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Date : 20180420


Dossier : T-1207-17

Référence : 2018 CF 433

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2018

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

GLENN FERGUSON

demandeur

et

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

ET LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES ET M. FRANKLIN

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande du contrôle judiciaire, en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP). La décision, rendue le 11 juillet 2017, a rejeté la plainte du demandeur contre son employeur, la Société canadienne des postes (la SCP) pour discrimination, par laquelle elle estimait qu’un examen de la plainte n’était pas justifié en application du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6) (la Loi).

[2]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.  Résumé des faits

[3]  Glenn Ferguson (le demandeur) était employé à la SCP et travaillait sous la supervision de M. Franklin (ensemble, la SCP et M. Franklin sont les défendeurs). Le demandeur a pris sa retraite le 20 juin 2016. Au cours de son emploi, il était membre du Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes et était régi par sa convention collective.

[4]  Le 6 septembre 2012, le médecin du demandeur, le Dr Kimelman, a rédigé une note qui indiquait que le demandeur souffrait d’une blessure chronique à l’épaule et ne pouvait plus assembler des dépliants, étant donné la nature répétitive du mouvement. Le 9 avril 2015, le même médecin a rédigé une note qui indiquait que le demandeur ne devrait pas continuer à être en contact avec son superviseur, M. Franklin, parce qu’il était [traduction] « en état de détresse liée au lieu de travail ».

[5]  Au 14 avril 2015, le demandeur n’était pas retourné au travail et on lui a accordé des prestations d’invalidité à court terme. Le demandeur soutient également qu’il a reçu d’autres médecins en avril 2015 et en août 2015 un diagnostic d’autres troubles. Dans le cadre du programme de gestion de l’invalidité à court terme, il était suivi par le Dr Mowchun, de l’unité d’évaluation et de traitement à court terme. Le 26 novembre 2015, le Dr Mowchun a écrit une lettre dans laquelle il indiquait que le demandeur [traduction] « ne devrait pas retourner à son emploi à Postes Canada en raison de son état de santé. » Aucune précision n’a été fournie dans les notes médicales, mais le demandeur dit souffrir d’un trouble de l’adaptation et de dépression majeure.

[6]  Le 9 mars 2015, le demandeur a déposé une plainte relative aux droits de la personne contre la SCP, invoquant la discrimination fondée sur la déficience. Le demandeur prétend qu’après avoir donné à M. Franklin la première note du médecin en septembre 2012, M. Franklin a commencé à faire la microgestion de son travail, lui apportant une attention non sollicitée et faisant des commentaires inappropriés à son égard.

[7]  En ce qui concerne le traitement différentiel prétendu dans la plainte, le demandeur souligne un incident précis lorsque M. Franklin a remarqué son état de détresse psychologique et lui a demandé s’il allait se renfermer sur lui-même encore une fois. Le demandeur s’est également plaint du fait que M. Franklin ne lui permettait pas de quitter son poste plus tôt lorsqu’il avait terminé son travail, alors que ses collègues bénéficiaient de cette possibilité. Le demandeur croit également qu’après avoir été affecté à un nouveau superviseur, en 2014, M. Franklin a exercé une influence négative sur son nouveau superviseur contre lui.

[8]  Le demandeur prétend que la SCP ne l’a pas aidé dans ses préoccupations concernant M. Franklin et n’a pas pris de mesures d’adaptation en conséquence.

[9]  La CCDP a nommé une enquêteuse qui s’est penchée sur les thèses des parties et qui a examiné tous les éléments de preuve documentaire, interrogé le demandeur, interrogé M. Franklin et d’autres employés et superviseurs. Le 17 mars 2017, la CCDP a terminé son enquête et a présenté son rapport d’enquête. Le rapport d’enquête a conclu que, bien que certaines des activités aient eu lieu, aucun élément de preuve n’indiquait qu’elles étaient à l’invalidité du demandeur étant donné que le superviseur traitait d’autres employés de la même manière. En ce qui concerne les déclarations du demandeur selon lesquelles la SCP n’a pas pris de mesures d’adaptation, la CCDP a conclu que les éléments de preuve n’étayent pas cette allégation, étant donné que plusieurs options d’adaptation ont été offertes au demandeur, qui les a rejetées. Les parties ont fait leurs observations concernant le rapport d’enquête.

[10]  Le 11 juillet 2017, la CCDP a rendu une décision qui rejetait la plainte en application du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi pour le motif que, compte tenu de toutes les circonstances, un examen plus approfondi n’était pas justifié.

III.  Dispositions applicables

44(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

44(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

[…]

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

[…]

IV.  Questions en litige

A.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

B.  La décision était-elle équitable sur le plan procédural?

C.  La décision était-elle raisonnable?

V.  Discussion

A.  Norme de contrôle

[11]  Le demandeur n’a présenté aucune observation à l’égard de la norme de contrôle.

[12]  Les défendeurs soutiennent que les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. (Ronald Phipps c Canada Post Corporation, 2015 CF 1080, au paragraphe 30).

[13]  Les défendeurs soutiennent également que le Parlement a voulu accorder à la CCDP une certaine liberté et un certain pouvoir discrétionnaire et que la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une retenue doit être accordée aux décisions de la CCDP liées à sa fonction d’examen préalable; citant Bell Canada c Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 CF 113, au paragraphe 38 :

La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l’exécution de sa fonction d’examen préalable au moment de la réception d’un rapport d’enquête. Les paragraphes 40(2) et 40(4), et les articles 41 et 44 regorgent d’expressions comme « à son avis », « devrait », « normalement ouverts », « pourrait avantageusement être instruite », « des circonstances », « estime indiqué dans les circonstances », qui ne laissent aucun doute quant à l’intention du législateur. Les motifs de renvoi à une autre autorité (paragraphe 44(2)), de renvoi au président du Comité du tribunal des droits de la personne (alinéa 44(3)a )) ou, carrément, de rejet (alinéa 44(3)b)) comportent, à divers degrés, des questions de fait, de droit et d’opinion (voir Latif c La Commission canadienne des droits de la personne (1979), [1980] 1 CF 687 (CF 1re inst), à la page 698, le juge Le Dain), mais on peut dire sans risque de se tromper qu’en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape.

[14]  Les défendeurs soutiennent de plus que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 57 et 62, a déclaré que, lorsque la norme de contrôle a déjà été décidée, l’analyse de la norme de contrôle n’a donc pas à être effectuée.

[15]  Les défendeurs soutiennent que la norme de contrôle de la décision raisonnable a déjà été énoncée dans les textes faisant autorité. Dans Lubaki c Banque de Montréal Groupe financier, 2014 CF 865, au paragraphe 37, la Cour fédérale a déclaré que la « décision de ne pas renvoyer une plainte à un tribunal est discrétionnaire et susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. » Dans Shaw c Gendarmerie royale canadienne, 2013 CF 711, au paragraphe 25, la Cour fédérale a déclaré qu’il « est établi que la décision de la Commission de rejeter une plainte est susceptible d’un contrôle judiciaire fondé sur la norme de la raisonnabilité. » Les deux arrêts traitaient de la décision de la CCDP de rejeter une plainte en application de l’alinéa 44(3)b)(i) de la Loi.

[16]  Je suis d’accord avec l’observation des défendeurs selon laquelle les questions d’équité procédurale doivent être décidées selon la norme de la décision correcte et que la décision de renvoyer ou non une plainte à un tribunal est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Les décisions présentées par les défendeurs établissent également que, dans l’ensemble, la norme de contrôle qui s’applique à la CCDP en application de l’alinéa 44(3)b)(i) de la Loi est la norme de la décision raisonnable.

B.  La décision était-elle équitable sur le plan procédural?

[17]  Le demandeur soutient que les exemples qui indiquaient les lacunes de l’enquête étaient nombreux, ce qui entraîne que le processus était injuste sur le plan procédural. Ces exemples sont abordés ci-dessous.

[18]  Les défendeurs soutiennent que la Cour examine les questions d’équité procédurale selon la norme de la décision correcte; toutefois, les défendeurs soutiennent qu’une retenue est accordée à la décision de l’enquêteuse quant à savoir s’il faut enquêter davantage. Les défendeurs soutiennent de plus que les procédures d’une enquête n’ont pas à être parfaites pour résister à un examen. S’appuyant sur les motifs de la décision du juge MacTavish dans Syndicat canadien des employés de la fonction publique (division du transport aérien) c Air Canada, 2013 CF 184, aux paragraphes 66 à 70, les défendeurs soutiennent que l’enquête a été rigoureuse et impartiale et que l’enquêteuse n’a pas omis d’examiner certains éléments de preuve importants :

[66]  Au sujet de ce qui constitue une « preuve manifestement importante », la Cour a déclaré que « “le critère [de la preuve] manifestement importante” exige qu’il soit évident pour n’importe quelle personne rationnelle que la preuve qui, selon le demandeur, aurait dû être examinée durant l’enquête était importante compte tenu des éléments allégués dans la plainte » (Gosal c Canada (Procureur général), 2011 CF 570, [2011] ACF no 1147, au paragraphe 54; Beauregard c Postes Canada, 2005 CF 1383, [2005] A.C.F. no 1676, au paragraphe 21).

[67]  L’exigence d’exhaustivité des enquêtes doit également être examinée en fonction des réalités administratives et financières de la Commission et de l’intérêt de la Commission « à préserver un système qui fonctionne et qui soit efficace sur le plan administratif » (Boahene‑Agbo c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] A.C.F. no 1611, 86 F.T.R. 101, aux paragraphes 79, citant la décision Slattery, précitée, au paragraphe 55).

[68]  Dans ce contexte, la jurisprudence a établi qu’il n’est pas nécessaire que les enquêtes de la Commission soient parfaites. Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a fait observer dans l’arrêt Tahmourpour c Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113, [2005] A.C.F. no 543, au paragraphe 39 :

Tout contrôle judiciaire d’une procédure de la Commission doit reconnaître que l’organisme est maître de son processus et doit lui laisser beaucoup de latitude dans la façon dont il mène ses enquêtes. Une enquête portant sur une plainte concernant les droits de la personne ne doit pas être astreinte à une norme de perfection. Il n’est pas nécessaire de remuer ciel et terre. Les ressources de la Commission sont limitées et son volume de travail est élevé. Celle-ci doit alors tenir compte des intérêts en jeu : ceux des plaignants à l’égard d’une enquête la plus complète possible et l’intérêt de la Commission à assurer l’efficacité du système sur le plan administratif.

[Renvois omis].

[69]  Suivant la jurisprudence, il est également possible de corriger certaines des lacunes de l’enquête en accordant aux parties le droit de formuler leurs observations au sujet du rapport d’enquête.

[70]  Par exemple, dans Slattery, la Cour a fait observer que lorsque, comme en l’espèce, elles ont eu la possibilité de présenter des observations en réponse au rapport de l’enquêteuse, les parties peuvent compenser les omissions moins graves en les portant à l’attention de la Commission. Par conséquent, « ce ne serait que lorsque les plaignants ne sont pas en mesure de corriger de telles omissions que le contrôle judiciaire devrait se justifier », ce qui comprendrait notamment « les cas où l’omission est de nature si fondamentale que le seul fait d’attirer l’attention du décideur sur l’omission ne suffit pas à y remédier. » L’intervention judiciaire peut également être justifiée en cas de « rejet explicite » d’une preuve de fond par la Commission (tous les passages précités sont tirés du paragraphe 57 de la décision Slattery).

1)  Entrevues téléphoniques

[19]  Le demandeur soutient que l’enquêteuse nommée, Mme Mcbride-Anderson (l’enquêteuse), a effectué des entrevues téléphoniques et n’a pas demandé aux participants de prêter serment ou d’affirmer solennellement. Le demandeur se demande comment l’enquêteuse a pu déterminer la crédibilité et l’honnêteté d’une personne par l’intermédiaire d’entrevues téléphoniques. Le demandeur soutient qu’au Tribunal canadien des droits de la personne, tous les témoignages doivent être assermentés et que, par conséquent, le non-respect de cette procédure à la commission constitue un manque d’équité procédurale.

[20]  Le demandeur soutient également que l’enquêteuse n’était pas une employée de la CCDP, mais un tiers consultant en ressources humaines, et que, par conséquent, elle n’avait pas le pouvoir d’effectuer l’enquête en application de la Loi.

[21]  Les défendeurs soutiennent qu’en vertu de l’article 43 de la Loi, la CCDP a le pouvoir de nommer une personne à titre d’enquêteuse et de faire enquête sur une plainte. Ces enquêteurs désignés ont le pouvoir et jouissent d’un pouvoir discrétionnaire sur le choix de la procédure et la manière dont ils effectuent la collecte de l’information :

43 (1) La Commission peut charger une personne, appelée, dans la présente loi,
« l’enquêteur », d’enquêter sur une plainte.

43 (1) The Commission may designate a person, in this Part referred to as an “investigator”, to investigate a complaint

[22]  Les défendeurs soutiennent en outre qu’il n’y a aucun élément de preuve selon lequel l’enquêteuse n’était pas l’enquêteuse de la CCDP ou que la manière dont elle a mené l’enquête devrait satisfaire à un critère différent de celui appliqué à un autre enquêteur nommé par la CCDP.

[23]  Je conclus que le processus utilisé par l’enquêteuse de la CCDP respectait l’équité procédurale. L’enquêteuse était dûment autorisée par la CCDP à effectuer l’enquête et la décision de l’enquêteuse de procéder à des entrevues au téléphone était appropriée et rigoureuse selon les faits. Le rapport d’enquête résume les éléments de preuve de chaque personne qui a été interrogée au téléphone et comprend des conclusions fondées sur une appréciation de ces éléments de preuve.

2)  La décision de ne pas interroger tous les témoins proposés

[24]  Le demandeur prétend que la SCP a inventé des problèmes concernant son rendement et, si l’enquêteuse avait interrogé tous les témoins proposés, cela aurait été mis en évidence. Le demandeur laisse entendre que certains des témoins qui n’ont pas été interrogés auraient pu donner la preuve de problèmes systémiques au sein de la SCP.

[25]  S’appuyant sur les motifs dans Slattery c Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 73 FTR 161, au paragraphe 49, le demandeur soutient que l’équité procédurale requiert que l’enquête sur les droits de la personne soit impartiale et rigoureuse. Le demandeur soutient que, selon les faits, l’enquête ne respecte pas ces critères.

[26]  Les défendeurs soutiennent que la décision de ne pas interroger des témoins additionnels ne constitue pas un problème d’équité procédurale. L’enquêteuse a interrogé huit personnes, y compris le demandeur. L’enquêteuse a indiqué dans le rapport qu’elle a décidé de ne pas interroger des témoins additionnels parce qu’ils n’ont pas observé directement les comportements allégués et qu’ils n’étaient pas, par conséquent, essentiels à l’enquête.

[27]  Dans Shaw c Gendarmerie royale canadienne, 2013 CF 711, aux paragraphes 32 et 33, le juge Heneghan a conclu que la décision de la CCDP de ne pas interroger des personnes proposées par le demandeur était raisonnable puisque ces personnes ne pouvaient pas fournir des éléments de preuve nouveaux et probants.

[28]  Les défendeurs soutiennent que l’enquêteuse a tenu compte de la préoccupation du demandeur à l’égard du fait qu’il n’avait jamais auparavant fait officiellement l’objet de mesures disciplinaires. Les défendeurs soutiennent de plus qu’il était raisonnable pour l’enquêteuse de ne pas poursuivre ses entrevues à ce stade-là, étant donné qu’elle a conclu que le comportement de M. Franklin envers le demandeur était le même que celui qu’il avait envers d’autres employés et que, par conséquent, ce n’était pas lié à sa déficience. Les défendeurs soutiennent que cela n’était pas une omission, mais un choix d’enquête que pouvait prendre librement l’enquêteuse, et qu’il n’y avait par conséquent aucune atteinte aux droits du demandeur en matière d’équité procédurale.

[29]  L’enquêteuse a limité ses entrevues aux personnes qu’elle considérait comme des témoins aux événements qui ont donné lieu à la plainte. Cela était également une approche raisonnable dans les circonstances étant donné que ces personnes n’auraient pas été en mesure de fournir des éléments de preuve nouveaux et probants des circonstances de cette situation donnée. Celles qui ont été interrogées ont fourni à l’enquêteuse suffisamment de renseignements pour qu’elle puisse arriver à sa recommandation.

[30]  L’enquêteuse n’a pas non plus poursuivi ses entrevues concernant l’absence de mesures disciplinaires par la SCP à l’endroit du demandeur. Je conclus que l’enquêteuse a conclu que certains employés recevaient le même traitement que le demandeur et qu’un tel traitement ou comportement n’était pas lié à la déficience du demandeur. Il s’agissait d’une décision raisonnable.

3)  Partialité de l’enquêteuse

[31]  Le demandeur soutient que l’enquêteuse a fait preuve de partialité dans sa conclusion concernant le commentaire de M. Franklin sur le fait de [traduction] « se renfermer sur lui-même ». Le demandeur soutient que le commentaire faisait référence à l’état de santé mentale du demandeur et n’était pas, comme le prétendent les défendeurs, un terme faisant référence à un processus de travail.

[32]  Le demandeur soutient que l’enquêteuse a fait preuve de partialité en acceptant la version des défendeurs de l’incident. Le demandeur soutient que, si le commentaire avait été fait dans le contexte selon lequel le demandeur aurait pris une longue pause, M. Franklin aurait alors pris, voire aurait dû le faire, officiellement des mesures disciplinaires à l’endroit du demandeur. Le demandeur soutient que parce qu’il n’y a pas eu de mesures disciplinaires, selon la prépondérance des probabilités, la version des défendeurs au sujet des événements en question est probablement fausse.

[33]  Les défendeurs soutiennent que le critère de la partialité a été exposé dans Miller c Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1996), 112 FTR 195, au paragraphe 15 :

[...] Le critère de base pour assurer l’équité et éviter de faire naître une crainte raisonnable de partialité a été énoncé en termes clairs dans la jurisprudence. Il s’agit de la question de savoir si une personne raisonnable et sensée qui étudierait la question en profondeur et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet percevrait une forme de partialité de la part d’un arbitre. Les motifs de la crainte doivent être importants. De simples doutes ne suffisent pas.

[34]  Les défendeurs soutiennent que le demandeur prétend que l’enquêteuse a fait preuve de partialité en concluant que le commentaire sur le fait de [traduction] « se renfermer sur lui-même » n’était pas lié à sa déficience. Les défendeurs soutiennent que le rapport d’enquête fait référence au commentaire sur le fait de [traduction] « se renfermer sur lui-même » et conclut qu’il a été fait dans le contexte d’un différend entre M. Franklin et le demandeur concernant la longueur de la pause du demandeur. Le demandeur a reconnu que sa pause avait été trop longue.

[35]  Les défendeurs soutiennent que l’enquêteuse a tenu compte du contexte du commentaire en faisant référence à une déclaration de témoins indépendants, et a fait remarquer la mésentente entre les parties. Les défendeurs soutiennent qu’une personne [traduction] « saine d’esprit » qui examine ces renseignements n’aurait pas une perception de partialité.

[36]  Les défendeurs soutiennent qu’il n’y avait aucun défaut dans la manière ou la portée de l’enquête, mais que, s’il y en avait un, le fait que le demandeur a fait d’autres observations sur ces questions en réponse au rapport d’enquête, et que la CCDP avait tenu compte de ces observations, compense pour toute omission qui pourrait avoir eu lieu; citant Syndicat canadien des employés de la fonction publique (division du transport aérien) c Air Canada, précitée, aux paragraphes 69 et 70.

[37]  Le rapport d’enquête précise également que le témoignage de M. Campbell indique que, lorsque le commentaire a été fait, il discutait avec le demandeur de la longueur des pauses et avait déjà reçu l’ordre de retourner au travail.

[38]  Le rapport d’enquête indique que les parties avaient des différences d’opinions sur ce qui a motivé le commentaire et l’enquêteuse a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour laisser entendre que le commentaire de M. Franklin faisait référence à la déficience du demandeur.

[39]  Je ne vois rien au dossier qui indique que l’enquêteuse a fait preuve de partialité dans sa manière de traiter le commentaire [traduction] « se renfermer sur lui-même ». L’enquêteuse a observé les différentes motivations en ce qui concerne le commentaire et a mentionné qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le commentaire était lié à la déficience du demandeur. L’enquêteuse a tenu compte du commentaire. Comme l’indique la jurisprudence, les motifs pour établir la partialité doivent être importants et de simples doutes ne suffisent pas. Le demandeur n’est pas parvenu à établir que l’enquêteuse a fait preuve de partialité.

4)  Le refus de prendre des mesures d’adaptation

[40]  Le demandeur soutient que les conclusions de l’enquêteuse concernant la question des mesures d’adaptation sont erronées. L’enquêteuse a rejeté cette allégation après avoir conclu que la SCP a offert plusieurs mesures d’adaptation au demandeur. Le demandeur prétend que les mesures d’adaptation, comme un poste différent et un lieu de travail différent, allaient à l’encontre de la recommandation de son médecin dans son billet du 9 avril 2015 et que le demandeur avait dû par conséquent rester en congé. Le demandeur soutient que de telles mesures d’adaptation ne l’auraient pas aidé compte tenu de son état de santé à l’époque. Le demandeur soutient qu’il a fait l’objet d’un congédiement déguisé et qu’il a été par conséquent forcé à prendre sa retraite.

[41]  Les défendeurs soutiennent que le rapport d’enquête aborde correctement le fait que des options raisonnables de mesures d’adaptation ont été fournies, mais que le demandeur ne les a pas acceptées. La médiation a également été offerte, mais n’a pas non plus été acceptée.

[42]  Je suis d’accord avec les observations des défendeurs. L’enquêteuse a tenu compte des options de mesures d’adaptation et de la médiation qui ont été offertes par le défendeur, la SCP, et a inclus ces considérations dans le rapport d’enquête.

[43]  Par conséquent, je conclus qu’il n’y a pas eu atteinte aux droits du demandeur à l’équité procédurale. J’observe également que les parties ont eu l’occasion de faire des observations après avoir consulté le rapport d’enquête, ce qui a l’effet de remédier à toute iniquité procédurale si tel avait été le cas en l’espèce. La jurisprudence citée par les défendeurs est particulièrement pertinente et convaincante.

C.  La décision était-elle raisonnable?

[44]  Les observations du demandeur visent l’iniquité des procédures d’enquête et il n’a fait aucune observation précise sur la norme de la décision raisonnable.

[45]  Les défendeurs soutiennent que la décision de la CCDP est raisonnable et tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité » du processus décisionnel, exposé dans Dunsmuir, précitée, au paragraphe 47.

[46]  Comme les défendeurs, je suis d’avis que la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable. La CCDP a le pouvoir discrétionnaire de renvoyer une plainte au Tribunal canadien des droits de la personne ou de la rejeter. En l’espèce, après avoir examiné le rapport d’enquête, la CCDP a exercé son pouvoir discrétionnaire pour rejeter la plainte.

[47]  La décision de la CCDP s’appuie sur le rapport d’enquête. Dans l’arrêt Bell Canada c Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 CF 113 (CAF), au paragraphe 38, [Bell Canada], la Cour a observé que la Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l’exécution de sa fonction d’examen préalable au moment de la réception d’un rapport d’enquête (paragraphe 38). La Cour déclare en outre que le Parlement ne voulait pas qu’à cette étape les tribunaux prennent à la légère les décisions de la CCDP.

1)  La microgestion et les commentaires inappropriés

[48]  Les défendeurs soutiennent que le rapport d’enquête a reconnu que le prétendu traitement négatif a eu lieu comme le soutient le demandeur, en partie, mais qu’aucun élément de preuve selon lequel ce traitement était lié à la déficience du demandeur.

[49]  Le rapport d’enquête conclut que les éléments de preuve du demandeur, ainsi que ceux des autres employés, confirment que M. Franklin traitait tous les autres employés de la même manière négative et que, par conséquent, la perception du demandeur selon laquelle son traitement était lié à sa déficience n’est pas étayée par les éléments de preuve.

[50]  L’enquêteuse a conclu qu’une analyse plus approfondie n’était pas nécessaire. Les défendeurs soutiennent que cette conclusion était raisonnable.

[51]  L’enquêteuse a conclu que des interactions négatives se sont produites entre le demandeur et le défendeur, M. Franklin. Après avoir réalisé des entrevues avec d’autres membres du personnel, l’enquêteuse a conclu que ces interactions négatives n’étaient pas liées à la déficience du demandeur. Il s’agissait d’une conclusion raisonnable à tirer.

2)  Commentaire [traduction] « se renfermer sur lui-même »

[52]  Le rapport d’enquête conclut que le commentaire a été exprimé. L’enquêteuse a tenu compte de la version des événements du demandeur, selon laquelle M. Franklin a constaté son [traduction] « état mental » et a dit [traduction] « bon alors, tu vas encore te renfermer sur toi-même », puis l’a comparée au témoignage de M. Campbell (un autre employé qui était présent), qui a dit avoir entendu M. Franklin dire [traduction] « J’ai besoin que quelqu’un travaille » et ensuite, en s’adressant au demandeur, [traduction] « Tu ne vas pas te renfermer sur toi-même encore une fois ».

[53]  L’enquêteuse a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le commentaire était motivé par la déficience du demandeur. Les défendeurs soutiennent que cette conclusion est raisonnable.

[54]  Encore une fois, l’enquêteuse a conclu que la déclaration a été faite et elle a tenu compte du contexte dans lequel elle l’a été, y compris le témoignage des autres témoins qui étaient présents. La conclusion de l’enquêteuse selon laquelle le commentaire n’était pas lié à la déficience du demandeur est raisonnable.

3)  Départ plus tôt

[55]  Le rapport d’enquête conclut qu’il est probable que le demandeur n’a pas eu la permission de quitter son poste plus tôt, mais que cela était cohérent avec le traitement accordé à d’autres employés qui occupent des postes semblables à celui du demandeur.

[56]  Selon les éléments de preuve qui comprenaient les entrevues avec plusieurs employés, l’enquêteuse a conclu qu’aucun élément de preuve ne liait ce traitement à la déficience du demandeur. Les défendeurs soutiennent que cette conclusion est raisonnable.

[57]  Je conclus que la conclusion de l’enquêteuse à cet égard était également raisonnable. La conclusion a été tirée après des entrevues de plusieurs employés.

4)  Influencer un autre superviseur

[58]  L’enquêteuse a recueilli des éléments de preuve auprès de M. Franklin et du nouveau superviseur, M. Kammerlock, et a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour étayer l’allégation du demandeur selon laquelle M. Franklin a essayé d’influencer le nouveau superviseur contre lui. Les défendeurs soutiennent que cette décision était raisonnable.

[59]  Je conclus que la décision de l’enquêteuse à cet égard était également raisonnable. L’enquêteuse était la mieux placée pour tirer cette conclusion.

5)  Le refus de prendre des mesures d’adaptation

[60]  Les défendeurs soutiennent que plusieurs mesures d’adaptation ont été présentées au demandeur en mai 2015. Le demandeur a rejeté ces options, mais elles n’ont pas été retirées.

[61]  Le demandeur a refusé de participer à la médiation avec M. Franklin en février 2015. De plus, le demandeur a été en congé de maladie et de formation autorisé d’avril 2015 jusqu’à sa retraite en juin 2016.

[62]  L’enquêteuse a conclu que le refus ne s’est pas produit comme l’allègue le demandeur, étant donné que selon les éléments de preuve, plusieurs options de mesures d’adaptation lui ont été accordées. Les défendeurs soutiennent que la décision de rejeter cette allégation est raisonnable.

[63]  Selon les éléments de preuve, il est évident que le demandeur trouvait les mesures d’adaptation insuffisantes ou inappropriées dans les circonstances. Malgré le désaccord du demandeur concernant les conclusions tirées par l’enquêteuse, je conclus que c’était une conclusion raisonnable à tirer.

[64]  Dans l’ensemble, l’enquêteuse était la mieux placée pour tirer les conclusions qu’elle a tirées. Bien que le demandeur puisse ne pas être d’accord avec ces conclusions, je ne peux déceler aucune erreur de la part de la CCDP dans sa décision de ne pas renvoyer la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne. Les conclusions, les motifs qui justifient les conclusions ainsi que la procédure d’enquête sont entièrement expliqués dans le rapport d’enquête.

[65]  Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les dépens ne seront pas adjugés.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour de décembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1207-17

 

INTITULÉ :

GLENN FERGUSON c LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES, LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES ET M. FRANKLIN

LIEU DE L’AUDIENCE :

WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 février 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 AVRIL 2018

 

COMPARUTIONS :

Glenn Ferguson

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Debra L. Rusnak

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Debra L. Rusnak

Société canadienne des postes

Richmond (Colombie-Britannique)

Pour les défendeurs

 

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