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Date : 20180406


Dossier : IMM-1933-17

Référence : 2018 CF 371

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 avril 2018

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

AKLIL WELDU AZBAHA (AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE AKLILU WOLDU AZBAHA)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  M. Azbaha est citoyen d’Érythrée qui a cherché à entrer au Canada en mars 2017 au moyen d’un passeport suédois volé. Bien qu’il ait d’abord affirmé être un ressortissant suédois, il a déclaré par la suite qu’il est entré au Canada dans le but de présenter une demande d’asile. Il a été établi par la suite qu’il voyageait avec une autre personne qui avait en sa possession la carte de résidence et le permis de conduire suisses de M. Azbaha et deux téléphones cellulaires. Les cellulaires contenaient beaucoup de photographies de pièces d’identité variées et de passeports, et ces pièces, selon M. Azbaha, appartiendraient aux membres de la famille du demandeur.

[2]  M. Azbaha a déclaré initialement qu’il n’avait pas présenté une demande d’asile dans le passé. Il a par la suite reconnu qu’il avait obtenu en Suisse le statut de réfugié au sens de la Convention. Le délégué du ministre (le délégué) a conclu que le renvoi de la demande d’asile de M. Azbaha devant la Section de la protection des réfugiés était irrecevable, puisque la Suisse l’avait reconnu comme réfugié au sens de la Convention et qu’il pouvait être renvoyé en Suisse.

[3]  À la suite de cette détermination, M. Azbaha a été arrêté et détenu au motif qu’il était peu probable qu’il comparaisse à des fins d’expulsion. Il a aussi été accusé de trois infractions à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), pour possession et utilisation de documents frauduleux et pour fausses déclarations.

[4]  M. Azbaha sollicite le contrôle judiciaire de la détermination du délégué, c’est-à-dire de l’irrecevabilité de sa demande d’asile. Il affirme que le processus ayant abouti à la conclusion que sa demande d’asile est irrecevable pour le renvoi à la Section de la protection des réfugiés était inéquitable sur le plan procédural. Il soutient en outre que la conclusion d’irrecevabilité était déraisonnable.

[5]  Après avoir examiné attentivement et considéré les observations des parties et le dossier, il m’est impossible de conclure que le processus était inéquitable sur le plan procédural ou que la conclusion tirée était déraisonnable. La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.  Dispositions législatives applicables

[6]  Les demandes d’asile et les conclusions en matière de recevabilité sont régies par les articles 99 à 101 de la LIPR. Une demande d’asile peut être faite à un point d’entrée :

99 (1) La demande d’asile peut être faite à l’étranger ou au Canada.

[…]

(3) Celle de la personne se trouvant au Canada se fait à l’agent et est régie par la présente partie; toutefois la personne visée par une mesure de renvoi n’est pas admise à la faire.

99 (1) A claim for refugee protection may be made in or outside Canada.

[…]

(3) A claim for refugee protection made by a person inside Canada must be made to an officer, may not be made by a person who is subject to a removal order, and is governed by this Part.

[7]  Dans les trois jours ouvrables suivant la réception d’une demande d’asile faite en application du paragraphe 99(3), l’agent statue sur la recevabilité de la demande à la Section de la protection des réfugiés. Il incombe au demandeur de prouver que sa demande est recevable et celui-ci doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées à cette fin.

100 (1) Dans les trois jours ouvrables suivant la réception de la demande, l’agent statue sur sa recevabilité et défère, conformément aux règles de la Commission, celle jugée recevable à la Section de la protection des réfugiés.

(1.1) La preuve de la recevabilité incombe au demandeur, qui doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées.

100 (1) An officer shall, within three working days after receipt of a claim referred to in subsection 99(3), determine whether the claim is eligible to be referred to the Refugee Protection Division and, if it is eligible, shall refer the claim in accordance with the rules of the Board.

(1.1) The burden of proving that a claim is eligible to be referred to the Refugee Protection Division rests on the claimant, who must answer truthfully all questions put to them.

[8]  Une demande est irrecevable à la Section de la protection des réfugiés lorsqu’un pays autre que le Canada reconnaît la qualité de réfugié au sens de la Convention et qu’il est possible de renvoyer le demandeur vers ce pays :

101 (1) La demande est irrecevable dans les cas suivants :

[…]

d) reconnaissance de la qualité de réfugié par un pays vers lequel il peut être renvoyé;

101 (1) A claim is ineligible to be referred to the Refugee Protection Division if

[…]

(d) the claimant has been recognized as a Convention refugee by a country other than Canada and can be sent or returned to that country;

III.  Questions en litige

[9]  La présente demande soulève les deux questions suivantes :

  • 1) La procédure était-elle équitable? et

  • 2) La décision était-elle raisonnable?

IV.  Norme de contrôle

[10]  Selon la thèse de M. Azbaha soutient, à laquelle je souscris, la Cour qui examine des questions d’iniquité procédurale doit appliquer la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79). La décision d’irrecevabilité de la demande de M. Azbaha est une question de droit et de fait qui doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (voir la décision Wangden c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1230, au paragraphe 17).

V.  Discussion

A.  La procédure était-elle équitable?

1)  Nouveaux éléments de preuve

[11]  Les deux parties cherchent à déposer devant la Cour des éléments de preuve dont le délégué ne disposait pas pour statuer sur la question de l’équité. M. Azbaha cherche à s’appuyer sur une série de courriels échangés entre l’agent Syed, agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs de l’Agence des services frontaliers du Canada, et le consulat général de Suisse. M. Azbaha soutient que ces courriels ont été échangés après la décision d’irrecevabilité et qu’il s’agissait d’une tentative visant à renforcer la décision d’irrecevabilité. Le défendeur tente d’invoquer l’affidavit de l’agent Syed du 26 octobre 2017 relativement à l’objectif et à la nature de l’échange de courriels avec le consulat général de Suisse.

[12]  Bien que les nouveaux éléments de preuve ne soient généralement pas admissibles lors d’un contrôle judiciaire, il existe des exceptions à cette règle générale. Parmi ces exceptions, « la preuve sur une question de justice naturelle, d’équité procédurale, de but illégitime ou de fraude dont le décideur administratif n’aurait pas pu être saisi et qui n’intervient pas dans le rôle du décideur administratif comme juge du fond » est reconnue (Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, au paragraphe 25). En l’espèce, les éléments de preuve sont présentés en soutien ou en réponse au manquement allégué d’équité. Ils sont circonscrits dans la portée de l’exception reconnue susmentionnée.

[13]  J’ai tenu compte des nouveaux éléments de preuve pour étudier la question de l’équité procédurale.

2)  La procédure

[14]  M. Azbaha soutient que la procédure par laquelle sa demande a été jugée irrecevable était viciée et que les droits conférés par l’article 7 de la Charte des droits et libertés et par l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits ont été violés. Il soutient que, au 10 mars 2017, date de la décision d’irrecevabilité de sa demande à la Section de la protection des réfugiés, il n’y avait eu aucune demande de renseignements auprès de la Suisse pour statuer sur son statut ou sa capacité à retourner en Suisse. M. Azbaha invoque les échanges de courriel entre l’agent Syed et le consulat général de Suisse pour démontrer que ces demandes ont en fin de compte été présentées, mais seulement après la décision d’irrecevabilité. Il soutient que cette situation rend la procédure inéquitable. Je ne suis pas d’accord.

[15]  J’ai examiné l’échange de courriels que M. Azbaha invoque. Je note que celui qui a demandé des renseignements n’est pas le délégué qui a statué sur l’irrecevabilité à la Section de la protection des réfugiés, mais bien l’agent Syed, l’agent d’exécution de la loi des bureaux intérieurs. L’agent Syed dit dans son témoignage que ses [traduction] « communications avec le consulat de Suisse visaient à savoir s’il était possible de délivrer un document de voyage au demandeur pour que celui-ci rentre en Suisse [...] Mes communications avec le consulat de Suisse n’avaient rien à voir avec la décision d’irrecevabilité rendue le 10 mars 2017 ». Le témoignage de l’agent Syed concorde avec l’échange de courriels.

[16]  Le défendeur n’invoque pas l’échange de courriels pour justifier le caractère raisonnable de la décision d’irrecevabilité. Le défendeur s’appuie plutôt sur les renseignements et les éléments de preuve recueillis au cours de l’évaluation de la demande d’asile de M. Azbaha pendant la période précédant la décision du 10 mars 2017.

[17]  Rien ne permet de conclure que les demandes effectuées par courriel en vue de faire délivrer un document de voyage valide visaient à solidifier la décision rendue précédemment. Les demandes courantes qui sont adressées au consulat dans le but de procéder à l’expulsion ne font pas partie de la procédure décisionnelle en cause et ces demandes n’ont pas servi non plus à soutenir la décision qui avait été rendue antérieurement. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale et, par conséquent, je n’ai pas tenu compte des observations alléguant une violation de la Charte ou de la Déclaration canadienne des droits.

B.  La décision était-elle raisonnable?

[18]  M. Azbaha soutient que l’agent était tenu de tenir compte d’un critère cumulatif en deux volets pour conclure que sa demande d’asile était irrecevable à la Section de la protection des réfugiés : 1) un pays autre que le Canada l’a reconnu comme étant un réfugié au sens de la Convention et 2) il était possible de le renvoyer dans ce pays. M. Azbaha soutient que les éléments de preuve qui auraient permis au délégué de conclure raisonnablement qu’il avait obtenu le statut de réfugié en Suisse étaient insuffisants et que le délégué a entièrement omis le deuxième volet du critère. Une fois de plus, je ne suis pas d’accord.

[19]  C’est M. Azbaha qui avait la charge de démontrer que sa demande était recevable à la Section de la protection des réfugiés. Il lui incombait également de répondre véridiquement aux questions qui lui ont été posées à cette fin. Le dossier indique que M. Azbaha n’a pas exactement dit la vérité en répondant à bien des questions portant sur sa demande. En dépit de son récit changeant, il a en fin de compte reconnu 1) que le statut de réfugié lui avait été accordé en Suisse en 2006 ou en 2007 et 2) que, même si sa carte de résidence temporaire avait une date d’expiration, son statut, lui, n’a pas expiré. En plus de ces éléments de preuve, le délégué observe également que le compagnon de travail du demandeur était en possession d’un permis de conduire suisse et d’un permis de résidence permanente suisse au nom de M. Azbaha. C’est sur ces éléments de preuve que le délégué a conclu que M. Azbaha avait obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention dans un pays autre que le Canada et que celui-ci pouvait retourner dans ce pays. Il s’agit d’une décision qui n’est pas déraisonnable.

[20]  En invoquant la décision Jekula c Canada (Citoyenneté et Immigration) (1998), [1999] 1 CF 266, 154 FTR 268 (CF 1re inst) [Jekula], M. Azbaha soutient que le délégué avait l’obligation de faire enquête sur sa capacité à rentrer en Suisse. Il soutient que l’omission de le faire rend la décision déraisonnable.

[21]  La décision Jekula enseigne qu’un décideur peut généralement supposer qu’un demandeur a le droit de rentrer dans le pays où l’asile lui a été accordé lorsque des éléments de preuve le démontrent. La décision Jekula enseigne encore que, si des éléments de preuve indiquent qu’un demandeur ne sera pas autorisé à revenir au pays d’asile, d’autres recherches doivent être menées. Je note que la décision Jekula a été rendue avant l’adoption du paragraphe 100(1.1) de la LIPR, disposition qui impose au demandeur la charge de prouver qu’il ne peut rentrer au pays qui lui a accordé l’asile. Selon moi, l’obligation qu’impose la décision Jekula doit être examinée à la lumière du paragraphe 100(1.1) de la LIPR.

[22]  En l’espèce, le délégué avait le droit d’examiner les déclarations de M. Azbaha selon lesquelles son permis de résidence avait expiré, compte tenu des éléments de preuve et des circonstances. Il n’était pas déraisonnable que l’agent conclue que les déclarations catégoriques du demandeur ne suffisaient pas à entraîner l’obligation de faire plus de recherche.

VI.  Conclusion

[23]  Je conclus qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale. La décision de la Section de protection des réfugiés est transparente, justifiée et intelligible et elle appartient aux issues possibles acceptables fondées sur les faits et le droit. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[24]  Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale aux fins de certification et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1933-17

 

INTITULÉ :

AKLIL WELDU AZBAHA (AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE AKLILU WOLDU AZBAHA) c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 DÉCEMBRE 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 AVRIL 2018

 

COMPARUTIONS :

Teklemichael Sahlemariam

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Gregory George

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

The Law Office of Teklemichael AB Sahlemariam

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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