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Date : 20180420


Dossier : IMM-4190-17

Référence : 2018 CF 431

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2018

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

ALLAN MATWETWE MOMANYI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 13 septembre 2017 par la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (décision de la Section d’appel des réfugiés), par laquelle cette dernière a confirmé la décision datée du 7 février 2017 de la Section de la protection des réfugiés (décision de la Section de la protection des réfugiés) portant que le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[2]  Comme expliqué plus en détail ci-dessous, la présente demande est rejetée puisque les arguments du demandeur ne démontrent aucune erreur susceptible de révision dans l’examen de la Section d’appel des réfugiés qui minerait le caractère raisonnable de sa décision.

II.  Contexte

[3]  Le demandeur, Allan Matwetwe Momanyi, est un citoyen du Kenya qui affirme être bisexuel et avoir subi de nombreux incidents d’abus et de persécution au Kenya en raison de son orientation sexuelle. Ses allégations sont décrites dans un exposé personnel qu’il a joint à son formulaire Fondement de la demande d’asile, que je résumerais comme suit.

[4]  M. Momanyi a commencé à se sentir attiré envers d’autres garçons dans sa jeunesse, et a eu des relations homosexuelles durant ses études secondaires. Ces relations ont été découvertes et déclarées à la direction de l’école. Il a été puni, agressé physiquement, menacé d’expulsion, mis dans l’embarras publiquement, et suspendu à plusieurs reprises. Ses parents ont appris son orientation sexuelle par l’école.

[5]  M. Momanyi a commencé une nouvelle relation homosexuelle après la fin de ses études secondaires avec un homme nommé Brian. Les parents de Brian s’opposaient aux relations homosexuelles. Ils ont menacé M. Momanyi, et il a par la suite été attaqué et violé en pleine rue par un groupe d’hommes. M. Momanyi croit que les parents de Brian ont commandité l’agression. Il a été transporté à l’hôpital par un passant qui l’a trouvé inconscient dans la rue. Le personnel de l’hôpital a appelé la police, mais au lieu de l’aider, la police a menacé de l’arrêter en raison de son homosexualité. Après avoir obtenu son congé de l’hôpital, sa famille l’a accusé d’être affligé d’une malédiction et de leur faire honte. Sa famille a tenté de le forcer à se marier avec une femme, et l’a menacé de faire intervenir la milice de leur tribu, le groupe Sungusungu, s’il n’obéissait pas.

[6]  M. Momanyi a fui la maison familiale et s’est inscrit à l’école de médecine. Il a continué à fréquenter Brian secrètement, mais prétendait avoir une relation avec une amie nommée Tracy. Brian a emménagé avec M. Momanyi, mais lorsque d’autres étudiants ont appris leur cohabitation, le couple a été victime d’agressions verbales et physiques. À la suite d’une agression à l’extérieur de leur appartement, le couple a rempli un rapport de police resté sans suite.

[7]  M. Momanyi a mis fin à sa relation avec Brian et est parti vivre avec sa grand-mère à Kisii, mais le groupe Sungusungu le recherchait et cela effrayait sa grand-mère. Il s’est ensuite installé à Mombasa, où il a emménagé avec sa cousine Nancy. Elle l’a forcé à partir lorsqu’elle a appris son orientation sexuelle. Il s’est ensuite rendu à Nakuru, où il a emménagé avec un ami qui acceptait son homosexualité.

[8]  Il semble que Brian soit entré dans la clandestinité, et la police était à la recherche de M. Momanyi. Les parents de ce dernier ont communiqué avec lui pour lui demander de revenir à la maison. Ils voulaient l’aider à s’enfuir du Kenya. Il est retourné à la maison et affirme avoir rempli une demande de visa d’études au Canada, et a été agressé encore une fois.

[9]  La demande de visa de M. Momanyi a été accordée et il est entré au Canada le 23 août 2016. Un mois plus tard, il a présenté une demande d’asile fondée sur sa crainte d’être placé en détention, de subir des sévices, de la torture ou d’être victime de meurtre au Kenya en raison de son orientation sexuelle. Sa demande comprenait des affidavits et des lettres corroborants de la part de Tracy, de Nancy, d’un ancien voisin, d’un des garçons avec qui il avait eu une relation lors de ses études secondaires et de ses parents, le décrivant tous comme étant bisexuel. M. Momanyi a également inclus une lettre de l’hôpital où il avait été traité à la suite de l’agression dans la rue, de nombreuses lettres de son école secondaire décrivant ses suspensions pour activités homosexuelles, et des lettres d’organismes communautaires avec lesquels il s’est impliqué au Canada. À l’exception des lettres provenant des organismes communautaires canadiens (les documents canadiens), tous les autres documents ont été obtenus pour M. Momanyi par ses parents qui lui ont envoyé les documents au Canada pour étayer sa demande d’asile (les documents du Kenya).

III.  La décision de la Section de la protection des réfugiés

[10]  La Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande de M. Momanyi, et a conclu qu’il n’avait pas présenté une preuve suffisante crédible et fiable à l’appui de ses allégations de persécution ou de son orientation bisexuelle. La Section de la protection des réfugiés a conclu que sa version des faits manquait de crédibilité parce que son témoignage [traduction« n’était pas formulé avec assurance et que les principales questions ont été abordées de façon hésitante, évasive, et incohérente ». La Section de la protection des réfugiés a également soulevé des incohérences dans la chronologie des événements qu’il a présentée et le manque d’éléments de preuve démontrant qu’il était recherché par la police et par le groupe Sungusungu, comme il avait allégué. En ce qui a trait à ses allégations sur son orientation sexuelle, la Section de la protection des réfugiés a remarqué que M. Momanyi n’était pas toujours cohérent durant son entrevue (affirmant parfois être homosexuel et parfois bisexuel) et qu’il n’avait déposé aucune preuve corroborant ses allégations sur ses relations avec Brian ou quelque autre partenaire de même sexe. La Section de la protection des réfugiés a également mis en doute la provenance des documents du Kenya et a estimé que les documents du Canada n’étaient pas convaincants.

[11]  La Section de la protection des réfugiés a conclu, en raison de l’effet cumulatif des doutes quant à la crédibilité, qu’elle n’était pas convaincue qu’il y avait une possibilité sérieuse que M. Momanyi soit persécuté au Kenya ou, selon la prépondérance des probabilités, qu’il soit personnellement exposé à un danger de torture ou à des menaces de mort, ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités au Kenya.

[12]  M. Momanyi a interjeté appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés devant la Section d’appel des réfugiés.

IV.  Décision de la Section d’appel des réfugiés

[13]  M. Momanyi a déposé de nouveaux éléments de preuve lors de l’appel, notamment un rapport médical d’un psychiatre, le Dr Friere, qui a posé un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique chez le demandeur, ainsi qu’une lettre d’une infirmière autorisée, Mme Hickey, affirmant qu’il avait reçu un pointage anormalement faible à un test d’évaluation de la mémoire et des fonctions cognitives, et que les problèmes liés à son témoignage devant la Section de la protection des réfugiés auraient pu être causés par une commotion cérébrale ou un trouble d’apprentissage. La Section d’appel des réfugiés a admis ces éléments de preuve conformément au paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. M. Momanyi a soutenu que ces nouveaux éléments de preuve aidaient à expliquer la raison pour laquelle ses réponses semblaient vagues ou incohérentes durant son témoignage.

A.  Façon générale de témoigner

[14]  La Section d’appel des réfugiés a mené son propre examen du dossier et a écouté l’enregistrement audio de l’audience. Elle n’était pas d’avis que la manière dont M. Momanyi a témoigné indiquait nécessairement un manque de crédibilité. Cependant, elle n’a pas non plus jugé que son témoignage reflétait le diagnostic rendu dans les rapports de l’infirmière et du psychiatre. La Section d’appel des réfugiés a jugé que les conclusions de l’infirmière étaient hypothétiques et que son opinion était formulée en termes équivoques. La Section d’appel des réfugiés a également souligné que l’infirmière n’avait aucune spécialisation ni expertise en matière de troubles cognitifs ou de mémoire.

B.  Chronologie

[15]  La Section d’appel des réfugiés est arrivée à la même conclusion que la Section de la protection des réfugiés, soit que la chronologie des événements était incohérente et que M. Momanyi n’avait offert aucune explication raisonnable à ce propos. Elle a conclu que les nouveaux éléments de preuve produits par M. Momanyi ne justifiaient pas ces incohérences.

C.  La police et le groupe Sungusungu

[16]  La Section d’appel des réfugiés a conclu que M. Momanyi avait exagéré son récit voulant qu’il soit recherché par la police, et que l’affidavit de ses parents ne concordait pas avec son témoignage sur les motifs pour lesquels la police le recherchait, puisque cet affidavit indiquait que la police le recherchait en relation avec la disparition de Brian et non en raison de son orientation sexuelle. En ce qui concerne le groupe Sungusungu, la Section d’appel des réfugiés a conclu qu’aucun élément de preuve objectif ne démontrait que le groupe avait des antécédents de harcèlement envers la communauté LGBT. La Section d’appel des réfugiés a conclu qu’il y avait insuffisance d’éléments de preuve fiables et crédibles démontrant, comme l’alléguait M. Momanyi, qu’il était recherché par la police et le groupe Sungusungu en raison de sa prétendue orientation sexuelle, et qu’ils le recherchaient activement.

D.  Éléments de preuve à l’appui

[17]  La Section d’appel des réfugiés n’a pas non plus accordé de poids aux documents du Kenya parce que ces derniers avaient été obtenus par les parents de M. Momanyi, et en raison de préoccupations quant au fait que les parents aient pu imiter sa signature sur sa demande de visa et l’affidavit afférent. En ce qui a trait aux documents canadiens, la Section d’appel des réfugiés a jugé que le simple fait d’être membre d’organismes de soutien à la communauté LGBT ne constituait pas un élément de preuve suffisant à établir l’orientation sexuelle de M. Momanyi.

[18]  La Section d’appel des réfugiés a donc confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle M. Momanyi n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

V.  Questions en litige et norme de contrôle

[19]  Le demandeur présente cinq arguments à l’appui de sa thèse voulant que la décision de la Section d’appel des réfugiés soit déraisonnable, ce qui soulève les cinq questions suivantes à l’examen de la Cour :

  1. Le rejet par la Section d’appel des réfugiés de la demande présentée par le demandeur était-il déraisonnable du fait qu’elle avait retenu son profil d’homme bisexuel?

  2. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans son évaluation des rapports médicaux?

  3. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion à propos de l’affidavit des parents du demandeur?

  4. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur en exigeant que la documentation sur la situation dans le pays corrobore le fait que le groupe Sungusungu cible les membres de la communauté LGBT?

  5. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans son examen des documents du Kenya?

[20]  Considérant la formulation des arguments du demandeur et les observations du défendeur, la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

VI.  Analyse

A.  Le rejet par la Section d’appel des réfugiés de la demande présentée par le demandeur était-il déraisonnable du fait qu’elle avait retenu son profil d’homme bisexuel?

[21]  M. Momanyi soutient que même si la Section d’appel des réfugiés avait des doutes quant à la crédibilité de ses allégations de persécution au Kenya, elle était tenue d’examiner si le demandeur avait droit à l’asile au Canada en raison de son profil d’homme bisexuel dans un pays où la communauté LGBT est victime de persécution. À l’appui de sa position, il cite la décision Burgos‑Rojas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 162 FTR 157, au paragraphe 14, où le juge Rouleau a accueilli l’argument du demandeur selon lequel la Commission de l’immigration et du statut de réfugié avait commis une erreur en ne tenant pas compte de son affirmation qu’à titre d’homme homosexuel, il avait une crainte fondée d’être persécuté au Chili :

[14]  Le demandeur soutient que la question de la crédibilité n’était pas déterminante de la question de savoir s’il était un réfugié au sens de la Convention. La Commission n’a pas affirmé qu’elle estimait que le demandeur n’était pas homosexuel. En outre, elle ne pouvait omettre de tenir compte de la preuve établissant que les homosexuels étaient victimes d’agressions au Chili. En conséquence, même si, après avoir conclu que le demandeur n’était pas crédible et avait rejeté son récit de ce qui lui était arrivé au Chili, la Commission devait tout de même examiner si le demandeur avait une crainte fondée d’être persécuté au Chili en raison de son orientation sexuelle.

[22]  Cet argument repose sur l’interprétation de M. Momanyi de la décision de la Section d’appel des réfugiés, selon laquelle ce tribunal a retenu son profil d’homme bisexuel en dépit de ses propres conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur. Ce dernier souligne que la Section de la protection des réfugiés a explicitement fait part de ses préoccupations au sujet de la crédibilité des allégations sur son orientation sexuelle, et soutient que la décision de la Section d’appel des réfugiés ne contient aucune conclusion de la sorte. La Section d’appel des réfugiés a également exprimé son désaccord à l’égard de la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle le témoignage de M. Momanyi n’était pas formulé avec assurance et que les principales questions avaient été abordées de façon hésitante, évasive, et incohérente.

[23]  Mon interprétation de la décision de la Section d’appel des réfugiés n’est pas qu’elle a jugé que le témoignage de M. Momanyi était crédible en ce qui a trait à ses allégations touchant son orientation sexuelle ou autres. En effet, la Section d’appel des réfugiés a commencé son analyse de la crédibilité en expliquant que, contrairement à la Section de la protection des réfugiés, elle n’estimait pas que sa façon de répondre aux questions à l’audience indiquait nécessairement un manque de crédibilité. Cependant, la Section d’appel des réfugiés a formulé d’autres conclusions défavorables quant à la crédibilité de M. Momanyi et, à la fin de sa conclusion, a jugé que les conclusions défavorables de la Section de la protection des réfugiés quant à la crédibilité de M. Momanyi étaient justes et défendables.

[24]  Je suis d’accord avec M. Momanyi qui soutient que cette conclusion ne peut être interprétée comme une consécration des conclusions relatives à la crédibilité de la Section de la protection des réfugiés qui n’ont pas fait l’objet d’une analyse dans la décision de la Section d’appel des réfugiés. Cependant, il n’est pas possible non plus de conclure que la Section d’appel des réfugiés a accepté l’affirmation de M. Momanyi quant à son orientation sexuelle. Considérant la preuve qu’il a produite pour corroborer son orientation sexuelle, la Section d’appel des réfugiés a conclu que le simple fait d’être membre d’organismes de soutien à la communauté LGBT au Canada et d’assister à des réunions constituait une preuve insuffisante de l’orientation sexuelle de M. Momanyi, surtout lorsque l’on tient compte des doutes soulevés concernant les autres éléments de preuve présentés. La conclusion de la Section d’appel des réfugiés est claire : elle doutait de l’orientation sexuelle de M. Momanyi et, à la lecture de la décision dans son ensemble, elle a conclu que le demandeur n’avait pas établi un tel profil. Je conclus donc que la Section d’appel des réfugiés n’était pas tenue de considérer le risque encouru au Kenya en raison de ce profil.

B.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans son évaluation des rapports médicaux?

[25]  M. Momanyi soutient que la Section d’appel des réfugiés a commis l’erreur de ne pas tenir compte des résultats aux tests de mémoire auxquels fait référence le rapport de l’infirmière autorisée, Mme Hickey, comme explication possible des incohérences dans son témoignage. Il fait remarquer que Mme Hickey fait référence au test de l’Évaluation cognitive de Montréal auquel le demandeur a reçu un pointage anormal de 23/30 (un pointage normal étant de 26 et plus). Bien que M. Momanyi accepte l’analyse de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle Mme Hickey ne semblait avoir aucune spécialisation ni expertise en matière de troubles cognitifs ou de troubles d’apprentissage, il soutient qu’une telle absence de spécialisation pourrait avoir une incidence seulement sur sa capacité à se prononcer sur la cause du déficit de mémoire, et que la Section d’appel des réfugiés était néanmoins tenue de tenir compte d’un tel déficit.

[26]  Je ne vois aucune erreur dans la façon dont la Section d’appel des réfugiés a traité ces rapports médicaux. Elle a évalué le rapport de Mme Hickey et a explicitement déclaré que Mme Hickey avait indiqué que M. Momanyi avait reçu un pointage de trois points en dessous du pointage normal au test de mémoire. Cependant, la Section d’appel des réfugiés a également souligné le manque de qualification professionnelle de Mme Hickey en matière de troubles cognitifs ou de troubles d’apprentissage, et je ne peux conclure, au regard de ces observations, qu’il a été déraisonnable que la Section d’appel des réfugiés n’accorde pas de poids à son rapport, dont les résultats au test de mémoire. Je remarque également que la Section d’appel des réfugiés a fait référence au rapport du psychiatre, le Dr Freire, qui indiquait que quoique ses facultés de mémoire et de concentration n’aient pas fait l’objet de tests formel, M. Momanyi s’en est bien tiré durant l’entrevue. Il n’était pas déraisonnable que la Section d’appel des réfugiés juge que les évaluations médicales n’ont pas été concluantes comme explication des problèmes relevés dans le témoignage de M. Momanyi.

C.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion à propos de l’affidavit des parents du demandeur?

[27]  La Section d’appel des réfugiés a conclu que la crédibilité de M. Momanyi avait été minée par l’incohérence entre ses allégations voulant que la police le recherche en raison de son orientation sexuelle et la déclaration de ses parents dans leur affidavit voulant qu’il ait été recherché par la police à la suite de la disparition de Brian. Il soutient que la Section d’appel des réfugiés a commis l’erreur de ne pas tenir compte du reste de l’affidavit de ses parents, où ils font référence à leur fils comme étant bisexuel et affirment : [traduction] « il a beaucoup souffert à la suite de l’épreuve du viol et a tenté de fuir en quête d’un endroit sécuritaire pour se protéger des autorités menaçant de l’arrêter et effectuant même des recherches pour l’arrêter ».

[28]  Je ne vois aucune erreur dans la façon dont la Section d’appel des réfugiés a traité ces éléments de preuve. Alors que les parents de M. Momanyi attestent de son orientation bisexuelle, il n’y a aucune mention explicite dans leur affidavit du fait que la police le recherchait pour ce motif. On ne saurait conclure que la Section d’appel des réfugiés a commis l’erreur de ne pas tenir compte de la totalité de l’affidavit, et je ne vois rien de déraisonnable dans l’analyse de la crédibilité effectuée par la Section d’appel des réfugiés, vu l’incohérence entre l’allégation de M. Momanyi et la déclaration explicite de ses parents selon laquelle la police le recherchait en lien avec la disparition de Brian.

D.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur en exigeant que la documentation sur la situation dans le pays corrobore le fait que le groupe Sungusungu cible les membres de la communauté LGBT?

[29]  La Section d’appel des réfugiés a évalué le témoignage de M. Momanyi selon lequel il a été agressé par des membres du groupe Sungusungu, et a fait remarquer que les éléments de preuve documentaire décrivait le groupe Sungusungu à la fois comme un groupe d’autodéfense communautaire et groupe du crime organisé. Cependant, en l’absence d’éléments de preuve documentaire corroborant que les activités d’autodéfense communautaire du groupe Sungusungu comprenaient des interventions contre la communauté LGBT, la Section d’appel des réfugiés a conclu qu’il y avait insuffisance d’éléments de preuve fiables et crédibles étayant les allégations de M. Momanyi à l’égard du groupe Sungusungu.

[30]  M. Momanyi affirme qu’alors que la persécution de la communauté LGBT peut ne pas être la mission principale du groupe Sungusungu, les éléments de preuve documentaire décrit le groupe comme étant une milice de mercenaires, prête à intervenir dans des conflits familiaux et ciblant les membres plus faibles de la société. Il soutient que cela inclut les membres de la communauté LGBT et que la preuve sur la situation dans le pays est donc compatible avec son allégation, exposée au paragraphe 11 de son formulaire Fondement de la demande d’asile, selon laquelle sa famille l’avait menacé d’avoir recours au groupe Sungusungu en raison de son orientation sexuelle.

[31]  La Section d’appel des réfugiés n’a pas explicitement fait référence aux éléments de preuve documentaire sur lesquels M. Momanyi fondait son argument. Cependant, la Section d’appel des réfugiés est présumée avoir tenu compte de la totalité des éléments de preuve documentaire à moins que le contenu de la preuve soit suffisamment incohérent avec ses conclusions pour réfuter cette présomption : Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, au paragraphe 17, et Boulous c Alliance de la fonction publique du Canada, 2012 CAF 193, au paragraphe 11, citant Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF). Je ne considère pas que la preuve à laquelle fait référence M. Momanyi appartient à cette catégorie. Au paragraphe 11 de l’exposé de son formulaire Fondement de la demande d’asile, il décrit le groupe Sungusungu comme étant reconnu pour attaquer et tuer toute personne ayant un comportement contraire aux normes, mœurs et valeurs de la tribu, et il affirme qu’il craignait le groupe puisque le fait d’être bisexuel était perçu comme allant à l’encontre de ces normes et valeurs. Il n’était pas déraisonnable pour la Section d’appel des réfugiés de rechercher un élément de preuve documentaire corroborant cette crainte selon laquelle le groupe Sungusungu ciblerait M. Momanyi à cause de son orientation sexuelle alléguée, et de conclure le contraire en l’absence d’une telle preuve.

E.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans son examen des documents du Kenya?

[32]  La Section d’appel des réfugiés n’a accordé que peu de poids aux documents kényans puisqu’ils avaient tous été obtenus par les parents de M. Momanyi. Ce faisant, la Section d’appel des réfugiés a cité la mise en garde du juge Annis dans l’affaire El Bouni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 700, au paragraphe 25, selon laquelle des éléments de preuve corroborants produits par des membres de la famille ou par des amis, qui ne sont pas soumis à un contre-interrogatoire, ne sont pas des éléments de preuve très probants ni crédibles. M. Momanyi soutient que la prépondérance de l’autorité de notre Cour démontre une proposition différente, comme résumé récemment par le juge Ahmed dans l’affaire Nagarasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 313 [Nagarasa], au paragraphe 24 :

[24]  Conformément à ce qui est précisé ci-haut, l’agent a également rejeté la lettre rédigée par la mère du demandeur, en l’écartant en deux phrases :

[traduction]

Bien que le demandeur ait produit une lettre de sa mère à l’appui de sa déclaration, comme précisé précédemment, j’estime que la preuve est subjective, car sa mère est particulièrement intéressée par l’issue de la demande. Puisque l’élément de preuve provient d’une source proche du demandeur, j’estime qu’il a peu de valeur probante et, par conséquent, je lui ai accordé peu de poids.

[Non souligné dans l’original.]

(Décision d’ERAR, p. 9)

Cette approche est tout à fait erronée. Notre Cour a plusieurs fois soutenu qu’une lettre rédigée à l’appui d’un demandeur pourrait être qualifiée d’intéressée, et l’élément de preuve ne doit pas se voir accorder un poids limité en fonction de ce fondement uniquement (Mata Diaz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 319 au paragraphe 37; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1210 au paragraphe 12; Varon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 356 au paragraphe 37.

[33]  Je suis d’accord avec l’énoncé du juge Ahmed concernant le droit applicable. Cependant, en l’espèce, la Section d’appel des réfugiés n’a pas considéré les documents kényans comme elle l’a fait parce qu’ils étaient produits par des personnes qui étaient des membres de la famille ou des amis du demandeur. Plutôt, la Section d’appel des réfugiés a remis en question la fiabilité de ces éléments de preuve parce qu’elle estimait qu’il était possible que les parents de M. Momanyi aient imité sa signature sur sa demande de visa et l’affidavit afférent, ce qui a soulevé des doutes sur la fiabilité de l’ensemble des éléments de preuve qu’ils ont produits. Par conséquent, l’analyse de la Section d’appel des réfugiés ne contrevient pas au principe cité dans l’affaire Nagarasa.

[34]  M. Momanyi affirme également que la Section d’appel des réfugiés a commis l’erreur de faire fi de la valeur probante de ces éléments de preuve en raison de leur provenance, c’est-à-dire qu’elle avait été obtenue de ses parents, et sans qu’un examen approfondi en ait été effectué. Il cite le principe qu’enseigne la jurisprudence dans les affaires Tshibola Kabongo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 313, et Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 311 [Chen]. Dans l’affaire Chen, aux paragraphes 19 à 21, le juge Rennie explique que le type de raisonnement suivant peut donner lieu à une erreur susceptible de révision :

[19]  Troisièmement, la Commission n’a pas dûment pris en considération la carte de visite de prison, affirmant : « […] [É]tant donné que le tribunal a jugé que la descente à la maison-église fréquentée par le demandeur d’asile n’a pas eu lieu, le tribunal estime que la “carte de visite” de prison se rapportant à la personne qui l’a initié à la religion catholique n’est pas authentique. »

[20]  La Commission ne peut tirer une conclusion relativement à la demande en se fondant sur certains éléments de preuve et rejeter le reste de la preuve parce qu’elle est incompatible avec cette conclusion. Avant de conclure qu’il n’y a pas eu de descente, la Commission doit se demander si la carte de visite de prison fournit la preuve d’une telle descente. Le raisonnement a été inversé. C’est la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, dans l’arrêt Faryna c Chorny, [1952] 2 DLR 354, qui décrit le mieux cette erreur quant à la méthode appliquée ou dans l’appréciation de la preuve :

[traduction] On ne peut évaluer la crédibilité d’un témoin intéressé, en particulier dans les cas de témoignages contradictoires, en se fondant exclusivement sur le point de savoir si son comportement personnel inspire la conviction qu’il dit la vérité. Il faut soumettre la version qu’il propose des faits à un examen raisonnable de sa compatibilité avec les probabilités afférentes à la situation considérée. Bref, le véritable critère applicable à la véracité de la version du témoin dans un tel cas doit être sa conformité à la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et bien informée estimerait d’emblée raisonnable dans le lieu et la situation en question. [...] En outre, il peut arriver qu’un témoin dise ce qu’il croit sincèrement être la vérité, mais se trompe en toute honnêteté. Le juge du fond qui dirait : « Je le crois parce que je suis convaincu de sa véracité » tirerait une conclusion fondée sur l’examen de la moitié seulement du problème. En vérité, il pourrait bien s’agir là d’une auto-directive dangereuse.

[21]  La Commission n’a rien trouvé qui lui permettait de conclure au caractère frauduleux de la carte de visite, sinon que ce document était incompatible avec la conclusion qu’elle avait déjà tirée au sujet de la crédibilité.

[35]  À mon avis, la Section d’appel des réfugiés n’a pas suivi le type de raisonnement reproché dans l’affaire Chen. La Section d’appel des réfugiés aurait commis une erreur si elle avait rejeté la preuve corroborante en se fondant sur sa conclusion selon laquelle M. Momanyi n’était pas crédible, conclu que les événements passés dont il a fait part n’avaient pas réellement eu lieu, et n’était par conséquent pas prête à tenir compte d’éléments de preuve contredisant cette conclusion. Cependant, cela n’a pas été la méthode d’analyse de la Section d’appel des réfugiés. Elle a plutôt rejeté la preuve corroborante en raison de ses doutes quant à la fiabilité de ses parents comme source de la preuve. Je ne décèle dans cette analyse aucune erreur susceptible de contrôle.

[36]  Enfin, M. Momanyi renvoie la Cour au document intitulé Directives numéro 9 du président intitulé Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada du 1er mai 2017 [les Directives], et soutient que la Section d’appel des réfugiés a omis d’évaluer la preuve d’un point de vue approprié à la nature particulière des demandes fondées sur l’orientation sexuelle. Il fait référence plus particulièrement au paragraphe 7.2 des Directives, qui énonce qu’il se peut que les éléments de preuve corroborants ne soient pas toujours disponibles dans les demandes fondées sur l’orientation sexuelle.

[37]  J’ai tenu compte de cette observation, mais je ne trouve aucune erreur commise par la Section d’appel des réfugiés. Cette dernière a rejeté les éléments de preuve corroborants sur le fondement de ses doutes quant à la fiabilité de la source de la preuve et a rejeté la demande en raison du manque général d’éléments de preuve fiables et crédibles, dont les doutes quant à la crédibilité de M. Momanyi lui-même. La décision de la Section d’appel des réfugiés ne porte pas atteinte aux principes des Directives sur lesquels se fonde M. Momanyi.

VII.  Conclusion

[38]  Les arguments du demandeur ne permettent pas de conclure que la décision de la Section d’appel des réfugiés est déraisonnable, et la présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4190-17

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de décembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4190-17

INTITULÉ :

ALLAN MATWETWE MOMANYI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 mars 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 20 avril 2018

COMPARUTIONS :

Maureen Silcoff

Pour le demandeur

Christopher Crighton

Pour le DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Silcoff, Shacter

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le DÉFENDEUR

 

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