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Date : 20180412


Dossier : IMM-4391-17

Référence : 2018 CF 401

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2018

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

TENGIS BATAA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur est un citoyen de Mongolie âgé de 29 ans qui est arrivé au Canada le 6 décembre 2016 en provenance des États-Unis. Peu après son arrivée, il a présenté une demande d’asile, invoquant être victime de persécution en Mongolie parce qu’il est homosexuel. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile du demandeur par une décision rendue le 19 septembre 2017, la crédibilité constituant la question déterminante de la demande. Le demandeur présente maintenant une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés, aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). Il demande à la Cour d’annuler la décision de la Section de la protection des réfugiés et de renvoyer l’affaire afin qu’elle soit réexaminée par un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés.

[2]  L’évaluation de la Section de la protection des réfugiés de la crédibilité des demandeurs doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732, au paragraphe 4, 42 ACWS (3d) 886 (CA)). Par conséquent, la Cour ne doit pas intervenir dans la décision de la Section de la protection des réfugiés tant que celle-ci parvient à une conclusion qui est transparente, qui peut être justifiée, qui est intelligible et qui appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339 [Khosa]). Ces critères sont remplis dès lors que les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses]).

[3]  La norme de contrôle applicable à une allégation de manquement au principe de l’équité procédurale est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502; Canada (Citoyenneté et Immigration c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339). Bien que la Cour d’appel fédérale ait récemment observé que la norme de contrôle pour les questions d’équité procédurale n’est pas encore fixée au sein de notre Cour (Vavilov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 132, aux paragraphes 11 à 14, 281 ACWS (3d) 472; Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c Canada, 2018 CAF 58, aux paragraphes 151 et 175). La Cour doit s’assurer que la démarche empruntée pour examiner la décision faisant l’objet du contrôle a atteint le niveau d’équité exigé dans les circonstances de l’espèce (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 115, [2002] 1 RCS 3). Le cadre analytique n’est pas tant la norme de la décision correcte ou de la décision raisonnable, mais plutôt une question d’équité. Autrement dit, un choix procédural qui est inéquitable n’est ni raisonnable ni correct, tandis qu’un choix procédural équitable sera toujours à la fois raisonnable et correct. Dans la pratique, l’enquête de la Cour pourrait s’apparenter à un examen selon la norme de la décision correcte, dans la mesure où une cour ne fera jamais preuve de déférence à l’égard d’une intervention d’un tribunal qu’elle juge inéquitable. Toutefois, une cour de révision accordera une attention respectueuse aux choix procéduraux d’un tribunal et elle n’interviendra que lorsque ces choix sortent des limites de la justice naturelle.

[4]  Le demandeur invoque plusieurs motifs pour justifier sa contestation de la décision de la Section de la protection des réfugiés; notamment que la Section de la protection des réfugiés aurait enfreint le principe d’équité procédurale en décidant de l’affaire sans aviser le demandeur ou le ministre que la preuve sur la situation dans le pays était en litige, que la Section de la protection des réfugiés a tiré des conclusions de fait déraisonnables et que la Section de la protection des réfugiés a utilisé le mauvais critère au sens de l’article 96 de la LIPR.

[5]  Selon le demandeur, la Section de la protection des réfugiés a commis un manquement au principe d’équité procédurale en déclarant au début de l’audience que [traduction] « la question que j’ai cernée dans cette procédure a trait à votre crédibilité ». La Section de la protection des réfugiés a ensuite tiré une conclusion concernant la preuve sur la situation dans le pays sans en informer ni le demandeur ni le ministre, et c’est ce qui est en litige. Le demandeur soutient qu’il ne savait pas que la persécution et la protection de l’État seraient soulevées et, par conséquent, il ne connaissait pas la preuve qu’il devait réfuter, et on ne lui a pas donné l’occasion de répondre à ces questions.

[6]  À mon avis, le dossier démontre que le demandeur a fait des observations concernant la preuve de la situation dans le pays, non seulement pendant l’audience, mais également dans ses observations. Il n’a pas été privé de l’occasion de répondre à la preuve concernant la situation dans le pays devant la Section de la protection des réfugiés. La décision de la Section de la protection des réfugiés était clairement fondée sur la crédibilité qui, comme il est mentionné plus haut, constituait la question centrale cernée au début de l’audience. Bien que la Section de la protection des réfugiés ait brièvement abordé la question de la preuve sur la situation dans le pays dans deux paragraphes à la fin de ses motifs, elle ne l’a fait que pour contextualiser la conclusion selon laquelle le demandeur n’avait invoqué aucun élément de preuve crédible démontrant qu’il avait été persécuté en Mongolie ou qu’il avait le profil d’une personne qui serait exposée à de la persécution en raison de son homosexualité. Je retiens l’argument du défendeur qui soutient que le fait de centrer son analyse sur la question de la crédibilité ne signifie pas que la Section de la protection des réfugiés n’a pas tenu compte de la preuve sur la situation dans le pays en évaluant si le demandeur avait le profil d’une personne qui serait exposée à de la persécution en raison de son orientation sexuelle.

[7]  La décision Kaldeen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF n° 1033, 64 ACWS (3d) 1190 [Kaldeen], n’appuie pas l’argument du demandeur selon lequel la Section de la protection des réfugiés aurait commis un manquement à son obligation d’équité procédurale. Dans la décision Kaldeen, le demandeur a été victime d’un déni de justice naturelle parce que la Commission a explicitement limité les observations à la question de la possibilité de refuge intérieur, mais elle n’a cependant pas abordé cette question dans sa décision de rejeter la demande faute d’éléments de preuve concernant l’incapacité de l’État à assurer une protection. Dans la présente affaire, la Section de la protection des réfugiés n’a pas limité les observations à une question en particulier (notamment la crédibilité) et sa décision aborde clairement la question centrale qui a été cernée au début de l’audience et sur laquelle elle repose ultimement.

[8]  Le demandeur conteste les conclusions de la Section de la protection des réfugiés selon lesquelles les conditions et les difficultés que rencontrent les homosexuels en Mongolie n’atteignent pas le niveau de la persécution, et selon lesquelles il n’y avait pas eu de mariage entre lui et Oyunaa selon la preuve indépendante et fiable d’un tiers comprenant une demande de divorce et un certificat de dissolution de mariage délivré par l’État. À mon avis, toutefois, la Section de la protection des réfugiés a raisonnablement conclu que le demandeur ne s’est pas acquitté de la responsabilité d’établir qu’il avait le profil d’une personne exposée à de la persécution en raison de son orientation sexuelle étant donné que son récit à cet égard n’était tout simplement pas crédible. Le défendeur soutient, et je suis d’accord, que la Section de la protection des réfugiés a accordé très peu de poids à la preuve du demandeur en raison des nombreuses incohérences qui ont mené la Section de la protection des réfugiés à conclure que le demandeur n’était pas crédible.

[9]  Il est bien établi que les décideurs administratifs, dont la Section de la protection des réfugiés, n’ont pas à faire référence à chacun des éléments de preuve dans leurs décisions. Dans l’arrêt Newfoundland Nurses, la juge Abella déclare que « le décideur n’est pas tenu d’énoncer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif de son raisonnement, si subordonné soit-il à sa conclusion finale » (au paragraphe 16). De même, dans la décision Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (QL), au paragraphe 16, 157 FTR 35, le juge Evans déclare qu’il ne faut pas obliger les organismes administratifs à « faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve ». Dans le cas présent, la Section de la protection des réfugiés a raisonnablement évalué la documentation dont elle a été saisie par le demandeur concernant son prétendu mariage. Il est évident que la Section de la protection des réfugiés n’a pas fait fi de cette preuve quand elle a fait référence aux incohérences dans les renseignements utilisés pour obtenir le certificat de dissolution du mariage comparé à d’autres éléments de preuve invoqués par le demandeur à cet égard.

[10]  Selon le demandeur, la Section de la protection des réfugiés a évalué son risque de persécution selon une norme inconnue en droit des réfugiés en concluant que, bien que le fait de vivre en Mongolie puisse souvent être difficile et donner lieu à de la discrimination pour les personnes de la communauté LGBT, [traduction] « la Commission ne peut conclure qu’une telle discrimination ou difficulté atteint le niveau de la persécution généralisée à l’égard de toutes les personnes de la communauté LGBT ». Selon le demandeur, la Section de la protection des réfugiés lui a demandé de démontrer que les expériences de personnes dans la même situation sont universelles et qu’elles sont universellement persécutées, tandis que le critère correct est de déterminer s’il y a une possibilité raisonnable ou plus d’une simple possibilité de persécution. Le défendeur affirme que la Section de la protection des réfugiés n’a pas appliqué une nouvelle norme de preuve pour établir qu’il y a persécution au sens de l’article 96 de la LIPR, exigeant que le demandeur démontre que la persécution constitue un traitement universel, et que la Section de la protection des réfugiés avait évalué raisonnablement s’il y avait un lien entre le profil du demandeur et de la discrimination pouvant être considérée comme de la persécution en Mongolie.

[11]  À mon avis, la Section de la protection des réfugiés a raisonnablement établi que le demandeur n’a pas démontré de manière crédible qu’il avait vécu de la persécution en raison de son homosexualité. Le raisonnement de la Section de la protection des réfugiés ne démontre pas, comme le prétend le demandeur, qu’elle a accepté son homosexualité et qu’elle a ensuite entrepris d’évaluer si ce fait à lui seul pouvait suffire pour lui attribuer la qualité de réfugié au sens de la Convention. Au contraire, la Section de la protection des réfugiés n’a pas explicitement déclaré qu’elle acceptait ou non que le demandeur soit homosexuel, indiquant que :

[TRADUCTION]

[55]  [...] La Commission n’est pas d’accord avec l’observation du demandeur selon laquelle la seule question en litige est d’établir si le demandeur est homosexuel ou non. Bien que la Commission ait tenu compte de la preuve du demandeur concernant son implication dans la communauté LGBT ici au Canada, la Commission ne considère pas cela comme étant suffisant pour établir sa demande. À la lumière de l’examen par le tribunal des éléments de preuve documentaire concernant la situation en Mongolie, il ne suffit pas à une personne de démontrer qu’elle est homosexuelle. Il incombe au demandeur de démontrer comment il répond au profil d’une personne ciblée et persécutée en raison de son orientation sexuelle. Il n’y est pas arrivé. Son récit à cet égard n’était tout simplement pas crédible […]

[12]  Afin d’établir la crainte d’être persécuté au sens de l’article 96 de la LIPR, dans une demande d’asile, le demandeur doit éprouver une crainte subjective d’être persécuté, et cette crainte doit être objectivement justifiée (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à la page 723, 103 DLR (4th) 1). Dans les cas où un demandeur est considéré comme crédible, la partie subjective du critère est atteinte; mais dans les cas où le demandeur n’est pas considéré comme crédible, comme c’est le cas en l’espèce, la demande échouera en raison de l’absence de crainte subjective de persécution. La crédibilité du demandeur était la question déterminante pour la Section de la protection des réfugiés dans la présente affaire, et il était loisible à la Section de la protection des réfugiés, et raisonnable de le faire, de conclure que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention au sens de l’article 96 de la LIPR ni une personne à protéger conformément à l’article 97.

[13]  Enfin, je conclus que la Section de la protection des réfugiés a tenu compte de manière raisonnable de la preuve dont elle a été saisie, et qu’elle a fourni dans ses motifs une explication intelligible et transparente justifiant sa décision de rejeter la demande d’asile au Canada présentée par le demandeur. Enfin, la Section de la protection des réfugiés a conclu que, parce que la demande d’asile du demandeur n’était pas crédible, il n’y avait pas de possibilité sérieuse de persécution s’il retourne en Mongolie, et qu’il n’était pas une personne à protéger. Cette issue est justifiable au regard des faits et du droit.

[14]  Puisqu’aucune des parties n’a proposé de question à certifier d’importance générale, aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4391-17

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire et il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4391-17

 

INTITULÉ :

TENGIS BATAA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 mars 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Simon Wallace

 

Pour le demandeur

 

Sharon Stewart Guthrie

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Simon Wallace

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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