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Date : 20180413


Dossier : IMM-3819-17

Référence : 2018 CF 404

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Halifax (Nouvelle-Écosse), le 13 avril 2018

En présence de monsieur le juge Bell

Dossier : IMM-3819-17

ENTRE :

MARILYN MENDOZA ALCANTRA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 24 août 2017 par une agente (l’agente) d’Immigration, Citoyenneté et Réfugiés Canada (ICRC) par laquelle la demande de résidence permanente au Canada, déposée au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait présentée par la demanderesse, a été rejetée. Bien que la demanderesse soit l’épouse de son parrain au Canada, l’agente a conclu qu’elle était interdite de territoire pour des motifs de grande criminalité et de criminalité, comme le prévoient les alinéas 36(1)a) et 36(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR]. L’agente a rejeté la demande pour des motifs de criminalité après avoir conclu que les considérations d’ordre humanitaire [CH] n’étaient pas suffisantes pour l’emporter sur le motif de l’interdiction de territoire de la demanderesse au Canada.

[2]  Les brefs motifs d’octroi de la demande de révision judiciaire et de renvoi de l’affaire aux fins de nouvel examen par un autre agent d’immigration ont été présentés verbalement à la fin de l’audience. Ces motifs, bien que succincts, expliquent le fondement de ma conclusion dans cette saga triste et déroutante. Je dis triste et déroutante, car les erreurs commises par la Cour provinciale de la Colombie-Britannique ont été retenues par le système de vérification des casiers judiciaires de la Gendarmerie royale du Canada et par la Commission des libérations conditionnelles du Canada, ce qui a causé des préjudices importants à la demanderesse.

II.  Faits pertinents

[3]  La demanderesse est une citoyenne des Philippines âgée de 39 ans qui est arrivée au Canada le 30 novembre 2003, au titre de la catégorie des aides familiaux résidants. Elle est titulaire d’un baccalauréat en sciences infirmières des Philippines et est actuellement employée en tant qu’aide-diététiste à l’hôpital privé de Point Grey à Vancouver en Colombie-Britannique. Elle vit à Vancouver avec son mari et sa fille âgée de 9 ans. Son époux et sa fille sont tous deux citoyens canadiens.

[4]  En 2007, la demanderesse travaillait comme aide familiale résidante chez Mme Annetta Marchese, âgée de 93 ans à l’époque. Le 9 avril 2007, la demanderesse a subtilisé deux chèques du chéquier de Mme Marchese pour les encaisser à son propre nom. Les chèques s’élevaient à 3 000 $; 1 500 $ ont été envoyés par mandat bancaire à la mère malade de la demanderesse à Singapour et 1 500 $ ont été déposés dans le compte bancaire de la demanderesse.

[5]  Le 27 avril 2007, la fille de Mme Marchese a questionné la demanderesse au sujet de ces chèques. La demanderesse a immédiatement avoué sa faute et s’est excusée. La demanderesse fut finalement arrêtée et accusée de quatre infractions pénales, même si Mme Marchese ne souhaitait pas porter plainte. Mme Marchese a plaidé pour la clémence envers la demanderesse dans sa déclaration de la victime.

[6]  Le 20 août 2007, la demanderesse a plaidé coupable au premier chef d’accusation (vol, infraction visée à l’article 334 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 [Code criminel]) et au quatrième chef d’accusation (utilisation d’un faux document, infraction visée au paragraphe 368(1) du Code criminel) dans une procédure portant sur quatre chefs d’accusation. Elle n’a pas plaidé coupable aux deuxième et troisième chefs d’accusation, qui n’ont donné lieu à aucun procès. La cour a suspendu le prononcé de la sentence, a rendu une ordonnance de probation et a ordonné à la demanderesse de verser la somme de 3 000 $ à la Banque Royale du Canada par l’entremise du greffier du tribunal.

III.  Analyse 

A.  Norme de contrôle

[7]  Lorsque la jurisprudence établit la norme de contrôle applicable à une question dont la cour est saisie, il est inutile de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9, aux paragraphes 57 et 62 [Dunsmuir]). Les parties conviennent que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle appropriée à la présente demande. Il est en effet bien établi que les conclusions d’un agent d’immigration en matière d’évaluation du caractère suffisant des considérations d’ordre humanitaire sont assujetties à la norme de la décision raisonnable (Kisana c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 R.C.F. 360, au paragraphe 18 [Kisana];Rai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1338, [2008] ACF no 1674, aux paragraphes 17 et 18; Herrera c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 261, [2015] ACF no 891, au paragraphe 6 [Herrera]; Semana c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082, [2016] ACF no 1058, au paragraphe 18 [Semana]).

B.  Erreur dans la déclaration de culpabilité

[8]  À la page 124 du dossier certifié du tribunal [DCT], on lit la note suivante du greffier ou du sténographe judiciaire selon laquelle [traduction] le 20 août 2007, la demanderesse a plaidé coupable aux chefs d’accusation « 1 et 4 ». [Non souligné dans l’original.] Cependant, sous le titre DÉTERMINATION DE LA PEINE du même document daté du 23 octobre 2007, on lit la mention indiquant que [traduction] la demanderesse a été condamnée pour les chefs d’accusation « 1 - 4 ». L’absence de la conjonction « et » est cruciale dans ce qui s’est passé par la suite. L’ordonnance de probation stipule que la demanderesse a été déclarée coupable de quatre infractions. Cela a conduit la Gendarmerie royale du Canada à consigner dans son index que la demanderesse avait commis quatre infractions. La même erreur sera ensuite communiquée à la Commission des libérations conditionnelles du Canada à l’époque où la demanderesse sollicitait la suppression de son casier judiciaire. Cette information erronée a ensuite été transmise à l’agente qui s’est fondée sur cette erreur pour rejeter la demande de résidence permanente.

[9]  L’agente aurait pu prendre conscience de l’erreur. En effet, bien qu’elle affirme avoir lu les débats judiciaires, qui font partie du DCT, elle semble avoir fait abstraction de ce qui suit :

  1. la mention selon laquelle le 20 août 2007, la demanderesse a plaidé coupable à deux chefs d’accusation, pas quatre (page 124 du DCT);

  2. les déclarations de l’avocat et du greffier du tribunal selon lesquelles le juge a été appelé à déterminer la peine quant aux « premier et quatrième chefs d’accusation » (lignes 40 à 45, à la page 177 du DCT);

  3. les commentaires du juge avant la détermination de la peine selon lesquels la demanderesse [traduction] « a plaidé coupable à deux chefs d’accusation selon l’information dont je dispose » (ligne 1, page 184 du DCT).

[10]  Dans la lettre de refus de deux pages que l’agente a envoyée à la demanderesse le 24 août 2017, l’agente a par erreur avisé la demanderesse qu’elle avait été déclarée coupable de quatre crimes. Ces observations erronées ont été incluses dans les motifs de l’agente et dans les notes du SMGC (page 450 du DCT). Je considère ces conclusions comme déraisonnables dans les circonstances. Elles sont fondées sur des erreurs qui étaient décelables dans les éléments de preuve dont disposait l’agente.

C.  Erreur relative au paiement du dédommagement

[11]  En 2015, la demanderesse a présenté une demande de suspension de casier judiciaire. La Commission des libérations conditionnelles du Canada a rejeté la demande, indiquant qu’elle n’était pas convaincue que la demanderesse avait purgé l’ensemble de sa peine, étant donné que les documents de procédure indiquaient que le dédommagement de 3 000 $ n’avait pas été payé. Cette conclusion s’est avérée fatale à la demande présentée par la demanderesse, en application de l’alinéa 36(3)b) de la LIPR. Si elle avait obtenu la suspension de son casier judiciaire, elle n’aurait pas été déclarée interdite de territoire au Canada.

[12]  La demanderesse s’est farouchement opposée à l’affirmation de la Commission voulant qu’elle n’ait pas versé le paiement de dédommagement. Elle a soutenu que l’argent avait été saisi d’un compte bancaire détenu par elle-même et son mari. La demanderesse, son mari et sa belle-mère ont tous signé des déclarations solennelles à cet effet. La demanderesse a également communiqué avec la Banque Royale du Canada pour obtenir une confirmation de paiement, mais on l’a avisée que la banque ne conservait les dossiers que pendant sept ans. Fait important, il n’y a aucune preuve émanant de la Banque Royale du Canada démontrant que l’argent n’a pas été versé. La demanderesse a fini par se lasser et versé l’argent, selon elle, une deuxième fois. Quant à la question de savoir si le dédommagement a été versé, je pense également qu’il est pertinent que la demanderesse ait présenté une demande de suppression de son casier judiciaire tout en sachant fort bien qu’elle devait s’être acquittée de toutes les conditions de sa peine, y compris le paiement de toute ordonnance de dédommagement. Le formulaire indique clairement ce qui est requis à cet égard. 

[13]  En raison de l’absence d’une déposition de la Banque Royale du Canada indiquant que l’argent n’avait toujours pas été versé, des déclarations solennelles non contestées indiquant que le dédommagement avait été versé, des erreurs évidentes de la Cour provinciale de la Colombie-Britannique, et du fait que la demanderesse a présenté une demande de suppression de son casier judiciaire dans laquelle elle a affirmé que le dédommagement avait été versé, je considère que la conclusion selon laquelle la demanderesse a omis de verser le paiement de dédommagement ordonné dans la première instance est déraisonnable.

D.  Erreurs dans l’évaluation de la demande pour considérations d’ordre humanitaire

[14]  Je me penche brièvement sur les considérations d’ordre humanitaire. Je remarque que la demanderesse a été déclarée coupable il y a plus de 10 ans de deux infractions, qui ont toutes deux fait l’objet d’une procédure sommaire. Le fait que les accusations aient été débattues par voie sommaire aurait dû, à mon avis, jouer en faveur de la demanderesse. Elle est au Canada depuis environ 15 ans, est respectée et jouit de l’estime de ses collègues de travail, de son employeur et de ses associés. Elle a un mari canadien et un enfant canadien au Canada. La demanderesse a exprimé des remords, a admis son crime et a plaidé coupable à la première occasion. La victime a plaidé pour la clémence envers la demanderesse.

[15]  À la page 9 du DCT, l’agente conclut « Je ne suis pas convaincue qu’elle ne constitue pas un danger pour la sécurité publique ». Il convient de mettre cette conclusion en contraste avec la lettre de Didier Jallabert du 24 avril 2014, dans laquelle ce dernier affirme, entre autres, que la demanderesse est [traduction] « très honnête ». La conclusion de l’agente doit également être mise en contraste avec la déclaration de Rachel Felwa selon laquelle la demanderesse est, entre autres [traduction] « fiable ». Il convient de plus de comparer la conclusion de l’agente voulant que la demanderesse constitue un danger pour la sécurité publique à l’opinion de l’administrateur de l’hôpital où elle travaille, qui la décrit comme une personne faisant preuve d’une éthique de travail [traduction] « remarquable » et comme étant une [traduction] « membre respectée et estimée de notre équipe ». Aucune de ces lettres n’a fait partie de l’analyse de l’agente qui conclut que la demanderesse constitue un danger pour la sécurité publique.

IV.  Conclusion

[16]  À mon avis, les quatre présumées condamnations de la demanderesse et sa prétendue omission de verser le paiement de dédommagement ordonné en première instance constituent deux des fondements qui ont joué en défaveur de la demanderesse. L’un de ces fondements est manifestement faux. Cette fausseté était évidente à quiconque se donnait la peine de lire le dossier. Le deuxième fondement, concernant le défaut de paiement du dédommagement, est plutôt fragile en raison des déclarations solennelles non contestées, de l’absence d’une déposition de la Banque Royale du Canada indiquant que l’argent n’avait toujours pas été versé, des erreurs évidentes de la Cour provinciale de la Colombie-Britannique, et du fait que la demanderesse a présenté une demande de suppression de son casier judiciaire dans laquelle elle a affirmé que le dédommagement de 3 000 $ avait été versé. Au vu de tout ce qui précède, il est certes difficile de savoir si la saisie-arrêt a été faite par le bureau du greffier ou directement par la banque.

[17]  Vu la conclusion manifestement erronée selon laquelle la demanderesse a été déclarée coupable de quatre infractions au lieu de deux, la preuve qu’elle a versé le paiement de dédommagement, et vu que l’agente n’a pas expliqué pourquoi la demanderesse pose un risque pour la sécurité publique, malgré la preuve contradictoire, j’estime que la décision de l’agente ne satisfait pas au critère de justification, de transparence et d’intelligibilité, et n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit comme le prévoit la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Dunsmuir.

[18]  Pour ces motifs, je crois qu’il y a lieu d’accueillir la demande de révision judiciaire et de renvoyer l’affaire avec des directives relatives au réexamen de la décision par un autre agent d’immigration, conformément à l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7. Ces directives seront que l’agent d’immigration chargé du nouvel examen de l’affaire doit accepter que la demanderesse ait été reconnue coupable de deux infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité (vol et usage d’un faux document), et non pas de quatre infractions; et que la demanderesse a versé le paiement de dédommagement à la Banque Royale du Canada par voie de saisie-arrêt directement à partir de son compte bancaire, et, comme la suite des événements l’a montré, elle a payé deux fois.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3819-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie sans dépens.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration aux fins de nouvel examen avec les directives suivantes : a) la demanderesse a été reconnue coupable de deux infractions en 2007 (vol et usage d’un faux document), et non pas de quatre infractions; et b) la demanderesse a versé le paiement de dédommagement à la Banque Royale du Canada par voie de saisie-arrêt directement à partir de son compte bancaire, et, comme la suite des événements l’a montré, elle a payé deux fois.

  3. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« B. Richard Bell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3819-17

 

INTITULÉ :

MARILYN MENDOZA ALCANTRA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 mars 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE BELL

 

DATE :

Le 13 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Baldev S. Sandhu

 

Pour la demanderesse

 

 

Brett J. Nash

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sandhu Law Office

Surrey (Colombie-Britannique)

Pour la demanderesse

 

 

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

 

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