas tenu compte de la directive de notre Cour dans Ahmed 2015, et le fait que le délégué ait ordonné d’autres recherches prétendument pour vérifier les renseignements fournis à l’appui de la demande d’asile ont donné lieu à une crainte raisonnable de partialité; ainsi, le délégué doit se récuser et le processus doit être repris du début.

[31]  Le 13 juillet 2107, l’ASFC a fourni à l’avocat du demandeur le courriel du 12 juillet 2017, qui précise :

[traduction]

Nous avons effectué la vérification au téléphone, de sorte que la police n’a reçu aucun exemplaire du faux document. J’ai également confirmé de vive voix avec Raza qu’il n’a fourni à la police que le numéro du PRI afin qu’elle puisse récupérer le dossier. La police a ensuite fourni à Raza les détails du PRI qu’elle avait, que nous avons ensuite comparés au PRI que l’on nous a demandé de vérifier. Veuillez noter que tous les PRI ont un numéro unique, et le numéro utilisé dans le faux document existait déjà pour un autre dossier.

*****

La SER a communiqué avec le poste de police par téléphone et a fourni le numéro de PRI (193/90) pour récupérer le dossier; après avoir consulté les dossiers officiels du poste de police S.I.T.E., le Moharrar (dépositaire des dossiers) a fourni les détails du PRI.

[32]  Dans une lettre du 10 août 2017, l’avocat du demandeur a adopté la thèse selon laquelle la méthode utilisée par la SER pour vérifier le document comportait tellement d’incertitudes qu’on ne pouvait se fier à un seul des renseignements obtenus et, par conséquent, il était inacceptable pour le délégué, à ce stade, de tenter de contester de cette façon l’authenticité du document. L’avocat a déclaré qu’il a officiellement demandé à être autorisé à contre-interroger l’agent de la SER [traduction] « pour pleinement comprendre le processus utilisé pour évaluer la fiabilité des renseignements et pour déterminer si, en raison de sa conduite, mon client n’avait pas une demande d’asile sur place fondée ». Une fois de plus, l’avocat a fait valoir que la conduite du délégué a donné lieu à une crainte raisonnable de partialité, et a demandé que le délégué se récuse.

[33]  Une déclaration solennelle du demandeur en date du 9 août 2017 était jointe à la lettre du 10 août 2017. En ce qui concerne le PRI de 1990 et la conclusion rendue par la SER selon laquelle il est frauduleux, le demandeur déclare qu’il a toujours soutenu que la police au Pakistan était partiale à son égard et qu’il n’a pas été surpris qu’elle modifie les renseignements et essaie de camoufler ce qui est lui est arrivé, à lui et à sa famille. Il a également déclaré qu’on lui a toujours dit que le PRI de 1990 était authentique et il n’a jamais eu de raison d’en douter.

[34]  À mon avis, la demande du demandeur de contre-interroger l’agent de la SER a soulevé la question de savoir si, dans les circonstances dont le délégué est saisi, le contenu de l’obligation d’équité exigeait que le contre-interrogatoire soit permis. Le problème dans le cas de la décision du délégué est qu’il n’a tout simplement pas tenu compte de la demande. Aucun motif n’a été donné pour justifier un refus implicite.

[35]  En faisant valoir qu’il s’est vu refuser l’équité procédurale, le demandeur s’appuie fortement sur la décision de notre Cour dans Nagalingam. Cette affaire portait sur le contrôle judiciaire de la conclusion d’un délégué concernant un avis de danger selon lequel le demandeur pouvait être refoulé étant donné qu’il était interdit de territoire en application de l’alinéa 115(2)b) de la LIPR. En application de l’alinéa 115(2)b), une personne peut être refoulée si elle est interdite de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou de criminalité organisée si, selon le ministre, elle ne devait pas être présente au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’elle constitue pour la sécurité du Canada. Dans cette affaire, le délégué examinait la nature et la gravité des actes passés du demandeur et a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait commis des actes violents contre des membres de gangs opposés et que la gravité de ses actes passés était importante.

[36]  Les documents à communiquer comprenaient une déclaration solennelle d’un détective qui a fourni un aperçu narratif de sa participation à un groupe de travail mixte et de la participation soupçonnée du demandeur à des activités de gang (Nagalingam, au paragraphe 13). Le demandeur a contesté la conclusion du délégué concernant la nature et la gravité des actes commis et le juge Russell a conclu que si le demandeur pouvait fonder sur quoi que ce soit sa contestation de cet aspect de la décision, ce ne peut être que sur l’insuffisance de la preuve utilisée pour étayer la conclusion qu’il a tué pour le compte du gang, ou sur le fait que la déléguée ne lui a pas permis de mettre à l’épreuve la véracité d’au moins une partie de cette preuve en contre-interrogeant le détective (Nagalingam, au paragraphe 158). Le demandeur avait demandé à maintes reprises qu’il soit autorisé à contre-interroger un détective dont la déclaration sous serment était le fondement de l’argument de l’ASFC contre lui, mais ses demandes ont été ignorées et aucune explication n’a été donnée pour justifier le refus.

[37]  Le juge Russell s’est fondé sur différentes décisions pour dire qu’une partie a le droit de contre-interroger une autre partie qui témoigne contre elle pour mettre sa véracité à l’épreuve. Le juge Russell a conclu que, compte tenu de l’importance des intérêts en jeu, y compris le droit de ne pas être soumis à la persécution et à la torture, le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, l’article 7 de la Charte et les principes de justice naturelle de la common law exigeaient que le demandeur ait l’occasion de mettre à l’épreuve les éléments de preuve du détective. La déléguée s’était très fortement appuyée sur ces éléments de preuve pour sa conclusion portant que le demandeur a participé à des crimes violents, y compris des actes terroristes. La déléguée était à tout le moins tenue de fournir au demandeur des motifs clairs expliquant pourquoi l’équité procédurale, dans ce cas-là, ne lui permettait pas de contre-interroger le détective sur sa déclaration sous serment. Le juge Russell a constaté que la déléguée a utilisé des éléments de preuve concernant des accusations graves qui n’ont jamais été portées contre le demandeur pour fonder sa conclusion en application de l’alinéa 115(2)b) concernant les motifs raisonnables de croire que le demandeur avait commis des actes suffisamment graves.

[38]  À mon avis, il est intéressant d’observer que dans Nagalingam, le demandeur a cherché à procéder à un contre-interrogatoire à l’égard de témoignages sous serment qui étayaient les motifs raisonnables de la déléguée :

[168]  Cette preuve comprenait les notes de l’enquêteur de la brigade des homicides (dont l’enquête n’a pas entraîné le dépôt d’une accusation au pénal contre le demandeur), la déclaration sous serment du détective Fernandes et la transcription de l’interrogatoire d’Ariyaratnam. À mon avis, rien n’interdisait à la déléguée de se fonder sur ces éléments de preuve, mais elle semble avoir oublié les questions d’équité procédurale qui se posent lorsque quelqu’un souhaite contester des déclarations sous serment. Comme la Cour d’appel fédérale l’a bien précisé au paragraphe 49 de Nagalingam CAF, « il faut que le pouvoir discrétionnaire [conféré par l’alinéa 115(2)b)] soit exercé conformément aux limites imposées dans la loi, aux principes de la primauté du droit, aux principes du droit administratif, aux valeurs fondamentales de la société canadienne, et aux principes de la Charte ». Or ces principes limitatifs comprennent les règles d’équité procédurale applicables à notre contexte. Pour dire les choses simplement, l’équité procédurale exigeait de la déléguée qu’elle examine à tout le moins la question de savoir si elle était tenue de permettre le contre-interrogatoire du détective Fernandes et, en cas de refus, qu’elle motive celui-ci en termes clairs, ce qu’elle n’a pas fait.

[39]  Bien que la déléguée ait déclaré qu’elle n’avait aucune raison de mettre en doute la crédibilité du détective, le juge Russell a conclu que la simple absence de raison manifeste à la lecture du dossier de douter de la crédibilité du détective ne signifie pas qu’un contre-interrogatoire n’entamerait nullement sa crédibilité et la valeur de sa preuve. L’objet du contre‑interrogatoire est justement de mettre à l’épreuve et en contexte des éléments de preuve à première vue crédibles et acceptables.

[40]  Quant à la thèse du défendeur selon laquelle le pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 115(2)b) n’exige ni ne comprend une audience et un contre-interrogatoire, le juge Russell a déclaré :

[172]  Aucune disposition de la Loi ou de ses règlements d’application ne me paraît donner à penser que le législateur ait eu l’intention d’exclure le contre-interrogatoire dans tous les cas, ou d’écarter les principes d’équité procédurale qui exigeraient que le délégué examine la possibilité de l’autoriser. Dans le même temps, nous disposons de directives explicites formulées par la Cour d’appel fédérale dans Nagalingam CAF, selon lesquelles « il faut que le pouvoir discrétionnaire [conféré par l’article 115] soit exercé conformément aux limites imposées dans la loi, aux principes de la primauté du droit, aux principes du droit administratif, aux valeurs fondamentales de la société canadienne, et aux principes de la Charte ». Autrement dit, les règles d’équité procédurale formulées dans Baker restent tout à fait applicables à la procédure relevant de l’article 115 de la Loi.

[41]  Le juge Russell a conclu qu’il était important de constater qu’il n’ait pas été possible de déterminer avec certitude comment la déléguée s’est appuyée sur l’affidavit et le rôle qu’il a joué dans sa conclusion portant que le demandeur était un homme de main, et :

[179]  Bien qu’on ne sache pas avec certitude dans quelle mesure la déléguée s’est fondée sur l’affidavit du détective Fernandes, on ne peut dire en tout cas qu’elle n’ait pas compté sur ce document ou sur la crédibilité de son auteur pour étayer ses conclusions. Étant donné les enjeux de la présente espèce – le risque que le demandeur soit séparé de sa famille, par exemple –, on ne peut tout simplement pas affirmer sans risque d’erreur qu’il n’était pas nécessaire qu’il contre-interroge le détective Fernandes sur son affidavit.

[…]

[188]  Permettre de contre-interroger sur des éléments de preuve produits devant le délégué du ministre ne veut pas dire transformer cette procédure en une audience et y appliquer les règles de preuve du droit pénal, mais plutôt se conformer à des principes bien établis d’équité procédurale provenant du droit administratif. À mon sens, ces principes n’exigent pas nécessairement qu’on permette de contre-interroger l’auteur d’un affidavit dans tous les cas (encore qu’il soit difficile d’imaginer un ensemble de circonstances où l’on ne risquerait pas de se tromper en rejetant une requête en ce sens), mais le délégué doit examiner la question et, s’il décide de ne pas permettre un tel contre-interrogatoire, il doit exposer les raisons pour lesquelles il pense qu’il ne convient pas ou qu’il n’est pas raisonnable de le permettre étant donné les faits. La Cour, en contrôle judiciaire, doit pouvoir considérer que le refus du délégué de permettre le contre-interrogatoire appartient aux issues possibles acceptables. Or je ne dispose d’aucun élément de preuve tendant à établir que la déléguée ait rempli l’une ou l’autre de ces conditions. Un contre-interrogatoire aurait fort bien pu renforcer la preuve contre le demandeur ou au contraire inciter à mettre en question l’évaluation du détective Fernandes et les éléments d’appréciation sur lesquels elle se fondait. Nous ne le saurons jamais. Tout ce que nous savons, c’est que quelqu’un a décidé de ne pas permettre ce contre-interrogatoire et de n’en expliquer la raison ni au demandeur ni à la Cour. Cela est inacceptable au regard des enjeux de la présente affaire et des obligations découlant de la Convention pour le Canada.

[42]  À mon avis, Nagalingam peut se distinguer pour un certain nombre de motifs. Le motif principal est qu’il ne s’agit pas d’une affaire où un demandeur demande de contre-interroger un témoin de la partie opposée qui a présenté une preuve par affidavit ou fait un témoignage sous serment. Plutôt, dans le cadre de la communication, la note au dossier a été fournie au demandeur. La lettre d’équité et de communication indiquait que le demandeur a eu une dernière occasion de fournir des éléments de preuve et de présenter des observations écrites. Le demandeur l’a fait au moyen de la lettre de son avocat du 28 juin 2017. Elle indiquait qu’aucune information n’a été fournie quant à la façon dont la SER a obtenu les renseignements portant que le PRI de 1990 était frauduleux, et dans quelle mesure la source était fiable. En l’absence de ces renseignements, aucun poids ne pouvait être accordé à l’avis. Le risque éventuel qu’il courrait sur place a aussi été soulevé. En réponse à cette préoccupation, le délégué a communiqué le courriel du 12 juillet 2017. Ainsi, contrairement à Nagalingam, le demandeur ne cherchait pas à contre-interroger sur le témoignage sous serment.

[43]  Il ne s’agit pas non plus d’une situation où il y a un droit au contre-interrogatoire prévu par la loi. Bien que le demandeur s’appuie également sur Innisfil (Township) c Vespra (Township), [1981] 2 RCS 145, où la Cour suprême du Canada a conclu qu’un conseil municipal a commis une erreur lorsqu’il a refusé de fournir l’occasion de contre-interroger un représentant d’un ministre sur une lettre. Toutefois, c’était parce que les lois en question s’étaient combinées pour établir un code de droits qui exigeait une occasion pour un opposant ou un appelant de contester par contre-interrogatoire la preuve apportée à l’encontre de ses prétentions. Ce n’est pas le cas en l’espèce étant donné que la LIPR est muette sur la procédure et n’accorde pas au demandeur le droit à une audience ou à un contre-interrogatoire.

[44]  Quant à la décision dans Rezmuves, également invoquée par le demandeur, les demandeurs ont contesté le refus de leur demande d’asile, en partie parce que la Section de la protection des réfugiés (SPR), a refusé une requête de séparation. Les articles pertinents des Règles de la Section de la protection des réfugiés n’ont pas défini la portée des droits à l’équité procédurale d’une partie devant la Section de la protection des réfugiés en common law; cependant, notre Cour a conclu que le refus de la requête de séparation équivalait à un manquement à l’équité procédurale. La raison était que, dans les circonstances de l’espèce, l’époux et l’épouse avaient des intérêts opposés et, même si le mari a été interrogé au sujet de son avis sur la demande de son épouse, elle n’a pas eu la possibilité de contre-interroger son mari.

[45]  La juge Gleason a conclu que l’équité procédurale exigeait que le droit de contre-interroger soit accordé à un demandeur d’asile lorsqu’il est confronté à un témoignage qui lui est défavorable. Elle a indiqué que le contre-interrogatoire est essentiel à la fonction de la recherche de la vérité d’un tribunal, et s’est appuyée sur Nagalingam pour étayer sa conclusion portant que le droit au contre-interrogatoire aurait dû être accordé et que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en s’appuyant sur le témoignage de l’époux pour refuser la demande de l’épouse sans lui donner l’occasion de contester les éléments de preuve de son époux. Un tel contre-interrogatoire n’était possible en application des règles que si les demandes avaient été séparées. Le refus de la demande de séparation par la Section de la protection des réfugiés, et par conséquent le refus du droit de l’épouse de contre‑interroger son époux, a privé les demandeurs de l’exercice de leurs droits à l’équité procédurale, ce qui a entraîné l’annulation de la décision.

[46]  En l’espèce, l’agent de la SER n’est pas une partie à l’instance, il n’est pas question de séparation, et il n’y a aucun droit prévu par la loi à une audience ou à un contre-interrogatoire dans le cas d’une requête de séparation, et le demandeur ne sollicite pas de contre-interroger sur un témoignage ou des éléments de preuve présentés sous serment.

[47]  Bien qu’on ne le mentionne pas dans les observations des parties, Immigration et Citoyenneté Canada publie un manuel des politiques sur les avis de danger intitulé « ENF 28 Avis ministériels sur le danger pour le public au Canada, la nature et la gravité des actes passés et le danger pour la sécurité du Canada ». Il établit les politiques et les procédures concernant les rapports sur les avis de danger émis par le ministre, et fournit une orientation et des directives fonctionnelles aux personnes qui participent à la prise de décision et à la production d’avis de danger. Quant à l’équité procédurale, ENF 28 affirme que le processus décisionnel relatif à l’avis du ministre doit respecter les principes de l’équité procédurale. La personne concernée doit être pleinement informée des éléments qui constituent le dossier d’avis de danger et avoir une possibilité raisonnable de répondre à tout renseignement sur lequel le décideur s’appuiera pour prendre une décision. La personne concernée doit recevoir une copie de tous les documents qui seront présentés au décideur. Cela semble indiquer que le contenu requis de l’obligation d’équité procédurale comporte une communication intégrale afin que la personne connaisse les arguments à réfuter et un droit de réponse à cette communication (Bhagwandass c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 49, au paragraphe 35 (Bhagwandass)). Toutefois, le délégué ne fait aucune mention de ces directives ou d’autres.

[48]  Et, bien que le demandeur se soit penché sur Nagalingam dans ses observations, le délégué ne l’a pas fait. Le délégué a essentiellement mentionné le PRI de 1990 dans un paragraphe qui n’a pas abordé la demande de contre-interrogatoire :

Risque fondé sur la communication par l’ambassade du Canada à Islamabad du premier rapport d’information frauduleux à la police du Pakistan

Il a été expliqué à l’avocat par télécopieur le 13 juillet que le processus de vérification n’incluait pas qu’on fournisse à la police une copie du document frauduleux dans lequel figurait le nom de M. Ahmed. La notion selon laquelle la police aurait confirmé que le PRI est frauduleux pour contrarier M. Ahmed est donc sans fondement, tout comme l’idée voulant que le processus de vérification expose M. Ahmed à un risque.

[49]  Il est vrai que le PRI de 1990 n’était qu’un seul aspect du risque au retour envisagé par le délégué. Et, contrairement à Nagalingam, ce n’était pas le principal élément de preuve sur lequel le délégué s’est largement appuyé pour parvenir à sa conclusion sur l’évaluation des risques. Cependant, le délégué a indiqué qu’après que l’avis de danger de 2010 a été émis, le demandeur a soulevé d’autres nouvelles allégations de risque, indiquant que la maison de sa famille avait été incendiée en 2011 et que son frère avait été ciblé par le TTP. Ces affirmations étaient appuyées par des affidavits de membres de sa famille, des articles de journaux et le PRI de 1990. Le délégué a accordé très peu de poids à ces affirmations et aux documents supplémentaires en raison de la vérification par la SER. Le délégué a également accordé très peu de poids aux nouvelles allégations en raison de la déclaration de la caution et parce que les affidavits des membres de la famille du demandeur étaient vagues, contradictoires, et ne semblaient pas avoir été rédigés pour démontrer que sa famille faisait face à des difficultés. Bien que l’on se soit appuyé sur la vérification dans la mesure où ses conclusions n’appuyaient pas les nouvelles allégations de risque, ces renseignements n’ont pas été écartés uniquement en raison de la vérification.

[50]  Je suis également d’accord avec le défendeur sur le fait que même si l’agent de la SER avait été contre-interrogé, bon nombre des questions posées par l’avocat du demandeur semblent avoir peu de pertinence quant à la fiabilité des renseignements fournis – et du coup à l’authenticité du document – et sont des questions auxquelles l’agent de la SER ne serait pas en mesure de répondre. Les questions incluaient notamment celles de savoir si l’appel téléphonique a été fait depuis l’ambassade, de connaître sa durée. L’avocat a également demandé, s’il y a différentes PRI à différents postes de police, comment l’agent de la SER pouvait être sûr qu’il a appelé le bon poste. Toutefois, le PRI de 1990 lui-même, tel qu’il est fourni par le demandeur, identifiait le poste de police (S.I.T.E.) et il est indiqué à la fois dans la note au dossier et dans le courriel du 12 juillet 2017 que c’est ce poste qui a été contacté.

[51]  Toutefois, ni ces motifs ni d’autres n’ont été avancés par le délégué pour expliquer la raison pour laquelle la demande de contre-interrogatoire n’était ni exigée ni nécessaire.

[52]  Quant à la possibilité d’une demande d’asile sur place, le délégué a souligné que le courriel du 12 juillet 2017 a confirmé que le processus de vérification n’incluait pas que l’on fournisse à la police le PRI frauduleux de 1990 ou le nom du demandeur. Je suis d’accord avec le défendeur sur le fait que cette situation est différente de Nagalingam, étant donné que l’enquête auprès de la police du Pakistan était d’une nature factuelle, la source de la réponse a été communiquée, et les motifs pour lesquels la SER a conclu que le PRI de 1990 était frauduleux étaient évidents. Toutefois, il est également manifeste que le délégué s’est fondé sur le rapport de vérification et les plus amples explications de la SER, en concluant à la fois que le PRI de 1990 était frauduleux et, ce qui est plus important encore, que le processus de vérification n’exposait le demandeur à aucun risque.

[53]  Même s’il était peut-être loisible au délégué de refuser la demande de contre-interroger l’agent de la SER parce que les communications ne constituaient pas un témoignage sous serment ou parce que l’obligation d’équité n’exigeait que la communication des renseignements concernant la vérification et un droit d’y répondre, ou parce qu’elle avait le droit d’accepter, ce qu’elle a fait, la fiabilité des renseignements de l’agent de la SAR, ou pour d’autres raisons, le délégué n’a tout simplement pas tenu compte de la demande explicite de contre-interrogatoire et n’a donné aucun motif pour le refus implicite, même si elle s’est manifestement fondée sur la vérification pour rejeter la possible demande d’asile sur place comme étant sans fondement et, dans une certaine mesure, pour accorder peu de poids aux nouvelles allégations de risque.

[54]  Quant à ce dernier point, comme l’a souligné le défendeur, le délégué n’a pas utilisé le PRI de 1990 pour discréditer les conclusions antérieures de la CISR, mais aurait pu accorder peu ou pas de poids au document lors de l’évaluation de l’allégation de nouveau risque, au motif qu’elle n’était pas compatible avec les éléments de preuve qui avaient été acceptés dans son FRP et devant la CISR. Toutefois, une fois de plus, le délégué ne l’a pas fait, ce n’est qu’une suggestion du défendeur.

[55]  À mon avis, étant donné les graves répercussions sur le demandeur de la décision en application de l’article 115, le délégué était tenu au moins d’expliquer la raison pour laquelle le demandeur n’a pas reçu de réponse favorable à la demande du contre-interrogatoire, et pourquoi le délégué était convaincu de la fiabilité de la vérification faite par la SER et de l’explication quant à sa méthode. Cela correspond au niveau élevé d’équité procédurale liée à un avis de danger, qui est « contradictoire dès ses débuts et […] le demeure jusqu’à la fin » (Bhagwandass, aux paragraphes 31 et 32). Le fait de ne tout simplement pas tenir compte de la demande donne lieu à un manquement potentiel à l’obligation d’équité procédurale. De plus, l’absence totale de motifs expliquant pourquoi le contre-interrogatoire n’était pas requis était déraisonnable, car cela permet à la Cour de se livrer à la spéculation et à la rationalisation quant au motif du refus implicite (Delta Air Lines Inc. c Lukács, 2018 CSC 2, aux paragraphes 25 à 28; Newfoundland Nurses, au paragraphe 22). Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans la décision Lloyd c Canada (Agence du revenu), [2016] ACF no 374, au paragraphe 24 :

À la lumière des conclusions de l’arbitre, même selon une application généreuse des principes de l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, le fondement sur lequel la suspension de 40 jours était justifiée ne peut pas être discerné sans se livrer à la spéculation et à la rationalisation. Comme je l’ai fait remarquer dans la décision Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, au paragraphe 11 :

L’arrêt Newfoundland Nurses ne donne pas à la Cour toute la latitude voulue pour fournir des motifs qui n’ont pas été donnés, ni ne l’autorise à deviner quelles conclusions auraient pu être tirées ou à émettre des hypothèses sur ce que le tribunal a pu penser. C’est particulièrement le cas quand les motifs passent sous silence une question essentielle. Il est ironique que l’arrêt Newfoundland Nurses, une affaire qui concerne essentiellement la déférence et la norme de contrôle, soit invoqué comme le précédent qui commanderait au tribunal ayant le pouvoir de surveillance de faire le travail omis par le décideur, de fournir les motifs qui auraient pu être donnés et de formuler les conclusions de fait qui n’ont pas été tirées. C’est appliquer la jurisprudence à l’envers. L’arrêt Newfoundland Nurses permet aux cours de contrôle de relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées. Ici, il n’y a même pas de points sur la page.

[56]  En conclusion, le défaut de tenir compte de la demande de contre-interrogatoire a donné lieu à un possible manquement à l’équité procédurale. De plus, l’absence totale de motifs pour le refus implicite de la demande de contre-interroger l’agent de la SER rend la décision déraisonnable, car elle entraîne un manque de justification, de transparence et d’intelligibilité dans le processus décisionnel (Dunsmuir, au paragraphe 47).

Question en litige no 2 : Le délégué a-t-il outrepassé sa compétence?

[57]  Le demandeur soutient que le délégué a commis une erreur en décortiquant la détermination du statut de réfugié du demandeur pour réfuter des éléments de sa demande qui étaient essentiels à la décision initiale d’accorder le droit d’asile et, ce faisant, le délégué a outrepassé sa compétence. C’est précisément la situation dans Ahmed 2015 qui a donné lieu au renvoi par notre Cour de l’avis de danger de 2013 pour nouvel examen et le demandeur soutient que l’erreur se répète maintenant. En l’espèce, le fait que le gouvernement du Pakistan ait porté de fausses accusations criminelles contre le demandeur en raison de son activité politique était essentiel à sa demande d’asile. Le demandeur a déposé un mandat d’arrestation de 1993 à la CISR, qui a été délivré en raison de son affiliation politique. La CISR a conclu que le demandeur était crédible dans l’ensemble et lui a accordé le statut de réfugié au sens de la Convention. Malgré cette conclusion, le délégué a tenté de discréditer le PRI de 1990 qui concernait les mêmes questions dont la CISR était saisie, des antécédents de fausses accusations criminelles en raison des activités politiques. À ce titre, le délégué a outrepassé sa compétence en réévaluant des éléments clés du statut de réfugié du demandeur. En outre, le demandeur a allégué que le délégué a fait preuve de partialité et devrait se récuser, cependant le délégué n’a pas reconnu ni abordé ce fait dans ses motifs. Le fait de ne pas expliquer la raison pour laquelle la demande de récusation a apparemment été refusée donne lieu à un autre manquement à l’équité procédurale.

[58]  À mon avis, l’argument portant que le délégué a outrepassé sa compétence est sans fondement. Dans Ahmed 2015, le juge O’Keefe a observé que le délégué a conclu, en fonction de la langue du demandeur, que cela réduisait le poids accordé à l’argument du demandeur selon lequel il est membre de la communauté mohajir. Cela a servi à indiquer au juge O’Keefe que le délégué ne souscrivait pas à la conclusion de la CISR quant à l’identité du demandeur en tant que mohajir et membre du MQM. Le juge O’Keefe a déclaré :

[56]  À mon avis, le délégué a outrepassé sa compétence en n’acceptant pas la conclusion de la CISR selon laquelle le demandeur était membre de la communauté mohajir et du parti MQM. Le délégué a ensuite utilisé sa propre conclusion pour rejeter la demande présentée par le demandeur, ce que j’estime déraisonnable. Par conséquent, il convient d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire à un autre délégué pour nouvel examen. Il m’est impossible de connaître la conclusion qu’aurait tirée le délégué s’il avait accepté la conclusion de la CISR.

[59]  Ce n’est pas le cas en l’espèce. Le délégué a déclaré explicitement qu’il a accepté que le demandeur était un réfugié en 1995, ce qui signifiait que le délégué était également lié par les conclusions de fait de la CISR. Plus précisément, le fait que le demandeur est un mohajir de par son appartenance ethnique, qu’il était membre du MQM, et qu’il a été détenu par la police en raison de son adhésion au MQM à plusieurs reprises au début des années 1990.

[60]  De plus, et de façon significative, la CISR n’était pas saisie du PRI de 1990 lorsqu’elle a accordé le statut de réfugié au demandeur en janvier 1995. Par conséquent, ce n’était pas un des facteurs dont la CISR a tenu compte pour parvenir à sa décision. Plutôt, le PRI de 1990 est un nouvel élément de preuve présenté par le demandeur à l’appui du nouvel examen de l’avis de danger de 2013. Et même si le mandat d’arrestation était un élément de preuve dont la CISR était saisie, le délégué n’a pas envoyé ce document aux fins de vérification ni tiré une conclusion qui indiquait que le délégué n’a pas accepté son contenu ou sa validité ou n’a pas accepté les conclusions de la CISR relativement au statut de réfugié du demandeur. Le délégué n’a pas enlevé ni modifié ce statut par ses motifs (Nagalingam CAF, aux paragraphes 42 et 43) et la vérification de l’exactitude ou de l’authenticité de nouveaux éléments de preuve présentés à l’appui de nouvelles allégations de risque dont la CISR n’était pas saisie n’a pas fait en sorte que le délégué outrepasse sa compétence.

[61]  Quant à l’allégation d’une crainte raisonnable de partialité, cette question a été soulevée par l’avocat du demandeur dans sa correspondance du 28 juin 2017 et du 10 août 2017. Il y faisait valoir que la conduite du délégué, en ne tenant pas compte de la directive de notre Cour dans Ahmed 2015 et de la vérification du PRI de 1990 et de l’article de presse d’Ummat News, a donné lieu à une crainte raisonnable de partialité.

[62]  Comme je l’ai conclu précédemment, il n’y a pas de fondement à l’allégation selon laquelle le délégué a outrepassé sa compétence et, à mon avis, il était loisible au délégué de demander de nouveaux éléments de preuve au demandeur à l’appui de son nouveau risque allégué pour en vérifier l’authenticité. Ce fait n’appuie pas une allégation de partialité. Il existe une crainte raisonnable de partialité lorsqu’une « [...] personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » conclut qu’une telle partialité existe (Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, aux pages 394 et 395). De plus, le seuil applicable à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité est élevé et le fardeau de la preuve incombe à la personne qui allègue l’existence de réfuter la présomption d’impartialité (Zündel c Citron, [2000] 4 CF 225, au paragraphe 36, citant R. c S. (R.D.), [1997] 2 RCS 484). À mon avis, le demandeur n’a pas établi l’existence d’une crainte raisonnable de partialité en l’espèce.

[63]  Toutefois, étant donné que l’allégation de partialité a été faite par le demandeur, le délégué ne pouvait pas simplement choisir de ne pas en tenir compte (Bongwalanga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 352, aux paragraphes 15 et 16; voir également Bajwa c British Columbia Veterinary Medical Association (Colombie-Britannique), 2011 BCCA 265, aux paragraphes 23 et 24, citant Tranchemontagne c Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), 2006 CSC 14). Par conséquent, si je n’avais pas été en mesure de trancher cette question sur le fond, le fait de ne pas examiner la question aurait également pu avoir été une erreur susceptible de révision.

[64]  Compte tenu de mes conclusions précédentes, il ne m’est pas nécessaire d’examiner le caractère raisonnable des conclusions du délégué concernant le risque.

[65]  Avec une réticence considérable compte tenu de sa longue histoire, je conclus que la question doit être renvoyée à un autre délégué pour nouvel examen en tenant compte de mes motifs dans la présente décision.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3777-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. la décision rendue par le délégué est annulée et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen en tenant compte des présents motifs;

  2. aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et l’affaire n’en soulève aucune;

  3. aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 2e jour de juin 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3777-17

 

INTITULÉ :

SIRAJ AHMED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 février 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 mars 2018

 

COMPARUTIONS :

Naseem Mithoowani

Pour le demandeur

 

Kristina Dragaitis

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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