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Date : 20180424


Dossier : IMM-3911-17

Référence : 2018 CF 437

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 avril 2018

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

MOHAMMAD OMAR SARWARY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire pour une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) datée du 28 août 2017, confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission (la SPR) selon laquelle le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) pour le motif qu’il est une personne visée par l’alinéa 1 Fa) de la Convention et du Protocole relatifs au statut des réfugiés (la Convention sur les réfugiés).

[2]  Par l’application de l’article 98 de la Loi, l’alinéa 1 Fa) de la Convention sur les réfugiés exclut des personnes visées par les articles 96 et 97 de la Loi les demandeurs d’asile pour lesquels il y a des raisons sérieuses de penser qu’ils ont commis un crime contre l’humanité, ou qu’ils en étaient complices.

II.  Contexte

A.  L’arrivée du demandeur au Canada et sa demande d’asile

[3]  Le demandeur est citoyen de l’Afghanistan. Il a été membre de la Police nationale afghane (la PNA) entre les années 1980 et 1992 ainsi qu’entre les années 2001 à 2013. Toutes ces années, il a travaillé dans le système carcéral afghan, occupant des fonctions administratives.

[4]  Le 15 septembre 2013, le demandeur a voyagé aux États-Unis en tant que membre d’un groupe d’agents afghans qui avait été invité à participer à une formation sur la réforme pénitentiaire. À l’époque, il détenait le grade de lieutenant-colonel dans la PNA et était à la tête du centre de détention à Kaboul. Au milieu de cette formation, le demandeur a quitté les États‑Unis pour entrer au Canada, où il a présenté une demande d’asile. Il a prétendu qu’il craignait de rentrer en Afghanistan puisqu’il croyait qu’il serait tué par les talibans s’il y retournait. Il a déclaré qu’il avait commencé à recevoir des menaces plus tôt en 2013 de la part d’un groupe de personnes qui disaient être des talibans après qu’il a refusé de les aider à faire s’évader un prisonnier.

[5]  Depuis qu’il est au Canada, le demandeur a été interrogé plusieurs fois par les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada. Ces interrogatoires ont eu lieu entre le mois d’octobre 2013 et le mois de juillet 2014. À la suite de ces interrogatoires, un rapport en application de l’article 44 de la Loi a été produit contre le demandeur. Il est allégué que le demandeur était interdit de territoire au Canada conformément à l’article 35 de la Loi pour le motif qu’il a porté atteinte aux droits de la personne et aux droits internationaux en commettant un acte à l’extérieur du Canada qui constitue une infraction au sens des articles 4 et 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, c 24 (la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre).

[6]  Le rapport établi en application de l’article 44 a ensuite été renvoyé à la Section de l’immigration (la SI) de la Commission pour enquête. Par conséquent, l’audition de la demande d’asile du demandeur a été suspendue. Cependant, le 12 janvier 2016, le renvoi du rapport établi en application de l’article 44 à la Section de l’immigration a été retiré et la demande d’asile du demandeur a été réactivée. Ce même jour, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) a déposé un avis d’intervention à la Section de la protection des réfugiés, alléguant qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur était un membre de la PNA, que la PNA avait commis des crimes contre l’humanité et que le demandeur était complice de tels crimes.

B.  Décision de la Section de la protection des réfugiés

[7]  L’audience du demandeur devant la Section de la protection des réfugiés a eu lieu le 22 septembre 2016. Dans sa décision datée du 22 octobre 2016, la Section de la protection des réfugiés a examiné les facteurs de la décision Ezokola (Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 [Ezokola]). En se fondant sur son évaluation de ces facteurs, la Section de la protection des réfugiés est arrivée à la conclusion que, selon la prépondérance des probabilités et compte tenu de la période pendant laquelle il avait travaillé pour le système carcéral afghan ainsi que son grade au sein de la PNA, il était probable que le demandeur était au courant du mauvais traitement systémique et fréquent des prisonniers ainsi que l’usage de la torture dans les prisons afghanes.

[8]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que la prétention du demandeur selon laquelle il n’avait jamais observé ni soupçonné qu’une personne soit maltraitée ou victime de torture sur son lieu de travail n’était pas crédible à la lumière des rapports objectifs indiquant que les prisons afghanes ont fait l’usage systémique de la torture pendant les périodes où le demandeur y a travaillé.

[9]  La conclusion de complicité de la Section de la protection des réfugiés se fonde également sur le fait que le demandeur a travaillé dans le système carcéral afghan pendant 24 ans et qu’il était responsable du transfert des prisonniers à l’intérieur et à l’extérieur du centre de détention où il travaillait en plus d’autres centres. La Section de la protection des réfugiés est arrivée à la conclusion que le demandeur avait contribué significativement à la torture des prisonniers dans le cadre de ses fonctions, soit par le transfert des prisonniers ou par son travail administratif qui a contribué à l’efficacité d’un système perpétrant des crimes contre l’humanité.

C.  Décision de la Section d’appel des réfugiés

[10]  Devant la Section d’appel des réfugiés, le demandeur n’a pas présenté de nouveaux éléments de preuve ou demandé une audience. Le 21 août 2017, dans une décision de 62 paragraphes, la Section d’appel des réfugiés a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés. Elle a d’abord déterminé qu’elle n’avait aucune obligation de réserve envers les conclusions quant à la crédibilité de la Section de la protection des réfugiés puisque, comme cette conclusion reposait sur l’incompatibilité entre les éléments de preuve documentaire et une partie substantielle du témoignage du demandeur, elle portait sur le contenu du témoignage et non sur des éléments comportementaux ou autres que seule la Section de la protection des réfugiés pouvait observer.

[11]  La Section d’appel des réfugiés a ensuite fait remarquer que la définition des crimes contre l’humanité comprend « [l’]emprisonnement, [la] torture, […] persécution ou autre fait — acte ou omission — inhumain […] commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes » et que l’usage fréquent de la torture dans les prisons afghanes n’était pas contesté. En se fondant sur les éléments de preuve documentaire provenant des rapports faits par la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan, Amnistie internationale et par le Département d’État des États-Unis, la Section d’appel des réfugiés a déterminé que la torture, les mauvais traitements et les conditions de détention inférieures à la norme prévalent depuis longtemps dans les prisons afghanes. Compte tenu de l’omniprésence de la torture, la Section d’appel des réfugiés a conclu qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le gouvernement afghan était impliqué dans des crimes contre l’humanité au sein de ses prisons.

[12]  Pour déterminer si la Section de la protection des réfugiés a appliqué les facteurs énoncés dans la décision Ezokola correctement, la Section d’appel des réfugiés a d’abord énuméré les trois composantes servant à définir la complicité, c.-à-d. la contribution volontaire, la contribution significative et la contribution consciente, en plus des six facteurs qui doivent être pris en considération dans le cadre de l’évaluation de ces composantes. La Section d’appel des réfugiés a fait remarquer que certains facteurs sont plus pertinents pour certaines composantes que d’autres et qu’il faut donc leur accorder plus de poids. La Section d’appel des réfugiés a expliqué que bien que l’argument du demandeur était axé sur la question de savoir s’il avait fait une contribution significative aux crimes contre l’humanité, il était tout de même utile d’examiner les trois composantes.

[13]  La Section d’appel des réfugiés était d’accord avec la Section de la protection des réfugiés qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait volontairement contribué aux desseins criminels des prisons afghanes. Cette conclusion était fondée sur le fait que le demandeur s’était porté candidat à un poste dans le système carcéral afghan à deux reprises, le fait qu’il y a accepté des promotions et le fait qu’on lui a dit qu’il serait difficile à remplacer quand il a sollicité son transfert. La Section d’appel des réfugiés n’a pas accordé beaucoup de poids aux observations du demandeur concernant les conséquences encourues en quittant son poste, comme l’emprisonnement, puisque sa famille n’avait pas été contactée par ses supérieurs ou le ministère de l’Intérieur à la suite de son départ. Par ailleurs, la Section d’appel des réfugiés a conclu qu’il était difficile de concilier la déclaration du demandeur selon laquelle il s’était seulement porté candidat au poste la deuxième fois afin d’éviter les conséquences résultant du fait qu’il avait choisi de retourner vivre sa vie en Afghanistan après avoir vécu dix ans au Pakistan.

[14]  La Section d’appel des réfugiés a rejeté l’argument central du demandeur selon lequel il n’avait pas contribué de façon importante aux desseins criminels du système carcéral. Contrairement à la prétention du demandeur, le demandeur n’a pas besoin d’avoir accompli un acte concret ou d’avoir intenté une action pour qu’on arrive à une conclusion de complicité. En fait, la Section d’appel des réfugiés a réitéré que la décision Ezokola précise « qu’il n’est pas exigé que la contribution vise la perpétration de crimes identifiables précis; elle peut viser un dessein commun plus large, comme la réalisation de l’objectif d’une organisation par tous les moyens nécessaires, y compris la commission de crimes de guerre » (décision de la Section d’appel des réfugiés, au paragraphe 35).

[15]  Afin de déterminer si le demandeur a contribué au dessein commun de l’organisation, qui consiste en partie à extraire des renseignements des prisonniers en leur infligeant de mauvais traitements, la Section d’appel des réfugiés a examiné les facteurs proposés dans la décision Ezokola. En se fondant sur la taille et la nature de l’organisation dans laquelle le demandeur a travaillé, sur ses tâches et ses activités au sein de cette organisation, sur la durée au cours de laquelle il a fait partie de cette organisation après avoir découvert qu’elle commettait des crimes contre l’humanité et sur son grade au sein de cette organisation, la Section d’appel des réfugiés est arrivée à la conclusion que le demandeur avait contribué de façon considérable à une organisation qui torture ses prisonniers quand elle les interroge.

[16]  En ce qui concerne la taille de l’organisation, la Section d’appel des réfugiés a fait remarquer que 10 000 employés de la PNA ont travaillé dans le système carcéral et que le demandeur avait travaillé dans trois centres, dont un qui détenait des milliers de prisonniers. En ce qui concerne la nature de l’organisation, la Section d’appel des réfugiés fait remarquer que malgré le fait que le système carcéral servait un but légitime, les éléments de preuve documentaire indiquaient que les actes criminels étaient plus fréquents. La Section d’appel des réfugiés a conclu que bien que les prisons afghanes ne constituaient pas une organisation aux fins limitées et brutales, le degré de torture et de brutalité était assez élevé pendant la période pendant laquelle le demandeur y a travaillé, ce qui rend d’autant plus probable qu’il était au courant des desseins criminels de l’organisation et qu’il y contribuait.

[17]  La Section d’appel des réfugiés a également conclu que les tâches et activités du demandeur au sein de l’organisation indiquent qu’il [traduction] « jouait un rôle très important au sein de la structure de soutien bureaucratique et qu’il avait de nombreux contacts avec les prisonniers » (décision de la Section d’appel des réfugiés, au paragraphe 40). Sans soutien administratif, le système carcéral n’aurait pas pu interroger des prisonniers, pratique dans le cadre de laquelle la torture était employée.

[18]  La Section d’appel des réfugiés fait remarquer que le demandeur était un membre de la PNA qui a travaillé dans le système carcéral pendant 20 ans, sous deux régimes distincts qui ont tous deux fait l’usage de la torture pour interroger des prisonniers. La Section d’appel des réfugiés a aussi fait remarquer qu’il est indiqué dans la décision Ezokola que la durée de la période pendant laquelle le demandeur est demeuré au sein de l’organisation après avoir découvert qu’elle commettait des crimes contre l’humanité était particulièrement importante.

[19]  La Section d’appel des réfugiés a déterminé qu’il était fort probable, compte tenu de l’usage très répandu de la torture sous les deux régimes et de la nature des tâches du demandeur au sein du système carcéral, que le demandeur ait découvert assez tôt au cours de ses périodes d’emploi que la torture était employée. Après avoir examiné les éléments de preuve, la Section d’appel des réfugiés est arrivée à la conclusion que le témoignage du demandeur, selon lequel il n’avait aucune connaissance de l’emploi de la torture et qu’il l’aurait signalé s’il l’avait su, n’était pas crédible, fiable ou plausible. Le demandeur a aussi présenté un témoignage contradictoire en insistant sur le fait qu’il n’avait aucune connaissance de l’emploi de la torture et qu’il n’a jamais vu de signes indiquant que les prisonniers étaient mal traités puisqu’il n’avait jamais mis les pieds dans la prison et qu’il n’était entré en contact que très brièvement avec les prisonniers, malgré le fait qu’il a déclaré avoir rencontré des prisonniers après leurs interrogatoires et qu’il a mentionné qu’il critiquait le traitement illégal des prisonniers ainsi que leur traitement inégal au regard des visites, des coupes de cheveux permises et de l’accès aux médicaments. Un autre exemple de témoignage contradictoire, le demandeur a prétendu qu’il n’avait pas beaucoup d’ancienneté alors qu’il a également prétendu qu’il ne pouvait pas quitter son poste puisque son niveau d’expérience faisait qu’il était difficile de le remplacer.

[20]  Le dernier facteur examiné par la Section d’appel des réfugiés avant de se décider sur la contribution du demandeur aux crimes contre l’humanité était son grade au sein de l’organisation. La Section d’appel des réfugiés a conclu qu’il y avait la preuve que le demandeur avait plus de responsabilités au sein de l’organisation qu’il le prétendait et qu’il s’était élevé à un grade important au cours de sa carrière. Son ascension au sein de l’organisation dans les années 1980, le fait qu’il était la cible des talibans et le fait qu’il ne pouvait pas quitter son poste ou être transféré en raison de son niveau d’expérience corroborent la conclusion selon laquelle le demandeur était prisé, qu’il soutenait les pratiques de l’organisation, y compris la torture, et qu’il y a contribué de façon significative.

[21]  La Section d’appel des réfugiés a rejeté l’argument du demandeur selon lequel l’analyse de la Section de la protection des réfugiés était fondée sur la culpabilité par association, remarquant que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a déclaré que la responsabilité individuelle peut découler, entre autres, des cas où il y a aide et encouragement ou contribution à la perpétration d’un crime commis par un groupe ou, pour une personne en situation d’autorité au sein d’une hiérarchie civile ou militaire, pour sa responsabilité en tant que commandant ou supérieur hiérarchique. Dans le cas du demandeur, la Section d’appel des réfugiés est arrivée à la conclusion que son travail administratif et son rôle dans le transfert de prisonniers ne l’innocentaient pas puisque le soutien administratif qu’il a fourni avait permis de mener les interrogatoires et la torture de prisonniers.

[22]  La Section d’appel des réfugiés était d’accord avec la Section de la protection des réfugiés qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait volontairement contribué aux desseins criminels des prisons afghanes. Cette conclusion se fondait sur le fait que le demandeur s’était porté candidat pour un poste dans le système carcéral afghan à deux reprises, le fait qu’il avait accepté des promotions et le fait que, quand il avait demandé à se faire transférer, on lui avait répondu qu’il serait difficile de le remplacer en raison de son expérience. La Section d’appel des réfugiés n’a pas accordé beaucoup de poids aux observations du demandeur concernant les conséquences encourues en quittant son poste, comme l’emprisonnement, puisque sa famille n’avait pas été contactée par ses supérieurs ou le ministère de l’Intérieur suite à son départ. Par ailleurs, la Section d’appel des réfugiés a conclu qu’il était difficile de concilier la déclaration du demandeur selon laquelle il s’était seulement porté candidat au poste la deuxième fois afin d’éviter les conséquences résultant du fait qu’il avait choisi de retourner vivre sa vie en Afghanistan après avoir vécu dix ans au Pakistan.

[23]  Enfin, la Section d’appel des réfugiés a rejeté l’argument du demandeur selon lequel le ministre aurait conclu que le demandeur n’avait pas commis de crime contre l’humanité puisque le ministre n’avait pas donné suite à la procédure d’interdiction de territoire après l’avoir interrogé plusieurs fois sur le fondement que l’argument n’est pas convaincant. La Section d’appel des réfugiés a refusé d’émettre des hypothèses quant aux raisons pour lesquelles le ministre avait retiré sa demande visant à interdire le demandeur de territoire qu’il avait présentée à la Section de l’immigration et fait remarquer qu’elle n’était pas liée par les décisions prises par une partie dans une autre instance puisqu’elle était tenue de mener une évaluation indépendante fondée sur les éléments de preuve dont elle était saisie et d’arriver à ses propres conclusions.

III.  Discussion

A.  Questions en litige et norme de contrôle

[24]  La question à trancher en l’espèce est de savoir si la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur susceptible de contrôle quand elle a conclu, en se fondant sur l’ensemble des éléments de preuve dont elle était saisie, que le demandeur était complice de crimes contre l’humanité en tant que membre de la PNA travaillant dans le système carcéral afghan et qu’il est, par conséquent, exclu du régime de protection des réfugiés conformément aux effets combinés de l’article 98 de la Loi et de l’alinéa 1 Fa) de la Convention sur les réfugiés.

[25]  De façon générale, les décisions de la Section d’appel des réfugiés sont examinées en fonction de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, aux paragraphes 33 à 35); la même norme est appliquée dans les décisions d’interdiction de territoire (Ching c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 860 au paragraphe 31 [Ching]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Badriyah, 2016 CF 1002, au paragraphe 15).

[26]  La norme de la décision raisonnable est respectée lorsque la Cour est convaincue que la décision contestée appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Il est important de souligner que le rôle de la Cour dans l’appréciation du caractère raisonnable de la décision d’un décideur administratif n’est pas de réexaminer les éléments de preuve et substituer ses propres conclusions à celles du décideur (Moya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 315, au paragraphe 33; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Ali, 2016 CF 709, au paragraphe 46).

[27]  La question dont la Cour est saisie, donc, n’est pas de savoir si l’évaluation des éléments de preuve dont était saisie la SAR aurait dû mener à une issue différente. Cette question est sans importance (Canada (Citoyenneté et Immigration c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 67; Amri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 925, au paragraphe 4). La question est plutôt de savoir si la décision de la Section d’appel des réfugiés, lorsqu’elle est examinée dans son ensemble, appartient aux issues possibles acceptables.

[28]  J’ai conclu que c’était le cas.

B.  Cadre législatif

[29]  L’article 98 de la Loi stipule qu’une « personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention pour réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger ». La Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés ont conclu que le demandeur était une personne visée par l’alinéa 1 Fa) puisqu’elles étaient toutes deux convaincues qu’il y a des raisons sérieuses de penser qu’il a été complice de crimes contre l’humanité. L’alinéa 1 Fa) de la Convention sur les réfugiés énonce que :

Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a)  qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

[30]  Avant de conclure qu’une personne est complice d’un crime contre l’humanité, il doit y avoir des raisons sérieuses de penser qu’elle a volontairement et consciemment fait une contribution significative aux desseins criminels d’une organisation ou à une infraction à la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre (Ezokola, aux paragraphes 29, 77 et 84; Conception c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 544, aux paragraphes 9 à 15; Hadhiri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1284, au paragraphe 20). La simple association ou l’acquiescement passif ne suffisent pas pour conclure qu’il y a complicité (Ezokola, au paragraphe 53, voir aussi les paragraphes 70 à 77).

[31]  L’affaire Ezokola énonce les composantes clés des critères fondés sur la contribution utilisés pour déterminer s’il y a effectivement complicité aux crimes contre l’humanité (Ezokola, plus précisément aux paragraphes 84 à 100). Ces composantes sont 1) la contribution volontaire au crime ou au dessein criminel; 2) la contribution significative au crime ou au dessein criminel d’une organisation; et 3) la contribution consciente au crime ou au dessein criminel (Ezokola, aux paragraphes 86 à 90). La décision Ezokola énumère les différents facteurs permettant de déterminer si la conduite d’une personne correspond à l’actus reus et à la mens rea exigés pour qu’il y ait complicité (Ezokola, au paragraphe 91). Ces facteurs sont les suivants :

  • 1) la taille et la nature de l’organisation;

  • 2) la section de l’organisation à laquelle le demandeur d’asile était le plus directement associé;

  • 3) les fonctions et les activités du demandeur d’asile au sein de l’organisation;

  • 4) le poste ou le grade du demandeur d’asile au sein de l’organisation;

  • 5) la durée de l’appartenance du demandeur d’asile à l’organisation (surtout après qu’il a pris connaissance de ses crimes ou de ses activités criminelles); et

  • 6) le mode de recrutement du demandeur d’asile et la possibilité qu’il a eue ou non de quitter l’organisation.

[32]  Le fardeau de la preuve applicable dans ces affaires est de déterminer s’il y a « des raisons sérieuses de penser », une charge de présentation exigeant plus qu’une simple suspicion, mais moins qu’une prépondérance des probabilités (Ching, au paragraphe 34; Ezokola, au paragraphe 101). Cette charge de présentation incombe à la partie sollicitant l’exclusion du demandeur (Ezokola, au paragraphe 29).

C.  La décision de la Section d’appel des réfugiés était-elle raisonnable?

[33]  Le demandeur fait valoir deux points principaux pour appuyer sa prétention que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en concluant qu’il est une personne visée par l’alinéa 1 Fa) de la Convention sur les réfugiés.

[34]  Premièrement, le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur dans son analyse de la décision Ezokola en interprétant mal la définition de la complicité et en arrivant, de ce fait, à une conclusion de culpabilité par association. Le demandeur prétend que sa propre complicité n’était pas établie puisque rien ne prouve directement ou indirectement qu’il a volontairement et consciemment contribué de façon significative aux crimes commis au sein du système carcéral afghan.

[35]  Deuxièmement, le demandeur soutient que le ministre et ses fonctionnaires sont les véritables experts en matière d’interdiction de territoire, pas la Section d’appel des réfugiés. Par conséquent et compte tenu du fait que le ministre a retiré son renvoi du rapport établi en application de l’article 44 à la Section de l’immigration pour une enquête et du fait qu’il est inconcevable que le ministre retire son rapport s’il croyait que le demandeur était véritablement interdit de territoire, la Section d’appel des réfugiés aurait dû elle aussi arriver à la conclusion que le demandeur n’était pas interdit de territoire.

[36]  Ces arguments ne sont pas recevables.

1)  L’argument portant sur l’analyse de la décision Ezokola

a)  Contribution volontaire

[37]  Le demandeur prétend que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en arrivant à la conclusion qu’il avait volontairement contribué à la torture des prisonniers perpétrée par la PNA. Plus précisément, il prétend que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en arrivant à la conclusion que le fait que sa famille n’avait eu aucune nouvelle de ses superviseurs après qu’il s’est enfui supplante son témoignage dans lequel il a prétendu qu’il craignait les répercussions que lui réserveraient les autorités afghanes s’il décidait de quitter la PNA. Le demandeur prétend que ses supérieurs n’avaient pas réussi à contacter sa famille puisqu’elle avait déménagé après avoir reçu de nombreuses menaces par téléphone de la part des talibans.

[38]  Je ne souscris pas à l’analyse du demandeur de la conclusion de la Section d’appel des réfugiés sur la contribution volontaire. La Section d’appel des réfugiés était saisie d’éléments de preuve contradictoires : d’un côté, le demandeur a prétendu qu’il y avait des répercussions considérables pour les personnes qui décident de quitter la PNA pour un motif autre que la retraite. De l’autre côté, la famille du demandeur, qui a demeuré en Afghanistan, n’a pas été contactée par ses supérieurs ni par le ministère de l’Intérieur (décision de la Section d’appel des réfugiés, aux paragraphes 31 et 32). En ce qui concerne les contradictions dans les éléments de preuve dont elle était saisie, il appartenait à la Section d’appel des réfugiés de décider du poids à accorder à ces éléments de preuve; comme je l’ai mentionné précédemment, la déférence que la Cour doit à la Section d’appel des réfugiés dans un contrôle judiciaire lui interdit de soupeser de nouveau les éléments de preuve à moins que le poids qui leur a été accordé se révèle déraisonnable, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. De plus, contrairement aux prétentions du demandeur, les répercussions encourues en quittant la PNA ne constituent qu’un seul des facteurs que la Section d’appel des réfugiés a examiné avant de conclure que le demandeur avait contribué de façon volontaire.

[39]  Comme l’énonce clairement la Cour suprême du Canada dans la décision Ezokola, le fait de se joindre volontairement à une organisation avec des desseins criminels, la possibilité de quitter l’organisation, le fait de rester membre de l’organisation sur une longue période de temps, plus précisément après avoir découvert que l’organisation avait des desseins criminels et le fait d’être en position d’autorité ou de posséder un grade élevé au sein de l’organisation sont des facteurs qui favorisent la conclusion qu’il y avait contribution volontaire (Ezokola, aux paragraphes 97 à 99). En l’espèce, le demandeur a présenté sa candidature pour des postes au sein de la PNA à deux reprises, la deuxième fois après avoir vécu 10 ans à l’extérieur du pays. Il a travaillé dans le système carcéral afghan pendant plus de 24 ans, accepté des promotions au sein de la PNA, au point où il n’existe que quatre grades au-dessus de lui et s’est fait dire que son expérience faisait qu’il était difficile à remplacer. De plus, sa famille n’a été victime d’aucune répercussion depuis qu’il a soudainement cessé ses fonctions au cours de la formation aux États-Unis.

[40]  À mon avis et à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve versés au dossier, il était raisonnablement loisible à la Section d’appel des réfugiés de conclure qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait contribué volontairement à la torture des prisonniers perpétrée par la PNA.

b)  Contribution significative

[41]  Le demandeur soutient que ni le ministre, ni la Section de la protection des réfugiés et ni la Section d’appel des réfugiés n’a trouvé quoi que ce soit qui prouve qu’il ait contribué de façon significative à un crime contre l’humanité, en occurrence la torture, et il soutient, en s’appuyant sur des extraits de la décision de la Section d’appel des réfugiés, que la Section d’appel des réfugiés est arrivée à la conclusion que le demandeur était coupable par association. Le demandeur a également laissé entendre que la Section d’appel des réfugiés s’est appuyée sur de simples soupçons pour arriver à sa conclusion concernant ce facteur énoncé dans la décision Ezokola.

[42]  Encore une fois, je ne suis pas d’accord avec le demandeur. Pour déterminer s’il y avait des raisons sérieuses de conclure que le demandeur avait fait une contribution significative aux crimes contre l’humanité perpétrés par la PNA dans les prisons afghanes, la Section d’appel des réfugiés a procédé à une analyse large et détaillée des facteurs énumérés dans la décision Ezokola. L’évaluation par la Section d’appel des réfugiés de ces facteurs et la conclusion à laquelle elle est arrivée à leur égard étaient raisonnables et ne consistent pas en une conclusion déterminant que le demandeur est « coupable par association ». Par ailleurs, il n’y a rien dans la décision de la Section d’appel des réfugiés qui soutienne l’allégation du demandeur selon laquelle la Section d’appel des réfugiés a appliqué le mauvais fardeau de la preuve. Au contraire, la décision de la Section d’appel des réfugiés montre qu’il y a des raisons sérieuses de penser que le demandeur était complice de crimes contre l’humanité.

[43]  Dans sa décision, la Section d’appel des réfugiés a fourni une explication claire et bien étayée détaillant pourquoi la taille et la nature de la PNA au sein du système carcéral afghan favorisent la conclusion qu’il y a contribution significative de la part du demandeur : Dans la décision Ezokola, la Cour suprême du Canada nous amène à nous demander si l’organisation a participé à la fois à des activités légitimes et criminelles, ou si elle visait des fins limitées et brutales.

Si ses fins sont limitées et brutales, alors les chances qu’il y ait connaissance du dessein criminel et qu’il y ait participation à celui‑ci sont plus élevées. En l’espèce, le système carcéral montre qu’il touchait un peu à ces deux aspects. Cependant, la distinction ne se trouve dans aucun de ces extrêmes. Il existe une zone entre ces extrêmes. En l’espèce, le système carcéral s’engage bel et bien dans des activités légitimes; cependant, selon les éléments de preuve documentaire objectifs, les activités criminelles étaient toutes aussi fréquentes, sinon plus. Bien qu’il ne se limite peut-être pas à viser seulement des fins brutales, le degré de pratique de la torture et de fins brutales était extrêmement élevé dans les prisons en Afghanistan quand le demandeur y travaillait. Cela augmente effectivement les chances que l’appelant était au courant des desseins criminels de l’organisation et que sa conduite y a contribué.

(Décision de la Section d’appel des réfugiés, au paragraphe 39.)

[44]  Le demandeur soutient que c’est pour ces motifs que la Section d’appel des réfugiés est arrivée à une conclusion de complicité par association. Cependant, bien que ce facteur seul ne fournisse pas des motifs raisonnables de croire que le demandeur était complice de crimes contre l’humanité, ils contribuent certainement à en tirer une telle conclusion (Ezokola, au paragraphe 94). La conclusion de la Section d’appel des réfugiés sur l’importance de la contribution du demandeur est, à mon avis, tout à fait raisonnable, surtout conjuguée avec la période pendant laquelle le demandeur est resté au sein de l’organisation, plus précisément quand on tient compte du fait qu’il doit être au courant depuis le tout début de sa carrière dans le système carcéral afghan que la PNA recourt à la torture, ainsi que son grade, ses tâches et ses activités au sein de la PNA.

[45]  En déterminant quand, dans sa carrière de plus de 20 ans avec la PNA, le demandeur a découvert que l’organisation faisait l’usage de la torture, la Section d’appel des réfugiés a été confrontée à des contradictions entre la prévalence bien documentée de la torture dans le système carcéral afghan et le refus du demandeur d’admettre n’avoir jamais été témoin de personnes privées de liberté pour des raisons liées au conflit ou de preuve de torture. Encore une fois, il n’appartient pas à notre Cour de réexaminer les éléments de preuve dont était saisie la Section d’appel des réfugiés. En fait, il incombe à la Section d’appel des réfugiés de soupeser les éléments de preuve dont elle est saisie et à notre Cour de déterminer si sa conclusion était raisonnable. En l’espèce, la Section d’appel des réfugiés a fourni une explication claire et bien étayée détaillant comment elle a évalué les incohérences dans le témoignage du demandeur et comment elle a concilié son témoignage avec les éléments de preuve dont elle était saisie. La Section d’appel des réfugiés a conclu ce qui suit :

[traduction]

L’appelant n’a pas présenté d’éléments de preuve crédibles concernant le moment où il a appris que la torture était employée; à défaut de tels éléments de preuve, le décideur doit rendre sa décision en s’appuyant sur les éléments de preuve fiables portés à sa connaissance. Dans la présente affaire, la preuve concernant la fréquence des cas de torture, le moment de la participation de l’appelant et la nature de ses fonctions est telle que l’appelant doit en avoir pris connaissance peu de temps après son entrée en fonction dans les prisons où il a travaillé. Assurément, étant donné que, dans le cadre de ses fonctions, il rencontrait les détenus après leur interrogatoire, il est plus probable que le contraire qu’il a vu des signes de torture peu de temps après son entrée en fonction dans les différents établissements où il a travaillé.

(Décision de la Section d’appel des réfugiés, au paragraphe 50.)

[46]  Malgré l’évaluation claire, intelligible et bien étayée des facteurs contribuant à la conclusion que le demandeur était complice de crimes contre l’humanité perpétrés dans le système carcéral afghan qu’a faite la Section d’appel des réfugiés, le demandeur soutient que sa responsabilité individuelle n’a pas été établie et que la totalité de la décision de la Section d’appel des réfugiés est entachée par la culpabilité par association.

[47]  C’est inexact. D’abord, de par sa nature même, il n’est pas nécessaire pour une personne de commettre elle-même un crime pour qu’il y ait complicité. Il suffit qu’elle y ait contribué, directement ou dans le cadre de sa participation aux desseins criminels d’une organisation (Ezokola, aux paragraphes 7 et 8).

[48]  Ensuite, la Section d’appel des réfugiés a clairement abordé cet argument dans sa décision, expliquant que le demandeur a contribué au système carcéral afghan, un système qui fait l’usage de la torture pour interroger ses prisonniers, malgré le fait que le demandeur n’a pas personnellement torturé de prisonniers : Par ailleurs, son travail administratif, ses travaux d’écritures et son rôle dans le transfert des prisonniers n’innocentent pas l’appelant puisque le soutien administratif permettait aux interrogatoires et à la torture de se produire.

Il était dans les prisons elles-mêmes et, bien qu’il soutient qu’il n’a jamais visité les pavillons des cellules, il ne travaillait pas depuis un bureau central situé ailleurs. C’est lui qui s’occupait de la paperasse pour s’assurer que les appelants (sic) étaient tous présents à l’appel. Il questionnait les prisonniers lui-même. Il formait les nouveaux policiers. Il faisait transférer des prisonniers, parfois par avion. Il était à la tête de trois départements. Il était responsable du travail d’un personnel d’une taille considérable. Il a contribué de façon significative.

(Décision de la Section d’appel des réfugiés, au paragraphe 57.)

[49]  En se fondant sur les éléments de preuve dont était saisie la Section d’appel des réfugiés et sur son évaluation des facteurs énoncés dans la décision Ezokola, notamment le grade du demandeur, son rôle au sein du système carcéral afghan et son ancienneté, je me trouve incapable de conclure que la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle il y a des raisons sérieuses de penser que le demandeur a contribué significativement à un système qui emploie la torture pour interroger ses prisonniers n’appartient pas aux issues possibles acceptables.

c)  Contribution consciente

[50]  Le demandeur n’a pas prétendu que la Section d’appel des réfugiés avait commis une erreur en arrivant à la conclusion qu’il avait contribué consciemment aux crimes contre l’humanité, et il n’a pas non plus soutenu devant la Section d’appel des réfugiés que la SPR avait commis une erreur dans son évaluation de ce facteur. Le défendeur n’a pas abordé cette partie des critères énoncés dans la décision Ezokola du tout.

[51]  Malgré une évaluation sommaire de cette question par la Section d’appel des réfugiés, ses conclusions sont raisonnables. La Section d’appel des réfugiés a énoncé que le fait que le demandeur était au courant que la torture était utilisée dans le système carcéral afghan avait été abordé quand elle a examiné l’importance de sa contribution (décision de la Section d’appel des réfugiés au paragraphe 58). En se fondant sur les éléments de preuve documentaire et le fait que le travail du demandeur était important aux yeux de ses supérieurs, la Section d’appel des réfugiés est arrivée à la conclusion qu’il était assez probable que le demandeur était au courant de l’usage de la torture. J’aimerais faire remarquer que dans la décision Ezokola, la Cour suprême du Canada a expliqué que « [p]lus une personne se situe au sommet de la hiérarchie de l’organisation, plus elle est susceptible d’avoir connaissance de ses crimes et de son dessein criminel » et « peut, de fait, exercer un contrôle sur les auteurs d’actes criminels » (Ezokola, au paragraphe 97), ce qui soutient la conclusion de la Section d’appel des réfugiés, puisque le demandeur avait été promu plusieurs fois. Par ailleurs, le demandeur a travaillé dans le système carcéral afghan pendant plus de 20 ans, ce qui augmente les chances que le demandeur était au courant que les prisonniers se font torturer (Ezokola, au paragraphe 98).

[52]  En somme, je ne vois aucun motif d’intervenir dans l’analyse qu’a faite la Section d’appel des réfugiés de la décision Ezokola en l’espèce.

2)  La décision du ministre de ne pas renvoyer le dossier du demandeur à des fins d’enquête

[53]  Le demandeur critique le fait que la Section d’appel des réfugiés n’a accordé aucun poids au fait que le ministre a finalement choisi de ne pas renvoyer le rapport établi en application de l’article 44 à la Section de l’immigration aux fins d’enquête.

[54]  Il n’y a simplement aucun fondement à cet argument puisqu’absolument rien au dossier ne prouve que le ministre a retiré son renvoi à la Section de l’immigration parce qu’il était d’avis que son rapport établi en application de l’article 44 ne serait pas retenu devant la Section de l’immigration. Comme l’a indiqué la Section d’appel des réfugiés, une multitude de motifs pourraient justifier qu’il en soit ainsi et nous ne pouvons que spéculer sur la nature de ces motifs.

[55]  D’un autre côté, le dossier montre que le ministre est intervenu immédiatement dans les procédures devant la Section de la protection des réfugiés afin de présenter ses préoccupations concernant l’alinéa 1 Fa) (dossier certifié du tribunal, à la page 598). Il a fait la même chose devant la Section d’appel des réfugiés (dossier certifié du tribunal, à la page 1246). Ces actions semblent plutôt indiquer que le ministre était toujours de l’avis qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait été complice de crimes contre l’humanité en tant que membre de la PNA et qu’il devait par conséquent être exclu du régime de protection des réfugiés en application de la Convention sur les réfugiés et du régime de protection des réfugiés en application l’article 97 de la Loi.

[56]  Quoi qu’il en soit, il relevait de la compétence et de l’expertise de la Section d’appel des réfugiés, à titre de décideur administratif distinct et indépendant du ministre, de déterminer que le demandeur était exclu du régime de protection des réfugiés en application de l’alinéa 1 Fa) de la Convention sur les réfugiés. Elle n’était pas liée par la décision du ministre de ne pas renvoyer le rapport établi en application de l’article 44 à la Section de l’immigration, plus précisément compte tenu du fait que les motifs du ministre sont inconnus et du fait que le ministre a présenté ses préoccupations concernant la complicité du demandeur à des crimes contre l’humanité perpétrés par la PNA devant la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés.

[57]  Par conséquent, je ne vois aucun problème avec la façon dont la Section d’appel des réfugiés a traité cet argument.

[58]  La demande de contrôle judiciaire du demandeur sera rejetée.

[59]  Lors de l’audition de la présente demande, le demandeur a suggéré qu’il pourrait y avoir lieu de certifier une question sur le poids que la Section d’appel des réfugiés aurait dû accorder à la décision du ministre de retirer le renvoi du rapport établi en application de l’article 44 à la Section de l’immigration. Le demandeur n’a cependant jamais proposé la certification de cette question.

[60]  Dans tous les cas, je suis convaincu que cette question ne transcende pas l’intérêt des parties en litige, qu’elle ne porte pas sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale et qu’elle n’est pas déterminante quant à l’issue de l’appel (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, au paragraphe 9). En d’autres mots, l’affaire en espèce dépend des faits qui lui sont propres et ne se prête pas à la certification d’une question en vue d’un appel.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3911-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de février 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3911-17

 

INTITULÉ :

MOHAMMAD OMAR SARWARY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 février 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

Le 24 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Malvin Harding

 

Pour le demandeur

 

Brett J. Nash 

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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