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Date : 20180419


Dossier : IMM-3726-17

Référence : 2018 CF 424

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 avril 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

HAZEL SEVILLA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent des visas a refusé d’accorder un visa de résidence temporaire et un permis à la Mme Sevilla (la demanderesse). Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie puisque l’agent a fondé son examen de la demande sur des facteurs extrinsèques.

I.  Résumé des faits

[2]  La demanderesse est une citoyenne des Philippines. En juin 2017, elle a déposé sa troisième demande de permis de travail au titre de la même étude d’impact sur le marché du travail (EIMT). La demanderesse a été convoquée à une entrevue fixée au 10 août 2017. Son avocat a demandé à être présent à cette entrevue, mais le bureau des visas n’a pas donné suite à cette demande.

[3]  Le jour de l’entrevue, la demanderesse s’est présentée avec son avocat. Selon les notes inscrites au Système mondial de gestion des cas (SMGC), voici comment s’est déroulé l’entretien entre l’agent et l’avocat concernant sa présence à l’entrevue :

[traduction]

Ce matin, la cliente était accompagnée de son avocat et elle a demandé qu’il soit présent à l’entrevue. Je me suis entretenu avec lui pour lui expliquer que, selon la procédure en vigueur, l’avocat ne peut être présent à l’entrevue avec le client [...] Si des raisons légitimes justifient sa présence, il doit nous soumettre des observations écrites, que je devrai transmettre aux services juridiques avant de lui donner une réponse. Dans ce cas, l’entrevue devrait être reportée à un autre jour. J’ai ajouté que l’autre option était que l’entrevue se déroule sans lui [...] L’avocat a demandé à s’entretenir avec sa cliente, qui s’est dite disposée à subir l’entrevue malgré son absence.

[4]  Pour éviter des délais supplémentaires, la demanderesse a préféré que l’entrevue ait lieu comme prévu, en l’absence de son avocat.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[5]  La décision faisant l’objet du contrôle porte sur la lettre de décision datée du 10 août 2017, ainsi que sur les notes d’entrevue de l’agent et celles inscrites au SMGC.

[6]  Dans la lettre de décision, l’agent souligne que la demanderesse n’a pas établi sa conformité à toutes les exigences applicables à l’emploi envisagé. Plus particulièrement, l’agent informe la demanderesse qu’elle ne [traduction] « satisfait pas aux exigences » du paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

[7]  Dans les notes d’entrevue inscrites au SMGC, l’agent rapporte les déclarations de la demanderesse comme quoi elle a été aide familiale chez le même employeur pendant plusieurs années aux Philippines. Quand il lui a demandé si elle avait des éléments de preuve documentaire attestant qu’elle avait occupé cet emploi, elle a produit une lettre signée par son employeur. L’agent lui a fait remarquer que parce qu’elle travaillait pour un particulier, elle devait produire d’autres documents pour corroborer les déclarations de l’employeur.

[8]  Il a mentionné que selon la loi philippine, les employés domestiques et leurs employeurs paient des cotisations de sécurité sociale, et qu’un relevé des cotisations portant le nom de l’employeur et de l’employé domestique constitue une preuve suffisante du lien d’emploi. La demanderesse a affirmé que, selon l’entente prise avec son employeur, ses cotisations de sécurité sociale étaient prélevées sur son salaire. L’agent a conclu que l’employeur n’était pas dûment inscrit au régime de sécurité sociale des Philippines.

[9]  Il a également conclu que, sans autre document à l’appui, la lettre signée par son employeur ne constituait pas une preuve suffisante pour attester son emploi. L’agent a rejeté la demande parce qu’il n’était pas convaincu que la demanderesse remplissait l’exigence relative à l’expérience d’une ou deux années dans un emploi d’aide familiale.

III.  Questions en litige

[10]  La demanderesse soulève plusieurs questions en l’espèce et avance certains arguments fondés sur l’équité procédurale eu égard à son droit d’être accompagnée de son avocat. Elle met aussi en cause l’interprétation que fait l’agent du droit des Philippines. Cependant, la question déterminante dans l’issue de la présente demande est l’application par l’agent de critères extrinsèques au droit applicable.

IV.  Discussion

[11]  L’agent des visas a rejeté la demande pour le motif que la demanderesse ne possède pas une ou deux années d’expérience de travail tel qu’il est exigé. Toutefois, le dossier ne nous renseigne pas vraiment sur la source de cette exigence. Dans sa décision, l’agent soutient qu’il s’agit d’une exigence de l’EIMT, mais l’employeur éventuel de la demanderesse au Canada avait obtenu une EIMT favorable. En outre, la Classification nationale des professions ne renferme aucune exigence de la sorte pour l’emploi proposé.

[12]  L’alinéa 200(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) dispose que :

(3) Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger dans les cas suivants :

200(3) An officer shall not issue a work permit to a foreign national if

a) l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé;

(a) there are reasonable grounds to believe that the foreign national is unable to perform the work sought;

[13]  Auparavant, l’article 112 de la LIPR fixait certaines exigences en matière d’éducation ou d’expérience de travail pour les aides familiaux résidants. Cependant, cette disposition ne s’applique pas à la demanderesse. La disposition législative pertinente en l’espèce est l’alinéa 200(3)a).

[14]  Le présent contrôle portant sur le caractère raisonnable d’une décision, la retenue s’impose à l’égard de l’appréciation de la preuve par l’agent et de sa conclusion comme quoi la demanderesse ne s’est pas conformée aux exigences de l’alinéa 200(3)a) du fait de l’insuffisance des éléments de preuve corroborants. En revanche, l’agent ne semble pas avoir tenu compte du droit applicable dans son appréciation des déclarations de la demanderesse concernant son expérience de travail. Il a rejeté la demande pour le motif qu’une expérience d’une ou deux années est requise, mais les motifs et la lettre de décision ne donnent aucune explication à ce sujet. Si un agent adopte un point de référence, il doit le dire clairement et expliquer le lien avec les exigences de l’alinéa 200(3)a).

[15]  Par conséquent, il est impossible pour notre Cour d’affirmer que l’agent n’a pas entravé son pouvoir discrétionnaire en faisant fi de la règle de droit contraignante, qui selon le défendeur est l’alinéa 200(3)a) (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Thamotharem, 2007 CAF 198, au paragraphe 62).

[16]  En l’espèce, parce qu’il a omis d’indiquer d’où provenait l’exigence selon laquelle la demanderesse devait posséder une ou deux années d’expérience de travail, l’agent des visas a entravé son pouvoir discrétionnaire et sa décision n’est pas justifiée, justifiée ou intelligible, pour reprendre les termes de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3726-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agent des visas est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et aucune n’est soulevée en l’espèce.

  3. Aucuns dépens ne seront adjugés.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3726-17

INTITULÉ :

HAZEL SEVILLA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 février 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 19 avril 2018

COMPARUTIONS :

Emmanuel Luna Galang

POUR LA DEMANDERESSE

Neeta Logsetty

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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