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Date : 20180320


Dossier : T-1720-17

Référence : 2018 CF 322

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2018

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

HUGH MACKENZIE

demandeur

et

BUREAU DE LA SÉCURITÉ DES TRANSPORTS DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Le demandeur présente cette requête « d’urgence » afin d’obtenir une audience spéciale dans un court délai aux termes des articles 8, 35, 147 et 362 des Règles des Cours fédérales (les Règles). Il sollicite une ordonnance afin d’obtenir une injonction interlocutoire, au titre de l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, empêchant le défendeur d’utiliser les éléments de preuve obtenus au moyen d’un mandat délivré par la Cour de justice de l’Ontario le 2 mars 2018, jusqu’à l’audition devant notre Cour de la procédure de contrôle judiciaire sous-jacente prévue le 3 avril 2018.

[2]  Le demandeur, Hugh Mackenzie, est un employé de Kingston and the Islands Boatlines Ltd. (KTI). KTI est un exploitant de bateaux d’excursion dans la région de Kingston, en Ontario, et propriétaire et exploitant du navire Island Queen III (le navire).

[3]  Le 8 août 2017, le navire a été impliqué dans un « accident maritime », tel qu’il est défini par la Loi, où il a touché le fond (l’accident) et a subi une infiltration d’eau dans un compartiment arrière.

[4]  Au cours de l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (le BST) sur l’accident, les propriétaires/exploitants du navire ont refusé de fournir les renseignements demandés par les enquêteurs du BST au moyen d’une sommation délivrée aux termes de l’alinéa 19(9)a) de la Loi sur le bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, LC 1989, c 3 (la Loi). La sommation visait à obtenir des renseignements pertinents aux fins de l’enquête. Elle comprenait les noms et les coordonnées des témoins oculaires qui étaient passagers à bord du navire au moment de l’accident, ainsi que les coordonnées des employés de KTI, que les enquêteurs souhaitaient interroger en lien avec l’accident (les renseignements pertinents).

[5]  L’alinéa 19(9)a) est rédigé ainsi [non souligné dans l’original] :

(9) Dans l’exercice de ses fonctions, l’enquêteur peut, après en avoir averti l’intéressé par écrit :

(9) An investigator who was investigating a transportation occurrence may

a) exiger de toute personne qui, à son avis, est en possession de renseignements ayant rapport à son enquête la communication de ceux-ci — notamment pour reproduction totale ou partielle, selon ce qu’il estime nécessaire — ou obliger cette personne à comparaître devant lui et à faire ou remettre la déclaration visée à l’article 30, sous la foi du serment ou d’une déclaration solennelle s’il le demande;

 

(a) where the investigator believes on reasonable grounds that a person is in possession of information relevant to that investigation,
(i) by notice in writing signed by the investigator, require the person to produce information to the investigator or to attend before the investigator and give a statement referred to in section 30, under oath or solemn affirmation if required by the investigator, and [the summons].

[6]  Au lieu de se conformer à la sommation, le demandeur a déposé, le 10 novembre 2017, l’avis de demande de contrôle judiciaire modifié sous-jacent, en vue d’obtenir une déclaration selon laquelle la sommation est illégale. Le demandeur affirme que la sommation, visant l’obtention des renseignements pertinents, n’était pas valide, parce qu’elle dépassait les pouvoirs du BST, ou, subsidiairement, parce que le BST avait omis de fournir les motifs lui permettant de croire, de façon raisonnable, que les renseignements étaient pertinents à l’accident. Le demandeur soulève également la question de la validité constitutionnelle de la sommation, aux termes de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11. Comme je l’ai mentionné, la demande doit être entendue le 3 avril 2018.

[7]  Le 2 mars 2018, le BST a agi conformément au paragraphe 19(3) de la Loi, en obtenant un mandat ex parte délivré par la Cour criminelle de l’Ontario afin de saisir, dans les bureaux de KTI, les mêmes documents que ceux visés par le contrôle judiciaire. Le mandat a été exécuté le 6 mars 2018.

[8]  Le paragraphe 19(3) est rédigé ainsi [non souligné dans l’original] :

(3) S’il est convaincu, sur la foi d’une dénonciation sous serment, qu’un enquêteur a des motifs raisonnables de croire à la présence en un lieu d’un objet ayant rapport à une enquête sur un accident de transport, le juge de paix peut, sur demande ex parte, signer un mandat autorisant l’enquêteur à perquisitionner dans ce lieu et à y saisir un tel objet.

 

(3) Where a justice of the peace is satisfied by information on oath that an investigator believes on reasonable grounds that there is, or may be, at or in any place, anything relevant to the conduct of an investigation of a transportation occurrence, the justice may, on ex parte application, issue a warrant signed by the justice authorizing the investigator to enter and search that place for any such thing and to seize any such thing found in the course of that search.

[9]  On a demandé au BST de s’abstenir d’utiliser les documents saisis avant l’audition de la demande de contrôle judiciaire, ce qu’il a refusé. Rien n’indique quelle utilisation le BST a faite ou entend faire du matériel saisi.

[10]  Par conséquent, le demandeur demande une injonction interlocutoire interdisant au BST [traduction] « d’utiliser les éléments de preuve recueillis au moyen d’un mandat obtenu auprès de la Cour de justice de l’Ontario […] jusqu’à ce qu’une décision soit rendue dans la présente instance concernant le pouvoir du BST, conféré par la loi, d’utiliser ces éléments de preuve ».

[11]  Le défendeur soutient que la Cour n’a pas compétence pour accorder l’injonction. Il affirme que cela [traduction] « rendrait nul le mandat délivré par la Cour de justice de l’Ontario, de sorte que la requête constitue une attaque indirecte inadmissible relativement au mandat délivré légalement par le juge de paix […] ». Le défendeur soutient en outre que la demande sous-jacente est maintenant théorique, puisque le BST a obtenu les documents demandés au moyen de la sommation, et que, de toute façon, l’injonction ne peut être accordée au demandeur, faute de motifs.

[12]  Puisque la compétence de la Cour est contestée, elle doit en premier lieu examiner cette question qui, si elle est acceptée, mettrait fin à la présente affaire, ce qui entraînerait le rejet évident de la requête du demandeur.

[13]  La Cour expose les paragraphes 25 à 27 du mémoire du défendeur (y compris les passages soulignés) qui citent la jurisprudence éclairant en grande partie cette décision appuyant l’idée que l’injonction demandée est une attaque indirecte inadmissible concernant le mandat délivré par le juge de paix :

[traduction] 25. Dans Wilson c La Reine, [1983] 2 RCS 594, à la p. 599, une affaire comportant des procédures indirectes pour lesquelles la validité d’un mandat de perquisition a été remise en question, le juge Dickson (tel était alors son titre, s’exprimant au nom de la majorité) a affirmé ce qui suit :

Selon un principe fondamental établi depuis longtemps, une ordonnance rendue par une cour compétente est valide, concluante et a force exécutoire, à moins d’être infirmée en appel ou légalement annulée. De plus, la jurisprudence établit très clairement qu’une telle ordonnance ne peut faire l’objet d’une attaque indirecte; l’attaque indirecte peut être décrite comme une attaque dans le cadre de procédures autres que celles visant précisément à obtenir l’infirmation, la modification ou l’annulation de l’ordonnance ou du jugement : Wilson c La Reine.

26. Dans les arrêts connexes Canada (Procureur général) c Siggelkow, 2012 CAF 123, au paragraphe 18 [Siggelkow], Canada (Procureur général) c Blerot, 2012 CAF 124, et Canada (Procureur général) c Lewry, 2012 CAF 125, la Cour d’appel fédérale a précisément affirmé (dans les trois affaires), sur la foi du passage susmentionné tiré de l’arrêt Wilson, que

[c]ompte tenu des faits en l’espèce, les mandats de perquisition délivrés par les autorités provinciales sont des ordonnances. Ces ordonnances doivent être contestées devant l’instance qui les a rendues, en suivant la procédure de celle-ci. L’applicabilité de F.K. Clayton, Multiform et Grant peut être invoquée dans le cadre d’une demande présentée aux tribunaux provinciaux dans le but de faire annuler ces mandats ou d’écarter les éléments de preuve saisis en vertu de ceux-ci. Toutefois, il n’appartient pas à la Cour fédérale ou la Cour d’appel fédérale de trancher ces questions de façon à lier les tribunaux provinciaux.

[14]  Il est acquis en matière jurisprudentielle qu’une injonction interlocutoire a pour but de maintenir le statu quo à l’égard d’un préjudice possible, afin de permettre que la question soulevée dans l’instance sous-jacente soit examinée sans que le préjudice survienne avant que le verdict ne soit rendu. Dans le même ordre d’idées, la Cour souligne que le demandeur soutient que le contrôle judiciaire sous-jacent portera sur la question [traduction] « du pouvoir conféré par la loi au BST d’utiliser [non souligné dans l’original] de tels éléments de preuve (les renseignements pertinents obtenus au moyen du mandat) ». De l’avis de la Cour, ce n’est pas tout à fait la question en litige ou le recours sollicité dans la demande. La demande vise plutôt à déterminer si le BST pourrait délivrer une sommation obligeant le demandeur à se présenter et à fournir les renseignements pertinents, confirmant ainsi son refus de fournir les renseignements, en violation de l’alinéa 19(9)a).

[15]  Aucune question n’est soulevée dans la demande visant à interdire l’utilisation de tout renseignement pertinent, puisque le scénario factuel sous-jacent à la demande était fondé sur le fait que le BST n’était pas en possession des renseignements. Ainsi, l’obstacle le plus évident à l’octroi de l’injonction interlocutoire repose sur un recours qui n’est pas sollicité dans la demande. Pour obtenir le recours empêchant le BST d’utiliser les renseignements pertinents obtenus au moyen du mandat, il faudrait que le demandeur modifie sa demande afin d’introduire des faits concernant le mandat ex parte et fasse valoir que le mandat a été obtenu illégalement au même titre que la sommation. Cette modification ne serait pas accordée en raison du manque évident de compétence de la Cour lui permettant d’annuler explicitement une ordonnance d’une cour de l’Ontario, contrairement à la jurisprudence citée plus haut par le défendeur.

[16]  Au lieu de chercher à modifier sa demande, le demandeur soutient implicitement qu’une déclaration limitée à la légalité de la sommation devrait avoir une incidence indirecte accessoire, mais similaire, peut-être comme une forme de préclusion découlant d’une question déjà tranchée, sur la légalité du mandat d’une cour de l’Ontario, empêchant ainsi l’utilisation des renseignements pertinents obtenus illégalement par le BST. Cet argument repose sur le fait que les procédures visant à obtenir les renseignements pertinents, dans les deux cas, sont fondées sur le même critère juridique ou la même exigence, selon laquelle les renseignements obtenus doivent être pertinents pour l’enquête. Par conséquent, le demandeur soutient, dans les deux cas, que la procédure avait une portée trop excessive quant à ce qui constitue la définition prévue par la loi d’un [traduction] « accident », ou que la signification du terme [traduction« pertinent » devrait être interprétée en fonction de motifs constitutionnels.

[17]  Toutefois, le résultat serait exactement le même si la demande était modifiée pour attaquer directement le mandat. Le demandeur aurait réussi à miner le fondement permettant la délivrance du mandat, sans avoir à intenter des poursuites devant les tribunaux de l’Ontario pour atteindre cet objectif. C’est précisément la définition d’une attaque indirecte, par laquelle un objectif qui ne peut être atteint directement est atteint indirectement au moyen d’une autre procédure, et en l’espèce, au sein d’une administration juridique tout à fait différente.

[18]  De plus, même sans tenir compte de la demande sous-jacente, la Cour ne peut établir une distinction entre une ordonnance limitant l’utilisation des renseignements pertinents obtenus au moyen du mandat et une ordonnance visant l’entiercement de ces renseignements, à titre d’attaque indirecte relativement au mandat. Il faudrait obtenir auprès des tribunaux provinciaux une ordonnance enjoignant la saisie de documents dans l’attente d’une décision sur le bien-fondé, conformément à la jurisprudence de l’arrêt Siggelkow décrite ci-dessus. Voir par exemple : R v Lee, [2006] OJ No 3154; 82 OR (3d) 142.

[19]  Ayant conclu qu’elle n’a pas compétence pour octroyer le recours demandé, la Cour est néanmoins disposée à exprimer ses préoccupations au sujet de l’utilisation du mandat pour miner une procédure de contrôle judiciaire dûment introduite, et ce à la dernière minute peu de temps avant l’audition prévue de la demande. Aucune explication n’a été fournie quant à la raison pour laquelle la décision d’obtenir un mandat n’aurait pas pu être prise après octobre 2017, date à laquelle la demande a été déposée, plutôt que le 2 mars 2018. Cela aurait évité l’urgence du présent dossier, sans parler de la plupart des procédures dans la demande de contrôle judiciaire qui l’ont précédée.

[20]  Le demandeur a soulevé la question de l’abus de procédure dans l’avis de requête sans donner de détails. Il n’a pas non plus présenté d’observations sur ce point dans son mémoire, ni à l’audience, puisqu’elle portait entièrement sur la question de la compétence. Il convient de souligner que la Cour est d’avis qu’elle ne peut trancher une question d’abus de procédure attribuable à une procédure autorisée par la loi dans un autre tribunal, dans un autre ressort. La Cour doit également prendre soin de ne pas présumer de procédures douteuses pour lesquelles il peut y avoir une explication logique, bien qu’aucune ne me vienne facilement à l’esprit, à part la reconnaissance tardive d’une autre façon d’obtenir les documents et de fournir des motifs pour soutenir que les procédures de contrôle judiciaire sont théoriques.

[21]  Néanmoins, la Cour soulève la question, parce que compte tenu du moment choisi pour demander le mandat ex parte, elle conclut qu’il ne serait pas approprié d’adjuger des dépens dans la présente instance, malgré le rejet de la requête en injonction. De plus, la Cour comprend que ces questions seront bientôt de nouveau examinées par la Cour supérieure de l’Ontario, de sorte que la plupart des dépens engagés en l’espèce ne seront pas gaspillés. De plus, conformément à la requête du défendeur, une prorogation du délai pour déposer le dossier du défendeur est accordée jusqu’au 23 mars 2018.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-1720-17

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

  1. La présente requête est rejetée.

  2. Le délai pour déposer le dossier du défendeur est prorogé jusqu’au 23 mars 2018.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1720-17

INTITULÉ :

HUGH MACKENZIE c BUREAU DE LA SÉCURITÉ DES TRANSPORTS DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 mars 2018

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

LE 20 mars 2018

COMPARUTIONS :

Alan S. Cofman

Pour le demandeur

Barbara McIsaac

Patrizia Huot

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fernandes Hearn LLP

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Barbara McIsaac Law

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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