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Date : 20180405


Dossier : IMM-3939-17

Référence : 2018 CF 367

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 5 avril 2018

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

BRIGITTA LAKATOS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  En application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, la demanderesse, Brigitta Lakatos, demande le contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue par un agent le 28 août 2017 à l’occasion d’un examen des risques avant renvoi (la décision relative à l’examen des risques avant renvoi). Pour les motifs suivants, j’accueille sa demande.

I.  Résumé des faits

[2]  Mme Lakatos est une citoyenne de la Hongrie d’origine ethnique rome. Elle a 26 ans. Elle est arrivée au Canada le 22 septembre 2011, accompagnée de son conjoint de fait et de son jeune fils, et elle a présenté une demande d’asile. Le 18 décembre 2012, la Section de la protection des réfugiés a rejeté sa demande (la décision de la Section de la protection des réfugiés) compte tenu de la protection adéquate de l’État. La Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation visant le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés.

[3]  Mme Lakatos ne s’est pas présentée à son entrevue avant renvoi. En juin 2017, elle a été arrêtée et détenue dans un centre de surveillance de l’immigration. Elle a par la suite déposé une demande d’examen des risques avant renvoi, notamment des observations écrites, un affidavit, un rapport médical et des documents sur la situation du pays postérieurs à la décision de la Section de la protection des réfugiés. Mme Lakatos raconte avoir été victime de violence physique, de harcèlement et de discrimination à l’école et dans le système de santé. Elle soutient qu’elle serait persécutée et que sa vie serait menacée si elle rentrait en Hongrie.

[4]  Dans l’affidavit qu’elle a présenté à l’appui de sa demande d’examen des risques avant renvoi, Mme Lakatos relate deux incidents de violence physique dont elle a été victime en Hongrie, et dont la crédibilité n’a pas été remise en question par l’agent de réexamen (l’agent).

[5]  D’abord, quand elle était un nourrisson, on a lancé un cocktail Molotov dans sa demeure, mettant le feu à son berceau. Mme Lakatos a subi des brûlures sévères et elle en garde des séquelles visibles à ce jour. Elle a perdu tous ses orteils, ce qui a provoqué chez elle une déficience quant à sa capacité de marcher, la forçant à utiliser des chaussures orthopédiques. Mme Lakatos a subi de nombreuses interventions chirurgicales en Hongrie, où elle a reçu des traitements dans une salle séparée, réservée aux Roms. Elle a indiqué dans sa demande d’examen des risques avant renvoi que malgré que l’on eût appelé la police, aucun rapport de police n’a été déposé puisque ses parents ne pouvaient pas décrire l’agresseur. Elle a aussi indiqué que la police avait dit à son père de s’estimer chanceux de ne pas être accusé de négligence quant aux soins prodigués à son enfant.

[6]  Ensuite, Mme Lakatos indique qu’à l’adolescence elle s’est cassé un doigt lorsqu’elle a été poussée par un « skinhead ». Elle s’est rendue au poste de police, mais on lui a répondu qu’elle ne pouvait pas déposer un rapport contre une personne inconnue.

[7]  Dans la décision sur l’examen des risques avant renvoi, l’agent a tiré des extraits de la décision de la Section de la protection des réfugiés, qui résumaient le témoignage que Mme Lakatos a rendu lors de l’audition devant celle-ci, et il a souligné qu’elle avait retenu le témoignage de Mme Lakatos et qu’elle n’avait pas mis sa crédibilité en doute. Ces extraits relatent son agression par la Garde hongroise après qu’elle est devenue enceinte en 2010, mais elle n’a pas cherché à obtenir des soins médicaux ou sollicité l’aide de la police, puisque la Garde hongroise avait menacé de tuer son père si elle avertissait la police. Elle a aussi témoigné qu’elle avait tenté de se suicider en 2006 en raison de l’humiliation qu’elle avait subie.

[8]  L’agent a retenu le récit des faits de Mme Lakatos, mais il a conclu qu’elle n’avait pas démontré qu’elle avait été victime de persécution dans le passé et que la protection de l’État en Hongrie était adéquate.

[9]  Le renvoi de Mme Lakatos en Hongrie a alors été fixé au 2 octobre 2017, mais la Cour lui a accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à la décision définitive relative à la présente demande.

II.  Questions en litige et norme de contrôle

[10]  Mme Lakatos soulève deux questions dans le présent contrôle judiciaire.

[11]  Premièrement, elle soutient que les conclusions de l’agent concernant la persécution qu’elle a subie sont déraisonnables. Elle affirme que même si l’agent a retenu ses expériences passées de violence physique, il ne les a pas pris en compte dans sa dernière analyse, laquelle portait exclusivement sur la discrimination contre les Roms dans les systèmes d’éducation et de santé. Elle affirme également que l’agent n’a pas pris en compte les risques auxquels elle serait toujours exposée compte tenu de son profil complet et les effets cumulatifs de la discrimination qu’elle a subie.

[12]  Deuxièmement, Mme Lakatos affirme que l’agent a appliqué le mauvais critère pour déterminer s’il existait une protection de l’État, étant donné qu’il s’est concentré sur les mesures mises de l’avant par la Hongrie dans le but d’améliorer la protection de l’État et qu’il a omis de se pencher sur l’efficacité réelle de ces mesures. Elle affirme aussi que les conclusions de l’agent à l’égard de la protection de l’État étaient déraisonnables, de toute façon, et qu’elles n’étaient pas étayées par le dossier.

[13]  Les décisions relatives aux examens des risques avant renvoi sont généralement susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, ce qui signifie qu’elles doivent être justifiées, transparentes et intelligibles et appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Cela comprend notamment les analyses sur la protection de l’État (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Neubauer, 2015 CF 260, au paragraphe 11 [Neubauer]). Cependant, si un agent n’applique pas le bon critère concernant la protection de l’État, la norme de la décision correcte s’applique (Neubauer, au paragraphe 10; Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 23, au paragraphe 13 [Martinez]).

III.  Analyse

A.  Persécution

[14]  Dans la décision relative à l’examen des risques avant renvoi, l’agent a conclu que les expériences passées de Mme Lakatos ne constituaient pas de la persécution et qu’elle ne serait pas exposée à un risque de persécution à l’avenir. L’agent a aussi conclu qu’une analyse cumulative des incidents antérieurs n’était pas nécessaire puisqu’il existait une protection de l’État pour les actes discriminatoires en cause.

[15]  Je suis d’accord avec Mme Lakatos : il s’avère problématique que l’agent n’ait pas tenu compte de la violence et du harcèlement à caractère raciste qu’elle a subis, sauf en ce qui concerne la protection de l’État (voir la décision Bledy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 210, au paragraphe 35 [Bledy]).

[16]  Cependant, lorsque le risque auquel le demandeur est exposé est correctement qualifié, une conclusion portant qu’il existait une protection adéquate de l’État contre le risque en question permet de trancher une demande d’asile (voir les décisions Gebre-Hiwet c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 482, aux paragraphes 15 à 18 et Poczkodi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 956, au paragraphe 33 [Poczkodi]).

[17]  Par conséquent, la question déterminante dont je suis saisi est celle de la protection adéquate de l’État.

B.  Protection de l’État

[18]  Aux termes de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, un demandeur d’asile doit démontrer une crainte subjective d’être persécuté qui est fondée. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 (CSC), à la ligne 712 [Ward], la Cour suprême du Canada a conclu que la protection adéquate de l’État fait référence au bien-fondé objectif de la crainte subjective d’un demandeur. Des décisions subséquentes ont confirmé qu’une conclusion selon laquelle la protection de l’État est adéquate entraîne le rejet des demandes en application de l’article 97 (voir la décision Samuel c Canada (Citoyenneté et Immigration, 2012 CF 973, au paragraphe 40). Par conséquent, la conclusion d’une protection adéquate de l’État empêche le statut de réfugié (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Foster, 2016 CF 130, au paragraphe 25; Neubauer, au paragraphe 23).

[19]  Il existe une présomption selon laquelle la protection de l’État est offerte dans le pays d’origine d’un demandeur (l’arrêt Ward, aux pages 724 et 725), particulièrement quand il s’agit d’un pays démocratique (Sow c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 646, aux paragraphes 9 et 10 [Sow]). Cependant, toutes les démocraties ne sont pas équivalentes. Elles s’inscrivent dans un éventail, et ce qui est requis pour réfuter la présomption relative à la protection de l’État varie selon la nature de la démocratie du pays (Jonos Bozik Janosne Bozik c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 961, aux paragraphes 28 et 29 [Bozik]; Sow, aux paragraphes 10 et 11). Autrement dit, le fait qu’une nation soit démocratique n’est pas nécessairement gage d’une protection efficace de l’État (pour un excellent résumé du droit sur cette notion et des notions connexes, voir la décision récente du juge Grammond dans l’affaire AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 237, au paragraphe 22 [AB]).

[20]  Il incombe au demandeur d’asile de réfuter la présomption qu’il existe une protection adéquate de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants (Ward, à la page 724). Ce fardeau impose à la fois une charge de présentation et une charge de persuasion : le demandeur doit présenter des éléments de preuve quant à l’insuffisance de la protection de l’État et convaincre le décideur, selon la prépondérance des probabilités (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Flores Carrillo, 2008 CAF 94, aux paragraphes 17 à 19 et 21). Pour s’acquitter de ce fardeau, un demandeur d’asile doit généralement démontrer qu’il a demandé la protection de l’État, mais qu’elle lui a été refusée. Il ne s’agit pas d’une exigence juridique. Il s’agit plutôt de savoir si le demandeur s’est acquitté de sa charge de présentation (Orsos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 248, au paragraphe 18).

[21]  Pour déterminer si la protection de l’État est adéquate, un décideur doit tenir compte de son efficacité réelle, plutôt que des « efforts » déployés par l’État pour protéger ses citoyens (Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 20, au paragraphe 12 [Lakatos]). Les mesures mises en place doivent se traduire par une protection de l’État adéquate actuellement (voir la décision Hercegi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 250, au paragraphe 5). Autrement dit, ce que l’État se propose de faire ne suffit pas. La protection doit être réelle et adéquate.

[22]  On peut se demander pourquoi les évaluations concernant la protection de l’État diffèrent pour ce qui est des personnes ayant les mêmes origines ethniques et la même nationalité. On peut l’expliquer du fait que l’analyse est hautement contextuelle et dépend de la situation personnelle du demandeur. Par exemple, dans certains cas, un demandeur peut éprouver une crainte objectivement raisonnable de demander la protection de l’État, compte tenu de facteurs comme son âge, son contexte social et culturel et ses expériences, y compris les interventions antérieures lors d’incidents (Aurelien c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 707, au paragraphe 13). Il peut aussi être objectivement raisonnable pour un demandeur de ne prendre que des mesures limitées pour demander la protection de l’État, selon la capacité et la volonté de l’État d’offrir une protection (voir les décisions Poczkodi, au paragraphe 40; Bozik, aux paragraphes 29 et 30). Il est également possible qu’un pays qui offre habituellement une protection adéquate présente des lacunes à l’égard de certains auteurs de violations ou de certaines questions relatives aux droits de la personne (Gonzalez Torres c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 234, aux paragraphes 38 et 39).

[23]  Par conséquent, la Cour a conclu à maintes reprises que la question de savoir si une analyse de la protection de l’État résistera à l’examen dans le cadre d’un contrôle judiciaire est effectuée expressément pour chaque affaire, et dépend de la façon dont le décideur a effectué son analyse compte tenu des éléments de preuve produits à l’égard des circonstances particulières du demandeur (voir les décisions Poczkodi, au paragraphe 42 et Olah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 316, aux paragraphes 35 et 37). En effet, l’élément commun qui se dégage des affaires concernant les Roms hongrois veut que l’analyse de la protection de l’État soit très personnelle, puisque les expériences d’un demandeur doivent être évaluées en fonction du contexte entourant l’exercice d’un recours.

[24]  Dans la décision relative à l’examen des risques avant renvoi faisant l’objet du présent contrôle, l’agent a conclu que les éléments de preuve montraient que [traduction] « la police hongroise était excessivement sévère à l’endroit de la population rome » et que « ses enquêtes sur les crimes haineux n’étaient pas adéquates ». L’agent a ensuite conclu que :

  • - [traduction] le système de justice hongrois a reconnu que les pratiques de la police à l’endroit des citoyens roms étaient contraires à la loi;

  • - la Hongrie déploie de « sérieux efforts » afin de recruter plus de Roms dans la police et d’embaucher des agents de liaison;

  • - la Hongrie prend le problème de la discrimination policière « au sérieux » en « adoptant des lois pour l’interdire » et en déployant de « sérieux efforts pour combattre cette discrimination »;

  • - la Hongrie exerce un contrôle efficace sur son territoire puisqu’elle dispose d’autorités militaires, policières et civiles et qu’elle déploie de « sérieux efforts » pour protéger ses citoyens, y compris les Roms;

  • - même si la discrimination policière « demeure un problème en Hongrie », l’État déploie « des efforts sérieux, réels et soutenus pour éliminer cette discrimination en recrutant des agents de police roms, en portant la question devant les plus hauts tribunaux et en faisant appel à des agents de liaison communautaire afin d’aider la population rome dans ses interactions avec la police »;

  • - la Hongrie « déploie de sérieux efforts » pour réduire la discrimination contre les Roms en matière d’éducation, de soins de santé et de logement.

[25]  L’agent a conclu que [traduction] « la mise en œuvre et l’application par l’État de nombreuses lois et initiatives garantissaient » que les personnes ayant le même profil que celui de Mme Lakatos ne seraient pas exposées à un risque sérieux de persécution.

[26]  Qu’un décideur mentionne les efforts déployés par un État pour améliorer la protection qu’il offre à ses citoyens ne constitue pas nécessairement une erreur susceptible de contrôle. Il s’agit de savoir si le décideur était conscient de la distinction entre les efforts et l’efficacité réelle (Poczkodi, au paragraphe 45; Galamb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1230, aux paragraphes 33 et 34). En l’espèce, l’agent s’est appuyé sur les divers efforts et les diverses initiatives déployés par la Hongrie pour conclure que la protection de l’État était adéquate. Tel n’est pas le critère (AB, au paragraphe 17; Lakatos, aux paragraphes 15 et 16; Mata c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1007, au paragraphe 14 [Mata]; Dawidowicz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 115, au paragraphe 30).

[27]  De plus, je suis d’accord avec Mme Lakatos que l’analyse de l’agent sur la protection de l’État était, de toute façon, déraisonnable, puisqu’il a uniquement tenu compte des aspirations de l’État et non de l’efficacité réelle des efforts déployés (voir les décisions Mezei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1025, au paragraphe 9; Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, aux paragraphes 26 et 27 [Ruszo]).

[28]  L’agent a conclu que les efforts de la Hongrie [traduction] « garantissaient » que les citoyens roms ne seraient pas victimes de persécution, bien qu’il ait également conclu que la police hongroise était excessivement sévère envers les Roms et que ses enquêtes sur les crimes haineux n’étaient pas adéquates, même après avoir mis en place une unité d’intervention spéciale à cette fin. L’agent a aussi conclu que [traduction] « l’État avait saisi les plus hauts tribunaux de la question », en se fondant sur une affaire dont la Hungarian Civil Liberties Union a saisi une instance inférieure en 2015, à Eger, laquelle a conclu que la police n’avait pas protégé les Roms contre les groupes extrémistes lors des manifestations à Gyöngyöspata, en 2011.

[29]  Je suis d’accord avec Mme Lakatos que les éléments de preuve présentés selon lesquels la Hongrie déploie de « sérieux efforts » ne soutiennent pas la conclusion générale de l’agent portant que [traduction] « la mise en œuvre et l’application par l’État de nombreuses lois et initiatives garantissaient » que les personnes ayant le même profil que celui de Mme Lakatos ne seraient pas exposées à un risque sérieux de persécution. En outre, pour tirer cette conclusion, l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve contradictoires (voir la décision Bledy, aux paragraphes 48 à 49).

[30]  Cependant, comme je l’explique ci-dessous, une conclusion selon laquelle l’analyse de la protection de l’État de l’agent ne portait que sur les efforts déployés par l’État ne règle pas la question.

C.  Efforts déployés pour demander la protection de l’État

[31]  Dans la décision Ruszo, le juge en chef a souscrit à la thèse des demandeurs selon laquelle la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur dans son évaluation de la protection de l’État en se concentrant indûment sur les efforts déployés par l’État et en omettant d’évaluer si ces efforts se traduisaient par une protection de l’État réellement efficace à l’égard des personnes d’origines romes en Hongrie (au paragraphe 27). Cependant, l’erreur commise dans l’affaire Ruszo n’était pas fatale à la décision de la Section de la protection des réfugiés, puisque cette dernière avait raisonnablement conclu, pour d’autres motifs, que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption qu’il existait une protection adéquate de l’État (au paragraphe 28) : on a conclu que les demandeurs n’avaient pas pris toutes les mesures objectivement raisonnables pour se prévaloir de la protection de la Hongrie, puisqu’ils avaient essayé une seule fois de demander la protection de la police.

[32]  Dans la décision relative à l’examen des risques avant renvoi faisant l’objet du présent contrôle, l’agent a également conclu que Mme Lakatos avait [traduction] « l’obligation de solliciter la protection de l’État avant de demander l’asile », et qu’elle ne pouvait pas [traduction] « se contenter de démontrer qu’elle s’était présentée au poste de police et que ses démarches étaient demeurées infructueuses ». Par conséquent, lors de l’audience de la présente demande, j’ai demandé aux parties d’examiner les répercussions de la décision Ruszo sur l’espèce.

[33]  Le défendeur s’appuie sur la décision Poczkodi, dans laquelle la juge Kane a repris la décision Ruszo pour conclure que la croyance d’un demandeur que la protection de l’État ne lui serait pas accordée ne réfutait pas, en soi, la présomption selon laquelle il existait une protection adéquate de l’État (au paragraphe 41). La juge Kane a ensuite conclu que la Section d’appel des réfugiés avait raisonnablement conclu que le demandeur et sa famille n’avaient pas pris des mesures raisonnables, dans les circonstances, pour demander la protection de la police et des organismes de surveillance (au paragraphe 48).

[34]  Cependant, je suis d’accord avec Mme Lakatos que la décision Poczkodi se distingue de l’espèce sur les faits. Dans la décision Poczkodi, on a conclu que les signalements de la famille à la police n’étaient pas crédibles et ces conclusions sur la crédibilité n’ont pas été contestées devant la Section d’appel des réfugiés.

[35]  De plus, comme la juge Kane l’a reconnu dans la décision Poczkodi, les conclusions d’un décideur sur la protection de l’État devraient être examinées en tenant compte de la situation du demandeur. Dans la décision Ruszo, par exemple, le juge en chef a indiqué qu’un demandeur peut s’appuyer sur une perception subjective selon laquelle il est inutile d’essayer de corriger les manquements de la police locale en soumettant l’affaire à d’autres sources de protection policière, lorsqu’il a demandé sans succès la protection de la police à de multiples reprises (au paragraphe 51). Plus récemment, dans la décision Bozik, la juge Mactavish a annulé une décision relative à l’examen des risques avant renvoi parce que l’agent avait conclu que les demandeurs n’avaient pas épuisé tous les recours qui s’offraient à eux, mais également parce que l’agent avait omis d’examiner les renseignements relatifs aux conditions dans le pays portant sur le refus de la police hongroise d’aider les citoyens roms (au paragraphe 31). De même, dans la décision Mata, la juge McDonald a conclu que l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi n’avait pas examiné les éléments de preuve voulant que le demandeur et sa famille aient demandé la protection de l’État à de multiples reprises (aux paragraphes 16 et 17).

[36]  À la lumière des faits particuliers de l’espèce, je conclus que l’agent a commis une erreur susceptible de révision : il a retenu le récit de Mme Lakatos (y compris les diverses blessures qu’elle a subies lors des attaques perpétrées contre elle et l’accueil subséquent que la police lui a réservé) et il a conclu que la police hongroise agissait de manière [traduction] « sévère » et que ses enquêtes sur les crimes haineux n’étaient pas adéquates. Cependant, l’agent a ensuite déraisonnablement omis d’examiner si les efforts déployés par Mme Lakatos pour obtenir la protection de l’État satisfaisaient à la charge de présentation dans sa situation, compte tenu des éléments de preuve retenus.

IV.  Conclusion

[37]  La décision relative à l’examen des risques avant renvoi sera annulée et renvoyée pour nouvel examen par un autre agent. Aucune question n’a été proposée pour certification et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3939-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. Cette demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour un nouvel examen.

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 22e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3939-17

 

INTITULÉ :

BRIGITTA LAKATOS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 MARS 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 AVRIL 2018

 

COMPARUTIONS :

Chelsea Peterday

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Monmi Goswami

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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