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Date : 20180410


Dossier : IMM-3006-17

Référence : 2018 CF 384

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2018

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

ROSEMARY AGBONMHERE CALEB, OSELUOLE EMMANUELLA CALEB (REPRÉSENTÉE PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE, ROSEMARY AGBONMHERE CALEB), ERONMHOSELE PRINCE MOSES CALEB (REPRÉSENTÉ PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE, ROSEMARY AGBONMHERE CALEB)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Dans la présente demande, Mme Rosemary Agbonmhere Caleb agit à titre de tutrice à l’instance pour ses deux enfants mineurs : sa fille de neuf ans, Oseluole Emmanuella Caleb, et son fils de sept ans, Eronmhosele Prince Moses Caleb. Les trois demandeurs sont des citoyens du Nigéria.

[2]  Mme Caleb affirme que la famille de son mari croit que les jeunes filles doivent se soumettre à un rituel d’excision, également appelé la mutilation génitale féminine; Mme Caleb s’oppose avec véhémence à cette procédure. Elle a peur que la famille de son mari et la communauté à laquelle il appartient soumettent ses filles à la mutilation génitale féminine. Ils ont demandé l’asile au Canada.

[3]  La Section de la protection des réfugiés a jugé que Mme Caleb n’avait pas présenté des éléments de preuve crédibles concernant les risques, et a conclu que Mme Caleb et ses enfants n’avaient ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger, au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). La Section d’appel des réfugiés a rejeté leur appel, concluant, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs manquaient de crédibilité et n’avaient pas de crainte subjective.

[4]  Dans leur demande de contrôle judiciaire de la décision, Mme Caleb affirme que la Section d’appel des réfugiés a porté atteinte à leur droit à l’équité procédurale. Elle déclare en outre que la Section d’appel des réfugiés a évalué de manière déraisonnable leur crédibilité et leur crainte subjective, a fondé sa décision sur une partie seulement des éléments de preuve, et a omis d’évaluer les éléments objectifs de leurs demandes d’asile fondées sur les articles 96 et 97 de la LIPR.

[5]  La demande est rejetée. Même si la Section d’appel des réfugiés a bel et bien mal interprété la nature des menaces rapportées dont ont fait l’objet Mme Caleb et sa famille, je ne peux conclure, après avoir examiné le dossier et les éléments de preuve dont disposait la Section d’appel des réfugiés, que l’erreur rend la décision déraisonnable. Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale et le dossier n’indique aucune erreur susceptible de révision de la part de la Section d’appel des réfugiés dans son traitement des éléments de preuve ou dans son évaluation des éléments objectifs de la demande d’asile.

II.  Résumé des faits

[6]  Mme Caleb affirme que la famille de son mari leur a demandé de soumettre leur fille Emmanuella, née en 2008, à la mutilation génitale féminine. Les premières demandes ont été faites peu après la naissance d’Emmanuella. Mme Caleb s’oppose avec véhémence à la procédure, même si elle n’a pas exprimé ouvertement cette opposition à la famille de son mari. Elle et son mari ont plutôt retardé et différé la procédure en faisant de vagues promesses selon lesquelles leur fille serait soumise au rituel à une date ultérieure non précisée.

[7]  Mme Caleb signale que, en juillet ou en août 2009, des représentants de la famille de son mari sont venus à son domicile, lui ont proféré des menaces et l’ont accusé d’influencer son mari pour soustraire Emmanuella à la mutilation génitale féminine. Après cet incident, la famille a quitté Port Harcourt pour s’installer à Abuja, afin d’assurer la sécurité de Mme Caleb et d’éviter la possibilité qu’Emmanuella soit soumise à la mutilation génitale féminine. Malgré cela, les menaces ont continué au téléphone, et la famille de son mari les a finalement trouvés à Abuja.

[8]  En 2010, le deuxième enfant de Mme Caleb est né, leur fils Prince. Les pressions de la famille en vue de soumettre Emmanuella à la mutilation génitale féminine ont continué et des promesses ont été faites afin que le rituel se fasse avant qu’elle n’ait 10 ans. En raison des pressions et du stress, Mme Caleb affirme qu’elle est devenue déprimée et anxieuse. Afin de soulager son stress et de réduire la pression, Mme Caleb et son mari sont partis au Royaume-Uni en 2015 pour une visite. Les enfants n’ont pas voyagé avec eux.

[9]  En janvier 2016, Mme Caleb a appris qu’elle était enceinte de jumelles. Elle affirme qu’elle a refusé d’accoucher au Nigéria, sachant qu’elle subirait des pressions de la part de la famille de son mari pour soumettre les enfants à la mutilation génitale féminine. Son mari et elle sont venus au Canada en mars 2016 et elle a donné naissance aux jumelles en avril 2016. Les jumelles sont des citoyennes canadiennes. Une fois encore, ni Emmanuella ni Prince n’ont accompagné Mme Caleb et son mari au Canada, en mars 2016.

[10]  Malgré la crainte déclarée des menaces que représentait la famille de son mari, elle et son mari sont rentrés au Nigéria en juin 2016 avec les jumelles. Mme Caleb affirme qu’elle est rentrée au pays parce que son mari lui avait promis de protéger les enfants et que la culture nigériane l’obligeait à respecter les décisions de son mari.

[11]  En septembre 2017, la famille entière est arrivée au Canada. M. Caleb est ensuite rentré au Nigéria et, en octobre 2017, Mme Caleb a présenté sa demande d’asile. La Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande d’asile en janvier 2017 et un appel a été interjeté devant la Section d’appel des réfugiés.

[12]  En rejetant l’appel, la Section d’appel des réfugiés a souligné que la Section de la protection des réfugiés avait conclu ce qui suit :

  1. Le témoignage de Mme Caleb concernant les pressions qu’elle subissait de la part de la famille de son mari n’est pas crédible;

  2. Le fait que Mme Caleb n’a pas présenté une demande d’asile pendant son voyage au Royaume-Uni en 2015 ou au Canada, en mars 2016, minait sa crédibilité et démontrait une absence de crainte subjective;

  3. Mme Caleb et son mari étaient des personnes instruites et, par conséquent, la Section de la protection des réfugiés n’a pas jugé crédible le témoignage selon lequel M. Caleb a eu besoin d’être convaincu quant aux risques de la mutilation génitale féminine avant de permettre à sa famille de retourner au Canada pour présenter une demande d’asile.

[13]  La Section d’appel des réfugiés a reconnu que la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur à l’égard de certaines conclusions de fait, mais elle a néanmoins conclu que les éléments de preuve présentés soutenaient la conclusion centrale de la Section de la protection des réfugiés, soit une absence de crainte subjective, parce que : 1) les voyages des parents à l’étranger sans leurs enfants démontraient qu’ils n’avaient pas une crainte subjective pour leur sécurité au Nigéria; et 2) tout malentendu concernant l’emploi de M. Caleb n’a pas miné la conclusion clé selon laquelle il aurait dû connaître les risques de la mutilation génitale féminine.

[14]  La Section d’appel des réfugiés a ensuite tiré des conclusions supplémentaires concernant la crédibilité et la crainte subjective, en soulignant que les demandes d’asile n’étaient pas crédibles, parce que : 1) malgré le fait que Mme Caleb a supposément subi des menaces depuis 2008, elle a été en mesure de [traduction] « retarder l’excision pendant des années et […] ils n’ont jamais été agressés et on n’a jamais tenté d’enlever les enfants »; et 2) malgré le témoignage de Mme Caleb selon lequel son mari avait été menacé en raison du temps écoulé, il a choisi de [traduction] « rentrer au Nigéria pour faire une certification en T.I. ». La Section d’appel des réfugiés a également conclu que le retour de Mme Caleb au Nigéria [traduction« après leur visite au Royaume-Uni et au Canada, et après avoir posé des questions concernant la façon de faire une demande d’asile, démontr[ait] une absence de crainte subjective ». La Section d’appel des réfugiés a conclu que [traduction] « selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs ne font pas face aux risques qu’ils allèguent ».

[15]  La Section d’appel des réfugiés a conclu ensuite que les éléments de preuve documentaire, sous forme d’un affidavit d’une amie de Mme Caleb et d’articles concernant la mutilation génitale féminine au Nigéria, n’ont pas réfuté les doutes concernant la crédibilité et la crainte subjective.

III.  Question préliminaire – Intitulé

[16]  Les demandeurs ont nommé le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté à titre de défendeur en l’espèce. Le défendeur est plutôt le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, paragraphe 5(2) et LIPR). En conséquence, le défendeur figurant à l’intitulé est modifié et remplacé par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

IV.  Questions en litige

[17]  La présente demande soulève les questions suivantes :

  1. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle porté atteinte au droit à l’équité procédurale des demandeurs?

  2. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle évalué de manière déraisonnable la crédibilité et la crainte subjective des demandeurs?

  3. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle rendu une décision déraisonnable en se fondant uniquement sur une partie des éléments de preuve?

  4. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur en omettant d’effectuer une évaluation des éléments objectifs des demandes d’asile fondées sur les articles 96 et 97 de la LIPR?

V.  Norme de contrôle

[18]  Les demandeurs soutiennent que la décision de la Section d’appel des réfugiés est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35). Je suis d’accord.

[19]  Les questions touchant à l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12), et la Cour doit décider si l’obligation d’agir équitablement a été respectée dans le contexte particulier de l’affaire dont elle est saisie (Moreau-Bérubé c Nouveau-Brunswick (Conseil de la Magistrature), 2002 CSC 11, au paragraphe 75, citant Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 21, 174 DLR (4th) 193).

VI.  Discussion

A.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle porté atteinte au droit à l’équité procédurale des demandeurs?

[20]  La Section d’appel des réfugiés a reconnu que la Section de la protection des réfugiés avait conclu à tort que les enfants de Mme Caleb l’avaient accompagnée au Royaume-Uni et au Canada. Malgré cette erreur, la Section d’appel des réfugiés a conclu que les circonstances entourant le voyage de Mme Caleb au Royaume-Uni et au Canada minaient néanmoins son allégation de crainte subjective. Mme Caleb soutient maintenant qu’il s’agissait d’une nouvelle détermination de la part de la Section d’appel des réfugiés. Elle s’appuie sur la décision Ching c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725, pour faire valoir qu’en se penchant sur cette nouvelle question, la Section d’appel des réfugiés avait l’obligation d’en aviser les parties et de leur offrir la possibilité de produire des observations.

[21]  Dans la décision Ching, la juge Catherine Kane s’est penchée sur ce qui constitue une nouvelle question. Elle affirme ce qui suit :

[66]  La Cour suprême du Canada a examiné, dans l’arrêt R c Mian, 2014 CSC 54, [2014] 2 RCS 689 [Mian], l’étendue de la compétence des tribunaux d’appel pour soulever de nouvelles questions, en quoi consiste une nouvelle question, dans quels cas cette compétence doit être exercée et la procédure à suivre quand on l’exerce. L’arrêt Mian portait sur une affaire pénale, mais les principes ont été appliqués à d’autres types d’instances, y compris en matière administrative.

[67]  La Cour suprême a défini ce qu’est une « nouvelle question » au paragraphe 30 de cet arrêt :

Une question est nouvelle lorsqu’elle constitue un nouveau fondement sur lequel on pourrait s’appuyer – autre que les moyens d’appel formulés par les parties – pour conclure que la décision frappée d’appel est erronée. Les questions véritablement nouvelles sont différentes, sur les plans juridique et factuel, des moyens d’appel soulevés par les parties (voir Quan c Cusson, 2009 CSC 62, [2009] 3 R.C.S. 712, par. 39) et on ne peut pas raisonnablement prétendre qu’elles découlent des questions formulées par les parties. Vu cette définition, dans le cas de nouvelles questions, il faudra aviser les parties à l’avance pour qu’elles puissent en traiter adéquatement. [Non souligné dans l’original.]

[22]  En examinant le caractère raisonnable des conclusions de la Section de la protection des réfugiés concernant la crainte subjective fondées sur la croyance erronée de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle les enfants avaient accompagné Mme Caleb au Royaume-Uni et au Canada, la Section d’appel des réfugiés répondait à une question soulevée en appel. La question en était une qui était formulée dans le cadre des moyens d’appel de Mme Caleb. Il ne s’agissait pas d’une question distincte de la question soulevée, sur le plan juridique ou factuel, et il ne s’agissait pas non plus d’une question qui aurait surpris Mme Caleb. En se penchant sur ce moyen d’appel, il n’était ni inéquitable ni inapproprié pour la Section d’appel des réfugiés, dans son examen de la question même soulevée par Mme Caleb, de revoir les éléments de preuve et de tirer ses propres conclusions. Cela est conforme au rôle de la Section d’appel des réfugiés (Huruglica, au paragraphe 103).

[23]  Les circonstances en l’espèce se distinguent également facilement de celles dans la décision Husian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 684 [Husian]. Dans la décision Husian, le juge Roger Hughes a conclu que la Section d’appel des réfugiés, au moment d’effectuer son propre examen du dossier, a tiré des conclusions de fait qui étaient contraires aux éléments de preuve et manifestement erronées. C’est dans ce contexte que le juge Hughes a conclu que la Section d’appel des réfugiés avait l’obligation de prévenir les parties et de leur donner la possibilité de formuler des observations (Husian, aux paragraphes 9 et 10). En l’espèce, Mme Caleb conteste les conclusions de la Section d’appel des réfugiés concernant une question soulevée en appel, mais elle n’allègue pas que la Section d’appel des réfugiés a tiré de nouvelles conclusions de fait erronées.

[24]  Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

B.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle évalué de manière déraisonnable la crédibilité et la crainte subjective des demandeurs?

[25]  Mme Caleb soutient qu’il n’y avait aucune incohérence interne dans son témoignage et, par conséquent, qu’il n’y avait aucun fondement permettant à la Section d’appel des réfugiés de mettre en doute sa crédibilité ou sa crainte subjective. Mme Caleb soutient que ces conclusions étaient plutôt fondées sur des conclusions d’invraisemblance inadmissible et sur une déformation de ses déclarations.

[26]  Une conclusion d’invraisemblance peut donner lieu à une conclusion défavorable sur la crédibilité « si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend » (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7).

[27]  Mme Caleb a indiqué dans son témoignage que sa famille et elle avaient fait l’objet de menaces au moins deux fois après la naissance de sa fille en 2008. Selon son témoignage, des membres de la famille de son mari se sont présentés chez elle, l’ont menacé de mort, et lui ont dit que si elle ne permettait pas que sa fille soit soumise au rituel de l’excision, elle en subirait les conséquences. En raison de ces menaces, la famille a quitté Port Harcourt pour s’installer à Abuja. Selon son témoignage, les pressions et les menaces ont continué au téléphone, et la famille de son mari les a retrouvés à Abuja. Mme Caleb a aussi indiqué dans son témoignage que la famille de son mari avait de nouveau envoyé des émissaires, qui ont une fois de plus proféré des menaces et exigé qu’Emmanuella soit soumise à la mutilation génitale féminine. Malgré la nature et l’ampleur de la persécution alléguée, Mme Caleb a indiqué dans son témoignage qu’elle a voyagé avec son mari au Royaume-Uni et au Canada, en laissant ses enfants au Nigéria.

[28]  La Section d’appel des réfugiés a conclu que, à la lumière des menaces déclarées, le fait de laisser les enfants au Nigéria minait la crainte subjective de Mme Caleb et la crédibilité des allégations qu’elle avait présentées. Je suis incapable de conclure qu’il s’agissait là d’une erreur. La décision de la Section d’appel des réfugiés laisse croire que, comme l’a soutenu Mme Caleb, la Section d’appel des réfugiés a cru à tort que les menaces déclarées comportaient une menace directe d’enlever Emmanuella. Bien que la Section d’appel des réfugiés ait mal interprété le témoignage, cette mauvaise interprétation ne change rien à la gravité des menaces qui auraient été proférées en 2009. La conclusion selon laquelle le fait de laisser Emmanuella au Nigéria pendant le voyage des parents au Royaume-Uni et au Canada minait la crédibilité des déclarations des demandeurs n’était pas déraisonnable.

[29]  Mme Caleb qualifie un certain nombre d’autres conclusions d’invraisemblance inadmissibles. Dans toutes les conclusions citées sauf une, j’estime que les conclusions de la Section d’appel des réfugiés se fondent sur les éléments de preuve et que, par conséquent, elles étaient raisonnablement accessibles à la Section d’appel des réfugiés. La seule exception est liée à la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle le mari de Mme Caleb aurait dû connaître les risques à l’égard de la mutilation génitale féminine en raison de son emploi antérieur. Je suis d’accord avec Mme Caleb, cette conclusion n’est rien de plus qu’une supposition. Cependant, la Cour doit tenir compte de la décision dans son ensemble. Cette seule conclusion – même si elle est additionnée à la mauvaise interprétation des éléments de preuve dont j’ai traitée dans le paragraphe précédent – ne reflète pas une mauvaise appréciation du témoignage global, et ne justifie pas l’intervention de la Cour (Ilyas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1270, au paragraphe 60).

[30]  La Section d’appel des réfugiés n’a pas évalué de manière déraisonnable la crédibilité et la crainte subjective des demandeurs.

C.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle rendu une décision déraisonnable en se fondant uniquement sur une partie des éléments de preuve?

[31]  Mme Caleb soutient que la Section d’appel des réfugiés a rejeté de manière déraisonnable des éléments de preuve documentaire présentés dans un affidavit de Gloria Udom, qui appuyait sa demande d’asile, simplement parce que son témoignage répétait les allégations que la Section d’appel des réfugiés avait jugées non crédibles. Mme Caleb s’appuie sur la décision Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 311 [Chen], au paragraphe 20, pour soutenir qu’il s’agit d’un raisonnement inversé. Je ne suis pas d’accord.

[32]  Dans la décision Chen, le juge Donald Rennie affirme, au paragraphe 21, que « [l]a Commission n’a rien trouvé qui lui permettait de conclure au caractère frauduleux de la carte de visite, sinon que ce document était incompatible avec la conclusion qu’elle avait déjà tirée au sujet de la crédibilité ». En l’espèce, la Section d’appel des réfugiés a donné une raison au-delà de sa conclusion défavorable concernant la crédibilité. La Section d’appel des réfugiés a souligné que la déposante n’avait aucune connaissance indépendante des faits déclarés, et a souligné également une incohérence entre le nom de la déposante dans l’affidavit et celui dans le formulaire Fondement de la demande d’asile. J’ai examiné l’affidavit. Il contient une seule phrase concernant les menaces rapportées par Mme Caleb. Ni les menaces ni le moment où elles ont eu lieu ne sont décrits. Il n’y a aucune déclaration concernant la manière dont la déposante a obtenu la connaissance des faits attestée. La décision de la Section d’appel des réfugiés de n’accorder aucun poids à l’affidavit n’était pas déraisonnable.

[33]   La Section d’appel des réfugiés a également accordé peu d’importance aux éléments de preuve documentaire concernant la mutilation génitale féminine au Nigéria. Comme l’a expliqué la Section d’appel des réfugiés, elle n’a pas remis en question le contenu de ces éléments de preuve, ni mis en doute le fait que la mutilation génitale féminine est une pratique au Nigéria; elle a simplement conclu que Mme Caleb avait omis de démontrer qu’elle se trouvait dans une situation semblable et que, par conséquent, les éléments de preuve étaient peu utiles. Encore une fois, cette conclusion n’était pas déraisonnable.

D.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur en omettant d’effectuer une évaluation des éléments objectifs des demandes d’asile fondées sur les articles 96 et 97 de la LIPR?

[34]  Mme Caleb soutient que la Section d’appel des réfugiés avait l’obligation d’effectuer une analyse distincte fondée sur l’article 97 de la LIPR, lorsqu’il existe une crainte de persécution bien fondée ou un risque de torture ou de traitements ou de peines cruels et inusités. Elle soutient que la Section d’appel des réfugiés avait l’obligation d’examiner les profils individuels des demandeurs et, en particulier celui d’Emmanuella, à la lumière de la documentation sur la situation au pays, pour décider s’ils avaient besoin de protection.

[35]  En l’espèce, les agents de persécution ont été identifiés comme étant la communauté et la famille du mari de Mme Caleb, un groupe discret et défini. C’est le risque que posait ce groupe qui a été évalué et considéré comme non crédible. Dans la décision Tan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1280, la demanderesse craignait d’être persécutée par le gouvernement chinois en raison de son opinion politique; dans la décision Kurtkapan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1114, le demandeur, qui était homosexuel, craignait d’être persécuté par la société turque en général et par la police turque en particulier, qui l’avait photographié et avait pris ses empreintes digitales, en lui demandant de se présenter chaque semaine au poste de police.

[36]  Comme on l’a souligné, la crainte déclarée en l’espèce se pose dans le contexte d’une menace provenant d’un groupe familial discret et identifié, et non d’un gouvernement ou d’un corps de police ou de la société dans son ensemble. Ayant conclu que les demandeurs manquaient de crédibilité et qu’ils n’avaient pas de crainte subjective concernant la menace alléguée de la part de ce groupe discret, la Section d’appel des réfugiés n’a pas commis une erreur en omettant d’examiner la question de savoir s’il y avait un fondement objectif à leur crainte.

[37]  Je souligne également que Mme Caleb n’a pas soulevé la question du défaut de la Section de la protection des réfugiés d’effectuer une analyse distincte fondée sur l’article 97 lors de l’appel interjeté devant la Section d’appel des réfugiés. La jurisprudence n’impose pas une obligation à la Section d’appel des réfugiés de relever et d’aborder les questions de façon indépendante. Ce serait incompatible avec le rôle d’une cour de révision que d’intervenir lorsque la question n’a pas été soulevée devant la Section d’appel des réfugiés. En fait, il existe une jurisprudence laissant croire que si la Section d’appel des réfugiés devait trancher une question qui n’a été ni examinée par la Section de la protection des réfugiés ni soulevée en appel par l’une ou l’autre des parties, elle porterait atteinte aux droits procéduraux garantis aux demandeurs par la loi (Ojarikre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 896, au paragraphe 21).

VII.  Conclusion

[38]  La décision de la Section d’appel des réfugiés est transparente, justifiée et intelligible et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Je conclus qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[39]  Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale aux fins de certification et aucune question n’a été soulevée.


 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

  3. L’intitulé de la cause est modifié de façon à désigner le ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté à titre de défendeur.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-3006-17

 

INTITULÉ :

ROSEMARY AGBONMHERE CALEB, OSELUOLE EMMANUELLA CALEB (REPRÉSENTÉE PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE, ROSEMARY AGBONMHERE CALEB), ERONMHOSELE PRINCE MOSES CALEB (REPRÉSENTÉ PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE, ROSEMARY AGBONMHERE CALEB) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 janvier 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 10 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Natalie Domazet

 

Pour les demandeurs

 

Lorne McClenaghan

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell, LLP

Avocats spécialisés en immigration

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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