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Date : 20180425


Dossier : IMM-2355-17

Référence : 2018 CF 446

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2018

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

WEI HUANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un agent d’exécution de la loi d’un bureau intérieur (l’agent) de l’Agence des services frontaliers du Canada refusant de reporter le renvoi du Canada du demandeur, Wei Huang, jusqu’à ce que le traitement de sa demande de parrainage à titre de conjoint soit terminé.

[2]  M. Huang et son épouse, Mme Wei Lin, sont les parents d’un enfant de six ans ayant la nationalité canadienne. M. Huang est un ressortissant chinois sans statut d’immigrant au Canada. Mme Lin est une résidente permanente du Canada. Les époux ont vécu ensemble pendant plusieurs années, mais ils n’étaient pas admissibles au parrainage à titre de conjoint jusqu’au 13 mars 2017. Ils ont déposé leur demande de parrainage le 21 avril 2017 et, à la date de l’audience de la présente demande, la demande était toujours en instance.

[3]  M. Huang est entré au Canada en 2003 à titre d’étudiant. En 2008, il s’est marié avec une citoyenne canadienne. Il s’agissait d’un mariage de convenance et, par conséquent, la demande de parrainage a été rejetée. Par la suite, M. Huang a fait l’objet d’un rapport pour fausses déclarations et, en 2010, une mesure d’exclusion a été prononcée contre lui. C’est à ce moment que M. Huang a commencé à fréquenter Mme Lin. Ils ont commencé à vivre ensemble en avril 2011, et leur enfant est né en décembre de la même année.

[4]  En décembre 2013, l’Agence des services frontaliers du Canada a avisé M. Huang qu’il serait renvoyé du Canada, et le consulat chinois a délivré les documents de voyage nécessaires le 20 avril 2017. Puis, il a reçu l’ordre de se présenter pour son renvoi le 29 mai 2017. Le 16 mai 2017, M. Huang a présenté une demande de report du renvoi, que l’agent a rejetée le 25 mai 2017. Le 27 mai 2017, la juge Elizabeth Heneghan a ordonné la suspension de la mesure de renvoi du Canada concernant M. Huang.

[5]  La demande de report du renvoi présentée par M. Huang était principalement fondée sur le principe de l’unité familiale et le préjudice qu’une longue séparation causerait à son jeune enfant. Il a demandé que le renvoi soit reporté jusqu’à ce que le traitement de sa demande de parrainage familial en suspens soit complété. Ainsi, la famille ne serait pas séparée et M. Huang pourrait prendre soin de l’enfant pendant que Mme Lin est au travail.

[6]  Le traitement de l’intérêt supérieur de l’enfant par l’agent se trouve dans le passage suivant de la décision relative au report :

[traduction]

Lorsque j’examine s’il a lieu de reporter votre renvoi prévu, je reconnais que le processus de renvoi est une expérience difficile, surtout lorsqu’il s’agit du renvoi du Canada d’un enfant ou de l’un de ses proches. Selon vos observations, je reconnais que vous avez un fils, Jonathan, né au Canada en décembre 2011. Votre avocate demande que vous soyez autorisé à demeurer au Canada dans l’intérêt supérieur de Jonathan. Il s’agit d’une question très importante qui nécessite un examen approfondi pour protéger son intérêt supérieur. Veuillez être conscient que l’étendue de mon pouvoir discrétionnaire est très limitée lorsqu’il s’agit d’examiner votre demande visant à obtenir le report de votre renvoi prévu. Lorsque j’ai recherché s’il y avait lieu de reporter votre renvoi compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant, j’ai examiné les observations présentées. À titre de citoyen canadien, Jonathan n’est pas susceptible de faire l’objet d’une mesure de renvoi aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Il peut se déplacer librement au Canada et en direction du Canada; il a aussi droit de recevoir des soins de santé et une éducation financés par les fonds publics.

Rien n’indique que Jonathan vous accompagnera lors de votre retour en Chine. Il est fort probable qu’il demeurera au Canada sous la garde de sa mère, votre épouse, qui est une résidente permanente du Canada. J’ai examiné les renseignements présentés concernant les difficultés que votre épouse et votre enfant pourraient rencontrer du fait de votre renvoi imminent. Vous n’avez pas présenté d’éléments de preuve pour démontrer que votre épouse serait incapable de demander de l’aide ou réticente à le faire, au besoin, afin d’atténuer les difficultés découlant de votre renvoi du Canada. Les éléments de preuve que vous avez présentés indiquent que votre épouse occupe actuellement un emploi et que vous avez également reçu une aide financière de votre famille en Chine. Vous n’avez présenté aucun élément de preuve pour démontrer que vous ne serez peut-être pas en mesure d’aider financièrement votre famille au Canada après l’exécution de la mesure de renvoi vous concernant. Je ne crois pas que vous ayez présenté des observations convaincantes démontrant que l’exécution de la mesure de renvoi vous concernant entraînera une séparation irréparable et permanente de votre famille au Canada, laquelle peut seulement être atténuée par le report de votre renvoi, comme vous l’avez demandé.

[7]  En l’espèce, je ne suis pas convaincu que l’analyse ci-dessus a permis d’examiner adéquatement les éléments de preuve portant sur l’intérêt supérieur de l’enfant. La longue séparation probable entre M. Huang et son enfant en bas âge ne peut être raisonnablement décrite, en l’espèce, comme étant habituelle ou banale. Je reconnais que M. Huang aurait pu présenter des arguments plus solides concernant les difficultés financières et relatives aux soins de l’enfant auxquelles sa famille serait confrontée advenant son renvoi. Cependant, il a présenté des éléments de preuve selon lesquels la famille survivait grâce au revenu modeste de Mme Lin, en plus de rembourser un prêt hypothécaire assez élevé. M. Huang prenait aussi soin de l’enfant pendant que Mme Lin travaillait.

[8]  La suggestion dans la décision de l’agent selon laquelle le seuil relatif à l’intérêt supérieur de l’enfant ne peut être satisfait que si des éléments de preuve convaincants démontrent qu’une « séparation causerait des torts irréparables et permanents » dépasse largement le fardeau de preuve qui incombe au demandeur. Il ne fait aucun doute que la séparation serait longue et, par conséquent, préjudiciable au développement de l’enfant. La longue séparation entre un parent et son enfant en bas âge exige un examen beaucoup plus nuancé que celui de l’agent.

[9]  C’est une chose pour un agent chargé des renvois de limiter la portée de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant dans des circonstances où cet intérêt a été pleinement évalué à l’occasion d’un examen antérieur. C’est une tout autre chose de procéder à un examen de cet intérêt lorsqu’il n’a jamais fait l’objet d’une analyse avant la date proposée pour le renvoi d’un parent. Dans le second cas, l’examen doit être raisonnablement rigoureux. Il est essentiel que l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire serve à examiner avec soin la durée de la séparation probable et les difficultés financières et affectives attendues avec le temps. Je suis d’avis que l’examen réalisé en l’espèce était superficiel et inadéquat et, par conséquent, déraisonnable.

[10]  La décision est donc annulée.

[11]  Dans une lettre du 6 décembre 2017, l’avocate du demandeur a proposé les questions suivantes pour certification :

1)  La Cour fédérale peut-elle ordonner que le report soit accordé, comme demandé, en application de l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales?

2)  La Cour fédérale peut-elle accorder la mesure sollicitée dans la demande de report lorsqu’il est dans l’intérêt de la justice de le faire, par exemple, lorsque des questions importantes, comme l’intérêt supérieur de l’enfant touché par le renvoi, n’ont pas été examinées adéquatement et qu’elles peuvent être prises en compte seulement en accordant le report.

[12]  Compte tenu de l’issue de la présente demande, rien ne justifie la certification de ces questions.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2355-17

LA COUR ORDONNE que la décision faisant l’objet du présent contrôle soit annulée.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2355-17

 

INTITULÉ :

WEI HUANG c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 DÉCEMBRE 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 AVRIL 2018

 

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Amy King

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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