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Date : 20180425


Dossier : IMM-5393-16

Référence : 2018 CF 449

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2018

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

QIAN LIU SONG

YI RAN ZHANG

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’instance

[1]  Les demanderesses, Qian Liu Song (mère) et sa fille Yi Ran Zhang (fille), sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de l’agent principal d’immigration D. Takhar (l’agent), qui a rejeté leur demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) en vertu de l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), le 12 octobre 2016 (la décision).

[2]  Les demanderesses allèguent que l’agent a évalué de manière déraisonnable les risques auxquels elles seraient exposées en Chine à titre de chrétiennes pratiquantes, étant donné la répression menée contre les églises indépendantes en Chine depuis que leur demande d’asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés. Elles allèguent également que l’agent a omis de manière inappropriée de leur offrir une audience.

[3]  Les demanderesses demandent que la décision soit annulée et qu’une décision favorable soit rendue ou que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

II.  Exposé des faits

[4]  Les demanderesses sont des citoyennes de la Chine qui ont habité à Shanghai. En 2009, la mère est devenue membre d’une maison-église après qu’un ami l’a encouragée à le faire. À la mi-2010, sa fille a également commencé à participer aux offices religieux offerts à la maison-église.

[5]  Les demanderesses allèguent que, le 19 juin 2011, le Bureau de la sécurité publique a effectué une descente lors d’une assemblée à la maison-église et qu’elles sont sorties par la porte arrière. Elles se sont cachées et ont appris par la suite que des agents du Bureau de la sécurité publique étaient allés chez elles pour les arrêter. Des agents du Bureau de la sécurité publique sont retournés par la suite chez elles et ont laissé une sommation. Après ces événements, les demanderesses ont engagé un passeur et sont arrivées au Canada, où elles ont présenté une demande d’asile.

III.  La décision de la Section de la protection des réfugiés

[6]  Le 30 septembre 2014, la Section de la protection des réfugiés a rejeté les demandes d’asile. Le tribunal n’a pas contesté le fait que les demanderesses étaient des chrétiennes légitimes, plus particulièrement des protestantes, qui fréquentaient une maison-église en Chine. Cependant, le tribunal a conclu que les demanderesses manquaient de crédibilité en ce qui concerne leurs allégations selon lesquelles le Bureau de la sécurité publique les recherchait, parce que leur témoignage sur la descente était limité et difficile à croire. Les demanderesses ont présenté une sommation d’arrestation et deux hukous à la Section de la protection des réfugiés, qui ont tous été jugés frauduleux. La Section de la protection des réfugiés a conclu également que leur témoignage à l’égard de leur départ de la Chine avec leurs propres passeports et des visas authentiques pour les États-Unis était incompatible avec le fait qu’il y avait un mandat d’arrestation contre elles en Chine.

[7]  Afin de décider si les demanderesses seraient persécutées à titre de membres d’une maison-église chrétienne si elles retournaient en Chine, la Section de la protection des réfugiés a examiné les éléments de preuve sur la situation régnant dans le pays. Elle a conclu qu’il y avait des persécutions au sein des maisons-églises protestantes en Chine, mais qu’elles étaient d’une nature générale. Les autorités chinoises ciblaient particulièrement les églises ayant des liens étroits avec l’Occident ou les églises évangéliques ou à grande échelle, ainsi que les personnes occupant des postes de direction au sein d’une église. La Section de la protection des réfugiés a souligné qu’à Shanghai, il y avait peu d’éléments de preuve indiquant que les petites maisons-églises étaient persécutées.

[8]  La Section de la protection des réfugiés a conclu qu’il n’y avait aucune possibilité sérieuse selon laquelle les demanderesses seraient persécutées en raison de leur appartenance à une petite maison-église protestante à Shanghai. Une revendication distincte présentée par la fille à l’égard de la contraception forcée en Chine a été également rejetée, mais n’a pas été présentée dans le cadre de la demande d’ERAR.

IV.  Les nouveaux éléments de preuve dans le cadre de la demande d’ERAR

[9]  Les demanderesses ont présenté une demande d’ERAR le 4 janvier 2016, et ont présenté de nouveaux éléments de preuve le 5 janvier 2016.

[10]  Le dossier du 4 janvier comprenait de brèves observations écrites, ainsi que des documents mis à jour sur les conditions du pays, qui provenaient de la Chine. Les documents sur les conditions du pays indiquaient qu’en 2015, les églises avaient fait l’objet d’une répression sérieuse; plusieurs églises avaient été fermées au motif qu’elles affichaient des croix de manière illégale. Plusieurs arrestations avaient également eu lieu.

[11]  Le dossier du 5 janvier comprenait un [traduction] « certificat de mise en liberté d’un centre de détention » et un [traduction] « certificat médical de décès ». Selon la déclaration écrite de la mère dans la demande d’ERAR, le Bureau de la sécurité publique s’était rendu chez elle plusieurs fois pour harceler son mari. Le 28 août 2015, des agents du Bureau de la sécurité publique ont interrogé son mari et sa mère (grand-mère) au sujet de l’endroit où elle se trouvait, ils ont fouillé les poches du mari et ont trouvé un téléphone qui contenait des messages instantanés de la mère.

[12]  Par conséquent, le Bureau de la sécurité publique a arrêté le mari soupçonnant qu’il avait aidé les demanderesses à fuir le pays. La grand-mère était si traumatisée par l’arrestation, qu’elle a eu une hémorragie cérébrale et elle est décédée le 9 septembre 2015. Le mari a été mis en liberté le 11 septembre 2015 et on lui a ordonné de coopérer et de faire en sorte que les demanderesses rentrent en Chine.

[13]  Les demanderesses ont présenté également une lettre mise à jour de l’église Living Stone Assembly à Scarborough (Ontario), confirmant leur fréquentation continue de l’église depuis leur arrivée au Canada en 2012.

V.  La décision relative à l’ERAR

[14]  L’agent a examiné l’arrestation de 2015 du mari de la mère, mais a conclu que la raison pour laquelle il avait été arrêté quatre ans et demi après qu’elle est partie de la Chine pour venir au Canada n’était pas claire. Le mandat d’arrestation indiquait que le motif était [traduction] « cacher une criminelle et l’aider à s’échapper », ce que l’agent a considéré comme insuffisant pour établir un lien avec une crainte prospective pour les demanderesses. Le certificat de mise en liberté a été examiné, mais il n’y avait aucun renseignement en ce qui concerne la façon dont il avait été reçu et ses origines n’ont pas pu être confirmées.

[15]  L’agent a accepté le fait que la grand-mère était décédée, mais il a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour corroborer la revendication selon laquelle son décès était lié à l’arrestation du mari.

[16]  En ce qui concerne la lettre de l’église Living Stone Assembly, l’agent a conclu que les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour indiquer que les autorités chinoises avaient connaissance de la participation des demanderesses à des activités religieuses au Canada ou que ces activités étaient susceptibles d’être portées à leur attention.

[17]  Après avoir examiné les documents portant sur la situation de la Chine, l’agent a admis qu’une campagne contre les chrétiens, qui ciblait les maisons-églises et les églises du gouvernement, avait lieu. Il a également fait remarquer que les éléments de preuve montraient [traduction] « une augmentation des persécutions sanctionnées par le gouvernement [sic] contre les pratiquants religieux et les avocats spécialisés en droits de la personne ». À partir de là, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour indiquer que les demanderesses seraient assujetties à des persécutions, puisqu’elles ne correspondaient pas au profil de pratiquantes religieuses ou d’avocates spécialisées en droits de la personne et ne seraient pas considérées comme ayant un tel profil.

[18]  L’agent a conclu également que les documents montraient que les communautés religieuses utilisaient de plus en plus la règle de droit et les procédures administratives afin de défendre leurs droits, et utilisaient les médias sociaux pour exposer les abus et la privation de la liberté religieuse.

[19]  Plus précisément en ce qui concerne les maisons-églises, l’agent a conclu que les éléments de preuve indiquaient qu’il y avait plusieurs facteurs, lesquels sont énumérés dans la décision, qui exercent une influence sur la façon dont ces églises et leurs membres sont traités par le gouvernement.

[20]  En citant le rapport de 2014 de China Aid présenté par les demanderesses, l’agent a souligné que la déclaration selon laquelle les persécutions du gouvernement chinois contre les maisons-églises étaient particulièrement graves dans les régions du nord, du nord-ouest, du sud et du sud-ouest de la Chine. L’agent a également cité le Country Information and Guidance Report [rapport d’orientation et d’information] du Royaume‑Uni de 2016 sur les chrétiens en Chine (le rapport du Royaume-Uni de 2016), qui déclare ce qui suit :

[traduction]

En général, le traitement que subissent les chrétiens en Chine, y compris ceux qui pratiquent leur religion dans une église non enregistrée, est peu susceptible d’équivaloir à de la persécution. La jurisprudence du début de l’année 2014 établissait qu’en général, le risque de persécution de chrétiens exprimant leur foi en Chine est très faible. Il peut y avoir un risque de persécution ou de préjudices graves pour les évêques dissidents ou pour certains chrétiens qui choisissent de pratiquer leur foi dans des églises non enregistrées et de se comporter de telle sorte qu’ils attirent l’attention des autorités locales sur eux ou sur leurs idées politiques, sociales ou culturelles.

[21]  L’agent a reconnu que certains chrétiens des maisons-églises peuvent faire face à de très mauvais traitements, mais il a souligné que ce ne sont pas toutes ces personnes faisant face à des risques qui seraient admissibles en vertu de l’article 96 ou 97 de la LIPR.

[22]  Finalement, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour indiquer que le Bureau de la sécurité publique s’intéresserait aux demanderesses si elles devaient retourner en Chine.

VI.  Questions en litige et norme de contrôle

[23]  Les demanderesses ont soulevé deux questions :

  1. L’agent a-t-il commis une erreur dans l’évaluation du risque auquel sont exposées les demanderesses?

  2. L’agent a-t-il commis une erreur en omettant de décider si une audience était requise?

[24]  L’évaluation effectuée par l’agent concernant le risque auquel les demanderesses sont exposées implique des conclusions de fait et des conclusions mixtes de fait et de droit où la question juridique ne peut pas aisément être dissociée. Elle est donc susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

[25]  Une décision est raisonnable si le processus décisionnel est justifié, transparent et intelligible, et si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir, au paragraphe 47.

[26]  Si les motifs, lorsque lus dans leur ensemble, « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables, les motifs répondent alors aux critères établis dans Dunsmuir » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708.

[27]  La norme de contrôle applicable à la question de savoir si l’agent chargé de l’ERAR aurait dû tenir une audience suit deux voies distinctes au sein de la Cour. Certains membres de la Cour croient que la norme de contrôle est celle de la décision correcte sans aucune retenue envers l’agent, puisqu’il s’agit d’une question d’équité procédurale. D’autres membres de la Cour croient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, puisque la question de savoir s’il est nécessaire de tenir une audience est une question mixte de fait et de droit. Le juge Boswell a énoncé cette divergence dans Zmari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 132, aux paragraphes 11 et 12, 39 Imm LR (4th) 92.

[28]  Comme il sera expliqué plus loin dans ces motifs, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de prendre une décision d’une façon ou de l’autre concernant la norme de contrôle sur ce point. À mon avis, la décision de l’agent de ne pas tenir une audience était raisonnable et correcte.

VII.  Analyse

A.  L’agent a-t-il commis une erreur dans l’évaluation du risque auquel sont exposées les demanderesses?

1)  Observations des parties

[29]  L’argument principal présenté par les demanderesses est que l’agent a commis une erreur dans la conclusion selon laquelle les éléments de preuve documentaire ne reflétaient pas un niveau suffisant de risque pour les demanderesses. Ces dernières soutiennent que la situation de la Chine s’est détériorée après l’audience devant la Section de la protection des réfugiés au point que cela aurait eu une incidence sur la décision de la Section de la protection des réfugiés. L’agent aurait dû reconnaître ce changement et conclure que les demanderesses seraient exposées aux persécutions religieuses si elles retournaient en Chine.

[30]  Les demanderesses soutiennent particulièrement que l’agent a conclu de manière erronée qu’elles ne correspondent pas au profil de personnes assujetties à des persécutions sanctionnées par le gouvernement en raison de leur religion. L’agent a limité à tort ce profil à celui de [traduction] « pratiquantes religieuses et avocates spécialisées en droits de la personne » et il a ensuite défini de manière arbitraire le terme [traduction] « pratiquantes religieuses » comme étant des personnes qui ont suivi une formation et dont la profession est exercée au sein de l’Église. Les demanderesses soutiennent que les rapports de China Aid de 2015 et 2014 utilisent les termes [TRADUCTION] « pratiquant » et « adepte » de manière interchangeable, qui démontre clairement que la description des personnes persécutées n’est pas limitée aux professionnels de l’Église.

[31]  Les demanderesses soulignent que l’agent a mentionné le fait que les communautés religieuses utilisaient la règle de droit et les médias sociaux pour se défendre et faire prendre conscience des injustices. Elles indiquent que, plutôt que démontrer que ces communautés sont sécuritaires, ces éléments de preuve démontrent qu’elles sont exposées à des persécutions.

[32]  Les demanderesses soutiennent également qu’en concluant que le risque de persécution était faible, l’agent privilégiait les documents désuets de 2014 sur les conditions du pays aux documents plus récents. Les demanderesses ajoutent que le critère ne consiste pas à savoir si tous les chrétiens feraient face à des persécutions, mais plutôt si les demanderesses seraient personnellement persécutées.

[33]  Finalement, les demanderesses soutiennent que la lettre de l’église Living Stone Assembly montre que, peu importe si les autorités sont actuellement à leur recherche en Chine, la question consiste à savoir si elles ne seront pas capables de pratiquer leur religion librement et ouvertement si elles retournent en Chine.

[34]  Le défendeur soutient que l’agent a examiné les documents sur les conditions du pays de manière appropriée. Notamment, l’agent a appliqué plusieurs facteurs prévus dans les documents à titre d’indicateurs de la question de savoir si les membres de l’église sont susceptibles de subir de mauvais traitements. Les facteurs examinés incluent le profil de l’église fréquentée par les demanderesses, l’endroit où elle se trouve, la taille de sa congrégation, s’il y a eu participation à des activités intergouvernementales ou de l’activisme politique ou religieux, s’il y a eu des contacts ou implications à l’étranger, ainsi que les attitudes et préférences d’agents locaux.

[35]  Le défendeur souligne également que les demanderesses ont présenté essentiellement la même allégation de risque à l’agent que celle qui avait déjà été tranchée par la Section de la protection des réfugiés. L’agent a particulièrement souligné que la Section de la protection des réfugiés avait conclu que les demanderesses n’étaient pas recherchées par le Bureau de la sécurité publique et que les petites maisons protestantes ou églises familiales fonctionnaient librement et ouvertement à Shanghai, d’où les demanderesses sont originaires. Les nouveaux éléments de preuve présentés par les demanderesses afin de convaincre l’agent que le Bureau de la sécurité publique les recherchait étaient insuffisants.

[36]  La question pour l’agent n’était pas celle de savoir si les limites concernant la capacité des demanderesses de pratiquer leur religion librement seraient juridiquement acceptables au Canada. La question à trancher était celle de savoir si les demanderesses sont exposées à plus qu’à la seule possibilité de persécution en raison de leurs croyances, activités ou pratiques religieuses.

2)  L’évaluation du risque effectuée par l’agent était raisonnable.

[37]  Les demanderesses devaient présenter suffisamment d’éléments de preuve crédibles à l’agent afin de démontrer qu’il y aurait un nouveau risque prospectif personnalisé en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR si elles étaient renvoyées en Chine. Elles indiquent que les nouveaux documents sur les conditions du pays montrent l’existence de tels risques.

[38]  L’examen des documents sur les conditions du pays afin de déterminer la nature et la portée de tous les risques pour les demanderesses relève de l’expertise spécialisée de l’agent chargé de l’ERAR. L’analyse de l’agent doit faire preuve d’une grande retenue. À moins que l’agent ait omis de prendre en considération des facteurs pertinents ou qu’il ait tenu compte de facteurs non pertinents, l’appréciation des éléments de preuve effectuée par l’agent n’est normalement pas annulée : Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1385, au paragraphe 10; 58 Admin LR (4th) 283, conf. par 2007 CAF 385, 370 NR 344.

[39]  Les demanderesses ont déclaré que les persécutions de chrétiens en Chine étaient devenues de plus en plus graves. Afin de soutenir leur revendication, elles ont présenté le rapport annuel de 2014 de China Aid et un article daté du 11 décembre 2015 par le même groupe intitulé « China works to eradicate house churches, persecution increases ».

[40]  C’est le rapport annuel de 2014 de China Aid qui souligne le fait qu’un grand nombre de pratiquants religieux utilisent la règle de droit pour défendre leur droit à la liberté de religion. Le rapport indique que partout en Chine, des citoyens ont engagé des poursuites administratives, dont la plupart ont abouti. Compte tenu de cela, l’argument des demanderesses selon lequel l’utilisation de la règle de droit démontre l’existence des persécutions n’a aucun fondement.

[41]  Les demanderesses ont également présenté un article daté du 29 août 2015, publié par Christian Today, intitulé « Christian persecution in China mounts with an arrest of activists opposing Cross removal », qui mentionne l’arrestation de neuf chrétiens qui s’opposaient à la campagne du gouvernement visant à retirer les croix des églises.

[42]  L’agent s’est fondé sur la Réponse à la demande d’information (RDI) pour la Chine, dont la date est approximativement la même que celle du rapport annuel de 2014 de China Aid. La RDI incluait des renseignements du président de China Aid selon lesquels le traitement des groupes religieux non enregistrés par les autorités locales était varié, la majorité des églises non enregistrées étant tolérées par le gouvernement.

[43]  Le rapport de China Aid indique que plusieurs campagnes avaient été menées par le gouvernement de Chine et qu’elles visaient des pratiquants religieux chrétiens. Il semblerait que la répression visait les manifestations publiques visibles du christianisme et les responsables de haut niveau au sein de l’Église. Une de ces campagnes était intitulée « Three Rectification’s and One Demolition » ([traduction] « Trois rectifications et une démolition »). Elle ne ciblait pas les personnes. Les édifices pris pour cible étaient ceux pour lesquels le permis approprié n’avait pas été délivré ou ceux qui arboraient publiquement des croix. Cette campagne s’est déroulée dans la province voisine de celle de Shanghai. Les personnes mises en détention dans le cadre de cette campagne étaient des représentants de l’Église ou des membres qui s’opposaient à la démolition.

[44]  Il est également fait mention d’une répression des activités sectaires, qui ciblait les membres de quatorze sectes qui ont été déclarées illégales par le ministère de la Sécurité publique en 2000 et en 2005. La répression semble s’être concentrée sur les communautés de foi chrétienne hérétiques telles que les Crieurs, l’Église du Dieu tout-puissant et l’église Three Teams of Servants.

[45]  Rien n’indique que les services religieux protestants ordinaires dans une maison-église non enregistrée sont traités de la même façon que les services religieux dans les sectes ou les églises arborant des croix. La RDI indique que dans certaines provinces, les fonctionnaires locaux ne peuvent pas faire la distinction entre les groupes chrétiens et par conséquent ils peuvent indistinctement cibler les maisons-églises, mais les zones où cela a été signalé ne comprenaient pas Shanghai.

[46]  Une révision du dossier porté à la connaissance de l’agent montre qu’il y avait des renseignements suffisants provenant de sources crédibles dont l’agent pouvait tirer des conclusions raisonnables selon lesquelles les demanderesses ne seraient pas exposées à des risques en raison de leurs pratiques religieuses à titre de chrétiennes en Chine. Par exemple :

  • - des exemples de persécutions dans le rapport de China Aid font état de rassemblements ecclésiastiques extérieurs, publics ou importants plutôt que de petits rassemblements dans des maisons-églises;

  • - le rapport du Royaume-Uni de 2016 a conclu qu’en mars 2014, le risque de persécution auquel les chrétiens qui exprimaient et vivaient leur foi en Chine étaient exposés était très faible et, sur le plan statistique, pratiquement négligeable;

  • - le même rapport a conclu que, étant donné la grande diversité des réactions des fonctionnaires locaux face aux églises non enregistrées, les chrétiens qui étaient exposés à des risques dans leur région seraient capables de s’installer en toute sécurité dans un autre endroit en Chine.

[47]  Pour en arriver à la conclusion selon laquelle les demanderesses ne seraient pas exposées à des risques, l’agent a consulté les documents indépendants plus récents (particulièrement la RDI et le rapport du Royaume-Uni). La préférence de l’agent pour ces documents est raisonnable.

[48]  En examinant la question de savoir si une petite maison-église à Shanghai était susceptible d’être prise pour cible, l’agent a considéré également que les maisons-églises qui avaient été persécutées étaient situées dans les régions du nord, du nord-ouest, du sud ou du sud-ouest de la Chine. Shanghai se trouve à l’Est. C’est un facteur raisonnable que l’agent a apprécié.

[49]  Finalement, on ne sait pas quel document a été considéré comme [traduction] « désuet » par les demanderesses et le seul document de 2014 qui semble avoir été présenté à l’agent était un document présenté par les demanderesses. On ne peut pas reprocher à l’agent d’avoir examiné le document présenté par les demanderesses.

[50]  À mon avis, l’agent a effectué un examen raisonnable et approfondi des éléments de preuve et des arguments présentés par les demanderesses. En examinant le dossier dans son ensemble, y compris la décision prise par la Section de la protection des réfugiés, l’agent pouvait et a raisonnablement décidé que les demanderesses n’étaient exposées qu’à une seule possibilité de persécution et qu’elles ne seraient pas susceptibles d’être exposées à des risques de traitements ou peines cruels et inusités si elles étaient renvoyées à Shanghai.

[51]  Bien que les demanderesses ne soient pas d’accord avec l’importance accordée aux documents par l’agent, il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve, particulièrement étant donné l’expertise spécialisée que possède l’agent. L’agent a examiné les éléments de preuve présentés par les demanderesses, mais il a conclu de manière raisonnable qu’ils n’étaient pas assez importants pour permettre à la Section de la protection des réfugiés de tirer une conclusion différente.

B.  L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas une audience?

[52]  La décision de tenir ou non une audience, en vertu de l’alinéa 113b) de la LIPR, est régie par les facteurs prévus énoncés à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 :

Facteurs pour la tenue d’une audience

Hearing — prescribed factors

167 Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise:

167 For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

[53]  Ces trois facteurs doivent être satisfaits pour que l’agent tienne une audience. Si un de ces facteurs n’est pas rempli, il n’y a aucune obligation de tenir une audience : Cosgun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 400, au paragraphe 32, [2010] ACF no 458.

1)  Le certificat de détention et le certificat de décès

[54]  L’argument principal des demanderesses concernant le motif pour lequel une audience aurait dû être tenue est que les nouveaux éléments de preuve concernant l’arrestation du mari comme le montre le certificat de mise en liberté et le certificat de décès de la grand-mère corroborent leur récit selon laquelle le Bureau de la sécurité publique était à la recherche des demanderesses.

[55]  Les arguments dont l’agent chargé de l’ERAR était saisi ont été présentés la veille de la présentation des deux certificats et de la lettre mise à jour de l’église. Les arguments ne portaient pas sur les nouveaux éléments de preuve, mais la lettre qui les présentait déclarait qu’il s’agissait de nouveaux éléments de preuve concernant le risque et qu’ils se rapportaient à l’affaire initiale dont la Section de la protection des réfugiés était saisie, mais que les demanderesses n’étaient pas capables d’obtenir les documents avant que la décision ne soit rendue.

[56]  L’exposé circonstancié de la demande d’ERAR présenté par la mère mentionne l’arrestation du mari et le décès de la grand-mère à titre d’éléments de preuve démontrant que le Bureau de la sécurité publique n’a jamais arrêté de les rechercher.

2)  Analyse

[57]  La Section de la protection des réfugiés avait conclu initialement que le Bureau de la sécurité publique n’était pas à la recherche des demanderesses, parce que le témoignage des demanderesses était contradictoire et leurs documents étaient frauduleux.

[58]  Les deux certificats n’auraient pas pu réfuter la conclusion défavorable de la Section de la protection des réfugiés concernant la crédibilité et la conclusion selon laquelle le Bureau de la sécurité publique n’était pas à la recherche des demanderesses. La conclusion de l’agent selon laquelle les deux certificats étaient insuffisants pour modifier la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés était raisonnable. Au mieux, si les nouveaux éléments de preuve sont acceptés sans réserve, ils montrent seulement que le mari a été arrêté pour avoir aidé une [traduction] « criminelle » inconnue et non identifiée avant d’être remis en liberté et que la grand-mère est décédée. Dans les documents, aucun lien n’est établi avec les demanderesses personnellement ou avec le risque prospectif qu’elles encourent.

[59]  Les demanderesses soutiennent que l’agent n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve et que, pris ensemble, les documents, ainsi que les éléments de preuve présentés à la Section de la protection des réfugiés, appuient fortement leur demande.

[60]  Je ne suis pas d’accord. Selon moi, cet argument ne saurait être retenu. Il ne tient pas compte de la faiblesse des deux certificats. Plus important encore, il ne tient pas compte des conclusions solides défavorables rendues par la Section de la protection des réfugiés concernant la crédibilité. Pour pouvoir accepter que les deux certificats soient d’une telle importance qu’ils auraient permis à la Section de la protection des réfugiés d’arriver à une conclusion différente, on devrait annuler la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle le témoignage qu’elle a reçu était contradictoire et que les documents qui lui ont été présentés étaient frauduleux.

[61]  L’agent n’a commis aucune erreur en omettant de tenir une audience. Les éléments de preuve présentés par les demanderesses étaient insuffisants pour écarter la décision solide prise par la Section de la protection des réfugiés à l’égard de laquelle l’agent devait faire preuve de retenue. Dans le cadre d’une demande d’ERAR, la nouvelle preuve doit être « d’une telle importance qu’elle aurait permis de conclure différemment de la SPR » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, au paragraphe 47, [2016] 4 RCF 230.

VIII.  Conclusion

[62]  Pour les motifs qui précèdent, la décision de l’agent ne sera pas annulée. Elle répond aux critères dans Dunsmuir concernant la transparence, la justification et l’intelligibilité; le résultat appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[63]  La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[64]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et aucune question n’existe à l’égard de cette affaire très factuelle.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-5393-16

LA COUR rejette la présente demande. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de décembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-5393-16

 

 

INTITULÉ :

QIAN LIU SONG, YI RAN ZHANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 juin 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 25 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Jacqueline Lewis

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Alex C. Kam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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