Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180412


Dossier : T-1024-17

Référence : 2018 CF 392

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2018

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

ANGIE QUI ET

OWEN MCDERMOTT-BERRYMAN

demandeurs

et

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs, employés de l’Agence du revenu du Canada (l’Agence) et candidats dans un processus de dotation compétitif, demandent le contrôle judiciaire d’une décision prise par une réviseure tierce indépendante, datée du 11 juin 2017. La réviseure tierce indépendante a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour procéder à une révision par un tiers indépendant (une RTI) puisque les allégations des demandeurs concernaient l’étape d’évaluation du processus de dotation, alors que les RTI s’appliquent uniquement à l’étape du placement ou de la nomination.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La réviseure est raisonnablement arrivée à la conclusion selon laquelle elle n’avait pas compétence pour examiner les allégations des demandeurs.

I.  Résumé des faits

A.  Le processus de dotation de l’Agence

[3]  Les concours de l’Agence se divisent en trois étapes : l’étape de l’examen préalable, l’étape de l’évaluation et l’étape de la nomination (également appelée l’étape du placement). Les deux premières étapes sont effectuées par un jury de sélection désigné. L’étape de placement est effectuée par le gestionnaire responsable de la dotation du poste. Toutes les décisions prises dans le cadre de ce processus sont appelées « décisions en matière de dotation ». Cependant, le candidat n’est sélectionné qu’à la dernière étape de dotation.

[4]  Au départ, tous les candidats sont examinés afin de déterminer s’ils répondent aux exigences préalables énumérées dans l’avis de possibilité d’emploi (l’APE). Les candidats qui y répondent sont ensuite évalués par le jury de sélection.

[5]  À l’étape de l’évaluation, le jury de sélection évalue les qualifications des candidats relativement aux exigences particulières de l’emploi. Les candidats qui sont jugés comme qualifiés sont ensuite placés dans un bassin de candidats qualifiés.

[6]  À l’étape du placement, le gestionnaire responsable de la dotation du poste nomme un ou plusieurs candidats du bassin au poste selon les critères.

[7]  Le processus de dotation de l’Agence est régi par un document de politique intitulé Procédures sur le recours en matière de dotation (Programme de dotation), version 1.2 (les procédures sur le recours ou les procédures). La version actuelle s’applique à toutes les décisions en matière de dotation prises à partir du 7 décembre 2015. Les procédures sont autorisées aux termes de l’article 54 de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada, LC 1999, c 17 (la Loi sur l’Agence). Les procédures, qui sont longues et détaillées, prévoient, entre autres, les recours auxquels ont droit les candidats à chacune des étapes du processus.

[8]  L’objectif du recours est de traiter des préoccupations des candidats à l’égard d’un « traitement arbitraire », qui est défini comme une décision de dotation faite :

de manière irraisonnée ou faite capricieusement; pas faite ou prise selon la raison ou le jugement; non basée sur le raisonnement ou une politique établie; n’étant pas le résultat d’un raisonnement appliqué aux considérations pertinentes; discriminatoire, comme il en est fait mention dans les motifs de distinction illicite de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[9]  À l’étape d’évaluation, un candidat peut demander une rétroaction individuelle (une RI), qui consiste en une discussion formelle entre l’employé et le gestionnaire responsable de la décision en matière de dotation en question (c.-à-d. la décision en matière de dotation à l’étape de l’évaluation) au sujet des préoccupations du candidat concernant le traitement arbitraire. Si les préoccupations du candidat ne sont pas résolues, le candidat peut alors faire une demande de révision de la décision (une RD), qui consiste en une discussion entre le candidat et le superviseur du gestionnaire. Dans le cadre du processus de la RD, le candidat a le droit de divulguer de l’information relative au traitement individuel qu’il a reçu, y compris les résultats de son évaluation et des renseignements sur les autres candidats participant au processus (sous‑paragraphe 5.6.6 des procédures sur le recours).

[10]  Lors de l’étape du placement, les candidats peuvent de nouveau demander une RI ainsi qu’une RD ou une RTI. Les RTI sont effectuées par un tiers qui examine les allégations d’un traitement arbitraire.

[11]  La RTI est régie par le paragraphe 5.11 des procédures. Le sous-paragraphe 5.11.1 précise que les RTI sont réservées aux promotions permanentes. Le sous-paragraphe 5.11.11 prévoit que, pour être admissible à une RTI, un candidat doit avoir fait une RI (à l’étape du placement), et ne pas avoir demandé de RD (à l’étape du placement). En d’autres mots, à l’étape du placement, un candidat exerçant un recours doit d’abord recourir à une RI, après quoi il aura le choix de recourir à une RD ou une RTI.

[12]  Le paragraphe 5.11.33 énonce les diverses obligations du réviseur tiers indépendant, dont le fait qu’il doit respecter son rôle et ses responsabilités décrits dans les procédures et « examiner seulement les décisions en matière de dotation qui sont liées à la nomination; les décisions liées aux préalables et à l’évaluation ne sont pas visées par la RTI ». En dépit de la grammaire peu rigoureuse, les parties sont d’accord que cette disposition signifie que les réviseurs de RTI ont seulement le droit d’examiner les décisions en matière de dotation relatives à l’étape de la nomination.

B.  L’avis d’emploi et la demande de RI des demandeurs

[13]  Les demandeurs ont répondu à l’APE SP06, vérificateur ou vérificatrice de l’impôt sur le revenu, agent de la charge de travail liée aux non-résidents, dont la date de clôture était le 25 octobre 2016.

[14]  L’APE énonce, entre autres, les tâches de l’emploi, qui peut déposer sa candidature et les exigences en matière de dotation (qui comprennent les évaluations essentielles et les évaluations facultatives). À la section intitulée [traduction] « Exigences en matière de dotation devant être évaluées et appliquées », l’APE établit les [traduction] « évaluations essentielles ». Il est énoncé que [traduction] « les exigences en matière de dotation suivantes seront évaluées au moyen d’outils d’évaluation élaborés en interne et les candidats doivent obtenir une note minimale pour chacune des exigences évaluées », avant qu’il soit précisé que la seule évaluation essentielle est celle de « la fiabilité », évaluée en fonction d’un outil d’évaluation élaboré en interne dont la note de passage minimale est de 60. Cet article se termine par la déclaration suivante : [traduction] « les résultats de l’évaluation des exigences en matière de dotation peuvent être utilisés à l’étape de la nomination pour choisir les candidats à nommer ».

[15]  À l’étape d’évaluation, les candidats sont évalués en fonction de cinq critères. Les quatre premiers critères portent sur l’expérience qu’ont les candidats avec des types particuliers de vérifications. Ces critères ont été évalués sur une base binaire de [traduction] « satisfait/ne satisfait pas » aux critères. Le cinquième critère est une vérification structurée des références, également désignée comme outil élaboré en interne. La vérification des références demande à l’arbitre de cocher le descripteur approprié parmi ce qui suit : [traduction] toujours, presque toujours, souvent, rarement et jamais pour cinq indicateurs relatifs à la fiabilité. Par exemple [traduction] « l’employé est capable de gérer des charges de travail concurrentes et des priorités changeantes ».

[16]  Les demandeurs ont été évalués et inscrits au bassin de candidats qualifiés. Ils ont tous deux demandé une RI à la suite de l’étape d’évaluation. Ils ont reçu leur RI le 1er décembre 2016.

[17]  Le formulaire de RI des deux demandeurs indique que le gestionnaire leur avait remis les résultats de leurs évaluations ayant mené à leur inclusion dans le bassin (c.-à-d. l’étape d’évaluation). Les demandeurs ont aussi reçu une copie de leurs vérifications de référence, qui avaient été préparées par M. Bondy. Ils ont discuté de leurs questions sur la vérification des références et les demandeurs n’ont posé aucune question additionnelle. Le gestionnaire a conclu qu’il n’y avait pas de traitement arbitraire.

[18]  Même si une note avait été apposée à la vérification des références, rien dans le dossier ne montre comment l’évaluateur l’a calculée et les questions de la Cour sur ce processus sont restées sans réponses. Dans le cas des demandeurs (et de tous les autres candidats, comme on le découvre plus tard), l’arbitre qui avait fait leur vérification des références était le président du jury de sélection, M. Bondy, qui se trouvait aussi à être leur plus récent superviseur.

[19]  Les demandeurs n’ont pas présenté une demande de RD à l’étape de l’évaluation.

[20]  À l’étape du placement, trois candidats ont été choisis parmi les candidats préqualifiés. Ni l’un ni l’autre des demandeurs n’a été retenu. De tous les critères appliqués, seule la vérification des références servait à distinguer les candidats qualifiés, puisque c’est le seul critère pour lequel une note est décernée. Les demandeurs n’ont pas été nommés au poste puisque les résultats de la vérification structurée de leurs références étaient inférieurs à ceux des candidats retenus.

C.  Étape du placement; demandes de RI et de RTI des demandeurs.

[21]  Les demandeurs ont fait la demande d’une RI à l’étape du placement. Le gestionnaire responsable de la décision en matière de dotation a conclu qu’il n’y avait pas eu de traitement arbitraire. Les demandeurs ont ensuite demandé une RTI. Les demandeurs insistent dans leurs allégations sur le fait que l’arbitre, M. Bondy, était aussi le président du jury de sélection, ce qui va à l’encontre des politiques de l’Agence, selon ce qu’ils prétendent. Les demandeurs ont également allégué que la procédure générale employée dans la vérification structurée de leurs références n’était pas équitable ni transparente.

[22]  Comme l’a fait remarquer la réviseure tierce indépendante, les demandeurs allèguent que :

  • Permettre au président du jury de procéder à l’évaluation des références dans le cadre d’une vérification structurée des références et de leur attribuer une note va à l’encontre des politiques. Un autre arbitre aurait dû être désigné. Par ailleurs, la recommandation fournie par le président du jury n’était que son opinion et n’était aucunement basée sur des faits ou des renseignements pertinents.
  • Les candidats n’avaient jamais été invités à présenter d’autres références, ce qui allait à l’encontre des politiques.
  • Les demandeurs n’ont été informés d’aucun élément négatif concernant leur travail, ce qui va à l’encontre des politiques de l’Agence qui exigent que si les arbitres abordent des [traduction] « éléments négatifs », alors l’employé examiné doit être avisé de l’existence de ces éléments négatifs (p. ex. dans le cadre d’une évaluation du rendement).
  • Le jury de sélection n’arrive pas à justifier les notes qu’il a décernées dans le cadre de la vérification des références.
  • Le processus de dotation a été effectué avec partialité, ou soulève du moins une crainte raisonnable de partialité.

[23]  Avant de se pencher sur les allégations, la défenderesse a présenté des observations contestant la compétence de la réviseure à procéder à une RTI en se fondant sur le sous-paragraphe 5.11.33 des procédures sur le recours.

[24]  Les parties sont d’accord que la réviseure tierce indépendante doit d’abord déterminer si elle a la compétence de procéder à la révision avant de se pencher sur le bien-fondé des allégations. La réviseure a conclu qu’elle n’avait pas compétence avant de rejeter la demande des demandeurs.

II.  La décision de la RTI faisant l’objet du contrôle

[25]  La réviseure a exposé les observations des demandeurs et de la défenderesse en détail, qui semblent être les mêmes qui ont été présentées à la Cour dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[26]  Comme je l’ai mentionné, la défenderesse a fait valoir que la réviseure n’avait pas compétence, soulevant le sous-paragraphe 5.11.33 des procédures sur le recours, qui prévoient qu’un réviseur de RTI examine seulement les décisions en matière de dotation liées à la nomination, et non les décisions liées aux préalables et à l’évaluation. La défenderesse a soutenu que les allégations des demandeurs concernaient exclusivement l’étape de l’évaluation.

[27]  La défenderesse a également soutenu que les demandeurs auraient dû savoir que les résultats de la vérification structurée de leurs références pouvaient être utilisés à l’étape de la nomination, comme il est énoncé dans l’APE. Par conséquent, les demandeurs auraient dû exercer leur droit à un recours à l’étape de l’évaluation en présentant une demande de révision de décision pour cette étape, plutôt qu’en attendant l’étape du placement pour exprimer leurs préoccupations quant à la vérification des références.

[28]  Les demandeurs prétendent qu’ils ne savaient pas et n’avaient pas été informés que la note décernée à la vérification des références servirait à quoi que ce soit d’autre que déterminer la qualification des candidats à l’étape de l’évaluation.

[29]  Les demandeurs s’appuient sur la décision Sargeant c Canada (Procureur général), 2002 CFPI 1043, 225 FTR 184 (CF 1re inst.) [Sargeant], où la Cour a conclu qu’un examinateur indépendant a eu tort de décliner compétence pour la RTI alors qu’il existait un lien entre l’étape de l’évaluation et l’étape du placement. Les demandeurs prétendent que, dans leur cas, l’utilisation des notes de la vérification de leurs références dans la prise de décision à l’étape du placement crée un lien entre l’étape de l’évaluation et l’étape du placement, donnant ainsi compétence à la réviseure.

[30]  La réviseure a fait remarquer que l’Agence avait révisé ses politiques à la suite de la décision Sargeant afin d’inclure celle-ci au sous-paragraphe 7.3.37 des Directives sur la révision par un tiers indépendant pour les situations de dotation (les directives), qui précisent ceci :

Le réviseur examine les faits et décisions reliés à l’étape du placement seulement et non ceux reliés aux étapes de l’évaluation ou des préalables, à moins qu’un lien existe entre les critères de placement et les critères d’évaluation ou des préalables.

[Non souligné dans la décision de la réviseure.]

[31]  Je constate que cette disposition ne figure plus dans les directives. La défenderesse a informé la Cour que le sous-paragraphe 7.3.37 était [traduction] « intégré » au sous-paragraphe 5.11.33 des procédures sur le recours, qui fait maintenant office de disposition applicable. Il n’y a aucun élément de preuve au dossier indiquant le moment où le sous-paragraphe 7.3.37 des directives a été modifié avant d’être intégré aux procédures. Le sous‑paragraphe 5.11.33 des procédures est en vigueur depuis au moins décembre 2015.

[32]  La réviseure a conclu que les faits différaient de ceux dans la décision Sargeant. Elle a souligné que, dans la décision Sargeant, le demandeur ne disposait d’aucune indication que les résultats de l’étape de l’évaluation auraient une incidence sur l’étape du placement et que, par conséquent, il n’avait aucune raison d’exercer un recours à cette étape. La réviseure fait remarquer que, dans la présente cause, l’APE indiquait que les résultats à l’étape de l’évaluation « pourraient » être utilisés à l’étape du placement. De plus, les critères à l’étape de l’évaluation ont tous été évalués sur une base binaire de [traduction] « satisfait/ne satisfait pas », sauf la vérification des références. La réviseure a conclu que les demandeurs [traduction] « auraient dû savoir que [la vérification des références] serait potentiellement, voire probablement, utilisée à l’étape du placement ».

[33]  La réviseure fait une autre distinction entre la présente affaire et la décision Sargeant, notant que, à l’époque, il y avait des obstacles institutionnels à l’obtention d’éléments de preuve sur le traitement arbitraire à l’étape de l’évaluation. L’Agence fera éventuellement une mise à jour de ses politiques afin de permettre l’échange de renseignements lors de l’étape d’évaluation. La réviseure a donc conclu que les demandeurs auraient pu trouver tous les renseignements dont ils avaient besoin pour contester la procédure utilisée pour faire la vérification de références à l’étape de l’évaluation. Elle fait remarquer que, si les demandeurs avaient présenté une demande de RD à l’étape de l’évaluation, ils auraient [traduction] « vraisemblablement eu le droit de consulter les résultats des évaluations des autres candidats, afin de les convaincre que les évaluations avaient été menées de façon équitable et uniforme ». Dans le même ordre d’idées, elle conclut que les renseignements sur lesquels s’appuient les demandeurs pour fonder leurs allégations de partialité auraient pu être découverts dans le cadre de la RD à l’étape de l’évaluation, s’ils en avaient présenté la demande.

[34]  La réviseure a conclu que les demandeurs n’ont fait face à aucun obstacle institutionnel qui aurait pu les empêcher de soulever toutes leurs contestations à la suite de l’étape de l’évaluation. S’ils avaient exercé leur droit à un recours à ce moment-là, leurs problèmes auraient pu être résolus avant d’arriver à l’étape du placement. Subsidiairement, l’Agence aurait au moins su que des objections seraient soulevées à la suite d’une nomination fondée sur la vérification des références. La réviseure a conclu que ces circonstances n’étaient pas analogues à celles de la décision Sargeant.

[35]  La réviseure cite de nouveau le sous-paragraphe 7.3.37 des directives, qui permet aux réviseurs d’examiner les faits à l’étape de l’évaluation quand un lien existe entre les critères de placement et les critères d’évaluation. La réviseure a déclaré : [traduction] « À mon avis, le sous-paragraphe 7.3.37 devrait être interprété en tenant compte de l’entièreté du processus de dotation. » Elle cite une de ses décisions précédentes résultant aussi d’une RTI dans laquelle elle avait expliqué le fondement des recours pour chaque étape, soulignant que les processus de RTI sont souvent longs en plus d’exiger des ressources considérables, raison pour laquelle il est préférable de présenter toute contestation aussitôt que possible.

[36]  La réviseure fait remarquer qu’à l’étape de l’évaluation, les recours possibles sont la RI et la RD. Elle ajoute qu’il incombe aux candidats de déterminer jusqu’où exercer leur recours pour chacune des étapes et que les candidats ne peuvent pas abandonner une contestation faite à une étape antérieure dans le but de la rétablir ultérieurement. Elle conclut que, même dans les cas où un lien est établi entre ces deux étapes, faire valoir ses préoccupations concernant le processus d’évaluation à l’étape de l’évaluation au moyen d’une RI ou d’une RD constitue une [traduction] « condition préalable » pour pouvoir présenter ces mêmes préoccupations lors d’une RTI après que la décision en matière de placement est rendue.

[37]  La réviseure justifie sa conclusion en faisant remarquer que, dans certains cas, il s’écoule une longue période de temps entre la fin de l’étape de l’évaluation et la décision en matière de placement, s’étendant sur des mois voire des années. Elle estime que, dans de tels cas, permettre la contestation de l’étape dévaluation bien après qu’une décision en matière de placement est rendue serait inéquitable pour l’Agence et les candidats retenus, quand tous les renseignements nécessaires pour présenter une contestation avaient toujours été disponibles.

[38]  La réviseure a conclu que les demandeurs avaient abandonné leurs préoccupations concernant la vérification de références en ne demandant pas de RD à l’étape d’évaluation. Elle a conclu que les demandeurs ne pouvaient pas rétablir ces préoccupations après l’étape du placement. Elle précise que sa décision est fondée sur les faits particuliers, soulignant que dans les affaires ultérieures, la détermination du [traduction] « moment où il est raisonnablement possible d’obtenir les renseignements pertinents sur la plainte » constituera dorénavant un facteur clé.

III.  Les observations des demandeurs

[39]  Les demandeurs soutiennent que la réviseure a mal interprété le sous-paragraphe 7.3.37 des directives et qu’elle a mal interprété et mal appliqué la décision Sargeant.

[40]  En réponse à l’admission de la défenderesse que le sous-paragraphe 7.3.37 ne s’appliquait pas au moment où la réviseure a rendu sa décision et qu’il a été modifié et intégré dans une autre disposition des procédures sur le recours (le sous-paragraphe 5.11.33), les demandeurs font remarquer qu’ils n’étaient pas au courant de ce changement. Ils soutiennent que le fondement erroné de la réviseure sur le sous-paragraphe 7.3.37 vient renforcer leur position selon laquelle la réviseure a commis une erreur et que sa décision n’est pas intelligible.

[41]  Les demandeurs sont d’accord que toutes leurs allégations concernent l’étape de l’évaluation. Cependant, ils prétendent qu’ils ne savaient pas que la vérification de références serait utilisée pour quoi que ce soit d’autre que l’étape d’évaluation, alors que les décisions en matière de placement ont été prises sur le seul fondement des résultats de l’étape de l’évaluation, c’est-à-dire la vérification structurée des références.

[42]  Les demandeurs soutiennent que les faits établissent manifestement un lien entre les critères de l’évaluation et les critères du placement. Même s’ils avaient reçu leur propre vérification de références après une RI à l’étape de l’évaluation, et bien que l’APE indique que les résultats de cette évaluation peuvent être utilisés à l’étape de l’évaluation, ils soutiennent qu’ils n’étaient pas « certains » que ces résultats seraient utilisés. Les demandeurs invoquent l’admission de la réviseure selon laquelle l’Agence n’est pas tenue d’aviser ses candidats des critères qu’elle utilisera pour sélectionner des candidats à partir d’un bassin, puisque ses besoins de personnel sont [traduction] « sans fin ». Les demandeurs prétendent que cette notion est incompatible avec la thèse de la défenderesse selon laquelle les candidats étaient au courant des critères qui pourraient être pris en compte pour le placement.

[43]  Les demandeurs soutiennent que la réviseure avait admis qu’il pouvait y avoir, dans certains cas, un lien entre l’étape de l’évaluation et l’étape du placement qui donnerait compétence à la réviseure. Ils soutiennent que la décision à l’étape du placement se rapportait clairement à l’étape de l’évaluation, établissant ainsi le lien, et que les demandeurs se retrouvent maintenant sans recours en raison d’une erreur de la part de la réviseure.

[44]  Les demandeurs soutiennent également que la réviseure a commis une erreur en arrivant à la conclusion que toutes leurs allégations auraient pu être découvertes à l’étape de l’évaluation s’ils avaient fait une demande de RD après leur RI, particulièrement en ce qui concerne leurs allégations de partialité. Ils affirment n’avoir reçu que les résultats de leurs propres vérifications de références à la suite de leurs demandes de RI, avant d’être avisés qu’ils avaient été admis au bassin des candidats qualifiés. Les demandeurs prétendent qu’ils n’ont découvert la preuve de partialité qu’après avoir fait une demande de RTI et après avoir reçu les vérifications de références des autres candidats, qui leur ont révélé qu’un même arbitre, qui se trouvait à être le président du jury de sélection, avait effectué toutes les vérifications de références. Les demandeurs soutiennent que les vérifications de références des candidats retenus les ont amenés à croire que les critères n’avaient pas été appliqués uniformément. Les demandeurs expliquent qu’après avoir reçu ces renseignements, ils ont modifié les allégations dans leur demande de RTI. Selon les demandeurs, ils n’auraient pas pu découvrir ces renseignements à l’étape de l’évaluation. Ils font aussi remarquer que la conclusion de la RI était qu’il n’y avait pas eu de traitement arbitraire à l’étape de l’évaluation.

[45]  Les demandeurs réitèrent les allégations faites dans le cadre de la RTI. Entre autres allégations, ils soutiennent qu’une vérification des références effectuée par le président du jury constitue une violation de la politique de dotation. La politique sert de guide afin de déterminer les personnes qui sont aptes à servir d’arbitres et contient des passages indiquant qu’il pourrait y avoir une perception de partialité dans les cas où un arbitre siège également au jury de sélection.

[46]  Les demandeurs soutiennent que si la vérification de références est faite de façon aussi arbitraire, alors rien n’empêche que la décision de placement soit semblablement arbitraire.

[47]  Les demandeurs soutiennent également que la réviseure a commis une erreur en imposant une « règle de la possibilité raisonnable » à leurs allégations de partialité afin d’éviter d’être considérée comme compétente.

IV.  Observations de la défenderesse

[48]  La défenderesse s’appuie sur le sous-paragraphe 5.11.33 des procédures, qui limite la compétence du réviseur aux décisions de dotation qui concernent l’étape du placement.

[49]  La défenderesse maintient qu’il n’y a pas de lien entre l’étape du placement et l’étape de l’évaluation. Toutes les allégations des demandeurs concernent la façon dont a été menée l’évaluation et sont dirigées contre le jury de sélection, qui a mené l’évaluation, et non contre le gestionnaire qui a pris la décision en matière de placement. La défenderesse ajoute que les demandeurs n’allèguent pas que le gestionnaire qui a pris la décision en matière de placement a agi de manière arbitraire en utilisant les résultats des vérifications de références.

[50]  La défenderesse soutient que la réviseure a établi une distinction avec la décision Sargeant. Contrairement à la décision Sargeant, les demandeurs auraient dû savoir que la note obtenue lors de la vérification des références pouvait être utilisée à l’étape de la nomination, car l’APE indiquait qu’il s’agissait d’une possibilité. De plus, contrairement à la décision Sargeant, il n’y a eu aucun obstacle institutionnel pour empêcher l’accès aux renseignements pertinents lors de l’étape de l’évaluation. La défenderesse fait remarquer que l’Agence a changé sa politique à la suite de la décision Sargeant afin de permettre la divulgation de renseignements aux premières étapes. La défenderesse explique également qu’après la décision Sargeant, le sous-paragraphe 7.3.37 des directives a été modifié pour prévoir une exception dans les cas où il existe un lien entre les étapes. Cependant, cette disposition a depuis été modifiée une autre fois et est maintenant intégrée au sous-paragraphe 5.11.33 des procédures, sans préciser qu’il y a une exception dans les cas où il y a un lien. La défenderesse explique que cette modification s’est produite à l’issue d’un nombre de changements apportés à la politique, qui permet maintenant la divulgation de renseignements supplémentaires lors d’une RD à l’étape de l’évaluation. La défenderesse n’a pas été en mesure de montrer à la Cour le moment où cette modification a eu lieu ni d’expliquer la raison pour laquelle elle a eu lieu au moyen d’un élément de preuve au dossier.

[51]  La défenderesse soutient que la référence erronée de la réviseure au sous‑paragraphe 7.3.37 est sans intérêt. La défenderesse fait valoir que la réviseure a cité le sous‑paragraphe 7.3.37 puisqu’elle avait renvoyé à des décisions antérieures de RTI qui se fondaient alors sur cette disposition. En d’autres mots, c’était une question de contexte.

[52]  La défenderesse souligne que les demandeurs avaient reçu leurs propres vérifications de références à la suite de leur demande de RI à l’étape de l’évaluation. C’est à ce moment qu’il leur a été révélé que leur arbitre était le président du jury de sélection. La défenderesse soutient que si les demandeurs avaient ensuite présenté une demande de RD à l’étape de l’évaluation, ils auraient alors obtenu les vérifications de références des autres candidats conformément au sous‑paragraphe 5.6.6 des procédures sur le recours (sans renseignements d’identification) et ils auraient ainsi découvert qu’ils ont tous été évalués par le même arbitre.

[53]  La défenderesse suggère également que les demandeurs n’auraient eu aucune raison de demander une RI à l’étape de l’évaluation s’ils ne croyaient pas que la vérification de références serait utilisée aux étapes ultérieures.

[54]  La défenderesse prétend que les demandeurs sont fallacieux dans leurs observations concernant leurs allégations de partialité. La défenderesse fait remarquer qu’ils ont présenté des allégations de partialité avant même l’échange de renseignements qui s’est produit au début de la RTI, soulignant que leur demande de RTI initiale alléguait qu’il y avait partialité, puisque leur arbitre était le président du jury de sélection. La défenderesse souligne également que dans les allégations modifiées de partialité présentées par les demandeurs, il n’est jamais allégué que les critères avaient été appliqués de manière incohérente. Par conséquent, l’allégation des demandeurs selon laquelle ils n’avaient pas accès aux notes des vérifications de références des autres candidats avant la RTI n’est pas pertinente. La défenderesse ajoute que les allégations de partialité des demandeurs sont demeurées inchangées à la suite de l’échange de renseignements.

[55]  La défenderesse soutient que la réviseure tierce indépendante est raisonnablement arrivée à la conclusion que l’ensemble des allégations faites lors de la RTI, y compris l’allégation de partialité, aurait pu être découvert dans le cadre d’une RD à l’étape de l’évaluation.

[56]  De plus, la réviseure tierce indépendante est raisonnablement arrivée à la conclusion que les demandeurs ne pouvaient pas abandonner leurs allégations à l’étape de l’évaluation et les rétablir ultérieurement. La défenderesse prétend qu’une partie ne devrait pas garder un argument sur le processus en réserve, prête à le brandir au cas où l’issue du litige ne leur plaît pas (citant l’arrêt Eckervogt c British Columbia, 2004 BCCA 398, 241DLR (4th) 685).

V.  Questions en litige

[57]  La question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la conclusion de la réviseure selon laquelle elle a déterminé qu’elle n’avait pas compétence pour effectuer la RTI est raisonnable.

[58]  Cette question nécessite de déterminer si la réviseure a commis une erreur dans ses multiples constatations l’ayant menée à la conclusion portant qu’elle n’était pas compétente. Il faut entre autres déterminer si la réviseure a commis une erreur : en interprétant les procédures sur le recours, considérant le fait qu’elle s’est appuyée sur une disposition qui n’est plus en vigueur; en arrivant à la conclusion que les circonstances en l’espèce n’étaient pas analogues à celles de la décision Sargeant; en arrivant à la conclusion que les demandeurs auraient dû savoir que les critères de l’évaluation pouvaient être utilisés à l’étape du placement; en arrivant à la conclusion que faire valoir ses préoccupations concernant le processus d’évaluation à l’étape de l’évaluation au moyen d’une RI ou d’une RD constitue une [traduction] « condition préalable » pour présenter ses préoccupations à une RTI lors de l’étape du placement; en arrivant à la conclusion que les allégations de partialité auraient pu être découvertes, et enfin, en arrivant à la conclusion que les demandeurs avaient abandonné leurs préoccupations à l’étape de l’évaluation en ne demandant pas de RD, et qu’ils ne pouvaient pas rétablir leurs préoccupations à la RTI lors de l’étape du placement.

VI.  Norme de contrôle applicable

[59]  Les demandeurs soutiennent que la présente demande soulève des questions de droit et de compétence et que, par conséquent, elle devrait être examinée selon la norme de la décision correcte. Les demandeurs font remarquer que la Cour a déjà déterminé que les décisions de la réviseure tierce indépendante concernant sa compétence doivent être examinées selon la norme de la décision correcte (en s’appuyant sur les décisions Sargeant, au paragraphe 29; Canada (Procureur général) c Gagnon, 2006 CF 216, [2006] ACF no 270 [Gagnon]; Buttar c Canada (Procureur général), (2000) 186 DLR (4th) 101, [2000] ACF no 437 (CA)). Les demandeurs ajoutent que si la Cour arrive à la conclusion que la norme est celle de la décision raisonnable, alors la décision de la réviseure tierce indépendante n’est pas raisonnable.

[60]  Les décisions sur lesquelles s’appuient les demandeurs précèdent l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir] et la jurisprudence ultérieure, qui explorent la norme de contrôle, et qui insistent sur le fait que les questions touchant véritablement la compétence sont rares (voir Québec (Procureur général) c Guérin, 2017 CSC 42, aux paragraphes 32 et 33, 412 DLR (4th) 103).

[61]  Comme le souligne la défenderesse, la Cour a conclu dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, que dans les cas où le décideur interprète ou applique sa loi constitutive, la norme présumée est celle de la décision raisonnable.

[62]  Comme la défenderesse, je suis d’avis que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Bien que la réviseure tierce indépendante n’interprète pas sa « loi constitutive », elle interprète les procédures élaborées conformément à l’article 54 de la Loi sur l’Agence. Les procédures en matière de dotation de l’Agence ont été désignées comme « quasi‑législation, limitées uniquement par le contexte et le sens de la [Loi sur l’ARC] » (Gagnon, au paragraphe 18). Par ailleurs, les questions en litige ne sont pas des questions touchant véritablement la compétence et ne sont pas des questions centrales importantes pour le système juridique.

[63]  Dans la décision Canada (Procureur général) c Lussier, 2017 CF 528, [2017] ACF no 554, la Cour a mené une analyse de la norme de contrôle et a conclu que la norme applicable à la question de compétence d’un réviseur tiers indépendant est celle de la décision raisonnable.

[64]  Pour déterminer si une décision est raisonnable, la Cour doit établir « l’existence d’une justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’examiner « si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Il convient de faire preuve de déférence à l’égard du décideur, et la Cour ne réévaluera pas les éléments de preuve.

VII.  La décision selon laquelle la réviseure tierce indépendante n’avait pas compétence est‑elle raisonnable?

[65]  Le rôle de la Cour dans la présente demande de contrôle judiciaire n’est pas de déterminer si les procédures de recours sont efficaces ou équitables. Son rôle consiste plutôt à déterminer si la décision prise par la réviseure tierce indépendante, qui a appliqué les procédures aux circonstances dont elle était saisie avant d’arriver à la conclusion qu’elle n’avait pas compétence, est raisonnable. Comme je l’ai mentionné précédemment, une décision raisonnable est une décision qui appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[66]  En l’espèce, les parties ne s’entendent pas sur les faits, particulièrement sur ce que les parties auraient dû savoir ou non et sur la question de savoir le moment où certaines dispositions ont été modifiées. Le dossier n’aide pas à clarifier certains de ces faits. Par exemple, il n’y a aucun élément de preuve concernant le sous-paragraphe 7.3.37 des directives, sa modification et son intégration au sous-paragraphe 5.11.33 des procédures. Il n’y a aucun élément de preuve concernant la vérification structurée des références, qui consiste à cocher une série de cases, puis de transposer le tout en note. Le dossier ne présente pas non plus d’explication justifiant le fait que le président du jury de sélection était l’arbitre pour tous les candidats. Cependant, les lacunes du dossier n’entravent pas la capacité de la Cour à déterminer si la décision de décliner compétence était raisonnable.

[67]  Bien que la réviseure soit arrivée à plusieurs conclusions, dont certaines étaient contestables, sa conclusion générale est raisonnable.

A.  L’erreur commise par la réviseure en s’appuyant sur une disposition qui n’était plus en vigueur constitue-t-elle une erreur importante ayant une incidence sur la décision dans son ensemble?

[68]  La réviseure tierce indépendante s’est erronément reportée à une disposition désuète dans son analyse de la question de savoir si elle avait compétence pour procéder à la révision. Le sous-paragraphe 7.3.37 des directives n’est plus en vigueur depuis au moins 2015. Elle a commis une erreur en s’y reportant et en l’interprétant, particulièrement en considérant qu’elle a été dirigée vers la disposition applicable et qu’elle y fait référence dans son résumé de la position de l’Agence.

[69]  Je ne suis pas d’accord avec la prétention de la défenderesse selon laquelle le renvoi au sous-paragraphe 7.3.37 de la réviseure tierce indépendante servait seulement de contexte pour ses décisions antérieures de RTI qu’elle examine et qui se fondaient sur cette disposition. Le libellé de la décision communique l’idée que la réviseure tierce indépendante était clairement d’avis que le sous-paragraphe 7.3.37 était toujours en vigueur, considérant son usage du présent au paragraphe 100 de sa décision « [TRADUCTION] [...] le sous-paragraphe 7.3.37 doit être interprété dans le contexte de la disposition de dotation dans son ensemble », et considérant les paragraphes précédents et subséquents de sa décision.

[70]  Cependant, cette erreur n’est pas importante pour la décision dans son ensemble. L’ancien sous-paragraphe 7.3.37 et le sous-paragraphe 5.11.33 actuel sont semblables. Comme je l’ai mentionné précédemment, le sous-paragraphe 7.3.37 des directives prévoit ce qui suit :

Le réviseur examine les faits et décisions reliés à l’étape du placement seulement et non ceux reliés aux étapes de l’évaluation ou des préalables, à moins qu’un lien existe entre les critères de placement et les critères d’évaluation ou des préalables.

[Non souligné dans l’original]

La disposition actuelle, le sous-paragraphe 5.11.33 des procédures sur le recours, énonce que :

Le réviseur de RTI doit [...] examiner seulement les décisions en matière de dotation qui sont liées à la nomination; les décisions liées aux préalables et à l’évaluation ne sont pas visées par la RTI.

[71]  Comme je l’ai mentionné précédemment, malgré une grammaire peu rigoureuse, le sous‑paragraphe 5.11.33 montre que les réviseurs de RTI peuvent seulement examiner les décisions survenues à l’étape du placement et qu’ils ne peuvent pas examiner les décisions en matière de dotation à l’étape de l’évaluation.

[72]  La différence entre ces deux dispositions est que le sous-paragraphe 7.3.37 comprenait l’exception « à moins qu’un lien existe [...] ». Selon la réviseure, ces mots additionnels avaient été ajoutés afin de tenir compte de la décision Sargeant, dans laquelle il a été conclu que certains aspects de l’étape de l’évaluation pourraient être pertinents quand il y a un lien entre l’étape de l’évaluation et l’étape du placement. La décision Sargeant a été rendue à une époque où la disposition pertinente des procédures était pratiquement identique au sous-paragraphe 5.11.33 actuel (puisque cette disposition n’inclut pas les mots « à moins qu’un lien existe [...] »).

[73]  La question dont était saisie la réviseure était de déterminer si elle avait compétence pour la RTI dans les circonstances de l’espèce, malgré le fait que les allégations des demandeurs concernaient l’étape de l’évaluation. La réviseure a analysé cette question en déterminant si un lien était établi entre les étapes, comme le définit la décision Sargeant et généralement en déterminant si l’affaire dont elle était saisie était analogue à la décision Sargeant. Elle a aussi examiné si les demandeurs devraient être considérés comme ayant abandonné leurs allégations en ne procédant pas à une demande de RD à l’étape de l’évaluation. L’analyse de la réviseure ne portait pas sur le libellé exact du sous-paragraphe 7.3.37. À mon avis, l’analyse n’aurait pas été considérablement différente si la réviseure avait cité la bonne disposition.

B.  Les conclusions connexes sont-elles raisonnables?

[74]  Le sous-paragraphe 5.11.33 des procédures indique clairement que la réviseure tierce indépendante a seulement compétence sur les décisions en matière de dotation à l’étape du placement. Les demandeurs ont reconnu que leurs allégations ne concernaient pas les décisions en matière de dotation à l’étape du placement. S’appuyant sur la décision Sargeant, ils soutiennent que la réviseure avait compétence puisque les résultats de l’étape de l’évaluation ont été utilisés dans la prise de décision à l’étape du placement, établissant ainsi un lien entre les deux étapes.

[75]  La réviseure n’a pas explicitement déterminé si un tel lien existait. Elle est arrivée à la conclusion qu’elle n’avait pas compétence pour deux motifs connexes : le fait que les circonstances en l’espèce n’étaient pas analogues à celles de la décision Sargeant, puisque les demandeurs avaient accès à un recours utile plus tôt sous la forme d’une RD à l’étape de l’évaluation et le fait que même si un lien était établi entre l’étape de l’évaluation et celle du placement, les demandeurs avaient abandonné leurs allégations en ne procédant pas à une RD, dans le cadre de laquelle ils auraient pu présenter toutes leurs allégations. L’interprétation de la réviseure de sa compétence, qui se fonde sur le contexte général du processus de dotation de l’Agence et les options de recours énoncées dans les procédures, est raisonnable.

[76]  La réviseure est raisonnablement arrivée à la conclusion que les circonstances des demandeurs n’étaient pas analogues à celles de la décision Sargeant. Dans la décision Sargeant, les candidats avaient été sélectionnés à l’étape du placement en fonction de leur rendement à l’étape de l’évaluation. Un candidat qui n’avait pas été retenu a entamé une RTI et a présenté une demande visant la divulgation des résultats des évaluations de tous les candidats retenus. La réviseure tierce indépendante (appelée examinatrice indépendante) avait refusé la demande, concluant qu’elle était restreinte à la révision des événements et des décisions concernant l’étape du placement et que, par conséquent, les résultats de l’étape de l’évaluation n’étaient pas pertinents. La Cour a conclu que l’examinatrice avait commis une erreur en arrivant à la conclusion qu’elle n’avait pas compétence. La Cour a conclu que la sélection à l’étape du placement était fondée sur les notes obtenues par les candidats à l’étape de l’évaluation et que, par conséquent, il y avait un « lien entre les deux étapes » (au paragraphe 33). La Cour a reconnu que l’examinatrice indépendante n’avait pas compétence pour offrir un recours à l’étape de l’évaluation ou de réviser la décision prise à l’étape de l’évaluation, avant de conclure que, compte tenu des faits, les résultats de l’étape de l’évaluation étaient nécessaires pour offrir « un recours utile à l’étape du placement » (au paragraphe 34). La Cour avait conclu que l’argument du défendeur selon lequel le demandeur aurait pu demander un recours à l’étape de l’évaluation n’était pas convaincant, puisque le demandeur n’avait aucun moyen de savoir que les résultats de l’étape de l’évaluation seraient utilisés à l’étape du placement et aucune façon d’obtenir les résultats des autres candidats durant l’étape de l’évaluation, compte tenu des politiques de l’Agence à l’époque (aux paragraphes 41 à 44).

[77]  En l’espèce et contrairement à la décision Sargeant, les demandeurs auraient dû savoir que les résultats pouvaient être utilisés à l’étape du placement, puisque l’APE l’indiquait clairement et qu’il n’y avait aucun autre critère essentiel énoncé comportant une note qui pourrait servir à différencier les candidats. Même s’ils soutiennent qu’ils n’en étaient pas « certains », ils savaient qu’il y en avait la possibilité réelle.

[78]  Par ailleurs, contrairement à la décision Sargeant, les demandeurs auraient pu obtenir les résultats des autres candidats s’ils avaient procédé à une RD à l’étape de l’évaluation. Les demandeurs ont demandé et reçu une RI à l’étape de l’évaluation en plus des copies de leurs vérifications structurées de références, qui dévoilent que le président du jury de sélection faisait aussi office d’arbitre. Ils n’ont pas procédé à une RD, malgré le fait qu’on pourrait soutenir que le double rôle de l’arbitre va à l’encontre de la politique et cette violation pourrait répondre à la définition de [traduction] « traitement arbitraire » aux termes des procédures. Cependant, quand ils ont allégué par la suite qu’il y avait eu traitement arbitraire à l’étape du placement, toutes leurs allégations découlaient de leurs vérifications structurées de références et auraient pu, donc, être présentées plus tôt.

[79]  Je ne souscris pas à l’affirmation des demandeurs selon laquelle ils ne pouvaient pas présenter leurs allégations de partialité avant l’étape du placement puisque ce n’est qu’à cette étape qu’ils ont découvert, au moment de l’échange de renseignements qui a lieu dans le cadre de la RTI, la façon dont ils ont été évalués par rapport aux autres candidats. Premièrement, les demandeurs ont manifestement allégué la partialité dans le cadre de leur demande initiale de RTI, avant même que n’ait lieu l’échange de renseignements. Bien que les demandeurs aient laissé entendre dans leur plaidoirie que les renseignements qu’ils ont obtenus à l’issue de l’échange de renseignements leur ont permis de mettre à jour et de [traduction] « nuancer » leurs allégations de partialité, leurs allégations sont restées essentiellement les mêmes. Par conséquent, l’affirmation des demandeurs selon laquelle ils n’avaient présenté leur allégation de partialité qu’après l’échange de renseignements du processus de RTI, et qu’ils ne pouvaient pas le faire, est inexacte (bien que la réviseure semble avoir accepté cette affirmation erronée). Deuxièmement, même la version mise à jour des allégations de partialité (présentées après l’échange de renseignements) ne dit pas que des critères différents ont été appliqués à leurs vérifications de références. La seule référence aux renseignements obtenus sur les autres candidats dans le cadre de l’échange de renseignements indique que les candidats retenus avaient reçu des résultats plus élevés pour leur vérification structurée de références. Les demandeurs n’ont jamais allégué que les vérifications de références des candidats retenus avaient été menées différemment.

[80]  De plus, même si les demandeurs avaient eu besoin des vérifications de références des autres candidats avant de pouvoir présenter leurs allégations de partialité, les demandeurs auraient pu les obtenir plus tôt. Le sous-paragraphe 5.6.6 des procédures permet la divulgation des renseignements des autres candidats, si ces renseignements sont utilisés pour prendre « une décision en matière de dotation », y compris les décisions en matière de dotation prises à l’étape d’évaluation (voir le paragraphe 4.2, qui prévoit que l’expression « décision en matière de dotation » s’applique aux décisions prises dans l’ensemble du processus de dotation). Bien que les demandeurs contestent qu’une telle disposition existe, ce n’est là que leur hypothèse; les procédures affirment le contraire.

[81]  Par conséquent, il était raisonnable pour la réviseure de conclure que les préoccupations des demandeurs auraient pu être découvertes plus tôt et que toutes leurs allégations auraient pu être présentées à l’étape de l’évaluation. J’irais même plus loin en disant que non seulement les préoccupations auraient pu être découvertes, mais elles étaient aussi dans une certaine mesure, déjà découvertes. Il est clair que les demandeurs étaient au courant que leur arbitre était le président du jury de sélection, ce qui pourrait être considéré comme contraire aux politiques. Ils l’ont souligné, dans le cadre de la RI, à l’étape de l’évaluation, sans toutefois exercer d’autres recours. Si les demandeurs avaient fait une demande de RD, ils auraient pu présenter leurs allégations relatives aux vérifications structurées de références. Si les préoccupations des demandeurs étaient toujours non résolues, les demandeurs auraient pu présenter une demande de contrôle judiciaire pour la décision de la RD, avant l’étape du placement, comme dans la décision Ahmad c Agence du revenu du Canada, 2011 CF 954, 398 FTR 1 (sur des faits différents).

[82]  Par conséquent, la présente affaire est différente de la décision Sargeant. Bien qu’il existe peut-être un lien entre les étapes (et bien que la réviseure n’ait pas déterminé explicitement qu’il y en avait un), les demandeurs n’ont pas été privés de l’occasion de présenter un recours utile. Ils auraient également procédé à une demande de RD à l’étape d’évaluation, mais ils en ont décidé autrement. La conclusion de l’examinatrice selon laquelle la décision Sargeant ne s’applique pas aux circonstances en l’espèce, - puisqu’il n’y avait [traduction] « aucun obstacle institutionnel pour entraver la présentation d’une contestation à une étape antérieure » -, est raisonnable.

[83]  La réviseure a aussi examiné la question de savoir si un demandeur ne devait pas être interdit de présenter des contestations qui auraient pu être présentées à une étape antérieure, même quand un lien existe. En s’appuyant sur sa compréhension du régime des procédures, elle a conclu qu’il était possible de l’interdire. À son avis, les procédures exigent que les candidats exercent leurs recours jusqu’au bout à chaque étape. Cette conclusion était aussi raisonnable.

[84]  En arrivant à cette décision, la réviseure tierce indépendante a souligné que procéder à une demande de RI et de RD à l’étape d’évaluation constitue une [traduction] « condition préalable » à la demande d’une RTI à l’étape du placement, en supposant qu’un lien existe entre les étapes. Bien que l’utilisation de l’expression « condition préalable » semble, à première vue, ajouter une exigence additionnelle aux procédures pour l’exercice d’un recours à l’étape du placement, cette description est raisonnable dans le contexte des procédures dans leur ensemble.

[85]  À mon avis, l’utilisation de l’expression « condition préalable » par la réviseure ne servait qu’à saisir son interprétation générale des procédures et de leur objet, c.-à-d. de prévoir des recours pour toutes les étapes et de s’assurer que les questions sont réglées aussitôt que possible. Le commentaire de la réviseure concernant la notion de condition préalable se rapportait à sa conclusion selon laquelle il incombe aux candidats de déterminer jusqu’où exercer leurs recours à toutes les étapes, et que les candidats ne peuvent pas abandonner leurs allégations à une étape antérieure dans le but de les rétablir à une étape ultérieure, même quand un lien est établi entre les deux étapes.

[86]  La réviseure est présumée être bien informée sur les procédures du recours. Elle a interprété les dispositions pertinentes [traduction] « dans le contexte du processus de dotation dans son ensemble » (au paragraphe 100). Elle a reconnu que l’Agence prévoit la possibilité d’un recours pour chacune des étapes du processus de dotation. Elle a aussi fait remarquer que, afin de maintenir l’intégrité du processus de dotation, l’Agence a intérêt à résoudre les litiges potentiels le plus rapidement possible, préférablement avant qu’une décision en matière de placement soit prise. Elle souligne également que la période entre l’étape de l’évaluation et l’étape du placement peut s’étaler sur [traduction] « des mois, voire des années » (bien que cela n’ait pas été le cas en l’espèce), et qu’il serait injuste envers l’Agence et les candidats retenus de permettre à un candidat de contester une décision de placement rendue des mois plus tôt, en se fondant sur des faits qui auraient pu et auraient dû être révélés avant la décision en matière de placement.

[87]  Dans l’ensemble, la décision de la réviseure est intelligible, même si elle ne constitue pas un modèle de clarté. Compte tenu du fait que l’Agence offre un recours à chacune des étapes et compte tenu de l’intérêt de l’Agence de maintenir l’intégrité et l’efficacité du processus de dotation, ce qui est en soi le but des procédures, il est raisonnablement attendu que les candidats formulent leurs plaintes lorsqu’elles surviennent. En l’espèce, il était raisonnable pour la réviseure de conclure que les allégations concernaient l’étape d’évaluation et qu’elles auraient pu être présentées à cette étape, ce pour quoi elle n’avait pas compétence pour procéder à une RTI.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les demandeurs doivent payer les dépens de la défenderesse pour cette demande. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur le montant des dépens qui doit être payé, la Cour déterminera le montant en se fondant sur les observations des parties, selon les dispositions suivantes :

  3. La défenderesse doit signifier et déposer des observations quant aux dépens, lesquelles ne devront pas dépasser deux pages, dans un délai de dix jours suivant le prononcé du présent jugement.

  4. Les demandeurs doivent signifier et déposer des observations en réponse, lesquelles ne devront pas dépasser deux pages, dans un délai de sept jours suivant la réception des observations de la défenderesse.

  5. La défenderesse doit déposer des observations sur les dépens en réponse, le cas échéant, laquelle réponse ne doit pas dépasser deux pages, dans un délai de sept jours suivant la réception des observations déposées en réponse par les demandeurs.

  6. Les parties peuvent modifier l’échéancier établi ci-dessus, sur consentement, et, le cas échéant, informeront la Cour de l’échéancier révisé.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de mai 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1024-17

 

INTITULÉ :

ANGIE QUI ET OWEN MCDERMOTT-BERRYMAN c AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDITION :

Le 27 février 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Patricia Harewood

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Simon Deneau

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Patricia Harewood

Conseillère juridique

Alliance de la fonction publique du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.