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Date : 20180122


Dossier : IMM-3525-17

Référence : 2018 CF 56

Montréal (Québec), le 22 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

GERVAIS NKANAGU

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision rendue le 19 juillet 2017 par la Section d’appel de l’immigration [SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Conformément à l’alinéa 67(1)c) de la LIPR, la SAI a conclu qu’il existe suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour accueillir l’appel et faire lever l’interdiction de territoire du défendeur pour son défaut de se conformer à son obligation de résidence, afin qu’il puisse garder son statut de résident permanent au Canada.

II.  Faits

[2]  Le défendeur, âgé de 58 ans, est un citoyen du Burundi.

[3]  Depuis mars 2006, le défendeur travaille comme diplomate en Belgique pour une organisation régionale africaine, le « Marché commun de l’Afrique orientale et australe », aussi connu sous son acronyme anglais « COMESA » (Common Market for Eastern and Southern Africa).

[4]  Le 7 juillet 2012, le défendeur est arrivé au Canada et a obtenu le statut de résident permanent par l’entremise du programme des travailleurs qualifiés, accompagné de son épouse et de ses sept enfants (maintenant âgés entre 12 et 25 ans).

[5]  Le défendeur, son épouse et cinq de leurs enfants sont ensuite retournés en Belgique. Durant l’été 2013, son épouse et ses enfants se sont par la suite installés au Canada pendant que le défendeur restait en Belgique pour travailler.

[6]  Entre 2013 et 2017, si l’on se fie à son carnet de notes retrouvé dans sa valise à la suite d’une fouille à l’aéroport de Montréal, le défendeur est venu visiter sa famille durant les vacances estivales et la période des Fêtes.

[7]  Le 22 décembre 2016, après avoir fait l’objet d’un contrôle au point d’entrée à l’aéroport de Montréal, une mesure de renvoi a été prise contre le défendeur par l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] au motif qu’il avait passé 329 jours sur 730 jours au Canada durant la période quinquennale.

[8]  Malgré de nombreux efforts, le défendeur allègue avoir été incapable de trouver un emploi à temps plein au Canada afin de subvenir aux besoins de sa famille. De juillet 2012 à décembre 2016, le défendeur est donc retourné en Belgique pour travailler. Aussi, lors de sa fouille à l’aéroport, le défendeur a lui-même admis aux autorités d’immigration qu’il n’a effectivement pas été présent au Canada pendant au moins 730 jours.

[9]  Le 5 janvier 2017, conformément au paragraphe 63(3) de la LIPR, le défendeur a interjeté appel auprès de la SAI de la décision de l’agent d’immigration d’émettre une mesure de renvoi contre lui. Le défendeur n’a pas contesté la conclusion selon laquelle il n’était pas présent physiquement au Canada pendant la période quinquennale visée (du 7 juillet 2012 au 7 juillet 2017), mais il a soutenu que son appel devrait être accueilli pour des motifs d’ordre humanitaire.

III.  Décision

[10]  Le 19 juillet 2017, la SAI a accueilli l’appel du défendeur. Après avoir énuméré les critères dont il y a lieu de tenir compte au moment de prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire dans l’appel, la SAI a strictement fait état des circonstances propres au défendeur et qui ne jouent qu’en sa faveur.

[11]  La SAI a d’abord conclu que le témoignage du défendeur était crédible. Ensuite, la SAI a considéré que passer environ 390 jours au Canada durant la période quinquennale pertinente, « [c]’est peu » (Motifs et décision de la SAI, au para 8). La SAI a reconnu aussi les nombreuses démarches entreprises par le défendeur pour tenter de trouver un emploi au Canada. Elle a noté à cet effet que la surqualification du défendeur lui nuit lorsqu’il postule à des postes subalternes. De plus, la SAI a considéré que le cas du défendeur est différent d’autres cas semblables où la famille s’installe au Canada pendant que le père travaille à l’étranger; en effet, le défendeur se serait montré sincère dans ses démarches de trouver un emploi au Canada. Pareillement, ce n’est que suite aux nombreux refus de la part des employeurs que le défendeur s’est tourné vers son emploi en Belgique pour subvenir aux besoins de ses sept enfants. La SAI a aussi noté que le défendeur s’était bien établi au Canada puisqu’il est propriétaire d’une maison au Canada, qu’il déclare toujours ses impôts et qu’il y a des économies. Enfin, la SAI a tenu compte du fait que le défendeur est citoyen du Burundi où la situation politique est très difficile en ce moment.

IV.  Question en litige

[12]  La seule question en litige consiste à savoir si la décision de la SAI d’accueillir l’appel du défendeur pour des motifs d’ordre humanitaire est raisonnable.

[13]  La norme de contrôle applicable, quant aux décisions de la SAI d’accueillir ou non l’appel du défendeur suite à une appréciation des motifs d’ordre humanitaire pouvant justifier la prise de mesures spéciales relativement à la perte d’un statut de résident permanent, est celle de la décision raisonnable. La Cour doit faire preuve d’une grande retenue lorsqu’elle est saisie de l’affaire, compte tenu du pouvoir discrétionnaire de la SAI sur des questions mixtes de droit et de fait (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Abarquez, 2016 CF 682 au para 12 [Abarquez]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux para 58-60 [Khosa]).

V.  Dispositions pertinentes

[14]  Le paragraphe 63(3) de la LIPR s’applique à la présente demande de contrôle judiciaire :

Droit d’appel : mesure de renvoi

Right to appeal removal order

63 (3) Le résident permanent ou la personne protégée peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise en vertu du paragraphe 44(2) ou prise à l’enquête.

63 (3) A permanent resident or a protected person may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision to make a removal order against them made under subsection 44(2) or made at an admissibility hearing.

[15]  L’alinéa 67(1)c) de la LIPR est aussi pertinent :

Fondement de l’appel

Appeal allowed

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

[...]

...

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

VI.  Observations des parties

A.  Prétentions du demandeur

[16]  Selon le demandeur, la décision de la SAI est déraisonnable. La SAI a su énumérer les critères dont il faut tenir compte pour l’évaluation de motifs humanitaires, toutefois, elle n’a pas spécifié le poids à accorder aux différents facteurs qu’elle s’apprêtait à analyser avant la prise de sa décision. « [L]a SAI ne devait pas faire une appréciation sélective de la preuve qui était favorable au défendeur » (Dossier du demandeur, mémoire des arguments du demandeur, au para 65).

[17]  D’après le demandeur, la SAI n’aurait donc fondé sa décision que sur deux éléments, à savoir la durée de la période passée par le défendeur au Canada et les circonstances propres au défendeur (c’est-à-dire les efforts déployés par le défendeur dans le but de trouver un emploi au Canada). À la lecture de la décision rendue par la SAI, le demandeur juge qu’il n’est pas possible de comprendre ce qui a fait pencher la balance en faveur d’un élément par rapport à un autre. D’une part, la SAI a conclu que 390 jours de présence physique sur cinq ans est « peu » (Motifs et décision de la SAI, au para 8). D’autre part, la SAI a considéré que le défendeur a fait preuve de bonne foi dans ses démarches de trouver du travail au Canada. Le demandeur prétend alors que la SAI a omis d’expliquer comment elle soupesait ensemble ces deux facteurs.

[18]  Le demandeur soumet également que la décision de la SAI « ne résiste pas à un examen poussé puisque les conclusions tirées se font rarissimes, sont fondées sur de mauvaises interprétations et ne sont pas étayées par la preuve » (Dossier du demandeur, mémoire des arguments du demandeur, au para 34; voir également Canada (Citoyenneté et Immigration) c Wright, 2015 CF 3 au para 68 [Wright]).

[19]  Le demandeur n’adhère pas non plus à la conclusion de la SAI selon laquelle « l’appelant a bien fait état des nombreuses démarches qu’il a entreprises pour se dénicher un travail au Canada et a présenté de la preuve documentaire à cet effet » (Motifs et décision de la SAI, au para 9). Considérant le fait que le défendeur a aujourd’hui 58 ans et qu’il atteindra bientôt l’âge de la retraite, le demandeur argumente que le défendeur n’a pas fait de « recherche active d’un emploi au Canada » (Mémoire supplémentaire du demandeur, au para 6). En effet, pendant 41 des 60 mois (période de référence), le demandeur soumet que le défendeur n’aurait effectué aucune démarche pour trouver un emploi au Canada, comme démontré dans la preuve documentaire.

[20]  Le demandeur argumente de plus que le défendeur a choisi de son propre gré de vivre séparément de sa famille, et ce, depuis 2006 lorsqu’il a obtenu son poste de diplomate. Le défendeur ne voyait sa famille qu’une à deux fois par année depuis des années, et ce, durant les congés estivaux et le temps des Fêtes. Le demandeur considère ce fait comme étant contraire aux objectifs de la LIPR puisqu’« il n’était pas réaliste de [la] part [du défendeur] de s’attendre à ce que [son] statut de résident permanent ne soit pas mis en péril par [son] départ » (Wright, ci-dessus, au para 92). La SAI devait au moins confronter le défendeur avec cette preuve contraire avant de conclure qu’il connaîtrait d’extrêmes difficultés s’il se séparait de sa famille (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sidhu, 2011 CF 1056 au para 50).

[21]  La SAI aurait même erré dans son analyse en concluant que « l’appelant, ayant essuyé de nombreux refus, se soit tourné vers son emploi en Belgique » (Motifs et décision de la SAI, au para 10). Il s’agit là d’une mauvaise appréciation de la preuve, car la preuve documentaire révèle plutôt que le défendeur était déjà retourné en Belgique peu de temps après l’obtention de sa résidence permanente en 2012, et ce, « avant même d’essuyer ne serait-ce qu’un premier refus au Canada » (Mémoire supplémentaire du demandeur, au para 8).

[22]  Le demandeur rappelle que le défendeur a obtenu sa résidence permanente par l’entremise du programme des travailleurs qualifiés. Il fallait donc que le défendeur assure sa capacité à personnellement réussir son établissement au Canada et ainsi contribuer à l’économie du pays qui l’a accueilli. La SAI aurait donc effectué une mauvaise appréciation de la preuve en ne remarquant pas que le défendeur s’est lui-même empêché de trouver un emploi au Canada en passant la majeure partie de son temps à l’étranger.

[23]  Dans le même ordre d’idées, la SAI aurait confondu le degré d’établissement du défendeur avec celui des membres de sa famille en indiquant comme facteur favorable dans sa décision que l’épouse et les deux aînés du défendeur ont trouvé un emploi. Le demandeur soumet toutefois que les membres de la famille du défendeur ont pu s’établir au Canada et obtenir leur statut de résident permanent en raison des qualifications professionnelles et académiques du défendeur. Il appartenait donc au défendeur, et non pas à sa famille, de faire des efforts pour s’établir au Canada le plus rapidement possible. Par conséquent, la SAI a eu tort de conclure que le défendeur s’est personnellement installé au Canada pour les motifs qu’il a acheté une maison, qu’il déclare ses impôts et qu’il a déposé des économies au Canada. La preuve documentaire à laquelle la SAI fait référence désigne explicitement le défendeur comme étant un « non-résident du Canada dont la principale source de revenus provient de l’extérieur du Canada » (Dossier du tribunal, Avis de nouvelle cotisation de la part de l’Agence du Revenu du Canada, à la p 175). À cet effet, le demandeur cite le passage suivant, tiré de Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Samaroo, 2016 CF 689, dans son mémoire supplémentaire :

[51]  À l’audience devant la Cour, l’avocate du ministre a insisté sur la distinction entre les indices passifs et actifs de résidence, en faisant valoir que M. Samaroo n’avait pas fourni suffisamment d’indices actifs de sa résidence. Les indices passifs de résidence « faisaient uniquement état d’une inscription, et non d’une présence à des cours » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Qarri, 2016 CF 113 [Qarri], au paragraphe 7) et consistent en des éléments de preuve tels que des cartes d’assurance-maladie, des cartes d’assurance sociale, des déclarations de revenus canadiennes, des lettres de banque indiquant qu’un compte avait été ouvert et des baux ainsi que des avis d’augmentation de loyer (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chved, [2000] ACF no 1661 [Chved], aux paragraphes 7 et 11).

[24]  D’après le demandeur, la SAI a aussi erré en mentionnant que « [l]’appelant conçoit qu’il pourra dorénavant patienter un peu plus longtemps avant de décrocher un emploi » (Motifs et décision de la SAI, au para 13). En effet, la Cour fédérale a déjà établi que le potentiel d’établissement du défendeur n’est pas un facteur à considérer dans le cadre de l’analyse relative aux motifs humanitaires lorsque la personne fait déjà l’objet d’une mesure d’interdiction de territoire (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Lotfi, 2012 CF 1089 au para 22).

[25]  Quant au critère portant sur les difficultés et bouleversements qu’occasionnerait le renvoi du défendeur en Belgique ou au Burundi, le demandeur soumet que la SAI a omis d’analyser les difficultés reliées au fait d’être séparé de la famille vivant actuellement au Canada. Le demandeur indique à cet effet que la SAI a complètement ignoré la preuve au dossier pour les raisons suivantes :

  Le 22 décembre 2016, lors de son entrevue avec un agent de l’ASFC, le défendeur a clairement déclaré ne pas avoir de crainte pour sa vie.

  Lors de son entrevue avec le délégué du ministre, le défendeur a répondu à la question de crainte pour sa sécurité qu’il veut pouvoir rester avec sa famille au Canada.

  Dans le formulaire rempli par le défendeur pour sa demande de considération d’ordre humanitaire, le défendeur n’a jamais mentionné de risque de persécution ou de crainte. Le seul impact qu’il a indiqué s’il devait retourner dans son pays d’origine est : « Séparation avec ma famille ».

[26]  Le demandeur fait remarquer que le risque ou la crainte de retourner au Burundi n’était aucunement mentionné avant la tenue de l’audience et la SAI a erré en reposant sur de « pures conjectures » (Mémoire supplémentaire du demandeur, au para 11). La décision de la SAI doit être fondée « sur des conclusions raisonnables tirées de la preuve qu’il lui a été présentée. Le juge des faits ne peut arriver à des conclusions théoriques et conjecturales » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Gharanejad-Dashkesen, 2008 CF 92 au para 12). En outre, si la séparation avec sa famille est si problématique pour le défendeur, le demandeur soumet que la famille n’avait qu’à s’établir en Belgique et non pas au Canada.

[27]  Enfin, le demandeur soumet que cette Cour a lieu d’intervenir dans la présente demande puisque la SAI a omis de considérer des éléments de preuve au dossier qui sont contradictoires avec les motifs de la décision (Canada (Minister of Citizenship and Immigration) v Tefera, 2017 FC 204 au para 31).

B.  Prétentions du défendeur

[28]  Le défendeur soutient plutôt que la SAI a rendu une décision raisonnable puisque plusieurs éléments de preuve dans le dossier ont été considérés. Essentiellement, le défendeur argumente que le demandeur a effectué une « mauvaise interprétation » de la décision rendue par la SAI (Mémoire du défendeur, au para 20).

[29]  Contrairement à ce que le demandeur allègue, le défendeur soumet que la SAI a analysé plus que deux facteurs dans la prise de sa décision. Il est clair, selon le défendeur, que la SAI a considéré les raisons pour lesquelles le défendeur avait quitté le Canada, les efforts déployés pour y revenir et les raisons pour lesquelles il est demeuré à l’extérieur du Canada.

[30]  Le défendeur souligne aussi que la SAI n’a pas confondu l’établissement du défendeur au Canada avec celui des membres de sa famille. En effet, dans sa décision, la SAI a considéré que le défendeur avait personnellement acheté une maison, déclaré ses impôts et déposé ses économies au Canada.

[31]  Le défendeur n’est pas d’avis non plus qu’il a lui-même choisi de travailler en Belgique. En effet, il mentionne que l’arrêt Wright cité par le demandeur dans son mémoire se distingue de son cas. Considérant son âge, le défendeur soumet plutôt qu’il était difficile pour lui de trouver un emploi au Canada et c’est la raison pour laquelle il n’a eu d’autre choix que de retourner en Belgique et y travailler. Dans la décision Abarquez, ci-dessus, le défendeur, alors âgé de 50 ans à son arrivée au Canada et originaire des Philippines, était à peine au Canada durant la période quinquennale puisqu’il est retourné travailler pour son ancien employeur aux Philippines à titre de commandant et capitaine de navire. La Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire.

[32]  Enfin, le défendeur allègue que le demandeur semble décortiquer la décision de la SAI. Il n’appartient pas à cette Cour d’apprécier à nouveau la preuve et de substituer sa propre évaluation à celle de la SAI (Abarquez, ci-dessus, au para 27).

VII.  Analyse

[33]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[34]  « La SAI est présumée avoir pris en considération tous les éléments de preuve dont elle disposait et ses motifs justifiaient ses conclusions » (Tai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 248 au para 74). En l’espèce, la SAI a considéré l’ensemble de la preuve au dossier et ses motifs, si brefs soient-ils, ne contredisent pas la preuve présentée par le défendeur. Il appartenait au demandeur de démontrer en quoi la décision de la SAI aurait été différente, n’eût été les erreurs que la SAI aurait commises.

[7]  Le tribunal a examiné la jurisprudence établissant les critères dont il y a lieu de tenir compte au moment de prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire dans ce type d’appel. La liste des critères n’est pas exhaustive et le poids accordé à chacun varie selon les circonstances. Ces critères peuvent être résumés de la façon suivante :

- La durée de la période passée au Canada par l’appelant et son degré d’établissement avant son départ;

- Les liens que l’appelant continue d’entretenir au Canada, y compris avec les membres de sa famille;

- Les raisons données par l’appelant pour quitter le Canada, les efforts faits pour y revenir et les raisons pour lesquelles il est demeuré à l’extérieur du Canada;

- Les circonstances propres à l’appelant pendant son séjour à l’extérieur du Canada;

- Les efforts faits par l’appelant pour revenir au Canada à la première occasion raisonnable;

- Les difficultés et bouleversements que le renvoi de l’appelant ou son interdiction de territoire occasionneraient;

- L’intérêt supérieur des enfants touchés.

(Motifs de la décision de la SAI, au para 7.)

[35]  De plus, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, afin de déterminer le caractère raisonnable de la décision :

[16]  Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soitil, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

[36]  La Cour considère qu’il était raisonnable à la SAI de rendre sa décision, d’après les éléments de preuve disponibles au dossier. D’après la preuve au dossier, incluant le témoignage, entièrement crédible du défendeur devant la SAI, la Cour retient que dès son arrivée au Canada, le défendeur a entrepris des démarches pour obtenir ses équivalences d’études. Le défendeur n’a également pas tardé à chercher un emploi, et ce, dans plus d’un champ de profession. La SAI a noté à cet effet que la surqualification du défendeur lui aurait nuit pour postuler à un poste subalterne. Malgré le fait que le père de famille devait travailler à l’étranger pour nourrir sept enfants au Canada, il est également possible de remarquer dans les faits que le défendeur était à la recherche d’un emploi en postulant en ligne pour différents postes. Le défendeur a effectué ses démarches sans être au chômage, compte tenu de son âge, de la situation de sa famille et du fait qu’il ne peut pas résider en Belgique à cause de son statut lié à son emploi de diplomate, dont le contrat se terminera en décembre 2019. Le défendeur serait donc obligé de faire face aux périls liés à un retour au Burundi avec sa famille.

[37]  La Cour constate aussi que le défendeur a démontré un certain degré d’établissement, comme l’a d’ailleurs noté la SAI dans sa décision. En effet, la SAI a accordé un poids favorable au degré d’établissement du défendeur puisqu’il a placé toutes ses économies accumulées depuis la Belgique (environ 78 000 $) au Canada, qu’il détient un crédit hypothécaire depuis 2014, possède un compte bancaire, déclare ses impôts et est le propriétaire d’une maison depuis juin 2015 dont le coût d’acquisition était d’environ 478 000 $.

[38]  La Cour estime que la SAI a su en outre expliquer en quoi la situation du défendeur était particulière, d’après les faits et la preuve au dossier.

C’est ce qui, à mon sens, distingue principalement le cas de l’appelant de certains cas semblables où la famille s’installe au Canada, alors que le patriarche continue de travailler à l’étranger. Dans cette affaire, je comprends que l’appelant, ayant essuyé de nombreux refus, se soit tourné vers son emploi en Belgique pour subvenir aux besoins de ses sept enfants, alors que le marché du travail canadien ne lui ouvrait pas les bras.

(Décision de la SAI, au para 10.)

[39]  Dans le présent cas, la SAI a choisi d’accorder plus de poids aux facteurs militant en faveur du défendeur (c’est-à-dire les nombreuses démarches du défendeur de trouver un emploi au Canada), sans toutefois mentionner les facteurs qui jouaient en défaveur du défendeur. « En fin de compte, il revenait à la SAI de juger quelle importance elle devait accorder aux divers éléments » (Abarquez, ci-dessus, au para 27). Il était alors loisible à la SAI d’accueillir l’appel du défendeur en préférant étayer les motifs de la décision sur les facteurs positifs à la lumière de l’ensemble des circonstances de l’affaire. « L'arrêt Newfoundland Nurses permet aux cours de contrôle de relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu'elles prennent, peuvent être facilement discernées » (Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431 au para 11).

[40]  La Cour rappelle qu’il ne revient pas à cette Cour de réévaluer la preuve et de soupeser de nouveau les facteurs ou de substituer sa propre interprétation des éléments de preuve (Khosa, ci-dessus, au para 61). Par conséquent, la décision de la SAI est raisonnable et appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, 2008 CSC 9 au para 47).

VIII.  Conclusion

[41]  Pour les motifs ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT au dossier IMM-3525-17

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

OBITER

Durant la période quinquennale visée, le défendeur était séparé de sa famille, certes, mais son lien, son amour pour son épouse et ses sept enfants lui ont donné la motivation de travailler en Belgique, loin d’eux, afin de subvenir à leurs besoins et d’espérer que ses enfants vivent une meilleure vie qu’avant, considérant que le défendeur ne voulait pas selon la preuve être sans emploi et devenir un fardeau pour sa famille et pour l’État. De 2012 à 2017, ce père de famille n’a pas passé un été, ni un Noël sans la compagnie de ses bien-aimés au Canada. Bientôt, le défendeur atteindra l’âge de la retraite et attend le jour où il pourra enfin être réuni avec sa famille.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3525-17

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c GERVAIS NKANAGU

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 janvier 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Mario Blanchard

 

Pour le demandeur

 

Marie-Josée Houle

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Marie-Josée Houle, avocate

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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