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Date : 20180425


Dossier : IMM-3590-17

Référence : 2018 CF 448

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2018

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

SAHIL ARORA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire déposée par le demandeur, Sahil Arora, relativement à la décision d’un agent des visas de rejeter sa demande de permis de séjour temporaire.

[2]  M. Arora, un citoyen de l’Inde, est entré au Canada en 2013 muni d’un permis d’études. En décembre 2016, il a obtenu un diplôme en financement des entreprises au terme d’un programme de deux ans du Northern Alberta Institute of Technology. Il projetait de rester en Alberta et d’intégrer un programme de hautes études commerciales mais, le 5 octobre 2014, il a été impliqué dans un accident de voiture qui a compromis son statut d’immigration. Un piéton est décédé des suites de l’accident et M. Arora a été déclaré coupable d’une infraction criminelle de délit de fuite. Le 1er mai 2017, il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 12 mois. Après avoir purgé sa peine, M. Arora est retourné en Inde, où il se trouve actuellement.

[3]  Il a déposé une demande de permis de séjour temporaire pendant sa détention afin d’éviter d’être déclaré interdit de territoire et renvoyé du Canada. À ce moment, il envisageait de demeurer au Canada pour terminer ses études et poursuivre sa relation avec sa petite amie. Le 10 août 2017, l’agent des visas a rejeté la demande de permis de séjour temporaire de M. Arora, après avoir tiré la conclusion suivante :

[traduction]

DÉCISION Comme il a été dit précédemment, les objectifs de la demande de permis de séjour temporaire, tels qu’ils ont été formulés par le client et son avocat (que je résume et paraphrase ici), sont les suivants : – le maintien du statut de résident temporaire pendant la détention; – la suspension de la mesure de renvoi du Canada; – la possibilité d’acquérir de l’expérience de travail au Canada en vue de devenir un résident permanent; – la possibilité de vivre près de sa petite amie de longue date, que le demandeur a l’intention d’épouser. Après avoir examiné l’ensemble des allégations et des faits portés à ma connaissance, je suis d’avis que les circonstances ne justifient pas la délivrance d’un permis de séjour temporaire. Rien n’empêche le client de déposer une demande de permis de séjour temporaire à l’approche de sa mise en liberté ou après, que ce soit au Canada ou à l’étranger. Le client n’a aucun intérêt tangible à maintenir son statut de résident temporaire pendant sa détention puisqu’il sera de toute façon interdit de territoire pour criminalité et incapable de travailler dans l’intervalle, avec ou sans permis de séjour temporaire. Il ne pourra pas acquérir d’expérience de travail au Canada avant sa mise en liberté puisqu’il aurait besoin d’un permis de travail. On ne sait pas pour l’instant si le client et sa petite amie se marieront. Les demandes de permis de séjour temporaire et de permis de travail sont rejetées. Le client a été informé qu’il n’a aucun statut. Puisque le client est interdit de territoire au Canada, je ne recommande pas le rétablissement de son statut.

[4]  Toutes les questions que soulève M. Arora relativement à la décision se rapportent à la manière dont l’agent des visas a traité les éléments de preuve. La norme de contrôle applicable aux questions de cette nature est celle de la décision raisonnable. De fait, selon la jurisprudence applicable, le paragraphe 24(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) confère une grande discrétion à l’égard de la délivrance d’un permis de séjour temporaire, et la décision doit être « hautement irrégulière » pour justifier une intervention par contrôle judiciaire : voir Arif c Canada, 2016 CF 1149, au paragraphe 35. Cette interprétation est conforme au texte du paragraphe 24(1), selon lequel un étranger interdit de territoire peut obtenir un permis de séjour temporaire seulement si l’agent des visas estime que « les circonstances le justifient ». Par ailleurs, le pouvoir discrétionnaire de l’agent des visas est limité par l’intention du législateur de délivrer les permis de séjour temporaires avec circonspection, en assurant un certain contrôle législatif annuel : voir Farhat c Canada, 2006 CF 1275, au paragraphe 24.

[5]  M. Arora plaide que :

  • a) Les affirmations de l’agent des visas concernant la souffrance continue qu’ont infligée à la famille de la victime les tentatives de M. Arora pour dissimuler sa culpabilité sont pures conjectures.

  • b) L’agent des visas a formulé des conclusions contradictoires concernant les sommes investies par M. Arora et sa famille dans son éducation au Canada. Selon M. Arora, il était « illogique » de la part de l’agent de lui prêter l’intention de revenir au Canada à cause de son investissement et, parallèlement, de ne pas tenir compte de cet investissement parce que sa réussite scolaire était incertaine.

  • c) L’agent des visas s’est livré à un raisonnement confus pour justifier le peu de poids accordé aux nombreuses références positives concernant la réputation du demandeur.

  • d) L’agent a conclu déraisonnablement à l’incohérence des éléments de preuve liés à l’expression de remords.

  • e) L’agent des visas a commis une erreur en considérant qu’il était prématuré de la part de M. Arora de présenter une demande de permis de séjour temporaire pendant sa détention.

[6]  Je suis d’avis que les arguments susmentionnés n’ont aucune valeur en l’espèce : tous demanderaient à la Cour de réévaluer les éléments de preuve. Il est bien établi que ce n’est pas ce qui est demandé à la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Il lui est demandé de porter une attention respectueuse aux conclusions de fait du décideur et d’intervenir seulement si ces conclusions ne sont pas raisonnablement étayées par la totalité du dossier.

[7]  L’allégation voulant que l’agent des visas ait commis une erreur en supposant que les agissements de M. Arora ont été sources d’angoisse pour la famille de la victime n’est pas fondée. L’agent des visas pouvait raisonnablement être préoccupé par les multiples tentatives de M. Arora pour camoufler son crime. Notamment, il s’est tout de suite débarrassé de la voiture, il a menti à la police relativement à son implication dans l’accident et, ultimement, il a fui vers l’Inde. Il a fallu des mois avant qu’il consente à revenir au Canada pour répondre de ses actes. Il n’est certainement pas déraisonnable de présumer que ses supercheries et son irresponsabilité ont pu exacerber l’état d’angoisse de la famille de la victime.

[8]  L’argument de M. Arora concernant l’incohérence des conclusions sur l’importance de son investissement dans ses études est difficile à saisir. Un même élément de preuve peut étayer une inférence favorable pour une fin donnée et concourir à une inférence défavorable pour une autre. En l’espèce, l’agent des visas a observé que M. Arora souhaitait revenir au Canada entre autres pour continuer à faire fructifier son investissement dans ses études, pas uniquement pour soulager sa conscience. Il n’était nullement déraisonnable de conclure que diverses raisons motivaient M. Arora à vouloir revenir au Canada, d’autant plus que lui-même avait fait allusion à son souhait de poursuivre ses études au Canada et de retrouver sa petite amie dans sa demande de permis de séjour temporaire. Il n’était pas non plus déraisonnable de la part de l’agent des visas d’écarter ces facteurs d’attraction au motif qu’un permis de séjour temporaire n’était pas une garantie de réussite dans ses études ou dans ses affaires de cœur. Après tout, M. Arora n’avait pas d’engagement indéfectible à l’égard du Canada ou d’une relation romantique. Il convient de souligner sur ce dernier point que la petite amie de M. Arora n’a pas présenté d’élément de preuve à l’appui de sa demande.

[9]  L’agent des visas a accordé peu de valeur aux diverses références favorables de tierces parties sur la réputation du demandeur, en partie parce qu’elles avaient été produites à l’appui de son affaire criminelle. L’agent a tout de même admis ces descriptions favorables à peu près sans réserve. Il s’agit d’une démarche tout à fait conforme de l’évaluation de la preuve. Il ne fait aucun doute qu’une bonne réputation représente une condition préalable à l’obtention d’un permis de séjour temporaire. Cependant, ces références n’avaient pas beaucoup de poids si l’on considère que l’interdiction de territoire était le fruit d’événements très graves et qu’une série de mensonges avait aggravé la situation. Le comportement de M. Arora après l’accident a discrédité sa réputation prétendument sans taches, et il n’était pas déraisonnable de prendre à la légère les témoignages de tierces parties à cet égard. Il va de soi que l’agent des visas n’était aucunement tenu de les mentionner expressément.

[10]  Les doléances de M. Arora comme quoi l’agent des visas avait déraisonnablement écarté les éléments de preuve indiquant qu’il avait exprimé des remords sont tout aussi injustifiées. L’agent des visas a conclu que ces éléments de preuve étaient incohérents. Même si M. Arora a dit éprouver des remords, d’autres éléments de preuve indiquent qu’il s’est montré insensible au décès de la victime au cours des multiples interrogatoires de la police. Il a affirmé notamment que le décès de la victime était prédestiné, et il a fait un parallèle avec la maladie de son père. Dans le présent dossier, l’agent des visas pouvait raisonnablement accorder plus de poids aux éléments de preuve que la police a recueillis au fil de ses multiples discussions avec M. Arora. Aucune base juridique n’autorise la Cour à modifier la conclusion de crédibilité fondée sur la preuve.

[11]  M. Arora n’est pas non plus justifié de contester la conclusion de l’agent concernant la prématurité présumée de la demande. Il affirme ne pas bien comprendre les passages suivants de la décision :

[traduction] Rien n’empêche le client de déposer une demande de permis de séjour temporaire à l’approche de sa mise en liberté ou après, que ce soit au Canada ou à l’étranger. Le client n’a aucun intérêt tangible à maintenir son statut de résident temporaire pendant sa détention puisqu’il sera de toute façon interdit de territoire pour criminalité et incapable de travailler dans l’intervalle, avec ou sans permis de séjour temporaire. Il ne pourra pas acquérir d’expérience de travail au Canada avant sa mise en liberté puisqu’il aurait besoin d’un permis de travail.

[12]  Encore une fois, l’observation susmentionnée exprime une évidence. Elle fait intervenir à bon droit l’un des facteurs énoncés dans la ligne directrice OP 11, qui exige du décideur de déterminer si l’auteur d’une demande de permis de séjour temporaire a purgé sa peine criminelle. L’agent des visas ne dit pas que M. Arora n’a pas le droit de faire une demande de permis de séjour temporaire durant sa détention, mais bien qu’un permis de séjour temporaire ne lui serait d’aucune utilité avant sa mise en liberté. Il était évidemment loisible à M. Arora de soumettre une nouvelle demande à ce moment et il peut encore le faire aujourd’hui. Toute nouvelle demande sera bien sûr fondée sur la situation courante de M. Arora, y compris le fait qu’il a purgé sa peine d’emprisonnement.

[13]  En conclusion, je ne constate aucune erreur susceptible de révision dans la décision de l’agent des visas. J’estime au contraire qu’elle dénote une analyse réfléchie et fort élaborée de la preuve, qui a abouti à la conclusion que les arguments de M. Arora n’ont pas suffi pour lui valoir une mesure de redressement aussi extraordinaire. Par conséquent, la demande est rejetée.

[14]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et aucune question de portée générale n’est soulevée en l’espèce.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3590-17

LA COUR rejette la présente demande.

 « R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-3590-17

 

 

INTITULÉ :

SAHIL ARORA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 avril 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

Le 25 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Raj Sharma

Pour le demandeur

 

David Shiroky

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

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