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Date : 20180420


Dossier : T-1319-17

Référence : 2018 CF 430

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2018

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

EDWARD JOEL KAMPS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Le demandeur, un membre des Forces canadiennes, sollicite le contrôle judiciaire de la dernière décision rendue dans une procédure de règlement des griefs portant rejet de sa demande de remboursement des frais de déplacement engagés en vue de sa réinstallation. La décision à examiner a été rendue le 10 juillet 2017. Le Chef d’état-major de la Défense (CEMD) a délégué ses attributions à titre d’autorité de dernière instance en matière de griefs au Directeur général de l’Autorité des griefs des Forces canadiennes, conformément à l’article 29.14 de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N-5 (la Loi).

[2]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.  Résumé des faits

[3]   Le demandeur, Edward Kamps, a été membre des Forces canadiennes jusqu’à sa retraite, en août 2013. En 2010, après son affectation à Edmonton, en Alberta, il a été affecté à Gagetown, au Nouveau-Brunswick. Il avait alors reçu l’autorisation d’effectuer un voyage à la recherche d’un domicile du 7 au 11 juin 2010.

[4]  Pour ce voyage, il s’était rendu à Gagetown avec la voiture de sa conjointe et en était revenu en avion. Normalement, la société Services globaux de relogement Brookfield (BGRS) devait s’occuper de réserver son vol de retour à Edmonton, et il a donc tenté à plusieurs reprises de la joindre, mais en vain. Le 2 juin 2010, comme il n’avait toujours pas réussi, il a réservé son vol de retour lui-même. Le 3 juin 2010, BGRS a communiqué avec le demandeur pour l’informer que son billet de retour avait été réservé. Selon le dossier, ce fut l’unique contact de la semaine entre le demandeur et BGRS. Le demandeur est rentré à Edmonton en utilisant le billet qu’il avait payé de ses poches. Il a demandé le remboursement du prix de ce billet, soit 417,11 $.

[5]   En 2013, le demandeur a été affecté de nouveau à Edmonton, en Alberta. Il a loué une voiture à Fredericton, au Nouveau-Brunswick, pour déménager ses biens jusqu’à Edmonton. Il demande également le remboursement du prix de la location (262,79 $) et de l’essence (24,56 $) pour ce voyage.

III.  Questions en litige

[6]  Les questions en litige sont les suivantes :

A.   Quelle est la norme de contrôle applicable?

B.  La décision concernant le billet de retour était-elle raisonnable?

C.  La décision concernant le renvoi de la décision liée à la location de voiture à un contrôle additionnel était-elle raisonnable?

D.  La décision était-elle inéquitable sur le plan de la procédure?

E.   Questions liées au contre-interrogatoire

IV.  Norme de contrôle

A.  Observations du demandeur

[7]  Le demandeur n’a présenté aucun argument directement lié à la norme de contrôle, mais il a fait valoir néanmoins que la décision de l’autorité de dernière instance [traduction] « […] ne faisait pas partie des issues raisonnables possibles ».

B.   Observations du défendeur

[8]  Le défendeur soutient que les décisions de l’autorité de dernière instance portent sur des questions mixtes de fait et de droit et sont donc assujetties à la norme de la décision raisonnable. Il ajoute que les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte, citant l’arrêt McBride c Canada (Défense nationale), 2012 CAF 181 [McBride].

[9]  Je suis d’accord avec le défendeur que la norme de contrôle des questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte, et que la norme de contrôle des questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable.

V.  La décision concernant le billet de retour était-elle raisonnable?

A.  Observations du demandeur

[10]  Le demandeur cite la section 4.2.03 de la politique en vigueur en 2009 concernant le Programme de réinstallation intégrée des Forces canadiennes (PRIFC) :

Le fournisseur de services s’occupe d’obtenir des services de transport commercial, sauf s’il est déterminé qu’il est impossible de le faire et a été appuyé par le cmdt B ou l’O Admin B (c.-à-d. des raisons opérationnelles).

[11]  Le demandeur soutient qu’il lui a été impossible d’obtenir les services de BGRS malgré ses nombreux appels et messages électroniques, et une journée entière d’attente dans ses bureaux avant son départ. Il a cherché à communiquer avec BGRS avant de demander l’autorisation de son cmdt B.

[12]  Il déplore que la politique ne prévoie aucun recours pour le genre de problème auquel il a été confronté (impossibilité de joindre BGRS) et que, par conséquent, une mesure discrétionnaire du PRIFC devrait être appliquée. La section 2.1.01 indique ce qui suit :

Le Directeur – Rémunération et avantages sociaux (Administration) (DRASA), a le pouvoir :

d’approuver le remboursement d’une partie ou de la totalité des dépenses raisonnables encourues qui se rattachent directement à la réinstallation des membres des FC mais qui ne sont pas spécialement prévues dans la présente politique.

[13]  Cet argument diffère de celui qui avait été présenté en dernière instance du processus de grief. Devant l’autorité de dernière instance, le demandeur s’est fondé sur la recommandation du Comité externe d’examen des griefs militaires (le Comité) visant le remboursement du billet de retour conformément à la politique modifiée, qui n’était pas en vigueur quand il a présenté sa demande initiale de remboursement. L’article 2.1.01 de la politique relative au PRIFC de 2014 indiquait que :

Les autorités en matière de griefs et le Directeur – Rémunération et avantages sociaux (Administration) (DRASA) :

Si un militaire des FC n’a pas reçu d’indemnité parce que les circonstances justificatives, bien que se rapprochant des circonstances établies, étaient cependant différentes, alors l’autorité en matière de griefs appropriée pour les indemnités de réinstallation ou le DRASA peut, si il ou elle estime qu’il serait équitable et conforme à l’esprit du PRIFC, approuver toute ou une partie de l’indemnité.

[14]  Le demandeur soutient en outre que la décision de l’autorité de dernière instance était déraisonnable au motif qu’elle découlait de sa conviction erronée que BGRS avait réservé le billet de retour trois jours avant son départ. Le demandeur affirme au contraire qu’il avait reçu l’autorisation de voyager pendant ces deux journées et qu’il lui était alors impossible de communiquer avec BGRS.

B.  Observations du défendeur

[15]  Le défendeur fait valoir que la disposition applicable de la politique et à laquelle s’est conformée l’autorité de dernière instance est la section 4.2.03 du DPRCF, précitée.

[16]  Il rappelle les deux critères à remplir pour obtenir le remboursement d’un billet d’un transporteur commercial : 1) il doit être impossible pour le fournisseur d’obtenir des services de transport; 2) le demandeur doit avoir reçu l’appui du cmdt B ou de l’O Admin B. En l’espèce, le fournisseur de services, soit BGRS, a obtenu les services de transport, mais le demandeur n’a pas utilisé le billet fourni et il n’a rien fait pour obtenir l’appui de la chaîne de commandement, tel qu’il est prévu dans a politique.

[17]  Dans sa décision, l’autorité de dernière instance reconnaît que le Comité lui a recommandé d’exercer le pouvoir discrétionnaire et équitable que lui confère la nouvelle politique adoptée en 2014 et de rembourser le coût du billet au demandeur. L’autorité de dernière instance a toutefois refusé de faire le remboursement au motif que la politique invoquée n’était pas en vigueur au moment où le demandeur a réservé le billet en litige et déposé son grief. La politique n’a pas d’effet rétroactif. Il s’agit donc d’une issue raisonnable dont l’annulation n’est pas justifiée selon le défendeur.

[18]  La décision est une question d’interprétation des directives applicables. Je suis d’accord avec le défendeur que la disposition applicable à l’égard du remboursement du coût du billet d’avion est la section 4.2.03. Je suis d’accord aussi que les deux critères justifiant un remboursement dans des circonstances exceptionnelles ne sont pas remplis. L’autorité de dernière instance a tenu compte de la politique applicable et des documents à l’appui, et a fourni les motifs de ses conclusions. La Cour comprend la frustration du demandeur, mais cet aspect de la décision repose sur une conclusion raisonnable. La Cour prend note également de l’argument du demandeur selon lequel son congé a commencé le 3 juin et qu’il était en route pour entreprendre sa recherche de domicile le 7 juin. Ce fait n’est cependant pas déterminant de l’issue de l’instance.

VI.  La décision concernant le renvoi de la décision liée à la location de voiture à un contrôle additionnel était-elle raisonnable?

A.   Observations du demandeur

[19]  Le demandeur fait valoir que l’autorité de dernière instance a commis une erreur en appliquant la section 9.3.03 du PRIFC à sa location de voiture en 2012. À son avis, cette disposition s’applique [traduction] « aux affectations sans restriction imposée pour lesquelles le membre et sa famille se rendent au nouvel endroit à peu près en même temps ». Dans son cas, il s’agissait d’un « déménagement non accompagné », assujetti à la section 11.2.13 de la politique relative à BGRS :

Les membres des FC ont droit à un congé spécial de 5 jours (réinstallation) afin qu’ils puissent retourner à leur ancien lieu de service pour aider les personnes à leur charge à déménager et à se rendre au nouveau lieu. Ils ont ainsi droit aux remboursements indiqués ci-après [...] Coûts de transport et de voyage et frais de logement, de repas et accessoires en cours de déplacement pendant un maximum de 5 jours.

B.  Observations du défendeur

[20]  Le défendeur rétorque que le remboursement du coût de la location d’un véhicule tombe sous le coup de la section 9.3.03 du PRIFC, qui autorise cette location « dans le cas où le membre des FC est nécessairement séparé de son véhicule principal en raison de l’expédition et le moyen de transport principal pour se rendre à son nouveau lieu de service est un transporteur commercial ». La demande de remboursement du demandeur a été rejetée parce que les deux critères n’étaient pas remplis : 1) il n’était pas séparé de son véhicule en raison de l’expédition; 2) son moyen de transport pour se rendre à son nouveau lieu de service était un véhicule et non un transporteur commercial.

[21]  Le demandeur invoque la lettre l’autorisant à louer un véhicule, datée du 28 mars 2016 (pièce I). Selon le défendeur, le décideur initial n’avait pas cet élément de preuve à sa disposition et il ne peut être invoqué par le demandeur. Le défendeur soutient en outre que la lettre a été écrite après l’examen par le Comité de la question de la location du véhicule dans le cadre du processus de grief, et qu’il appert que l’approbation de la location a été donnée sans que la personne responsable réalise qu’elle avait été rejetée auparavant.

[22]  Vu le contexte entourant la plainte sur la location du véhicule, le défendeur soutient qu’il était raisonnable de renvoyer cette question afin qu’elle soit tranchée.

[23]  Là encore, il s’agit uniquement de déterminer si la disposition applicable a été bien interprétée. Je conclus que l’autorité de dernière instance a fondé ses deux décisions sur la disposition applicable de la politique. La disposition expose très clairement les critères à satisfaire pour avoir droit à un remboursement. En l’espèce, l’autorité de dernière instance a jugé qu’ils n’avaient pas été remplis. Sa décision de réviser également la décision concernant ce remboursement était raisonnable.

VII.  La décision était-elle équitable sur le plan procédural?

A.  Observations du demandeur

[24]  Le demandeur soutient que le retard accumulé a entaché l’équité de la procédure, même s’il reconnaît avoir consenti à plusieurs prorogations par courtoisie. Il estime que ces prorogations ont avantagé le défendeur.

[25]  Il affirme que le retard l’a empêché de produire la preuve de ses tentatives de joindre BGRS et que sa capacité de présenter des observations s’en est trouvée réduite.

[26]  De plus, selon lui, le défaut des Forces canadiennes de lui fournir l’ordre d’opération RÉSOLUTION (l’ordre) constitue un manquement à l’équité procédurale..

B.  Observations du défendeur

[27]  Le défendeur reconnaît que le processus de grief s’est étendu du 14 mars 2013 au 20 juillet 2017, mais il souligne que ce n’est rien d’inusité dans ce genre de dossier. Il cite à l’appui Walsh c Canada (Procureur général), 2015 CF 775, aux paragraphes 53 et 54 [Walsh], une affaire dans laquelle la Cour a tranché une plainte concernant un retard de quatre ans qui a été assimilé à une iniquité procédurale. Dans l’affaire Walsh, la preuve devait établir que le retard était inacceptable « au point d’être oppressif et de vicier les procédures en cause », et qu’il entraînait un préjudice pour le demandeur.

[28]  Le défendeur soutient que le demandeur a omis de préciser quels éléments de preuve ont été perdus par suite du retard et quels préjudices en ont découlé. Il rappelle également que le dépôt d’éléments de preuve supplémentaires n’est jamais autorisé dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[29]  Le défendeur voit mal comment une demande de remboursement de quelques centaines de dollars pourrait entraîner « le stress et la stigmatisation » qui peuvent constituer des facteurs pertinents de l’appréciation des répercussions d’un retard. Le demandeur a consenti à deux prorogations de délai, l’une d’un an et l’autre de 180 jours, avant que l’autorité de dernière instance rende sa décision.

[30]  Selon le défendeur, il n’est pas loisible au demandeur de soulever de nouvelles questions dans le cadre d’un contrôle de cette décision. Il estime que le demandeur pourrait à la rigueur présenter un argument étayant son allégation d’iniquité procédurale causée par le retard du processus décisionnel de l’autorité de dernière instance, mais qu’il ne lui est pas loisible de présenter des arguments concernant l’ensemble du processus de grief.

[31]  Il a été établi que le défaut de présenter des documents accessibles au public n’est pas un manquement à l’équité procédurale. Sur cette question, l’arrêt McBride fait autorité et il s’applique ici. Le fait que l’ordre n’a pas été fourni immédiatement n’est pas déterminant de l’issue de la présente espèce. Le demandeur n’a pas établi en quoi sa situation se distingue de celle dont il est question dans l’arrêt McBride :

[38]  [...] [j]e suis d’avis que la non-communication du document PFC 154 n’a pas constitué un manquement à l’équité procédurale.

[39]  Cela est d’autant plus vrai si l’on considère que le document PFC 154 semble avoir été accessible en ligne aux membres du public à toutes les époques pertinentes. L’avocat de M. McBride a admis avoir téléchargé, à partir d’Internet, l’exemplaire du PFC 154 qui est joint comme pièce à l’affidavit de M. McBride.

[32]  Il n’y a également aucune preuve figurant au dossier portant que le retard était oppressif au point de vicier les procédures (Walsh, précitée, au paragraphe 54).

VIII.  Questions liées au contre-interrogatoire

A.  Observations du demandeur

[33]  Le demandeur soutient que l’avocat du défendeur a violé l’équité procédurale en omettant de répondre à ses questions de contre-interrogatoire. Le demandeur allègue qu’il n’avait pas compris la procédure et qu’il n’avait pas présenté les questions dans le format approprié.

B.  Observations du défendeur

[34]  Le défendeur soutient que le demandeur ne peut pas saisir notre Cour d’allégations d’irrégularité de l’avocat du défendeur. Si le demandeur avait des préoccupations concernant sa capacité de contre-interroger le défendeur, il aurait dû les soumettre dans une requête interlocutoire.

[35]  Je suis d’accord que les préoccupations du demandeur concernant son incapacité de contre-interroger certains membres du personnel des Forces canadiennes auraient dû être soumises à la Cour par voie de procédure interlocutoire. Il ne l’a pas fait et je ne puis m’en saisir à ce stade-ci. Les procédures judiciaires peuvent être très techniques, et les parties à un litige autant que les tribunaux sont astreints à de multiples règles.

[36]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 2e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1319-17

 

INTITULÉ :

EDWARD JOEL KAMPS c LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er mars 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 avril 2018

COMPARUTIONS :

Edward Joel Kamps

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Barry Benkendorf

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

Pour le défendeur

 

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