Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180418


Dossier : T-1483-16

Référence : 2018 CF 413

Ottawa (Ontario), le 18 avril 2018

En présence de monsieur le juge Bell

Dossier : T-1483-16

ENTRE :

SERDY VIDEO II INC.

partie demanderesse

et

MINISTRE DU PATRIMOINE CANADIEN

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La présente est une demande de contrôle judiciaire de la décision prise au nom de la ministre du Patrimoine canadien [Ministre] et communiquée à la demanderesse, Serdy Vidéo II Inc. [Serdy], par une lettre en date du 12 août 2016 [Décision]. La Décision révoque le certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne [certificat de la partie A] émis en date du 30 octobre 2013 par la Ministre relativement à la production Villas de rêves, certificat par laquelle cette production était reconnue en tant que production cinématographique ou magnétoscopique canadienne donnant droit à un crédit d’impôt au sens de l’article 125.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) [LIR] et de l’article 1106 du Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., c. 945 [Règlement]. La Ministre a révoqué le certificat de la partie A au motif que Villas de rêves serait une « publicité », qui est une production exclue au sens du sous-alinéa 1106(1)b)(ix) du Règlement.

II.  Faits

[2]  Afin de favoriser la création de productions canadiennes et l’essor du secteur canadien du film et de la vidéo, le Canada offre des crédits d’impôt aux producteurs canadiens. Le crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne [CIPC], l’un de ces crédits d’impôt, permet d’obtenir un crédit d’impôt remboursable correspondant à 25% des coûts de main-d’œuvre admissibles pour une production admissible.

[3]  L’accès au CIPC est régi par l’article 125.4 de la LIR et l’article 1106 du Règlement. En vertu du sous-alinéa 125.4(3)a)(i) de la LIR, une société doit obtenir un certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne [certificat] avant de se qualifier pour le CIPC. Le certificat est délivré par la Ministre relativement à une production si la production est une « production cinématographique ou magnétoscopique canadienne » au sens du Règlement.

[4]  La définition de « production cinématographique ou magnétoscopique canadienne » énoncée par le Règlement prévoit que certains genres de productions ne sont pas des productions cinématographiques ou magnétoscopiques canadiennes. Ces productions exclues comprennent notamment les productions qui constituent « de la publicité ». Les productions exclues ne qualifient pas pour un certificat, et n’ont donc pas accès au CIPC.

[5]  L’article 125.4 de la LIR donne à la Ministre un pouvoir décisionnel relativement à l’émission du certificat, ainsi que le pouvoir de révoquer un tel certificat s’il s’avère que la production en question n’est pas une production cinématographique ou magnétoscopique canadienne. Il revient donc à la Ministre d’évaluer les critères d’admissibilité au CIPC. Sa détermination est effectuée sur la base des renseignements fournis par le producteur et sur la base de la recommandation du Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens [BCPAC], une unité du ministère du Patrimoine canadien qui administre le programme CIPC en partenariat avec l’Agence du revenu du Canada.

[6]  Les recommandations du BCPAC sont, quant à eux, formulées par des agents qui sont généralement la première ligne d’analyse et de communication avec les producteurs et dont la recommandation est ensuite révisée par un superviseur. Les agents sont appuyés par deux comités : le Comité consultatif, qui est composé d’analystes principaux du BCPAC et dont le mandat est de fournir de l’aide aux agents; et le Comité de conformité, qui est composé de gestionnaires et d’analystes principaux, dont le mandat est de réviser les dossiers.

[7]  Pour bénéficier du CIPC, les producteurs doivent faire demande de crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne au BCPAC afin d’obtenir du Ministre un certificat de la partie A, ainsi qu’un certificat d’achèvement [certificat de la partie B]. Le certificat de la partie A peut être obtenu avant qu’une production ne soit entreprise ou complétée, alors que le certificat de la partie B est seulement émis suite à l’achèvement de celle-ci, après que la Ministre ait pu procéder à son visionnement.

[8]  En 2013, Serdy a présenté une demande de crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne au BCPAC pour la production Villas de rêves en vue d’obtenir un certificat de la partie A [demande].

[9]  La demande décrivait la production Villas de rêves comme emmenant les téléspectateurs dans les Caraïbes à la recherche d’une oasis afin de faire des plus beaux rêves une réalité : de la Jamaïque aux îles Turquoises, en passant par Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Anguilla et les îles Vierges britanniques, les téléspectateurs découvriraient des villas somptueuses disponibles en location et auraient l’impression d’y vivre comme des rois.

[10]  En octobre 2013, le BCPAC a délivré un certificat de la partie A, confirmant que la production Villas de rêves est une production canadienne, selon l’information présentée, au sens de l’article 125.4 de la LIR et de l’article 1106 du Règlement. Le certificat comprenait une clause à l’effet qu’il était accordé sous condition suspensive que la demanderesse obtienne un certificat de la partie B.

[11]  Sur la base de ce certificat de la partie A, Serdy a tourné et produit la production Villas de rêves. Une fois la production achevée, Serdy a présenté, en 2014, une demande de crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne au BCPAC pour la production en vue d’obtenir un certificat de la partie B. Serdy a également transmis une copie DVD de la production pour visionnement par le BCPAC.

[12]  En avril 2015, l’agente responsable de l’étude du dossier a recommandé la certification de la production Villas de rêves sous la partie B. Conformément à la pratique usuelle, cette décision a été révisée par un superviseur. Après avoir visionné la production et avoir pris connaissance de la recommandation initiale de l’agente, le superviseur responsable a soulevé certains doutes quant à l’admissibilité de la production étant donné que celle-ci lui paraissait être de la publicité, un genre exclu par le Règlement.

[13]  Entre le 17 juin et le 9 juillet 2015, les membres du Comité consultatif du BCPAC se sont rencontrés et ont confirmé que la production en cause constituait de la publicité.

[14]  Le 25 juin 2015, le dossier a été porté à l’attention du Comité de conformité. Après avoir visionné la production, les membres du comité ont confirmé leur opinion que la production était de la publicité et qu’il s’agissait donc d’une production exclue des bénéfices du CIPC.

[15]  Le 2 décembre 2015, le BCPAC a envoyé à Serdy une lettre intitulée « Préavis de révocation » informant Serdy que son analyse du dossier avait révélé que la production Villas de rêves était une « publicité », qui est exclue au sens du sous-alinéa 1106(1)b)(ix) du Règlement. En annexe à la lettre, le BCPAC dénote les aspects problématiques des épisodes visionnés, notamment la présence à l’écran du logo des entreprises offrant les villas en location, et le niveau de détail offert par l’animatrice de l’émission quant aux caractéristiques et aux services offerts avec les villas, incluant des commentaires sur le prix de location raisonnable, ainsi que sur les services inclus dans le prix de location. Dans cette lettre, le BCPAC a invité Serdy à soumettre tout nouveau renseignement susceptible d’influer l’évaluation du dossier.

[16]  Le 26 janvier 2016, Serdy a transmis au BCPAC une réponse au préavis de refus dans laquelle elle a fait valoir que la société de production n’a perçu aucun gain monétaire de la part des propriétaires des villas présentées dans la série, et que la présence à l’écran des logos faisait partie d’une entente de commandite visant à donner de la visibilité aux entreprises de location. En échange, Serdy n’avait pas à débourser de frais pour les lieux de tournage. 

[17]  Le 18 février 2016, les membres du Comité de conformité se sont réunis afin d’évaluer le dossier. Le Comité de conformité a maintenu sa décision que la production était d’un genre exclu. Quatre mois plus tard, le Comité de conformité s’est réuni de nouveau et a confirmé sa position à l’égard de l’admissibilité de la production. La recommandation finale du BCPAC a ensuite été transmise à la Ministre le 10 août 2016, et cette dernière l’a acceptée. En conséquence, le BCPAC a, le 12 août 2016, envoyé une lettre pour et au nom de la Ministre a Serdy intitulée « Avis de révocation » pour aviser Serdy que la production Villas de rêves était une production exclue au sens du sous-alinéa 1106(1)b)(ix) du Règlement et que le certificat de la partie A émis pour cette production était dorénavant révoqué. C’est cette Décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

III.  Décision

[18]  La Décision prétend que Villas de rêves est une « publicité », une production exclue au sens du sous-alinéa 1106(1)b)(ix) du Règlement. Elle prétend que chacun des épisodes de Villas de rêves qui avaient été soumis au BCPAC pour visionnement est composé entièrement d’images vidéo faisant la promotion d’une destination-vacance particulière, avec tout ce que l’endroit pourrait offrir aux vacanciers durant leur séjour, et que l’objectif principal de la production est donc de faire la promotion de biens, services ou activités offerts par les différentes destinations touristiques. Ainsi, la production possède toutes les caractéristiques d’une infopublicité; les éléments visant la vente ou la promotion des services des stations balnéaires forment un ensemble presque indiscernable avec le contenu informationnel de la production. Pour conclure ainsi, la Décision se fonde sur la définition d’une « publicité » dans les Lignes directrices du Programme du CIPC, publiées le 2 avril 2012 par le BCPAC conformément au paragraphe 125.4(7) de la LIR [Lignes directrices].

[19]  La Décision précise : « Ainsi, toute production qui, comme VILLAS DE RÊVE (I), offre i) une description détaillée de services, activités ou produits d’un fournisseur quelconque, ii) une description détaillée des principales caractéristiques des services, activités ou produits du fournisseur en question et iii) des commentaires élogieux à l’égard de ces services, activités ou produits d’un tel fournisseur, est considérée par le BCPAC comme une production étant de la nature d’une « publicité », un genre inéligible au CIPC. Cette caractérisation est […] fondée sur les caractéristiques intrinsèques de la production telles qu’elles sont constatées, généralement lors du visionnement des épisodes soumis par le producteur ».

IV.  Dispositions pertinentes

[20]  La disposition pertinente de la LIR est l’article 125.4, notamment les paragraphes (1), (3), (6) et (7). La disposition pertinente du Règlement est l’article 1106, notamment les paragraphes (1) et (4). Enfin, la définition de « publicité » qui est prévue à la page 56 des Lignes directrices est pertinente. Ces dispositions figurent à l’annexe A.

V.  Questions en litige

[21]  Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, les parties soulèvent trois questions en litige, notamment :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable en l’instance?

  2. Est-ce-que les exigences d’équité procédurales ont été respectées?

  3. Est-ce-que la Décision de la Ministre est raisonnable?

VI.  Analyse

A.  Question préliminaire sur l’admissibilité de la preuve

[22]  Avant de passer à l’analyse des questions susmentionnées, il importe de considérer la requête préliminaire de la défenderesse. Elle prétend que Serdy a déposé des éléments de preuve qui sont inadmissibles, car ils n’étaient pas devant la Ministre au moment où celle-ci a rendu la Décision ou sont non pertinents et renferment des opinions ou arguments. Elle demande que la Cour écarte cette preuve du dossier. Les éléments de preuve contestés comprennent, notamment :

  • L’affidavit de Maryse Rouillard et ses pièces; et

  • Les paragraphes 42-45, 50, 55-57 et 59-60 de l’affidavit de Sébastien Arsenault, signé le 20 octobre 2016, de même que les pièces au soutien de ces paragraphes : SA-13 et SA-15.

[23]  Dans l’affidavit de Maryse Rouillard et ses pièces, Mme Rouillard, la présidente d’une société de production qui n’est pas partie au dossier, dépose des DVD contenant des épisodes de productions autres que celle faisant l’objet de la présente demande, ainsi que des copies d’échanges qui ont eu cours avec le BCPAC relativement à ces productions dans le cadre de demandes de CIPC. Aux paragraphes 42-45, 50, 55-57 et 59-60 et aux pièces SA-13 et SA-15 de l’affidavit de Sébastien Arsenault, M. Arsenault, le président de Serdy, dépose différents éléments de preuve portant sur sa compréhension de la nature de la production Villas de rêves et sur sa compréhension des pratiques antérieures du BCPAC dans d’autres dossiers de CIPC, ainsi qu’une définition du dictionnaire et un avis public du BCPAC qui n’étaient pas devant la Ministre au moment où celle-ci a pris la Décision.

[24]  Il est de jurisprudence constante qu’une demande de contrôle judiciaire ne procède que sur la base du dossier de preuve dont disposait le décideur au moment de la Décision, sous réserve de certaines exceptions (Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22, [2012] A.C.F. no 93, paras 19-20). De plus, il est décidé que le traitement réservé à d’autres productions, ainsi que l’opinion du producteur quant aux similitudes entre sa production et une production certifiée, ne peut créer des attentes légitimes (Canada (Procureur général) c. Zone3-XXXVI Inc. 2016 CAF 242, [2016] A.C.F. no 1049 au para. 49 [Zone3]). Il est également décidé que la Cour peut radier des affidavits ou des parties de ceux-ci lorsqu’ils sont abusifs ou n’ont clairement aucune pertinence, lorsqu’ils renferment une opinion, des arguments ou des conclusions de droit (Sharma c. Chemin de fer Canadien Pacifique, 2016 CF 135, [2016] A.C.F. no 117 au para. 19).

[25]  En application de cette jurisprudence, j’ai conclu au début de l’audience que les pièces MR-1 et MR-4 de l’affidavit de Mme Rouillard seront écartés du dossier. Le reste de son affidavit est admissible, faisant l’historique du processus de contestation d’un préavis de révocation et de certaines circonstances dans lesquelles la Ministre, dans le passé, avait changé d’idée. En ce qui concerne l’affidavit de Sebastien Arsenault, j’ai écarté du dossier les paragraphes 42, 45, 56 et 60 puisque ces paragraphes contiennent de l’opinion ou de l’argumentation.

B.  La norme de contrôle

[26]  Les parties s’entendent sur les normes de contrôle applicables en l’espèce. En ce qui concerne les arguments de Serdy relatifs à l’équité procédurale, ceux-ci devraient être analysés en fonction de la norme de la décision correcte (Zone3 au para. 27).

[27]  La Décision de la Ministre relativement à la délivrance du certificat de production cinématographique ou magnétoscopique, quant à elle, doit se réviser sous la norme de contrôle de la décision raisonnable (Zone3 au para. 26). Ces décisions font intervenir des questions mixtes de fait et de droit. Le rôle du juge en contrôle judiciaire est donc d’évaluer la justification de la décision, ainsi que la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel; de s’assurer que la décision rendue fait partie des issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au para. 47).

C.  Est-ce que les exigences d’équité procédurales ont été respectées?

[28]  Dans l’arrêt Zone3, la Cour d’appel fédérale a établi qu’une décision de la Ministre relativement à la délivrance du certificat de production cinématographique ou magnétoscopique est de nature purement administrative, ne revêtant aucune des caractéristiques d’une procédure quasi-judiciaire (Zone3 au para. 44). De plus, l’intérêt en jeu est purement d’ordre économique (Zone3 au para. 44). Pour ces raisons, la Cour a conclu que les exigences d’équité procédurales sont minimes; la seule obligation d’équité qui incombe à la Ministre dans un contexte de demande de CIPC est de faire parvenir un préavis de refus et de donner la possibilité de fournir de l’information additionnelle susceptible de modifier l’évaluation de la demande (Zone3 au para. 46). Ces exigences ont été satisfaites.

[29]  Tel que mentionné précédemment, le BCPAC a fait parvenir à Serdy une lettre intitulée « Préavis de révocation » le 2 décembre 2015. Cette lettre informait Serdy que l’analyse de son dossier avait révélé que la production Villas de rêves était une « publicité », qui est exclue au sens du sous-alinéa 1106(1)b)(ix) du Règlement. En annexe à la lettre, le BCPAC a dénoté très spécifiquement les aspects problématiques des épisodes visionnés. Le BCPAC a invité Serdy à soumettre tout nouveau renseignement susceptible d’influer l’évaluation du dossier. La réponse a été transmise au BCPAC le 26 janvier 2016, et a été considérée par les membres du Comité de conformité lors de deux rencontres en date du 18 février 2016 et 29 juin 2016.

[30]  Même si j’ai déjà conclu que la Ministre a satisfait les exigences d’équité procédurale, je répondrai aux prétentions formulées par Serdy. Serdy prétend qu’elle avait une attente légitime quant à la certification de sa production en raison de l’émission du certificat partie A et du traitement réservé à d’autres productions. Par contre, l’octroi d’un certificat de la partie A ne garantit en rien l’octroi d’un certificat de la partie B. En fait, le certificat de la partie A comprend une condition suspensive explicitement énoncée qui exige que la production obtienne un certificat de la partie B après son achèvement. Prétendre que Serdy avait des attentes légitimes en raison de l’octroi du certificat de la partie A invaliderait entièrement le besoin pour cette deuxième étape après le visionnement de la production. En ce qui concerne les « attentes légitimes » provenant du traitement réservé à d’autres productions, la Cour d’appel fédérale a clairement dénoncé cet argument (Canada (Procureur général) c. Zone3-XXXVI Inc. 2016 CAF 242, [2016] A.C.F. no. 1049 au para. 49 [Zone3]).

[31]  Quoi qu’il en soit, la doctrine des attentes légitimes ne donne aucun droit à une décision particulière, car elle est reliée au processus décisionnel et non à la décision elle-même (Zone3 au para. 45). Elle sert à déterminer quelles procédures sont exigées par l’obligation d’équité procédurale, et non quelle décision devrait être rendue (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 174 D.L.R. (4e) 193 au para. 26).

[32]  Finalement, Serdy prétend que son droit à l’équité procédurale a été enfreint parce que le BCPAC a, en l’absence de toute justification et sans communication aux membres de l’industrie, dérogé de sa pratique antérieure quant à son interprétation du mot « publicité ». Serdy semble prendre le libellé du texte de la Décision pour dire que BCPAC a changé son interprétation du mot publicité. Avec respect, le BCPAC a simplement répondu aux prétentions antérieures de Serdy en utilisant les mêmes mots que Serdy dans ses prétentions. En dépit des mots adoptés, la Décision se fonde sur la définition de « publicité » énoncée par les Lignes directrices. Il n’y a pas eu une modification de critères sans avis aux membres de l’industrie.

[33]  En somme, les exigences d’équité procédurales minimes qui incombent à la Ministre dans le contexte d’une demande de CIPC ont été satisfaites. Il n’y a pas lieu d’accorder la demande de contrôle judiciaire pour raison de manquement au devoir d’équité procédurale.

D.  Est-ce que la Décision de la Ministre est raisonnable?

[34]  Tel que détaillé dans le préavis de révocation, ainsi que dans la Décision, chacun des épisodes de Villas de rêves qui avaient été soumis au BCPAC pour visionnement est composé entièrement d’images vidéo faisant la promotion de destinations-vacances, avec tout ce que l’endroit pourrait offrir aux vacanciers durant leur séjour. Ces images vidéo incluent la présence à l’écran du logo des entreprises offrant les villas en location pour leur offrir de la visibilité, conformément à une entente de commandite. Les images vidéo sont combinées à la narration d’une animatrice qui décrit les villas dans leurs moindres détails de façon élogieuse, allant jusqu’à commenter le prix de location raisonnable, ainsi que les services inclus dans le prix de location (entretien ménager, option de chef privé, etc.). J’estime donc qu’il soit raisonnable de conclure que la production est une « publicité » qui offre du divertissement ou de l’information combinés à la promotion de biens ou de services de manière presque indiscernable.

[35]  Serdy prétend que la Décision est déraisonnable, car l’interprétation de « publicité » retenue dans la Décision est incompatible avec le sens courant du terme, et donc avec la LIR et le Règlement. Tel qu’il appert de la LIR et du Règlement, c’est à la Ministre que le législateur a confié le rôle de définir les concepts importants à la définition de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne dans les Lignes directrices. La Ministre agit donc en droit en appliquant la définition énoncée dans les Lignes directrices pour déterminer ce qui est une production cinématographique ou magnétoscopique canadienne; ceci n’est pas incompatible avec la LIR et le Règlement. Or, je ne suis pas convaincue que l’interprétation adoptée soit incompatible avec le sens courant du terme. Certaines définitions, notamment celle du dictionnaire Larousse cité par le défenderesse, sont compatibles avec l’interprétation de « publicité » retenue dans la Décision.

[36]  Par ailleurs, l’interprétation du concept de « publicité » relève de l’expertise de la Ministre. Il n’est donc pas généralement à la Cour de s’ingérer pour faire appliquer une différente interprétation (Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650 au para. 104; Zone3 au para. 38).

[37]  Compte tenu de ce qui précède et après avoir visionné moi-même des épisodes de Villas de rêves pendant l’audience, je suis d’accord avec la défenderesse qu’il est manifeste que la Décision soit raisonnable. Il y a un fondement rationnel pour la Décision que Villas de rêves est une « publicité » exclue en vertu de la LIR et du Règlement. En fait, même en vertu de la définition de « publicité » que Serdy propose, notamment « la présence d’un commanditaire à qui bénéficie la publicité et qui paie pour cette dernière », sa production serait exclue. Serdy admet avoir une entente de commandite avec certains locateurs et leurs logos bénéficient de la visibilité que leur donne la production. La Décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il n’y a pas lieu d’accorder la demande de contrôle judiciaire.

VII.  Conclusion

[38]  Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens de 5 000,00 $, taxes et débours inclus, payable par la demanderesse en faveur de la défenderesse.

 


JUGEMENT dans T-1483-16

  LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens de 5 000,00 $, taxes et débours inclus, payable par la demanderesse en faveur de la défenderesse.

 

« B. Richard Bell »

Juge

 


ANNEXE A

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) :

Définitions

Definitions

125.4 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

125.4 (1) The definitions in this subsection apply in this section.

BLANK/EN BLANCH

[…]

BLANK/EN BLANC

Canadian film or video production has the meaning assigned by regulation. (production cinématographique ou magnétoscopique canadienne)

certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne Certificat délivré par le ministre du Patrimoine canadien relativement à une production et attestant qu’il s’agit d’une production cinématographique ou magnétoscopique canadienne relativement à laquelle ce ministre est convaincu que, sauf s’il s’agit d’une coproduction prévue par un accord, au sens du paragraphe 1106(3) du Règlement de l’impôt sur le revenu, une part acceptable des recettes provenant de l’exploitation de la production sur les marchés étrangers est retenue, selon les modalités d’une convention, par :

Canadian film or video production certificate means a certificate issued in respect of a production by the Minister of Canadian Heritage certifying that the production is a Canadian film or video production in respect of which that Minister is satisfied that, except where the production is a treaty co-production (as defined in subsection 1106(3) of the Income Tax Regulations), an acceptable share of revenues from the exploitation of the production in non-Canadian markets is, under the terms of any agreement, retained by

a) une société admissible qui est ou était propriétaire d’un intérêt ou, pour l’application du droit civil, d’un droit sur la production;

a) qualified corporation that owns or owned an interest in, or for civil law a right in, the production;

b) une société canadienne imposable visée par règlement qui est lié à la société admissible;

b) a prescribed taxable Canadian corporation related to the qualified corporation; or

c) toute combinaison de sociétés visées aux alinéas a) ou b). (Canadian film or video production certificate)

c) any combination of corporations described in paragraph (a) or (b). (certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne)

[…]

[…]

production cinématographique ou magnétoscopique canadienne S’entend au sens du Règlement de l’impôt sur le revenu. (Canadian film or video production)

BLANK/EN BLANC

[…]

BLANK/EN BLANC

Crédit d’impôt

Tax Credit

(3) La société qui est une société admissible pour une année d’imposition est réputée avoir payé, à la date d’exigibilité du solde qui lui est applicable pour l’année, un montant au titre de son impôt payable pour l’année en vertu de la présente partie égal à 25 % de sa dépense de main-d’oeuvre admissible pour l’année relativement à une production cinématographique ou magnétoscopique canadienne, si les conditions suivantes sont réunies

(3) Where

a) la société joint les documents suivants à la déclaration de revenu qu’elle produit pour l’année :

a) a qualified corporation for a taxation year files with its return of income for the year

i) le certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne délivré relativement à la production,

i. a Canadian film or video production certificate issued in respect of a Canadian film or video production of the corporation,

ii) un formulaire prescrit contenant les renseignements prescrits,

ii. a prescribed form containing prescribed information, and

iii) tout autre document visé par règlement relativement à la production;

iii. each other document prescribed in respect of the production, and

b) les principaux travaux de prise de vue ou d’enregistrement de la production ont commencé avant la fin de l’année.

b) the principal filming or taping of the production began before the end of the year,

BLANK/EN BLANC

the corporation is deemed to have paid on its balance-due day for the year an amount on account of its tax payable under this Part for the year equal to 25% of its qualified labour expenditure for the year in respect of the production.

Révocation d’un certificat

Revocation of certificate

(6) Si une omission ou un énoncé inexact a été fait en vue d’obtenir un certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne relativement à une production ou s’il ne s’agit pas d’une production cinématographique ou magnétoscopique canadienne, les règles ci-après s’appliquent :

(6) If an omission or incorrect statement was made for the purpose of obtaining a Canadian film or video production certificate in respect of a production, or if the production is not a Canadian film or video production,

  a) le ministre du Patrimoine canadien peut :

  a) the Minister of Canadian Heritage may

  i. soit révoquer le certificat,

  i. revoke the certificate, or

  ii. soit, si le certificat a été délivré relativement à des productions faisant partie d’une série télévisuelle à épisodes, révoquer le certificat relatif à un ou plusieurs épisodes de la série;

  ii. if the certificate was issued in respect of productions included in an episodic television series, revoke the certificate in respect of one or more episodes in the series;

  b) il est entendu que, pour l’application du présent article, les dépenses et le coût de production relatifs à des productions faisant partie d’une série télévisuelle à épisodes qui se rapportent à un épisode de la série relativement auquel un certificat a été révoqué ne sont pas attribuables à une production cinématographique ou magnétoscopique canadienne;

  b) for greater certainty, for the purposes of this section, the expenditures and cost of production in respect of productions included in an episodic television series that relate to an episode in the series in respect of which a certificate has been revoked are not attributable to a Canadian film or video production; and

  c) pour l’application du sous-alinéa (3)a)(i), le certificat révoqué est réputé ne jamais avoir été délivré.

  c) for the purpose of subparagraph (3)(a)(i), a certificate that has been revoked is deemed never to have been issued.

Lignes directrices

Guidelines

(7) Le ministre du Patrimoine canadien publie des lignes directrices sur les circonstances dans lesquelles les conditions énoncées dans la définition de certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne au paragraphe (1) sont remplies. Il est entendu que ces lignes directrices ne sont pas des textes réglementaires au sens de la Loi sur les textes réglementaires.

(7) The Minister of Canadian Heritage shall issue guidelines respecting the circumstances under which the conditions in the definition Canadian film or video production certificate in subsection (1) are satisfied. For greater certainty, those guidelines are not statutory instruments as defined in the Statutory Instruments Act.

Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., c. 945 :

Définitions

 

Interpretation

1106 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente section et à l’alinéa x) de la catégorie 10 de l’annexe II.

1106 (1) The following definitions apply in this Division and in paragraph (x) of Class 10 in Schedule II

[…]

[…]

production exclue Production cinématographique ou magnétoscopique d’une société canadienne imposable visée (appelée « société donnée » à la présente définition), qui, selon le cas :

excluded production means a film or video production, of a particular corporation that is a prescribed taxable Canadian corporation,

[…]

[…]

  b) est une production qui est, selon le cas :

  b) that is

[…]

[…]

  ix. de la publicité

  ix. advertising,

[…]

[…]

Production cinématographique ou magnétoscopique canadienne

Canadian Film or Video Production

(4) Sous réserve des paragraphes (6) à (9), pour l’application de l’article 125.4 de la Loi, de la présente partie et de l’annexe II, production cinématographique ou magnétoscopique canadienne s’entend d’une production cinématographique ou magnétoscopique, à l’exception d’une production exclue, d’une société canadienne imposable visée, à l’égard de laquelle le ministre du Patrimoine canadien a délivré un certificat (sauf un certificat qui a été révoqué en vertu du paragraphe 125.4(6) de la Loi) et qui, selon le cas :

(4) Subject to subsections (6) to (9), for the purposes of section 125.4 of the Act, this Part and Schedule II, Canadian film or video production means a film or video production, other than an excluded production, of a prescribed taxable Canadian corporation in respect of which the Minister of Canadian Heritage has issued a certificate (other than a certificate that has been revoked under subsection 125.4(6) of the Act) and that is

[…]

[…]

Lignes directrices du Programme du CIPC, publiées le 2 avril 2012 par le Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens :

Publicité : Une production qui comprend :

Advertising: A production which includes:

(a) Les messages publicitaires visant la vente ou la promotion de biens, de services, de ressources naturelles ou d’activités, y compris tout message qui mentionne ou montre dans une liste de prix, le nom de la personne qui fait la vente ou la promotion de ces biens, services, ressources naturelles ou activités (aussi « message publicitaire »).

(a) any commercial intended to sell or promote goods, services, natural resources or activities and includes an advertisement that mentions or displays in a list of prizes the name of the person selling or promoting these goods, services, natural resources or activities (also "commercial message");

(b) Les infopublicités, vidéos promotionnelles et d’entreprise dont la durée excède 12 minutes et qui offrent du divertissement ou de l’information combinés à la vente ou à la promotion de biens ou de services dans un ensemble presque indiscernable. Cela comprend les vidéos et les films, peu importe la durée, produits par des particuliers, des groupes et des entreprises aux fins de relations publiques, de recrutement, etc. La publicité désigne aussi les messages et les émissions publicitaires qui font la promotion d’une station, d’un réseau ou d’une émission, mais ne comprend pas :

(b) any infomercial, promotional, or corporate video program exceeding 12 minutes, which combines information and/or entertainment with the sale or promotion of goods or services into a virtually indistinguishable whole. This includes videos and films of any length produced by individuals, groups and businesses for public relations, recruitment, etc. Advertising also means any commercial message and programming that promotes a station, network or program, but does not include:

  (a) l’identification d’une station ou d’un réseau;

(a) a station or network identification;

  (b) l’annonce d’une prochaine émission durant un générique;

(b) the announcement of an upcoming program that is voiced over credits;

  (c) une émission composée exclusivement de petites annonces, si l’émission n’est diffusée qu’une fois pendant une journée de diffusion et si elle ne dure pas plus d’une heure;

(c) a program that consists exclusively of classified announcements, if the program is broadcast not more than once during a broadcast day and lasts not more than one hour; or

  (d) la promotion d’une émission canadienne ou d’un long métrage canadien, même si un commanditaire figure dans le titre de l’émission ou du film, ou figure à titre de commanditaire de l’émission ou du film, lorsque l’identification se limite au nom du commanditaire et qu’elle ne comprend aucune description, représentation ou caractéristique des produits ou des services du commanditaire.

(d) a promotion for a Canadian program or a Canadian feature film, notwithstanding that a sponsor is identified in the title of the program or the film or is identified as a sponsor of that program or that film, where the identification is limited to the name of the sponsor only and does not include a description, representation or attribute of the sponsor’s products or services.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1483-16

 

INTITULÉ :

SERDY VIDEO II INC. c MINISTRE DU PATRIMOINE CANADIEN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 décembre 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Me Alexandre Ajami

 

Pour la PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Nadine Dupuis

Pour lA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Miller Thomson

S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

Pour la PARTIE DEMANDERESSE

 

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour lA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.