Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180403


Dossier : IMM-5135-15

Référence : 2018 CF 123

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 avril 2018

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

I.P.P. ET D’AUTRES

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

(Jugement et motifs confidentiels rendus le 5 février 2018)

I. INTRODUCTION

[1] Il s’agit d’une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision du 14 octobre 2015 (la décision), par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la Section de la protection des réfugiés ou la Commission) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) a refusé de reconnaître aux demandeurs la qualité de réfugiés au sens de la Convention et de personnes à protéger en application des articles 96 et 97 de la Loi. Outre les recours classiques du droit administratif, les demandeurs demandent aussi des recours extraordinaires en application du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, soit l’annexe B de la Canada Act 1982 (R.-U.), 1982, c 11 (la Charte) pour violations alléguées de leurs droits garantis par la Charte.

II. RÉSUMÉ DES FAITS

[2] Les demandeurs sont une famille élargie de vingt-quatre citoyens mexicains. Au cours des années 2007 et 2008, ils sont arrivés au Canada en groupes distincts et ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.

[3] Les demandes présentées par les demandeurs étaient toutes liées à un incident survenu en 1992, au cours duquel le demandeur principal, I.P.P., a été témoin du meurtre d’un voisin et a aidé la police en identifiant l’un des assassins. I.P.P. a plus tard découvert qu’un gang particulier (gang) était responsable du meurtre. Après l’emprisonnement du chef du gang pour le crime, le gang s’est livré à une vendetta de quinze ans contre I.P.P. et sa famille. Les demandeurs allèguent que les membres du gang sont des « madrinas » de la police judiciaire mexicaine. Ils disent qu’il s’agit de gangs criminels qui agissent en tant que branches clandestines des forces policières au Mexique.

[4] Le premier groupe de demandeurs est arrivé à Toronto le 17 avril 2007 et des représentants canadiens de l’immigration ont mené une entrevue au point d’entrée [PDE]. Le premier groupe a recouru aux services d’un avocat et chacun des membres a présenté son Formulaire de renseignements personnels (FRP) initial le 11 mai 2007. Insatisfait du travail de l’avocat retenu au départ, le premier groupe a embauché un nouvel avocat en mars 2008. Au cours des années 2008 et 2009, I.P.P., sa mère, L.M.P.A., et son cousin, C.A.A.P., ont signé plusieurs affidavits avec leur nouvel avocat afin de modifier les FRP présentés par leur premier avocat.

[5] Ce n’est que le 8 juillet 2009 que la première conférence préparatoire à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés a eu lieu, en raison des délais attribuables au besoin de modifier les FRP des demandeurs, des ajournements demandés par l’avocat des demandeurs et de la nécessité de lier différents groupes de demandes. Il a fallu tenir cinq audiences préalables avant que les demandeurs ne commencent à témoigner oralement, le 8 février 2011. Après avoir tenu quatre audiences orales en février, la Section de la protection des réfugiés était dans l’impossibilité de prévoir une autre audience avant octobre 2011. Sept audiences supplémentaires de témoignages oraux ont eu lieu, l’audience définitive des demandeurs étant survenue le 6 décembre 2011.

[6] Pendant la pause entre les audiences de 2011, les demandeurs ont appris que le commissaire de la Section de la protection des réfugiés affichait un [traduction] « taux d’acceptation nul » des demandes d’asile. Ainsi, à la reprise des audiences, le 13 octobre 2011, les demandeurs ont présenté des observations au commissaire afin de lui demander de se récuser au motif d’une crainte raisonnable de partialité, de délai et de l’incidence négative que son taux d’acceptation nul avait sur eux. Après avoir pris l’affaire en délibéré, le commissaire a rejeté la demande présentée par les demandeurs et a refusé de se récuser à l’audience suivante, le 18 octobre 2011.

[7] Les demandeurs allèguent que leur niveau de stress, causé par le processus de demande, a augmenté de façon marquée après le refus du commissaire de se récuser. Ils affirment que ce stress s’est manifesté dans le cadre de plusieurs incidents physiques pendant les audiences de l’automne de 2011. Par conséquent, les demandeurs ont de nouveau demandé au commissaire de se récuser lors de l’audience du 27 octobre 2011.

[8] Dans le cadre de leurs observations après l’audience, en janvier 2012, les demandeurs ont de nouveau demandé au commissaire de se récuser. Ils ont alors présenté un rapport rédigé par le professeur Sean Rehaag, dans lequel ce dernier faisait état de ses préoccupations par rapport à la méthodologie du commissaire. L’affidavit contenant le rapport du professeur Rehaag était accompagné de copies de chacune des décisions relatives aux réfugiés rendues par le commissaire de 2008 à 2010. Cela correspondait à plus de six cents pages de pièces. Les demandeurs ont ensuite présenté trois autres demandes de récusation au commissaire avant que la décision ne soit rendue, le 14 octobre 2015.

[9] En novembre 2014, près de trois ans après la fin des témoignages oraux, étant donné que la décision n’avait toujours pas été rendue, les demandeurs ont déposé une demande d’accès à l’information et protection des renseignements personnels (AIPRP) afin d’obtenir tous les documents de la Section de la protection des réfugiés liés au dossier.

[10] Les demandeurs ont reçu un avis de la décision le 27 octobre 2015. Les motifs du commissaire, joints à l’avis, sont datés du 14 octobre 2015, soit le dernier jour de son mandat à la Section de la protection des réfugiés.

III. DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[11] Dans la décision, on reconnaît d’abord que les demandeurs présentent une demande d’asile en application de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi. Le commissaire a conclu en fin de compte que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger parce qu’il estime que leur histoire n’est pas crédible.

A. Allégations

[12] La première section de la décision résume le fondement de la demande présentée par les demandeurs [traduction] « en fonction du Formulaire de renseignements personnels initial » et présente un court historique procédural de l’évolution de la demande. On indique que les demandeurs allèguent que leur persécution découle entièrement du fait qu’I.P.P. a été témoin d’un meurtre commis par des personnes dont il a appris plus tard qu’ils étaient membres du gang, et du fait qu’il a participé à l’identification de l’assassin. Des agressions persistantes, que les demandeurs attribuent au gang, les ont poussés à présenter une demande d’asile au Canada dès 2007.

[13] Dans la décision, on indique que le premier groupe de demandeurs qui est arrivé au Canada a présenté un exposé circonstancié conjoint sous la supervision d’un avocat. Les demandeurs ont par la suite fait appel à un autre avocat et se sont plaints du fait que l’exposé circonstancié initial ne reflétait pas adéquatement leur récit. Le commissaire observe que [traduction] « [p]lusieurs affidavits ont été présentés afin d’ajouter des renseignements détaillés à l’exposé circonstancié et d’apporter des modifications à certains éléments mentionnés ». Le commissaire conteste le format de ces modifications apportées à l’exposé circonstancié dans le FRP des demandeurs, mais il reconnaît que ces problèmes ont été corrigés. Le commissaire conclut cette section en indiquant qu’au cours des années 2007 et 2008, le nombre total de demandeurs est passé à vingt-six, mais que trois demandeurs ont par la suite retiré leurs demandes.

B. Récusation

[14] La section suivante de la décision porte sur les demandes de récusation du commissaire présentées par les demandeurs, qui, selon leur description, ont été faites à [traduction] « divers moments », pour [traduction] « divers motifs ». Le commissaire indique que toutes les demandes ont été écartées. En ce qui concerne les plaintes relatives à son comportement, le commissaire affirme avec conviction que [traduction] « les deux avocats et (un agent de protection des réfugiés (APR)) toujours avec moi dans la salle d’audience affirment n’avoir jamais été témoins de cas de comportement inapproprié de ma part ».

[15] Le commissaire expose ensuite les motifs qui l’ont amené à écarter l’objection soulevée par les demandeurs, selon laquelle l’un des documents sur lequel il s’est fondé était assujetti au secret professionnel, et à rejeter les objections fondées sur un délai dans la procédure. Les demandeurs ont présenté le document en question afin de prouver que leur premier avocat avait omis d’inclure tous les détails de leur récit dans leur FRP initial. Le commissaire fait remarquer qu’à l’instar du FRP, le document ne contient pas suffisamment de détails, et conclut que les demandeurs renonçaient au secret professionnel en le présentant à la Section de la protection des réfugiés. Le commissaire conclut que les délais dans la procédure étaient attribuables au nombre élevé de demandeurs. Il était donc difficile de prévoir les audiences dans la seule salle d’audience de Toronto suffisamment grande pour accueillir tout le groupe. Le commissaire écarte tous les problèmes relatifs aux éléments de preuve à cause du délai, étant donné que les séances de la Section de la protection des réfugiés sont enregistrées numériquement et peuvent être consultées [traduction] « si la mémoire est défaillante et les notes écrites ne sont pas claires ».

[16] Le commissaire revient à la question de la récusation en indiquant que [traduction] « [d]es statistiques ont aussi été consignées ». Il reconnaît que les médias ont fait état de son [traduction] « taux d’acceptation nul »; il explique toutefois que si l’on tient compte des pays d’origine en cause dans les décisions, son taux d’acceptation moyen ne le plaçait pas sur la liste des commissaires de la Section de la protection des réfugiés qui s’éloignaient beaucoup de la moyenne. Le commissaire fait remarquer qu’il est lié par le code de conduite de la Section de la protection des réfugiés qui exige qu’il tranche les affaires en fonction des éléments de fait et de droit dont il dispose et que [traduction] « chaque affaire est un cas d’espèce ». Il mentionne que les statistiques à elles seules ne peuvent déterminer si un résultat positif ou négatif était justifié. Les demandeurs ont évidemment présenté d’autres objections, mais le commissaire affirme qu’il ne les [traduction] « répétera pas ».

[17] Le commissaire présente ensuite une longue réfutation du rapport du professeur Rehaag. Il estime que le rapport n’a aucune valeur parce que les mots utilisés par le professeur Rehaag [traduction] « semblent défendre un certain point de vue, plutôt que d’être objectifs ». Voici quelques critiques précises formulées à l’égard du rapport :

  • absence d’explication mathématique à l’appui des conclusions statistiques auxquelles le professeur Rehaag est parvenu, y compris les variables contrôlées;

  • défaut d’analyser les décisions rendues par d’autres commissaires de la Section de la protection des réfugiés;

  • désaccord avec l’affirmation selon laquelle les conclusions sur la fiabilité tirées par le commissaire se fondent sur les différences entre le témoignage de vive voix, le FRP, les notes prises au point d’entrée [PDE] et d’autres éléments de preuve documentaire plutôt que sur l’explication de ces différences formulée par un demandeur;

  • caractérisation erronée de l’approche adoptée par le commissaire à l’égard de la preuve psychologique;

  • abstraction de l’explication raisonnable concernant les passages standard et les modèles de raisonnement dans les décisions du commissaire;

  • remarque selon laquelle il n’est pas nécessaire de mentionner les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe de la Section de la protection des réfugiés, qu’il est plus important de respecter les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et l’affirmation selon laquelle l’interrogatoire de L.M.P.A. par le commissaire respectait les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

[18] Le commissaire défend ensuite ses décisions ayant fait l’objet de demandes de contrôle judiciaire devant la Cour. Il fait remarquer que seule une petite partie de ses décisions ont fait l’objet d’une autorisation et qu’il est donc incorrect de supposer que ces décisions constituent un échantillon représentatif. Même s’il est possible que certains demandeurs n’aient pas eu les ressources suffisantes pour présenter une demande d’autorisation, le commissaire se dit toutefois convaincu qu’Aide juridique Ontario peut aider pour les affaires qui semblent bien fondées. En outre, le commissaire mentionne qu’un petit nombre de décisions infirmées ne donne pas lieu à une crainte raisonnable de partialité, surtout après Turoczi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1423, au paragraphe 18 [Turoczi], où le juge Zinn a accepté le fait que les « conclusions [du commissaire] résultent de l’application de fondements juridiques ayant force exécutoire ainsi que du fardeau de preuve pertinent [...] [et qu’il] est très peu probable qu’un commissaire aurait statué autrement ».

[19] Le commissaire revient sur la question du délai pour indiquer qu’en plus de l’ampleur de la procédure mentionnée plus tôt, la demande d’AIPRP des demandeurs a nui au temps qu’il a fallu pour rendre une décision. Le commissaire reconnaît que cette demande était tout à fait adéquate, tout en indiquant que [traduction] « le dossier renvoyé par l’AIPRP n’était aucunement ordonné » Le commissaire répète aussi qu’il existe un enregistrement numérique des audiences, ce qui signifie [traduction] « qu’il est possible d’écouter l’enregistrement en cas de doute ».

[20] Le commissaire aborde aussi la demande de récusation présentée par les demandeurs à son égard au motif d’une incidence psychologique néfaste pendant les audiences. Il explique qu’il n’accorde que peu de poids à la thérapeute familiale des demandeurs, [omis], parce qu’elle ne détient pas de permis pour diagnostiquer des états psychologiques. Le commissaire mentionne que [traduction] « toutes les mesures de précaution » ont été prises pour répondre aux besoins des demandeurs, notamment pauses fréquentes, interrogatoire dans l’ordre inverse, permettre à des personnes de confiance de s’asseoir à côté des demandeurs, absence de questions posées en vue d’obtenir des détails précis sur l’agression sexuelle dont L.M.P.A. a été victime, et proposition d’utiliser une télévision en circuit fermé pour suivre le déroulement de l’instance. Le commissaire reconnaît qu’I.P.P. a été malade pendant la procédure, mais indique que cette situation est survenue pendant que son avocat l’interrogeait. Le commissaire ne voit donc pas ce qui aurait pu être fait autrement.

[21] La section de la décision qui porte sur la récusation se termine par une citation du critère établissant la crainte raisonnable de partialité soutenue par le juge de Grandpré dans Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’Énergie (1976), [1978] 1 RCS 369, à la page 394 [Committee for Justice]. Le commissaire [traduction] « n’arrive pas à voir comment il a été satisfait à ce critère ».

C. Décision

[22] Le commissaire indique que les demandeurs n’ont pas réussi à établir qu’il existait une possibilité sérieuse de persécution ni à établir qu’ils s’exposeraient à la torture, à une menace à leur vie ou à des traitements ou des peines cruels et inusités s’ils retournaient au Mexique. Il mentionne que tous les éléments de preuve ont été pris en considération dans le contexte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et il accepte le fait que [traduction] « les circonstances ayant donné lieu à la crainte de persécution des femmes sont souvent propres aux femmes ».

D. Crédibilité

[23] Le commissaire reconnaît que les demandeurs sont des citoyens du Mexique.

[24] Le commissaire commence son analyse de la crédibilité en réitérant qu’il ne peut conclure à la crédibilité des demandeurs. Il se préoccupe particulièrement des écarts entre le témoignage de vive voix des demandeurs, leurs FRP et d’autres éléments de preuve documentaire. Il indique que, selon les modifications apportées aux FRP, le gang est une madrina affiliée à une force policière mexicaine. Le commissaire convient qu’il est compréhensible de ne pas savoir clairement le niveau particulier de force policière auquel le gang est lié; il mentionne cependant qu’I.P.P. n’a pas mentionné que le gang était lié à une force policière quelconque dans sa première déclaration faite aux représentants de l’immigration. Le commissaire rejette les explications fournies par I.P.P. selon lesquelles il ne savait pas quoi dire, que les agents d’immigration avaient été grossiers et qu’il ne s’en était souvenu qu’après sa thérapie. Le commissaire indique qu’il comprend qu’un demandeur puisse être fatigué après son voyage et qu’il est peu probable d’avoir une mémoire parfaite lors d’une entrevue spontanée. Il met toutefois l’accent sur la longueur de la première déclaration faite par I.P.P. Dans ces circonstances, le commissaire conclut que le lien entre le gang et la police [traduction] « serait venu à l’esprit », et rejette l’explication d’I.P.P. relativement à cette omission.

[25] Dans l’exposé circonstancié des demandeurs dans leur FRP initial, on ne mentionne pas non plus le fait que le gang est une madrina affiliée à une force policière. Le commissaire conclut que l’explication d’I.P.P. selon laquelle l’avocat retenu au départ a omis ces détails est inadéquate parce qu’il était un avocat autorisé. Le commissaire mentionne que, lorsque le premier avocat des demandeurs a été mis au fait de la plainte déposée par ces derniers, dans laquelle ils affirmaient avoir reçu un service inadéquat, il a réfuté ces allégations et a affirmé avoir préparé correctement les FRP. Le commissaire estime révélateur que les demandeurs [traduction] « n’aient pas donné suite à cette question ». Étant donné que plusieurs des demandeurs se fondaient sur l’exposé circonstancié d’I.P.P., le commissaire [traduction] « n’arrive pas à comprendre comment tous ne se souviendraient pas de ce fait assez essentiel » pendant la préparation du formulaire et conclut que [traduction] « ces omissions » minent la crédibilité des demandeurs.

[26] Le commissaire aborde ensuite une [traduction] « intrigue secondaire dont il n’est pas question dans l’exposé circonstancié initial », qui a été ajoutée dans des modifications apportées par la suite au FRP. L’incident en question portait sur le meurtre d’un membre du gang, commis par vengeance par la famille de la personne dont I.P.P. avait été témoin du meurtre. Le commissaire rejette l’explication d’I.P.P. selon laquelle ce fait n’était pas clair au moment de la présentation de l’exposé circonstancié initial. Le commissaire en déduit que l’échéance de vingt-huit jours pour remettre le FRP et l’exposé circonstancié [traduction] « correspond pratiquement à la période complète accordée pour certaines demandes d’asile actuelles, du début à la fin ». Vu la longueur de l’exposé circonstancié et l’inclusion de [traduction] « menus détails [...] et d’autres éléments banals », le commissaire conclut [traduction] « qu’il est illogique que l’exposé circonstancié du FRP ne comprenne pas le deuxième meurtre » I.P.P. lui-même a indiqué dans son témoignage qu’il n’avait pas témoigné contre le chef du gang. Par conséquent, le commissaire conclut que [traduction] « [le chef du gang] a été emprisonné par d’autres moyens et qu’il semble étrange que [le gang] passerait toutes ces années à essayer de se venger contre [I.P.P.] ». Ainsi, le commissaire conclut qu’il était plus probable que le récit du deuxième meurtre ait été [traduction] « concocté » et que son omission dans le FRP initial minait encore plus la crédibilité des demandeurs.

[27] Parmi les autres omissions du premier FRP qui, selon le commissaire, minent la crédibilité des demandeurs, notons les suivantes :

  • I.P.P. a été drogué, enlevé et battu, et on lui a dit, sous la menace d’une arme, que le chef du gang ne savait toujours pas quoi faire de lui en 2000;

  • un incident où une personne armée d’un revolver a pourchassé I.P.P. après que ce dernier s’est arrêté pour faire le plein;

  • le visage du fils d’I.P.P. qui a été durement frappé contre le pare-brise d’une voiture lors d’un incident survenu en 2003;

  • l’appel fait par le chef du gang au père d’I.P.P. après le vol du véhicule familial, en 2007 – il s’agit de l’incident qui a apparemment poussé les demandeurs à fuir au Canada.

[28] Le commissaire se penche sur les explications d’I.P.P. concernant le fait qu’il n’a pas mentionné chacun de ces incidents inscrits dans l’exposé circonstancié du premier FRP. Les explications d’I.P.P. s’articulent autour des autres agressions dont il s’est souvenu pendant sa thérapie, puisqu’il supposait que ces incidents avaient été décrits dans l’exposé circonstancié subséquent présenté par sa mère, et du fait que son premier avocat avait omis des détails dans le premier exposé circonstancié du FRP. Dans chacun des cas, le commissaire [traduction] « conclut que ces explications ne sont pas satisfaisantes. »

[29] Le commissaire parle aussi des [traduction] « incohérences » entre le témoignage d’I.P.P. et le FRP modifié qui minent la crédibilité des demandeurs. Encore une fois, dans chacun des cas, le commissaire se penche sur l’explication d’I.P.P. concernant ces incohérences, mais [traduction] « conclut que ces explications ne sont pas satisfaisantes ». Ces incohérences incluent notamment :

  • des détails précis sur les mouvements des assassins pendant le meurtre dont I.P.P. a été témoin en 1992;

  • la question de savoir si les agresseurs ont frappé I.P.P. ou l’ont simplement giflé lorsqu’ils l’ont agressé en 1999;

  • le nombre d’agresseurs qui ont attaqué I.P.P. après son mariage, la question de savoir si un revolver a été utilisé et si I.P.P. s’est évanoui;

  • la portée de l’agression commise en 2006 et la question de savoir si elle a été suivie d’une inconduite de la part des policiers lorsqu’I.P.P. a tenté de signaler le crime.

[30] Le commissaire évalue ensuite le témoignage des proches d’I.P.P. Dans chacun des cas, il relève des incohérences et des omissions qui [traduction] « minent davantage la crédibilité [des demandeurs] ». Il conclut de nouveau qu’aucune des explications fournies par les demandeurs n’est satisfaisante. Parmi les préoccupations précises du commissaire, mentionnons :

  • A.A.P. n’a pas décrit les deux agressions dont il a été victime en 2002, ni dans la déclaration écrite qu’il a remise aux représentants de l’immigration dans le cadre de sa demande ni dans le FRP initial;

  • le défaut d’A.A.P. d’indiquer le nom du chef du gang à un agent d’immigration au moment de présenter sa demande;

  • le défaut de L.M.P.A., pendant une entrevue avec un agent d’immigration, de décrire les menaces faites à l’endroit de la famille après 1992;

  • la nature précise de la participation alléguée de la police au viol de L.M.P.A.;

  • la réponse donnée par F.P.R. à un agent d’immigration, dans laquelle il a indiqué que rien ne l’empêchait de retourner au Mexique, et son défaut de divulguer des incidents survenus après 1992;

  • le défaut de F.P.R. de mentionner dans sa déclaration écrite présentée aux représentants de l’immigration qu’il a été agressé sur l’autoroute;

  • l’affirmation de D.P.P. selon laquelle elle a appris que L.M.P.A. avait été victime d’un viol après son arrivée au Canada;

  • le fait que R.P.P. n’a pas mentionné l’enlèvement de son cousin dans son exposé circonstancié initial, présenté en 2010;

  • la présentation par C.A.A.P. d’un rapport de police daté de 2006 plutôt que de 2008 sur son enlèvement, et son aveu selon lequel, pendant sa première entrevue avec un agent d’immigration, il a indiqué avoir été enlevé pendant une journée parce qu’il ne voulait pas contredire le rapport, même s’il était erroné;

  • la déclaration faite par A.D.P.A. à des agents d’immigration, de vive voix et dans une note manuscrite, selon laquelle C.A.A.P. avait été enlevé et relâché le même jour, plutôt que trois jours plus tard, et le fait qu’elle a aussi avoué ne pas vouloir contredire le rapport de police;

  • la raison pour laquelle J.E.T.P. a indiqué craindre la police judiciaire plutôt que le gang dans son FRP.

[31] Le commissaire tire aussi des conclusions précises sur la crédibilité en ce qui concerne le témoignage de C.A.A.P. Quant à sa crainte de persécution en raison de son orientation sexuelle. On aborde la question de la viabilité de La Zona Rosa, un district gai de Mexico. Le commissaire conteste l’affirmation de C.A.A.P. selon laquelle [traduction] « on trouve des cadavres et des blessés tous les jours dans La Zona Rosa ». Même s’il accepte le fait que [traduction] « des agressions isolées contre des homosexuels peuvent avoir lieu à Mexico », le commissaire conclut qu’il est impossible que le carnage décrit par C.A.A.P. ne fasse pas les manchettes. Par conséquent, [traduction] « il était évident que [C.A.A.P.] mentait, à un niveau quelque peu fantastique ». On mentionne aussi le fait que le témoignage de C.A.A.P. sur son oncle gai mort du SIDA et agressé en raison de sa sexualité n’est pas indiqué dans son FRP. Le commissaire en déduit que si C.A.A.P. craint d’être persécuté en raison de son orientation sexuelle, on se serait attendu à ce qu’il mentionne dans son FRP modifié la possibilité que son oncle a été victime d’agressions.

[32] Tout en examinant les témoignages des demandeurs, le commissaire conclut en particulier que le comportement du mari de D.P.P. dégageait une absence de crainte subjective qui minait la crédibilité des témoins. Le mari de D.P.P. est arrivé au Canada avec elle, mais il est retourné au Mexique, et s’est par la suite rendu aux États-Unis. Étant donné que le mari de D.P.P. était prétendument au fait que le gang pourchassait la famille, le commissaire ne peut pas accepter le fait qu’il retournerait au Mexique ou qu’il [traduction] « n’aurait qu’à traverser un pont à partir de Buffalo » pour faire partie de la demande d’asile de sa famille.

[33] Le commissaire examine aussi des documents que les demandeurs ont présentés; dans chacun des cas, toutefois, il remet en question la véracité des documents ou conclut que ces documents renforcent sa conclusion défavorable quant à la crédibilité. Il est indiqué qu’une note manuscrite remise par les demandeurs à leur premier avocat est semblable au FRP que l’avocat a préparé. La note manuscrite et le FRP omettent de lier le gang à la police. Étant donné que les demandeurs ont avancé comme argument que leur FRP n’était pas complet parce que l’avocat avait ignoré le document, le commissaire conclut que cela [traduction] « renforce en fait les conclusions défavorables sur la crédibilité tirées sur le FRP initial ». Un reportage mentionnant le gang est critiqué en raison du moment de sa présentation et du détail indiquant que le gang utilisait la maison abandonnée des demandeurs, une affirmation que ceux-ci n’avaient jamais faite auparavant. Le commissaire mentionne qu’un rapport de police sur une agression alléguée sur l’autoroute commise contre F.P.R. le décrit à tort comme un journaliste, indique qu’il habite dans la mauvaise ville et ne mentionne aucunement le gang. Et une [traduction] « dénonciation d’événements survenus récemment à Mexico » porte un sceau officiel sur une page par ailleurs blanche et n’indique aucun numéro de dossier. Le commissaire conclut que les incohérences dans la dénonciation remettent en question l’authenticité de tous les documents présentés par les demandeurs.

[34] Le commissaire résume ainsi ses conclusions sur la crédibilité :

[traduction]

[47] Vu les incohérences importantes, les omissions et les mensonges purs et simples en ce qui concerne des questions importantes, je conclus que les demandeurs manquaient en général de crédibilité. Je ne crois tout simplement pas, selon la prépondérance des probabilités, qu’un seul des événements importants soit réellement survenu, contrairement à ce que prétendent les demandeurs. Vu cette conclusion et les irrégularités relativement à plusieurs documents, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les documents présentés par les demandeurs sont des faux.

E. La possibilité de refuge intérieur

[35] Le commissaire détermine ensuite que C.A.A.P., qui a aussi invoqué son orientation sexuelle comme motif distinct, a une possibilité de refuge intérieur dans le district fédéral de Mexico. Le commissaire cite ensuite le critère permettant de conclure à une possibilité de refuge intérieur raisonnable, établi dans Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), [1992] 1 CF 706 (CA) [Rasaratnam]. Selon le premier volet du critère, le commissaire déduit que, puisqu’il [traduction] « ne croit aucun des éléments de preuve [des demandeurs], pour conclure en faveur [de C.A.A.P.], [il] lui faudrait conclure que tous les gais qui se trouvent dans le district fédéral s’exposent à la persécution. » Tout en reconnaissant la possibilité d’actes violents isolés, le commissaire est convaincu que l’existence d’un district gai dans le district fédéral, de bars ouvertement gais et de politiciens ouvertement gais écarte la possibilité sérieuse que C.A.A.P. Y soit persécuté. L’analyse du deuxième volet s’appuie sur Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Ranganathan (2000), [2001] 2 CF 164 (CA), pour établir que le seuil pour démontrer que la réinstallation dans la possibilité de refuge intérieur proposée est déraisonnable est élevé. Le commissaire conclut que puisque C.A.A.P. [traduction] « déménagerait essentiellement plus près du centre d’une ville où il habitait déjà », il n’est pas déraisonnable de s’attendre à ce qu’il se prévale de la possibilité de refuge intérieur.

F. Conclusion

[36] En guise de conclusion, le commissaire indique que les demandes présentées par les demandeurs en application de l’article 96 de la Loi sont rejetées parce qu’il ne les croit pas et qu’une possibilité de refuge intérieur s’offre à C.A.A.P. Le commissaire conclut que les demandeurs ne sont pas des personnes à protéger parce qu’il n’y a [traduction] « aucun autre élément de preuve selon lequel ils s’exposeraient aux préjudices indiqués à l’article 97 de la [Loi] ».

IV. QUESTIONS EN LITIGE

[37] Les demandeurs soutiennent que les questions suivantes sont en litige dans la présente demande :

  1. Le délai ou une crainte raisonnable de partialité dans la procédure de la Section de la protection des réfugiés enfreignent-ils les droits des demandeurs prévus à l’article 7 de la Charte?

  2. Le délai ou une crainte raisonnable de partialité dans la procédure de la Section de la protection des réfugiés contreviennent-ils aux principes de justice naturelle en matière de droit administratif?

  3. L’évaluation de la crédibilité effectuée par la Section de la protection des réfugiés est-elle déraisonnable?

  4. La décision de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle il existe une possibilité de refuge intérieur viable pour C.A.A.P. est-elle déraisonnable?

  5. Quel est le redressement approprié?

V. NORME DE CONTRÔLE

[38] Par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. Lorsque la jurisprudence est constante quant à la norme de contrôle applicable à une question en litige devant la Cour, la cour de révision peut l’adopter. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente des principes de common law en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision doit soupeser les quatre facteurs de l’analyse de la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[39] Les questions soulevées par les demandeurs en ce qui concerne le délai et la crainte raisonnable de partialité sont des questions d’équité procédurale. Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa].

[40] Les conclusions de la Section de la protection des réfugiés sur la crédibilité sont des conclusions de fait susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable : Fatih c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 857, au paragraphe 62 [Fatih].

[41] L’application par la Section de la protection des réfugiés du critère sur la possibilité de refuge intérieur et sa conclusion selon laquelle il existe une possibilité de refuge intérieur viable pour C.A.A.P. est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 828, au paragraphe 8; Lugo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 170, aux paragraphes 30 et 31.

[42] Le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable se fonde sur une analyse qui s’attache à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; et Khosa, précité, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour doit intervenir seulement si la décision est déraisonnable, c’est-à-dire si elle ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[43] Les dispositions suivantes de la Charte sont pertinentes en l’espèce :

Droits et libertés au Canada

Rights and freedoms in Canada

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

1. The Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society.

...

...

Vie, liberté et sécurité

Life, liberty and security of person

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

...

...

Égalité devant la loi, égalité de bénéfice et protection égale de la loi

Equality before and under law and equal protection and benefit of law

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

15. (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

...

...

Recours en cas d’atteinte aux droits et libertés

Enforcement of guaranteed rights and freedoms

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

24. (1) Anyone whose rights or freedoms, as guaranteed by this Charter, have been infringed or denied may apply to a court of competent jurisdiction to obtain such remedy as the court considers appropriate and just in the circumstances.

[44] Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

...

...

Désistement

Abandonment of proceeding

168 (1) Chacune des sections peut prononcer le désistement dans l’affaire dont elle est saisie si elle estime que l’intéressé omet de poursuivre l’affaire, notamment par défaut de comparution, de fournir les renseignements qu’elle peut requérir ou de donner suite à ses demandes de communication.

168 (1) A Division may determine that a proceeding before it has been abandoned if the Division is of the opinion that the applicant is in default in the proceedings, including by failing to appear for a hearing, to provide information required by the Division or to communicate with the Division on being requested to do so.

...

...

Fonctionnement

Proceedings

170 Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section de la protection des réfugiés :

170 The Refugee Protection Division, in any proceeding before it,

...

...

b) dispose de celle-ci par la tenue d’une audience;

(b) must hold a hearing;

...

...

f) peut accueillir la demande d’asile sans qu’une audience soit tenue si le ministre ne lui a pas, dans le délai prévu par les règles, donné avis de son intention d’intervenir;

(f) may, despite paragraph (b), allow a claim for refugee protection without a hearing, if the Minister has not notified the Division, within the period set out in the rules of the Board, of the Minister’s intention to intervene;

...

...

i) peut admettre d’office les faits admissibles en justice et les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation.

(i) may take notice of any facts that may be judicially noticed, any other generally recognized facts and any information or opinion that is within its specialized knowledge.

[45] Les dispositions suivantes des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 [Règles de la Section de la protection des réfugiés], sont applicables en l’espèce :

Connaissances spécialisées

Specialized Knowledge

Avis aux parties

Notice to parties

22 Avant d’utiliser des renseignements ou des opinions qui sont du ressort de sa spécialisation, la Section en avise le demandeur d’asile ou la personne protégée et le ministre — si celui-ci est présent à l’audience — et leur donne la possibilité de faire ce qui suit :

22 Before using any information or opinion that is within its specialized knowledge, the Division must notify the claimant or protected person and, if the Minister is present at the hearing, the Minister, and give them an opportunity to

a) présenter des observations sur la fiabilité et l’utilisation du renseignement ou de l’opinion;

(a) make representations on the reliability and use of the information or opinion; and

b) transmettre des éléments de preuve à l’appui de leurs observations.

(b) provide evidence in support of their representations.

...

...

Possibilité de s’expliquer

Opportunity to explain

65 (1) Lorsqu’elle détermine si elle prononce ou non le désistement d’une demande d’asile aux termes du paragraphe 168(1) de la Loi, la Section donne au demandeur d’asile la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé :

65 (1) In determining whether a claim has been abandoned under subsection 168(1) of the Act, the Division must give the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned,

a) sur-le-champ, dans le cas où le demandeur d’asile est présent à la procédure et où la Section juge qu’il est équitable de le faire;

(a) immediately, if the claimant is present at the proceeding and the Division considers that it is fair to do so; or

b) au cours d’une audience spéciale, dans tout autre cas.

(b) in any other case, by way of a special hearing.

[46] Les dispositions suivantes de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 (Loi sur les Cours fédérales) sont pertinentes en l’espèce :

Pouvoirs de la Cour fédérale

Powers of Federal Court

18.1 (3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

18.1 (3) On an application for judicial review, the Federal Court may

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

VII. THÈSES DES PARTIES

A. Demandeurs

1) Arguments liés à l’article 7 de la Charte

[47] Les demandeurs soutiennent que la décision fait entrer en jeu les droits qui leur sont conférés par l’article 7 de la Charte de deux façons.

[48] Premièrement, la décision de refuser leur demande d’asile les expose à un risque de persécution, à une menace à leur vie et à un risque de traitements cruels et inusités ou à la torture s’ils retournent au Mexique. Voir Singh c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 RCS 177, aux pages 207 et 210 [Singh]. En tant que demandeurs dont les demandes d’asile font partie des anciens cas et ont été renvoyées à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié avant le 15 décembre 2012, les demandeurs n’ont aucun droit d’appel devant la Section d’appel des réfugiés : Loi sur les mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, LC 2010, c 8, paragraphe 36(1), modifiée par la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, LC 2012, c 17, article 68; Décret fixant au 15 décembre 2012 la date d’entrée en vigueur de certains articles de la loi, TR/2012-65, (2012), partie II de la Gazette du Canada, 1917; Loi no 1 sur le plan d’action économique de 2013, LC 2013, c 33, article 167. Étant donné que le Mexique est un pays d’origine désigné en application de l’article 109.1 de la Loi, les demandeurs n’ont pas droit à une évaluation des risques avant renvoi moins de trois ans avant que la décision n’ait été rendue; alinéa 112(2)c) de la Loi. La décision rendue par la Section de la protection des réfugiés détermine donc si les demandeurs sont visés par un refoulement et déclenche les intérêts protégés en application de l’article 7 de la Charte.

[49] Deuxièmement, les demandeurs font valoir que les circonstances relatives à la procédure portant sur le statut de réfugié font aussi entrer en jeu leurs intérêts prévus à l’article 7. Des délais causés par l’État ont entraîné de l’anxiété et des dommages psychologiques chez les demandeurs, indépendamment de l’issue éventuelle de la procédure. Il s’agit donc d’une tension psychologique grave causée par l’État : Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, au paragraphe 56 [Blencoe]. L’ampleur du délai a entraîné des répercussions allant au-delà des « tensions et [d]es angoisses ordinaires qu’une personne ayant une sensibilité raisonnable éprouverait » dans une procédure en vue d’obtenir le statut de réfugié. Ces répercussions sont conformes au seuil qui déclenche le risque lié à la sécurité de la personne des demandeurs, comme il est établi dans Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c G (J.), [1999], 3 RCS 46, au paragraphe 59. Contrairement à Blencoe, les demandeurs soutiennent que les éléments de preuve en l’espèce établissent que les dommages psychologiques et physiques qu’ils ont subis sont attribuables à la façon dont le commissaire a géré l’audience et au délai excessif avant de rendre la décision.

[50] Étant donné que les intérêts prévus à l’article 7 de la Charte entrent en jeu, les procédures de la Section de la protection des réfugiés doivent se conformer aux principes de justice fondamentale. Voir R c Beare, [1988] 2 RCS 387, à la page 401. La Cour suprême du Canada a fait remarquer que « la notion de “justice fondamentale” qui figure à l’art. de la Charte englobe au moins la notion d’équité en matière de procédure » : Singh, précité, à la page 212. Dans le contexte d’une procédure administrative, le contenu de l’obligation d’équité comprend le droit de faire trancher l’affaire par un décideur impartial. Voir Pearlman c Comité Judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 RCS 869, à la page 883. Les demandeurs soutiennent que l’équité exige aussi de faire trancher la question dans un délai raisonnable. Voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Parekh, 2010 CF 692, aux paragraphes 25 à 28 [Parekh], citant Blencoe, précité.

a) Délai

[51] Pour établir que le délai causé par l’État constitue un abus de procédure qui enfreint l’obligation d’équité, il faut tenir compte des trois facteurs qui suivent : le délai écoulé par rapport au délai inhérent, les causes de la prolongation du délai inhérent à l’affaire et l’incidence du délai. Voir Parekh, précité, au paragraphe 28, citant Blencoe, précité, au paragraphe 160. Les demandeurs indiquent qu’en l’espèce, le délai de trois ans et dix mois après la dernière audience, le 6 décembre 2011, jusqu’à la décision, le 14 octobre 2015, excède les délais inhérents à la nature de l’affaire, même si l’on tient compte de sa complexité et du grand nombre d’éléments de preuve. Dans Yadav c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 140, aux paragraphes 63 à 65, le délai de dix mois et demi qui s’est écoulé entre la date à laquelle l’agente d’immigration a rencontré le demandeur et sa répondante et la date à laquelle elle a rendu sa décision enfreignait l’obligation d’équité. Dans le contexte des demandes en vue d’obtenir le statut de réfugié, un intervalle de sept mois a été considéré comme « inexplicable » dans Sasan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 141 FTR 158, au paragraphe 14 (1re inst.).

[52] Les causes du délai en l’espèce comprennent des périodes d’inactivité inexpliquée que l’on ne peut attribuer aux demandeurs, en particulier lorsque les tentatives qu’ils ont déployées pour obtenir des explications concernant ce délai sont demeurées sans réponse. Les demandeurs contestent l’affirmation du commissaire qui indique dans sa décision que leur demande d’AIPRP a donné lieu à un chaos dans le dossier. Ils font remarquer que la demande a été présentée près de trois ans après la dernière audience. Le commissaire mentionne les difficultés liées à la planification des audiences, vu la taille du groupe pour laquelle il fallait prendre des dispositions particulières; les demandeurs affirment toutefois qu’il n’y a aucun élément de preuve selon lequel la Section de la protection des réfugiés n’a pas réussi à planifier des audiences du 24 février 2011 au 13 octobre 2011.

[53] En ce qui concerne l’incidence du délai, les demandeurs soutiennent avoir été lésés dans le cadre de leur affaire parce que le délai met en doute la capacité du commissaire de se souvenir de détails du témoignage des demandeurs. Étant donné que la décision rendue par le commissaire se fondait principalement sur ses inquiétudes quant à la crédibilité, les demandeurs affirment que la durée du délai les a effectivement privés des avantages d’une audience. Les cours sont « bien conscientes de la faiblesse inhérente des transcriptions lorsque des questions de crédibilité sont en jeu » : Singh, précité, à la page 214. Le fait que le commissaire s’appuie sur un document mal traduit, qui corroborait une partie du récit des demandeurs, a aggravé ces problèmes. Les demandeurs documentent de nombreuses répercussions sur leur santé mentale et physique, des répercussions financières et des répercussions sur les relations interpersonnelles, qu’ils attribuent au délai. Ils affirment que ces préjudices excèdent les tensions et l’anxiété habituelles attendues dans le processus de demande d’asile et qu’ils sont conformes aux répercussions exposées dans la recherche menée par la Dre Lisa Aldermann : [traduction] anxiété et dépression accrues occasionnées par l’incertitude à long terme; et symptômes aggravés d’état de stress post-traumatique issus de l’instabilité chronique.

[54] Pour répondre à l’argument invoqué par le défendeur, selon lequel la Cour d’appel fédérale, dans Hernandez c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 154 NR 231, au paragraphe 4 (CAF) [Hernandez], a précisé qu’un délai déraisonnable ne sera que rarement, voire jamais, accepté en tant que motif de contrôle, les demandeurs mentionnent que les commentaires formulés par la Cour dans Hernandez se fondaient sur la décision rendue dans Akthar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 CF 32 (CA) [Akthar]. Dans Akthar, la Cour a conclu qu’une revendication selon laquelle un délai avait donné lieu à une violation de la Charte doit « être étayée par des éléments de preuve, ou, à tout le moins, par une inférence, faite à partir des circonstances de l’affaire, selon laquelle le revendicateur a, en fait, subi un préjudice ou un manque d’équité en raison du retard ». La nécessité de présenter une preuve, et ne pas se fonder uniquement sur des affirmations, a été suivie dans Rana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 974, au paragraphe 20 [Rana]. Les demandeurs affirment que leur cause est étayée par des éléments de preuve et que la jurisprudence citée par le défendeur ne s’applique pas aux circonstances en l’espèce.

b) Crainte raisonnable de partialité

[55] Outre le délai, les demandeurs indiquent que les principes de justice fondamentale sont enfreints lorsqu’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part du décideur. Le critère juridique pour conclure à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste » : Committee for Justice, précité, à la page 394. Il s’agit d’un examen des faits propres à l’espèce et « tous ces faits doivent être examinés attentivement eu égard à l’ensemble du contexte » : Bande indienne Wewaykum c Canada, 2003 CSC 45, au paragraphe 77 [Wewaykum]. Les demandeurs indiquent que la crainte raisonnable de partialité en l’espèce découle de multiples facteurs examinés ensemble et qu’une personne raisonnable qui étudierait la question en profondeur croirait que le commissaire est prédisposé à conclure que les demandeurs ne sont pas crédibles et à rejeter leur demande.

[56] Les demandeurs présentent quatre facteurs qui amèneraient la personne raisonnable à cette conclusion :

  1. le commissaire a adopté une approche accusatoire à l’égard des éléments de preuve des demandeurs afin de chercher à mettre en doute leur crédibilité;

  2. l’approche accusatoire adoptée par le commissaire est corroborée par l’examen des articles du professeur Rehaag et la jurisprudence de la Cour;

  3. le commissaire a suivi une procédure irrégulière et punitive;

  4. la conduite du commissaire a provoqué des réactions psychologiques et physiques profondes chez les demandeurs.

[57] La Cour a formulé des critiques à l’égard des audiences de la Section de la protection des réfugiés au cours desquelles « le commissaire a questionné le demandeur sur une infinité de détails, manifestement avec l’objectif de le faire “craquer” » : Guermache c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 870, au paragraphe 10. De même, l’interrogatoire de demandeurs ne devrait pas imiter un « contre-interrogatoire digne d’un procès criminel » : De Leon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 852 (QL), au paragraphe 17 (1re inst.). Les demandeurs soutiennent que l’approche adoptée par le commissaire contrevenait à la présomption de véracité du témoignage de vive voix établi dans Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1979), [1980] 2 CF 302 (CA) et qu’elle allait à l’encontre des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe de la CISR. Parmi les tentatives déployées activement pour discréditer les demandeurs, mentionnons : les menaces de sommer l’ancien avocat des demandeurs à comparaître, le fait de s’appuyer sur la note que les demandeurs ont remise à leur premier avocat afin d’attaquer leur crédibilité, le fait de s’appuyer à tort sur des connaissances spécialisées invoquées, ce qui va à l’encontre de l’article 22 des Règles de la Section de la protection des réfugiés pour tirer des conclusions sur l’incapacité des demandeurs de trouver des reportages médiatiques, et le fait de laisser entendre que le thérapeute des demandeurs pourrait avoir commis une infraction en formulant des observations sur la santé mentale des demandeurs.

[58] Les demandeurs soutiennent que l’étude menée par le professeur Rehaag établit ce qui suit : le commissaire n’a accueilli aucune demande d’asile pendant son mandat, de 2008 à 2010; il a accueilli moins de demandes que d’autres commissaires de la Section de la protection des réfugiés; et il a conclu à l’absence de minimum de fondement à un taux plus élevé que d’autres commissaires. Voir aussi l’article du professeur Rehaag, intitulé « ‘I Simply do not Believe...’: A Case Study of Credibility Determinations in Canadian Refugee Adjudication » (2017) 38, Windsor Rev Legal Soc Issues 38. Le professeur Rehaag conclut que l’explication la plus probable est que le commissaire a une façon différente des autres de trancher les demandes. L’analyse qualitative menée par le professeur Rehaag sur les décisions du commissaire permet de dégager des tendances qui, selon les demandeurs, sont présentes dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, et sous-entend que le commissaire adopte une approche accusatoire. Parmi ces tendances, mentionnons : l’utilisation d’une phrase standard sur la crédibilité au début et à la fin; le fait de s’appuyer fortement sur les incohérences entre le témoignage de vive voix, le FRP et les notes prises au PDE pour attaquer la crédibilité, le fait de relever des omissions perçues dans le FRP et les notes prises au PDE, le rejet des explications concernant les omissions perçues au motif que les instructions données dans le FRP sont claires et que le FRP était par ailleurs assez détaillé, la conclusion selon laquelle les documents sont des faux et le rejet des éléments de preuve psychologiques puisqu’ils se fondent sur un récit qui n’est pas crédible, selon le commissaire.

[59] Les demandeurs font valoir qu’il est aussi possible de conclure à l’approche accusatoire adoptée par le commissaire parce que ce dernier se fonde sur des motifs qui ont été jugés déraisonnables dans d’autres décisions de la Cour pour conclure que les demandeurs ne sont pas crédibles.

[60] Les demandeurs déclarent que les décisions procédurales prises par le commissaire en l’espèce témoignent aussi d’une approche accusatoire, voire punitive, à l’égard de leur demande. Le commissaire a refusé de se récuser après qu’on lui a présenté des éléments de preuve selon lesquels le fait de comparaître devant lui causait un préjudice aux demandeurs, en nuisant à leur santé mentale et physique. Les demandeurs ont donc été contraints de choisir entre abandonner leur demande et mettre en péril leur santé. Lorsque L.M.P.A. est tombée malade pendant l’une des auditions et qu’elle n’a pas pu poursuivre, le commissaire a planifié une séance de justification pour se prononcer sur l’abandon de sa demande. En outre, le commissaire a planifié une audition en janvier 2015, bien après la fin des audiences, sans expliquer le but, malgré les demandes présentées par l’avocat. L’audience a été annulée la veille du jour où elle devait avoir lieu et n’a jamais été planifiée de nouveau. La décision a été rendue le dernier jour du mandat du commissaire, soit le dernier jour où il pouvait la rendre.

[61] Les demandeurs soutiennent que le commissaire n’a pas mis en place les adaptations d’ordre procédural permises par les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et les Directives sur les personnes vulnérables. Le défaut d’appliquer concrètement les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe constitue en soi une erreur susceptible de révision. Voir Jones c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 405, au paragraphe 28; Yoon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1017, au paragraphe 5. Le commissaire ne s’est pas récusé après qu’on lui a présenté une preuve d’expert selon laquelle sa présence avait mis en péril la santé des demandeurs. De plus, le commissaire s’est montré outrancièrement insensible et a fait preuve d’une étroitesse d’esprit constante quand il a questionné L.M.P.A. La décision en témoigne dans la conclusion du commissaire selon laquelle il ne s’agissait pas d’une femme [traduction] « réticente à divulguer [...] des détails intimes sur l’agression elle‑même ».

[62] Les demandeurs font valoir que leurs réactions psychologiques et physiques à la conduite du commissaire sont pertinentes afin de déterminer l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. La Cour d’appel fédérale a observé que « la cour siégeant en révision qui se construit une image virtuelle de la personne raisonnable et qui détermine l’étendue de l’information et de la compréhension qui doivent lui être attribuées aux fins du critère d’appréciation de la partialité ne doit pas totalement perdre de vue la perspective du demandeur débouté du statut de réfugié » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration) c Ahumada, 2001 CAF 97, au paragraphe 24.

[63] Les demandeurs font valoir que le fait que le défendeur s’appuie sur Chippewas of Mnjikaning First Nation c Chiefs of Ontario, 2010 ONCA 47 [Chippewas], et Martin c Sansome, 2014 ONCA 14 [Martin], ne corrobore pas l’argument, puisque ces deux affaires portaient sur l’approche adoptée par des juges de première instance dans un contexte différent de celui de la décision administrative relativement à une demande d’asile. Les demandeurs reconnaissent la nature inquisitoire du processus de demande d’asile, qui permet aux commissaires de la Section de la protection des réfugiés de participer activement à la procédure. Voir Kumar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 643, au paragraphe 28, citant Thamotharem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 198, au paragraphe 35. Les demandeurs affirment toutefois que le comportement du commissaire dans cette affaire dépassait le rôle de la Section de la protection des réfugiés d’une manière inappropriée, qui allait à l’encontre de la Charte.

[64] Les demandeurs font aussi valoir que la décision Arthur c Canada (Procureur général), 2001 CAF 223 [Arthur], est différente. Dans Arthur, le commentaire formulé par la Cour, au paragraphe 8, selon lequel une allégation de partialité ne peut « reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur » doit être lu dans le contexte de la question soulevée pour la première fois dans la plaidoirie lors d’un contrôle judiciaire. Ainsi, la Cour critiquait la façon cavalière dont les allégations de partialité avaient été soulevées dans cette affaire. En revanche, les demandeurs ont soulevé la question de la crainte raisonnable de partialité tout au long de la procédure de la Section de la protection des réfugiés et en tant que motifs de contrôle judiciaire en l’espèce.

2) Justice naturelle

[65] Les demandeurs soutiennent, subsidiairement à une conclusion selon laquelle le délai ou la crainte raisonnable de partialité enfreint les droits qui leur sont conférés par l’article 7 de la Charte, que ce délai ou cette crainte raisonnable de partialité enfreint aussi les principes de justice naturelle du droit administratif et rend la décision inéquitable sur le plan procédural.

3) Crédibilité

[66] Les demandeurs reconnaissent que le contrôle judiciaire des conclusions sur la crédibilité s’effectue selon la norme de la décision raisonnable. Voir Fatih, précité, au paragraphe 65. La détermination du caractère raisonnable des conclusions sur la crédibilité de la Section de la protection des réfugiés se fonde toutefois sur le dossier dont disposait le décideur. Voir Khatun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 3, au paragraphe 10; Kalra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 941, au paragraphe 15; Adil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 987, au paragraphe 34. Le commissaire « était tenu de divulguer toutes les raisons véritables ayant motivé sa décision », qui doivent se trouver dans la décision, « de concert avec le dossier pertinent » contenu dans le dossier certifié du tribunal (DCT) : Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, aux paragraphes 40 à 42. Les demandeurs affirment que, selon le dossier, le commissaire a tiré ses conclusions sur la crédibilité de manière inappropriée et déraisonnable, parce que la décision manifeste « une vigilance excessive en examinant à la loupe les dépositions de personnes qui [...] [ont] témoign[é] par l’intermédiaire d’un interprète et [qui ont] rapport[é] des horreurs dont il existe des raisons de croire qu’elles ont une réalité objective » : Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 444 (QL), au paragraphe 9 (CAF) [Attakora].

[67] Les demandeurs soutiennent que le commissaire s’est également penché de manière inadéquate sur les circonstances entourant les notes prises au PDE. Ils font remarquer que les notes prises au PDE ne sont pas destinées à fournir tous les détails de la demande d’asile. Voir Argueta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1146, au paragraphe 34 [Argueta]. Par conséquent, « [l]e simple fait qu’un demandeur ajoute des détails qui sont compatibles avec sa déclaration initiale ne devrait pas nécessairement mener à une conclusion défavorable » : Argueta, précité, au paragraphe 34. La Cour a conclu que la Section de la protection des réfugiés commet une erreur lorsqu’elle met en doute la crédibilité d’un demandeur « simplement parce que les renseignements qu’il a fournis [...] au point d’entrée ne sont pas détaillés » : Cetinkaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 8, au paragraphe 51. Les demandeurs affirment qu’en l’espèce, les omissions relevées dans les notes prises au PDE n’indiquent aucune incohérence véritable, puisque l’incident central sur lequel se fonde la demande est présent dans d’autres récits qu’ils ont présentés. Dans ces circonstances, le commissaire n’aurait pas dû citer les notes prises au PDE pour mettre en doute la crédibilité des demandeurs. Voir Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, aux paragraphes 19 à 25 [Lubana]. Vu les circonstances difficiles et stressantes dans lesquelles les entrevues au PDE se sont déroulées, les demandeurs affirment que le défaut du commissaire d’en tenir compte dans son évaluation d’omissions mineures dans un récit couvrant plus d’une décennie constitue une erreur susceptible de révision.

[68] Les demandeurs soutiennent aussi que le commissaire n’a pas pris adéquatement en considération leurs explications des modifications apportées aux FRP. Ils acceptent le fait que les modifications apportées à un FRP qui ajoutent des détails d’une importance capitale puissent faire l’objet d’un examen minutieux par la Section de la protection des réfugiés. Voir Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 665, au paragraphe 6. De plus, la modification d’un FRP « ne devrait pas porter à [l]a demande un coup [...] fatal » : Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 868, au paragraphe 29. Il existe des motifs valables de modifier un FRP et l’obligation d’équité exige d’examiner l’explication fournie par les demandeurs pour justifier les modifications apportées à leur FRP : Erduran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1299, au paragraphe 4; Touraji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 780, aux paragraphes 23 et 24. Le commissaire a écarté l’explication des demandeurs selon laquelle c’est leur premier avocat qui était responsable des lacunes dans les FRP initiaux et il a invoqué à plusieurs reprises les modifications apportées par les demandeurs pour attaquer leur crédibilité. Le commissaire s’est perdu en conjecture quand il a conclu que la plainte présentée par les demandeurs à l’égard de leur ancien avocat [traduction] « n’avait pas été jugée établie » et il a accordé une importance exagérée au démenti d’inconduite de l’ancien avocat.

[69] Les demandeurs font aussi valoir que les conclusions sur la crédibilité tirées par le commissaire en ce qui concerne les éléments de preuve sur l’agression sexuelle dont L.M.P.A. a été victime sont déraisonnables. Ils affirment que L.M.P.A. a démontré des caractéristiques semblables aux effets d’un traumatisme sexuel décrits dans Akter c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1205, au paragraphe 17 [Akter]. Dans ce genre de circonstances, il s’agit d’une erreur de tirer « une conclusion hâtive » sur la crédibilité en fonction d’un tel comportement : Akter, précité, au paragraphe 18. Les interactions de L.M.P.A. avec la police immédiatement après son agression sont adéquatement considérées comme une partie du même incident et les questions à propos de ces interactions devraient être assujetties à la sensibilité prescrite dans les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Les questions répétées du commissaire sur ces interactions, son rejet de l’explication fournie par L.M.P.A. quant à la raison pour laquelle elle n’en a pas fait mention et sa conclusion à l’absence de crédibilité s’expliquent par le défaut du commissaire de tenir compte de la façon dont un traumatisme passé peut influer sur le comportement. Les demandeurs soutiennent que le commissaire, en tirant une conclusion défavorable sur la crédibilité, n’a « tenu compte que pour la forme des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe » : Lumaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 763, au paragraphe 65.

[70] Les demandeurs affirment aussi que le commissaire aggrave cette erreur quand il se fonde sur son propre jugement pour déterminer le moment où L.M.P.A. se sentirait à l’aise de parler de son agression, la personne avec qui elle se sentirait à l’aise d’en parler et les détails qu’elle donnerait. Quand il affirme qu’il était évident que D.P.P. aurait été au courant du viol dont sa mère avait été victime, le commissaire ne tient pas compte de la situation de L.M.P.A. en tant que femme mexicaine accompagnée de son mari et de ses enfants. Les demandeurs soutiennent qu’il n’est pas évident que L.M.P.A. aurait discuté de son viol avec sa fille. La conclusion du commissaire selon laquelle L.M.P.A. n’est pas crédible est déraisonnable parce qu’elle est issue d’une conclusion d’invraisemblance qui n’est pas « fondé[e] sur une preuve claire et un raisonnement clair à l’appui des déductions de la Commission » : Santos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 937, au paragraphe 15.

[71] Les demandeurs font également valoir que le commissaire ne tient pas compte de motifs valables pour expliquer les lacunes dans la preuve documentaire qu’ils ont présentée. Ils reconnaissent que la crédibilité peut être réfutée « par l’absence de preuves documentaires mentionnant un fait qu’on pourrait normalement s’attendre à y retrouver » : Adu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 114, au paragraphe 1 (CA) [Adu]. Adu portait toutefois sur l’existence d’une loi. Dans Bao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 606, au paragraphe 20, le juge Mosley a établi une distinction avec Adu au motif que, même si « [o]n peut s’attendre à ce que les lois et les décrets officiels adoptés par un État soient publiés par les organismes de l’État en question [...], il n’y a aucune raison de s’attendre à ce qu’une organisation militante ait la capacité de faire un rapport de chaque incident qui se produit dans son champ d’intérêt ». Il faudrait appliquer la même logique à la conviction du commissaire selon laquelle il était improbable que le gang ait voulu éviter d’attirer l’attention des médias. Les demandeurs soutiennent qu’en raison du niveau d’activité des gangs au Mexique, il est déraisonnable de s’attendre à ce que tous les gangs fassent l’objet de reportages et que le lien entre le gang et la police rend son absence de couverture médiatique plus plausible.

[72] Les demandeurs indiquent que le commissaire commet une erreur semblable quand il écarte les rapports de police qui contiennent certains détails erronés ou dans lesquels on ne mentionne pas le gang. Vu la crainte de représailles, il n’est pas surprenant que les policiers oublient de consigner le nom d’un gang affilié à la police. Dans le contexte de la corruption de l’État et des signalements peu rigoureux, l’omission du nom du gang ne devrait pas réfuter la présomption de véracité accordée aux demandeurs.

[73] De même, quand le commissaire relève l’absence d’éléments de preuve documentaire sur la persécution des gais dans La Zona Rosa et qu’il l’utilise pour attaquer la crédibilité de C.A.A.P., il ne se demande pas si la plupart des actes violents commis à l’endroit des gais à Mexico sont déclarés.

[74] Les demandeurs affirment que le commissaire ne tient pas compte non plus des éléments de preuve à l’appui des difficultés à témoigner pour J.E.T.P. et de la raison pour laquelle M.T.M. et sa famille ne se souviennent pas si les personnes qui les ont attaqués se sont identifiées en tant que membres du gang.

[75] Les demandeurs soutiennent que le commissaire commet une autre erreur en omettant de prendre en considération les éléments de preuve psychologiques au moment de tirer ses conclusions sur la crédibilité. Ils citent Joseph c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 393, aux paragraphes 36 à 40, pour établir que [traduction] « le fait d’écarter des éléments de preuve psychologiques pour rendre une décision sur la crédibilité au motif que [le commissaire] a déjà conclu que la preuve présentée par le demandeur n’est pas crédible constitue une erreur » : mémoire des arguments additionnel des demandeurs, au paragraphe 52. Les demandeurs affirment que le commissaire commet précisément cette erreur au paragraphe 47 de la décision, quand il écarte les rapports psychologiques parce qu’il conclut que les demandeurs ne sont pas crédibles. Les demandeurs sous-entendent que le commissaire aurait pu rendre une décision différente sur la crédibilité s’il avait pris en considération les rapports psychologiques relatifs à sa conclusion sur la crédibilité.

4) La possibilité de refuge intérieur

[76] Les demandeurs soutiennent que la décision contient une erreur manifeste et dominante dans l’application du critère pour déterminer s’il existe une possibilité de refuge intérieur viable. Ils affirment que le critère adéquat est de déterminer s’il y a une possibilité sérieuse que le demandeur lui-même, et pas des personnes comme lui, s’expose à une possibilité grave de persécution dans la région du pays où il existe une possibilité de refuge intérieur. Dans la décision, le commissaire se fonde sur sa conclusion défavorable sur la crédibilité en ce qui concerne C.A.A.P. pour rejeter l’ensemble de la preuve présentée par ce dernier sur sa crainte de persécution dans la possibilité de refuge intérieur proposée. La situation unique de C.A.A.P. en raison de ses antécédents familiaux est passée sous silence et le commissaire en déduit qu’il [traduction] « devrait conclure que tous les gais qui se trouvent dans le district fédéral s’exposent à la persécution ».

[77] Les demandeurs affirment aussi que la décision du commissaire relativement à la possibilité de refuge intérieur est déraisonnable. Ils renvoient à un document sur les références juridiques de la CISR dans lequel on mentionne les circonstances de personnes qui se trouvent dans une situation semblable à celle du demandeur comme seulement l’un des facteurs à prendre en considération au moment d’évaluer la possibilité de persécution dans la possibilité de refuge intérieur possible. Voir Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, « Chapitre 8 – Possibilité de refuge intérieur » (Ottawa : CISR, 24 novembre 2015) à 8.5.1, en ligne : http://www.irb-cisr.gc.ca. La décision fonde sa détermination d’une possibilité de refuge intérieur sur les circonstances de personnes qui se trouvent dans une situation semblable à celle de C.A.A.P.

[78] Au moment de déterminer la disponibilité d’une possibilité de refuge intérieur, la Section de la protection des réfugiés [traduction] « doit toujours examiner les circonstances propres au demandeur » : Pathmakanthan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 23 Imm LR (2e) 76, au paragraphe 5 (CF 1re inst.). Les demandeurs affirment que la décision ne tient pas compte des motifs invoqués par C.A.A.P. pour justifier sa crainte de déménager dans la possibilité de refuge intérieur proposée parce que le district fédéral se trouve à moins d’une heure de sa résidence antérieure et qu’il sera probablement victime de discrimination de la part de la police s’il demande une protection contre le gang. L’existence du mariage gai légal et de la culture gaie dans le district fédéral n’élimine pas le danger que pose le gang ou ne sous-entend pas une intervention policière inadéquate.

5) Mesures de redressement

[79] Les demandeurs soutiennent que la Cour devrait accorder un recours extraordinaire aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte pour réparer l’atteinte portée à leurs droits garantis par l’article 7. Le paragraphe 24(1) de la Charte prévoit des pouvoirs de recours étendus et une interprétation téléologique qui donne aux tribunaux une vaste portée pour élaborer des réparations en cas de violation de la Charte. Voir R c 974 649 Ontario Inc, 2001 CSC 81, au paragraphe 18. Voir aussi Mills c La Reine, [1986] 1 RCS 863, à la page 882. Une approche téléologique à l’égard des réparations exige au moins deux éléments : « premièrement, favoriser la réalisation de l’objet du droit garanti (les tribunaux sont tenus d’accorder des réparations adaptées à la situation). Deuxièmement, favoriser la réalisation de l’objet des dispositions réparatrices (les tribunaux sont tenus d’accorder des réparations efficaces) » : Doucet-Boudreau c Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, au paragraphe 25 [Doucet] [souligné dans l’original]. Les demandeurs affirment que de telles réparations peuvent être appropriées, même lorsqu’elles touchent les fonctions d’autres décideurs dans le cas où un bref de mandamus ou de certiorari ne parvient pas à protéger les droits du demandeur garantis par la Charte. Voir, par exemple, Doucet, précité, aux paragraphes 60 à 67, et Canada (Procureur général) c PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, aux paragraphes 146 à 153 [Insite].

[80] Les demandeurs affirment qu’en tant que réparation adaptée à la situation et efficace en l’espèce, la Cour pourrait ordonner un verdict imposé, exigeant de former un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés afin d’accorder aux demandeurs le statut de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger sans devoir tenir une audience. Vu la tentative déployée depuis une décennie par les demandeurs pour obtenir le statut de réfugié, une déclaration ou une ordonnance renvoyant l’affaire pour nouvel examen ne constituerait pas une réparation efficace aux répercussions que le délai dans le processus a déjà eues sur leur santé mentale et physique. En fait, un nouvel examen s’ajouterait au délai, ce qui aggraverait les circonstances relatives à la présence des demandeurs devant la Cour.

[81] Les demandeurs font remarquer que, dans Attakora, précité, au paragraphe 14, la Cour d’appel fédérale a annulé les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la Section de la protection des réfugiés et a renvoyé l’affaire en prononçant un verdict imposé selon lequel le demandeur est un réfugié au sens de la Convention. Voir aussi Chaudri c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1986), 69 NR 114 (CAF). Par conséquent, la réparation offerte par un verdict imposé a déjà été appliquée dans les cas où des conclusions erronées sur la crédibilité se fondent sur la vigilance excessive à l’égard des éléments de preuve et l’examen à la loupe de ces derniers.

[82] Les demandeurs font valoir que le droit penche en faveur d’un verdict imposé. Ils indiquent que la Cour a le pouvoir de rendre une telle ordonnance en application du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales et que d’autres lois pourraient aider la Cour à déterminer une réparation appropriée aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte. Voir Doucet, précité, au paragraphe 51. En vertu du pouvoir que lui confère le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour a compétence pour ordonner à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés de déclarer qu’un demandeur est un réfugié au sens de la Convention. Voir Ali c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 RCF 73, aux paragraphes 4 et 16 (1re inst.). L’alinéa 170f) de la LIPR stipule que la Section de la protection des réfugiés peut accueillir une demande d’asile sans qu’une audience soit tenue dans des situations où le ministre n’est pas intervenu.

[83] Dans Doucet et Insite, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il ne suffisait pas de rendre un jugement déclaratoire. Dans ces circonstances, l’importance d’accorder réparation en temps utile et les obstacles liés à l’amorce d’une nouvelle procédure ont justifié l’incursion de la Cour dans le domaine exécutif. Voir aussi Canada (Sécurité publique et Protection civile) c LeBon, 2013 CAF 55, aux paragraphes 10 à 15; Wihksne c Canada (procureur général), 2002 CAF 356, au paragraphe 10; Canada (Développement des Ressources humaines) c Tait, 2006 CAF 380, au paragraphe 33. Dans Pointon c British Columbia (Superintendent of Motor Vehicles), 2002 BCCA 516, au paragraphe 27, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que [traduction] « [l’]ordonnance de la tenue d’une autre audience d’examen ne servirait pas les intérêts d’une saine administration de la justice et de la réputation de la saine administration de la justice » puisque l’appelant avait déjà subi [traduction] « deux audiences d’examen et présenté deux requêtes en application de la Loi sur la procédure de révision judiciaire et trois plaidoiries complètes devant les tribunaux ».

[84] Les demandeurs affirment qu’un délai important, sans compter le délai supplémentaire causé par le renvoi de l’affaire pour nouvel examen, entrave la saine administration de la justice. Un délai de six ans dans une décision relative à une pension, auquel s’ajoutait la perspective d’un délai supplémentaire de deux ans si la question n’était que renvoyée pour nouvel examen, atteignait le « critère minimal permettant de qualifier des circonstances d’exceptionnelles » justifiant un verdict imposé dans D’Errico c Canada (Procureur général), 2014 CAF 95, au paragraphe 18. Les demandeurs ont participé à de nombreuses audiences, marquées par une iniquité sur le plan procédural et un délai inexpliqué, pendant une période prolongée. Le renvoi de l’affaire à la Section de la protection des réfugiés ferait « échec à la volonté de mettre sur pied un processus décisionnel à la fois rapide et économique qui préside souvent au départ à la création d’un tribunal administratif spécialisé » : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 55.

[85] Les demandeurs indiquent que le renvoi de l’affaire pour nouvel examen les exposerait aussi à d’autres traumatismes, et s’écarterait de l’obligation du Canada d’évaluer de manière équitable et en temps utile les demandes d’asile. Vu l’effet du temps sur la mémoire, le fait d’être contraint de se souvenir d’événements encore plus éloignés du moment présent imposerait un fardeau indu aux demandeurs au moment d’établir leur crédibilité.

[86] Les demandeurs ont demandé au départ des dommages-intérêts aux termes de la Charte pour l’atteinte à leurs droits garantis par l’article 7. Dans une ordonnance datée du 2 mai 2017, le juge Boswell a rejeté la requête des demandeurs visant une détermination distincte des dommages-intérêts en application de la Charte. Le juge Boswell a toutefois conclu que les demandeurs avaient libre cours pour amorcer une requête en conversion de la présente demande en action et [traduction] « si la demande de contrôle judiciaire n’est pas convertie en action [...] les demandeurs peuvent intenter une action en dommages-intérêts pour toute atteinte à leurs droits garantis par la Charte, comme le juge qui [entend] la demande de contrôle judiciaire le décide ». Les demandeurs n’ont pas converti la demande en action; ils demandent plutôt à obtenir une déclaration selon laquelle il y a eu atteinte à leurs droits garantis par l’article 7, conformément au paragraphe 24(1) de la Charte.

B. Défendeur

1) Arguments liés à l’article 7 de la Charte

a) Délai

[87] Le défendeur soutient que, vu la complexité de la demande d’asile et les contributions des demandeurs au délai, le délai n’était pas excessif ou « inacceptable au point d’être oppressif et de vicier les procédures en cause » : Blencoe, précité, au paragraphe 121. Dans Hernandez, précité, au paragraphe 4, la Cour d’appel fédérale a prévenu qu’un délai abusif « ne saurait être perçu comme un motif fécond d’annulation des décisions judiciaires ». La rareté du succès de cet argument a fait l’objet de commentaires dans le contexte des demandes d’asile. Voir Cihal c Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration) (2000), 257 NR 62, au paragraphe 8 (CAF).

[88] La question de savoir si un délai est devenu excessif dépend de « la nature de l’affaire et de sa complexité, des faits et des questions en litige, de l’objet et de la nature des procédures [et] de la question de savoir si la personne visée par les procédures a contribué ou renoncé au délai » : Blencoe, précité, au paragraphe 122. Le défendeur affirme que les facteurs contextuels en l’espèce justifient le délai. Parmi ces facteurs, notons le grand nombre de demandeurs, les nombreux ajournements, les FRP incomplets, les nouvelles allégations, les affidavits modifiés, la nomination d’un nouvel avocat, les problèmes de traduction pendant les audiences et les horaires de tous les participants. Malgré cela, la première audience préalable a eu lieu moins d’un an après que tous les demandeurs ont présenté une demande d’asile et la Section de la protection des réfugiés a tenu de multiples audiences préalables et onze audiences du 8 juillet 2009 au 6 décembre 2011. La période de près de quatre ans requise pour rendre la décision n’est pas déraisonnable parce que la décision a été rendue onze mois après que les demandeurs ont transmis leur trousse documentaire finale et leur demande de récusation. Pendant toute la période suivant l’audience finale, les communications continues entre l’avocat des demandeurs et la Section de la protection des réfugiés montrent que la Section de la protection des réfugiés a continué d’évaluer activement le dossier.

[89] Le défendeur précise que les demandeurs n’ont jamais présenté une demande de bref de mandamus pour ordonner à la Section de la protection des réfugiés de rendre une décision pendant la période de délai allégué. D’autres demandeurs d’asile ont demandé une réparation sous forme de bref de mandamus. Voir, par exemple, Nyamoya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 642.

[90] Le défendeur affirme que la Cour devrait ne pas tenir compte des éléments de preuve pour conclure que le délai est inexpliqué ou uniquement attribuable à la Section de la protection des réfugiés. Des délais ont été causés par des problèmes de planification liés à la disponibilité des demandeurs, leur avocat, le commissaire, l’APR et la seule salle qui pouvait accueillir le groupe. Les demandeurs ont contribué au délai en présentant de multiples demandes d’ajournement et en présentant des FRP, des demandes d’audience préalable et des documents connexes modifiés. Ces facteurs établissent que les audiences ont été menées dans un délai raisonnable.

[91] En outre, la grande quantité d’éléments de preuve que les demandeurs ont présentés après la fin des audiences, les observations après l’audience, la demande d’AIPRP, une autre requête en récusation, des observations écrites en réponse aux chiffres indiqués dans la requête en récusation et les demandes de statistiques sur le commissaire ont toutes contribué au délai après l’audience. Dans Blencoe, précité, au paragraphe 125, la Cour suprême du Canada a conclu que le British Columbia Council of Human Rights ne devrait pas être tenu responsable du délai causé par le temps pris pour répondre à des questions sur le caractère tardif de la plainte et aux allégations de mauvaise foi. On ne peut blâmer la Section de la protection des réfugiés pour le temps consacré à l’étude des observations et des demandes présentées après l’audience.

[92] En ce qui concerne l’incidence du délai, le défendeur soutient que le lien de causalité entre le processus de la Section de la protection des réfugiés et les répercussions alléguées sur la santé mentale et physique des demandeurs est insuffisant. D’autres facteurs de stress étaient présents dans la vie des demandeurs et ces derniers n’ont pas présenté des éléments de preuve suffisants pour appuyer leurs affirmations de causalité.

[93] Le défendeur affirme aussi que le temps écoulé entre la dernière audience et la date de la décision n’a eu aucune incidence sur la capacité du commissaire de se souvenir du témoignage des demandeurs et n’a pas nui à leur cause. Les éléments de preuve présentés par les demandeurs dans les affidavits d’Audrey Macklin et de Peter Showler pour établir le préjudice à leur cause ne devraient avoir qu’une importance faible parce que les auteurs ont tiré des conclusions juridiques, n’exposent pas le fondement factuel à l’appui de leurs opinions, n’ont pas pris en considération les faits en l’espèce et se sont appuyés sur des renseignements liés aux pratiques antérieures de la Section de la protection des réfugiés qui ne sont pas pertinentes en l’espèce. Voir R c Abbey, [1982] 2 RCS 24 (« [p]our que l’opinion d’un expert puisse avoir une valeur probante, il faut d’abord conclure à l’existence des faits sur lesquels se fonde l’opinion », à la page 46); AB Hassle c Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social), 2002 CAF 421, au paragraphe 45. En ce qui concerne la faiblesse inhérente des transcriptions écrites, le défendeur mentionne que Singh, précité, est différent, puisque les demandeurs ont eu droit à une audience de vive voix, dont un enregistrement est disponible, ce qui n’était pas le cas dans Singh. Même si de nouveaux cartables nationaux de documentation (CND) pour le Mexique ont été publiés entre la tenue de la dernière audience et la communication de la décision, le défendeur mentionne que les demandeurs n’ont pas montré en quoi le CND aurait pu avoir une incidence sur la décision.

b) Crainte raisonnable de partialité

[94] Le défendeur reconnaît que le critère pour établir la crainte raisonnable de partialité est énoncé dans Committee for Justice, mais affirme qu’il est élevé compte tenu de la forte présomption d’impartialité judiciaire. Voir R c S (RD), [1997] 3 RCS 484, au paragraphe 113; Chippewas, précité, au paragraphe 243. Les motifs d’une crainte raisonnable de partialité doivent être sérieux et le critère ne doit pas être appliqué du point de vue d’une « personne de nature scrupuleuse ou tatillonne » : Committee for Justice, précité, à la page 395. Voir aussi Wewaykum, précité, au paragraphe 76; Geza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1039, aux paragraphes 16 à 18 [Geza], infirmé dans 2006 CAF 124, aux paragraphes 51 et 60. Une allégation de partialité est grave et doit reposer sur les éléments de preuve, et non « sur de simples soupçons, de pures conjectures ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur » : Edirisinghe Arrachch c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 999, au paragraphe 20 [Arrachch], citant Arthur, précité.

[95] Le défendeur soutient que la décision établit que le commissaire avait une connaissance approfondie de la preuve et de la jurisprudence, ce qui se compare à la situation dans Luzbet c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 923, aux paragraphes 9 à 13 [Luzbet]. Il est clairement indiqué, dans cette décision que le commissaire s’était engagé par un serment professionnel à trancher les affaires selon les faits et le droit et il renvoie au code de conduite pour les commissaires de la CISR.

[96] Le défendeur affirme que les questions posées par le commissaire et son comportement ne constituent pas une preuve de partialité. Certaines audiences de la Section de la protection des réfugiés exigent d’adopter une approche plus proactive que d’habitude. En l’espèce, étant donné qu’un nombre important de demandeurs se fondaient tous sur le même incident allégué pour présenter leur demande, il était logique pour le commissaire d’interroger chacun sur des problèmes semblables. Le commissaire était tenu d’examiner la cause des demandeurs; un tel acte n’établit pas une crainte raisonnable de partialité. Voir Luzbet, précité, au paragraphe 13.

[97] Les demandeurs n’ont pas cerné les parties de la transcription où les questions posées par le commissaire nuisaient à leur capacité de témoigner. Les transcriptions indiquent plutôt que c’est l’avocat des demandeurs qui gère le questionnement sur les sujets de nature délicate. À titre d’exemple, c’est l’avocat, et non le commissaire, qui a interrogé C.A.A.P. sur son orientation sexuelle. De même, à la suite d’un examen complet de l’interrogatoire de L.M.P.A., on ne peut pas établir que le commissaire a fait preuve de partialité ou d’étroitesse d’esprit. Le commissaire a demandé à L.M.P.A. si elle se sentait bien ou si elle avait besoin de prendre une pause; il ne l’a questionnée que sur ses interactions avec la police après l’agression, sans entrer dans les détails de l’agression.

[98] Contrairement aux affirmations des demandeurs, le défendeur affirme que le comportement et les expressions du commissaire ne donnent pas lieu à une crainte raisonnable de partialité. Voir Chippewas, précité, au paragraphe 243; Martin, précité, aux paragraphes 35 à 37. Les transcriptions indiquent que le commissaire affirme à juste titre que l’APR ne se souvenait d’aucun cas de comportement inapproprié de sa part.

[99] L’équité sur le plan procédural commande une audience équitable; elle n’exige toutefois pas un processus parfait ou le processus le plus favorable. Voir Benitez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461, au paragraphe 67, confirmé par 2007 CAF 199, citant R c Lyons, [1987] 2 RCS 309, à la page 362, et Ruby c Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, au paragraphe 46; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Harkat, 2014 CSC 37, au paragraphe 43. Des efforts ont été déployés pour s’assurer que les demandeurs avaient eu droit à « une procédure équitable eu égard à la nature de l’instance et des intérêts en cause » : Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, au paragraphe 20. Comme il est indiqué dans la décision, le commissaire a pris des mesures d’adaptation à l’égard des demandeurs, en leur permettant de prendre des pauses fréquentes, en permettent un interrogatoire dans l’ordre inverse et en autorisant la présence d’une personne de soutien pendant le témoignage, en ne posant pas de questions sur l’agression sexuelle dont L.M.P.A. a été victime, en offrant une télévision en circuit fermé pour suivre le déroulement de l’instance et en sollicitant l’avocat des demandeurs pour savoir si d’autres mesures d’adaptation pouvaient être prises. Le commissaire a permis à l’avocat des demandeurs de poser des questions sur des sujets préoccupants qu’il avait relevés, et il a toujours accueilli les demandes d’ajournement et de prorogation présentées par les demandeurs.

[100] Le défendeur conteste l’observation des demandeurs selon laquelle le commissaire a cherché activement à les discréditer pendant les audiences. Plutôt que de [traduction] « menacer d’assigner à comparaître » l’ancien avocat des demandeurs, le commissaire a demandé pourquoi celui-ci serait invité en tant que témoin. Les omissions entre l’exposé circonstancié manuscrit et le FRP initial que le commissaire a relevées sont évidentes dans les documents et elles ont été présentées à L.M.P.A. pendant les audiences. Le commissaire ne s’est pas fondé de manière irrégulière sur des connaissances spécialisées, puisque la Section de la protection des réfugiés peut se fonder sur sa propre expertise en ce qui concerne les signalements de violence liée aux gangs au Mexique et la présentation de documents médicaux. Voir Sadeghi-Pari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 282, aux paragraphes 24 et 25; Maslej c Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration (1976), [1977] 1 RCF 194, au paragraphe 11 (CA); Saim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 148 FTR 219, au paragraphe 5 (1re inst.); LIPR, alinéa 170i). La remise en question par le commissaire des qualifications du thérapeute familial des demandeurs pour faire un diagnostic médical ne constitue pas une preuve de partialité. Voir Chehade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 293, au paragraphe 15). La Section de la protection des réfugiés a pour rôle d’examiner l’allégation des demandeurs. Il a été confirmé que la [thérapeute familiale] n’est membre d’aucun collège de l’Ontario qui lui permettrait de faire des diagnostics médicaux et que la [thérapeute familiale] a indiqué que les diagnostics contenus dans les lettres qu’elle a envoyées à la Section de la protection des réfugiés étaient plutôt des [traduction] « observations cliniques ». C’est l’APR, et non le commissaire, qui a utilisé le terme [traduction] « chef de bande »; le commissaire a affirmé que, s’il avait utilisé le terme, il s’agissait d’un [traduction] « mauvais choix de mots » puisqu’il n’y avait aucun fondement à une allégation de criminalité de la part des demandeurs. Le commissaire n’a pas accusé les demandeurs d’encadrement ni conclu que ces derniers toussaient pour se transmettre des messages. Plutôt, à la première audience, le commissaire a indiqué aux demandeurs de ne pas laisser échapper de réponses pendant qu’un témoin témoignait. Et, plutôt que d’être agressif, le commissaire a assuré à maintes reprises aux demandeurs que le processus était officieux et qu’il servait à s’assurer de poser toutes les questions pertinentes.

[101] Le défendeur indique que le taux d’acceptation du commissaire dans d’autres affaires ne soulève pas une crainte raisonnable de partialité; la Cour a rejeté cet argument dans une autre cause impliquant un rapport préparé par le professeur Rehaag sur le taux d’acceptation du commissaire. Plutôt que de se fonder uniquement sur des statistiques, une personne sensée et raisonnable demanderait à obtenir une analyse statistique en fonction de la prise en considération de « tous les divers facteurs et de toutes les diverses circonstances qui sont propres aux décisions sur les demandes d’asile » : Turoczi, précité, au paragraphe 15. Voir Zupko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1319, au paragraphe 22 Jaroslav c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 634, aux paragraphes 54 et 56 à 58. Le professeur Rehaag n’est pas un statisticien et l’analyse statistique dans son rapport ne satisfait pas à la norme méthodologique exposée dans Turoczi. La valeur probante du rapport est ainsi limitée et n’étaye pas une allégation de partialité.

[102] Le défendeur soutient aussi que la décision du commissaire de ne pas se récuser ne constitue pas une preuve de partialité. Contrairement à l’affirmation du demandeur selon laquelle le commissaire n’a pas répondu aux demandes de récusation ou ne les a pas prises au sérieux, le dossier indique que le commissaire s’est penché sur la question pendant deux audiences et qu’il a abordé les demandes dans sept pages de la décision. Cette dernière couvre les allégations relatives au comportement du commissaire, son taux d’acceptation, l’évaluation de la preuve psychologique, le délai et le rapport du professeur Rehaag. Le temps pris pour rendre la décision n’indique pas que le commissaire n’a pas pris les revendications des demandeurs au sérieux puisque, selon le dossier, la Section de la protection des réfugiés s’employait activement à essayer de rendre une décision. Les observations supplémentaires formulées par les demandeurs, y compris une autre requête en récusation, d’autres affidavits et des preuves médicales, se sont ajoutées au dossier et le commissaire a dû les examiner. Une spéculation sur les motifs du délai ne peut donner lieu à une crainte raisonnable de partialité. Voir Arthur, précité, au paragraphe 8.

[103] De plus, la procédure suivie par la Section de la protection des réfugiés après la requête en récusation ne donne pas lieu à une crainte raisonnable de partialité. Le commissaire a reconnu les tensions alléguées par les demandeurs et a offert des mesures d’adaptation afin d’en atténuer les répercussions. L’audience de justification visant à déterminer si la revendication de L.M.P.A. devait être abandonnée est permise en application de l’article 65 des Règles de la Section de la protection des réfugiés. Contrairement à l’observation des demandeurs, le défendeur affirme que la CISR a effectivement informé l’avocat des demandeurs du but de l’audience tenue en janvier 2015 et que les demandeurs n’ont pas étayé leur affirmation selon laquelle le commissaire a annulé la réunion en raison du chaos dans le dossier. Les motifs du délai sont expliqués dans la décision.

c) Respect des droits et insuffisance du lien de causalité

[104] Le défendeur soutient que les demandeurs n’ont pas réussi à établir une atteinte aux droits garantis par l’article 7 de la Charte. Pour établir une atteinte aux droits garantis par l’article 7, les demandeurs doivent démontrer qu’il y a eu atteinte à leur vie, à leur liberté ou à la sécurité de leur personne, ce qui fait entrer en jeu l’article 7. Une fois que l’article 7 entre en jeu, les demandeurs doivent aussi montrer que cette atteinte va à l’encontre des principes de justice fondamentale. Voir Carter c Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, au paragraphe 55. Le défendeur affirme que les demandeurs n’ont pas établi qu’il y avait eu atteinte à leur vie, à leur liberté ou à la sécurité de leur personne ou n’ont pas établi un lien de causalité suffisant entre le délai causé par l’État ou la partialité et toute répercussion grave ou profonde. Voir Blencoe, précité, aux paragraphes 57, 59, 60, 81 et 83. Les tensions et l’anxiété sont un aspect attendu processus de demande d’asile et l’article 7 ne protège pas les demandeurs contre les tensions et l’anxiété ordinaires.

[105] Le défendeur soutient que la procédure de la Section de la protection des réfugiés, qui a été reconnue à répétition comme conforme à l’article 7 de la Charte, n’a pas porté atteinte aux principes de justice fondamentale. Voir, par exemple, Peter c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 1073, confirmée par 2016 CAF 51; YZ c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 892. En réplique à l’argument avancé par les demandeurs selon lequel le délai dans la procédure de la Section de la protection des réfugiés a eu une incidence défavorable sur leur vie, le défendeur soutient que la Cour suprême du Canada a [traduction] « expressément rejeté » ce type d’argument dans Blencoe, précité, au paragraphe 86.

[106] De nombreux autres facteurs qui sont entrés en jeu pendant le processus de demande d’asile des demandeurs rendent entièrement conjecturales leurs tentatives d’établir un lien de causalité entre la procédure de la Section de la protection des réfugiés et les répercussions sur leur santé. Les éléments de preuve présentés n’indiquent pas clairement le facteur de stress qui a entraîné des problèmes de santé chez les demandeurs et un contre-interrogatoire de plusieurs d’entre eux indique qu’il existe un éventail d’autres facteurs de stress possibles. Le défendeur soutient qu’il ne faut accorder que peu de poids à l’affidavit de la Dre Lisa Aldermann étant donné qu’aucune des études sur lesquelles elle se fonde n’est liée aux questions auxquelles on lui a demandé de répondre. Voir Première nation Kwicksutaineuk Ah-Kwa-Mish c Canada (Procureur général), 2012 CF 517, aux paragraphes 65, 66, 70 et 71; R c Mohan, [1994] 2 RCS 9, à la page 21; Es-Sayyid c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CAF 59, au paragraphe 41. Les conclusions de la Dre Aldermann sont hypothétiques parce qu’elles ne tiennent pas compte de facteurs favorables dans les circonstances des demandeurs.

[107] Le défendeur soutient que la Cour devrait aussi prendre en considération les avantages dont les demandeurs ont profité pendant leur séjour au Canada. La capacité de vivre en sécurité, d’aller à l’école, d’avoir un emploi, de démarrer une entreprise, d’avoir des enfants nés au Canada et de bénéficier de l’aide sociale et des soins de santé financés par l’État atténue l’incidence du délai. Le défendeur fait remarquer que plusieurs demandeurs ont présenté des demandes de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire dans lesquelles ils décrivent leur capacité de s’établir au Canada. Contrairement aux éléments de preuve montrant ces avantages, les demandeurs ont fait [traduction] « de simples affirmations conjecturales » selon lesquelles le délai causé par l’État ou la partialité dont le commissaire a fait preuve ont entraîné des bouleversements familiaux, des pertes immobilières, des problèmes de santé et d’emploi et des frais médicaux à payer de leur poche. Bon nombre de ces répercussions alléguées sont antérieures aux audiences ou postérieures à la décision.

[108] Le défendeur affirme que les demandeurs ne sont pas déchargés du fardeau d’étayer leur revendication avec des éléments de preuve et qu’il en faut plus pour établir une atteinte à l’article 7 que le simple fait d’affirmer une maladie sans preuve de diagnostic, la perte de possibilités sans preuve que de telles possibilités s’offraient ou des frais médicaux sans présenter de dossiers médicaux, de factures et de preuves de paiement. Le défendeur précise que de nombreuses demandes en vue de produire des preuves documentaires à l’appui des allégations des demandeurs demeurent sans réponse et soutient que, dans ce genre de cas, la Cour ne devrait accorder aucun poids aux affidavits pertinents. Voir Sinkili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1413, aux paragraphes 10 et 11; Ortiz Juarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 288, au paragraphe 7.

[109] Le défendeur soutient que tout délai à rendre la décision n’a causé aucun préjudice aux demandeurs car il n’y a eu aucune incidence sur la capacité du commissaire de se souvenir de leurs témoignages. Les demandeurs ne peuvent qu’émettre des hypothèses quant à la raison pour laquelle le dossier détaillé et complet dont le commissaire disposait, qui comprenait des enregistrements des audiences, est insuffisant. La décision indique que les conclusions relatives à la crédibilité tirées par le commissaire se fondaient sur des incohérences dans les éléments de preuve documentaire. Ces incohérences ont été analysées pendant les audiences et les demandeurs n’ont pas établi comment des nuances subtiles dans leur témoignage auraient eu une incidence sur les conclusions du commissaire.

2) Justice naturelle

[110] Le défendeur indique que les exigences relatives à la justice naturelle ont été respectées dans l’affaire des demandeurs. En vertu de l’obligation d’équité procédurale, les personnes visées « doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision » : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 28. Au cours de seize audiences, les demandeurs ont eu la possibilité d’exposer de manière complète et équitable leur cause et la Section de la protection des réfugiés a répondu aux accommodements, ajournements et prorogations demandés.

[111] Le défendeur soutient que les demandeurs n’ont présenté aucune preuve de préjudice important qui montrerait un abus de procédure. Voir Blencoe, précité, aux paragraphes 101 et 104. Les aveux des demandeurs en contre-interrogatoire montrent qu’ils n’ont pas subi les répercussions graves alléguées dans leurs affidavits. De plus, il n’est aucunement établi que le préjudice lié aux éléments de preuve est attribuable aux changements apportés au CND pour le Mexique pendant le délai allégué.

[112] Le fait que le commissaire a tiré une conclusion différente de celle que les demandeurs auraient préférée ne prouve pas qu’il n’a pas cru les demandeurs tout au long de la procédure ou qu’il n’a pas compris leur allégation. Le défendeur indique qu’une personne raisonnable ne conclurait pas à une crainte de partialité parce que la décision montre qu’une analyse et une comparaison rigoureuses des éléments de preuve ont été menées avant que le commissaire ne tire sa conclusion.

3) Crédibilité

[113] Le demandeur soutient que les conclusions de la Section de la protection des réfugiés relatives à la crédibilité sont déraisonnables. Les conclusions relatives à la crédibilité sont au cœur de la compétence et de l’expertise de la Section de la protection des réfugiés et appellent la retenue : Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, aux paragraphes 41 à 46 [Rahal]; Lubana, précité, aux paragraphes 7 et 8. Le défendeur conteste la description que font les demandeurs des conclusions sur la crédibilité tirées par la commissaire, en la qualifiant d’« examen à la loupe ». Il affirme que la décision met en évidence des incohérences importantes entre les notes prises au PDE, les exposés circonstanciés dans les FRP et le témoignage de vive voix des demandeurs. Parmi les omissions importantes dans les notes prises au PDE, notons la mention du gang ou une indication selon laquelle le gang est lié aux forces policières mexicaines. Ces sources de persécution sont au cœur de la revendication des demandeurs; il ne s’agit pas de détails mineurs. En outre, le commissaire n’attaque pas la crédibilité des demandeurs au seul motif de ces omissions dans les notes prises au PDE. La décision fait aussi état de préoccupations continues à l’égard de la version originale et de la version modifiée des FRP des demandeurs.

[114] L’examen des incohérences par une comparaison des notes prises au PDE, des FRP et des témoignages de vive voix est une méthode établie d’évaluation de la crédibilité du processus de demande d’asile; il est loisible à la Section de la protection des réfugiés de tirer des conclusions défavorables sur la crédibilité en fonction de incohérences dans les éléments de preuve. Voir Eustace c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1553, aux paragraphes 6 et 10; Rrukaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 605, au paragraphe 10 [Rrukaj]; Fang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 241, aux paragraphes 17 et 18; Abid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 483. Le défendeur affirme que les incohérences relevées dans ce dossier comprenaient entre autres l’omission de plusieurs incidents dans les notes prises au PDE et le FRP initial, les incohérences entre la raison du départ du Mexique des demandeurs, le défaut d’A.P.P. de désigner le gang en tant qu’agent de persécution au PDE, le défaut initial d’indiquer le lien entre le gang et la police, l’absence de mention de la revanche de la famille du voisin assassiné sur le gang et les incohérences dans la durée de l’enlèvement de C.A.A.P.

[115] Le défendeur soutient que la preuve indique que la tentative déployée par les demandeurs de jeter le blâme sur leur premier avocat pour expliquer les problèmes liés à leur FRP initial est inappropriée. L’affaire a fait l’objet d’une enquête par le Barreau du Haut-Canada et le commissaire au règlement des plaintes, qui ont tous deux conclu qu’il n’était pas nécessaire de prendre [traduction] « d’autres mesures » à l’égard de l’avocat. Le défendeur affirme qu’il était raisonnable pour le commissaire de se fonder sur les conclusions tirées par ces organes de réglementation et de rejeter les explications formulées par les demandeurs pour justifier les omissions dans le FRP initial.

[116] Le défendeur soutient que la décision tient effectivement compte des circonstances entourant la prise de notes au PDE et reconnaît que [traduction] « l’on peut être épuisé par les déplacements, surtout avec une famille [...] [et qu’il] est possible de ne pas se souvenir de tout pendant une entrevue spontanée ».

[117] Le défendeur indique que le commissaire n’a pas écarté de manière irrégulière la preuve psychologique en tant qu’explication aux préoccupations relatives à la crédibilité relevées dans les éléments de preuve. Lorsqu’elle tire une conclusion défavorable sur la crédibilité, la Section de la protection des réfugiés peut accorder une faible valeur probante aux documents qui reflètent les déclarations d’un demandeur. Voir, par exemple, Giron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1377, au paragraphe 11; Ye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1184, au paragraphe 20, citant Gosal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 346 (QL), au paragraphe 14 (1re inst.). Le rejet de la preuve psychologique par le commissaire est soutenu par le caractère raisonnable de ses conclusions sur la valeur probante des rapports de la thérapeute familiale des demandeurs.

[118] Le défendeur affirme que la conclusion du commissaire selon laquelle il était invraisemblable que D.P.P. ignore que L.M.P.A. avait été agressée sexuellement jusqu’à son arrivée au Canada est raisonnable. Le commissaire n’avait pas à conclure que L.M.P.A. avait discuté de cet événement de manière explicite avec sa famille. Il a conclu que D.P.P. aurait été au courant de l’agression en raison des menaces qu’elle avait supposément reçues. Par conséquent, le commissaire n’a jamais [traduction] « substitué son jugement à la propre expérience de L.M.P.A ».

[119] Il était loisible au commissaire de tirer une conclusion défavorable sur la crédibilité en ce qui concerne C.A.A.P. en raison des incohérences dans les éléments de preuve sur la durée de son enlèvement allégué. Il était aussi raisonnable pour le commissaire de rejeter l’explication fournie par C.A.A.P. pour justifier cette incohérence. Voir Sinan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 87, aux paragraphes 10 et 11. En outre, étant donné qu’aucune preuve objective n’établit l’exactitude de la description que fait C.A.A.P. de La Zona Rosa comme étant le théâtre de violences importantes, il était raisonnable pour le commissaire de conclure que C.A.A.P. mentait. Le défendeur affirme qu’il était loisible au commissaire de s’attendre à ce qu’une violence de l’ampleur de celle décrite par C.A.A.P. soit signalée. Voir Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 636, aux paragraphes 22 et 28.

[120] Le défendeur indique aussi que, malgré leurs affirmations selon lesquelles le gang menait ses activités dans leur voisinage depuis plus d’une décennie, les demandeurs n’ont pas réussi à présenter des éléments de preuve de l’existence du gang. Il était raisonnable pour le commissaire de rejeter le seul article de journal présenté par les demandeurs. Même si, dans cet article, on faisait état de la découverte d’une femme assassinée dans la maison des demandeurs, que le gang utilisait depuis deux ans, ces derniers ont affirmé qu’ils n’étaient pas au courant de ce fait jusqu’à ce qu’ils reçoivent une copie de l’article.

[121] En outre, le défendeur soutient que le commissaire n’a pas commis d’erreur en mettant en doute l’authenticité des rapports de police présentés par les demandeurs. L’explication fournie par I.P.P. selon laquelle la police avait refusé de remplir adéquatement le rapport n’avait jamais été mentionnée dans des déclarations antérieures. En outre, le rapport de F.P.R. contenait des erreurs factuelles importantes en ce qui concerne son emploi et son lieu de résidence. Étant donné que le rapport ne faisait pas état non plus du gang, il était erroné en ce qui concerne les faits essentiels sur l’auteur et la victime.

4) La possibilité de refuge intérieur

[122] Le défendeur soutient que l’application par le commissaire du critère relatif à la possibilité de refuge intérieur et ses conclusions étaient raisonnables. La décision énonce correctement le critère établi dans Rasaratnam et tient compte de la situation de C.A.A.P. Une fois une possibilité de refuge intérieur viable relevée par le commissaire, il incombait à C.A.A.P. d’établir l’existence d’une possibilité grave de persécution dans la possibilité de refuge intérieur. Voir Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), [1994] 1 RCF 589, aux paragraphes 5 et 6 (CA). Le défendeur indique que les éléments de preuve présentés par C.A.A.P. ne permettent pas de s’acquitter de ce fardeau et qu’ils équivalaient à avouer que [traduction] « exception faite [du gang] et du fait d’être gai, il n’aurait eu aucune difficulté à vivre » dans le district fédéral.

[123] Le commissaire a uniquement accepté les éléments de preuve présentés par C.A.A.P. sur son orientation sexuelle et a déterminé que son allégation de persécution par le gang n’était pas crédible. Par conséquent, la sexualité de C.A.A.P. était le seul facteur à prendre en considération dans l’analyse de la possibilité de refuge intérieur. La conclusion tirée par le commissaire sur la possibilité de refuge intérieur se fonde sur les éléments de preuve documentaire au dossier relativement au district fédéral, y compris la légalité du mariage homosexuel au Mexique ainsi que l’existence de bars ouvertement gais et de politiciens gais. En ce qui concerne la situation particulière de C.A.A.P., le défendeur indique que le commissaire l’a prise en considération quand il fait remarquer que C.A.A.P. se rendrait directement au district fédéral et qu’il se rapprocherait du centre d’une ville où il avait déjà habité. La décision ne se fondait donc pas uniquement sur les éléments de preuve documentaire.

5) Mesures de redressement

[124] Le défendeur soutient que le rejet de la demande de contrôle judiciaire par la Cour constituerait le recours approprié.

[125] À titre subsidiaire, si la Cour devait conclure au renvoi de l’affaire à la Section de la protection des réfugiés pour nouvel examen, le défendeur soutient qu’un verdict imposé accordant l’asile aux demandeurs sans tenir d’audience n’est pas approprié et juste dans les circonstances. Voir Doucet, précité, aux paragraphes 55 à 58. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’un verdict imposé « est un pouvoir exceptionnel ne devant être exercé que dans les cas les plus clairs » : Canada (Ministre du Développement et des Ressources humaines) c Rafuse, 2002 CAF 31, au paragraphe 14. De telles circonstances sont absentes en l’espèce puisque la preuve n’établit pas qu’il existe une seule conclusion possible et que la question à trancher n’est pas une question de droit. Le nombre important d’éléments de preuve exige de mener un examen minutieux et de compter sur l’expertise de la Section de la protection des réfugiés pour étudier ces renseignements. Voir Freeman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1065, aux paragraphes 78 à 81; Xie c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 75 FTR 125, au paragraphe 18 (1re inst.); Malicia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 755, aux paragraphes 20 à 25; Xin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1339, aux paragraphes 5 et 6, citant Marsh c Zaccardelli, 2006 CF 1466, aux paragraphes 45 et 46. La Cour devrait donc refuser de donner des directives ou de formuler des conclusions de fait précises.

[126] Le défendeur soutient que des dommages-intérêts ne peuvent pas être accordés en l’espèce. Voir Canada (Procureur général) c TeleZone Inc, 2010 CSC 62, au paragraphe 52; Paradis Honey Ltd c Canada, 2015 CAF 89, au paragraphe 151; Collin c Lussier (1984), [1985] 1 RCF 124, au paragraphe 2 (CA).

VIII. DISCUSSION

A. Introduction

[127] Il s’agissait inévitablement d’une demande d’asile très difficile, tant à monter par les demandeurs qu’à traiter et à trancher par la Section de la protection des réfugiés. Parmi les nombreuses raisons qui expliquent cette situation, notons les écarts importants dans le temps entre des événements clés des exposés circonstanciés des demandeurs et leur arrivée au Canada, ainsi que le nombre simple de demandeurs individuels dont les demandes dépendaient de ces événements clés, mais qui avaient aussi des exposés circonstanciés individuels à présenter à la Section de la protection des réfugiés. Cela signifiait que les demandeurs qui alléguaient avoir été la cible du gang devaient justifier (ou se fonder sur la justification d’autres personnes) une séquence d’incidents qui remontaient à 1992, après qu’ils ont commencé à arriver au Canada, entre avril 2007 et octobre 2008. Cela signifiait aussi que la Section de la protection des réfugiés devait composer avec les difficultés inhérentes à l’évaluation de demandes qui, une fois les audiences officiellement commencées, exigeaient que le commissaire entende et évalue les éléments de preuve sur des événements clés qui avaient commencé 19 ans plus tôt.

[128] D’un côté, les demandeurs devaient surmonter les difficultés habituelles de conserver un exposé circonstancié uniforme et convaincant, qui couvrait de nombreuses années, ce à quoi on ajoute le nombre de personnes contribuant à cet exposé circonstancié et les incohérences inévitables que de multiples demandeurs généreraient. De l’autre, le commissaire devait s’acquitter de son obligation en appréciant la crédibilité de vingt-quatre demandes d’une façon qui reconnaissait ces mêmes difficultés et qui s’y adaptait.

[129] Les demandeurs se trouvent maintenant devant la Cour et affirment que le commissaire a failli à cette tâche et ils invoquent les droits que le droit canadien leur accorde. Le droit canadien, cependant, impose aussi aux commissaires de la Section de la protection des réfugiés l’obligation de déterminer la crédibilité des demandes d’asile et prescrit des limites à ce que la Cour peut faire dans le cas d’un contrôle judiciaire. Il faut supposer qu’en venant au Canada, les demandeurs ont accepté tous les aspects de notre système pour présenter et trancher des demandes d’asile. Une de nos règles est de ne pas soupeser la preuve selon une optique canadienne qui ne tient pas compte des réalités culturelles du pays d’origine d’un demandeur. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faut accepter la simple affirmation d’un fait ou d’un événement faite par un demandeur sans mener un examen en vue de déterminer sa crédibilité. L’octroi de l’asile n’est pas automatique. Les demandes doivent faire l’objet d’un examen. Les demandeurs trouvent inévitablement ce processus difficile et lourd. Toutefois, en demandant l’asile au Canada, on doit supposer qu’ils ont accepté que des tensions et de l’inconfort aient lieu et qu’un commissaire de la Section de la protection des réfugiés doit évaluer la crédibilité de chaque demande d’asile. Il y a ceux qui viennent au Canada et qui présentent de fausses demandes d’asile en vue d’obtenir la résidence permanente et la citoyenneté. C’est pourquoi l’examen minutieux et la circonspection sont des composantes inévitables et nécessaires du système. Les demandeurs dont la demande est rejetée pensent inévitablement que les décisions sont injustes et déraisonnables; cela ne signifie toutefois pas qu’elles le sont. Les méthodes auxquelles nous recourons pour évaluer la crédibilité des demandeurs peuvent sembler étranges et aliénantes sur le plan culturel pour certains; nous disposons cependant de moyens approuvés par la jurisprudence pour ce faire et dans certains cas, mais pas dans tous les cas, il est possible que des incohérences dans la preuve mènent à des conclusions défavorables sur la crédibilité.

[130] Il faut aussi supposer que les demandeurs acceptent qu’il faille plus de temps pour traiter les demandes complexes que celles qui le sont moins, que la Section de la protection des réfugiés et ses commissaires possèdent un très grand nombre de demandes à traiter, et que les ressources ne sont pas illimitées.

[131] Je ne vois pas en quoi les demandeurs sont en désaccord avec l’une ou l’autre de ces affirmations, sur le plan conceptuel du moins. En fin de compte, ils se plaignent du fait que la décision rendue en l’espèce est déraisonnable, en dépit des complexités et des lourdeurs inhérentes à leurs demandes. Ils affirment aussi qu’elle est marquée d’une crainte raisonnable de partialité et d’un délai excessif qui, en plus de leur refuser le statut de réfugié, a porté préjudice à certains d’entre eux, à tout le moins sous la forme de difficultés affectives, de pertes financières, de possibilités perdues et de problèmes de santé physique et psychologique pendant la période qu’ils ont passée au Canada. J’aborderai chacun de ces motifs de plainte à tour de rôle.

B. Norme de la décision raisonnable

[132] Sans tenir compte de la question de partialité pour l’instant, peut-on dire que la décision est tout simplement déraisonnable? La crédibilité est au cœur de la décision.

[133] Le commissaire fait remarquer de façon générale que : [traduction] « il était évident, tout au long de l’audience, que les éléments de preuve présentés par les demandeurs comprenaient un certain nombre d’incohérences sérieuses quand on compare les témoignages de vive voix aux formulaires de renseignements personnels et aux autres documents disponibles » (décision, au paragraphe 19, non souligné dans l’original).

[134] Pour déterminer la crédibilité dans cette affaire, le commissaire a adopté l’approche générale qui consistait à porter ces incohérences à l’attention des demandeurs qui avaient témoigné à l’audience et à demander une explication. Il est établi dans la jurisprudence de la Cour qu’il faut recourir à cette approche avec prudence et, en particulier, qu’il ne faut pas accorder une trop grande importance aux notes prises au PDE en raison des conditions dans lesquelles elles sont prises. Voir Wu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1102, au paragraphe 16 (« j’admets que la Commission devrait prendre soin de ne pas trop s’appuyer sur les déclarations au PDE. Les circonstances dans lesquelles ces déclarations sont recueillies sont loin d’être idéales, et leur fiabilité soulève souvent des doutes. ») et Lubana, précité, au paragraphe 13 (« Lorsqu’elle évalue les premiers rapports du demandeur avec les autorités canadiennes de l’Immigration ou qu’elle fait référence aux déclarations faites par le demandeur au point d’entrée, la Commission devrait être attentive également au fait que [traduction] « la plupart des réfugiés ont vécu dans leur pays d’origine des expériences qui leur donnent de bonnes raisons de ne pas faire confiance aux personnes en autorité » : voir le professeur James C. Hathaway, The Law of Refugee Status, Toronto, Butterworth, 1991, aux paragraphes 4 et 85 »).

[135] En fait, le commissaire explique sa position et son approche dans la décision :

[traduction]

[7] L’auteur analyse ensuite le contenu de certaines de mes autres décisions (mais aucune des autres commissaires). Il précise que je fonde parfois mes préoccupations quant à la crédibilité sur des différences entre le témoignage de vive voix, les notes prises au point d’entrée et la preuve documentaire, entre autres. Cela n’est pas en réalité exact. La présence de différences peut signifier un éventail de choses. C’est l’explication de la différence qui importe. C’est l’explication de la différence qui peut mener à une conclusion, qu’elle soit favorable ou défavorable, quant à la crédibilité. À titre d’exemple, il demeure possible de conclure qu’une femme qui omet de mentionner avoir été victime d’un viol à un agent d’immigration au point d’entrée est crédible. Il est effectivement possible qu’elle se soit sentie honteuse ou stigmatisée à ce moment et mal à l’aise de répondre à des questions posées par un pur étranger. Il demeure toutefois possible de tirer une conclusion défavorable sur la crédibilité si aucune explication n’est fournie. Ces méthodes visant à évaluer la crédibilité ont été confirmées dans de nombreuses affaires présentées à la Cour fédérale depuis bien des années.

[136] Les demandeurs ne contestent pas cette approche générale pour évaluer la crédibilité et, comme le mentionne le défendeur, le fait de [traduction] « comparer trois éléments de preuve recueillis à différentes étapes du processus de détermination du statut de réfugié : les notes prises au PDE, le FRP (ou le formulaire de fondement de la demande d’asile) et le témoignage rendu à l’audience » est l’un des [traduction] « outils communs » qu’utilise la Section de la protection des réfugiés pour déterminer la crédibilité. Voir Rrukaj, précité, au paragraphe 10.

[137] Les demandeurs ne contestent pas l’approche générale utilisée pour déterminer la crédibilité en l’espèce; ils contestent toutefois l’utilisation inappropriée, selon eux, de cet [traduction] « outil commun » par le commissaire.

1) Examen à la loupe

[138] Les demandeurs affirment, en tant que proposition générale, que le commissaire a [traduction] « fait preuve d’une vigilance excessive en examinant à la loupe les éléments de preuve présentés par les demandeurs [...] ».

[139] Nous savons que cela peut mener à une conclusion de décision déraisonnable (voir Attakora, précité, au paragraphe 9); les demandeurs ne précisent toutefois pas les conclusions qui sont issues d’un examen à la loupe et attribuables à une vigilance excessive, ce qui me porte à conclure qu’ils croient qu’elles le sont toutes. Tel n’est tout simplement pas le cas.

[140] La plainte liée à l’examen [traduction] « la loupe » a été présentée à l’audience parce que le commissaire la reconnaît et la traite dans le contexte de l’incident majeur survenu en 1992 :

[traduction]

[21] Dans l’exposé circonstancié final modifié, [le chef du gang] et l’autre membre du gang passent plusieurs fois devant la maison avant d’ouvrir la porte du véhicule et de tirer sur le voisin du demandeur. Toutefois, comme il a été indiqué à l’audience, dans le témoignage de vive voix, [le chef du gang] et l’autre membre du gang sont sortis de leur véhicule et se sont approchés de près du voisin. Ils l’ont ensuite abattu et ont couru sur une distance de 20 mètres pour regagner leur véhicule. [I.P.P.] a indiqué que cette différence pourrait s’expliquer par un problème de terminologie, par le fait que sa mère a passé plus de temps à préparer le FRP et par les séquelles que l’incident a eues sur lui. L’avocat a soutenu que ce domaine était trop pointu. Ces explications ne sont pas satisfaisantes à mon avis. [I.P.P.] semblait aussi confus à propos de ce qu’il faisait quand on lui a tiré dessus; dans le FRP initial, il se trouvait face à face avec [le chef du gang], dans son exposé circonstancié modifié, il s’enfuyait en courant, tandis que dans son témoignage de vive voix, l’événement est survenu alors qu’il tournait le coin d’une rue. Toutefois, étant donné que ce supposé incident traumatisant se serait produit en une fraction de seconde, il y a longtemps de cela, je peux comprendre qu’il y ait une certaine confusion mentale sur cet aspect de la question. Toutefois, le scénario selon lequel les assassins quittent leur véhicule, se rapprochent du voisin, l’abattent à bout portant et regagnent ensuite leur véhicule, situé à 20 mètres, en courant, diffère grandement d’un scénario où ils passent devant la maison et tirent après avoir ouvert la portière. Même avec le passage du temps, je ne m’attendrais pas à entendre de telles différences dans les témoignages. Je conclus que cette incohérence mine encore plus la crédibilité des demandeurs.

[Renvoi omis.]

[141] Après lecture de la décision dans son ensemble, il est évident que le commissaire s’est concentré, en majeure partie, sur des incohérences importantes et qu’il a reconnu les incohérences qui étaient moins graves.

[traduction]

[34] [F.P.R.] a aussi présenté une déclaration rédigée en espagnol. Comme il a été indiqué à l’audience, il a affirmé, dans son FRP final, avoir été victime d’une attaque sur l’autoroute alors qu’il ne l’a pas indiqué dans la déclaration. [F.P.R.] a indiqué ne pas se souvenir de l’incident au moment où il a fait sa déclaration. Ce n’est que plus tard qu’il s’est souvenu de détails supplémentaires. Je ne trouve pas cette explication raisonnable. Je peux comprendre que les souvenirs tendent à s’effacer à mesure que le temps passe. Il s’agissait toutefois d’un événement très important dans la vie de [F.R.P.] et d’un parmi un tout petit nombre d’événements qu’il a vécus directement. Même s’il ne s’agit pas d’un point important, je conclus que cette omission mine davantage la crédibilité des demandeurs.

[Non souligné dans l’original.]

[142] Je ne suis pas convaincu par les affirmations des demandeurs selon lesquelles le commissaire a mené un examen à la loupe et a fait preuve d’une vigilance excessive dans son évaluation des incohérences dans les éléments de preuve qu’ils ont présentés.

2) Défaut de tenir compte adéquatement des conditions dans lesquelles les notes au PDE ont été prises

[143] Les demandeurs présentent une série de points sous cet élément :

[traduction]

69. Les notes prises au PDE ne constituent pas le fondement complet de la demande, et la Section de la protection des réfugiés commet une erreur lorsqu’elle met en doute la crédibilité d’un demandeur simplement parce que les renseignements qu’il a fournis au point d’entrée ne sont pas détaillés. Il est acceptable d’omettre des événements dans les notes prises au PDE, tant qu’il n’y a aucune incohérence véritable et que l’incident central sur lequel se fonde la demande est indiqué.

[traduction]

70. Les entrevues réalisées au PDE ont été difficiles et incroyablement stressantes. Il est tout à fait raisonnable que les demandeurs, dans ces circonstances, aient omis des détails minimes, même s’ils ont tous fait la même présentation des incidents au cœur de leur persécution. L’incident majeur de la revendication des demandeurs est décrit de la même façon dans chacune des versions de leurs exposés circonstanciés. Le fait que le commissaire invoque l’absence de détails ou l’omission de cas précis de persécution dans un exposé circonstancié qui s’étend sur plus d’une décennie pour attaquer la crédibilité des demandeurs constitue donc une erreur susceptible de révision.

[Renvois omis.]

[144] Mon examen de la décision me porte à croire que le commissaire ne considère pas les notes prises au PDE comme [traduction] « [le] fondement de la demande dans son ensemble » et il ne met pas [traduction] « en doute la crédibilité d’un demandeur simplement parce que les renseignements qu’il a fournis au point d’entrée ne sont pas détaillés ». Les demandeurs ne renvoient à rien dans la décision à l’appui de cette critique. En outre, il n’est pas contesté que [traduction] « [l]le fait d’omettre des événements dans les notes prises au PDE est acceptable, tant qu’il n’y a aucune incohérence véritable et que l’incident central sur lequel se fonde la demande est indiqué ». En l’espèce, il y avait des incohérences véritables et importantes sur des points importants, sans compter que des incidents centraux ont été décrits de façons différentes ou, chez certains témoins, contredits ou entièrement omis.

[145] Le commissaire renvoie à maintes reprises aux conditions dans lesquelles les entrevues au PDE se sont déroulées, tout en expliquant qu’elles ne fournissent pas une explication satisfaisante de l’incohérence. Voir, par exemple, le paragraphe 19 de la décision, cité ci-dessus : [traduction] « Je peux comprendre que l’on puisse être épuisé par les déplacements, surtout avec une famille. Je peux aussi comprendre qu’une personne ne peut pas se souvenir de tous les faits survenus pendant une entrevue spontanée ».

[146] Les demandeurs ne font pas une présentation uniforme des incidents au cœur de leur persécution alléguée (voir la décision dans son ensemble) et ils ont omis plus que des détails mineurs. Je ne crois pas non plus que [traduction] « l’incident central à la revendication des demandeurs [...] est décrit de manière uniforme dans chacune des versions de l’exposé circonstancié des demandeurs ». Le commissaire expose les incohérences dans la décision. Voir, par exemple, le paragraphe 21 de la décision, cité ci-dessus.

[147] J’estime que les plaintes formulées par les demandeurs à cet égard ne sont rien de plus que des affirmations qui sont une interprétation inexacte de la décision.

3) Ancien avocat lacunaire

[148] Tout en soutenant d’un côté que les demandeurs ont fait une présentation uniforme des incidents au cœur de leur persécution et que la [traduction] « revendication est décrite de la même façon dans chacune des versions des exposés circonstanciés des demandeurs », les demandeurs soutiennent aussi que c’est leur ancien avocat qui avait mal préparé leurs FRP :

[traduction]

72. Comme les demandeurs l’ont indiqué à maintes reprises dans leurs témoignages, ils ont déterminé que leur premier avocat avait mal préparé leur exposé circonstancié dans leurs FRP originaux. C’est pour cette raison que la plupart des détails de leur exposé circonstancié ont été ajoutés sous forme de modifications à leurs FRP. Le commissaire a rejeté cette explication, tout comme d’autres, et a invoqué à répétition le simple fait qu’un détail a été ajouté comme modification aux FRP pour mettre en doute la crédibilité.

[traduction]

73. En réponse à la plainte que les demandeurs ont présentée au Barreau à l’égard de leur ancien avocat, le commissaire a uniquement indiqué que [l’ancien avocat] avait nié toute irrégularité et que la plainte « n’a pas abouti » et qu’il avait donc été conclu qu’elle « n’avait pas été jugée établie ». Ce dernier énoncé n’est qu’une simple hypothèse formulée par le commissaire, puisqu’il n’avait aucun renseignement sur le règlement de la plainte déposée devant le Barreau du Haut-Canada. En ce qui concerne le démenti de l’ancien avocat, le frère du demandeur principal a expliqué brièvement pendant son témoignage de vive voix qu’il était dans l’intérêt professionnel de l’ancien avocat de nier toute inconduite. Vu les motifs contradictoires, la présomption de crédibilité accordée aux démentis de l’ancien avocat aurait dû être étendue aux accusations des demandeurs à son égard, en l’absence d’autres éléments de preuve.

[Renvois omis.]

[149] Je ne relève aucun cas dans la décision où le commissaire [traduction] « invoque à répétition le simple fait qu’un détail a été ajouté comme modification aux FRP pour mettre en doute la crédibilité ». Une fois de plus, les demandeurs font une interprétation inexacte de la décision. Le commissaire observe [traduction] « à répétition » des incohérences importantes et tire ensuite des conclusions qui tiennent compte du passage du temps et des conditions dans lesquelles les éléments de preuve ont été créés.

[150] Le commissaire aborde ainsi les allégations des demandeurs à l’égard de l’ancien avocat :

[traduction]

[19] Plus important, le FRP a été préparé en consultation avec un avocat autorisé. Les demandeurs ont déposé une plainte à son égard, dans laquelle ils alléguaient avoir reçu un service inadéquat. Il a répondu en termes très fermes, a réfuté toutes les allégations à son endroit et a confirmé que le FRP avait été préparé adéquatement. Les demandeurs n’ont pas donné suite à cette affaire, ce qui est quelque peu révélateur...

[151] Le commissaire mentionne aussi cette question quand il aborde le témoignage d’I.P.P. :

[traduction]

[25] Dans son témoignage de vive voix, [I.P.P.] décrit un incident survenu en 2006, où il a été jeté dans sa propre voiture et emmené pendant des heures, en plus d’être frappé et battu à divers moments en cours de route, avant d’être laissé à lui-même et de rentrer à la maison à pied. Toutefois, comme il a été indiqué à l’audience, dans le FRP modifié, l’incident est court, comme un détournement de voiture exécuté rapidement au cours duquel le demandeur a été battu et les agresseurs sont ensuite partis avec sa voiture. [I.P.P.] a indiqué qu’il ne s’agissait pas d’un détournement de voiture et que ses souvenirs ont fait surface pendant sa thérapie. En outre, dans son témoignage de vive voix, [I.P.P.] a indiqué que la police avait refusé de remplir un rapport adéquat, puisqu’elle n’avait mentionné que le vol et avait demandé un pot-de-vin. Cependant, comme il a aussi été mentionné à l’audience, rien dans l’exposé circonstancié modifié n’indique un comportement irrégulier de la part de la police en ce qui concerne cet incident. L’avocat a fait valoir que ce fait a été mentionné dans l’exposé circonstancié modifié de la mère d’[I.P.P.]. Enfin, comme il a aussi été indiqué à l’audience, cet incident n’était pas mentionné dans le FRP initial. [I.P.P.] a indiqué que l’ancien avocat et son personnel n’avaient pas agi de manière appropriée. Ces explications ne sont pas satisfaisantes à mon avis. Peut-être que le comportement irrégulier de la police est un point mineur, vu le nombre extrême d’allégations dans l’exposé circonstancié modifié d’[I.P.P.]; toutefois, vu le niveau de détails dans l’exposé circonstancié modifié, on pourrait croire que cet incident aurait été mentionné. Encore une fois, il semble étrange que cet incident et de nombreux autres soient omis dans un FRP initial détaillé. Non seulement l’ancien avocat a nié avoir agi de manière irrégulière, mais il semble aussi que la plainte présentée par les demandeurs au Barreau n’a pas abouti, ce qui signifie que l’on a conclu que les plaintes n’avaient pas été établies. La description de l’événement en soi est encore plus importante. [I.P.P.] a affirmé que l’exposé circonstancié modifié était vrai alors qu’il se trouvait au Canada depuis des années. Il n’est pas logique qu’à ce moment, il se soit trompé à ce point dans son souvenir des événements relaté dans son FRP modifié. Je conclus que ces incohérences, surtout en ce qui concerne la description de l’événement, minent davantage la crédibilité des demandeurs.

[152] La question est aussi abordée dans le contexte du récit manuscrit qui a été présenté au cabinet de l’ancien avocat, selon L.M.P.A. :

[traduction]

[30] Les demandeurs ont présenté une copie du récit manuscrit qu’ils ont apporté au cabinet de leur premier avocat. Comme il a été mentionné à l’audience, toutefois, il n’indiquait pas que [le gang] était associé à la police. [L.M.P.A.] a indiqué que l’ancien avocat et son assistant n’ont pas lu cette déclaration, qui a été écrite et réécrite tout juste après l’arrivée au Canada et que certains éléments n’ont fait surface que pendant la thérapie. L’avocat s’y est opposé, en indiquant que ce document n’était pas un exposé circonstancié officiel et qu’il était visé par le secret professionnel. J’ai rejeté cette objection parce que les demandeurs avaient eux-mêmes renoncé à ce privilège quand ils avaient présenté le document par l’entremise de leur avocat. Leur élément de preuve en ce qui concerne l’ancien avocat repose exclusivement sur le fait que son personnel et lui n’avaient pas écouté leur histoire et qu’ils avaient refusé de lire ce document. Je comprends qu’il ne s’agit pas du même genre d’exposé circonstancié que celui créé par l’intermédiaire d’un avocat; toutefois, si les demandeurs voulaient se fonder sur le fait que l’avocat n’avait pas lu ce document comme raison pour laquelle leur FRP initial était incomplet, il s’ensuit que les questions sur le contenu de ce document étaient plus que justes. [L.M.P.A.] a ensuite indiqué qu’elle ne croyait pas que le lien entre [le gang] et la police était important au moment où le document a été créé. Comme il a aussi été mentionné à l’audience, on a aussi omis de mentionner les appels menaçants faits pendant les 15 années précédant l’arrivée des demandeurs au Canada. [L.M.P.A.] a indiqué qu’elle tentait de se souvenir des incidents importants. Ces explications ne sont pas satisfaisantes à mon avis. Comme je l’ai indiqué, ce document ne serait pas aussi complet qu’un exposé circonstancié préparé avec l’aide d’un avocat. Il ressemblait toutefois beaucoup à ce qui a été produit et omettait bon nombre des mêmes éléments. Les demandeurs ont tous continué d’affirmer que le FRP comportait des lacunes parce que leur avocat initial n’avait pas lu ce document. Je ne vois pas en quoi ce document aide les demandeurs; il renforce en vérité les conclusions défavorables sur la crédibilité tirées sur le FRP initial.

[Renvoi omis.]

[153] Les demandeurs qui ne sont pas satisfaits d’une décision défavorable blâment souvent ceux qui les ont représentés. Il est facile de porter de telles accusations. La Cour a clairement fait savoir que ceux qui souhaitent invoquer ce motif doivent s’acquitter d’un fardeau important : avant de plaider l’incompétence d’un ancien avocat, l’avocat actuel doit effectuer lui-même des recherches et être convaincu que l’allégation est étayée par un fondement factuel; l’ancien avocat doit être informé et avoir le temps de répondre et, le cas échéant, une autorisation signée le libérant de tout privilège lié à l’ancienne représentation doit être présentée; toute demande complète qui présente des allégations à l’égard de l’ancien avocat doit être signifiée à ce dernier; et, si l’autorisation est donnée, l’avocat actuel doit remettre une copie de l’ordonnance accordant l’autorisation ou l’ordonnance mettant l’affaire au rôle pour audition à l’ancien avocat. Voir le Protocole procédural concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des procédures de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger (le 7 mars 2014). La juge Strickland a résumé ainsi la jurisprudence sur ce point dans Gombos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 850 :

[17] Le critère pour répondre aux allégations d’assistance inefficace ou incompétente de l’avocat a été bien défini par la jurisprudence (Zhu c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 626, aux paragraphes 39 à 43). Dans un premier temps, le demandeur doit établir que les actes ou omissions de l’avocat concerné relevaient de l’incompétence et, dans un deuxième temps, qu’une erreur judiciaire en a résulté (R c GDB, 2000 CSC 22, au paragraphe 26 (« GDB »)). Il incombe au demandeur de prouver les volets relatifs à l’examen du travail et au préjudice pour démontrer qu’il s’est produit un manquement à l’équité procédurale (Guadron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092, au paragraphe 17). L’incompétence de l’ancien avocat doit ressortir de la preuve de façon suffisamment claire et précise (Shirwa c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 CF 51, au paragraphe 12 (« Shirwa »); Memari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196, au paragraphe 36 (« Memari »)). Il y a également une forte présomption que la conduite de l’avocat se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable (GDB, au paragraphe 27; Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 269, aux paragraphes 16 et 18). L’incompétence entraînera un manquement à l’équité procédurale uniquement dans des « circonstances extraordinaires » (Shirwa, au paragraphe 13; Memari, au paragraphe 36; Pathinathar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1225, au paragraphe 38; Nizar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 557, au paragraphe 24).

[154] Le commissaire souligne qu’il n’a jamais été établi que l’ancien avocat a commis une erreur ou agi de manière répréhensible. Aucune présomption de crédibilité n’est accordée à l’ancien avocat. Il incombe aux demandeurs de démontrer que l’ancien avocat a agi de manière irrégulière. Les demandeurs ne se sont pas acquittés de ce fardeau.

4) Appliquer une optique culturelle canadienne aux conclusions d’invraisemblance

[155] Le demandeur présente les arguments suivants sur ce point :

[traduction]

74. Comme il est indiqué plus haut, le commissaire a interrogé L.M.P.A. sur les détails entourant l’agression sexuelle dont elle a été victime en faisant preuve d’une insensibilité qui contrevenait aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Dans sa décision, le commissaire utilise les réponses obtenues à la suite de ce questionnement irrégulier pour attaquer la crédibilité des demandeurs. Ce faisant, il a enfreint le principe établi dans Akter c Canada selon lequel la Section de la protection des réfugiés doit prendre en considération les traumatismes antérieurs d’un demandeur si elle prévoit se servir de son comportement pendant son témoignage pour tirer des conclusions défavorables sur la crédibilité.

[traduction]

75. De plus, le commissaire substitue son jugement à l’expérience même de L.M.P.A. pour déterminer le moment où elle se sentirait à l’aise de parler de son agression, la personne à qui elle se sentirait à l’aise d’en parler et les détails qu’elle donnerait. Ce faisant, il a appliqué des normes culturelles canadiennes au comportement d’une femme victime d’un viol, ce qui contrevient clairement à la décision rendue par la Cour dans Lubana c Canada [sic] (MCI).

[traduction]

76. Le commissaire commet une erreur semblable quand il affirme que, « [p]eu importe si elles avaient discuté de cette affaire de manière explicite ou pas, il était évident que [D.P.P.] aurait su que sa mère avait été violée au début des années 1990 par les mêmes hommes qui l’avaient poursuivie[.] » Cette affirmation n’est étayée d’aucun argument quant à la raison de cette évidence, même si les « conclusions d’invraisemblance doivent être fondées sur une preuve claire et un raisonnement clair à l’appui des déductions de la Commission ». De plus, [le commissaire] ne prend pas en considération les antécédents culturels de D.P.P. et n’accorde aucune importante à la preuve convaincante du contraire.

[Renvois omis.]

[156] Tout d’abord – comme je l’expliquerai ci-dessous – le commissaire n’enfreint pas les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

[157] Ensuite, L.M.P.A. indique clairement de plusieurs façons n’avoir aucun problème à répondre aux questions du commissaire sur la participation de la police. Aux pages 5680 et 5681 du DCT, elle affirme ce qui suit :

[traduction]

DEMANDEUR 11 : Il s’agit selon moi d’une histoire tellement longue. Lorsque ces événements se sont produits, lorsque des événements de ce genre surviennent, on ne peut pas éviter de se rappeler. Il s’agit d’un sujet délicat, très délicat pour moi; pas à cause de moi, mais plutôt à cause de mon mari. Son incapacité de nous protéger lui a causé une grande souffrance. Il croit qu’il ne s’est pas levé, qu’il ne s’est pas porté à mon secours, mais il ne pouvait pas le faire en réalité. Il n’avait aucun choix. Il savait que nous en parlerions, mais je, je, je me suis limitée à répondre aux questions posées sans en ajouter trop. Je vous présente mes excuses.

[158] Dans le DCT, à la page 5683, aux lignes 14 à 26, L.M.P.A. dit au commissaire : [traduction] « Je vous remercie de la façon dont vous me traitez et dont vous agissez avec moi. »

[159] En outre, le commissaire n’a posé aucune question à L.M.P.A. sur les détails de l’agression sexuelle. Le dossier confirme la description que fait le commissaire des événements survenus :

[traduction]

[32] Dans la version définitive de l’exposé circonstancié de [L.M.P.A.], à la page 173, on indique que pendant l’incident au cours duquel elle a été violée devant son mari et son fils [...], la police collaborait en réalité avec les auteurs de l’agression. Toutefois, comme il a été mentionné à l’audience, on indiquait tout simplement dans le FRP initial que les demandeurs avaient parlé à la police, sans mentionner que cette dernière avait joué un rôle. [L.M.P.A.] a indiqué que de nombreux souvenirs lui sont revenus pendant sa thérapie et qu’elle a tenté de le cacher à ses enfants. L’avocat s’est opposé à ce que l’on pose des questions sur les détails entourant l’agression sexuelle. J’ai rejeté cette objection puisque ce ne sont pas les détails de l’agression en soi qui faisaient l’objet de questions, que [L.M.P.A.] avait divulgué l’agression sexuelle immédiatement à son arrivée au Canada et l’avait aussi déclaré dans le FRP initial et qu’elle avait précisément indiqué avoir parlé à la police. [L.M.P.A.] a indiqué que c’est en raison de cet incident qu’elle a eu de la difficulté à parler à la police par la suite. Ces explications ne sont pas satisfaisantes à mon avis. Je peux comprendre qu’une femme puisse se montrer réticente à divulguer avoir été victime d’une agression sexuelle ou à parler de détails intimes sur l’agression elle-même. Il ne s’agit toutefois pas de l’un de ces cas. [L.M.P.A.] a divulgué l’affaire à l’agent d’immigration dès son arrivée et à une autre reprise dans le FRP initial. Comme je l’ai indiqué, on mentionne précisément la police dans le FRP initial en ce qui concerne cet incident, quoique de façon peu inquiétante. Il est donc évident que [L.M.P.A.] portait son attention sur la police. Les directives pour remplir l’exposé circonstancié du FRP sont claires : s’il y a une raison quelconque au fait de ne pas avoir demandé la protection des autorités, il faut l’indiquer. [L.M.P.A.] a indiqué que c’est la participation de la police à cet incident qui l’a amenée à ne plus faire confiance aux autorités par la suite. Je conclus que dans ces circonstances, si la police avait réellement été impliquée dans l’incident de façon inquiétante, l’exposé circonstancié initial l’aurait indiqué. Je conclus que cette absence d’indication mine encore plus la crédibilité des demandeurs.

[160] En ce qui concerne D.P.P., les demandeurs citent de manière sélective des passages tirés du paragraphe 35 de la décision. Voici ce qu’indique intégralement le paragraphe :

[traduction]

[35] La sœur d’[I.P.P. ], [D.P.P.], a aussi témoigné. Dans son témoignage de vive voix, elle a indiqué n’avoir été mise au courant du viol dont sa mère avait été victime qu’à son arrivée au Canada. Toutefois, comme il a été indiqué à l’audience, elle savait depuis longtemps qu’[I.P.P.] avait vu un membre [du gang] commettre un meurtre et dans le cadre d’incidents survenus en 1995 et en 2003, ses agresseurs avaient menacé de la violer comme ils l’avaient fait à sa mère. [D.P.P.] a affirmé qu’on ne lui avait jamais dit explicitement que sa mère avait été victime d’un viol. Je ne trouve pas cette explication raisonnable. Il était évident que [D.P.P.] aurait su que sa mère avait été violée au début des années 1990 par les mêmes hommes qui l’ont pourchassée, peu importe si elles avaient discuté de cette affaire de manière explicite ou pas. Cela ne correspond tout simplement pas à son témoignage sur le moment où elle a appris ce qui s’était passé. Il semble en effet que [D.P.P.] a fait cette affirmation pour expliquer pourquoi elle n’avait pas présenté une demande d’asile à son arrivée au Canada. Je conclus que cette incohérence mine encore plus la crédibilité des demandeurs.

[161] Comme il est indiqué clairement dans ce paragraphe, il existait des éléments de preuve manifestes pour appuyer le fait que D.P.P. était au courant du viol allégué de sa mère. Pour commencer, D.P.P. déclare dans son affidavit que [traduction] « après le viol de ma mère, en 1993, j’ai reçu des menaces de violence par téléphone [du gang], où l’on me menaçait de violence sexuelle et on faisait référence au viol commis à l’endroit de ma mère » : DCT, page 3927 (souligné dans l’original). La thérapeute de D.P.P. a confirmé qu’on l’avait [traduction] « menacée à bon nombre de reprises, comme sa mère et sa sœur, qu’elle serait violée » : DCT, à la page 456. En outre, à la page 712 du DCT, l’avocat des demandeurs a confirmé ce qui suit dans les observations écrites :

[traduction]

[DPP et sa sœur] ont toutes deux été victimes d’agressions de la part [du gang]; elles ont toutes deux reçu des menaces téléphoniques au fil des ans, où il était question de violence sexuelle à leur endroit et où l’on faisait référence au viol dont leur mère [L.M.P.A.] avait été victime.

[162] Les demandeurs ne précisent pas ce qu’ils entendent par [traduction] « une preuve convaincante du contraire ». Il me semble toutefois que ce sont eux qui présentent des affirmations devant une preuve convaincante du contraire.

5) Défaut de prendre en considération des motifs valables aux lacunes dans la preuve documentaire

[163] Voici les détails sur cette plainte :

[traduction]

78. [Le commissaire] a conclu à l’absence de preuve documentaire sur la persécution à mort et la violence de tous les jours à l’endroit des gais dans le district gai de Mexico, La Zona Rosa, et pendant les défilés de la fierté gaie. Il s’en est servi pour attaquer la crédibilité de C.A.A.P., au point de l’accuser de « mentir [...] à un niveau quelque peu fantastique ». Le commissaire n’a cependant pas tenu compte d’une autre explication selon laquelle il est possible que la plupart des actes violents commis à l’endroit de gais à Mexico ne soient pas déclarés à ce titre et que bon nombre d’organismes de défense des droits de la personne continuent de faire état de violence homophobe, même dans le quartier de La Zona Rosa du district fédéral.

[traduction]

79. De plus, le commissaire a affirmé qu’il était peu probable que [le gang] ait évité d’attirer l’attention des médias puisque « les médias mexicains consacrent beaucoup de temps à parler des gangs et de leurs activités ». Lorsque les demandeurs ont par la suite présenté l’article d’un journal local faisant mention du gang, il a contesté son authenticité. Les demandeurs soutiennent que la même logique que celle suivie dans Bao s’applique mutatis mutandis au travail des journalistes. Dans un pays où le crime organisé est aussi présent que le Mexique, il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que chaque organisation criminelle fasse l’objet d’une couverture approfondie dans les médias. Le fait que [le gang] est une madrina pour la police judiciaire rend encore plus vraisemblable l’absence de sont [sic] nom de la couverture médiatique.

[traduction]

80. Le commissaire commet une erreur semblable lorsqu’il écarte les rapports de police qui contiennent des détails erronés sur [le gang] ou qui n’en font pas mention. Pour qu’elle soit solide, la règle établie dans Adu doit prendre en considération les vulnérabilités ou les manquements particuliers de certains reporters d’État. Plus particulièrement, il n’est pas surprenant qu’un policier se répugne à consigner le nom d’un gang affilié à la police par crainte de représailles. Ainsi, l’omission du nom du gang, la corruption ou les signalements consignés de façon peu rigoureuse de la part de la police ne devraient pas avoir préséance sur la présomption de véracité accordée aux plaignants [sic].

[Renvois omis.]

[164] Les plaintes formulées par les demandeurs à cet égard ne portent pas réellement sur le raisonnement suivi dans la décision. En ce qui concerne le témoignage de C.A.A.P., le commissaire déduit ce qui suit :

[traduction]

[38] [C.A.A.P.], un cousin d’[I.P.P.], a également témoigné. Après avoir présenté sa demande, mais pendant l’audience, il a avoué pour la première fois son homosexualité à sa famille. Sa demande reposait sur une crainte [du gang], mais aussi sur son orientation sexuelle en général. Il a entre autres témoigné avoir été enlevé pendant trois jours. Ce fait correspondait à ce qui était indiqué dans son FRP. Toutefois, comme il a été indiqué à l’audience, il a présenté un rapport de police faisant état d’un enlèvement qui a duré trois heures et demie. Il a aussi été mentionné qu’à un certain moment, le rapport était daté de 2006, plutôt que 2008, année où l’incident est soi-disant survenu. [C.A.A.P.] a indiqué que les agents à qui il a parlé étaient indifférents et ne se souciaient pas de leur travail. Comme il a aussi été indiqué à l’audience, quand il a parlé à un agent d’immigration au moment où il a présenté sa demande, il a affirmé avoir été enlevé et relâché le même jour. [C.A.A.P.] a affirmé qu’il avait une copie du rapport et qu’il ne voulait pas le contredire, puisqu’il ne connaissait pas le régime canadien et craignait d’être expulsé. Ces explications ne sont pas satisfaisantes à mon avis. [C.A.A.P.] a essentiellement avoué que la première chose qu’il a faite à son arrivée au Canada a été de mentir à un agent d’immigration pour que son récit corresponde à ce qui était attendu. Je ne vois pas en quoi la crainte d’être expulsé le pousserait à agir de la sorte. Si on l’avait interrogé à ce sujet, il aurait tout simplement pu fournir la même explication que celle qu’il m’a présentée. Je conclus que ces contradictions et une volonté absolue de mentir à des agents d’immigration minent davantage la crédibilité des demandeurs. De plus, l’incohérence relativement à l’année indiquée dans le document remet en cause son authenticité.

[traduction]

[39] [C.A.A.P.] a explicitement confirmé que sa crainte se fondait aussi sur son orientation sexuelle seulement comme motif distinct, outre sa crainte du [gang]. Toutefois, comme il a été indiqué à l’audience, on trouve à Mexico des bars ouvertement gais et un quartier ouvertement gai (La Zona Rosa) et on y tient le défilé annuel de la fierté gaie, qui attire des centaines de milliers de personnes. En fait, quand l’Argentine a tenté d’affirmer qu’elle était le premier pays espagnol des Amériques à autoriser le mariage gai, des représentants mexicains ont indiqué que le Mexique avait plutôt été le premier à le faire et ont offert une lune de miel gratuite au Mexique au premier couple homosexuel marié en Argentine. [C.A.A.P.] a indiqué qu’on trouve tous les jours dans La Zone Rosa, en dépit de sa taille importante, des cadavres et des blessés graves et qu’on recense aussi un certain nombre d’agressions physiques pendant le défilé de la fierté gaie. Toutefois, comme il a aussi été indiqué à l’audience, même si des agressions isolées à l’endroit des homosexuels peuvent avoir lieu à Mexico, les éléments de preuve documentaire ne contiennent absolument rien qui indique que l’on trouve tous les jours des cadavres et des blessés dans La Zona Rosa ou que des agressions sont commises pendant le défilé de la fierté gaie. [C.A.A.P.] a affirmé que seuls des renseignements choisis pouvaient être présentés dans l’actualité. Ces explications ne sont pas satisfaisantes à mon avis. Il est évident qu’il peut y avoir des agressions isolées à l’endroit des homosexuels à Mexico. Il en va de même pour le Canada. Toutefois, pour que les carnages de l’ampleur décrite par [C.A.A.P.] ne soient pas signalés, il faut une conspiration entre le gouvernement, chacun des médias et chacun des organismes de surveillance des droits de la personne pour le taire. Soit cela, soit [C.A.A.P.] mentait. Bien entendu, il était évident qu’il mentait, et même à un niveau quelque peu fantastique. Je conclus que cela mine encore plus la crédibilité des demandeurs.

[165] Cela indique qu’il était impossible de croire C.A.A.P. pour plusieurs raisons :

  • (a) les incohérences dans les éléments de preuve quant au moment et à la durée de l’enlèvement de C.A.A.P.;

  • (b) la volonté pure et simple de C.A.A.P. de mentir à un agent d’immigration au moment de présenter sa demande;

  • (c) les allégations de C.A.A.P. selon lesquelles on trouvait tous les jours des cadavres et des blessés graves dans La Zona Rosa, et qu’un certain nombre d’agressions physiques avaient été commises pendant le défilé de la fierté gaie.

[166] Le commissaire, loin de ne pas tenir compte du fait que la violence commise à l’endroit des gais peut ne pas être traitée comme telle et que des organismes de protection des droits de la personne continuent de faire état de violence homophobe, prend et examine en fait les suggestions de C.A.A.P. à cet égard et explique pourquoi elles sont inacceptables. On recense, bien entendu des agressions isolées commises à l’endroit des gais à Mexico; toutefois, le [traduction] « carnage non signalé » sous-entendu par C.A.A.P. est invraisemblable parce qu’il exigerait une [traduction] « conspiration entre le gouvernement, chacun des médias et chacun des organismes de surveillance des droits de la personne pour le taire ». Ainsi, il est impossible de croire le témoignage de C.A.A.P. parce qu’il avoue avoir menti à un agent d’immigration à son arrivée au Canada et qu’il n’a pas étayé le [traduction] « carnage » qui a lieu dans La Zona Rosa, selon ce qu’il allègue. L’autre explication fournie par C.A.A.P. est entièrement examinée.

[167] En ce qui concerne l’article de presse, le commissaire en déduit ce qui suit :

[traduction]

[41] Après des jours d’audience et une longue période écoulée, les demandeurs ont présenté ce qui semble être un article de presse sur [le gang]. Toutefois, comme il a été indiqué à l’audience, il semble s’agir de la seule mention [du gang] trouvée dans les médias. [L.M.P.A.] a indiqué ignorer pourquoi il en était ainsi et que ce sont les gangs plus connus qui faisaient l’objet d’une couverture. À l’exception d’une formulation étrange dans l’article, on y indique que [le gang] utilisait apparemment une maison abandonnée appartenant aux demandeurs depuis les deux dernières années, fait qui n’avait jamais été mentionné auparavant. [L.M.P.A.] a indiqué que personne ne leur en avait parlé et qu’elle l’avait appris en lisant l’article et après avoir demandé à quelqu’un de prendre des photos de la maison. Ces explications ne sont pas satisfaisantes à mon avis. Comme il a été indiqué beaucoup plus tôt à l’audience, les médias mexicains accordent une partie importante de leur couverture aux gangs et à leurs activités. Les demandeurs ont affirmé à certaines occasions que [le gang] était célèbre. Toutefois, cet article est le seul reportage paru dans les médias, et ce, longtemps après que l’on a mentionné qu’il était étrange de ne trouver aucune référence au gang dans les médias. De plus, les demandeurs ont été en contact avec diverses personnes au Mexique tout au long de leur séjour au Canada. Il n’est pas logique que, si [le gang] avait utilisé et vandalisé leur maison pendant deux ans, personne ne leur aurait dit, et ils l’auraient mentionné à l’audience bien avant la parution de l’article. Je conclus que ces incohérences, en plus de remettre en cause l’authenticité des documents présentés, minent davantage la crédibilité des demandeurs.

[168] Comme on peut le constater, le commissaire ne conclut pas que [traduction] « chaque organisation criminelle ferait l’objet d’une couverture approfondie dans les médias ». Les demandeurs avaient indiqué être la cible d’un gang [traduction] « célèbre », mais sans produire de reportages dans les médias sur ce gang. Après des jours d’audience, ils ont ensuite produit un rapport selon lequel le gang avait vandalisé leur maison pendant deux ans. Ces incohérences, bien qu’elles ne soient pas déterminantes, [traduction] « remettent en cause l’authenticité des documents présentés [et] minent aussi davantage la crédibilité des demandeurs », comme l’observe le commissaire. La conclusion défavorable quant à la crédibilité dans cette décision est issue d’un processus cumulatif où le commissaire indique clairement que certaines incohérences ont plus de poids que d’autres.

[169] En outre, à ce stade de la décision, les demandeurs ne peuvent plus tout simplement compter sur la présomption de véracité. Les incohérences sont tellement importantes que le commissaire est en droit d’exiger qu’elles soient corroborées et d’examiner attentivement la preuve documentaire qui décrit les incidents que les demandeurs [traduction] « auraient mentionnés [...] à l’audience, bien avant la parution de l’article ».

[170] Le commissaire aborde ainsi les rapports de police :

[traduction]

[42] Un rapport de police soi-disant sur l’incident où [F.P.R.], le père d’[I.P.P.], a eu un accident de voiture a aussi été présenté à une étape tardive de l’instruction. Toutefois, comme il a été indiqué à l’audience, il est qualifié de journaliste dans le rapport, ce qu’il n’a jamais été. [F.P.R.] a indiqué qu’il n’était pas en état de dire une telle chose à quiconque, et qu’il devait s’agir d’une erreur. On a aussi mentionné que le rapport indique qu’il habitait à Tlalnepantla, où il n’a jamais vécu. [F.P.R.] a indiqué qu’il devait s’agir d’une autre erreur. Il a aussi été mentionné à l’instruction que le rapport ne fait pas état [du gang]. [F.P.R.] a maintenu qu’il avait mentionné le gang à plusieurs reprises à la police, qui a écrit ce qu’elle voulait. Ces explications ne sont pas satisfaisantes à mon avis. Il n’est pas logique que la police omette ou modifie au hasard des éléments sur ce qui s’est produit, surtout des éléments aussi banals que l’emploi ou le lieu de résidence de [F.P.R.]. Il semble que le rapport ne correspond tout simplement pas à son récit. Je conclus qu’en plus de remettre en cause l’authenticité des documents présentés, cela mine davantage la crédibilité des demandeurs.

[171] Encore une fois, les incohérences entre ces documents ne sont pas considérées comme déterminantes. Les documents ont été présentés [traduction] « à une étape tardive de l’instruction », au moment où, comme la décision l’indique clairement, les demandeurs ne peuvent plus simplement compter sur la présomption de véracité et que le commissaire a un motif valable d’exiger de présenter des documents pour corroborer les faits. Le document est considéré comme suspect puisque [traduction] « [i]l n’est pas logique que la police omette ou modifie au hasard des éléments sur ce qui s’est produit, surtout des éléments aussi banals que l’emploi ou le lieu de résidence de [F.P.R.]. Il semble que le rapport ne correspond tout simplement pas à son récit » (non souligné dans l’original). L’incohérence n’est pas considérée comme déterminante; elle ne fait que [traduction] « remettre en cause l’authenticité des documents [et] mine aussi davantage la crédibilité des demandeurs ».

[172] Les reporters d’État ici sont les policiers et aucune preuve n’étaye le fait que la mention erronée de l’emploi ou du lieu de résidence d’une personne est un manquement ou une vulnérabilité propre à la police.

6) Conclusions déraisonnables relativement aux possibilités de refuge intérieur

[173] Les plaintes présentées par les demandeurs sur cette question sont les suivantes :

[traduction]

81. [Le commissaire] commet une erreur manifeste et dominante dans l’application du critère pour déterminer l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (possibilité de refuge intérieur) à Mexico pour C.A.A.P., qui est gai. Comme il a été indiqué dans Rasaratnam c Canada, le critère pour déterminer l’existence d’une possibilité de refuge intérieur consiste à se demander s’il y a une possibilité sérieuse que le réel demandeur – et pas toutes les personnes comme le demandeur – soit persécuté dans un endroit, selon la prépondérance des probabilités. Dans la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés, le commissaire a d’abord tiré une conclusion défavorable sur la crédibilité à l’endroit de C.A.A.P. Il a ensuite utilisé cette conclusion pour rejeter l’ensemble du témoignage de C.A.A.P., malgré sa crainte de persécution dans la possibilité de refuge intérieur et sa situation unique attribuable à ses antécédents familiaux. L’application erronée du critère par le commissaire est évidente dans cet extrait de ses motifs : « Étant donné que je ne crois pas les témoignages des demandeurs, pour conclure en faveur de [C.A.A.P.], il me faudrait conclure que tous les gais qui se trouvent dans le district fédéral s’exposent à la persécution ».

[traduction]

82. En outre, la décision rendue par le commissaire sur la question de la possibilité de refuge intérieur est déraisonnable. Les circonstances de personnes dont la situation est semblable à celle du demandeur ne sont que l’un des facteurs qu’il est important de prendre en considération afin de déterminer s’il existe une possibilité sérieuse de persécution pour le demandeur. Dans ses motifs, [le commissaire] fonde sa décision sur la possibilité de refuge intérieur sur les circonstances de personnes dont la situation est semblable à celle de C.A.A.P.

[traduction]

83. En outre, au moment de décider si la crainte de persécution dans la possibilité de refuge intérieur repose sur un fondement objectif, la Section des réfugiés doit prendre en considération la situation personnelle du demandeur, et pas uniquement des éléments de preuve généraux sur d’autres personnes qui y habitent. [Le commissaire] ne mentionne aucunement les raisons de la crainte de C.A.A.P. de déménager dans la possibilité de refuge intérieur, qui se trouve à moins d’une heure de son ancien lieu de résidence. Cette crainte est issue de la distance rapprochée du lieu où [le gang] mène ses activités et la discrimination par la police dont il serait probablement victime s’il devait demander une protection contre [le gang] en raison de son orientation sexuelle.

[traduction]

84. L’appréciation que fait [le commissaire] des éléments de preuve en faveur d’une possibilité de refuge intérieur viable est déraisonnable. L’existence de l’égalité du mariage légitime officiel et d’une culture gaie dans le district fédéral n’atténue pas la possibilité que C.A.A.P. soit malmené par [le gang] et qu’il n’obtienne qu’une faible protection des autorités.

[Notes de bas de page omises; souligné dans l’original.]

[174] Ces plaintes sont toutes déposées à l’encontre des conclusions suivantes tirées par le commissaire :

[traduction]

[48] Même si [C.A.A.P.] habitait en banlieue de Mexico, nos documents portent sur le district fédéral lui-même, le cœur de la ville. J’aborderai donc sa situation en tant que cas de possibilité de refuge intérieur. Je conclus qu’il existe une possibilité de refuge intérieur viable dans le district fédéral. Dans Rasaratnam, la Cour d’appel fédérale a établi un critère à deux volets à utiliser pour déterminer si une possibilité de refuge intérieur est viable :

i) [L]a Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilité de refuge.

ii) En outre, les conditions dans cette partie du pays envisagée comme possibilité de refuge intérieur doivent être telles qu’il ne serait pas déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui sont propres au demandeur d’asile, d’y chercher refuge.

[traduction]

[49] En ce qui concerne le premier volet du critère, le demandeur retournerait à Mexico en passant par l’aéroport du district fédéral, ce qui signifie qu’il n’aurait pas à aller ailleurs au Mexique. L’avocat a effectivement fait valoir que [C.A.A.P.] n’est pas seulement gai, mais qu’il est aussi marié à un partenaire du même sexe, ce qui l’exposerait à un risque de préjudice plus élevé. Je ne vois toutefois pas comment il en serait ainsi puisque le mariage homosexuel est légal dans le district fédéral. Étant donné que je ne crois pas les témoignages des demandeurs, pour conclure en faveur de [C.A.A.P.], il me faudrait conclure que tous les gais qui se trouvent dans le district fédéral s’exposent à la persécution. Comme il a été indiqué plus tôt au sujet du rapport du professeur Rehaag, la situation en ce qui concerne l’orientation sexuelle ne change pas très souvent et elle est généralement positive pour les gais, même s’ils peuvent être victimes de discrimination et d’actes de violence isolés. Comme il a été indiqué à l’instruction, on trouve un district gai dans le district fédéral, des bars ouvertement gais et des politiciens ouvertement gais. Je conclus qu’il n’y a aucune possibilité sérieuse que [C.A.A.P.] soit persécuté dans le district fédéral.

[traduction]

[50] En ce qui concerne le caractère raisonnable du déménagement du demandeur dans le district fédéral, je précise que le seuil que le demandeur doit atteindre pour démontrer que le déménagement dans la possibilité de refuge intérieur proposée serait déraisonnable est relativement élevé. Comme il a été indiqué précédemment, le demandeur serait en mesure de se rendre directement dans le district fédéral. Il déménagerait essentiellement plus près du centre d’une ville où il habitait déjà. Il a avoué à l’audience qu’à part [le gang] et le fait d’être gai, il n’aurait aucune difficulté à y vivre.

[Renvois omis.]

[175] Comme il est clairement indiqué dans les présents motifs, le commissaire a appliqué le critère adéquat et a pris en considération les circonstances particulières de C.A.A.P. Il incombait à C.A.A.P. d’établir que la possibilité de refuge intérieur désignée n’était pas sécuritaire ou raisonnable, ce qu’il n’a pas réussi à faire pour les motifs exposés par le commissaire. À mes yeux, le commissaire n’a pas traité cette question de manière inadéquate ou déraisonnable.

7) Conclusions sur le caractère raisonnable

[176] Les demandeurs doivent garder à l’esprit que selon le droit canadien, le commissaire n’a pas à tirer des conclusions [traduction] « correctes » sur la crédibilité et la Cour ne peut tout simplement pas substituer sa propre opinion à celle du commissaire. Même si j’étais moi-même parvenu à des conclusions différentes, les conclusions sur la crédibilité n’auraient pas été déraisonnables pour autant.

[177] Pour être raisonnables, les conclusions sur la crédibilité et la possibilité de refuge intérieur doivent posséder « la justification, la transparence et l’intelligibilité » et appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.

[178] J’estime que les motifs et les conclusions du commissaire sur la crédibilité et la possibilité de refuge intérieur sont justifiables, transparents et intelligibles. Les conclusions sur la crédibilité se fondent sur des incohérences importantes et cumulatives dans les éléments de preuve présentés par les demandeurs et pour lesquelles ils n’ont pas pu fournir d’explications raisonnables. Pour parvenir à ses conclusions sur la crédibilité, le commissaire a pris en considération les longs laps de temps entre les événements allégués et le témoignage des demandeurs, les circonstances dans lesquelles les notes ont été prises au PDE et les FRP ont été remplis, les preuves médicales présentées concernant les tensions et autres difficultés entourant la présentation des éléments de preuve et les difficultés inhérentes au fait de témoigner.

[179] Le fait que les demandeurs n’allèguent pas dans leurs observations que le commissaire a commis des erreurs de fait ou que les incohérences qu’il a relevées dans les éléments de preuve n’existent pas en dit beaucoup. Ils avancent comme argument que les incohérences ne sont pas importantes ou qu’elles peuvent s’expliquer par le passage du temps ou les conditions dans lesquelles les témoignages ont été donnés. C’est comme si l’on demandait à la Cour de faire obstacle à l’expertise du commissaire pour déterminer la crédibilité, ce que la Cour s’est souvent montrée réticente à faire. Dans Rahal, précité, après avoir examiné la jurisprudence pertinente, la juge Gleason a résumé la position de la Cour ainsi :

[60] Aucun de ces points ne justifie l’intervention de la Cour. J’estime que la Cour ne doit pas intervenir pour infirmer des conclusions relatives à la crédibilité et à l’identité si la décision de la Commission s’appuie sur des éléments de preuve, si les motifs invoqués par la Section de la protection des réfugiés pour justifier ses conclusions (qui ne sont pas manifestement spécieuses) ne sont pas des généralisations et s’il n’y a pas d’incohérence patente entre la décision de la Commission et la force probante de la preuve au dossier. Il importe peu que les motifs de la Section de la protection des réfugiés ne soient pas parfaits ou même que la Cour soit en accord avec la conclusion, ou encore avec chaque étape du processus d’analyse de la crédibilité suivi par la Section de la protection des réfugiés. La jurisprudence établit que l’appréciation de la crédibilité se situe au cœur même des attributions que le législateur a conférées à la Section de la protection des réfugiés.

[180] Les demandeurs peuvent être en désaccord avec les conclusions tirées par le commissaire, et c’est inévitablement le cas avec de nombreuses conclusions défavorables sur la crédibilité. Ils n’ont toutefois pas établi que ces conclusions n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

C. Crainte raisonnable de partialité

[181] Il n’est pas contesté par les parties que pour établir une crainte raisonnable de partialité, les demandeurs doivent établir qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique conclurait, selon toute vraisemblance, que le décideur ne rendrait pas une décision juste. La jurisprudence existante indique aussi clairement que les motifs doivent être sérieux et que le critère ne doit pas être appliqué du point de vue d’une « personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ». Voir Committee for Justice, précité, à la page 395, et Wewaykum, précité, au paragraphe 76.

[182] Il est également évident qu’une allégation de partialité doit être étayée par des éléments probants et qu’elle ne peut reposer « sur de simples soupçons, de pures conjectures ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son avocat ». Voir Arrachch, précité, au paragraphe 20, et Luzbet, précité, au paragraphe 9.

[183] Dans Geza, précité, le juge Campbell de notre Cour a formulé les commentaires qui suivent sur cette question :

[16] Dans Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369, à la page 394, le juge de Grandpré a énoncé le critère applicable à une crainte raisonnable de partialité dans les termes suivants :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait un [sic] personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

Le critère reconnaît l’importance de l’impartialité qui, en common law, « désigne un état d’esprit ou une attitude du tribunal vis-à-vis des points en litige et des parties dans une instance donnée. Le terme « impartial » [...] connote une absence de préjugé, réel ou apparent » (le juge Le Dain dans l’arrêt Valente c La Reine, [1985] 2 RCS 673, à la page 685, cité dans l’arrêt Bell Canada c Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 RCS 884, au paragraphe 18). L’impartialité et l’apparence d’impartialité sont fondamentales non seulement pour pouvoir rendre justice dans un cas donné, mais aussi pour assurer la confiance d’un individu comme du public dans l’administration de la justice (Valente, page 689).

[17] Les demandeurs ne contestent pas le critère applicable à une crainte raisonnable de partialité; toutefois, ils contestent le niveau de preuve exigé pour être en mesure de conclure que le critère a été respecté. Ils font valoir que, pour prouver leurs arguments fondés sur la partialité, il leur suffit de démontrer l’existence de motifs raisonnables. Je n’accepte pas cet argument.

[18] La jurisprudence indique clairement que les motifs de crainte doivent être sérieux (voir Committee for Justice and Liberty, page 395; R. c R.D.S., [1997] 3 RCS 484, aux paragraphes 31 et 112). Comme le juge Cory le notait au paragraphe 112 dans R.D.S., la jurisprudence appuie la prétention selon laquelle une réelle probabilité de partialité doit être démontrée par opposition à un simple soupçon (voir également Bell Canada c L’Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 RCS 884, aux paragraphes 17, 18 et 50).

[184] Même si la Cour d’appel fédérale a finalement annulé l’application de ces principes aux faits par le juge Campbell dans Geza, ses commentaires sur le critère pour déterminer la crainte raisonnable de partialité n’ont pas été critiqués. Voir Kozak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 124.

[185] En l’espèce, il est impossible de séparer totalement la question de la crainte raisonnable de partialité de mes conclusions sur le caractère raisonnable. En effet, les demandeurs doivent démontrer qu’il est fort probable qu’une décision qui semble raisonnable à première vue est néanmoins une décision viciée. Le demandeur tente d’arriver à cette fin de plusieurs façons.

1) Prédisposition à ne pas croire les demandeurs

[186] Les demandeurs indiquent que les conclusions quant à la crédibilité tirées par le commissaire démontrent une prédisposition à ne pas les croire :

[traduction]

46. L’approche adoptée par [le commissaire] pour interroger les demandeurs se concentrait « sur une infinité de détails, manifestement avec l’objectif de le[s] faire « craquer ». Il semblerait que le commissaire est parti de la thèse selon laquelle les demandeurs mentaient, ce qui a perturbé la perception d’impartialité et qui contrevient directement à la présomption de véracité du témoignage de vive voix.

[Renvois omis.]

[187] Il est révélateur que les demandeurs ne citent aucun exemple précis pour justifier ces simples affirmations. Après ma lecture du dossier, il me semble que le commissaire s’est acquitté du fardeau qui lui incombait d’évaluer la véracité du témoignage des demandeurs qui a été remise en cause par les incohérences importantes dans leur récit d’aspects importants de l’exposé circonstancié qui jetait le fondement de leur revendication. Et j’ai déjà conclu que les conclusions du commissaire étaient raisonnables.

2) Se fonder à tort sur des connaissances spécialisées

[188] Les demandeurs déposent aussi la plainte suivante :

[traduction]

47. En outre, [le commissaire] s’est fondé à tort sur des connaissances spécialisées en contradiction avec les faits présentés en preuve pour tirer des conclusions inéquitables et injustes sur la crédibilité. Contrairement à l’article 22 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, [le commissaire] n’a pas donné aux demandeurs la possibilité de présenter des éléments de preuve ou de formuler des observations sur la fiabilité et l’utilisation de son opinion.

[Renvois omis.]

[189] Les [traduction] « connaissances spécialisées » auxquelles on fait référence ici sont le fait que [traduction] « les médias mexicains consacrent une partie importante de leur couverture aux gangs et à leurs activités » et que les demandeurs sont souvent en mesure de présenter des rapports médicaux pour les traitements reçus au Mexique. J’aborde cette question aux paragraphes 217 à 219 des présents motifs. Selon moi, le commissaire ne se fonde pas de manière irrégulière sur des connaissances spécialisées.

3) Accusation sans fondement de se dire quoi dire

[190] Les demandeurs affirment aussi ce qui suit :

[traduction]

49. Les accusations sans fondement faites par [le commissaire] selon lesquelles les demandeurs se disaient quoi dire pour mentir témoignaient aussi de sa prédisposition à ne pas croire les demandeurs. Au moindre dérangement, par exemple, une toux, et malgré les précisions fournies par l’avocat, le commissaire concluait à tort que les demandeurs se disaient quoi dire, ce qui témoigne de sa méfiance à leur endroit et de son attitude fermée en ce qui concerne la véracité de l’allégation.

[Renvoi omis.]

[191] À l’appui de cette allégation, les demandeurs renvoient la Cour à l’affidavit de F.A.M.L., pièce « A », aux pages 108 à 110, qui indique ce qui suit, à la partie pertinente :

[traduction]

Commissaire : J’observe que quelqu’un a parlé dans le fond de la salle entre le moment où vous avez dit les deux autres personnes et l’autre personne.

Interprète : Noté, dice, que alguien habló atrás en la sala cuando usted dijo, eh, yo entendí, los otros sujetos y alguien habló. [J’ai observé, dit-il, que quelqu’un dans le fond de la salle a parlé quand vous avez dit, euh, j’ai compris, les autres personnes et quelqu’un a parlé]

Commissaire : Je l’ai mentionné à plusieurs reprises.

Interprète : Lo he dicho esto ya varias veces. [Je l’ai déjà mentionné à plusieurs reprises]

Commissaire : Quand une personne parle au fond de la salle,

Interprète : Cuando alguien, dice, habla atrás de la sala. [Quand quelqu’un, dit-il, parle au fond de la salle.]

Commissaire : on pourrait croire que vous essayez de dire au demandeur qui témoigne ce qu’il doit dire.

Interprète : Esto daría la apariencia de que la intención es el de tratar de darle, dice, ayuda a la persona que está dando testimonio. [Cela donne l’impression que votre intention, dit-il, est d’aider la personne qui témoigne.]

Commissaire : Dans ce cas, le témoignage a effectivement changé.

Interprète : En este caso, dice, el testimonio cambió [Dans ce cas, dit-il, le témoignage a changé]

Commissaire : sur un élément assez essentiel.

Interprète : En un punto, dice, muy básico. [Sur un élément essentiel, dit-il]

Commissaire : Entre le moment où le demandeur a parlé pour la première fois

Interprète : Entre el momento de que el peticionario había, dice, hablado [Entre le moment où le demandeur a parlé, dit-il]

Commissaire : il y a eu une interruption

Interprète : Hubo una interrupción [Il y a eu une interruption]

Commissaire : et le témoignage a changé par la suite.

Interprète : Y luego el testimonio cambió. [et le témoignage a été différent par la suite.]

Commissaire : Cela n’est pas utile.

Interprète : Esto, dice, - [Cela, dit-il, -]

Avocat (interruption) : Je -

Interprète : - no contribuya a nada. [- n’aide en rien.]

Avocat : Je ne crois pas que cela se soit produit. Je crois que si [...] si je ne me trompe pas, je crois qu’[I.P.P.] corrigeait un élément de l’interprétation. Et je crois que le son qui provenait du fond de la salle était [...] était [D.P.P.] qui toussait en raison de son asthme.

Interprète : Creo que se hizo una corrección de la interpretación pero creo que atrás hubo un ... fue la persona que tiene asma quien tosió. [Je crois qu’une correction a été apportée à l’interprétation, mais je crois qu’il y avait [...] c’est la personne souffrant d’asthme qui toussait.]

[Commissaire] : Eh bien, ce n’est pas l’impression que j’ai nécessairement eue. Toutefois, j’avertis tout le monde -

Interprète (interruption) : Eso no fue la impresión que yo recibí [Ce n’est pas l’impression que j’ai eue]

Commissaire : J’avertis tout le monde. Je ne tente pas de limiter la toux.

Interprète : Bien. Quiero advertir a todos aquí, no tenemos problemas con toser. « Pas de problème. Je tiens à avertir tous ici présents, nous n’avons aucun problème avec la toux]

Commissaire : J’aimerais toutefois entendre ce que le demandeur qui témoigne a à dire.

Interprète : Pero quiero que el testigo diga algo si tiene que decir algo al respecto. [Je veux toutefois que le témoin parle s’il a quelque chose à dire à ce sujet.]

[Commissaire] : Donc, pourrions-nous poursuivre, monsieur?

[192] Le dossier indique qu’I.P.P. ne faisait effectivement que corriger une erreur de l’interprète, mais il s’agit tout de même d’un avertissement raisonnable, qui vise à préserver la valeur du témoignage des demandeurs. Le commissaire a le devoir de s’assurer que le témoignage du témoin correspond à sa propre version des événements et qu’il n’est pas incité à dire autre chose. Cela est d’autant plus important dans un contexte où l’on trouve de multiples demandeurs, qui se fondent tous sur les témoignages d’autres demandeurs et qui ne comprennent peut-être pas que, pour être convaincant, un témoignage doit être spontané et non sollicité. En raison de facteurs culturels, il est aussi important que les demandeurs le comprennent. Le commissaire mentionne que les interruptions peuvent donner l’impression que l’on essaie de dire au témoin ce qu’il doit dire. Les demandeurs peuvent bien croire que le commissaire affichait sa méfiance à l’égard de leurs témoignages, mais une crainte raisonnable de partialité ne peut reposer sur des impressions personnelles. À mon avis, une personne sensée et raisonnable qui se pencherait objectivement sur la situation comprendrait que le commissaire tenait tout simplement à protéger l’intégrité du témoignage du demandeur.

4) Rejet des requêtes en récusation sans les examiner de manière satisfaisante

[193] La plainte des demandeurs sur ce point est la suivante :

[traduction]

50. Une personne raisonnable verrait le fait que le commissaire ne répond pas aux demandes de récusation présentées par l’avocat des demandeurs comme un mépris et un préjugé à l’endroit des demandeurs. Le commissaire a refusé de se récuser après que l’avocat des demandeurs a présenté leurs deux premières demandes, en octobre 2011. Le commissaire n’a jamais répondu directement aux demandes subséquentes de récusation. L’attitude méprisante affichée par le commissaire et son défaut manifeste de prendre les demandes au sérieux et d’y répondre en temps utile contribuent à donner une impression plus grande qu’il ne faisait preuve d’aucune ouverture d’esprit à l’égard des demandes présentées par les demandeurs.

[Renvoi omis.]

[194] Le refus du commissaire de se récuser ne constitue pas en soi une preuve de partialité. En outre, le commissaire répond bel et bien aux demandes de récusation, parce qu’il les examine en profondeur dans la décision, où il est évident qu’il les prend très au sérieux. Je ne vois pas en quoi cela démontre que le commissaire n’avait pas l’esprit ouvert. On semble invoquer comme argument que puisque le commissaire ne s’est pas récusé à la demande des demandeurs (six demandes ont été présentées), cela prouvait qu’il n’avait pas l’esprit ouvert. En réalité, cela indique que le commissaire n’était pas convaincu du fait que les demandeurs avaient établi des motifs suffisants de récusation, ce qu’il explique entièrement dans la décision.

5) Délai excessif

[195] Les demandeurs invitent aussi la Cour à considérer le délai excessif comme une preuve de crainte raisonnable de partialité.

[traduction]

52. Le défaut du commissaire de tenir les audiences et de rendre une décision dans un délai raisonnable est un autre facteur qui contribue à donner l’impression à une personne raisonnable que le commissaire n’a pas pris les demandes au sérieux.

53. L’avocat des demandeurs a demandé à plusieurs reprises d’obtenir des explications sur le délai excessif et a réitéré les séquelles physiques et psychologiques des instances sur les demandeurs, comme il est indiqué plus haut. Le commissaire n’a pas fourni de réponse ou d’explication directes.

54. Selon l’interprétation qu’en font les demandeurs, le délai excessif témoigne du manque de respect du commissaire à leur endroit et de son scepticisme à l’égard de leur situation. Selon les Directives concernant les personnes vulnérables, la CISR a l’obligation de trancher tous les cas « sans formalisme et avec célérité », dans la mesure où les circonstances le permettent. Les Directives indiquent aussi que l’on peut accorder un traitement prioritaire aux demandeurs, le cas échéant, en mentionnant le fait que « l’incertitude et l’anxiété que causent les délais peuvent s’avérer particulièrement préjudiciables à certaines personnes vulnérables ».

[Renvois omis.]

[196] Si, [traduction] « selon l’interprétation qu’en font les demandeurs, le délai excessif témoigne du manque de respect du commissaire à leur endroit et de son scepticisme à l’égard de leur situation », cela ne signifie pas pour autant qu’une personne objective et bien renseignée qui étudierait la question de façon réaliste aurait la même interprétation. La véritable question consiste à se demander si le délai dans ce cas était excessif, ce à quoi je répondrai ci-dessous; un délai fondé sur ces faits ne sous-entend toutefois pas un [traduction] « manque de respect du commissaire [à l’endroit des demandeurs] et un scepticisme à l’égard de leur situation ». De nombreux facteurs ont contribué au délai avant et pendant l’instruction, mais aucune personne raisonnable ne conclurait que la partialité en faisait partie.

6) Les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et les Directives sur les personnes vulnérables

[197] Les demandeurs soulèvent plusieurs questions sous ce thème :

[traduction]

55. Les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et les Directives sur les personnes vulnérables confèrent à la CISR le pouvoir de mettre en place des adaptations d’ordre procédural. Le défaut d’appliquer concrètement les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe constitue une erreur susceptible de révision. En l’espèce, il s’agit d’une autre indication selon laquelle le commissaire n’a pas pris les traumatismes subis par les demandeurs au sérieux.

56. [Le commissaire] n’a pas accédé à la demande présentée par les demandeurs le 13 octobre 2011 de se récuser, conformément aux Directives sur les personnes vulnérables. Les demandeurs avaient pourtant présenté le témoignage d’un expert selon lequel la composition du tribunal mettait en péril leur santé physique et mentale, sans compter qu’ils avaient peur du commissaire et qu’ils étaient terrorisés à l’idée de témoigner devant lui. Il a indiqué qu’il ne « voyait pas en quoi le fait de changer de commissaire contribuera à quoi que ce soit ». Il a mentionné que tous les commissaires et fonctionnaires suivent une formation continue concernant les demandeurs qui éprouvent « des problèmes de santé mentale et d’autres problèmes délicats. » Il a indiqué que tous les commissaires de la CISR sont des « figures d’autorité » et qu’il est reconnu publiquement que bon nombre d’entre eux ont de faibles taux d’acceptation, ce qui signifie qu’un changement de commissaire ne réglera aucun des problèmes décrits.

57. [Le commissaire] a fait preuve d’un manque grave de sensibilité et d’une étroitesse d’esprit chronique à l’égard de l’exposé circonstancié des demandeurs quand il a questionné L.M.P.A. sur l’agression sexuelle dont elle a été victime. Le commissaire a interrogé L.M.P.A. sans relâche à propos de ses interactions avec la police quelques instants après avoir été victime d’une agression sexuelle. Elle a dit à maintes reprises au commissaire que ce sujet faisait qu’il était [traduction] « extrêmement difficile pour moi de penser », qu’il était [traduction] « de nature très délicate » pour elle et pour son mari, ce qui explique qu’elle se limitait à répondre aux questions posées. Même si L.M.P.A. a indiqué ne pas se sentir à l’aise de parler de ce sujet délicat, qu’il était difficile pour elle d’y penser et qu’elle a expliqué pourquoi certains détails avaient été omis, [le commissaire] a poursuivi avec ce questionnement, en la harcelant pour qu’elle explique pourquoi elle n’avait pas donné plus de détails plus tôt sur la réponse de la police à son agression sexuelle. Dans sa décision, [le commissaire] a écrit que puisqu’elle avait divulgué des détails sur son agression sexuelle à l’agent d’immigration et dans son FRP, il ne s’agissait pas d’une femme qui pourrait être réticente à [traduction] « parler de détails intimes sur l’agression elle-même ».

[Renvois omis.]

[198] J’estime que les affirmations des demandeurs ici ressemblent beaucoup à un cas inventé après coup, qui ne tient pas compte des éléments de preuve contemporains.

[199] D’abord et avant tout, le commissaire n’a pas fait preuve d’insensibilité quand il a questionné L.M.P.A. sur son agression sexuelle. Comme le commissaire l’indique clairement dans la décision, il n’a pas questionné L.M.P.A. sur les détails de l’agression. Il a à peine demandé à obtenir une explication sur l’incohérence relative à la participation de la police :

[traduction]

[32] Dans la version définitive de l’exposé circonstancié de [L.M.P.A.], à la page 173, on indique que, pendant l’incident au cours duquel elle a été violée devant son mari et son fils [A.P.P.], la police collaborait en réalité avec les auteurs de l’agression. Toutefois, comme il a été mentionné à l’audience, on indiquait tout simplement dans le FRP initial que les demandeurs avaient parlé à la police, sans mentionner que cette dernière avait joué un rôle. [L.M.P.A.] a indiqué que de nombreux souvenirs lui sont revenus pendant sa thérapie et qu’elle a tenté de le cacher à ses enfants. L’avocat s’est opposé à ce que l’on pose des questions sur les détails entourant l’agression sexuelle. J’ai rejeté cette objection puisque ce ne sont pas les détails de l’agression en soi qui faisaient l’objet de questions, que [L.M.P.A.] avait divulgué l’agression sexuelle immédiatement à son arrivée au Canada et l’avait aussi déclaré dans le FRP initial et qu’elle avait précisément indiqué avoir parlé à la police. [L.M.P.A.] a indiqué que c’est en raison de cet incident qu’elle a eu de la difficulté à parler à la police par la suite. Ces explications ne sont pas satisfaisantes à mon avis. Je peux comprendre qu’une femme puisse se montrer réticente à divulguer avoir été victime d’une agression sexuelle ou à parler de détails intimes sur l’agression elle-même. Il ne s’agit toutefois pas de l’un de ces cas. [L.M.P.A.] a divulgué l’affaire à l’agent d’immigration dès son arrivée et à une autre reprise dans le FRP initial. Comme je l’ai indiqué, on mentionne précisément la police dans le FRP initial en ce qui concerne cet incident, quoique de façon peu inquiétante. Il est donc évident que [L.M.P.A.] portait son attention sur la police. Les directives pour remplir l’exposé circonstancié du FRP sont claires : s’il y a une raison quelconque au fait de ne pas avoir demandé la protection des autorités, il faut l’indiquer. [L.M.P.A.] a indiqué que c’est la participation de la police à cet incident qui l’a amenée à ne plus faire confiance aux autorités par la suite. Je conclus que dans ces circonstances, si la police avait réellement été impliquée dans l’incident de façon inquiétante, l’exposé circonstancié initial l’aurait indiqué. Je conclus que cette absence d’indication mine encore plus la crédibilité des demandeurs.

[200] Autrement dit, le commissaire se concentrait sur la raison pour laquelle L.M.P.A. n’avait pas demandé la protection des autorités et non sur l’agression elle-même. L’avocat des demandeurs avait déjà interrogé L.M.P.A. sur ses interactions avec la police. Voir le DCT, aux pages 5632 à 5634. En outre, le commissaire a indiqué clairement qu’il n’avait pas l’intention d’entrer dans les détails de l’agression puisqu’il la considérait comme une [traduction] « affaire délicate », voir le DCT, aux pages 5678 à 5683. L.M.P.A. a indiqué elle-même qu’elle pourrait répondre à ces questions et, vu les préoccupations de son avocat, elle rassure le commissaire en lui disant [traduction] « Je vous remercie de la façon dont vous me traitez et dont vous agissez avec moi. Je savais que l’on me poserait de nombreuses questions; ce n’est pas facile à vivre. C’est difficile de tout décrire ». Ce à quoi le commissaire répond [traduction] « Merci madame », avant de passer à un autre sujet. Voir le DCT, à la page 5683, lignes 14 à 26.

[201] Cela ne ressemble pas à un [traduction] « manque grave de sensibilité » à mes yeux. Je ne vois pas non plus de preuve de [traduction] « harcèlement ». Il est évident que L.M.P.A. trouvait difficile de répondre aux questions, mais elle ne considérait manifestement pas le commissaire comme la cause de ces difficultés.

[202] En ce qui concerne les Directives sur les personnes vulnérables, les demandeurs ne tiennent aucunement compte des nombreux efforts d’adaptation mise en œuvre par le commissaire afin d’apaiser leurs préoccupations. Après examen du dossier, on constate que le commissaire, pour apaiser les tensions que subissaient les demandeurs, a permis de prendre des pauses fréquentes et de commencer par le questionnement de l’avocat, a permis à une personne de soutien de s’asseoir à côté des demandeurs, n’a pas posé de questions sur les détails entourant l’agression sexuelle dont L.M.P.A. a été victime, a offert d’installer une télévision en circuit fermé pour suivre le déroulement de la procédure de l’extérieur de la salle d’audience et a demandé à maintes reprises à l’avocat si d’autres mesures d’adaptation pouvaient être prises pour aider les demandeurs. En outre, des ajournements et des prorogations ont été accueillis à répétition, à la demande de l’avocat.

[203] Selon moi, la plainte véritable des demandeurs résidait dans le fait que le commissaire aurait dû se récuser, non en raison de la manière dont il a géré les audiences, mais bien parce qu’ils le considéraient comme une personne qui, en raison de ses antécédents, n’accueillerait probablement pas leurs demandes. Dans la présente demande de contrôle judiciaire, ils indiquent se sentir pris au piège compte tenu des statistiques produites sur les antécédents du commissaire. J’aborderai ces statistiques de façon assez détaillée plus loin; pour l’instant, je crois qu’aucune preuve n’étaye une crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire en ce qui concerne la façon dont il a géré la planification des audiences ou les audiences elles-mêmes.

7) Conduite pendant les audiences

[204] À cet égard, les demandeurs font maintenant les affirmations suivantes :

[traduction]

58. Le rôle du commissaire lui exige de faire preuve « d’une probité et d’une intégrité exemplaires », ainsi que « d’impartialité et d’ouverture d’esprit. » Les commissaires doivent « écarter toute suggestion que le Canada n’est pas ouvert à la réception des réfugiés. » Une personne raisonnable qui examinerait la conduite générale du commissaire pendant les audiences remettrait en question son impartialité et son ouverture d’esprit.

59. Lorsqu’il questionne des demandeurs d’asile, un commissaire doit afficher une attitude neutre et respectueuse. Un commissaire ne peut intervenir dans un témoigne en manquant de respect. [Le commissaire] n’a pas affiché l’attitude neutre ou respectueuse requise à l’endroit des demandeurs et n’a pas respecté son rôle de décideur impartial. À titre d’exemple, [le commissaire] a mentionné de manière impertinente et inutilement agressive que la thérapeute familiale des demandeurs, [la thérapeute familiale], pourrait avoir commis une infraction provinciale en se prononçant sur l’état mental du client.

60. Les demandeurs ont été gênés dans leurs témoignages par le ton perçu [du commissaire] et ses critiques, ainsi que les accusations qu’il a formulées à l’endroit des demandeurs et de leurs avocats à plusieurs occasions. Selon I.P.P., [le commissaire] était « insensible, inhumain (pas un soupçon d’humanité dans ce qu’il faisait), aucunement objectif et cruel ». La Dre Freire, dans son évaluation psychiatrique d’I.P.P., a parlé de son expérience avec [le commissaire] quelle a qualifiée de « déshumanisante », « humiliante » et « sans aucune considération pour les expériences qui mettaient en danger la vie des membres de la famille au Mexique. »

[Renvois omis.]

[205] Voici les commentaires formulés par le commissaire sur [la thérapeute familiale] :

[traduction]

COMMISSAIRE : Oh, s’il vous plaît, oui. Merci beaucoup. Bon. C’était l’un des éléments. Revenons maintenant à vous, Mme Stothers. Je passe tout simplement en revue certaines des ... des questions que j’avais relevées. La dernière fois, nous avions entre autres parlé de nombreux rapports d’Asami Asan (ph) [sic] qui nous avaient été présentés, dans lesquels elle avait diagnostiqué divers troubles psychiatriques chez plusieurs des demandeurs. Et dans les qualifications qu’elle avait énumérées dans ses lettres, aucune n’indiquait qu’elle détenait un permis pour procéder à de tels diagnostics dans la province de l’Ontario.

AVOCAT NO 1 : D’accord. Bien, en premier lieu, je ... après lecture de ces rapports, je constate qu’elle présente des observations cliniques sur certains symptômes qu’elle ... elle observe chez les clients pendant ses séances avec eux. Je ne crois donc pas qu’elle établissait un diagnostic.

COMMISSAIRE : Je ne suis pas de cet avis. Elle affirme que plusieurs demandeurs se trouvaient dans un état de stress post-traumatique et qu’ils souffraient de plusieurs autres affections. C’est ... c’est un diagnostic et donc un élément sur lequel nous comptons nous appuyer. Il s’agit d’une infraction provinciale.

AVOCAT NO 1 : Oui, j’ai pris en note les commentaires que vous avez formulés la dernière fois. Je devrai récupérer ses rapports et les examiner plus attentivement parce que, je veux dire...

COMMISSAIRE : Détient-elle un permis?

AVOCAT NO 1 : Non, elle n’en détient pas. Elle n’est ni psychologue ni psychiatre. Elle est thérapeute. Il n’existe aucun organe de réglementation pour les thérapeutes au Canada à l’heure actuelle. Elle est membre de l’American Association of Marriage and Family Therapists.

COMMISSAIRE : Je comprends, mais ma question est la suivante : est-elle membre de l’un des collèges de l’Ontario, qui vous permet de...

AVOCAT NO 1 : Non.

COMMISSAIRE : ...faire des diagnostics...

AVOCAT NO 1 : Non.

COMMISSAIRE : [...] psychiatriques?

AVOCAT NO 1 : Non, elle ne l’est pas. Elle ne l’est pas.

COMMISSAIRE : Eh bien, comme je l’ai dit, il semble s’agir, à première vue, d’une infraction provinciale. C’est ce qui a pu se produire en agissant de la sorte. À un niveau plus pratique, toutefois, le poids accordé à ces rapports sera rajusté en conséquence. Parce que si une personne qui ne détient pas de permis pour faire un diagnostic prétend le faire, ce qui tend à modifier le poids que l’on accorderait par ailleurs à ce diagnostic qu’une personne qui ... qui détient un permis pour le faire.

AVOCAT NO 1 : D’accord, si ... puis-je formuler quelques commentaires?

COMMISSAIRE : Bien sûr.

AVOCAT NO 1 : Donc, je ... quand ... quand vous évaluez le poids que vous accorderez à ses rapports, je vous demanderais de prendre en considération la période pendant laquelle elle a été conseillère auprès de cette famille et le fait qu’elle a une véritable relation de conseillère avec la famille. Il existe une relation professionnelle authentique avec la famille. Je vous demanderais de prendre en considération son expérience en tant que thérapeute auprès de réfugiés et de personnes qui subissent des traumatismes. Cette expérience, je ne la répéterai pas. C’est indiqué dans ... dans son rapport.

COMMISSAIRE : Bien, je suis certain que quelle que soit l’expérience qu’elle possède, elle sera prise en considération; toutefois, comme je l’ai mentionné, ce n’est pas la même chose que le fait de compter sur une personne qui détient un permis pour faire un diagnostic ... faire un diagnostic.

[DCT, aux pages 5505 et 5506, non souligné dans l’original.]

[206] Il s’agit d’un échange entre le commissaire et l’avocat des demandeurs sur les éléments de preuve présentés par [la thérapeute familiale]. On ne s’inquiète manifestement pas de savoir si une infraction provinciale a été commise, mais plutôt de savoir si [la thérapeute familiale] est qualifiée pour présenter un diagnostic en preuve. L’échange entre le commissaire et l’avocat ne montre pas qu’il a été irrespectueux à l’égard des demandeurs ou qu’il manquait d’impartialité. En formulant son commentaire sur l’infraction provinciale, le commissaire veut manifestement souligner sa préoccupation à l’avocat des demandeurs selon laquelle [la thérapeute familiale] ne peut être une experte qualifiée. L’avocat ne semble avoir aucun problème à comprendre que c’est de cela qu’il s’agit. Il ne se plaint pas d’intimidation ou d’impartialité; il répond à la véritable question qui préoccupe le commissaire.

[207] Les demandeurs affirment maintenant avoir été [traduction] « gênés » dans leurs témoignages en raison du ton perçu du commissaire ainsi que de ses critiques et des accusations envers eux et leur avocat. Aucun élément de preuve contemporain n’est cité à cette fin et aucune explication n’est fournie sur ce que les demandeurs se sont sentis « gênés » de dire. Les extraits de l’évaluation de la Dre Freire sur lesquels se fondent les demandeurs ont été rédigés après-coup, sans compter qu’ils n’expliquent pas comment ou pourquoi, par exemple, les deux avocats et l’APR, qui étaient tous à l’audience, n’ont jamais été témoins, [traduction] « selon eux, de cas de comportement inapproprié » (décision, au paragraphe 4). Selon le dossier, la Dre Freire semble se fonder sur son entrevue avec I.P.P., dans laquelle il décrivait ses souvenirs relatifs à son témoignage devant la Section de la protection des réfugiés. L’évaluation de la Dre Freire se fonde principalement sur une entrevue réalisée avec I.P.P. le 4 juillet 2016. La Dre Freire a reçu les FRP originaux et modifiés, ainsi que d’autres évaluations psychiatriques, mais elle n’a pas examiné les transcriptions de l’audience. Le document contemporain le plus pertinent qu’on lui a remis est une lettre envoyée par [la thérapeute familiale] au commissaire en date du 11 octobre 2011 (DCT, aux pages 645 à 647, onglet 2, documents supplémentaires). Je précise que la lettre de [la thérapeute familiale] a été rédigée après que les demandeurs ont eu connaissance du [traduction] « taux d’acceptation nul » déclaré du commissaire en prévision de la reprise des audiences et après qu’ils ont présenté leur première demande de récusation, le 13 octobre 2011. Les extraits qui suivent du rapport de la Dre Freire sont tirés de son résumé des souvenirs d’I.P.P. : [traduction] « En somme, [I.P.P.] a décrit son expérience pendant l’audience devant la Section de la protection des réfugiés comme déshumanisante, humiliante et sans aucune considération pour les expériences qui mettaient en danger la vie des membres de la famille au Mexique, qui ont finalement été écartées et niées ([traduction] « mensonges fabriqués de toutes pièces »). »

[208] Les demandeurs affirment que le commissaire a aussi cherché à mettre en doute leurs éléments de preuve en menaçant d’assigner leur ancien avocat à témoigner à l’audience.

[209] Le commissaire a demandé à l’avocat des demandeurs si l’ancien avocat allait [traduction] « être un témoin »? Cette question a donné lieu à l’échange suivant :

[traduction]

AVOCAT NO 1 : Je ne prévois pas l’appeler en tant que témoin. Nous avons sa réponse par écrit.

COMMISSAIRE : Oui, mais nous n’avons pas sa réplique à la réponse des demandeurs. Elle ne lui a jamais été présentée.

[traduction]

AVOCAT NO 1 : D’accord. Elle l’a envoyée aujourd’hui. Je, je ne suis pas certain du fonctionnement de la procédure du Barreau quant à savoir si on lui donnera l’occasion de présenter une autre réplique lorsque... si le Barreau rendra une décision.

AVOCATE NO 2 : Je ne crois pas non plus qu’il pourrait être témoin pour des raisons de confidentialité.

AGENT DE PROTECTION DES RÉFUGIÉS : Je suis désolé, je ne vous ai pas entendu.

AVOCATE NO 2 : Je ne crois pas qu’il pourrait être un témoin en raison de la confidentialité liée au secret professionnel. Il peut se défendre devant le Barreau, mais j’ignore si l’on peut lui ordonner de témoigner...

COMMISSAIRE : En réalité, il le peut.

AVOCATE NO 2 : [...] en lien avec un ancien client.

COMMISSAIRE : Et je l’ai déjà fait. Nous avons le pouvoir de délivrer des assignations à comparaître ici; d’ailleurs, dans plusieurs audiences devant moi, il est arrivé que des avocats ne s’entendaient pas sur l’évolution des choses. Une fois que le demandeur indique être en désaccord avec ce qui est survenu, il renonce au secret professionnel et c’est le demandeur qui a le privilège d’y renoncer, pas l’avocat. Une fois que l’on a renoncé à ce privilège, comme le demandeur l’a fait en l’espèce, il est possible de citer à comparaître et [l’ancien avocat] peut être appelé à témoigner ici. Il peut aussi tout simplement comparaître de son propre chef, pas (inaudible) fin d’une citation à comparaître. Toutefois, le fait de dire non, c’est ainsi que les choses se sont passées et si vous êtes en désaccord, alors entendons votre version, et il peut témoigner.

J’ai d’ailleurs présidé plusieurs affaires du genre. Comme je n’ai pas lu la réplique des demandeurs, évidemment, quant à savoir dans quelle mesure ils sont ou non en désaccord avec ce qu’il affirme ou s’il ne s’agit que d’une différence d’interprétation, je l’ignore. Je ne l’ai pas lue. Il me faudra un certain temps pour lire cela. Qu’en pensez‑vous? Monsieur Gould.

AGENT DE PROTECTION DES RÉFUGIÉS : Eh bien, je ne l’ai pas lue non plus. Nous devons évidemment avoir une traduction de ce document, qui ... veuillez m’excuser, je fais référence ici au document en espagnol joint à la lettre. Tout comme vous, je suppose que nous avons en main l’exposé circonstancié initial, écrit à la main en espagnol, soit un document d’origine, qui est essentiel ici. En fait, je n’ai rien de pratique à ajouter.

COMMISSAIRE : Très bien. Mais, non, vous... Je, je souscris à votre opinion quand vous affirmez, vous savez, que cette controverse n’en aurait pas été une, eh bien, si nous avions uniquement utilisé l’exposé circonstancié initial tel qu’il était rédigé en espagnol. Eh bien, il s’agit de l’exposé circonstancié; eh bien, que dit-il?

[traduction]

AVOCAT NO 1 : Je fournirai une traduction dès que possible.

COMMISSAIRE : Parfait. Maintenant, je devrai voir sa réplique, puisque, comme je l’ai indiqué, je ne la lirai pas à l’instant. Il me faudra un certain temps pour l’assimiler et plonger de nouveau dans les autres documents du Barreau afin de voir ce qui s’y trouvait. Permettez-moi toutefois de dire que si les demandeurs et [l’ancien avocat] ne s’entendent pas sur ce qui est survenu, sur des points importants, je pourrai, entre autres options, lui délivrer une assignation à témoigner et le faire comparaître pour que nous puissions tous l’interroger. Comme je l’ai dit, je l’ai fait dans plusieurs affaires où des avocats avaient des opinions divergentes.

[DCT, aux pages 5439 et 5440.]

[210] Il ressort clairement de cet échange que le commissaire souhaite régler le conflit entre les demandeurs, qui allèguent que leur ancien avocat ne les a pas représentés de manière appropriée, et l’ancien avocat, qui dément cette accusation. L’avocat des demandeurs affirme que l’ancien avocat ne peut être appelé comme témoin et il ne répond pas à la question du commissaire. Cela insinue certainement que les demandeurs n’appelleront pas l’ancien avocat en tant que témoin pour résoudre les incohérences dans les éléments de preuve. Le commissaire mentionne toutefois qu’il serait en fait possible d’appeler l’ancien avocat, ce qui signifie qu’il envisage clairement qu’il faudra peut-être appeler l’ancien avocat s’il demeure impossible de régler la question après avoir de nouveau consulté les documents du Barreau.

[211] Il est erroné de dire que cet échange comporte une certaine menace ou qu’il s’agit d’une tentative irrégulière de mettre en doute les éléments de preuve présentés par les demandeurs. L’APR avait les mêmes inquiétudes et a demandé à l’avocate des demandeurs si elle entendait appeler l’ancien avocat en tant que témoin. L’avocate des demandeurs a répondu [traduction] « [n]on, je n’ai pas l’intention de l’appeler » et elle ne s’inquiète manifestement pas que le commissaire règle cette affaire en fonction des documents présentés au Barreau :

[traduction]

AVOCAT NO 1 : Non, je n’ai pas l’intention de l’appeler. Toutefois, si, s’il y a d’autres documents de ... à la suite de la plainte déposée devant le Barreau, je peux m’en charger. Je ... je devrai m’informer pour savoir quelles seraient les prochaines étapes ... dans ce processus de plainte présentée au Barreau. Je ne suis pas ... il s’agit d’un processus que je ne connais pas beaucoup. Je ... je n’ai jamais eu de clients qui ... qui ont fait ce genre de chose auparavant. Mais, non, je ... je ne prévois pas du tout amener [sic] [l’ancien avocat] ici.

[DCT, p. 5515.]

[212] Il est révélateur de constater que lorsque le commissaire indique clairement aux demandeurs que l’ancien avocat peut être appelé à témoigner afin d’évaluer les allégations qu’ils ont déposées contre lui, ils répondent qu’ils n’ont pas l’intention de l’appeler et qu’ils ne demandent pas au commissaire de l’appeler.

[213] En outre, en ce qui concerne l’ancien avocat, les demandeurs se plaignent du fait que le commissaire a cherché de manière irrégulière à mettre en doute leurs éléments de preuve. En effet, quand ils ont présenté un document qu’ils avaient fourni à leur ancien avocat, le commissaire a relevé des omissions présumées dans le document et s’est fondé sur ces omissions pour attaquer la crédibilité des demandeurs.

[214] On ne sait pas avec certitude ce que les demandeurs veulent dire par [traduction] « omissions présumées » par rapport à [traduction] « omissions ». Les omissions dans le document sont cependant plus qu’apparentes, sans compter qu’elles ont été reconnues par l’avocat des demandeurs et que l’APR les a présentées à L.M.P.A. à l’audience :

[traduction]

AVOCATE NO 2 : J’aimerais dire quelque chose aussi. Je, je veux simplement soulever une préoccupation. Je suis consciente que ce document est qualifié à répétition d’exposé circonstancié, mais ..., eh bien, je crois qu’il est évident qu’il ne s’agit pas officiellement d’un exposé circonstancié. Les demandeurs ne l’ont pas présenté avec leur FRP précisément en réponse aux questions dans le FRP qui demandaient un sommaire des raisons pour lesquelles ils craignaient d’être persécutés au Mexique; il s’agit plutôt d’un document qu’ils ont préparé à l’intention de leur avocat pour l’aider à les représenter. Il aurait pu servir à aider l’avocat à préparer l’exposé circonstancié, mais il ne s’agit pas d’un exposé circonstancié comme tel; il s’agit plutôt d’une communication entre des clients et leur représentant légal. Et puisqu’il est lié au litige dont la Commission est saisie, je crois que l’on peut définir sans se tromper ce document comme un document visé par le secret professionnel entre l’avocat et ses clients. Je suis d’ailleurs conscient qu’il a été présenté à la Commission afin de fournir des documents sur la plainte présentée au Barreau. Je soulève toutefois une objection en ce qui concerne les incohérences ou les omissions dans ce document qui sont traitées comme des préoccupations quant à la crédibilité, comme elles le seraient dans un exposé circonstancié rédigé correctement.

AGENT DE PROTECTION DES RÉFUGIÉS : Je peux comprendre la préoccupation de l’avocate puisqu’elle ne veut pas que l’on accorde à ce document le même poids que celui qu’on accorderait à un exposé circonstancié préparé officiellement. L’utilisation de l’expression secret professionnel est plutôt ... son utilisation me surprend plutôt. Étant donné que le document a bel et bien été présenté au nom des demandeurs, je ne vois pas comment vous pouvez affirmer qu’il est maintenant protégé par le secret professionnel. Les demandeurs n’y ont‑ils pas renoncé?

AVOCATE NO 2 : J’avoue ne pas être versée dans la jurisprudence relative au secret professionnel; toutefois, pourrais-je seulement soulever ... ma préoccupation réside surtout dans le ... dans le fait que l’on utilise des communications entre un avocat et son client pour attaquer la crédibilité du client.

AGENT DE PROTECTION DES RÉFUGIÉS : Eh bien, nous avons [...]

COMMISSAIRE : Avant [...]

AGENT DE PROTECTION DES RÉFUGIÉS : Désolé.

COMMISSAIRE : ...de vous entendre, monsieur Gould, madame Stothers, avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

AVOCAT NO 1 : Pas pour l’instant, sauf que je, je, je crois... J’ignore si ma mémoire est exacte, mais, je, je crois que vous, vous, le commissaire, avez demandé à obtenir ce document ou aviez posé des questions à son sujet pendant l’une de nos conférences préparatoires à l’audience. Encore une fois, je devrai écouter l’enregistrement de ces conférences préparatoires à l’audience. Il y en a eu relativement beaucoup, mais je crois qu’il a été fourni pour répondre à votre demande concernant le document.

COMMISSAIRE : Merci. Monsieur Gould, il n’est pas nécessaire que je vous entende davantage sur ce point. L’objection est rejetée. C’est au client qu’il appartient de renoncer au secret professionnel, peu importe qu’il le fasse de façon explicite ou implicite, tout bonnement, puisqu’ils ont empêché [sic] ce document, ils ont renoncé depuis longtemps au privilège. Je ne suis pas un expert en langue anglaise. Pour moi, l’expression « exposé circonstancié » sous-entend un récit écrit ou un récit. Oui, je suis conscient qu’il ne s’agit pas d’un récit tel que nous le définissons au sens technique dans le cadre d’un formulaire de renseignements personnels. Il s’agit simplement d’un récit que ce demandeur a écrit. Tous les demandeurs qui ont témoigné jusqu’à présent se sont grandement fondés sur ce document. J’estimais [sic] qu’il était très inapproprié que leur ancien avocat ne l’utilise pas, ce que l’argument est à mes yeux, l’argument est que si seulement il l’avait fait, les formulaires de renseignements personnels auraient été beaucoup plus complets. M. Gould ne fait que tenter de comprendre pourquoi certains événements ne sont pas mentionnés dans ce document. La question de savoir si une omission dans ce document a le même poids qu’une omission dans le formulaire de renseignements personnels est, non seulement une question de poids, mais aussi une question pour les observations. Donc, si je conclus que les [...] ces [...] ces questions très appropriées. Monsieur Gould, poursuivez, je vous prie.

AGENT DE PROTECTION DES RÉFUGIÉS : Eh bien, en ce qui concerne le demandeur, avez-vous terminé de répondre à la question que j’avais posée? Pour vous rafraîchir la mémoire...

DEMANDEUR 11 : S’il vous plaît.

AGENT DE PROTECTION DES RÉFUGIÉS : [...] Je vous demandais pourquoi ce document, peu importe le nom qu’on lui donne, n’indique pas que [le gang] était associé à la police.

DEMANDEUR 11 : Je crois avoir déjà indiqué les raisons, je les ai écrites, en tentant de mettre ... d’y inclure ce que je croyais important pour mon récit. Toutefois, si l’on tient compte du fait que je ne possède aucune expérience sur ce qui pourrait être considéré comme important, et je, je suis certain que ce document contient beaucoup d’éléments qui ne sont pas inclus. Vous comprendriez que le fait d’essayer d’exprimer, vous savez, de nombreuses années de ma vie sur une feuille de papier; vous verriez toutefois qu’il, qu’il y a des points ... des choses qui, dans mon esprit étaient très claires et importantes et peut-être à un certain moment, j’ai pu en décrire, sans donner de nom, leur nom, et qu’il contient des événements très importants, qui, si ce document avait été utilisé, n’auraient jamais ... auraient été inclus dans le FRP initial, celui que notre avocat, notre premier, notre premier avocat a préparé...

[DCT, aux pages 5661 à 5663, non souligné dans l’original.]

[215] Les demandeurs se plaignent maintenant de l’utilisation de ce document qu’ils ont présenté en preuve. Il semble que leur thèse est qu’il s’agit d’éléments de preuve qui peuvent être utilisés pour attaquer la compétence de l’ancien avocat, mais pas comme éléments de preuve qui peuvent être utilisés contre les demandeurs pour évaluer leur crédibilité. Mais ils ne donnent aucune explication. L’utilisation réelle du document est indiquée clairement au paragraphe 30 de la décision, que je citerai ici de nouveau par souci de commodité :

[traduction]

[30] Les demandeurs ont présenté une copie du récit manuscrit qu’ils ont apporté au cabinet de leur premier avocat. Comme il a été mentionné à l’audience, toutefois, il n’indiquait pas que [le gang] était associé à la police. [L.M.P.A.] a indiqué que l’ancien avocat et son assistant n’ont pas lu cette déclaration, qui a été écrite et réécrite tout juste après l’arrivée au Canada et que certains éléments n’ont fait surface que pendant la thérapie. L’avocat s’y est opposé, en indiquant que ce document n’était pas un exposé circonstancié officiel et qu’il était visé par le secret professionnel. J’ai rejeté cette objection parce que les demandeurs avaient eux-mêmes renoncé à ce privilège quand ils avaient présenté le document par l’entremise de leur avocat. Leur élément de preuve en ce qui concerne l’ancien avocat repose exclusivement sur le fait que son personnel et lui n’avaient pas écouté leur histoire et qu’ils avaient refusé de lire ce document. Je comprends qu’il ne s’agit pas du même genre d’exposé circonstancié que celui créé par l’intermédiaire d’un avocat; toutefois, si les demandeurs voulaient se fonder sur le fait que l’avocat n’avait pas lu ce document comme raison pour laquelle leur FRP initial était incomplet, il s’ensuit que les questions sur le contenu de ce document étaient plus que justes. [L.M.P.A.] a ensuite indiqué qu’elle ne croyait pas que le lien entre [le gang] et la police était important au moment où le document a été créé. Comme il a aussi été mentionné à l’audience, on a aussi omis de mentionner les appels menaçants faits pendant les 15 années précédant l’arrivée des demandeurs au Canada. [L.M.P.A.] a indiqué qu’elle tentait de se souvenir des incidents importants. Ces explications ne sont pas satisfaisantes à mon avis. Comme je l’ai indiqué, ce document ne serait pas aussi complet qu’un exposé circonstancié préparé avec l’aide d’un avocat. Il ressemblait toutefois beaucoup à ce qui a été produit et omettait bon nombre des mêmes éléments. Les demandeurs ont tous continué d’affirmer que le FRP comportait des lacunes parce que leur avocat initial n’avait pas lu ce document. Je ne vois pas en quoi ce document aide les demandeurs; il renforce en vérité les conclusions défavorables sur la crédibilité tirées sur le FRP initial.

[Renvoi omis.]

[216] Je ne comprends tout simplement pas les demandeurs quand ils affirment que le commissaire utilise de manière irrégulière ce document pour les discréditer. Le commissaire a évidemment raison lorsqu’il indique que les demandeurs ont renoncé au secret professionnel quand ils ont présenté le document. Les demandeurs ont indiqué dans leurs témoignages que ce document constituait une preuve de l’incompétence de leur ancien avocat; pourtant, son contenu contredisait directement ce qu’ils laissaient entendre.

8) Connaissances spécialisées

[217] En guise d’appui supplémentaire à leurs allégations de crainte raisonnable de partialité, les demandeurs indiquent que le commissaire [traduction] « s’est fondé sur ses connaissances spécialisées alléguées pour attaquer le témoignage des demandeurs, dans lequel ils affirmaient qu’ils n’arrivaient pas à trouver de reportages dans les médias sur [le gang] ou à obtenir certains rapports médicaux du Mexique, ce qui va à l’encontre de l’article 22 des Règles de la Section de la protection des réfugiés » (notes de bas de page omises).

[218] Il n’est pas irrégulier pour le commissaire de se fonder sur ses connaissances sur la violence commise par les gangs et la disponibilité de documents médicaux. Voir Razburgaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 151, où le juge Roy a conclu :

[19] Les demandeurs n’ont pas soutenu, précédents à l’appui, que l’obligation imposée à la Commission était plus lourde que celle prévue à l’article 22 des Règles, et je n’ai moi non plus trouvé aucune décision en ce sens. Les audiences de Commission ne doivent pas se transformer en procès. Ces audiences entraînent de graves conséquences et le degré d’équité procédurale doit être proportionnel à ces conséquences. Le degré de communication exigé n’est toutefois pas aussi élevé qu’il le serait, par exemple, en matière criminelle. L’article 22 des Règles prévoit que la personne protégée doit se voir accorder la possibilité de présenter des observations et de transmettre des éléments de preuve qui vont dans le même sens que ses observations.

[20] Dans le cas qui nous occupe, il n’y a aucun doute que le demandeur principal et son avocat étaient parfaitement au courant des renseignements et des opinions transmis au demandeur principal. Le demandeur principal a, en fait, eu l’occasion à deux reprises de corriger les « connaissances spécialisées » sur lesquelles la Commission s’était fondée. Il était au courant de la preuve et des arguments qu’il devait présenter, et les renseignements que possédait la Commission étaient précis et clairs. Contrairement à ce que prétend l’avocat dans le présent contrôle judiciaire, je ne puis conclure que les connaissances spécialisées en question étaient [traduction] « à ce point vagues et non vérifiables » et qu’il était impossible d’y répondre. Au contraire, les renseignements étaient précis.

[Non souligné dans l’original.]

[219] De même, les parties de la transcription auxquelles les demandeurs font référence pour montrer que le commissaire relève ce qu’il appelle des connaissances spécialisées et indique qu’il entend les utiliser à l’audience. Voir le DCT, aux pages 5955 à 5958 et 5975 à 5978. Ce faisant, le commissaire a informé les demandeurs de ces connaissances et leur a donné l’occasion de corriger les connaissances sur lesquelles il s’appuyait. Il n’a pas enfreint l’article 22 des Règles.

9) Terminologie

[220] Les demandeurs allèguent que l’emploi par le commissaire du terme « chef de bande » pour désigner le demandeur principal trahissait son négativisme à l’endroit des demandeurs dès le début.

[221] Il ressort clairement du dossier que ce n’est pas le commissaire, mais bien l’APR qui a utilisé le terme [traduction] « chef de bande ». Voir le DCT, à la page 5334. En fait, lorsque l’affaire a été portée à l’attention du commissaire, beaucoup plus tard au cours de la procédure, il a indiqué clairement qu’il considérait ce terme comme très inapproprié :

[traduction]

COMMISSAIRE : [...]

Enfin, les avocats ont soulevé la question du comportement en raison du contenu de certains rapports reçus récemment et d’autres éléments de preuve. Je dois avouer que j’ai souri à divers moments pendant la procédure; bien sûr que j’ai souri. À mes yeux, je trouverais quelque peu étrange de ne pas sourire pendant quatre jours complets de procédures, sans compter les diverses conférences préparatoires à l’audience et en cours d’audience. En fait, tous ceux présents dans cette salle ont souri à un moment où l’autre.

À titre d’exemple, lors de notre dernier jour d’audience, nous éprouvions toutes les difficultés à réunir tout le monde dans la salle; une fois tous présents, Mme Stothers a mentionné à la blague une phrase du genre « plus personne ne quitte ». J’ai assurément souri lorsqu’elle a dit cela.

Il y a longtemps, très longtemps, pendant l’une de nos conférences préparatoires à l’audience, nous tentions de distinguer les pièces des deux avocats et Mme Bondy a suggéré d’utiliser B pour Bondy, ce à quoi j’ai souri aussi. Il est en fait normal de sourire et habituellement, dans les audiences sur des demandes d’asile, on souhaite que les participants sourient le plus possible, parce que cela les met habituellement à l’aise.

Toutefois, ce qui est important, c’est que si mon comportement était inapproprié d’un point de vue objectif, à un moment donné pendant l’audience ou à tout autre moment, je me serais attendu à ce que trois personnes qui possèdent une expérience assez appréciable (soit deux avocats distincts pour les demandeurs et un APR qui a passé plus de temps à la CISR que moi, qui y suis depuis 13 ans), qui leur permet de savoir à quoi s’en tenir pendant la procédure et qui ont été présentes du début à la fin s’opposent d’une quelque façon ou formulent d’autres commentaires au moment où j’aurais eu ce comportement.

Le fait qu’aucune objection n’a été soulevée à mon endroit en dit beaucoup sur la situation objective dans la salle d’audience. Je suis conscient que Mme Stothers a indiqué que la mère du demandeur principal lui a rappelé que je l’aurais apparemment désignée en tant que chef de bande à la première conférence préparatoire à l’audience, ce qui l’avait amenée à croire qu’il y avait une certaine connotation criminelle.

Maintenant, je précise qu’il existe de fait de nombreuses définitions à ce mot; en vérité, je ne me souviens pas de l’avoir utilisé ou, si je l’ai fait, le contexte dans lequel je l’ai utilisé. En supposant que je l’ai fait, il s’agissait probablement d’un mauvais choix de mots, qui faisait référence à autre chose dans le contexte à ce moment-là. Je n’accuserais évidemment pas les demandeurs de criminalité, puisque cette allégation n’est absolument pas fondée. Je présente mes excuses les plus sincères aux demandeurs s’ils ont cru que ce mot signifiait davantage.

[DCT, à la page 5730.]

10) Accusations non fondées

[222] Les demandeurs allèguent aussi ce qui suit :

[traduction]

Le commissaire a accusé sans fondement les demandeurs de se dire quoi dire pour mentir. Au moindre dérangement, par exemple, une toux, et malgré les précisions fournies par l’avocat, il a conclu à tort que les demandeurs se disaient quoi dire.

[223] Pour cette accusation, les demandeurs se fondent sur l’affidavit de F.A.M.L., pièce « A », aux pages 108 et 109, que j’ai abordé ci-dessus, aux paragraphes 191 et 192. Il ne s’agit pas d’éléments de preuve qui étayeraient une crainte raisonnable de partialité.

[224] Après avoir lu le DCT, il est évident que ces accusations sont, une fois de plus, inexactes. À la première audience, le commissaire a indiqué ce qui suit aux demandeurs :

[traduction]

Comme je vous l’ai dit à tous, le témoignage d’autres personnes peut avoir une incidence sur le vôtre. Donc, simplement parce que quelqu’un d’autre témoigne, ce n’est pas le moment pour vous de... de relaxer et de ne plus penser à rien. Peut-être qu’en écoutant le témoignage de l’autre personne, vous vous direz « attendez un instant, ce n’est pas tout à fait exact. » Maintenant, la mise en garde suivante s’impose; lorsque vous entendez une personne de votre parenté, peut-être une personne qui est très près de vous, et que vous la voyez avoir de la difficulté à répondre à une question, il est tout fait humain de laisser échapper une réponse pour l’aider. Je vous conseille de ne pas le faire. Même s’il est tout à fait humain de le faire. Ici, nous tentons entre autres de déterminer si une personne arrive à se souvenir de tous les événements qui se sont [...] qu’elle a vécus, sans l’aide de personne. Et si vous offrez cette aide, même si vous aviez de bonnes intentions, cela peut très mal paraître dans certaines circonstances. D’accord?

[DCT, à la page 5524.]

[225] Ce conseil est à la fois approprié et prudent. Il vise à aider les demandeurs à comprendre qu’ils ne devraient rien faire pour mettre en péril le témoignage d’un autre témoin. Le fait de donner un conseil utile et de venir en aide aux demandeurs ne constitue pas une indication d’une quelconque forme de partialité.

[226] En ce qui concerne la toux, voici le conseil donné par le commissaire :

[traduction]

COMMISSAIRE : [...] comme nous en discutions pendant que vous étiez aux toilettes, si vous avez besoin de tousser ou de faire quelque chose du genre, il n’y a aucun problème. Je sais que nous avons passé beaucoup de temps la dernière fois à avertir les personnes de ne pas parler; toutefois, nous toussons tous de temps à autre. Et si vous devez le faire pour des raisons médicales, n’hésitez pas ... n’hésitez pas à le faire.

Et comme je l’ai mentionné plut tôt, si vous ou un autre demandeur ressentez un malaise ou êtes en détresse, ne vous gênez pas et levez la main. Nous pouvons toujours prendre une pause pour nous permettre, je l’espère de régler la situation, peu importe ce qu’elle est. Alors, êtes-vous ... êtes-vous prêts à commencer?

[DCT, à la page 5944.]

[227] Comme je l’ai indiqué ci-dessus, le commissaire traite aussi les interruptions ainsi :

[traduction]

COMMISSAIRE : Je tiens à préciser que quelqu’un a parlé dans le fond de la salle entre le moment que vous avez dit les deux autres personnes et l’autre personne. Je l’ai mentionné à plusieurs reprises. Quand une personne parle au fond de la salle, on pourrait croire que vous essayez de dire au demandeur qui témoigne ce qu’il doit dire. Dans ce cas, le témoignage a effectivement changé sur un élément assez essentiel. Entre le moment où le demandeur a parlé pour la première fois, il y a eu une interruption et le témoignage a changé par la suite. Cela n’est pas utile.

AVOCAT : Je [...] je ne crois pas que cela se soit produit. Je crois que [...] si [...] si je ne me trompe pas, je crois qu’[I.P.P.] corrigeait un élément de l’interprétation. Et je crois que le son qui provenait du fond de la salle était [...] était Daniela qui toussait en raison de son asthme.

COMMISSAIRE : Eh bien, ce n’est pas l’impression que j’ai nécessairement eue, mais je ne fais qu’avertir tout le monde. J’avertis tout le monde. Je ne tente pas de limiter la toux. J’aimerais toutefois entendre ce que le demandeur qui témoigne a à dire. Donc, pourrions-nous poursuivre, monsieur?

[DCT, à la page 5948.]

[228] Le commissaire tente une fois de plus ici d’aider les demandeurs en leur indiquant que les interruptions pourraient porter à [traduction] « croire que vous essayez d’indiquer au demandeur qui témoigne ce qu’il doit dire ». Ce conseil est important en l’espèce. Il y avait de nombreux demandeurs et leurs demandes dépendaient toutes des témoignages d’autres demandeurs. Le commissaire tente de l’indiquer clairement aux demandeurs pour qu’ils comprennent l’importance d’un témoignage clair et spontané. Personne n’est accusé de dire aux autres ce qu’il faut dire. Une mise en garde n’est pas une accusation.

[229] Encore une fois, le dossier n’étaye pas ce qu’affirment maintenant les demandeurs, soit que [traduction] « le commissaire a accusé sans fondement les demandeurs de se dire quoi dire pour mentir ».

11) Refus de se récuser

[230] Les demandeurs affirment que le commissaire a suivi une procédure irrégulière et punitive. Ils citent entre autres exemples le refus du commissaire de se récuser :

[traduction]

29. La procédure suivie par le commissaire suite à la requête en récusation présentée par les demandeurs indique que son approche à l’égard de la demande était négative, voire punitive :

a) En refusant de se récuser malgré les éléments de preuve présentés par les demandeurs selon lesquels leur comparution devant [le commissaire] portait préjudice à leur santé mentale et physique, il a placé les demandeurs dans une situation où ils devaient choisir entre abandonner leur demande et s’exposer au risque de retourner se faire persécuter au Mexique ou de mettre en péril leur santé en procédant à l’instruction de la demande. Les demandeurs ont maintenu leur demande et plusieurs d’entre eux ont commencé à se sentir mal; la situation a même entraîné des urgences médicales chez certains. Ils ont présenté de nouveau leur demande de récusation, mais [le commissaire] a continué de refuser de le faire.

[Renvois omis.]

[231] Il est important de garder à l’esprit que les demandes de récusation portaient sur deux questions distinctes. L’une d’elles était que le commissaire se récuse parce que son comportement donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité pour divers motifs et qu’il avait montré une prédisposition à traiter et à trancher la demande présentée par les demandeurs de façon négative. L’autre était liée à l’équité procédurale. L’avocat des demandeurs a fait valoir que, même si le commissaire avait décidé de ne pas se récuser au motif d’une crainte raisonnable de partialité, il aurait néanmoins dû le faire parce que les demandeurs s’étaient forgé une opinion négative sur son état, le croyaient partial à leur égard, interprétaient que son comportement était hostile et avaient développé des symptômes médicaux en raison de leurs inquiétudes. Tous ces éléments signifiaient donc qu’ils ne pouvaient pas présenter leur cause de manière équitable.

[232] Toutes ces questions ont été soulevées dans la requête orale en récusation présentée à l’audience. Pour répondre aux plaintes présentées en l’espèce par les demandeurs, il faut citer en entier les motifs invoqués par le commissaire à l’audience pour son refus de se récuser :

[traduction]

COMMISSAIRE : C’était le juge Degromprey (ph). L’intitulé de l’affaire est Committee for Justice and Liberty contre L’Office national de l’énergie. Il s’agit d’une décision rendue par la Cour suprême du Canada, les avocats et M. l’APR, si vous souhaitez obtenir la jurisprudence, je pourrais vous la transmettre plus tard, si vous ne la connaissez pas vraiment. Je citerai cependant un certain nombre d’affaires et plutôt que de faire lire une liste complète de numéros par madame l’interprète, je vous les donnerai plus tard.

Donc, sa dissidence a en fait été suivie par la Cour d’appel fédérale dans une affaire intitulée Satiakum (ph) contre Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration). Le critère consiste à se demander à quelle conclusion en arriverait une personne qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-il que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendrait pas une décision juste?

Maintenant, je précise que les commissaires de la Section de la protection des réfugiés à Toronto sont affectés à des équipes géographiques. Ces équipes sont chargées de types de dossiers très différents, qui peuvent mener à des types de résultats très différents. À titre d’exemple, on peut s’attendre à ce que le nombre de demandes acceptées en provenance de la Corée du Nord soit plus élevé que le nombre de demandes provenant de la France.

De plus, les demandes d’asile sont souvent uniques et sont toujours tranchées sur le fond. Donc, même les demandes provenant d’un même pays peuvent être tranchées différemment selon les faits en cause. Il existe un nombre incalculable de raisons sans lien aucun avec la partialité avec la partialité peuvent donner lieu à toutes sortes de taux d’acceptation.

Au même titre que tous les commissaires, je suis lié par un code de déontologie selon lequel je dois statuer sur le bien‑fondé de chaque affaire, à l’issue d’une préparation minutieuse, de l’évaluation objective des éléments de preuve dont je suis saisi et de l’application du droit pertinent. C’est ce que j’ai fait au meilleur de mes aptitudes dans toutes les affaires dont j’ai été saisi.

Comme l’avocat l’a observé, la Cour fédérale s’est penchée sur les taux d’acceptation des commissaires de la Section de la protection des réfugiés dans un certain nombre d’affaires. Elles comprennent, sans toutefois s’y limiter, Fenanir, Mohammed Hosni, Zrig, Syed Nasam Hudin, Bulut, dont le prénom est Byrom, Hernandez Victoria, dont le nom personnel est Jose Salvador, Dunova, dont le prénom est Zenatta, Sahil, dont le prénom est Naheed, Gabor, Zupko et Cervenakova.

Maintenant, si l’on se penche sur toutes ces affaires, la Cour fédérale a conclu que les taux d’acceptation en soi ne peuvent pas servir de fondement à un argument sur la partialité.

Les deux avocats ont cité plusieurs affaires, au-delà de simples statistiques, qui donnaient lieu, selon eux, à une crainte de partialité; je m’oppose à ce qu’ils le fassent, même s’ils les regroupent. Je serais d’accord pour dire qu’effectivement, bon nombre de questions sur des problèmes de crédibilité ont été posées aux demandeurs; toutefois, comme M. Gould l’a fait remarquer à juste titre, cela n’a guère d’importance lorsque son idée est déjà faite. Le fait de donner aux demandeurs la possibilité d’expliquer ce qui pourrait constituer un problème de crédibilité est au cœur de notre travail : il s’agit de l’une des principales raisons pour lesquelles nous tenons des audiences. Je suis effectivement d’accord avec le fait qu’une sensibilité s’impose dans bon nombre de domaines. C’est d’ailleurs pourquoi nous suivons une formation approfondie sur la sensibilité avant de commencer ce travail et nous suivons continuellement cette formation en cours d’emploi.

Maintenant, l’avocat a fait références [sic] à certaines questions touchant un incident lié à une agression sexuelle.

INTERPRÈTE NO 2 : Excusez-moi, ils ont fait référence à...

COMMISSAIRE : Certaines questions posées à propos d’un incident lié à une agression sexuelle. Selon mes souvenirs, toutefois, les questions portaient en fait sur les événements entourant l’incident, et non sur les détails précis de l’agression elle-même.

De plus, même si les avocats ont soutenu que certaines questions et réponses sont liées à de menus détails selon eux, il s’agit de véritables observations sur la signification des éléments de preuve, sur le fait que même s’il y a préoccupation quant à la crédibilité, il ne s’agit peut-être que d’un élément qui n’est pas si important en fin de compte.

Comme je l’ai mentionné, il s’agit habituellement d’une observation présentée à la fin d’une affaire lorsque l’on tente de résumer la signification des éléments de preuve.

De plus, les avocats ont réitéré qu’ils s’inquiétaient du fait que j’ai communiqué des connaissances spécialisées, soit que d’autres demandeurs avaient réussi à obtenir des documents médicaux après leur arrivée au Canada.

INTERPRÈTE NO 2 : Excusez-moi, les avocats ont ... je n’ai pas entendu le mot suivant sur les éléments de preuve.

COMMISSAIRE : Ils ont réitéré leurs inquiétudes ... permettez-moi de poursuivre. Le fait que j’ai communiqué des connaissances spécialisées, soit que d’autres demandeurs avaient réussi à obtenir des documents médicaux après leur arrivée au Canada de leur pays d’origine, en l’espèce le Mexique. Je suis actuellement d’accord avec le sommaire de M. Gould à ce moment-là et que cela équivalait à dire que cela avait déjà été fait.

INTERPRÈTE NO 2 : Que cela avait déjà été fait ... je ne saisis pas tout à fait ce que vous voulez dire par cela.

COMMISSAIRE : J’ai déjà vu cela être fait. Je ne fais que le citer directement. Encore une fois, si les demandeurs n’ont pas réussi à obtenir des documents lorsque d’autres leur posent des questions, cela leur donne une chance d’expliquer ce qui s’est passé. Ensuite, il nous appartient à nous tous de faire une certaine évaluation de cette explication. Je ne vois pas en quoi on peut craindre une partialité dans ces domaines.

La question de l’ancien avocat, [ancien avocat], tant en ce qui concerne le document manuscrit que les demandeurs ont apporté à son bureau, qui pourrait être utilisé, selon ce qu’ils espéraient, pour rédiger le formulaire de renseignements personnels initial que son éventuel témoignage, a aussi été soulevée. Maintenant, il est évident que le document manuscrit n’est pas un exposé circonstancié officiel et, encore une fois, même s’il s’agissait en fin de compte d’une bonne observation, il ne serait pas aussi complet qu’un exposé circonstancié officiel.

Toutefois, étant donné que j’ai statué précédemment que les demandeurs ont indiqué à maintes reprises que si l’[ancien avocat] avait utilisé ce document uniquement, le FRP aurait été beaucoup plus complet, puisque le document manuscrit présentait probablement un récit plus complet.

INTERPRÈTE NO 2 : Plus quoi?

COMMISSAIRE : Étant donné que le document manuscrit présentait un récit plus complet.

INTERPRÈTE NO 2 : Oui, un récit plus complet.

COMMISSAIRE : Complet.

INTERPRÈTE NO 2 : Plus complet.

COMMISSAIRE : Étant donné que les demandeurs saisissent le tribunal de cette question, le document et son contenu sont plus qu’adéquatement présentés en preuve et il nous faut encore une fois ... je dois évaluer en fin de compte leurs réponses quant à ce qui se trouvait dans ce document et ce qui ne s’y trouvait pas. De plus, l’[ancien avocat] a présenté des éléments de preuve qu’il me faut apprécier. Il présente des éléments de preuve, peu importe s’ils sont écrits ou présentés de vive voix, et, encore une fois, il faut les apprécier.

Dans bon nombre d’affaires où l’ancien avocat omet de présenter des éléments de preuve ou que ces derniers ne sont pas satisfaisants, on peut l’assigner à comparaître pour en obtenir d’autres. C’est ce qui se produit avec bon nombre de témoins, pas seulement d’anciens avocats. Il s’agit du cours normal de l’instruction d’affaires.

Les avocats ont aussi fait référence à des rapports rédigés par l’observateur, (inaudible) Sad. Dans ces documents, on semble faire des diagnostics psychologiques. Il me faudra d’abord déterminer le poids à accorder à ces documents. Étant donné que l’Assemblée législative provinciale était convaincue au point d’adopter une loi donnant lieu à des infractions provinciales à cet égard, il s’agit d’une affaire importante.

Les avocats ont raison quand ils affirment que je n’ai pas compétence pour trancher des infractions provinciales et, au mieux de ma connaissance, je n’ai jamais affirmé avoir pensé le faire. Par souci d’équité, cependant, j’ai fait part de ces inquiétudes aux parties afin qu’elles présentent des observations éclairées sur le poids à accorder à ces documents. Je ne vois pas en quoi on peut craindre une partialité dans ces domaines.

Maintenant, Mme Bondy a aussi soulevé la question selon laquelle j’avais déclaré qu’un certain nombre de revendications n’avaient aucun fondement crédible. Je crois qu’il me faut corriger quelque chose. Le paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés stipule en fait qu’il n’y a aucun fondement quand il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel une demande peut être fondée. Les éléments de preuve peuvent être crédibles ou dignes de foi, sans toutefois constituer le fondement d’une demande.

À titre d’exemple, lorsque j’étais gestionnaire de l’ancienne équipe de l’Europe occidentale et centrale...

INTERPRÈTE NO 2 : Excusez-moi, quel était le nom?

COMMISSAIRE : Europe occidentale et centrale.

INTERPRÈTE NO 2 : Non, le nom de la personne.

COMMISSAIRE : Oh, lorsque j’étais gestionnaire de l’ancienne équipe de l’Europe occidentale et centrale, le nombre maximum de migrants économiques reconnus (des demandeurs qui indiquaient dès le départ se trouver au Canada pour des motifs économiques et qui n’avaient aucune crainte de retourner dans leur pays, à part une crainte de pauvreté) dépassait 600 demandeurs principaux, ce qui signifie que chaque commissaire en traitait six par jour. C’était le volume élevé avant la création de ces statistiques.

Nous recevons toutefois encore ce genre de demandes. J’ai tranché un certain nombre de ces affaires, qui font partie de mes statistiques.

De plus, même si un demandeur craint relativement la situation dans le pays A, si l’on détermine qu’il a un statut dans le pays B et qu’il n’éprouve aucune crainte dans ce pays, on conclura très probable [sic] à l’absence de fondement. En fait, ce genre de situation altère souvent les statistiques déclarées.

Étant donné que M. Rehag [sic] ne fait état que du premier pays entré dans notre système informatique, et pas nécessairement du pays sur lequel la décision se fondait, encore une fois, j’ai tranché un certain nombre de ces causes.

Maintenant, hormis le fait que la Cour fédérale affirme que, eh bien, les statistiques ne sont essentiellement que cela, des statistiques, je précise qu’aucun élément de preuve n’a été présenté selon lequel un nombre exceptionnellement élevé de mes décisions avaient été annulées à la suite d’un contrôle judiciaire; évidemment, il y en a eu quelques-unes, mais c’est le cas pour tous les décideurs et, comme je l’ai mentionné, rien n’a été présenté pour indiquer un nombre exceptionnel. Encore une fois, donc, je ne vois pas en quoi ces éléments peuvent donner lieu à une crainte de partialité.

Enfin, les avocats ont soulevé la question du comportement en raison du contenu de certains rapports reçus récemment et d’autres éléments de preuve. Je dois avouer que j’ai souri à divers moments pendant la procédure; bien sûr que j’ai souri. À mes yeux, je trouverais quelque peu étrange de ne pas sourire pendant quatre jours complets de procédures, sans compter diverses conférences préparatoires à l’audience et en cours d’audience. En fait, tous ceux présents dans cette salle ont souri à un moment où l’autre.

À titre d’exemple, lors de notre dernier jour d’audience, nous éprouvions toutes les difficultés à réunir tout le monde dans la salle; une fois tous présents, Mme Stothers a mentionné à la blague une phrase du genre « plus personne ne quitte ». J’ai absolument souri quand elle a dit cela.

Il y a longtemps, très longtemps, pendant l’une de nos conférences préparatoires à l’audience, nous tentions de distinguer les pièces des deux avocats et Mme Bondy a suggéré d’utiliser B pour Bondy, ce à quoi j’ai souri aussi. Il est en fait normal de sourire et habituellement, dans les audiences sur des demandes d’asile, on souhaite que les participants sourient le plus possible, parce que cela les met habituellement à l’aise.

Toutefois, ce qui est important, c’est que si mon comportement était inapproprié d’un point de vue objectif, à un moment donné pendant l’audience ou à tout autre moment, je me serais attendu à ce que trois personnes qui possèdent une expérience assez appréciable (soit deux avocats distincts pour les demandeurs et un APR qui a passé plus de temps à la CISR que moi, qui y suis depuis 13 ans), qui leur permet de savoir à quoi s’en tenir pendant la procédure et qui ont été présentes du début à la fin s’opposent d’une quelque façon ou formulent d’autres commentaires au moment où j’aurais eu ce comportement.

Le fait qu’aucune objection n’a été soulevée à mon endroit en dit beaucoup sur la situation objective dans la salle d’audience. Je suis conscient que Mme Stothers a indiqué que la mère du demandeur principal lui a rappelé que je l’aurais apparemment désignée en tant que chef de bande à la première conférence préparatoire à l’audience, ce qui l’avait amenée à croire qu’il y avait une certaine connotation criminelle.

Maintenant, je précise qu’il existe de fait de nombreuses définitions de ce mot; en vérité, je ne me souviens pas de l’avoir utilisé ou, si je l’ai fait, le contexte dans lequel je l’ai utilisé. En supposant que je l’ai fait, il s’agissait probablement d’un mauvais choix de mots, qui faisait référence à autre chose dans le contexte à ce moment-là. Je n’accuserais évidemment pas les demandeurs de criminalité, puisque cette allégation n’est absolument pas fondée. Je présente mes excuses les plus sincères aux demandeurs s’ils ont cru que ce mot signifiait davantage.

Maintenant, j’ai été frappé, dans certains des rapports devant nous, par le fait que certains des demandeurs semblaient confus dès le départ par ce qui se passait ou par la raison pour laquelle cela se passait, ce qui se faisait sentir sur leurs perceptions à l’égard de l’audience. Je précise que tous les demandeurs sont représentés par un avocat. S’ils ignorent pourquoi un événement se produit ou quelle est la procédure, ce que les statistiques signifient ou tout autre élément, je m’attends à ce qu’ils en discutent avec leur avocat.

En fin de compte, je ne vois pas comment on pourrait déterminer en toute objectivité que mon comportement est inapproprié, ce qui signifie que je ne vois pas ce qui donnerait lieu à une crainte de partialité à cet égard. Peu importe si l’on se penche sur ces points individuellement ou collectivement, selon le critère énoncé précédemment, je rejette la demande des avocats [sic] en ce qui concerne la crainte raisonnable de partialité.

Pour ce qui est des mesures d’adaptation d’ordre procédural, j’ai déjà discuté d’un certain nombre des points; je précise toutefois que j’ai déjà accueilli un changement à l’ordre de questionnement standard afin d’aider les demandeurs à livrer leur témoignage. J’ai aussi accepté la présence d’un observateur en tant que personne de soutien, encore une fois pour aider les demandeurs. Je ne vois toutefois pas en quoi un changement de commissaire facilitera quoi que ce soit.

Si l’on s’inquiète du fait que je suis tout simplement une figure d’autorité, tous les commissaires le sont. Le fait d’en sélectionner un nouveau ne changera rien. De plus, comme je l’ai déjà indiqué précédemment, la couverture médiatique sur les taux d’acceptation ne se limitait pas à moi. L’article de presse présenté par Mme Bondy mentionne une grande partie du reste de mon équipe, puisqu’ils ont tous de faibles taux d’acceptation et que nous sommes tous chargés des mêmes pays.

Comme je l’ai aussi mentionné, on trouve dans les statistiques elles-mêmes une liste de commissaires dont les taux d’acceptation sont extrêmement différents de la moyenne pour le pays dont ce commissaire s’occupe. Mon taux d’acceptation et ceux d’autres membres de mon équipe qui sont nommés ne font pas partie de cette liste.

INTERPRÈTE NO 2 : Mon taux d’acceptation, est-ce ce que vous avez dit?

COMMISSAIRE : Oui, les autres membres de mon équipe qui sont nommés et moi-même ne nous trouvons pas sur la liste des taux d’acceptation exceptionnellement différents. Par conséquent, d’autres commissaires que l’on pourrait affecter à l’affaire auraient aussi de faibles taux d’acceptation, ce qui signifie une fois de plus que le fait de nommer un nouveau commissaire ne changera probablement rien.

Maintenant, comme je l’ai indiqué plus tôt, tous les commissaires et les fonctionnaires suivent une formation sur la question des demandeurs qui éprouvent des problèmes de santé mentale et d’autres problèmes délicats, et cette formation se donne continuellement depuis des années. Je suis relativement ouvert à l’idée de savoir par quelles méthodes nous pourrions éventuellement répondre aux besoins de tous les demandeurs en général ou de chacun d’eux individuellement et je suis certain que nous allons en discuter à un certain moment. Toutefois, lorsqu’on examine la situation objectivement, je ne vois pas en quoi ma récusation constituerait un remède approprié.

Enfin, il y a la question du délai. Il est vrai qu’il y a eu un laps de temps dans l’audition des témoignages, de février à octobre; on ne m’a toutefois présenté aucun élément de preuve sur la cause du délai et je ne crois pas que des plaintes ont été présentées à l’égard de la Section du rôle pendant cette période, du moins pas à ma connaissance.

Je suis bien au fait que les souvenirs s’estompent au fil des ans, surtout dans un cas où certains événements sont survenus il y a près de 20 ans. Toutefois, on ne demande pas aux demandeurs qui témoignent de se souvenir des témoignages des autres comme ils apprendraient un texte. On leur posera des questions sur leurs souvenirs de leurs propres expériences et je sais que Mme Bondy a présenté deux affaires entendues devant la Cour fédérale. Ni l’une ni l’autre d’entre elles n’aborde cependant directement la question du délai puisqu’aucune erreur véritable n’a été commise dans chacune des décisions et en l’espèce, nous n’en sommes même pas à l’étape de la prise d’une décision.

Je ne vois pas en quoi le fait de tout recommencer avec un autre commissaire sera utile en ce qui concerne le délai. La meilleure chose à faire est d’aller de l’avant, ce que nous ferons dans un avenir rapproché, je l’espère. Je rejette donc toutes les demandes présentées par les avocats [sic].

[DCT, aux pages 5726 à 5732.]

[233] Le commissaire examine aussi en profondeur ces questions dans la décision elle-même. Voici ce qu’il dit sur la question de la perception :

[traduction]

[14] Enfin, passons aux éléments de preuve psychologiques au dossier et à la question de ma présence comme l’une des sources des problèmes des demandeurs. Je précise que la majeure partie de ces éléments de preuve proviennent de [la thérapeute familiale], qui ne semble pas détenir de permis pour diagnostiquer une seule forme d’état psychologique. Même si l’avocat a mentionné que n’importe qui peut présenter une « opinion », elle semble faire beaucoup plus que cela, ce qui me pousse à n’accorder que peu de poids à ses éléments de preuve. Et, ce qui est encore plus important, toutes les mesures de précaution auxquelles nous pouvions penser ont été utilisées pendant l’audience. Des pauses fréquentes, le questionnement par les avocats en premier, la présence d’une personne de soutien au côté des demandeurs, l’absence de questions sur des détails précis d’une agression sexuelle, l’offre d’utiliser une télévision en circuit fermé pour suivre le déroulement de la procédure, la sollicitation à répétition des avocats afin de voir si d’autres mesures d’adaptation pouvaient être prises, etc. L’avocat a mentionné qu’[I.P.P.] est devenu malade à un moment donné, au point de vomir à répétition et d’être transporté à l’hôpital par mesure de précaution; je précise toutefois que cette situation est survenue pendant que l’avocate Stothers posait des questions. Je ne vois pas comment un autre commissaire aurait géré la situation différemment.

[234] Comme le commissaire le fait remarquer, le critère pour déterminer une crainte raisonnable de partialité est un critère objectif. Il ne s’agit pas de savoir ici ce que les demandeurs ressentaient subjectivement à l’égard du commissaire et de sa disposition. Le critère consiste à se demander à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique.

[235] J’estime qu’après lecture de la transcription, il est évident que les demandeurs ont commencé à s’inquiéter véritablement à propos du commissaire après avoir pris connaissance de son taux d’acceptation dans des articles de presse et d’autres façons. Cette source d’information est entièrement négative. Il est naturel que cela inquiète beaucoup les demandeurs et puisse sans aucun doute donner lieu à des symptômes psychologiques et physiques. Il ne s’agit toutefois pas d’une chose que le commissaire a faite ou a fait subir aux demandeurs. Elle provient de l’extérieur de la Section de la protection des réfugiés. À mes yeux, rien dans la procédure d’audience en soi et dans la conduite du commissaire ne porterait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, à déceler une crainte raisonnable de partialité. En outre, je crois que la plupart des allégations et des éléments de preuve invoqués par les demandeurs en l’espèce, à l’appui de leur thèse sur la crainte raisonnable de partialité, même s’ils sont exacts, offrent peu de substance; ils n’amèneraient pas un observateur bien renseigné à déceler un cas de partialité, selon la prépondérance des probabilités.

[236] C’est d’équité procédurale dont il est véritablement question ici. Étant donné les éléments de preuve personnels et psychologiques selon lesquels les demandeurs, à raison ou à tort, s’étaient forgé une opinion négative du commissaire, qui leur causait une grande détresse ou les faisait craindre le commissaire, ce qui pouvait en retour avoir une incidence défavorable sur leur capacité de témoigner au point de ne pas arriver à présenter leur cause en entier, le commissaire aurait-il dû se récuser?

[237] Comme l’extrait de l’audience cité plus haut l’indique clairement, le commissaire a étudié attentivement cette question et a exposé tous les motifs pour lesquels il ne devrait pas se récuser d’un point de vue de l’équité procédurale.

[238] Il s’agit d’une question d’équité procédurale relativement nouvelle et, en fin de compte, je crois que nous pouvons uniquement nous demander si, en continuant d’entendre les revendications, le commissaire a en fait refusé aux demandeurs l’occasion d’exposer adéquatement leur cause.

[239] Il ne s’agit pas de savoir si les demandeurs vivaient des tensions considérables au point d’en rendre malades physiquement quelques-uns; il s’agit plutôt de savoir si ces troubles les ont empêchés de façon importante de présenter leur cause en entier ou de répondre aux questions posées par l’avocat, le commissaire ou l’APR.

[240] Les demandeurs ne m’ont pas montré en quoi le commissaire – par sa conduite, son comportement ou son refus de se récuser – les a empêchés de relater leur propre version de ce qu’ils ont vécu au Mexique. Afin de s’assurer qu’ils étaient en mesure de le faire, le commissaire a veillé à ce que [traduction] « toutes les mesures de précaution auxquelles on pouvait penser ont été utilisées pendant l’audience », y compris le questionnement par l’avocat d’abord. Les questions du commissaire portaient sur les incohérences dans les éléments de preuve qu’il avait l’obligation de poser aux demandeurs. Il n’y a aucun élément de preuve selon lequel les demandeurs ont été empêchés de quelque façon que ce soit de répondre entièrement à ces questions.

[241] En fin de compte, il semble que les inquiétudes des demandeurs sur la prédisposition du commissaire sont déclenchées par des sources externes. À titre d’exemple, I.P.P. affirme ce qui suit dans son affidavit :

[traduction]

21. Dès que j’ai pris connaissance du taux d’acceptation nul du [commissaire], j’ai eu peur qu’il ne se soucie pas des problèmes éprouvés par ma famille et qu’il pense que nous étions des menteurs. J’ai commencé à me demander s’il valait la peine de lui raconter des détails intimes sur la vie de ma famille, mais je ne pouvais rien faire d’autre que de poursuivre la procédure...

Selon mon examen des calendriers, I.P.P. n’a pas témoigné après avoir appris le taux d’acceptation déclaré du commissaire. La situation est toutefois plus complexe dans deux cas. Dans l’affidavit de M.T.M. fait sous serment le 5 avril 2017, elle affirme ce qui suit :

[traduction]

8. Après les audiences de février 2011, nous avons appris que [le commissaire] n’avait jamais accordé le statut de réfugié à un demandeur. Cette nouvelle a aggravé considérablement mon état de stress et, par le fait même, mes problèmes de santé. Mon sommeil est devenu de plus en plus irrégulier et j’ai commencé à prendre encore plus de poids. Je me trouvais dans un état mental tel qu’en septembre 2011, la Dre Friere a écrit une lettre dans laquelle elle indiquait que j’éprouverais sans doute une crise d’anxiété si l’on me demandait de témoigner dans cette affaire.

Le rapport de la Dre Friere est présenté aux pages 3521 à 3523, onglet 3, documents supplémentaires, du DCT. Dans ce rapport, elle indique que [traduction] « les symptômes de [M.T.M.] ont repris avant l’audience de février 2011 » et conclut que [traduction] « si elle devait témoigner devant ce commissaire, sa prestation serait encore plus mauvaise, sans compter qu’il y a un risque élevé qu’elle entraîne une urgence médicale, comme une crise de panique, des évanouissements ou une autre manifestation d’anxiété en raison d’un stress aigu ». Cette conclusion doit être cependant qualifiée, selon l’observation de la Dre Friere selon laquelle [traduction] « [M.T.M.], même si elle comparaissait devant un commissaire différent et en raison de son état mental actuel, serait un mauvais témoin à une audience de la Section de la protection des réfugiés » (non souligné dans l’original). M.T.M. est la fille de J.E.T.P. et d’E.M.V. Après les audiences, M.T.M. et E.M.V. ont déposé des affidavits avec les observations après l’audience des demandeurs. Voir le DCT, aux pages 1507 à 1516, onglet 4, documents supplémentaires. Dans les affidavits, M.T.M. et E.M.V. affirment qu’elles ont été incapables de témoigner devant le commissaire, ce qui les a empêchées de pouvoir expliquer l’omission de la mention du gang dans le FRP initial de J.E.T.P. Le commissaire a conclu que cette omission, tout comme les contradictions dans l’explication fournie par J.E.T.P., attaquait la crédibilité de celui‑ci. Voir la décision, au paragraphe 45. À mes yeux, toutefois, les éléments de preuve ne confirment pas les nombreuses difficultés à témoigner et le commissaire a pris en considération et a soupesé les éléments de preuve qui lui ont été présentés sur cette question.

12) La question de l’audience de justification

[242] Les demandeurs se plaignent que le commissaire a planifié une audience de justification pour L.M.P.A. lorsqu’elle est devenue trop malade pour poursuivre pendant une audience, afin qu’elle justifie pourquoi sa demande ne devrait pas être abandonnée.

[243] Il faut examiner la suggestion d’une audience de justification dans le contexte général des préoccupations du commissaire relativement aux gains en efficience. Voici l’échange complet :

[traduction]

COMMISSAIRE : [...]

Maintenant, pendant la demande, il a été mentionné que certains demandeurs n’étaient peut-être pas aptes sur le plan médical à témoigner aujourd’hui. Est‑ce le cas?

AVOCAT NO 1 : Je devrais de nouveau parler avec eux.

COMMISSAIRE : Eh bien, selon ma compréhension, la discussion avait déjà eu lieu, parce que, évidemment, si une personne n’est pas apte sur le plan médical à témoigner, cela nous ... nous arrêterait.

AVOCAT NO 1 : Plusieurs [...] plusieurs demandeurs ont indiqué qu’ils ne se sentaient pas bien. Nous avons déjà exposé ce [...] ce qu’ils nous ont dit. Je ... nous n’avions pas discuté précisément d’un ajournement purement pour des motifs médicaux. Je devrai donc vérifier de nouveau avec eux.

COMMISSAIRE : Eh bien, je m’exprimerai de nouveau en tant que profane, mais, il y a une différence entre le fait de sentir mal et d’être inapte sur le plan médical à poursuivre l’audience. Bon nombre de demandeurs peuvent se sentir mal, mais suffisamment bien pour poursuivre l’audience. Il en va de même pour tous les participants à une audience. Je reviendrai à onze heures. Je m’attends à ce que nous poursuivions à ce moment où nous ... à ce que nous sachions qui est inapte sur le plan médical à poursuivre.

L’audience est interrompue.

--- INTERRUPTION DE L’AUDIENCE ---

--- REPRISE DE L’AUDIENCE ---

COMMISSAIRE : Bonjour. Nous reprenons l’audience. Les mêmes personnes sont présentes. Maitres, y a-t-il des demandeurs qui sont inaptes sur le plan médical à poursuivre à ce moment-ci?

AVOCAT NO 1 : Oui. J’ai parlé à toute la famille. [L.M.P.A.] indique qu’elle éprouve des problèmes de glycémie ce matin. Comme vous le savez, elle souffre de diabète. Elle éprouve aussi une douleur très vive au cou. Elle a donc indiqué qu’elle doit consulter le médecin maintenant.

COMMISSAIRE : Y a-t-il d’autres personnes qui sont incapables de poursuivre?

AVOCAT NO 1 : Seulement elle dans le [...] Je veux dire, inapte sur le plan médical à poursuivre.

COMMISSAIRE : Mme Bondy, est-ce que l’un de vos clients ... excusez-moi. Avez-vous besoin de prendre une pause?

AVOCATE NO 2 : Non, je vais bien.

COMMISSAIRE : J’observe que je vous ai prise au beau milieu d’une quinte de toux.

AVOCATE NO 2 : Oui, je me remets d’un rhume que j’ai eu la semaine dernière, c’est ce qui explique ma toux. Non, mes clients ne sont pas... aucun de mes clients n’est inapte sur le plan médical à poursuivre.

COMMISSAIRE : Voici donc ce que nous ferons. Pour la demanderesse qui n’est pas apte sur le plan médical à poursuivre à l’heure actuelle, l’audience de mardi deviendra donc une audience de justification. Et, comme vous avez indiqué qu’elle est en route pour consulter un médecin, je suppose que ce dernier pourra fournir un billet pour justifier son absence aujourd’hui.

Et à ce ... mardi, en supposant qu’il y a un billet, et ... eh bien, j’écouterai toute observation qui sera présentée à ce moment-là. En supposant que tout est en ordre, nous poursuivrons tout simplement la procédure. Dans le cas contraire, bien entendu, j’entendrai les observations sur la raison pour laquelle il ne faut pas déclarer l’abandon de la demande. Je peux aussi songer à mettre en place une salle satellite pour la prochaine fois. Même si les demandeurs ont déjà indiqué que cela ne serait pas avantageux, ce raisonnement peut changer à un moment donné, ce qui signifie que je me pencherai très certainement sur cette question.

Y a-t-il autre chose que nous pouvons faire pour l’instant?

AVOCATE NO 2 : Mais ... peut-être est-ce sans importance, puisque, nous l’espérons, un billet du médecin sera présenté mardi et nous pourrons ainsi poursuivre, mais il semble qu’une audience de justification semble injustifiée dans cette situation. Selon moi, et je suis consciente qu’il s’agit d’une longue procédure et mes... Je ne me suis pas jointe à eux au début, mais à ma connaissance ... et, encore une fois, pardonnez-moi et on me corrigera si j’ai tort ... les demandeurs n’ont pas demandé de report par le passé.

Et, avec [...]

COMMISSAIRE : Bien, maître, je vais simplement...

AVOCATE NO 2 : Parfait.

COMMISSAIRE : ...vous arrêter ici.

AVOCAT NO 1 : J’ai. (Inaudible)

AVOCATE NO 2 : Oh.

COMMISSAIRE : Il s’agit en fait de l’un des facteurs à prendre en considération dans une audience de justification; il pourrait s’agir d’une très bonne observation à faire à ce moment-là. Mais, y a-t-il autre chose au-delà de la planification de l’audience de justification? Je ne veux pas empêcher la demanderesse d’obtenir une attention médicale plus longtemps.

INTERPRÈTE : Excusez-moi, monsieur le président. Pourriez-vous répéter cela?

COMMISSAIRE : En ce qui concerne le fait que je ne veux pas empêcher la demanderesse d’obtenir une attention médicale plus longtemps. Donc, y a-t-il d’autres questions que nous pourrions régler rapidement pour l’instant?

AVOCAT NO 1 : Rien de mon côté.

[DCT, aux pages 5791 à 5792.]

[244] L’avocate indique qu’une audience de justification [traduction] « n’est pas justifiée dans cette situation »; cette affirmation est cependant prématurée. Vu la longueur de la procédure (un élément qui préoccupait les demandeurs et le commissaire), le commissaire devait savoir que les maladies étaient véritables et il s’attend à ce que la demanderesse en question obtienne un billet du médecin, ce qui signifie qu’il ne sera pas nécessaire de tenir une audience de justification. Il doit seulement obtenir un billet du médecin. Étant donné que les demandeurs se plaignent que la procédure d’audience les rend malades et les empêche d’y participer comme ils le voudraient, il n’est pas déraisonnable ou excessivement agressif pour le commissaire de demander à obtenir un simple billet du médecin pour confirmer la maladie. Une audience de justification peut sembler officielle; en réalité toutefois, le commissaire ne fait que demander à obtenir un billet du médecin pour confirmer que [traduction] « tout est en ordre », ce qui leur permettra de [traduction] « poursuivre la procédure ». Si tout n’est pas en ordre, le commissaire est alors tenu de se pencher sur la conséquence, ce qui exigera de présenter des observations supplémentaires.

[245] Il ne s’agit pas d’une question, examinée seule ou avec d’autres facteurs, qu’une personne bien renseignée ou au courant du contexte dans son ensemble et des problèmes que pose l’organisation d’une audience complexe impliquant de nombreux demandeurs, considérerait comme une preuve de crainte raisonnable de partialité.

13) Langage sarcastique et accusatoire

[246] Cette plainte porte sur ce qui suit :

[traduction]

31. L’emploi par le commissaire d’un langage sarcastique et accusatoire dans les motifs de rejet témoigne aussi d’une approche défavorable à l’égard de la présente demande; ils sous-entendent même son animosité à l’endroit des demandeurs. Le commissaire conclut qu’I.P.P. a « concocté » une « intrigue secondaire » à sa demande, qu’un rapport de psychologue n’est pas un « document magique », qu’il ne convient pas de se demander s’il a utilisé un « logiciel [sic] de traitement de texte plutôt qu’un dictionnaire analogique » et que les conclusions du professeur Rehaag selon lesquelles il est troublé par des aspects du processus décisionnel du [commissaire] sont elles-mêmes troublantes.

[247] L’expression [traduction] « intrigue secondaire » figure aux paragraphes 20 et 31 de la décision, où il semble s’agir d’un déploiement de la métaphore de [traduction] « l’exposé circonstancié » pour faire référence au récit que font les demandeurs de leur expérience au Mexique. Selon mon expérience, il ne s’agit pas d’un terme inhabituel dans les décisions de la Section de la protection des réfugiés. Tout dépend de tout le contexte, bien entendu. Étant donné qu’il est utilisé en conjonction avec le mot [traduction] « concocté », je crois que le commissaire indique clairement qu’il conclut que cet élément de preuve n’est pas crédible. Il aurait pu dire que le récit des événements en litige n’était pas crédible; je crois cependant qu’il tente de sous-entendre qu’il trouve le témoignage sur le meurtre de revanche particulièrement tiré par les cheveux et peu convaincant. Je ne crois pas que ce sentiment, même s’il peut être offensant pour certains, constitue une preuve d’animosité ou de partialité en général à l’endroit des demandeurs. Le commissaire indique tout simplement qu’il conclut que ce témoignage est totalement incroyable et il motive à ses convictions profondes à cet égard. Les demandeurs ont raison d’affirmer que l’utilisation des mots [traduction] « concoction » et [traduction] « concocté » par un commissaire faisait partie de ce qui avait donné lieu à une crainte raisonnable de partialité dans Xie c Canada (Procureur général) (1993), 67 FTR 316 (1re inst.) [Xie]. Dans Xie, cependant, la Cour a aussi conclu que la décision faisant l’objet du contrôle [traduction] « est truffée d’erreurs de fait et de droit », y compris l’interprétation erronée de certains éléments de preuve comme des éléments de seconde main et des ouï-dire, la présentation de présomptions factuelles que le dossier n’étayait pas et le fait de ne pas donner au demandeur une occasion de répondre aux conclusions défavorables. C’est dans ce contexte que la Cour était [traduction] « prête à accueillir l’argument du demandeur selon lequel les termes employés par la Commission dans ses motifs donnaient lieu à une crainte raisonnable de partialité » : Xie, précité, au paragraphe 10. Ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[248] On trouve le contexte complet du [traduction] « document magique » au paragraphe 8 de la décision, qui est rédigé ainsi :

[traduction]

[8] L’auteur mentionne aussi que je cite parfois l’absence de preuves psychologiques dans une affaire ou que j’écarte les éléments de preuve présentés. C’est vrai; je ne peux prendre en considération la preuve psychologique en tant qu’explication si elle n’existe pas. De plus, à part le fait que la preuve psychologique présentée à la Section de la protection des réfugiés est souvent assez faible (elle provient d’auteurs sans permis ou de personnes détenant un permis qui rencontrent brièvement quelqu’un une seule fois, etc.), il faut croire le récit sur lequel les éléments de preuve se fondent. En définitive, s’il y a suffisamment de préoccupations quant à la crédibilité, un rapport psychologique n’est pas un document magique qui arrange tout et qui apaise toutes les préoccupations.

[249] Selon l’interprétation que j’en fais, le commissaire ne fait qu’indiquer de manière colorée, en tant que proposition générale, qu’une preuve psychologique ne peut apaiser de graves préoccupations quant à la crédibilité. Je ne vois rien de sarcastique ou d’accusatoire ici. Si on les lit dans leur contexte, les mots [traduction] « document magique » ne transmettent aucune animosité et ne sous-entendent aucune partialité.

[250] L’expression [traduction] « logiciel de traitement de texte » se trouve au paragraphe 9 de la décision :

[traduction]

[9] L’auteur mentionne aussi que, dans un certain nombre de décisions, les mêmes extraits sont utilisés à répétition, comme pour le cas des gais qui ont une possibilité de refuge intérieur dans le district fédéral de Mexico. C’est tout à fait juste et le contraire serait surprenant. Les commissaires de la Section de la protection des réfugiés sont généralement affectés à des équipes qui se spécialisent dans certains pays. Un commissaire peut voir le même type général de demande dans plusieurs audiences différentes au cours de la même semaine. En général, la jurisprudence ne change pas souvent. Les ensembles de documents standard qui portent sur les conditions dans le pays sont habituellement mis à jour une fois, peut-être deux fois par année. Par conséquent, dans les décisions qui portent sur le même genre d’éléments de preuve et de profil de la demande, la même jurisprudence générale et les mêmes conditions générales dans le pays, je ne vois pas pourquoi on ne s’attendrait pas à trouver les mêmes conclusions générales et les mêmes extraits écrits sur ces points. La situation pour les gais dans le district fédéral est demeurée la même entre ces décisions et elle le demeure à ce jour. Comme il est indiqué dans les extraits cités, il existe une possibilité de refuge intérieur viable dans le district fédéral (comme je le conclus ci-dessous), même si elle n’est pas idéale. La Cour fédérale a confirmé à répétition l’utilisation d’extraits « passe-partout ». C’est le fait de savoir si les extraits s’appliquent correctement à la demande qui importe, et pas de savoir si le commissaire a utilisé un logiciel de traitement de texte plutôt qu’un dictionnaire analogique. On fait référence aussi au fait que si je n’arrive pas à trouver une façon de rejeter une demande en raison de la crédibilité, j’en trouve une autre au moyen d’un gabarit standard. Il s’agit en quelque sorte d’une analyse inversée. Comme il a été mentionné, il est approprié d’utiliser des gabarits s’ils s’appliquent à l’affaire. Dans toutes les affaires analysées, cependant, la décision était négative parce que la demande a été rejetée pour l’un des motifs essentiels. Si elle n’avait pas été rejetée pour l’un des motifs essentiels, la décision aurait été favorable.

[251] Je ne comprends tout simplement pas pourquoi les demandeurs s’opposent à cette terminologie. Il est évident que le commissaire ne fait qu’affirmer qu’il est acceptable d’utiliser des extraits [traduction] « passe-partout » quand [traduction] « le même genre d’éléments de preuve et de profil de la demande, la même jurisprudence générale et les mêmes conditions générales » dans le pays, sont en jeu et que la question importante à trancher dans chaque cas consiste à savoir si ces extraits utilisés par le commissaire [traduction] « s’appliquent correctement à la demande ». Les extraits passe-partout sont acceptables lorsqu’ils sont liés à la demande à l’étude; ils ne sont donc pas une preuve de partialité quelconque. Il s’agit d’un argument parfaitement valable.

[252] Le commentaire formulé par le commissaire au paragraphe 11 de la décision, où il conclut que les conclusions du professeur Rehaag sont [traduction] « troublantes » est totalement valable pour l’argument qu’il souhaite faire valoir.

[traduction]

[11] Dans sa conclusion, l’auteur indique qu’il existe des [traduction] « motifs sérieux d’être préoccupé par les critères et les normes [que j’utilise] », qu’il est [traduction] « troublé par la fréquence surprenante (c.‑à‑d. dans deux tiers des affaires qu’il a entendues) à laquelle il ne croit tout simplement pas les récits [...] », qu’il est [traduction] « troublé par les motifs qu’il invoque [...] » (j’aborderai le renvoi à la Cour fédérale ci‑dessous) et qu’il est [traduction] « troublé par le fait qu’il copie souvent de longs passages [...] ». L’utilisation de ce langage est « troublante » en soi. Ce rapport, qui commence comme un simple article universitaire neutre, ne réalise aucune analyse scientifique alors que l’on s’attend à ce qu’il y en ait une. Il semble sous-entendre que beaucoup d’éléments sont inappropriés, alors que, comme il est indiqué ci-dessus, ils sont plus qu’appropriés. Il affirme aussi que les décisions analysées doivent être différentes de celles rendues par d’autres commissaires sans qu’elles ne soient analysées. En concluant ainsi, l’auteur semble défendre un certain point de vue plutôt que d’être objectif. Je n’accorde que peu de valeur à ce document.

[253] Je ne vois pas pourquoi le professeur Rehaag peut utiliser le mot [traduction] « troublé » sans offenser et faire preuve d’animosité, mais que le commissaire ne peut utiliser le mot [traduction] « troublant » sans le faire. Les demandeurs n’offrent aucune explication.

[254] Quels que soient les extraits particuliers où ces mots apparaissent, il faut leur accorder un poids selon le langage général utilisé par le commissaire tout au long de l’audience et de la décision. À mon avis, le langage utilisé par le commissaire ne sous-entend aucune animosité à l’endroit des demandeurs et n’est pas accusatoire. Les mots cités par les demandeurs ne laissent entendre selon moi aucune partialité.

14) La réaction des demandeurs à la conduite du commissaire

[255] Les demandeurs allèguent avoir [traduction] « éprouvé des réactions psychologiques et physiques profondes à la conduite [du commissaire] » et qu’il s’agit d’une preuve de crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire :

[traduction]

32. Le critère pour établir une crainte raisonnable de partialité n’est pas ce que pense du commissaire un demandeur d’asile dont la demande a été rejetée; la Cour d’appel fédérale a cependant conclu que la réaction d’un demandeur est tout de même pertinente. La participation aux audiences devant [le commissaire] a provoqué des réactions physiciennes [sic] et psychologiques profondes chez plusieurs des demandeurs en l’espèce, puisqu’ils croyaient que celui-ci avait adopté une approche accusatoire et qu’il était prédisposé à conclure qu’ils n’étaient pas crédibles et à rejeter leur demande. Ces réactions se sont aggravées seulement lorsqu’ils ont appris qu’il n’avait jamais accueilli une demande, au point au plusieurs demandeurs ont été victimes d’urgences médicales à la reprise des audiences. Ces réactions se sont poursuivies après la fin des témoignages de vive voix, surtout en raison du délai excessif avant de recevoir une décision, ce qui comprend l’audience annulée de janvier 2015. La gravité de leurs réactions les a empêchés de présenter un témoignage à l’appui de leur demande, en plus d’avoir une incidence sur leur état de santé général.

[Renvois omis.]

[256] La thèse des demandeurs sur la crainte raisonnable de partialité repose essentiellement sur le fait que seule la récusation du commissaire, quand ils lui ont demandé de le faire, aurait pu éliminer tous les problèmes qu’ils éprouvaient. Le commissaire a expliqué la raison pour laquelle il ne devrait pas le faire et leur a offert une tout autre mesure d’adaptation dont ils pourraient avoir besoin pour les aider à aller jusqu’au bout des audiences. J’ai déjà indiqué pourquoi je ne crois pas que le refus du commissaire de se récuser constituait une preuve de crainte raisonnable de partialité ou un manquement à l’équité procédurale.

[257] Rien dans la transcription des audiences n’étaye la thèse selon laquelle les demandeurs [traduction] « croyaient que celui-ci avait adopté une approche accusatoire et qu’il était prédisposé à conclure qu’ils n’étaient pas crédibles et à rejeter leur demande » même avant qu’ils prennent connaissance de ses antécédents. La première requête en récusation se fondait en partie sur les antécédents du commissaire et sur l’incidence que cette connaissance a eue sur les demandeurs. Si des inquiétudes quant à la partialité et à l’équité procédurale avaient été soulevées avant ce moment, il ne fait aucun doute que l’avocat les aurait soulevées et aurait agi en conséquence. Je ne vois rien qui indique que c’est ce qui s’est produit, ou rien dans la transcription qui aurait donné lieu aux préoccupations soulevées plus tôt. Les rapports médicaux ont tous été créés en prévision de la première requête en récusation ou après la reprise des audiences. Quand ils indiquent que les demandeurs éprouveraient de la difficulté à témoigner, les rapports se fondent sur la description que font les demandeurs de leur perception de l’audience et du fait qu’ils ont été informés du taux d’acceptation du commissaire. Les rapports renvoient dans d’autres cas à l’aggravation des maux des demandeurs en raison du stress causé par la procédure d’audience. Je crois qu’il est juste de conclure que les demandeurs ont établi qu’ils souffraient en raison du stress causé par les audiences, sans toutefois prouver que ce stress était attribuable au comportement du commissaire ou aux gestes qu’il aurait posés.

[258] Le dossier dans son ensemble me porte à croire que les réactions physiques et psychologiques de certains des demandeurs étaient attribuables à une combinaison de facteurs. Certains d’entre eux affichaient déjà des prédispositions et des troubles médicaux à leur arrivée au Canada. À ce moment-là, ils devaient suivre les diverses étapes de la préparation d’une demande extrêmement complexe, qui a pris beaucoup de temps même avant le début des audiences. Ils ont ensuite vécu les audiences elles-mêmes et le stress inévitable lié au fait de livrer un témoignage de vive voix et de se faire questionner sur les incohérences dans cette preuve. Dans le cadre des audiences, des sources externes à la Section de la protection des réfugiés leur ont dit que le commissaire avait des antécédents faibles en matière d’acceptation. À mes yeux, leurs descriptions de se sentir pris au piège à ce point et de craindre un résultat négatif semblent vraies. Il s’agissait d’un processus long et complexe et les demandeurs ont manifestement été touchés quand ils ont appris que le commissaire n’avait accueilli aucune demande à ce point.

[259] Cela étant dit, les facteurs principaux attribuables à leur stress et à leur maladie, que j’ai énumérés ci-dessous, étaient tous une partie inévitable d’un processus de demandes long et complexe, y compris les audiences. Le commissaire n’avait rien à voir avec les maladies antérieures et les prédispositions, comme je l’expliquerai en détail ci-dessous, avec la durée des audiences et le stress causé par celles-ci, et avec la douleur inévitable de livrer un témoignage et de devoir répondre à des questions sur ces éléments de preuve. À mon avis, le commissaire a reconnu et a accepté les préoccupations et les symptômes des demandeurs et il a offert toutes les mesures d’adaptation possibles pour les atténuer, sauf sa récusation.

[260] Ce n’est pas non plus le commissaire qui a convaincu les demandeurs qu’ils n’auraient pas une audience équitable et qu’un résultat négatif était inévitable. Certains des demandeurs affirment maintenant qu’il a mené les audiences de manière accusatoire et humiliante; à mon avis, cependant, le dossier ne soutient pas cette affirmation après coup. Les éléments de preuve contemporains ne portent pas à croire que les audiences ont été menées de façon accusatoire et humiliante et, comme le commissaire le précise dans sa décision, [traduction] « [d]eux avocats et un APR ont été présents tout au long des audiences. Aucun d’entre eux n’a pu renvoyer à un seul cas où j’aurais agi de manière inappropriée ». Le conseiller juridique qui ne craignait aucunement de présenter d’importantes requêtes en récusation et à présenter de multiples demandes de récusation n’aurait eu aucun mal à s’opposer à des préoccupations sur la conduite du commissaire au fur et à mesure qu’elles survenaient.

[261] Les demandeurs ne m’ont pas montré non plus dans le dossier où la conduite du commissaire ou les mots qu’il a utilisés [traduction] « les ont empêchés de présenter un témoignage à l’appui de leur demande » ou de répondre à des questions liées aux incohérences dans ces éléments de preuve. Le rapport de la Dre Friere porte à croire que M.T.M. serait incapable de témoigner parce qu’elle souffrirait probablement d’une crise de panique. Les demandeurs citent une déclaration statutaire faite sous serment par M.T.M. après la fin des audiences (DCT, aux pages 1507 à 1512) et le rapport de la Dre Friere sur M.T.M. Au moment d’expliquer les raisons pour lesquelles elle n’a pas témoigné, elle mentionne sa [traduction] « crainte du commissaire » (au paragraphe 14) et fait référence de façon générale à son comportement (au paragraphe 22). Toutefois, comme il a été indiqué, on ne peut en faire porter le blâme exclusivement au commissaire, puisque la Dre Friere indique dans son rapport que [traduction] « les symptômes de [M.T.M.] ont repris avant l’audience de février 2011 » (DCT, à la page 3523). La partie de l’affidavit de la Dre Lisa Aldermann citée par les demandeurs indique essentiellement qu’en fonction de la littérature actuelle, la perte d’espoir et le découragement des demandeurs, quand ils ont appris que le commissaire avait un taux d’acceptation nul, pourraient avoir une incidence sur leur santé mentale. Encore une fois, il me semble que la principale préoccupation résidait dans le taux d’acceptation nul.

[262] Pour que la personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, et de façon réaliste et pratique, considère les réactions et les perceptions des demandeurs comme des considérations importantes, l’exactitude de ces perceptions doit reposer sur un certain fondement objectif. Il me semble que les demandeurs n’ont pas montré que leurs perceptions de partialité se fondaient sur quelque chose que le commissaire avait fait ou dit dans les préparatifs avant les audiences ou pendant les audiences elles-mêmes. La source de ces perceptions, à part les tensions et les inquiétudes qui accompagnent n’importe quelle demande d’asile, est extérieure à la Section de la protection des réfugiés. Elle repose en particulier sur les reportages dans les journaux concernant les antécédents du commissaire, ainsi que sur le rapport du professeur Rehaag et son analyse des décisions antérieures du commissaire. Ces éléments de preuve indiquent essentiellement que le commissaire a démontré une prédisposition à rejeter des demandes par le passé et qu’il est plus que probable que cette prédisposition l’ait amené à rejeter les demandes présentées par les demandeurs. J’aborde cette question ci-dessous.

15) Le rapport du professeur Rehaag

[263] Le professeur Rehaag démontre un intérêt soutenu à l’égard des décisions rendues par le présent commissaire. Ses rapports n’ont jamais été présentés à la Cour auparavant. Dans Turoczi, précité, les demandeurs ont présenté des allégations de crainte raisonnable de partialité semblables à celles qui me sont présentées et ils se fondaient sur un rapport antérieur du professeur Rehaag pour présenter leur cause. Il vaut la peine de citer un bon extrait de la décision rendue par le juge Zinn dans Turoczi parce que des arguments et des questions semblables sont soulevés en l’espèce :

Crainte raisonnable de partialité

[9] Les parties conviennent que le critère applicable à la question de savoir s’il existe une crainte de partialité est celui énoncé dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l’énergie) (1976), [1978] 1 RCS 369, à la p. 394 [Committee for Justice and Liberty] :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Le critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le preneur de décision], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » [Non souligné dans l’original.]

[10] Inutile d’ajouter que les parties ne sont pas d’accord en ce qui a trait à « quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique ».

[traduction]

[11] Les demandeurs ont clairement énoncé dans leurs arguments qu’ils ne laissaient pas entendre que le commissaire avait fait preuve de partialité réelle; le critère auquel il est alors nécessaire de répondre est beaucoup plus élevé que lorsqu’une crainte de partialité est alléguée. Néanmoins, qu’il s’agisse d’allégation de partialité réelle ou de crainte raisonnable de partialité, cette allégation est grave. Une personne occupant des fonctions judiciaires ou quasi-judiciaires à l’encontre de qui pèse une allégation de crainte raisonnable de partialité est en droit d’exiger que cette allégation soit examinée de façon appropriée en fonction d’éléments de preuve crédibles et d’un raisonnement solide.

[12] À mon avis, même si les données provenant du rapport Rehaag constituent une preuve crédible, cette preuve n’est crédible qu’au regard des résultats de diverses décisions rendues par divers commissaires de la Section de la protection des réfugiés durant une période donnée. Il ne s’agit pas d’une preuve sur un élément quelconque des variables pouvant influer sur la conclusion que les demandeurs tentent d’obtenir.

[13] Les statistiques produites par les demandeurs ne contiennent tout simplement pas, sans plus, suffisamment d’informations. On doit de plus se demander ce que la « personne sensée » en tirerait.

[14] Les demandeurs font valoir, et il s’agit là du fondement de leur argument, que les données relatives au taux de reconnaissance et de rejet des demandes d’asile sont à ce point probantes qu’à elles seules « on doit pratiquer l’aveuglement volontaire pour ne pas percevoir l’existence d’une crainte raisonnable de partialité » de la part du commissaire. Cette position ne tient pas compte du fait, ou l’ignore, que le taux de reconnaissance et de rejet ne dit en soi rien à la « personne sensée », même si cette personne en vient à partager la conclusion recherchée par les demandeurs.

[15] Bien que les données statistiques produites par les demandeurs puissent faire sourciller certaines personnes, la personne raisonnable et sensée, qui étudie la question sous tous ses angles, exigerait d’en savoir davantage, notamment :

Toutes les données, y compris, et c’est là un facteur important, les moyennes pondérées des pays d’origine, ont-elles été compilées de façon appropriée?

La Section de la protection des réfugiés a-t-elle assigné au hasard les affaires pour chacun des pays d’origine? Si non, comment la Section de la protection des réfugiés a-t-elle assigné les dossiers?

Certains facteurs susceptibles d’influer sur le caractère aléatoire de l’attribution des dossiers peuvent-ils faire l’objet d’ajustements fiables à des fins statistiques?

Dans l’affirmative, quelles sont ces statistiques visées par des ajustements, et que signifient-elles?

Si les dossiers ont été assignés de façon aléatoire par la Section de la protection des réfugiés, comment doit-on interpréter d’un point de vue statistique le taux de rejet du commissaire?

Au-delà de la performance relative du commissaire au sein de la Section de la protection des réfugiés, y a-t-il des aspects objectifs dans l’attaque des décisions du commissaire (c.-à-d. des points qui laissent entendre que les décisions sont erronées)?

Tenant compte des facteurs appropriés (si la chose est possible), les décisions des commissaires sont-elles plus souvent annulées par suite d’un contrôle judiciaire que ce à quoi on pourrait s’attendre?

Le commissaire a-t-il commis des erreurs d’un certain type de façon répétitive, p. ex. en matière de crédibilité, de protection de l’état, etc., qui auraient une certaine ressemblance avec la décision contestée?

En résumé, la personne sensée et raisonnable, qui étudie la question sous tous ses angles, exigerait l’analyse statistique des données par un expert en fonction de la prise en considération de tous les divers facteurs et de toutes les diverses circonstances qui sont propres aux décisions sur les demandes d’asile, et qui influent sur elles, avant de penser que le décideur, selon toute vraisemblance, ne rendra pas une décision juste.

[16] Les demandeurs soutiennent que les données soulèvent une crainte raisonnable de partialité dans la pensée d’une personne sensée, même en dépit des éléments de preuve et de l’analyse additionnels que j’estime nécessaires. Ils citent la déclaration suivante attribuée à Peter Showler, un ancien président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, publiée dans un article du Toronto Star du 4 mars 2011 :

[traduction]

Pour M. Showler, un taux de passage de zéro pour cent de la part d’un même arbitre unique est « très suspect ».

« Cela laisse certainement entrevoir de la partialité, que ce commissaire adopte un comportement soit à l’égard des demandeurs d’asile en particulier, en provenance d’un pays particulier, soit à l’égard des demandeurs d’asile en général ». [Non souligné dans l’original.]

[17] Le fait de dire que des éléments semblent laisser entrevoir un résultat peut difficilement être considéré comme ayant la même valeur que le critère exigé par l’arrêt Committee for Justice and Liberty qui permet de « [c]roi[re] que, selon toute vraisemblance », il s’agira du résultat.

[18] Les demandeurs n’ont pas tenté de contester la décision du commissaire dans leur demande. Cette décision ne comportait pas l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Les demandeurs ont présenté une demande d’asile fondée sur la crainte de l’ancien petit ami violent de Mme Karpati, lequel ne pouvait accepter la fin de leur relation et le début d’une nouvelle avec M. Turoczi. Le commissaire a jugé que les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur convenable (possibilité de refuge intérieur) à Budapest, qui se trouve à 200 kilomètres de la ville natale des demandeurs, et qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État. Ces conclusions résultent de l’application de fondements juridiques ayant force exécutoire ainsi que du fardeau de preuve pertinent. À mon avis, le fait que le commissaire soit pratiquement dans l’obligation de statuer de la façon dont il l’a fait en prenant en compte le droit et le fardeau de preuve applicables constitue un autre facteur qu’une personne raisonnable et sensée, qui étudierait la question en profondeur, aurait examiné. En l’espèce, il est tout à fait probable qu’une personne sensée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, en arrive à la conclusion selon laquelle il est très peu probable qu’un commissaire aurait statué autrement.

[19] Par conséquent, la présente demande doit être rejetée. Aucune question de certification n’a été proposée.

[264] Les demandeurs reconnaissent maintenant que des statistiques ne peuvent à elles seules établir une crainte raisonnable de partialité, mais ils invoquent les arguments qui suivent pour expliquer la raison pour laquelle les problèmes cernés par le juge Zinn dans Turoczi ont été corrigés dans les éléments de preuve qui me sont présentés :

[traduction]

51. De plus, le commissaire n’a pas adéquatement pris en considération les observations formulées par les demandeurs sur son taux d’acceptation de 0 % pendant ses trois premières années en tant que commissaire et ses niveaux élevés de conclusions d’absence de crédibilité dans ses décisions antérieures, particulièrement l’analyse très détaillée de toutes les décisions antérieures [du commissaire] par le professeur Rehaag. Une personne raisonnable qui examinerait cet élément, ainsi que les autres éléments de preuve au dossier, croirait qu’il y avait un véritable danger que [le commissaire] soit partial.

[...]

26. Selon des études menées par le professeur Sean Rehaag, [le commissaire] n’a accueilli aucune demande d’asile à partir du moment où il est devenu commissaire, en 2008, jusqu’à la fin de l’année 2010, qu’il a accueilli moins de demandes que les autres commissaires de la Section de la protection des réfugiés et qu’il avait un taux plus élevé de conclusions d’absence de crédibilité ». L’auteur conclut que l’explication la plus probable est que [le commissaire] a une façon différente des autres de trancher les demandes.

27. Le professeur Rehaag procède aussi à un examen approfondi de tous les motifs invoqués par [le commissaire] pour les décisions rendues de 2008 à 2010 et conclut qu’il [traduction] « avait la nette impression que [le commissaire] adopte une approche accusatoire à l’égard du traitement des demandes d’asile » et que ses audiences [traduction] « semblent être des contre-interrogatoires destinés à attaquer la crédibilité du demandeur ». Il relève une série de tendances dans le processus décisionnel [du commissaire], dont bon nombre sont présentes en l’espèce, y compris l’utilisation d’une phrase standard sur la crédibilité du demandeur au début et à la fin; le fait de s’appuyer fortement sur les incohérences entre le témoignage de vive voix, le FRP et les notes prises au PDE pour attaquer la crédibilité du demandeur et de relever des omissions perçues dans ces documents, le rejet des explications fournies par le demandeur aux omissions perçues au motif que les instructions indiquées dans le FRP sont claires et que le FRP était par ailleurs assez détaillé; la conclusion selon laquelle les documents sont des faux; et le rejet des éléments de preuve psychologiques puisqu’ils se fondent sur un récit qui n’est pas crédible, selon lui.

[Renvois omis.]

[265] Ces arguments et cette terminologie nous permettent de comprendre la raison pour laquelle les demandeurs ont structuré leurs arguments sur la conduite du commissaire à l’audience ainsi et la raison pour laquelle la preuve à l’appui de ces arguments n’est pas convaincante relativement aux faits en l’espèce. Les demandeurs cherchent des façons de justifier les conclusions tirées par le professeur Rehaag sur des affaires antérieures et lui donner raison plutôt que d’évaluer de façon réaliste la conduite du commissaire en fonction des éléments de preuve en l’espèce.

[266] On ignore ce que les demandeurs veulent dire par une prise en considération inadéquate. Comme il l’indique dans la décision, le commissaire a pris le rapport du professeur Rehaag très au sérieux et y a consacré une partie considérable de son analyse :

[traduction]

[4] [...] Des statistiques ont aussi été mentionnées. Le fait que j’avais un « taux d’acceptation de zéro pour cent » pendant mes trois premières années en tant que commissaire de la Section de la protection des réfugiés a suscité une grande (du moins, pour la Section de la protection des réfugiés) attention dans les médias. Bien entendu, à ce moment-là, le public ne possédait que très peu d’autres renseignements, sauf quel [sic] le fait que les pays d’origine en cause dans ces décisions (y compris la Suède, la France, l’Italie, le Portugal et les Philippines, etc.) avaient en général des taux d’acceptation extrêmement faibles. Quand on a comparé ma moyenne à celles d’autres commissaires qui rendaient des décisions sur les mêmes pays, je ne me trouvais pas sur la liste des commissaires qui s’écartaient beaucoup de la « moyenne ». Bien sûr, et ce qui est plus important, je suis lié par un code de conduite pour trancher les affaires en fonction des éléments de fait et de droit dont je dispose et chaque affaire est un cas d’espèce. On ne peut simplement vérifier des statistiques cumulatives et déterminer qu’une décision favorable ou défavorable doit être rendue. Il faut véritablement entendre l’affaire et prendre la décision appropriée selon les éléments de preuve disponibles. D’autres objections ont été soulevées, que je ne reprendrai pas.

[5] Après la fin de l’audience, une autre demande de récusation a été amorcée; elle était accompagnée d’un imposant document du professeur Sean Rehaag. Il semble comprendre une copie de chacune des décisions que j’avais rendues jusqu’à ce moment-là; je ne vois toutefois pas en quoi cela ajoute de la valeur à un argument de récusation. L’auteur indique qu’il n’y a qu’une chance sur 50 000 que les résultats de mes décisions soient appropriés, puisqu’il s’agit simplement de ce qui m’a été attribué au hasard. Il ne fournit toutefois aucune explication mathématique à ce chiffre et aucune analyse mathématique que l’on s’attendrait habituellement à trouver dans une analyse des probabilités (p. ex., quelles étaient les variables contrôlées et quelles variables n’ont pas été contrôlées, comment a-t-on procédé et quel est l’écart-type dans l’analyse, etc.). Il affirme ensuite que je dois trancher les affaires différemment des autres commissaires de la Section de la protection des réfugiés. Toutefois, rien dans l’analyse ne porte sur les autres commissaires et sur la façon dont leur manière de trancher les affaires diffère de la mienne, à part de chiffres bruts. Tous les commissaires doivent suivre la même jurisprudence et utilisent généralement les mêmes ensembles standard d’éléments de preuve documentaire pour chaque pays. Chacun d’entre nous est lié par le même code de conduite selon lequel nous avons prêté serment de trancher les affaires adéquatement en fonction des éléments de fait et de droit dont nous disposions ou nous avons proclamé que nous le ferions.

[6] On s’inquiète aussi du nombre de mes décisions où j’ai conclu à l’absence d’un minimum de fondement. Comme je l’ai indiqué à l’audience, on peut être crédible tout en présentant une demande non fondée. Comme il a déjà été observé, étant donné que j’étais affecté à l’équipe qui s’occupait des demandes l’Europe occidentale, comme le Portugal, l’Italie, l’Islande, etc. Ma conclusion d’absence d’un minimum de fondement dans un certain nombre de mes décisions n’est donc pas surprenante. Plus important, je suis tenu par la LIPR de conclure [qu]’une demande n’a aucun fondement dans les circonstances appropriées. Je ne vois pas, dans ces circonstances, comment les commissaires de la Section de la protection des réfugiés peuvent rendre des décisions de façon « différente » comment j’applique de quelconque façon des normes juridiques et des critères différents.

[7] L’auteur analyse ensuite le contenu de certaines de mes autres décisions (mais aucune des autres commissaires). Il précise que je fonde parfois mes préoccupations quant à la crédibilité sur des différences entre le témoignage de vive voix, les notes prises au point d’entrée et la preuve documentaire, entre autres. Cela n’est pas en réalité exact. La présence de différences peut signifier un éventail de choses. C’est l’explication de la différence qui importe. C’est l’explication de la différence qui peut mener à une conclusion, qu’elle soit favorable ou défavorable, quant à la crédibilité. À titre d’exemple, il demeure possible de conclure qu’une femme qui omet de mentionner avoir été victime d’un viol à un agent d’immigration au point d’entrée est crédible. Il est effectivement possible qu’elle se soit sentie honteuse ou stigmatisée à ce moment et mal à l’aise de répondre à des questions posées par un pur étranger. Il demeure toutefois possible de tirer une conclusion défavorable sur la crédibilité si aucune explication n’est fournie. Ces méthodes visant à évaluer la crédibilité ont été confirmées dans de nombreuses affaires présentées à la Cour fédérale depuis bien des années. L’auteur mentionne aussi que le manque de précision dans un témoignage, l’utilisation de faux documents et les délais qui indiquent l’absence de crainte subjective peuvent être pris en considération dans une conclusion sur la crédibilité. Cette affirmation est tout à fait juste et ils ont été tous confirmés à maintes reprises comme des facteurs appropriés à prendre en considération devant la Cour fédérale. L’auteur indique que je ne cite habituellement pas le fait que le témoignage devant la Section de la protection des réfugiés est réputé être vrai (ce que la loi n’exige pas de citer); il omet en fait la deuxième partie de cet énoncé; à moins qu’il n’y ait une raison de ne pas présumer qu’il est vrai. Ces motifs sont exposés dans les décisions fondées sur la crédibilité.

[8] L’auteur mentionne aussi que je cite parfois l’absence de preuves psychologiques dans une affaire ou que j’écarte les éléments de preuve présentés. C’est vrai; je ne peux prendre en considération la preuve psychologique en tant qu’explication si elle n’existe pas. De plus, à part le fait que la preuve psychologique présentée à la Section de la protection des réfugiés est souvent assez faible (elle provient d’auteurs sans permis ou de personnes détenant un permis qui rencontrent brièvement quelqu’un une seule fois, etc.), il faut croire le récit sur lequel les éléments de preuve se fondent. En définitive, s’il y a suffisamment de préoccupations quant à la crédibilité, un rapport psychologique n’est pas un document magique qui arrange tout et qui apaise toutes les préoccupations.

[9] L’auteur mentionne aussi que, dans un certain nombre de décisions, les mêmes extraits sont utilisés à répétition, comme pour le cas des gais qui ont une possibilité de refuge intérieur dans le district fédéral de Mexico. C’est tout à fait juste et le contraire serait surprenant. Les commissaires de la Section de la protection des réfugiés sont généralement affectés à des équipes qui se spécialisent dans certains pays. Un commissaire peut voir le même type général de demande dans plusieurs audiences différentes au cours de la même semaine. En général, la jurisprudence ne change pas souvent. Les ensembles de documents standard qui portent sur les conditions dans le pays sont habituellement mis à jour une fois, peut-être deux fois par année. Par conséquent, dans les décisions qui portent sur le même genre d’éléments de preuve et de profil de la demande, la même jurisprudence générale et les mêmes conditions générales dans le pays, je ne vois pas pourquoi on ne s’attendrait pas à trouver les mêmes conclusions générales et les mêmes extraits écrits sur ces points. La situation pour les gais dans le district fédéral est demeurée la même entre ces décisions et elle le demeure à ce jour. Comme il est indiqué dans les extraits cités, il existe une possibilité de refuge intérieur viable dans le district fédéral (comme je le conclus ci-dessous), même si elle n’est pas idéale. La Cour fédérale a confirmé à répétition l’utilisation d’extraits « passe-partout ». C’est le fait de savoir si les extraits s’appliquent correctement à la demande qui importe, et pas de savoir si le commissaire a utilisé un logiciel de traitement de texte plutôt qu’un dictionnaire analogique. On fait référence aussi au fait que si je n’arrive pas à trouver une façon de rejeter une demande en raison de la crédibilité, j’en trouve une autre au moyen d’un gabarit standard. Il s’agit en quelque sorte d’une analyse inversée. Comme il a été mentionné, il est approprié d’utiliser des gabarits s’ils s’appliquent à l’affaire. Dans toutes les affaires analysées, cependant, la décision était négative parce que la demande a été rejetée pour l’un des motifs essentiels. Si elle n’avait pas été rejetée pour l’un des motifs essentiels, la décision aurait été favorable.

[10] L’auteur précise aussi que je n’indique habituellement pas comment les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe sont entrées en jeu pendant l’audience ou dans la décision. Il n’y a cependant aucune exigence de le faire. Il importe plutôt de respecter les Directives. À titre d’exemple, à part l’exemple plus haut sur la divulgation au point d’entrée, il est possible de prendre de nombreuses mesures d’adaptation pendant une audience, comme autoriser la présence de personnes de soutien avec le demandeur (comme en l’espèce), varier l’ordre de questionnement (comme en l’espèce), ne pas poser de questions sur les détails d’un viol allégué (comme en l’espèce), etc. Je suis conscient que l’avocat a soulevé plusieurs objections sur le questionnement de la mère d’[I.P.P.] relativement à son viol allégué. Toutefois, je n’ai jamais demandé à obtenir de détails sur le viol en soi. Les seules questions posées découlaient du fait qu’elle avait affirmé dans son témoignage que la police était « complice », tandis qu’au départ, elle avait fait référence à la police à la suite de l’incident, mais pas de façon inquiétante. Les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe n’indiquent aucunement que l’on ne peut jamais poser de questions en réponse à une allégation de persécution fondée sur le sexe. Elles ne font que nous orienter dans la façon de poser adéquatement ce genre de questions.

[traduction]

[11] Dans sa conclusion, l’auteur indique qu’il existe des [traduction] « motifs sérieux d’être préoccupé par les critères et les normes [que j’utilise] », qu’il est [traduction] « troublé par la fréquence surprenante (c.‑à‑d. dans deux tiers des affaires qu’il a entendues) à laquelle il ne croit tout simplement pas les récits [...] », qu’il est [traduction] « troublé par les motifs qu’il invoque [...] » (j’aborderai le renvoi à la Cour fédérale ci‑dessous) et qu’il est [traduction] « troublé par le fait qu’il copie souvent de longs passages [...] ». L’utilisation de ce langage est « troublante » en soi. Ce rapport, qui commence comme un simple article universitaire neutre, ne réalise aucune analyse scientifique alors que l’on s’attend à ce qu’il y en ait une. Il semble sous-entendre que beaucoup d’éléments sont inappropriés, alors que, comme il est indiqué ci-dessus, ils sont plus qu’appropriés. Il affirme aussi que les décisions analysées doivent être différentes de celles rendues par d’autres commissaires sans qu’elles ne soient analysées. En concluant ainsi, l’auteur semble défendre un certain point de vue plutôt que d’être objectif. Je n’accorde que peu de valeur à ce document.

[12] En ce qui concerne la demande actuelle de récusation de ma part, on fait référence à des statistiques de la Cour fédérale. Malheureusement, la CISR est reconnue pour être un tribunal fondé sur les observations écrites plutôt qu’un tribunal fondé sur l’informatique. Lorsque l’on tente de recueillir des données sur ce qu’il est advenu de mes décisions devant la Cour fédérale, il est rare que notre base de données donne une réponse uniforme pour ce qui est de chiffres précis et des affaires attribuées. L’avocat semble se concentrer sur le pourcentage d’affaires à l’égard desquelles le contrôle judiciaire a été accueilli après qu’une demande d’autorisation a été accueillie. Cette approche est inappropriée. On ne peut pas se pencher uniquement sur les affaires où la demande d’autorisation a été accueillie. Il faut plutôt examiner tous les cas dans leur ensemble. Le nombre d’affaires où le contrôle judiciaire a été accueilli correspond en vérité à une infime majorité des affaires où j’ai rendu une décision sur le fond. Je mentionne que certains demandeurs n’ont peut-être pas eu les ressources requises pour présenter une demande d’autorisation. Il est toujours possible de recourir à Aide juridique Ontario pour les affaires qui semblent fondées. Si un demandeur s’inquiète d’être renvoyé après une décision où l’on concluait à l’absence d’un minimum de fondement, il est toujours possible de présenter une demande de sursis au renvoi, qui sera accueillie s’il existe un fondement à le faire. Une anecdote : au cours de la même semaine où mon « taux d’acceptation de zéro » pendant plusieurs années a attiré l’attention des médias, la première de mes décisions à être annulée en contrôle judiciaire, où j’avais rendu une décision sur le fond pour un demandeur principal a elle aussi attiré l’attention des médias (dans une affaire précédente, on avait confirmé ma décision pour le demandeur principal, mais annulé celle pour le demandeur secondaire, et on compte un petit nombre d’affaires où j’avais rendu des décisions en tant que l’un des quelques commissaires affectés à nos « tribunaux » de traitement initial pour traiter les FRP présentés tardivement et d’autres affaires qui n’étaient pas liées au bien-fondé des demandes). Même si aucun décideur ne veut voir l’une de ses décisions être annulée, cela se produit effectivement, et pour tous les décideurs. Vu le petit nombre d’affaires pour lesquelles les décisions ont été annulées sur le fond par rapport au nombre total de décisions, je ne vois pas en quoi cela peut donner lieu à une crainte de partialité. En fait, on a observé de façon incidente dans Turoczi c MCI, 2012 CF 1423, une affaire qui portait sur mon taux d’acceptation en général, que la décision était une décision simple reposant sur des principes juridiques bien reconnus que n’importe quel autre commissaire aurait tranchée de la même façon. Je ne vois pas en quoi un infime pourcentage de décisions annulées à la suite d’un contrôle judiciaire peut donner lieu à une crainte de partialité.

[267] Il s’agit à mes yeux d’une [traduction] « prise en considération adéquate ». Selon moi, le commissaire aborde chacun des points soulevés par les demandeurs dans leurs plaidoiries.

[268] L’affidavit sous forme de rapport du professeur Rehaag expose les conclusions générales qui suivent :

[traduction]

À la suite de mon examen quantitatif et qualitatif des décisions rendues par [le commissaire] de la Section de la protection des réfugiés de 2008 à 2010, j’ai de graves inquiétudes sur la fréquence à laquelle il rejette des demandes d’asile et sur les motifs qu’il invoque pour justifier ce rejet.

[269] Dans son analyse qualitative des données, le professeur Rehaag précise ce qui suit. J’ai ajouté mes réponses à ses observations :

  • a) [traduction] On conclut à l’absence de crédibilité dans 116 affaires (66,7 %). Quiconque traite des demandes d’asile sait que les conclusions défavorables quant à la crédibilité sont communes dans un nombre élevé d’affaires;

  • b) Des tendances solides se dégagent clairement des motifs du commissaire. Le professeur Rehaag omet toutefois de tenir compte du fait que les répétitions et les formules ou les approches liées à la rédaction de décisions constituent une conséquence inévitable du volume et de la similarité de nombreuses affaires. À titre d’exemple, quiconque a dû traiter beaucoup de demandes d’asile de la Chine fondées sur la persécution pour des pratiques religieuses ou du Falun Gong sait que le déroulement des faits revient toujours et que souvent, seuls les noms des individus en cause changent. Ces mêmes demandes exigent inévitablement à la Section de la protection des réfugiés de traiter de questions récurrentes de crédibilité et d’autres aspects. Il serait à la fois déraisonnable et inutile de trouver de nouvelles façons de dire des choses qui doivent être dites dans la plupart des affaires. Il ne s’agit pas d’une preuve de prédisposition à trancher les affaires d’une façon donnée. À titre d’exemple, le professeur Rehaag conclut que le commissaire fait souvent référence à des [traduction] « contradictions » ou à des [traduction] « incohérences » dans les éléments de preuve. Quelle conclusion doit-on en tirer? D’autres commissaires utilisent souvent ces termes dans leurs décisions. Le professeur Rehaag n’a pas compilé le nombre de fois où d’autres commissaires utilisent ces termes. Il n’y a donc aucun comparateur ou aucune conclusion à tirer sur les données relatives à ces termes. Le professeur Rehaag n’explique pas non plus pourquoi le fait d’utiliser ces termes régulièrement devrait donner lieu à une [traduction] « sérieuse préoccupation »;

  • c) Le commissaire conclut souvent que le témoignage des demandeurs est [traduction] « vague ou insaisissable et tire des conclusions défavorables sur la crédibilité à cet égard ». Selon mon expérience de l’audition de demandes de contrôle judiciaire et de la lecture de nombreuses décisions pendant une longue période, il s’agit d’une pratique légitime et commune que les autres commissaires suivent. Je ne vois pas pourquoi cela devrait étayer une conclusion de [traduction] « sérieuse préoccupation »;

  • d) Il en va de même pour l’observation du professeur Rehaag selon laquelle le commissaire conclut que les documents sont [traduction] « des faux » ou que le [traduction] « délai » avant de présenter une demande peut miner une crainte subjective ou que la preuve psychologique qui dépend totalement de l’exposé circonstancié d’un demandeur n’est pas crédible;

  • e) Il en va de même pour les [traduction] « huit affaires, à tout le moins, où [le commissaire] a conclu que Mexico est une possibilité de refuge intérieur viable pour les homosexuels » et il utilise une formulation semblable pour faire valoir ce point. Comme le commissaire le fait remarquer, la question n’est pas de savoir si une formulation semblable est utilisée, mais plutôt si cette formulation est pertinente et exacte pour les faits en jeu dans chaque affaire;

  • f) On en vient à se demander, par exemple, quel est le but et quelle est la pertinence de l’observation suivante du professeur Rehaag pour la présente affaire :

[traduction]

[Le commissaire] utilise aussi souvent l’extrait qui suit, que l’on trouve dans au moins 12 affaires (en n’apportant que d’infimes modifications) : [traduction] « Le demandeur a allégué être la victime d’une vendetta criminelle. Par conséquent, ses revendications en application de l’article 96 de la LIPR sont rejetées au motif de l’absence de lien avec l’un ou l’autre des motifs prévus à la Convention ».

J’ai vu cette expression ou une expression qui lui ressemble dans des centaines de décisions rendues par des commissaires différents. À mon avis, cette observation en guise d’indice d’une inclinaison ou d’une prédisposition chez le commissaire n’a aucun lien avec les conclusions défavorables sur la crédibilité qui constituent le fondement de la décision en question;

  • g) Un autre commentaire important est formulé sur les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe :

[traduction]

Selon mon opinion professionnelle, le simple fait d’indiquer – au moyen d’une expression standard que l’on trouve dans la plupart des décisions d’une personne sur le sujet – qu’il faut tenir compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe sans expliquer (sauf dans une décision) en quoi les principes précis exposés dans les Directives sont pertinents à son analyse révèle que ces dernières ne sont pas consultées de façon utile.

Personne ne contesterait cette observation. Elle est faite à répétition dans des demandes de contrôle judiciaire. C’est plutôt comme les commissaires qui indiquent avoir pris en considération l’ensemble de la preuve. De telles expressions ne sont jamais acceptées d’emblée. On examine toujours la décision faisant l’objet du contrôle pour déterminer s’il y a des éléments de preuve qui indiquent qu’un aspect a été négligé ou si les directives ont bel et bien été prises en compte. En l’espèce, l’approche adoptée par le commissaire pour questionner L.M.P.A. en particulier indique qu’elles l’ont été. Elle a remercié le commissaire de la façon dont il l’a traitée.

[270] L’idée générale est donc que l’existence d’un langage fondé sur des tendances et des formules dans les décisions du commissaire ne constitue pas un élément de preuve en soi d’un esprit fermé ou d’un esprit ayant une disposition particulière. De telles comparaisons sont inutiles, à moins d’être comparées aux approches d’autres commissaires ou à moins que les tendances et les formules n’abordent pas adéquatement les points en litige dans une demande donnée.

[271] Le professeur Rehaag fait aussi référence à deux affaires entendues devant la Cour fédérale où les décisions du commissaire ont été annulées en révision et où la Cour avait formulé de sévères critiques à son endroit pour ses conclusions sur la crédibilité. Deux affaires ne constituent toutefois pas un comparateur utile et le critère n’est pas de déterminer si le commissaire a vu ses décisions être annulées et s’il a fait l’objet de critiques dans des décisions antérieures (les deux affaires ont été tranchées en 2011); il s’agit plutôt de savoir si le commissaire a appris de ses erreurs et s’il les a répétées dans la décision dont je suis saisi.

[272] Dans ses conclusions élargies, auxquelles le commissaire a répondu – et c’est là que le mot [traduction] « troublé » apparaît –, le professeur Rehaag présente le sommaire qui suit :

[traduction]

76. Après avoir examiné plus de 1 300 pages de décisions de la Section de la protection des réfugiés rédigées par [le commissaire] et les deux procédures devant la Cour fédérale où ses décisions ont été annulées, selon mon opinion professionnelle, il y a de sérieuses raisons d’être préoccupé par les critères et les normes qu’il a souvent utilisés pour rejeter chacune des demandes d’asile qu’il a entendues de 2008 à 2010.

77. Je suis particulièrement troublé par la fréquence surprenante (c.-à-d. dans les deux tiers des affaires qu’il a entendues) à laquelle il ne croit tout simplement pas les récits des demandeurs. De même, il est inquiétant que dans une seule des 174 affaires qu’il a tranchées, il a indiqué croire en général le demandeur (et, dans cette affaire, il était l’un de trois commissaires d’un tribunal de la Section de la protection des réfugiés).

78. Je suis aussi troublé par les motifs qu’il invoque habituellement pour conclure que les demandeurs manquent généralement de crédibilité. En particulier, à mes yeux – une opinion à laquelle la Cour fédérale a fait écho dans les deux affaires où elle annulait ses décisions –, il se fonde excessivement sur les notes prises par les agents d’immigration au moment où les demandes d’asiles sont présentées. De même, il tire régulièrement des conclusions défavorables sur la crédibilité en raison d’« incohérences » relativement mineures – et il écarte rapidement des documents connexes, y compris des preuves psychologiques d’expert.

79. En ce qui concerne les dossiers rejetés pour des motifs autres que la crédibilité, le fait qu’il copie fréquemment de longs extraits de ses autres décisions – ce qui porte à croire qu’il possède des gabarits qu’il utilise pour rejeter des demandes.

80. Après avoir lu l’ensemble de ses décisions, j’ai la nette impression que [le commissaire] adopte une approche accusatoire à l’égard du traitement des demandes d’asile. Ses audiences – du moins, selon la description qu’il en fait dans ses décisions écrites – semblent être des contre-interrogatoires destinés à attaquer la crédibilité du demandeur. Dans les affaires relativement rares où la crédibilité du demandeur survit à ce contre-interrogatoire, son rejet se fonde sur d’autres motifs, souvent au moyen d’un gabarit standard qu’il utilise dans d’autres affaires.

[273] Je me suis déjà penché sur l’utilisation que fait le commissaire des notes prises au PDE en l’espèce et j’ai conclu qu’il n’y a aucun motif à être préoccupé sur ces faits. Selon moi, la décision en l’espèce ne se fonde pas sur des [traduction] « incohérences mineures » et n’écarte pas de manière déraisonnable des documents connexes, y compris des éléments de preuve psychologique. Le professeur Rehaag exprime une opinion sur de nombreux dossiers dont je ne suis pas saisi et le fait de déterminer ce qui constitue une incohérence mineure et ce qui ne le constitue pas peut donner lieu à des opinions divergentes. En l’espèce, les demandeurs allèguent que toutes les incohérences que le commissaire cherche à faire préciser sont des incohérences mineures, voire [traduction] « microscopiques ». Ce ne sont pas à mes yeux des incohérences mineures ou microscopiques, même si certaines sont plus révélatrices que d’autres, comme le commissaire le précise. La décision se fonde, non pas sur une incohérence, mais plutôt sur une accumulation d’incohérences.

[274] Il n’est pas utile de comparer d’autres dossiers rejetés pour des motifs autres que la crédibilité en l’espèce. Je ne vois pas non plus que le commissaire adopte une approche accusatoire en l’espèce dans le contre-interrogatoire des témoins. C’est l’avocat des demandeurs qui a dirigé le questionnement; le commissaire a seulement posé des questions sur les incohérences dans les éléments de preuve, dans les cas où il avait le devoir de demander une explication et de donner au témoin l’occasion de clarifier l’incohérence.

[275] En général, je ne crois pas que l’analyse qualitative du professeur Rehaag soit utile en l’espèce. Je suis toutefois d’accord avec lui sur un point important, soit que les données quantitatives et le nombre de refus sont troublants lorsqu’on les examine de façon isolée. Je peux donc très bien comprendre pourquoi les demandeurs ont jugé que c’était troublant et pourquoi certains d’entre eux ont éprouvé des symptômes psychologiques et physiques en conséquence. La jurisprudence indique toutefois clairement que les données quantitatives ne constituent pas en soi une preuve de crainte raisonnable de partialité. En l’espèce, le professeur Rehaag ou qui que ce soit d’autre ne répondent pas à beaucoup des questions posées par le juge Zinn au paragraphe 15 de Turoczi auxquelles il faut répondre avant que la personne sensée et raisonnable puisse étudier l’affaire en profondeur. À titre d’exemple, le juge Zinn a conclu que la personne sensée et raisonnable voudrait savoir si la Section de la protection des réfugiés attribue au hasard les affaires de chaque pays d’origine aux commissaires et si les statistiques ont été rajustées pour absence de caractère aléatoire. Le professeur Rehaag prévoit cette inquiétude; il peut uniquement faire valoir qu’il faut rejeter cette explication puisque la Section de la protection des réfugiés [traduction] « n’a jamais reconnu utiliser un tel processus de sélection ». En outre, on n’aborde pas dans ce rapport le besoin pour la personne sensée et raisonnable de savoir si les décisions du commissaire sont annulées plus souvent à la suite d’un contrôle judiciaire.

[276] En dépit des antécédents statistiques du commissaire, la Cour doit tout de même déterminer si les faits en l’espèce établissent la prédisposition. Entre autres facteurs principaux, la personne sensée et raisonnable doit se demander si, à première vue et selon ses propres termes, la décision est raisonnable. Dans Turoczi, le juge Zinn a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection adéquate de l’État et que les conclusions du commissaire « résultent de l’application de fondements juridiques ayant force exécutoire ainsi que du fardeau de preuve pertinent ». Le juge Zinn a affirmé que « le fait que le commissaire soit pratiquement dans l’obligation de statuer de la façon dont il l’a fait en prenant en compte le droit et le fardeau de preuve applicables constitue un autre facteur qu’une personne raisonnable et sensée, qui étudierait la question en profondeur, aurait examiné ». En l’espèce, je ne dirais pas que le commissaire était « pratiquement dans l’obligation » de trancher cette affaire comme il l’a fait. La personne raisonnable aurait cependant tenu compte du fait que les évaluations de la crédibilité sont au cœur du travail de la Section de la protection des réfugiés et que la jurisprudence existante n’exige pas que tous les commissaires soient parfaits. Les décisions n’ont qu’à faire « partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (non souligné dans l’original). J’ai déjà conclu que la décision appartient à ces issues possibles. Les demandeurs sont en droit d’être en désaccord avec les conclusions du commissaire et je peux moi-même être en désaccord avec certaines d’elles; cela ne signifie pas pour autant que la décision n’appartient pas aux issues possibles énoncées dans Dunsmuir ou que l’attitude du commissaire a donné lieu à une crainte raisonnable de partialité dans les faits en l’espèce.

16) Conclusion sur la crainte raisonnable de partialité

[277] À mon avis, les éléments de preuve, qu’il s’agisse de deux issus de la procédure elle-même ou des commentaires formulés par les témoins sur le rendement général du commissaire à la Section de la protection des réfugiés, ne suffisent pas pour étayer une conclusion de crainte raisonnable de partialité. Selon les points de vue des demandeurs, le commissaire était prédisposé à trancher en leur défaveur. Le commissaire, à son avis, s’acquittait de son devoir :

[traduction]

Je suis lié par un code de conduite pour trancher les affaires en fonction des éléments de fait et de droit dont je dispose et chaque affaire est un cas d’espèce [...] Tous les commissaires doivent suivre la même jurisprudence et utilisent généralement les mêmes ensembles standard d’éléments de preuve documentaire pour chaque pays. Chacun d’entre nous est lié par le même code de conduite selon lequel nous avons prêté serment de trancher les affaires adéquatement en fonction des éléments de fait et de droit dont nous disposions ou nous avons proclamé que nous le ferions.

D. Délai

[278] Il s’agit du motif d’examen le plus insoluble soulevé par les demandeurs en l’espèce. Les raisons en sont évidentes : le nombre élevé de demandeurs; les problèmes de planification; les complexités liées à la preuve; le volume des documents, etc.

[279] Le délai a été invoqué en tant que motif de récusation auprès du commissaire pendant l’audience, ce à quoi il a répondu :

COMMISSAIRE : [traduction]

[...] Enfin, il y a la question du délai. Il est vrai qu’il y a eu un laps de temps dans l’audition des témoignages, de février à octobre; on ne m’a toutefois présenté aucun élément de preuve sur la cause du délai et je ne crois pas que des plaintes ont été présentées à l’égard de la Section du rôle pendant cette période, du moins pas à ma connaissance.

Je suis bien au fait que les souvenirs s’estompent au fil des ans, surtout dans un cas où certains événements sont survenus il y a près de 20 ans. Toutefois, on ne demande pas aux demandeurs qui témoignent de se souvenir des témoignages des autres comme ils apprendraient un texte. On leur posera des questions sur leurs souvenirs de leurs propres expériences et je sais que Mme Bondy a présenté deux affaires entendues devant la Cour fédérale. Ni l’une ni l’autre d’entre elles n’aborde cependant directement la question du délai puisqu’aucune erreur véritable n’a été commise dans chacune des décisions et en l’espèce, nous n’en sommes même pas à l’étape de la prise d’une décision.

Je ne vois pas en quoi le fait de tout recommencer avec un autre commissaire sera utile en ce qui concerne le délai. La meilleure chose à faire est d’aller de l’avant, ce que nous ferons dans un avenir rapproché, je l’espère. Je rejette donc toutes les demandes présentées par les avocats.

[DCT, aux pages 5731 et 5732.]

[280] Et, ce qui est plus important, le commissaire aborde le délai dans la décision elle-même, même s’il le fait encore une fois ici dans le contexte de la question de la récusation et qu’il ne traite pas, bien entendu, les plaintes actuelles des demandeurs sur les laps de temps inacceptables entre les audiences, ainsi qu’entre la fin des audiences et la présentation de la décision :

[traduction]

[4] [...] La question du délai a aussi été soulevée. Toutefois, aucun élément de preuve n’a été présenté selon lequel on a tenté de planifier des audiences et que la Section de la protection des réfugiés a refusé. Étant donné qu’il y avait 26 demandeurs pendant la majeure partie de la procédure d’audience, une seule salle d’audience à Toronto peut accueillir tout le monde, sans compter qu’il fallait prendre en considération les disponibilités de nombreuses personnes. Les avocats ont effectivement présenté certains exemples d’affaires où la Cour fédérale avait annulé des décisions rendues par la Section de la protection des réfugiés; le délai n’a toutefois pas été mentionné uniquement dans une remarque incidente en tant que motif possible à l’erreur réelle commise dans la décision. Dans ces affaires, il n’y avait aucun dossier sur ce qui était ressorti de l’audience ou de l’entrevue. Comme je l’ai indiqué, toutes les procédures devant la Section de la protection des réfugiés sont enregistrées numériquement et peuvent être utilisées facilement pour se rafraîchir la mémoire quand les souvenirs et les notes écrites ne sont pas clairs.

[...]

[13] Il y a aussi la question du délai. Les audiences et les décisions peuvent malheureusement être repoussées pour une multitude de facteurs. Le simple fait d’effectuer le suivi d’une affaire aussi massive que celle-ci, qui constitue une véritable montagne de documents, à laquelle participaient, à un certain moment, 26 demandeurs, deux avocats et un APR peut s’avérer une tâche colossale. À un moment donné, une demande d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels a été présentée afin d’obtenir des copies de tout ce que contenait le dossier. Même si la demande d’AIPRP était tout à fait ordonnée, le dossier a été retourné par la suite en désordre. Le simple fait de le remettre en ordre a exigé la participation de plusieurs employés. D’autres facteurs comme la santé et la disponibilité, entre autres, peuvent entrer en jeu. D’abord et avant tout, outre le dossier physique, il existe un enregistrement numérique de toute la procédure. Il est donc possible d’examiner cet enregistrement en cas de doute.

[281] Comme ces citations l’indiquent clairement, le commissaire s’inquiète de l’incidence du délai sur l’équité des audiences, ce qui n’est que l’un des aspects du délai qui me sont présentés, l’autre étant l’incidence de ce délai sur la vie des demandeurs.

[282] Les demandeurs soutiennent essentiellement ce qui suit sur les deux aspects du délai :

[traduction]

30. L’article 7 entre aussi en jeu lorsque le stress psychologique causé par l’État empiète sur la sécurité de la personne. Le stress psychologique et physique causé par l’État dans le cadre de la procédure devant la Section de la protection des réfugiés a empiété sur la sécurité de la personne des demandeurs, ce qui a eu une nettement incidence sur leur bien-être et leur intégrité physique. Au cours d’une période de six mois, de la première audience, le 8 juillet 2009, au prononcé de la décision finale du commissaire, le 27 octobre 2015, les demandeurs ont éprouvé d’immenses difficultés mentales et physiques, de loin supérieures aux « tensions et à l’anxiété ordinaires » auxquelles on pouvait s’attendre dans le cadre de la procédure de demande d’asile.

[...]

32. Un délai inacceptable dans une procédure administrative compromet l’équité de l’audience. Le délai en l’espèce était inacceptable, a nui à la capacité des demandeurs d’avoir une audience équitable, ce qui va à l’encontre des principes de justice fondamentale, et a constitué une atteinte aux droits garantis aux demandeurs par l’article 7 de la Charte.

[Renvois omis.]

[283] Le traitement de ces questions pose certains problèmes, dont le fait que les demandeurs n’ont pas tous été touchés également. Nous avons affaire à vingt-quatre demandeurs, qui auraient tous été touchés de façons différentes, mais qui semblent supposer qu’ils peuvent se fonder sur le témoignage d’autres demandeurs pour se plaindre d’un délai déraisonnable ou excessif. Cela peut être approprié quand nous nous penchons sur la durée véritable; toutefois, lorsque les répercussions actuelles sont en litige, cela devient très inapproprié. Ainsi, il faudra peut-être limiter toute conclusion que je pourrais formuler sur le délai aux demandeurs pour qui les éléments de preuve suffisent à tirer une conclusion raisonnable quelconque.

[284] En outre, comme la jurisprudence l’indique clairement, il est difficile de se pencher sur le délai puisqu’il est inévitablement greffé à l’administration institutionnelle, sans compter que ses répercussions sont extrêmement variées et qu’elles posent des problèmes de causalité difficiles. La jurisprudence suggère donc de jouer de prudence.

[285] La Cour suprême du Canada, dans Blencoe, a formulé les directives qui suivent :

160 Comme nous l’avons vu, les principaux facteurs dont l’ensemble de la jurisprudence moderne en droit administratif nous invite à tenir compte sont la longueur, la cause, et les effets. Grâce à une meilleure compréhension des différents types de délai et des différents contextes dans lesquels ils se situent, nous considérons que, pour évaluer le caractère raisonnable d’un délai administratif, trois facteurs principaux doivent être appréciés :

(1) le délai écoulé par rapport au délai inhérent à l’affaire dont est saisi l’organisme administratif, ce qui comprendrait la complexité juridique (y compris l’existence de questions systémiques particulièrement complexes) et la complexité factuelle (y compris la nécessité de recueillir de grandes quantités de renseignements ou de données techniques), ainsi que les délais raisonnables pour que les parties ou le public bénéficient de garanties procédurales;

(2) les causes de la prolongation du délai inhérent à l’affaire, ce qui comprendrait notamment l’examen de la question de savoir si la personne touchée a contribué ou renoncé à certaines parties du délai, et celle de savoir si l’organisme administratif a utilisé aussi efficacement que possible les ressources dont il disposait;

(3) l’incidence du délai, considérée comme englobant le préjudice sur le plan de la preuve et les autres à l’existence des personnes touchées par le délai qui s’écoule. Cela peut également comprendre l’examen des efforts que les différentes parties ont déployés pour réduire au minimum les effets négatifs en fournissant des renseignements ou en apportant des solutions provisoires.

(Voir, de manière générale, Ratzlaff, précité, à la p. 346; Saskatchewan (Human Rights Commission) c Kodellas (1989), 60 D.L.R. (4th) 143 (C.A. Sask.); R. c Morin, [1992] 1 RCS 771; McMurtrie, loc. cit.; Skiffington, loc. cit.) L’examen de ces facteurs commande, de toute évidence, une analyse contextuelle. Notre Cour devrait donc éviter d’imposer des délais précis en la matière. Un juge devrait examiner les faits particuliers de l’affaire dont il est saisi et faire une évaluation qui tient compte des trois principaux facteurs décrits plus haut.

[Souligné dans l’original.]

[286] Voici ce que la Cour suprême du Canada avait à dire dans Blencoe sur les questions liées à l’article 7 de la Charte :

57 Les atteintes de l’État à l’intégrité psychologique d’une personne ne font pas toutes intervenir l’art. 7. Lorsque l’intégrité psychologique d’une personne est en cause, la sécurité de la personne se limite à la « tension psychologique grave causée par l’État » (le juge en chef Dickson dans Morgentaler, précité, à la page 56). Je crois que le juge en chef Lamer a eu raison de dire que le juge en chef Dickson tentait d’exprimer en termes qualitatifs le type d’ingérence de l’État susceptible de violer l’art. 7 (G. (J.), au par. 59). Selon l’expression « tension psychologique grave causée par l’État », deux conditions doivent être remplies pour que la sécurité de la personne soit en cause. Premièrement, le préjudice psychologique doit être causé par l’État, c’est‑à‑dire qu’il doit résulter d’un acte de l’État. Deuxièmement, le préjudice psychologique doit être grave. Les formes que prend le préjudice psychologique causé par le gouvernement n’entraînent pas toutes automatiquement des violations de l’art. 7. Je vais examiner successivement ces deux conditions.

[...]

59 Un procès criminel, une allégation en matière de droits de la personne ou même une action au civil peut être une cause de stress, d’angoisse et de stigmatisation même lorsque le procès ou les procédures se déroulent dans un délai raisonnable. Ce qui nous intéresse en l’espèce n’est pas tout préjudice de cette nature, mais seulement l’atteinte qui, peut-on dire, résulte du délai écoulé dans le déroulement du processus en matière de droits de la personne. Il serait inopportun de tenir le gouvernement responsable du préjudice causé par un tiers qui n’est aucunement un mandataire de l’État.

60 Bien que les allégations de harcèlement sexuel dont l’intimé a fait l’objet lui aient indéniablement causé un préjudice grave, il doit y avoir un lien de causalité suffisant entre le délai imputable à l’État et le préjudice subi par l’intimé pour que l’art. 7 s’applique. Dans Operation Dismantle Inc. c La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, à la p. 447, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a conclu que le lien de causalité entre les actes du gouvernement et la violation alléguée de la Charte était « trop incertain, trop conjectural et trop hypothétique pour étayer une cause d’action ». Dans des motifs concordants distincts, le juge Wilson a également fait état de la nécessité d’un lien direct quelconque entre les actes de l’État et l’atteinte qui en a résulté. Voici ce qu’elle a dit, à la p. 490 :

Il n’est pas nécessaire de souscrire à l’interprétation restrictive avancée par le juge Pratte, qui limiterait l’art. 7 à une protection contre les arrestations ou les détentions arbitraires, pour convenir que l’article a pour objet central l’ingérence directe du gouvernement dans la vie, la liberté et la sécurité personnelle des citoyens. À tout le moins, me semble-t-il, il doit y avoir une forte présomption qu’on n’a jamais voulu qu’une action gouvernementale relative aux relations de l’État avec d’autres États, et qui donc n’est dirigée contre aucun membre de la collectivité politique immédiate, tombe sous le coup de l’art. 7 même si cette action peut avoir l’effet incident d’accroître le risque de mort ou de préjudice auquel les gens doivent faire face en général. [Non souligné dans l’original.]

[Souligné dans l’original.]

[287] En ce qui concerne l’obligation d’équité procédurale, la Cour suprême du Canada a formulé les directives qui suivent dans Blencoe :

121 Pour qu’il y ait manquement à l’obligation d’agir équitablement, le délai doit être déraisonnable ou excessif (Brown et Evans, op. cit., à la p. 9-68). Le délai ne constitue pas en soi un abus de procédure. La personne visée par des procédures doit établir que le délai était inacceptable au point d’être oppressif et de vicier les procédures en cause. Bien que je sois disposé à reconnaître que le stress et la stigmatisation résultant d’un délai excessif peuvent entraîner un abus de procédure, je ne suis pas convaincu que le délai écoulé en l’espèce était « excessif ».

122 La question de savoir si un délai est devenu excessif dépend de la nature de l’affaire et de sa complexité, des faits et des questions en litige, de l’objet et de la nature des procédures, de la question de savoir si la personne visée par les procédures a contribué ou renoncé au délai, et d’autres circonstances de l’affaire. Comme nous l’avons vu, la question de savoir si un délai est excessif et s’il est susceptible de heurter le sens de l’équité de la collectivité dépend non pas uniquement de la longueur de ce délai, mais de facteurs contextuels, dont la nature des différents droits en jeu dans les procédures.

[...]

125 Au cours de ces 24 mois, la Commission a également été saisie d’une contestation de l’intimé fondée sur le caractère tardif des plaintes, et de son argument que ces plaintes avaient été portées de mauvaise foi. Il refusait de répondre aux allégations jusqu’à ce que l’on ait statué sur ces points. Le processus a donc été retardé d’environ huit mois. L’intimé avait parfaitement le droit d’alléguer la mauvaise foi et le non-respect du délai imparti pour porter plainte. Cependant, la Commission ne devrait pas être tenue responsable d’avoir contribué à cette partie du délai. Voici ce que le juge Lowry a dit à ce sujet (au par. 42) :

[traduction]

On n’affirme pas que M. Blencoe n’avait pas le droit de contester les plaintes comme il l’a fait au départ, mais j’estime qu’il ne peut pas, après avoir exercé ce droit en vain, prétendre maintenant que les événements qui sont survenus pendant les huit mois qui se sont écoulés ont contribué à l’écoulement d’un délai inacceptable.

[288] La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale se sont aussi penchées sur le délai dans le contexte des demandes liées à l’immigration et des procédures non pénales. Dans Rana, précité, le juge von Finckenstein a attiré l’attention sur ce qui suit :

[18] Le demandeur, invoquant les arrêts suivants de la Cour d’appel fédérale : Akthar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 32, Lignes aériennes Canadien International c Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 1 C.F. 638, et Hernandez c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1993] A.C.F. no 345, affirme qu’un délai excessif peut priver le demandeur du droit à une audience équitable et donc équivaloir à une violation de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[19] Les effets d’un délai sur le caractère équitable d’une audience et les trois précédents évoqués plus haut ont été succinctement résumés par le juge Pinard dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Cortez, [2000] A.C.F. no 115. Il écrivait ce qui suit, aux paragraphes 11 à 13 :

Dans l’arrêt Akthar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 14 Imm. L.R. (2 d) 39, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’un revendicateur du statut de réfugié n’est pas, du point de vue juridique, dans la même position qu’une personne accusée, étant donné que le revendicateur du statut de réfugié cherche à faire valoir une revendication contre l’État et qu’il lui incombe d’établir que sa revendication a un fondement crédible. La Cour d’appel a en outre dit que « l’accusé dont l’affaire n’est jamais jugée est et demeure innocent; le demandeur du statut de réfugié, dans les mêmes circonstances, n’atteint jamais le statut de réfugié ». La Cour d’appel fédérale a conclu dans cette affaire que toute demande, fondée sur la Charte, invoquant une violation de la Charte du fait d’un délai dans le cadre d’une affaire non criminelle devait être étayée par des éléments de preuve, ou, à tout le moins, par une inférence, faite à partir des circonstances de l’affaire, selon laquelle le revendicateur a, en fait, subi un préjudice ou un manque d’équité en raison du délai.

Dans l’arrêt Hernandez c M.C.I. (1993), 154 N.R. 231, la Cour d’appel fédérale a de nouveau abordé la question du délai de traitement d’une revendication du statut de réfugié. Le juge Robertson de la Cour d’appel a prévenu les avocats que, compte tenu du cadre énoncé dans l’arrêt Akthar, précité, « il est bien clair que l’argument “délai abusif” ne saurait être perçu comme un motif fécond d’annulation des décisions judiciaires. Sur le plan juridique, il est probablement plus réaliste de présupposer que cet argument sera rarement, voire jamais invoqué avec succès ».

Dans l’arrêt Lignes aériennes Canadien International Ltée c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] 1 C.F. 638 (demande d’autorisation de pourvoi devant la C.S.C. rejetée (1996), no 40, 205 N.R. 399), la Cour d’appel fédérale a traité de la question de savoir si un délai de quatre ans et demi entre le dépôt d’une plainte et une décision de la Commission canadienne des droits de la personne de nommer les membres du tribunal chargé de faire enquête était déraisonnable. Le juge Décary a adopté les propos de la Cour d’appel du Manitoba dans Nisbett c Manitoba (Human Rights Commission) (1993), 101 D.L.R. (4th) 744, aux pages 756 et 757 :

[traduction] « il n’est désormais pas possible de douter que les principes de justice naturelle et le devoir d’équité qui font partie de toute procédure civile de nature administrative incluent le droit à une audition équitable et que le délai dans l’exécution d’une obligation imposée par la loi peut constituer un abus auquel la loi peut remédier » (à la page 756); que [traduction] « s’il y a eu préjudice tel, en nature et en degré, que la possibilité pour une partie d’obtenir une audition équitable en est sérieusement compromise, le tribunal administratif peut effectivement perdre sa compétence » (à la page 756); que [traduction] « dans certaines circonstances, un délai excessif peut constituer un abus de procédure » (à la page 756); et que [traduction] « La question est tout simplement de savoir si, selon le dossier, il y a des preuves manifestes de l’existence d’un préjudice suffisamment grave pour compromettre l’équité de l’audition » (à la page 757).

Le juge Décary a poursuivi :

Selon nous, le délai dans la procédure d’un tribunal administratif qui n’est pas causé par le requérant ne donnera lieu à une interdiction que s’il est tel qu’il empêche le tribunal de remplir correctement son mandat législatif conformément aux principes de justice naturelle. Ainsi, un tribunal peut, en raison de son incapacité à procéder avec célérité, se trouver incapable de remplir son mandat conformément à ces exigences s’il y a preuve que le préjudice causé par le délai est tel qu’il prive une partie de son droit à une défense pleine et entière. Il convient de s’intéresser à la nature du préjudice subi par une partie plus qu’à la cause ou à la durée du délai. Comme le critère relatif aux procédures non pénales est distinct de celui qui s’applique aux procédures pénales, il peut être utile de parler de délai « excessif » lorsqu’il est question de droits selon la Charte et de délai « inadmissible » lorsqu’il s’agit des règles de justice naturelle.

[20] En l’espèce, le traitement de la revendication du demandeur selon le régime des dossiers en attente de traitement a entraîné un délai de 14 ans. Le dossier n’a été soumis à la CISR qu’en 2002. C’est là une très longue période, mais même si l’on peut déplorer la longue attente du demandeur dans le traitement de sa demande d’asile, il n’y a tout simplement aucune « preuve de l’existence d’un préjudice suffisamment grave pour compromettre l’équité de l’audition », selon les mots employés dans l’arrêt Nisbett, précité. Le demandeur s’est fondé sur des affirmations, mais il n’a avancé aucun fait. Il n’a même jamais prétendu que c’était le passage du temps qui lui avait fait oublier de qui il avait peur ou pourquoi il avait peur. Devant cette absence totale de preuve d’un préjudice censément causé par le délai, il n’y a aucune raison de conclure que la décision de la CISR est incorrecte.

[21] Par conséquent, cette allégation ne peut être accueillie.

[289] En l’espèce, les demandeurs ne se plaignent pas du temps écoulé avant de commencer les audiences après la présentation de leurs demandes. En fait, pendant cette période, la Section de la protection des réfugiés semble avoir fait preuve d’une efficience remarquable. Nous étions à la fin de 2008 quand tous les demandeurs ont présenté leur demande d’asile; la première conférence préparatoire a eu lieu en juillet 2009. Les périodes en litige en l’espèce vont de la première conférence préparatoire, en 2009, à la dernière audience, en décembre 2011 et de la dernière audience, en décembre 2011, au prononcé de la décision, en octobre 2015.

1) La période du 8 juillet 2009 au 6 décembre 2011

[290] Il s’agit de la période où toutes les demandes présentées par les demandeurs ont été entendues dans le cadre de cinq conférences préparatoires à l’audience et de onze audiences. La Section de la protection des réfugiés a commencé à entendre les témoignages individuels le 8 février 2011.

[291] Le premier groupe de demandeurs était arrivé au Canada le 17 avril 2007 et la demande d’asile a été déférée à la Section de la protection des réfugiés quelques jours plus tard. D’autres demandeurs sont arrivés en groupes distincts et ont présenté des demandes; le dernier groupe est arrivé en octobre 2008 et les dernières demandes ont été présentées en novembre 2008.

[292] Les demandeurs ne se plaignent pas du temps écoulé d’avril 2007 à février 2011 et n’en tiennent pas compte lorsqu’ils examinent la période du 8 juillet 2009 au 6 décembre 2011. Cela déforme le contexte complet du délai de plusieurs façons. D’abord et avant tout, il est impossible de séparer les délais et les complexités liés à la période d’audience, ainsi que le stress dont les demandeurs ont souffert et leurs symptômes psychologiques et physiques des complexités de la période antérieure à l’audience, pendant laquelle les demandeurs sont arrivés en quatre groupes distincts qui devaient être intégrés à la même demande. Les audiences ont commencé en février 2011, mais elles auraient commencé plus tôt si les demandeurs n’étaient pas arrivés en groupes. Les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve sur la mesure dans laquelle on peut attribuer leurs problèmes physiques et psychologiques à la période de tenue des audiences par rapport à la période précédant les audiences. En outre, selon les éléments de preuve sur la période précédant les audiences, le commissaire et la Section de la protection des réfugiés se sont employés avec diligence à organiser les demandes de tous les demandeurs afin de répondre à leurs nombreuses demandes d’ajournements, de conférences et de prorogation. Aucune plainte n’est présentée sur la conduite du commissaire pendant la période précédant l’audience, lorsqu’il s’employait avec diligence et qu’il offrait son expérience pour aider les demandeurs à organiser leurs demandes de façon à ce qu’elles puissent être traitées avec efficience à l’audience.

[293] Un autre problème important lié à l’incidence de tout délai sur les demandeurs réside dans le fait que, durant la moitié de l’année 2011, les demandeurs ont eu connaissance de la couverture médiatique sur le taux d’acceptation du commissaire, ce qui, selon eux, a eu une incidence importante sur leurs niveaux de stress et leur bien-être. Cette révélation – qui a mené au temps pris pour présenter une requête en récusation – ne peut être attribuée à un délai ou à la procédure de la Section de la protection des réfugiés pour traiter leurs demandes. Les demandeurs décrivent ainsi l’incidence de ces révélations :

[traduction]

13. Au milieu de 2011, la famille a eu connaissance de la couverture médiatique sur le taux d’acceptation nul [du commissaire] concernant les demandes d’asile. Le 13 octobre 2011, les demandeurs ont présenté des observations au commissaire afin de lui demander de se récuser en raison de l’incidence de cette révélation sur eux et d’une crainte raisonnable de partialité et de délai. Le commissaire a rejeté cette demande à l’audience suivante.

14. Par la suite, le niveau de stress des demandeurs s’est accru considérablement. Ce stress s’est manifesté sous la forme de diverses affections physiques graves. Le 21 octobre 2011, I.P.P. a commencé à vomir de façon compulsive après le témoignage de F.P.R. Ses vomissements étaient graves au point où il a fallu le transporter en ambulance à l’urgence de l’Hôpital St. Michaels. L’audience a été suspendue. Le médecin qui a examiné I.P.P. a déterminé que c’était probablement la procédure qui avait causé sa maladie.

15. À l’audience suivante, le 27 octobre 2011, les demandeurs ont présenté une autre demande au commissaire afin qu’il se récuse aux mêmes motifs que ceux invoqués précédemment et ont soumis des documents médicaux sur la maladie d’I.P.P. Encore une fois, le commissaire a rejeté la demande. L.M.P.A. a ensuite ressenti une vive douleur au cou et au torse, et a été conduite à l’urgence pour traitement. On lui a diagnostiqué une crise de panique et, une fois de plus, le stress a été invoqué comme cause probable de l’incident. L’audience a été suspendue de nouveau.

16. Tout au long du mois d’octobre 2011, Y.T.M. a souffert de détresse physique causée par le stress, y compris une menstruation irrégulière et des vomissements en raison de son expérience des audiences.

17. Au cours de la dernière audience, le 6 décembre 2011, E.M.V. est devenue trop malade pour continuer de participer à la procédure. Après l’audience, Mme Bondy, l’avocate, a informé le commissaire de son expérience.

[Renvois omis.]

[294] Les demandeurs ne peuvent prouver que ces symptômes résultent uniquement, voire pas du tout, du délai à la Section de la protection des réfugiés et du refus du commissaire de se récuser même si, bien entendu, le commissaire devait prendre des mesures d’adaptation à leur égard, ce qu’il s’est employé à faire du mieux qu’il a pu, à part se récuser. L’un des problèmes qui surgit ici, outre les questions liées à la prudence, est qu’il aurait été impossible pour le commissaire de prévoir ou de prédire lesquels parmi les demandeurs seraient touchés des façons décrites par ceux-ci. Il n’était pas déraisonnable pour le commissaire de supposer qu’il était possible de composer avec le stress subi par les demandeurs en prenant les nombreuses mesures d’adaptation qu’il leur a offertes. Et la solution proposée par les demandeurs, soit la récusation du commissaire, n’aurait pu qu’alimenter davantage tout stress causé par le délai.

[295] Les demandeurs ont continué de souffrir d’anxiété et d’éprouver des symptômes liés au stress pendant la période suivant les audiences. Il est toutefois possible, encore une fois, de les dissocier de la façon dont ils ont été décrits par des sources et des parties externes à la Section de la protection des réfugiés à propos des antécédents du commissaire et de sa prédisposition alléguée. Les demandeurs ne présentent aucune observation sur cette question et semblent s’attendre à ce que la Cour attribue l’ensemble des répercussions au commissaire et à la Section de la protection des réfugiés.

[296] Le fait de composer avec les répercussions subies pendant cette période et pendant celle suivant les audiences, pose un autre problème, en ce sens que les demandeurs ne tentent aucunement de prendre en considération les prédispositions médicales et les situations personnelles qu’ils ont apportées avec eux au Canada. Les demandeurs allèguent qu’ils vivent dans une situation de stress considérable depuis 1992 et que certains d’entre eux avaient reçu des diagnostics de problèmes médicaux avant leur arrivée au Canada. Cela soulève des questions importantes sur le lien de causalité auxquelles les demandeurs n’ont aucunement tenté de répondre.

[297] La Cour ne peut résoudre ces problèmes sans les éléments de preuve requis. Les éléments de preuve qui ont été présentés soulèvent aussi des problèmes importants, quoique cela soit particulièrement problématique pour la période suivant les audiences en ce qui concerne les répercussions.

2) Droits garantis par l’article 7 de la Charte

[298] Les demandeurs affirment que, conformément à Singh, précité, au paragraphe 210, « [é]tant donné les conséquences que la négation de ce statut peut avoir pour les appelants si ce sont effectivement des personnes “craignant avec raison d’être persécutée[s]”, il [me] semble inconcevable que la Charte ne s’applique pas de manière à leur donner le droit de bénéficier des principes de justice fondamentale dans la détermination de leur statut ». Cela n’est toutefois pas en litige en l’espèce. Il s’agit plutôt du délai écoulé avant la tenue des procédures et la question de savoir si le délai met en jeu et viole les droits des demandeurs garantis par l’article 7 de la Charte et y contrevient, ou s’il était inéquitable sur le plan procédural.

[299] Les arguments qu’invoquent les demandeurs pour la violation de leurs droits garantis par l’article 7 de la Charte sont essentiellement les suivants :

[traduction]

6. Deuxièmement, la procédure en soi fait entrer en jeu leur sécurité psychologique. Les délais causés par l’État dans cette procédure ont causé de l’anxiété et des dommages psychologiques, en plus de priver les demandeurs de la capacité de faire des choix de vie fondamentaux. Ce stress physique et psychologique causé par l’État empiète sur la sécurité de la personne, sans égard au résultat éventuel de la décision. En raison du délai extrême avant le prononcé de la décision, les demandeurs ont éprouvé d’immenses difficultés mentales et physiques de loin supérieures aux « tensions et à l’anxiété ordinaires » auxquelles on pouvait s’attendre dans le cadre de la procédure de demande d’asile.

7. Ce stress, attribuable à l’État, est le résultat direct de la nature et de la durée de la procédure de la Section de la protection des réfugiés. Contrairement à Blencoe, les demandeurs ont établi que les préjudices pour leur bien-être physique et psychologique sont attribuables à la façon dont l’audience devant la Section de la protection des réfugiés a été menée et au délai d’une longueur déraisonnable avant de rendre la décision.

[Renvois omis.]

[300] Je ne crois pas que les demandeurs ont établi que le délai a été d’une longueur déraisonnable en ce qui concerne la période allant de novembre 2008 (une fois toutes les demandes présentées) à la dernière date d’audience, en décembre 2011. Je suis parvenu à cette conclusion pour trois motifs.

  • a) Les demandeurs eux-mêmes ne contestent pas la période allant de la présentation des premières demandes, en avril 2007, au début des conférences préparatoires aux audiences, en juillet 2009. Le dossier lui-même indique que cette période a été marquée par l’arrivée d’autres demandeurs, des FRP incomplets, de nombreuses demandes d’ajournement et de prorogation, ainsi que des changements d’avocat. Quand la première conférence préparatoire à l’audience a eu lieu, en juillet 2009, les demandes étaient devenues extrêmement complexes et lourdes à gérer et le temps écoulé avant le début des audiences respectait parfaitement le délai inhérent à l’affaire. En outre, aucun élément de preuve convaincant n’a été présenté pour montrer que pendant cette période, tout ce qui se produisait à la Section de la protection des réfugiés avait des répercussions négatives supérieures au stress lié à la présentation d’une demande d’asile par des personnes qui présentent les mêmes antécédents, maladies, relations familiales et inclinaisons personnelles que les demandeurs. Il faut aussi se rappeler que les demandeurs eux-mêmes n’ont pris aucune mesure pendant cette période initiale pour réduire le temps que prenait la procédure :

  • b) Entre la date de la première conférence préparatoire à l’audience, en juillet 2009, et la dernière date d’audience, en décembre 2011 (une période que les demandeurs contestent), il y a eu des délais évidents en raison de la planification, de la disponibilité d’une salle d’audience suffisamment grande pour accueillir les participants et de la détermination de dates correspondant aux disponibilités de l’avocate des demandeurs, du commissaire, de l’APR et d’autres participants à l’administration des audiences. Il fallait aussi traiter des requêtes en récusation, planifier et planifier de nouveau des audiences à la demande de l’avocate, prendre en considération des évaluations psychiatriques, sans compter la maladie dont le commissaire a souffert, le délai avant de présenter un exposé circonstancié définitif pour les demandeurs, d’autres demandes relatives à l’horaire du commissaire, des modifications apportées aux FRP et une demande spéciale liée à C.A.A.P.

  • c) Avant le laps de temps écoulé entre l’audience de février 2011 et la reprise en octobre 2011, nous pouvons constater que le commissaire a géré son horaire de travail et tenté de le réorganiser pour conclure les audiences dans un délai raisonnable. Voir le DCT, aux pages 5687 et 5688. Le commissaire dit que [traduction] « mon commissaire coordonnateur a dit que je peux tout déplacer pour répondre aux besoins de cette audience » et [traduction] « nous allons réacheminer certains dossiers à d’autres employés [...], nous vous enverrons à tous un avis indiquant la prochaine date » (DCT, à la page 5687). Il semblerait toutefois que rien ne se soit produit jusqu’à ce que la Section de la protection des réfugiés planifie les dates de l’audience d’octobre, le 2 septembre 2011 (affidavit Khoushabeh, au paragraphe 77). Plus tard, après le délai dans les audiences et la présentation de la demande de récusation, le commissaire indique ce qui suit pendant l’audience du 1er novembre 2011 : [traduction] « J’ignore pourquoi il a fallu autant de temps la dernière fois avant de modifier la date et l’heure et il n’en faudra pas autant cette fois-ci. Je vais m’assurer que notre prochaine rencontre aura lieu très prochainement, parce que je sais que vous attendez, dans certains cas, depuis plusieurs années pour que l’affaire soit réglée et je veux éviter d’autres délais ». À ce moment-là, la dernière audience était prévue pour le 1er novembre 2011 et la Section de la protection des réfugiés a réussi à prévoir l’audience suivante pour le 29 novembre 2011;

  • d) Dans une lettre datée du 12 novembre 2009, Mme Stothers s’est plainte à la suite de l’annulation d’une conférence préparatoire à l’audience visant à regrouper les demandes devant être entendues le 13 novembre 2009. Elle indique que les audiences sont [traduction] « sans cesse reportées » (DCT, aux pages 523 et 524). La conférence a été reportée et a eu lieu le 24 novembre 2009. Le 24 mars 2010, dans le cadre de la présentation des FRP modifiés demandés par le commissaire pendant la conférence du 24 novembre 2009, Mme Stothers fait remarquer, en guise de conclusion à sa lettre, qu’elle espère [traduction] « que nous pourrons être en mesure de nous entendre finalement sur des dates pour l’audition de la demande de cette famille, qui a été ajournée à de nombreuses reprises » (DCT, aux pages 3811 et 3812). Le 22 juillet 2010, dans une lettre dans laquelle elle demandait de tenir une conférence préparatoire à l’audience avant le début des audiences des demandeurs, qui devaient à ce moment-là commencer le 24 août 2010, Mme Stothers mentionne que la [traduction] « famille a présenté sa demande d’asile il y a plus de trois ans et son audition a été reportée à de nombreuses reprises » et que les audiences [traduction] « devaient commencer l’été dernier », mais que l’APR qui comparaissait n’avait pas reçu un avis suffisant et n’arrivait pas à retracer tous les documents présentés (DCT, à la page 558). Dans une lettre datée du 5 août 2010, Mme Stothers mentionne que [traduction] « [l’]audition de cette demande a été reportée à répétition, au détriment de tous ceux en cause, surtout mes clients, qui attendent leur audience depuis plus de trois ans » (DCT, aux pages 3720 à 3722);

  • e) Le commissaire indique dans la décision que tous les délais s’expliquent par le fait qu’il s’agissait d’une affaire massive qui représentait [traduction] « une véritable montagne de documents, à laquelle participaient, à un certain moment, 26 demandeurs, deux avocats et un APR », ce qui signifie que [traduction] « le simple fait d’effectuer le suivi [...] peut s’avérer une tâche colossale ». Il fait aussi référence aux problèmes attribuables à la santé et à la disponibilité des participants. Il n’y a aucune raison de douter de cette explication dans les motifs;

  • f) Pendant cette période, le commissaire était au courant des symptômes psychologiques et physiques qu’éprouvaient certains demandeurs. Toutefois, les préoccupations des demandeurs (comme je l’ai déjà conclu) découlaient principalement d’événements extérieurs à la procédure de la Section de la protection des réfugiés et le commissaire a offert toutes les mesures d’adaptation possibles pour les apaiser, à part se récuser. Malgré leurs symptômes, je ne trouve aucun élément de preuve selon lequel on a empêché les demandeurs de présenter leurs éléments de preuve par l’intermédiaire d’un avocat ou de répondre aux questions du commissaire, sauf pour M.T.M. et E.M.V., qui affirment que leurs symptômes les ont empêchées de pouvoir témoigner, mais qui ont tout de même présenté un témoignage sous la forme d’affidavits après l’audience (DCT, aux pages 1507 à 1516);

  • g) Les demandeurs soutiennent qu’il y a eu [traduction] « de longs moments d’inactivité » pendant cette période, au cours de laquelle le commissaire ne semblait pas traiter leur demande. Toutefois, comme l’indique le dossier, le commissaire devait s’acquitter d’autres engagements de travail et les dates d’audience avaient été fixées en fonction de sa disponibilité, de celle de l’APR et de celle de l’avocate des demandeurs. Il y a un laps de temps entre la deuxième conférence préparatoire à l’audience, le 24 novembre 2009 et la troisième, le 20 août 2010. Cela s’explique toutefois par l’ajout de la demande du dernier groupe à cette audition et le fardeau administratif ainsi créé (DCT, à la page 534). Les parties ont continué de communiquer pendant cette période et leurs échanges se sont intensifiés jusqu’à la reprise de la conférence préparatoire à l’audience d’août 2010. Selon moi, la seule période que l’on peut considérer comme une période prolongée d’inactivité correspond au laps de temps entre les audiences du 24 février 2011 et du 13 octobre 2011. L’affidavit Khoushabeh ne sous-entend pas que les parties ont communiqué avant que les dates des audiences pour l’automne aient été planifiées, en septembre. Je crois toutefois que le délai est raisonnable, en raison de la difficulté d’obtenir la seule salle pouvant accueillir un groupe de cette taille. Et il est évident qu’après ce délai, des efforts ont été déployés avec succès pour veiller à ce qu’aucun autre délai de cette durée ne se produise.

[301] Je ne peux pas conclure que les délais pendant cette période étaient excessifs ou déraisonnables. Je ne crois pas que les délais sont allés au-delà des délais inhérents à l’affaire auxquels on pouvait s’attendre dans cette procédure complexe et lourde ou que la Section de la protection des réfugiés n’a pas utilisé avec efficience les ressources à sa disposition. À mon avis, l’incidence des délais n’a pas porté préjudice aux demandeurs d’une quelconque façon notable sur le plan procédural ou de la preuve et je ne suis pas convaincu qu’il s’agit de facteurs ayant contribué aux préjudices qu’ils affirment avoir subis pendant cette période.

3) Du 6 décembre 2011 au 14 octobre 2015

[302] Il s’agit de la période qui va de la dernière audience au prononcé de la décision. Pour cette période, les demandeurs soulèvent les points qui suivent :

[traduction]

11. Temps écoulé par rapport aux délais inhérents à l’affaire : Le délai de plus de trois ans et dix mois de la fin des audiences orales, le 6 décembre 2011, au prononcé de la décision, le 14 octobre 2015, est de loin supérieur aux délais inhérents à l’affaire requis par les faits liés à l’affaire, même si l’on tient compte de sa complexité et du volume de la preuve. C’est particulièrement le cas puisque l’on compte des périodes prolongées d’inactivité. Sans preuve selon laquelle le commissaire travaillait au dossier pendant ces périodes d’inactivité, on ne peut attribuer le délai excessif à la complexité du dossier.

12. Causes de la prolongation au-delà du délai inhérent à l’affaire : Les périodes prolongées d’absence de communication et d’inactivité sont excessives et inexpliquées, sans compter qu’elles ne peuvent être attribuées aux demandeurs.

13. Les efforts déployés par les demandeurs pour obtenir une explication à ce délai pendant qu’ils attendaient que le commissaire rende sa décision sont demeurés sans réponse et le commissaire a « essentiellement échoué à tenir au courant de ce qui se passait même ceux qui étaient touchés par ses décisions ». Il ne s’est pas acquitté de sa responsabilité de gérer cette affaire complexe pour garantir que la décision soit équitable et rendue rapidement.

14. Aucune explication du délai n’est présentée dans la décision. En ce qui concerne le délai entre l’audience du 24 février 2011 et sa reprise, le 13 octobre 2011, le commissaire évoque des difficultés de logistique pour accueillir un groupe important de demandeurs, y compris trouver une salle d’audience pour les accueillir et tenir compte de la disponibilité de nombreuses personnes. Il n’y a cependant aucun élément de preuve selon lequel la Commission a tenté sans succès de planifier une audience pendant cette période. En ce qui concerne le temps écoulé avant qu’il ne rende sa décision après la fin de l’audience, le 6 décembre 2011, le commissaire expose les motifs pour lesquels des audiences et des décisions « peuvent » être reportées sans en énoncer le motif en l’espèce. Quoi qu’il en soit, ces motifs hypothétiques ne justifient pas le délai en l’espèce. Le fait que le commissaire laisse entendre que le délai a été aggravé par la demande présentée par les demandeurs en application de la Loi sur la protection des renseignements personnels est infondée puisque la demande a été présentée le 6 septembre 2014 – soit près de trois ans après la fin des audiences, les demandeurs ne sont pas responsables du désordre allégué dans le dossier et, quoi qu’il en soit, ils exerçaient simplement leurs droits.

15. La Commission et le défendeur se sont opposés à répétition aux efforts déployés par les demandeurs pour obtenir de l’information sur les causes du délai. Le délai demeure donc inexpliqué.

[Renvois omis.]

[303] Les commentaires formulés par les demandeurs sur la demande d’AIPRP ne me semblent pas valables. Le fait que les demandeurs exerçaient leurs droits ne signifie pas qu’un tel exercice n’a pas interféré avec la progression de la décision. Comme le commissaire le mentionne dans sa décision, [traduction] « le dossier a été retourné par la suite en désordre. Le simple fait de le remettre en ordre a exigé la participation de plusieurs employés ». Le commissaire ne nous dit toutefois pas combien de temps il a fallu pour remettre le dossier en ordre ou, en fait, si ce travail a pris une partie du temps. Ni les demandeurs ni la Section de la protection des réfugiés ne sont pas responsables du désordre allégué.

[304] Les demandeurs indiquent aussi qu’ils ne sont responsables d’aucun délai survenu pendant cette période. Ceci n’est pas exact. Selon le dossier, après la dernière journée des audiences, le 6 décembre 2011, les demandeurs ont, entre autres :

  • a) présenté des observations après l’audience;

  • b) présenté une autre requête en récusation pour le retrait du commissaire;

  • c) échangé de la correspondance et continué de présenter des éléments de preuve et des observations;

  • d) demandé et obtenu des prorogations en vue de présenter des observations;

  • e) présenté une autre demande de récusation;

  • f) continué de présenter des éléments de preuve. M. Scott a présenté 44 pages de divulgation supplémentaire le 8 janvier 2015 et le 12 janvier 2015, il a présenté une lettre datée du 9 janvier 2015 de [la thérapeute familiale].

[305] Pendant toute cette période, je ne trouve qu’une seule demande pour obtenir une explication du délai. Cette demande est faite dans la lettre de Mme Bondy du 2 septembre 2014, dans laquelle elle demande entre autres d’expliquer le délai pour se prononcer sur la requête en récusation renouvelée présentée par les demandeurs et mettre la main finale à la demande. Dans sa lettre du 2 septembre 2014, Mme Bondy demande au commissaire d’informer les demandeurs par écrit [traduction] « [l]a raison de l’important délai pour se prononcer sur la requête en récusation renouvelée présentée par les demandeurs et mettre la main finale à la demande » (DCT, à la page 2164, non souligné dans l’original). Plus tôt, dans les observations présentées par Mme Bondy le 12 novembre 2013 en réponse à la demande du commissaire pour obtenir des observations sur la nouvelle jurisprudence de la Cour fédérale, elle mentionne que [traduction] « [l]es demandeurs n’ont pas non plus obtenu d’explication à ce délai, même si le délai ici est extrême au point où il constitue un manquement à l’équité procédurale, peu importe s’il est possible de l’expliquer de manière raisonnable » (DCT, à la page 1970). Par conséquent, dans les observations du 12 novembre 2013, on ne demande pas une explication du délai. Dans sa lettre du 7 janvier 2015, Mme Bondy demande à obtenir des précisions sur les questions à aborder à la reprise de l’audience, prévue pour le 29 janvier 2015, sans demander une explication du délai. De même, dans sa lettre du 28 janvier 2015 en réponse à l’avis selon lequel la reprise de l’audience prévue ce jour-là avait été reportée, M. Scott demande de nouveau d’expliquer le but de l’audience, sans demander une explication du délai. Ce n’est donc que dans la lettre du 2 septembre 2014 que l’on demande à obtenir une explication du délai lié à la requête en récusation ou de mettre la main finale à la demande.

[306] Il est aussi pertinent de mentionner que pendant toute la période où les demandeurs affirment que le délai avait une incidence importante sur eux, ils ne semblent pas avoir songé à présenter une plainte devant la Section de la protection des réfugiés. Au moment pertinent, la Commission avait un Protocole relatif aux questions concernant la conduite des commissaires qui créait un mécanisme de plainte, et les demandeurs n’indiquent pas qu’ils n’auraient pas pu recourir à ce protocole dans les circonstances. Il semble aussi que les demandeurs n’ont pas songé à présenter à la Cour une demande de bref de mandamus.

[307] Les demandeurs déposent aussi la plainte suivante :

[traduction]

39. Une autre audience a été planifiée près de trois ans après la dernière audience et un an après la dernière communication envoyée à l’avocate des demandeurs au nom du commissaire. Ni le commissaire ni la CISR n’ont présenté de réponse écrite aux demandes présentées par les demandeurs pour expliquer le but de cette audience. Après l’annulation de cette audience, aucun motif n’a été donné pour expliquer pourquoi une décision avait été rendue sans la tenue d’une nouvelle audience, même si une nouvelle audience avait été demandée.

[Renvoi omis.]

[308] Comme je l’ai souligné plus haut, le dossier indique toutefois que le 8 août 2014, la Section du rôle de la Section de la protection des réfugiés a laissé un message téléphonique à Mme Bondy pour lui dire que la Section de la protection des réfugiés souhaitait fixer une autre date d’audience pour aborder d’autres documents présentés et la dernière requête en récusation. Voir le DCT, à la page 2154. Il s’agissait de la première communication envoyée par la Section de la protection des réfugiés depuis que la demande de prorogation de délai présentée par les demandeurs pour répondre à la demande d’observations présentée par le commissaire sur la jurisprudence récente de la Cour fédérale avait été accueillie, le 8 novembre 2013. Dans sa lettre du 2 septembre 2014, Mme Bondy indique que le message vocal a été reçu le 11 août 2014. Le dossier a en fait été consigné le 8 août 2014.

[309] Mme Bondy a répondu à ce message téléphonique le 2 septembre 2014 dans une lettre dans laquelle elle demandait à la Section de la protection des réfugiés d’exposer par écrit les motifs du délai avant de se prononcer sur la requête en récusation et de mettre la main finale à la demande. Elle demandait aussi à connaître le but de la reprise de l’audience et à savoir s’il fallait y présenter des observations. Voir le DCT, aux pages 2162 à 2165.

[310] En réponse à la lettre de Mme Bondy, le Greffe de la Section de la protection des réfugiés a immédiatement (le 3 septembre 2014) demandé au commissaire de formuler des directives afin de répondre à la demande présentée par Mme Bondy et a informé le commissaire que [traduction] « l’avocate ne fixera pas de date avant de l’avoir reçu par écrit ». Voir le DCT, aux pages 2166 et 2167.

[311] Le commissaire ne semble pas avoir répondu à cette note de service interne. Toutefois, dans une lettre datée du 7 janvier 2015, Mme Bondy a écrit au commissaire pour lui indiquer qu’on lui avait répondu en son nom dans un message vocal où on l’informait que la réunion de reprise prévue le 29 janvier 2015 visait à aborder [traduction] « des exposés circonstanciés mis à jour et des requêtes présentées à l’appui de cette demande ». En réponse, Mme Bondy a demandé à obtenir une liste précise de tous les demandeurs qui devraient participer et un aperçu des éléments de preuve ou des questions de fait et de droit sur lesquels le commissaire entendait questionner les demandeurs, et a voulu savoir si l’une de ces questions en particulier exigerait que l’avocate présente des observations.

[312] Il est évident qu’à ce moment, on indiquait à Mme Bondy ce que l’audience visait à aborder; on ne lui a toutefois pas donné de détails sur la façon dont elle ou les demandeurs devaient se préparer pour participer à la reprise de l’audience.

[313] Le 9 janvier 2015, la Section de la protection des réfugiés a envoyé à l’avocate des demandeurs un avis de comparaître à une audience le 29 janvier 2015. Voir le DCT, à la page 2272.

[314] Il semblerait que la reprise de l’audience a été reportée, parce que M. Scott, dans une lettre datée du 28 janvier 2015, a écrit à la Section de la protection des réfugiés afin de l’informer que [traduction] « Mme Bondy et moi avons reçu un avis hier matin nous indiquant que la reprise de l’audition de cette demande prévue demain avait été reportée » et il demandait au commissaire de [traduction] « se récuser immédiatement de cette affaire ou, dans les deux semaines suivant la date de la lettre, que la présente affaire soit mise au rôle au cours des deux prochains mois et que vous [le commissaire] nous communiquiez, à Mme Bondy et à moi, par écrit le but de cette nouvelle date d’audience ». Voir le DCT, à la page 2281.

[315] Aucune réponse à la lettre n’a été donnée avant la décision rendue le 14 octobre 2015.

[316] Il s’agit effectivement d’une séquence étrange de correspondance. Il n’est aucunement expliqué pourquoi le commissaire n’a pas fourni aux avocats des demandeurs les détails qu’ils demandaient et dont ils avaient besoin pour se préparer à la reprise de l’audience. Cela ne signifie toutefois pas pour autant que les demandeurs s’inquiétaient du délai en général. À cette étape de la procédure, les demandeurs voulaient encore que le commissaire se récuse, ce qui aurait signifié un autre délai important vu ce qui s’était produit à ce jour. Et, encore une fois, les demandeurs ne songent pas à présenter une demande de bref de mandamus, qui aurait été le recours évident s’ils étaient préoccupés par le délai général avant de rendre la décision. Leur recours privilégié était plutôt la récusation, qui aurait prolongé de manière importante toute la procédure.

[317] En fin de compte, toutefois, le commissaire n’explique pas adéquatement pourquoi il lui a fallu si longtemps pour rendre cette décision. Il ne nous présente que des généralités sur d’autres responsabilités et sur le fait que [traduction] « les audiences et les décisions peuvent être repoussées pour une multitude de facteurs ». Il ne donne toutefois aucun détail sur la présente, sauf pour parler [traduction] « [d’une] affaire massive, qui constitue une véritable montagne de documents », d’une demande d’AIPRP et d’autres facteurs comme [traduction] « la santé, la disponibilité, etc. ».

[318] La décision en soi est à peine complexe ou exhaustive. Sur le fond, le commissaire rejette tout simplement les affirmations concernant l’orientation sexuelle de C.A.A.P. au motif qu’il existe une possibilité de refuge intérieur dans trois paragraphes qui sont en majeure partie des extraits passe-partout qui contiennent quelques détails sur le caractère raisonnable du déménagement de C.A.A.P. dans le district fédéral.

[319] Le reste de la décision, sur le fond, n’est simplement qu’une conclusion défavorable cumulative sur la crédibilité, où, comme le professeur Rehaag le fait remarquer, le commissaire suit sa pratique habituelle qui consiste à relever des incohérences dans les éléments de preuve et à demander une explication, pour ensuite tirer une conclusion. Le commissaire lui-même mentionne que l’utilisation d’extraits passe-partout ne pose aucun problème à condition que [traduction] « les extraits s’appliquent correctement à la demande ».

[320] En résumé, indépendamment du nombre de demandeurs et des volumes inévitables d’éléments de preuve, il ne s’agit pas d’une décision trop complexe qui soulève des questions difficiles de fait et de droit. En outre, tout délai lié au prononcé de la décision ne peut être justifié que par les éléments supplémentaires subséquents aux audiences, que j’ai énumérés plus haut. Dans l’ensemble, je crois qu’il me faut tirer une conclusion défavorable sur le défaut du commissaire d’expliquer adéquatement le délai pour produire la décision et son recours à des aléas. Les demandeurs m’ont convaincu qu’après les audiences, le commissaire a pris beaucoup plus de temps à rendre sa décision que le délai inhérent à l’affaire requis.

[321] En ce qui concerne les causes du délai au-delà des délais inhérents à l’affaire, je ne dispose que de très peu d’éléments de preuve pour déterminer si la Section de la protection des réfugiés a utilisé les ressources à sa disposition de la façon la plus efficiente possible. Je me serais attendu ici à ce qu’une forme d’explication soit donnée et à ce que des éléments de preuve soient présentés pour étayer d’autres affirmations sur le temps pris par le commissaire. Le commissaire n’est toutefois d’aucune utilité sur ce point, et le défendeur n’a pas divulgué ce que le commissaire faisait d’autre pour qu’il lui faille trois ans et dix mois pour rendre une décision relativement simple. Par ailleurs, les demandeurs n’ont pas présenté d’autres éléments de preuve et ont poursuivi les efforts de récusation pendant cette période (mais pas suffisamment pour justifier le temps pris). Et même s’ils n’ont pas renoncé au délai, ils n’ont pas cherché non plus à utiliser les solutions évidentes, soit de déposer une plainte à la Section de la protection des réfugiés ou de présenter une demande de bref de mandamus à la Cour s’ils croyaient que le commissaire prenait trop de temps pour rendre sa décision, et que ce délai leur causait les répercussions qu’ils affirment. Je crois toutefois que le véritable facteur révélateur en l’espèce réside dans l’incidence du délai.

4) Incidence du délai

[322] En général, les demandeurs affirment que le délai a eu deux répercussions importantes, soit :

[traduction]

16. Incidence du délai : Le délai déraisonnable dans le règlement de leur demande a porté préjudice à la cause des demandeurs, en plus d’avoir une incidence défavorable grave sur leur vie. Le délai a donc miné l’intégrité du processus de demande d’asile, notamment de trancher la demande de manière équitable et efficiente et de protéger les personnes déplacées et persécutées.

[Renvois omis.]

[323] Dans l’ordre général des choses, on s’attendrait à ce que de véritables demandeurs d’asile reconnaissent certains des avantages liés au délai entre la fin des audiences et l’élaboration de la décision. Certaines raisons assez évidentes peuvent l’expliquer :

  • a) le délai leur permet de demeurer au Canada, à l’abri des menaces qu’ils fuient;

  • b) pendant qu’ils se trouvent au Canada, ils peuvent se prévaloir de l’ensemble du soutien et des possibilités que la société et le droit canadiens offrent aux demandeurs;

  • c) les longs délais en particulier offrent des occasions d’obtenir un statut de résident permanent, puisqu’ils renforceront le facteur important de l’« établissement »;

  • d) les délais offrent aussi des occasions de présenter des éléments de preuve supplémentaires à l’appui.

[324] Il est donc étrange en l’espèce que les demandeurs n’indiquent avoir profité d’aucun avantage en raison des délais et qu’ils demandent à être indemnisés pour les possibilités perdues et les coûts engagés, selon ce qu’ils affirment. Les demandeurs le formulent ainsi :

[traduction]

21. Les répercussions précises du délai sont décrites plus haut, au quatrième paragraphe. Les demandeurs ont subi une myriade de préjudices, dont la somme constitue une atteinte à leurs droits à la liberté et à la sécurité de la personne par la faute de l’État. Le délai a eu une incidence grave à long terme sur la santé mentale et physique des demandeurs. Le délai a aussi posé des obstacles importants à leurs relations personnelles, à leur établissement au Canada, à leur accès à des services sociaux et à leurs perspectives d’emploi et d’études. Ils ont même éprouvé des problèmes à accéder à leur couverture valide en vertu du Programme fédéral de santé intérimaire. Dans certains cas, le délai a donné lieu à une perte financière directe ou à une perte d’emploi. Ces préjudices dépassaient de loin les « tensions et l’anxiété habituelles » attendues du processus. L’expérience des demandeurs est conforme à l’incidence des délais liés au règlement sur les demandeurs d’asile décrits dans l’affidavit de la Dre Lisa Aldermann : il s’agit des taux élevés d’anxiété et de dépression causés par l’incertitude à long terme liée au statut en matière d’immigration et l’exacerbation des symptômes du TSPT issus de l’instabilité chronique.

[Renvois omis.]

Il s’agit d’une affaire où les demandeurs accentuent les éléments négatifs et ignorent les éléments positifs.

[325] Il est révélateur, par exemple, qu’en date de la demande de contrôle judiciaire dont je suis saisi, selon l’information présentée par l’avocat du défendeur (sans que l’avocat des demandeurs ne soit en désaccord), quatre des demandeurs ont désormais le statut de résident permanent au Canada et huit autres ont été approuvés à la première étape. Il n’y a aucune indication quant au statut actuel ou les plans futurs des autres demandeurs. Cela tendrait à nier, dans une certaine mesure, l’affirmation selon laquelle [traduction] « [a]près la fin des audiences en décembre 2011, le statut des demandeurs est tombé dans l’oubli pendant quatre ans et ils n’ont pas réussi à s’établir adéquatement au Canada ». Si tel est le cas, je n’arrive pas à comprendre comment certains demandeurs ont réussi à s’établir suffisamment pour obtenir la résidence permanente, et aucune explication n’est offerte. Aussi, les demandeurs qui n’ont pas obtenu la résidence permanente ou qui ne sont pas avancés dans leur demande n’ont pas indiqué s’ils avaient même songé à obtenir ce statut et, dans la négative, pourquoi pas? C’est important parce que la présente demande est théorique en réalité pour les demandeurs qui sont maintenant résidents permanents. Voir Velasquez Guzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 358, au paragraphe 4. C.A.A.P. a d’abord tenté de présenter une demande de parrainage entre époux, mais sa relation avec son ex-mari a pris fin avant la fin du processus de parrainage et il attribue son échec marital au [traduction] « stress causé par les audiences, conjugué au délai et au fait de me trouver sans statut pendant si longtemps ». Sa demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire à la première étape a été approuvée en mars 2017. Il a quelque peu fait référence aux motifs qui l’ont poussé à ne pas présenter de demande avec sa famille dans l’affidavit d’A.D.P.A.; les demandeurs ont toutefois indiqué dans une lettre qu’ils ne se fondaient plus sur cet affidavit.

[326] En ce qui concerne les répercussions personnelles, il faut garder à l’esprit que je ne me préoccupe que des répercussions que les demandeurs ont établi comme ayant été causées par le délai entre la conclusion des audiences et le prononcé de la décision. Il faut aussi garder à l’esprit qu’au moment d’examiner les répercussions personnelles, la Cour ne peut pas supposer que tous les demandeurs ont subi de graves répercussions négatives ou qu’ils en ont souffert au même niveau. De façon conceptuelle, à tout le moins, il peut y avoir des affaires pour lesquelles le délai : a) a eu une incidence qui suffit à justifier une réparation; b) a eu une certaine incidence, mais pas suffisante pour justifier une réparation; c) n’a eu aucune incidence; ou d) a donné lieu à un avantage. Dans toutes les affaires, il faudra établir un équilibre entre les répercussions négatives et les répercussions positives pour tirer une conclusion générale quelconque pour chacun des demandeurs.

[327] Les répercussions qui, selon ce que les demandeurs semblent croire, étaient graves au point de porter atteinte aux droits qui leur sont conférés par l’article 7 de la Charte, sont exposées ainsi dans leurs observations écrites :

[traduction]

a) Répercussions sur la santé

i. L.M.P.A. souffre d’un trouble de stress aigu, que le délai a aggravé, de même [que] sa capacité de soigner de manière optimale son diabète. En 2015, L.M.P.A. a été hospitalisée pour des douleurs à la poitrine, sans doute causées par le niveau de stress élevé que lui cause la situation dans laquelle se trouve sa famille. Le délai a directement aggravé l’anxiété, la dépression et le TSPT dont souffre L.M.P.A.

ii. En mars 2015, M.T.M. s’est rendue à l’hôpital en raison de douleurs au côté gauche du corps. Cette douleur, attribuable à une anxiété extrême, a donné lieu à une dilatation anormale de la pupille dont elle souffre encore aujourd’hui.

iii. I.P.P. souffre d’un trouble de stress chronique et d’un TSPT liés à son expérience au Mexique. Le délai prolongé et le fait de constater ses répercussions sur la famille ont aggravé ses sentiments d’anxiété et d’impuissance.

iv. F.P.R. souffre de prédiabète, d’hypertension et de dyslipidémie. Ces troubles ont surgi au cours des dernières années et ont été aggravés par la longue procédure de demande d’asile. Il souffre aussi de TSPT, d’anxiété et de dépression, tous aggravés par le délai.

v. C.A.A.P. a subi au moins trois crises de panique liées au stress en 2011, 2015 et 2016, y compris des pertes de connaissance et l’hospitalisation. Selon lui, ces crises sont directement causées par le fait de subir cette procédure de demande d’asile et ce délai.

b) Répercussions financières

i. Incapable de renouveler sa couverture en vertu du Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI), Y.T.M. a dû payer elle-même environ 5 000 $ pour les traitements en milieu hospitalier de son fils en 2014.

ii. M.T.M. et son mari ont reçu une facture de 6 000 $ qu’ils ont dû payer eux-mêmes pour des dépenses liées à son épisode d’anxiété en 2015 et à la naissance de leur fille. Elle n’a pas réussi à renouveler sa couverture en vertu du PFSI en 2013.

iii. C.A.A.P. s’est rendu à l’hôpital en 2015 pour une crise de panique liée au stress. Il n’avait pas sa nouvelle carte d’assurance-maladie, même s’il avait effectué son renouvellement en temps utile, et sa couverture en vertu du PFSI n’était pas valide à ce moment-là. Il a dû payer 450 $.

iv. Après l’arrivée à échéance de son document d’identité en tant que demandeur d’asile, à la fin de l’année 2013 ou au début de l’année 2014, R.P.P. a commencé à payer 250 $ tous les six mois pour renouveler son permis de travail. Elle a payé ces frais répétitifs au moins jusqu’en février 2017.

v. En raison des lacunes dans la couverture du PFSI, L.A.A.H. et A.P.P. ont accumulé des dettes auprès d’hôpitaux de 2010 à 2015, y compris pour la fracture du poignet de L.A.P.A., en 2010. Le PFSI n’a pas couvert rétroactivement leurs dépenses et ils ont payé au moins 2 061 $ de leurs poches.

c) Tension dans les relations familiales

i. Y.T.M. et I.P.P. se sont séparés en 2013. Ils attribuent la dissolution de leur mariage, en partie du moins, au stress causé par la procédure et au délai avant d’obtenir une décision. Cette séparation s’est fait sentir sur leurs enfants et sur le reste de la famille.

ii. La relation entre M.T.M. et son mari a connu des difficultés et pour éviter de se confronter sur leur position, ils ont de moins en moins communiqué pendant le délai.

iii. C.A.A.P. s’est éloigné de ses parents au fur et à mesure que le délai se prolongeait afin d’éviter la souffrance de songer à leur renvoi et d’éviter de discuter continuellement de leur litige juridique.

iv. Pour L.A.A.H. et son mari, A.P.P., le délai et l’incertitude ont créé une tension importante dans leurs relations, en plus de contribuer directement à des conflits et à l’isolement dans la famille.

v. Le délai prolongé a réduit directement le temps où les parents mexicains de L.A.A.H. ont vu leurs petits-enfants.

d) Tension dans les nouvelles relations

i. C.A.A.P. s’est marié en septembre 2011, mais cette union s’est détériorée au fil du temps avant de prendre fin en 2013, surtout en raison du stress et de l’incertitude causés par le délai.

ii. Pour M.I.P.T. et C.A.A.P., l’incertitude prolongée entourant leur statut au Canada s’est avérée un obstacle à l’établissement de nouvelles relations amoureuses.

e) Pertes d’occasions de faire des études

i. L.M.P.A., C.A.A.P et D.N.A.P ont tous terminé leurs études secondaires pendant qu’ils se trouvaient au Canada; ils n’ont toutefois pas réussi à poursuivre des études postsecondaires alors qu’ils devaient payer des frais pour étudiants internationaux.

ii. Le délai a commencé tout juste après le début des études secondaires de F.P.P. au Canada. À la fin de ses études, tout juste après la décision défavorable, F.P.P. n’a pas pu poursuivre des études supérieures en raison des frais pour étudiants internationaux.

iii. Après avoir vu ses proches être incapables de poursuivre des études au terme de leurs études secondaires, M.I.P.T. a eu de la difficulté à faire des études.

iv. Y.T.M. et M.T.M. ont cherché à suivre des cours d’anglais langue seconde au YMCA, mais ne possédaient pas la pièce d’identité appropriée parce que leurs documents d’identité en tant que demandeurs d’asile étaient arrivés à échéance.

v. Avant l’approbation à la première étape de sa demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire, il a été impossible pour R.A.O.P. de suivre des études universitaires en raison des frais pour étudiants internationaux, même après avoir terminé ses études secondaires depuis plus d’un an.

f) Perte de perspectives d’emploi

i. L.M.P.A. a été incapable de travailler chez Sunlife Financial en 2015 en raison de son statut d’immigration instable. Une offre d’emploi pour une agence artistique qui lui avait été présentée a aussi été révoquée après que l’employeur a su qu’elle n’avait pas de statut.

ii. Y.T.M. avait une bonne possibilité d’emploi auprès d’une entreprise immobilière en 2015. Après avoir eu connaissance de son statut incertain, le gestionnaire ne l’a pas embauchée.

iii. I.P.P. a connu des interruptions de permis de travail valides, même s’il avait effectué des renouvellements en temps opportun. En raison de cette situation, il n’a pas pu travailler pendant de courtes périodes.

iv. A.D.P.A. a travaillé pour une entreprise d’appareils auditifs en 2014 et en 2015. Des personnes moins expérimentées qu’elles ont été promues avant elle, alors qu’elle est demeurée employée à temps partiel pendant plus d’un an. Elle a quitté ce poste par frustration.

v. C.A.A.P. a vu son travail être passablement perturbé par des interruptions de permis de travail valides, même si sa famille avait effectué les renouvellements précoces. Dans un cas, le délai était important au point que l’employeur (Apple) ne voulait pas reconnaître le statut implicite, et C.A.A.P. a été contraint de s’absenter du travail pendant deux mois. Ses possibilités de faire avancer sa carrière chez Apple de 2014 à 2017 ont été limitées parce que la formation essentielle est donnée aux États-Unis et qu’il ne pouvait pas voyager.

vi. En 2010 ou en 2011, R.P.P. était sur le point de travailler pour Wheel Trans, mais on ne lui a pas offert de poste en raison de son statut incertain. En 2012, R.P.P. n’a pas pu exploiter un débouché par l’intermédiaire du travail de sa fille, soit de poser sa candidature auprès du Conseil scolaire de district de Toronto. Pour poser sa candidature, il fallait présenter des documents qu’elle ne pouvait pas fournir sans statut.

vii. En 2015, L.A.A.H. a reçu une offre d’emploi, qui a été révoquée après qu’elle a eu laissé son emploi précédent, parce qu’elle n’avait pas réussi à présenter une pièce d’identité adéquate après l’arrivée à échéance de son formulaire de demandeur d’asile.

viii. A.P.P. travaillait chez State Farm Insurance depuis 2010, mais il a été limité à un emploi de sous-traitant, puisqu’il était incapable d’obtenir le certificat d’études collégiales requis en raison des frais pour étudiants internationaux.

g) Perte d’autres occasions

i. M.I.P.T., un joueur de soccer talentueux, a été incapable de voyager avec son équipe et d’être déniché à l’échelle internationale pendant une période cruciale pour un joueur aspirant à devenir professionnel. M.I.P.T. a aussi été contraint de se retirer des cadets de l’air à l’arrivée à échéance de ses documents d’identité en tant que demandeur d’asile en 2012.

ii. F.P.P. et L.M.P.A. estiment que l’organisme à but non lucratif de L.M.P.A., « Light Your Life » a été paralysé par l’absence prolongée de statut de la famille, soit en raison des donateurs réticents ou des obstacles administratifs en vue d’accroître la portée de l’organisme.

iii. F.P.P. n’a pas pu profiter d’une possibilité de jouer un rôle de premier plan à l’échelle internationale qui lui a été offerte par un enseignant en 10e année.

iv. En tant que cadet de l’air, D.N.A.P. n’a pas pu voyager avec le groupe pour participer à des activités à l’étranger.

v. A.S.O.P. n’a pas pu participer à un programme au début de ses études secondaires qui offrait une expérience internationale.

vi. R.A.O.P. n’a pas pu voyager à l’étranger avec son groupe des cadets de l’air à deux reprises. En 12e année, R.A.O.P. avait planifié un voyage à l’étranger dans le cadre de son cours de leadership, mais elle n’a pas pu quitter le pays avec son groupe.

vii. L.A.P.A. était une meneuse de claques vedette au sein d’une équipe de compétition, mais elle a été rétrogradée en 2016, puisqu’elle ne pouvait pas voyager. Elle a ensuite quitté une deuxième équipe en 2017 pour le même motif et a depuis cessé de pratiquer ce sport par frustration. I.H.P.A. n’a pas pu voyager aux États-Unis avec son équipe de soccer.

viii. A.P.P. rêve d’acheter une maison pour sa famille, mais pendant le délai, on lui demandait des mises de fonds élevées pour les non-citoyens.

[Renvois omis.]

[328] Les demandeurs ne présentent nulle part à la Cour une liste d’avantages correspondants ni n’expliquent comment il ne faut pas prendre en considération les avantages au moment de déterminer s’il y a eu une atteinte suffisante aux droits qui leur sont conférés par l’article 7 de la Charte dans chacun des cas.

[329] Les contestations des éléments de preuve et des affirmations des demandeurs donnent lieu à d’autres problèmes. Au moment de répondre à cette question, le défendeur a demandé à la Cour de prendre en note les éléments qui suivent dans les éléments de preuve :

a) Aucun élément de preuve ne corrobore que l’un des demandeurs s’est vu refuser des soins de santé au Canada;

b) LMPA souffrait déjà de diabète à son arrivée au Canada. Elle est parvenue à gérer son diabète parce que c’est devenu une habitude;

c) Aucun élément de preuve ne corrobore le fait que le délai a aggravé « directement » l’état de santé de LMPA ou de FPR, ou les conditions préexistantes d’IPP;

d) FPR ignore ce qu’est la dyslipidémie malgré son diagnostic allégué;

e) Aucun élément de preuve ne corrobore la visite à l’hôpital de MTM en mars 2015 ou le fait que ses pupilles sont anormalement dilatées;

f) CAAP n’a pas reçu de diagnostic pour ses crises de panique alléguées et il n’a pas présenté de preuve de paiement d’une hospitalisation;

g) Une couverture d’assurance-maladie était offerte par l’intermédiaire de régimes d’assurance offerts au travail, des centres de santé communautaire ou du régime d’assurance-maladie de l’Ontario;

h) Aucun élément de preuve ne corrobore le paiement de 5 000 $ effectué par YTM pour des frais d’hospitalisation ou que MTM a reçu une facture de 6 000 $ en 2015;

i) RPP a uniquement commencé à effectuer des versements pour renouveler son permis de travail après le rejet de sa demande d’asile;

j) Aucun élément de preuve ne corrobore le fait que des frais d’hospitalisation ont été facturés pour la fracture du poignet de LAPA en 2010 ou qu’ils ont demandé à se faire rembourser les paiements versés pendant qu’ils étaient couverts par le Programme fédéral de santé intérimaire;

k) D’autres facteurs ont joué un rôle dans la séparation de YTM et d’IPP;

l) MTM n’a reçu aucun diagnostic de problème d’intimité avec son mari. Ils ont depuis eu un enfant au Canada;

m) La demande de résidence permanente présentée par CAAP comprend des photographies montrant qu’il a passé du temps avec ses parents et indique qu’il a continué de vivre avec eux;

n) LAAH et APP se sont séparés avant le début des audiences devant la Section de la protection des réfugiés;

o) LAAH et APP ont passé du temps avec leur famille au Canada;

p) Les parents et la sœur de LAAH se sont rendus au Canada à de multiples occasions, et son frère habite actuellement au Canada;

q) CAAP s’est marié au Canada et vit actuellement une relation à long terme;

r) Aucun des demandeurs ne s’est informé sur les exemptions ou, dans certains cas même les frais, pour les étudiants internationaux pour faire des études universitaires;

s) Des programmes d’anglais langue seconde étaient offerts;

t) Aucun élément de preuve ne corrobore le fait que la « difficulté à faire des études » de MIPT se fonde sur le fait d’avoir « vu ses proches être incapables de poursuivre des études au terme de leurs études secondaires »;

u) Aucun élément de preuve ne corrobore la perte de perspectives d’emploi pour LMPA, YTM, ADPA, RPP ou LAAH;

v) La perturbation de l’emploi de CAAP chez Apple est survenue après le rejet de sa demande d’asile et aucun élément de preuve ne corrobore le fait que son statut de demandeur d’asile l’a limité dans ses possibilités de carrière;

w) Les demandeurs auraient été en mesure de travailler pendant des périodes de statut implicite et aucun élément de preuve ne corrobore le fait qu’IPP était incapable de travailler pendant qu’il attendait le renouvellement de son permis de travail;

x) LMPA et APP ont toutes deux mis sur pied des organisations prospères; d’ailleurs le revenu d’entreprise d’APP a atteint 100 000 $ au cours de la première année;

y) Aucun élément de preuve ne corrobore le fait que MIPT, FPP, DNAP, ASOR, RAOP ou IHPA se sont vu offrir des possibilités qui exigeaient qu’ils voyagent à l’étranger;

z) Aucun élément de preuve ne corrobore le fait que FPP et LMPA se sont vu refuser des commandites pour Light Your Life parce qu’elles demandaient l’asile;

aa) LAPA a été rétrogradée de l’équipe de meneuse de claques après le règlement de la demande d’asile et aucun élément de preuve ne corrobore le fait qu’on lui a demandé de voyager à l’étranger avant ce moment;

bb) APP peut actuellement louer une maison avec sa femme et ses quatre enfants et peut accueillir les proches de sa femme lorsqu’ils viennent en visite;

cc) Bon nombre des demandeurs ont présenté ou entendent présenter des demandes de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire; CAAP a obtenu le statut de résident permanent.

[Renvois omis.]

[330] Lorsque j’examine les éléments de preuve invoqués par les deux parties, je ne suis pas convaincu que le temps mis par le commissaire pour rendre sa décision dans cette affaire a porté atteinte aux droits des demandeurs garantis par l’article 7 de la Charte. J’en arrive à cette conclusion pour deux motifs.

  • a) La Cour d’appel fédérale a clairement indiqué dans Hernandez, précité, aux paragraphes 3 à 5, que l’argument du « délai déraisonnable » dans le contexte d’une décision de la Section de la protection des réfugiés ne sera que rarement, voire jamais accueilli :

[traduction]

Le deuxième motif est ancré dans la Charte canadienne des droits et libertés. Le demandeur soutient que le tribunal a commis une erreur en concluant que le délai de traitement de sa demande n’était pas un délai déraisonnable qui portait atteinte au droit du demandeur « à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne » garanti par l’article 7 de la Charte. Même si ce motif a été rejeté sans entendre le défendeur, quelques remarques s’imposent. Il appert que cet argument gagne en popularité malgré la décision rendue par cette Cour dans l’affaire Akthar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 14 Imm. L.R. (2d) 39 (CAF). Il est vrai, comme l’avocat du demandeur s’est empressé de le souligner, que le juge Hugessen a effectivement déclaré :

Bien que, comme je l’ai laissé entendre, je n’exclue pas que le retard à tenir l’audience d’un réfugié donne lieu à une réparation fondée sur la Charte, tel n’est pas le cas dans les circonstances de l’espèce.

On comprend qu’une cour d’appel ne désirerait absolument pas exclure un argument fondé sur la Charte. On a démontré qu’une règle sans exception était plus souvent une source de controverse que de consensus. En même temps, j’estime que la déclaration ci-dessus doit être placée dans le contexte de l’analyse incisive qui l’a précédée. Dans ce cadre, il est très clair que l’argument « retard abusif » ne saurait être perçu comme motif fécond d’annulation des décisions judiciaires. Sur le plan juridique, il est probablement plus réaliste de présupposer que cet argument sera rarement, voire jamais invoqué avec succès. Les avocats devraient donc en tenir compte.

La présente demande devrait être rejetée.

[Non souligné dans l’original.]

  • b) En ce qui concerne l’intégrité psychologique, la Cour suprême du Canada a dit ce qui suit dans Blencoe, précité :

81 Pour que la sécurité de la personne soit en cause en l’espèce, l’acte reproché à l’État doit avoir eu des répercussions graves et profondes sur l’intégrité psychologique de l’intimé (G. (J.), précité, au par. 60). L’État doit avoir porté atteinte à un droit individuel d’importance fondamentale (au par. 61). Dans l’arrêt G. (J.), précité, au par. 59, le juge en chef Lamer a dit :

[...] Il est manifeste que le droit à la sécurité de la personne ne protège pas l’individu contre les tensions et les angoisses ordinaires qu’une personne ayant une sensibilité raisonnable éprouverait par suite d’un acte gouvernemental. Si le droit était interprété de manière aussi large, d’innombrables initiatives gouvernementales pourraient être contestées au motif qu’elles violent le droit à la sécurité de la personne, ce qui élargirait considérablement l’étendue du contrôle judiciaire, et partant, banaliserait la protection constitutionnelle des droits.

[...]

83. Ce n’est que dans des cas exceptionnels où l’État s’ingère dans des choix profondément intimes et personnels d’un individu que le délai imputable à l’État, dans des procédures en matière de droits de la personne, pourrait déclencher l’application du droit à la sécurité de la personne garanti par l’art. 7. Même si ces choix personnels fondamentaux comprenaient le droit de prendre des décisions concernant son propre corps sans intervention de l’État ou sans risque de perdre la garde d’un enfant, ils pourraient difficilement inclure le genre de stress, d’angoisse et de stigmatisation qui résulte de procédures administratives ou civiles.

[...]

[86] Peu d’intérêts sont aussi impérieux et essentiels à l’autonomie individuelle que le choix d’une femme d’interrompre sa grossesse, la décision d’une personne de mettre fin à ses jours, le droit d’élever ses enfants et la capacité des victimes d’agression sexuelle de recourir à une thérapie sans craindre que leurs dossiers privés soient communiqués. Ces intérêts sont vraiment essentiels à la dignité individuelle. Toutefois, le droit allégué à la protection contre la stigmatisation liée à une plainte fondée sur les droits de la personne ne fait pas partie de cette catégorie restreinte. L’État n’a pas porté atteinte au droit de l’intimé de prendre des décisions touchant son être fondamental. Comme l’a reconnu le juge Lowry au par. 10, le préjudice subi par l’intimé en l’espèce se limite essentiellement à ses difficultés personnelles. Il est « inapte au travail » de politicien, sa famille et lui ont changé de lieu de résidence deux fois, il a épuisé ses ressources financières et il a souffert tant physiquement que psychologiquement. Cependant, l’État n’a pas porté atteinte à la capacité de l’intimé et des membres de sa famille de faire des choix essentiels dans leur vie. Accepter que le préjudice subi par l’intimé en l’espèce équivaut à une atteinte de l’État au droit qu’il a à la sécurité de sa personne serait forcer le sens de ce droit.

[Non souligné dans l’original.]

  • c) Certains des demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve selon lequel il y a eu atteinte aux droits qui leur sont garantis par l’article 7 de la Charte;

  • d) en ce qui concerne les demandeurs qui ont présenté des éléments de preuve, le lien de causalité entre le délai pour rendre la décision et tout préjudice qui satisferait au critère établi dans Blencoe n’est pas suffisamment clair;

  • e) le lien de causalité n’est pas suffisamment attribuable au délai parce que de nombreux facteurs entrent en jeu dans chaque affaire;

  • f) les affirmations des demandeurs ne sont souvent pas étayées par des éléments de preuve objectifs, et ils citent souvent des causes qui ne sont pas liées au délai ou qui sont attribuables à des tiers. Bon nombre de leurs affirmations ne sont que simples et spéculatives;

  • g) les demandeurs ignorent tout simplement les nombreux avantages importants dont ils ont profité pendant la période du délai;

  • h) leur affirmation selon laquelle le délai, voire le processus de traitement des demandes en général, portait atteinte à leurs droits garantis par l’article 7 de la Charte n’est pas suffisamment fondée, conformément aux exigences établies dans Blencoe, précité.

[331] Les complexités de la preuve en l’espèce ne me permettent pas de conclure que les demandeurs ont établi un lien de causalité suffisant entre les diverses répercussions qu’ils allèguent et le délai du commissaire pour rendre sa décision qui rendraient l’État responsable de l’ampleur et du type de préjudices que Blencoe exige.

5) Équité

[332] Les demandeurs affirment aussi que le délai entre la dernière date d’audience et la décision jette un doute sur la capacité du commissaire d’évaluer adéquatement leurs éléments de preuve et à tirer des conclusions sur la crédibilité, en plus de porter atteinte au droit des demandeurs à une audience orale :

[traduction]

17. Ce délai jette un doute sur la capacité du commissaire de se souvenir des détails des témoignages des demandeurs et des éléments subjectifs de leurs témoignages, comme leur spontanéité, leur hésitation ou leur réticence, ainsi que leur attitude et leur comportement en général. La professeure Audrey Macklin explique dans son affidavit que le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés met en garde contre les longs délais et a fixé des échéances strictes pour le prononcé d’une décision. Ce fait est particulièrement préoccupant, parce que la décision se fondait tellement sur leur crédibilité, et les demandeurs ont livré un long témoignage détaillé sur des événements survenus sur de nombreuses années. Dans sa décision, le commissaire a répondu à cette préoccupation en mentionnant que « d’abord et avant tout [...] il existe un enregistrement numérique de toute la procédure. Il est donc possible d’examiner cet enregistrement en cas de doute ». En rendant sa décision, le commissaire n’indique pas s’il a effectivement écouté l’enregistrement. De plus, les lacunes dans le dossier empêcheraient de mener une analyse exhaustive de toute l’affaire. Par conséquent, [le commissaire] s’est fondé sur un DCT incomplet ou sur ses souvenirs des 16 audiences qui se sont déroulées quatre ans plus tôt pour rendre sa décision finale.

18. Je pense en particulier que « lorsqu’une question importante de crédibilité est en cause, la justice fondamentale exige que cette question soit tranchée par voie d’audition. Les cours d’appel sont bien conscientes de la faiblesse inhérente des transcriptions lorsque des questions de crédibilité sont en jeu ». Dans son affidavit, Audrey Macklin fait aussi remarquer que [traduction] « même s’il existe des transcriptions des dépositions orales, elles constituent un piètre remplacement à la richesse des renseignements non verbaux présents devant un commissaire pendant une audience. La façon dont l’état émotionnel d’un demandeur et sa façon de témoigner coïncident avec les observations écrites disponibles revêtent une importance cruciale [...] surtout pour déterminer sa crédibilité ».

19. Le délai extrêmement long entre l’audience et la décision réelle rendue par le commissaire détourne l’attention des nombreux avantages de l’audience et frustre son but. Comme Peter Showler l’observe dans son affidavit, ses avantages diminuent au fil du temps, à mesure que le souvenir du commissaire de la procédure orale s’estompe. Les demandeurs avancent avec respect que, des années après avoir entendu le témoignage en personne, la capacité du commissaire de déterminer la crédibilité changerait peu, voire aucunement de celle d’un arbitre se fondant uniquement sur des transcriptions et des enregistrements. En conséquence, les demandeurs perdent les avantages liés au fait que le droit à une audience orale est conçu pour protéger.

20. L’équité dans la décision a aussi été compromise en raison d’une erreur de traduction dans un document corroborant important, sur lequel [le commissaire] s’est fondé pour prendre sa décision. De plus, le délai a aussi mis en péril la capacité des demandeurs de participer à la procédure d’audience.

[Renvois omis.]

[333] À mon avis, aucune preuve convaincante ne soutient l’affirmation selon laquelle le laps de temps entre la fin des audiences et le prononcé de la décision a empêché le commissaire de faire les évaluations sur lesquelles il s’est fondé pour tirer ses conclusions sur la crédibilité.

[334] Tout d’abord, ces conclusions se fondaient sur des incohérences entre les notes prises au PDE, divers exposés circonstanciés dans le FRP et les modifications apportées à ceux-ci qui ont été évaluées pendant l’audience. Un dossier écrit complet qui couvrait tous ces éléments de preuve est disponible et le délai ne pouvait certainement pas avoir l’incidence sous-entendue par les demandeurs sur les notes prises au PDE ou sur les FRP. La seule préoccupation en l’espèce serait liée au témoignage livré pendant l’audience, qui est enregistré numériquement.

[335] L’erreur dans les arguments avancés par les demandeurs réside dans le fait que les décisions sur la crédibilité ne sont pas prises le jour où la décision est rendue. Une décision correspond tout simplement à la conclusion et aux motifs d’un processus de délibération qui a commencé dès la fin des audiences. Et, vu les méthodes utilisées par le commissaire, comme le professeur Rehaag l’a exposé, et la question qu’il a posée pendant les audiences, je crois que nous pouvons être certains qu’il avait principalement la crédibilité en tête dès la fin des audiences. Le commissaire n’attendrait manifestement pas jusqu’au mois d’octobre 2015 pour évaluer les éléments de preuve qu’il a entendus. En outre, les demandeurs n’ont pas montré, dans leur témoignage, des facteurs comme la possibilité, l’hésitation ou la réticence, ainsi que leur attitude et leur comportement en général qui auraient pu avoir une incidence sur les conclusions du commissaire, particulièrement vu qu’ils ont livré leurs témoignages par l’intermédiaire d’un traducteur.

[336] Les demandeurs demandent à la Cour de tirer une conclusion défavorable sur les mots utilisés par le commissaire dans sa décision, où il indique : [traduction] « D’abord et avant tout, outre le dossier physique, il existe un enregistrement numérique de toute la procédure. Il est donc possible d’examiner cet enregistrement en cas de doute. » Il est impossible de tirer une conclusion défavorable ici. Le commissaire ne dit pas qu’il a dû consulter l’enregistrement. Les mots qu’il a utilisés signifient qu’il était entièrement au fait qu’il pourrait être nécessaire d’écouter un enregistrement si les facteurs soulevés par les demandeurs, comme la spontanéité et l’hésitation, sont contestés ou doivent être examinés. Il ne dit pas que cela était problématique ou nécessaire en l’espèce. D’abord et avant tout, cependant, je n’ai rien remarqué dans la décision qui indique que le commissaire s’est fondé sur des facteurs absents du dossier écrit.

[337] Les demandeurs n’ont pas montré non plus en quoi une erreur de traduction a compromis de façon majeure l’équité dans la conclusion sur la crédibilité.

6) Conclusions sur le délai

[338] Je souscris à l’opinion des demandeurs selon laquelle le délai entre la fin des audiences et le prononcé de la décision était plus long que le délai inhérent à l’affaire. Les demandeurs n’ont toutefois pas démontré que ce délai a causé des répercussions graves et profondes d’une façon qui portait atteinte à leurs droits garantis par l’article 7 de la Charte. Ils n’ont pas démontré non plus que le délai a empêché le commissaire d’évaluer adéquatement leurs éléments de preuve et de tirer des conclusions raisonnables sur la crédibilité ou qu’il a enfreint leurs droits à une audience orale.

E. Questions relatives à la preuve

1) Affidavits de Caroline Khoushabeh, de Baljinder Rehal et de Rocchina Cretto

[339] Les demandeurs contestent ces trois affidavits présentés par le défendeur et demandent à la Cour de les radier et de ne pas en tenir compte pour les motifs qui suivent :

  • a) l’affidavit de Caroline Khoushabeh donne une interprétation inappropriée du DCT, tente d’étayer les motifs de la décision faisant l’objet du contrôle et a un effet préjudiciable important;

  • b) l’affidavit de Baljinder Rehal constitue une atteinte à la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21, à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, LC 2000, c 5, et aux droits des demandeurs garantis par les articles 7 et 8 de la Charte;

  • c) l’affidavit de Rocchina Cretto n’est pas pertinent et a un effet préjudiciable qui l’emporte sur toute valeur probante.

[340] L’affidavit Khoushabeh vise à aider la Cour à déterminer la chronologie des événements menant à la décision. Elle expose ses buts ainsi :

2. J’ai examiné le dossier certifié du tribunal (« DCT ») présenté par la Section de la protection des réfugiés (« Section de la protection des réfugiés ») en juin 2016 avant que la Cour fédérale n’accorde l’autorisation. Mon affidavit vise à présenter un sommaire des éléments de preuve contenus dans le DCT, y compris les calendriers du processus de demande d’asile pour les demandeurs, et à relever des incohérences dans le dossier de preuve. Les faits contenus dans mon affidavit se fondent entièrement sur les éléments de preuve contenus dans le DCT, à moins d’indication contraire.

[341] Cet affidavit est utile à la Cour et ne porte pas préjudice aux demandeurs, dans la mesure où il ne fait que présenter une chronologie des événements. Le simple fait de relever des événements dans le dossier permet de gagner du temps à l’audience; sans cela, l’avocat devrait guider la Cour étape par étape dans le dossier. Il ne porte pas préjudice aux demandeurs parce qu’ils peuvent corriger les déficiences ou les inexactitudes.

[342] L’affidavit est inacceptable dans la mesure où il formule des commentaires sur cette chronologie, expose un argument sur celle-ci ou en fait une interprétation. À mon avis, cet affidavit ne contient que très peu d’éléments que l’on pourrait définir de la sorte. Je l’ai utilisé simplement en tant que l’un de plusieurs guides sur les faits, mais uniquement après avoir fait des vérifications dans le dossier.

[343] Dans la mesure où l’affidavit dirige l’attention de la Cour sur les incohérences dans le dossier de preuve qui visent à renforcer le fondement des conclusions du commissaire sur la crédibilité, je n’ai pas tenu compte de ces incohérences parce que celles sur lesquelles le commissaire se fonde pour tirer ses conclusions se trouvent dans la décision elle-même. Il faut donc déterminer le caractère raisonnable de la décision en fonction de ces incohérences uniquement.

[344] L’affidavit de Baljinder Rehal vise à présenter à la Cour des sommaires de l’utilisation du Programme fédéral de santé intérimaire [PFSI] pour chacun des demandeurs. Ces éléments de preuve sont très pertinents parce que les demandeurs ont remis en question en l’espèce leur couverture d’assurance et leur accès aux services du PFSI. La Cour a donc besoin de ces sommaires pour déterminer les exactitudes dans les éléments de preuve présentés par les demandeurs sur ce point.

[345] Les demandeurs ne contestent l’exactitude d’aucun de ces sommaires. Ils formulent tout simplement une objection, puisqu’il s’agit de renseignements confidentiels qui n’auraient pas dû être communiqués à la Cour. Il est évident que si la Cour ne peut examiner ces renseignements, elle ne peut pas vérifier les affirmations des demandeurs relativement à la couverture et aux services auxquels ils ont eu accès ou à ceux auxquels ils n’ont pas avoir accès dans le cadre du PFSI. Je ne crois pas que les demandeurs peuvent jouer sur les deux tableaux. Le fait d’exclure ces éléments de preuve causerait un préjudice grave au défendeur.

[346] Si les demandeurs ne consentent pas à la divulgation de ces renseignements pour l’exactitude de leurs propres éléments de preuve sur l’utilisation du PFSI, je tirerais alors une conclusion défavorable parce qu’ils tentent d’empêcher la Cour de vérifier la véracité de leurs affirmations. J’estime toutefois d’avis qu’en remettant en question leur couverture dans le cadre du PFSI en l’espèce, les demandeurs ont renoncé à la confidentialité de ces renseignements, dans la mesure où ils doivent être communiqués à la Cour pour qu’elle effectue les vérifications nécessaires. Le dossier de la Cour est scellé et ces renseignements le resteront. Dans l’ordonnance du protonotaire Aalto, le 31 décembre 2015, le dossier de la Cour a été scellé et on a ordonné l’interdiction d’y accéder.

[347] Les demandeurs affirment que l’affidavit de Rocchina Cretto doit être radié pour manque de pertinence et en raison de son effet préjudiciable qui l’emporte sur sa valeur probante.

[348] Cet affidavit vise à présenter à la Cour des renseignements et des documents liés aux affirmations faites par les demandeurs dans leurs affidavits ou leurs plaidoiries en ce qui concerne les difficultés que leur demande d’asile et la procédure qu’ils ont dû suivre à la Section de la protection des réfugiés. Dans la mesure où ces documents peuvent être liés aux demandeurs véritables, ils sont pertinents et je les accueille. S’ils ne peuvent être liés aux demandeurs, je les exclus.

[349] De façon générale, les pièces visent à présenter des faits pertinents à des affirmations précises faites par les demandeurs. Pour cette raison, ils ne peuvent pas être exclus parce qu’ils ne sont pas pertinents ou qu’ils sont préjudiciables. Dans ses observations, le défendeur a contesté des affirmations précises faites par les demandeurs. S’il est impossible de lier l’un de ces documents à ces affirmations, les demandeurs ont eu toutes les occasions de le mentionner pendant l’audience orale. Encore une fois, la Cour doit avoir tout document pertinent qui lui permettra de faire jaillir la vérité de cette affaire.

2) Affidavit de M.I.P.T.

[350] Le défendeur s’est opposé à l’affidavit de M.I.P.T. et a demandé à la Cour de le radier.

[351] Pour des raisons médicales, M.I.P.T. n’a pas pu participer à un contre-interrogatoire prévu pour son affidavit et le défendeur a accepté de demander des engagements à produire des documents désignés dans l’affidavit de M.I.P.T. comme une autre façon de mener un contre-interrogatoire de vive voix.

[352] Au moment de l’audition de la demande en l’espèce, les demandeurs n’avaient pas pu présenter tous les engagements demandés. Les documents manquants ont toutefois été présentés après l’audience et les parties les ont abordés dans leurs observations écrites après l’audience.

[353] Il semble ressortir clairement du dossier que les demandeurs avaient déployé des efforts raisonnables pour obtenir et présenter les documents demandés et qu’ils ont finalement réussi à le faire. La présentation tardive n’a pas porté préjudice au défendeur, qui a pu présenter des observations orales ou écrites complètes sur les éléments de preuve présentés par M.I.P.T.

[354] J’ai donc accueilli les éléments de preuve présentés par M.I.P.T. en entier et j’en ai tenu compte pour tirer mes conclusions.

IX. Question à certifier

[355] Les demandeurs n’ont soulevé aucune question à certifier et la Cour n’en voit aucune à soulever vu le fondement du présent jugement.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-5135-15

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour de septembre 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5135-15

 

INTITULÉ :

I.P.P. ET D’AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 4 et 5 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES JUGEMENT ET MOTIFS CONFIDENTIELS :

 

Le 5 février 2018

 

DATE DES JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS :

 

Le 3 avril 2018

COMPARUTIONS :

Aisling Bondy

Luke McRae

 

Pour les demandeurs

 

Prasanna Balasundaram

 

Pour les demandeurs

 

Hillary Adams

Meva Motwani

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bondy Immigration Law

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Downtown Legal Services

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.