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Date : 20180427


Dossier : IMM-4180-17

Référence : 2018 CF 459

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 avril 2018

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

RAAHEMA HAMMAD

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) de la décision datée du 29 août 2017 (la décision) par laquelle l’agent d’immigration (l’agent) du Haut-Commissariat du Canada a refusé la demande de visa de résidente permanente de la demanderesse à titre de travailleuse qualifiée et a déterminé que cette dernière était interdite de territoire aux motifs qu’elle avait fait des présentations erronées sur des faits importants dans sa demande.

II.  RÉSUMÉ DES FAITS

[2]  La demanderesse est une citoyenne du Pakistan. En 2014, elle a fait une demande de résidence permanente au Canada aux termes de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) [TQF]. Dans cette demande, la demanderesse déclare posséder de l’expérience comme gestionnaire immobilière et joint une lettre de recommandation de son employeur présumé, Sadiq Enterprises, dans le cadre de sa demande.

[3]  L’agent a examiné la demande de la demanderesse et a eu des doutes quant à la quantité et à la qualité des documents qui avaient été soumis pour établir l’expérience de travail de la demanderesse. Par conséquent, le 20 septembre 2016, une unité d’évaluation des risques (UER) a effectué une visite de vérification à l’adresse de l’employeur inscrite dans la lettre de recommandation. L’UER a déclaré que, lors d’une visite effectuée dans l’immeuble plus tôt le même jour, on lui avait dit que, de 2004 à 2012, le bureau du propriétaire de l’immeuble, M. Arif Sadiq, se trouvait dans un local situé au quatrième étage. Au cours de sa deuxième visite, l’UER s’est adressée à des membres du personnel de deux cabinets d’avocats, qui étaient des locataires commerciaux de l’immeuble, puis à la personne vers qui on l’a dirigée, qui avait le titre de gestionnaire immobilier du quatrième étage, soit M. Qamar Khan Niazi. Les locataires et M. Niazi ont tous déclaré ne pas reconnaître la demanderesse sur la photographie, et les locataires ont confirmé qu’ils traitaient des questions immobilières et contractuelles avec M. Niazi uniquement. Celui-ci a déclaré être le gestionnaire immobilier du quatrième étage, lequel abritait tous les bureaux de la direction, depuis 2004. Il a également déclaré qu’une autre personne (un M. Shafiq) gérait les trois autres étages de l’immeuble et occupait ce poste depuis 30 ans. L’UER se questionnait aussi sur le fait qu’il était « culturellement inhabituel qu’une femme occupe ce poste ou travaille dans un environnement d’hommes », particulièrement en raison de la situation familiale de la demanderesse. Le rapport souligne que l’UER n’avait vu [traduction] « aucune femme qui travaillait ou magasinait » dans l’immeuble au cours de sa visite d’une heure. L’UER a conclu avoir des réserves importantes au sujet de la crédibilité de la demanderesse, et que les documents à l’appui de sa demande avaient été délivrés de façon irrégulière et étaient [traduction« complètement frauduleux ».

[4]  Afin de permettre à la demanderesse de répondre aux questions soulevées par le rapport de l’UER, l’agent lui a fait parvenir une lettre relative à l’équité procédurale en octobre 2016. La lettre informe la demanderesse des résultats de la visite sur place de l’UER, et de la préoccupation particulière de l’agent concernant la lettre de recommandation de Sadiq Enterprises.

[5]  Dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale de l’agent, la demanderesse explique avoir quitté son emploi de gestionnaire immobilière à Sadiq Enterprises en mars 2016 après qu’un litige la confrontant à deux locataires (deux avocats) ait mené à une campagne de harcèlement continue à son égard. En tant que partie intégrante de ce harcèlement, les locataires avocats ont déposé de fausses demandes au nom de la demanderesse qui ont fait en sorte que des organisations se présentaient régulièrement sur les lieux de son travail à sa recherche. En conséquence, l’employeur de la demanderesse a ordonné aux employés de déclarer qu’elle n’avait jamais travaillé dans l’immeuble.

[6]  De nombreux documents ont été joints en guise de réponse de la demanderesse à la lettre relative à l’équité procédurale de l’agent qui était censée corroborer son allégation selon laquelle elle avait été gestionnaire immobilière pour Sadiq Enterprises avant de quitter son emploi en raison de la campagne de harcèlement. Ces documents sont les suivants :

  • a) Un affidavit de M. Niazi, selon lequel il est gestionnaire de l’étage à Sadiq Enterprises, il a été approché par deux individus qui l’ont interrogé sur la demanderesse en septembre 2016, mais il a nié la connaître parce que la haute direction de Sadiq Enterprises lui avait ordonné de nier qu’elle avait travaillé pour l’organisation et qu’il avait travaillé sous sa direction lorsqu’elle était gestionnaire immobilière.

  • b) Une lettre de la demanderesse adressée à l’opérateur du poste de police de Lahore dans laquelle elle porte plainte contre les avocats;

  • c) Une lettre de la demanderesse adressée au « poste de la police d’État » à Lahore dans laquelle elle porte plainte contre les avocats et déclare l’inaction de la police de Lahore;

  • d) Dans une lettre non signée, sur papier blanc sans en-tête, l’auteur, qui travaille apparemment pour Sadiq Enterprises, explique que la demanderesse a travaillé pour l’entreprise comme gestionnaire immobilière, exposant les circonstances qui ont occasionné son départ, et que l’entreprise avait ordonné aux employés de ne fournir aucun renseignement sur elle;

  • e) Deux conventions de bail et un addenda à la convention de bail qui comprennent la signature de la demanderesse à titre de témoin sur les dernières pages;

  • f) Deux lettres sur papier à en-tête de Sadiq Enterprises, toutes deux signées par la demanderesse, demandant que les locataires cessent toute activité politique qui enfreigne les règles d’affectation de l’immeuble;

  • g) Une lettre de l’association Mall Road Trader Association adressée à Sadiq Enterprises dans laquelle l’auteur fait état d’une plainte en provenance de locataires de Sadiq Enterprises selon laquelle la demanderesse, à titre de gestionnaire immobilière pour Sadiq Enterprises, gênait les activités professionnelles des locataires;

  • h) Un accord de réconciliation entre les avocats et la demanderesse.

[7]  L’agent a examiné les observations de la demanderesse, puis a transmis le dossier à l’agent d’immigration responsable de l’examen des représentations erronées en vertu de l’article 40 de la Loi.

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[8]  L’agent n’était pas convaincu que la demanderesse satisfaisait aux exigences en matière d’immigration au Canada dans le cadre du programme de TQF. L’agent qui a été désigné pour procéder à l’examen du dossier de fausse représentation de la demanderesse a déterminé que celle-ci était interdite de territoire au Canada aux motifs qu’elle avait fait des présentations erronées sur des faits importants dans sa demande. Elle était en conséquence assujettie à l’article 40 de la Loi.

[9]  Dans la lettre communiquant la décision à la demanderesse, l’agent explique qu’il n’est pas convaincu qu’elle a accompli les actions décrites dans sa demande de résidence permanente ou un nombre important des principales tâches énumérées sous le code 1224 (administrateur d’immeubles) de la Classification nationale des professions (CNP). L’agent souligne les résultats de la visite de vérification de l’UER à l’adresse précisée dans la lettre de recommandation de la demanderesse. L’UER signale que personne de l’immeuble ne reconnaissait la demanderesse. L’UER a été informée que la gestion immobilière de l’immeuble relevait de deux personnes autres que la demanderesse. Vu que les documents soumis par la demanderesse ne convainquent pas l’agent qu’elle a travaillé à titre de gestionnaire immobilière pour Sadiq Enterprises, elle ne satisfait pas aux exigences du programme de TQF.

[10]  Les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC) soumises en réponse à la demande de motifs de la demanderesse, conformément à l’article 9 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, donnent plus de précisions sur les doutes de l’agent à propos des documents de la demanderesse. L’agent souligne l’absence [traduction] d’« états bancaires montrant les dépôts des payes ou les documents d’impôt montrant le paiement d’impôts sur le revenu ». Au lieu de cela, l’agent constate que les documents soumis [traduction] « ne sont pas de particulièrement de bonne qualité. »

[11]  L’agent met en doute les conventions de bail fournies par la demanderesse aux motifs que la signature de celle-ci n’apparaît qu’à la dernière page à titre de témoin. Par comparaison, les deux baux complets sont signés sur chaque page par les parties. La demanderesse est également la seule signataire qui ne fournit pas son numéro de carte d’identité nationale numérisée. Et le bail daté du 17 avril 2015 précise qu’un avis doit être adressé à une partie autre que Sadiq Enterprises, et le nom de la demanderesse n’y figure pas à titre de gestionnaire immobilière.

[12]  L’agent tient compte de l’explication de la demanderesse selon laquelle les employés de l’immeuble, dont elle déclare être la gestionnaire, affirment ne pas la connaître. Mais malgré les deux lettres de plainte qu’elle a envoyées à la police, la demanderesse n’a fourni aucun document officiel de la police, comme un premier rapport d’information, qui pourrait corroborer ses plaintes de harcèlement. L’agent souligne également que l’explication de la demanderesse, selon laquelle son employeur aurait demandé à ses employés de nier la connaître, n’explique pas pourquoi les locataires de l’immeuble ne l’ont pas reconnue ou ont affirmé à l’UER que [traduction] « le gestionnaire de l’étage, M. Nianzi [sic] » était responsable de la gestion immobilière. Par conséquent, l’agent accorde plus de poids au rapport de l’UER et conclut que la demanderesse ne possède pas l’expérience qu’elle prétend avoir et ne satisfait pas aux exigences des paragraphes 75(2) et 75(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement). L’agent refuse donc la demande de résidence permanente de la demanderesse.

[13]  Dans sa décision, l’agent explique également que, comme les documents soumis par la demanderesse concernant son emploi pour Sadiq Enterprises avaient été jugés non authentiques, elle avait fait des présentations erronées sur des faits importants pour l’évaluation visant à déterminer si elle satisfaisait aux exigences de la catégorie des TQF. Comme cela aurait pu mener à une erreur dans l’application de la Loi, la demanderesse est interdite de territoire au Canada pour une durée de cinq ans, en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[14]  La demanderesse soutient que la présente demande soulève les questions suivantes :

  1. L’évaluation par l’agent de la réponse de la demanderesse à la lettre relative à l’équité procédurale était-elle raisonnable?

[15]  À mon avis, les questions dans cette demande se décomposent en deux questions :

  1. L’agent a-t-il manqué à l’obligation d’équité en ne donnant pas à la demanderesse l’occasion de répondre à ses préoccupations au sujet de la crédibilité des documents fournis par la demanderesse dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale de l’agent?
  2. Est-ce que la décision qui a conclu que la demanderesse avait fait une présentation erronée sur des faits importants dans sa demande de résidence permanente est déraisonnable?

V.  NORME DE CONTRÔLE

[16]  Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. Lorsque la jurisprudence est constante quant à la norme de contrôle applicable à une question précise, la cour de révision peut adopter cette norme. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente des principes de contrôle judiciaire en common law que la cour de révision doit procéder à une analyse des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[17]  La norme de contrôle pour les questions d’équité procédurale est la décision correcte. Voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa], et l’arrêt Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79.

[18]  La conclusion de fausse représentation d’un agent de l’immigration aux termes de l’article 40 de la Loi est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Voir l’arrêt Seraj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 38, au paragraphe 11.

[19]  Lorsqu’une décision est examinée en regard de la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attache à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et l’arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision contestée est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[20]  Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

[21]  Les dispositions suivantes du Règlement sont applicables en l’espèce :

Qualité

Skilled workers

75 (2) Est un travailleur qualifié l’étranger qui satisfait aux exigences suivantes :

75 (2) A foreign national is a skilled worker if

a) il a accumulé, de façon continue, au moins une année d’expérience de travail à temps plein ou l’équivalent temps plein pour un travail à temps partiel, au cours des dix années qui ont précédé la date de présentation de sa demande de visa de résident permanent, dans la profession principale visée par sa demande appartenant au genre de compétence 0 Gestion ou aux niveaux de compétence A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions, exception faite des professions d’accès limité;

(a) within the 10 years before the date on which their application for a permanent resident visa is made, they have accumulated, over a continuous period, at least one year of full-time work experience, or the equivalent in part-time work, in the occupation identified by the foreign national in their application as their primary occupation, other than a restricted occupation, that is listed in Skill Type 0 Management Occupations or Skill Level A or B of the National Occupational Classification matrix;

b) pendant cette période d’emploi, il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession dans les descriptions des professions de cette classification;

(b) during that period of employment they performed the actions described in the lead statement for the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification;

c) pendant cette période d’emploi, il a exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession figurant dans les descriptions des professions de cette classification, notamment toutes les fonctions essentielles;

(c) during that period of employment they performed a substantial number of the main duties of the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification, including all of the essential duties;

Exigences

Minimal requirements

(3) Si l’étranger ne satisfait pas aux exigences prévues au paragraphe (2), l’agent met fin à l’examen de la demande de visa de résident permanent et la refuse.

(3) If the foreign national fails to meet the requirements of subsection (2), the application for a permanent resident visa shall be refused and no further assessment is required.

VII.  ARGUMENTATION

A.  Demanderesse

(1)  Équité procédurale

[22]  La demanderesse allègue que l’agent a manqué à son obligation d’équité en ne lui transmettant pas ses préoccupations concernant l’authenticité des documents qu’elle a soumis en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. Elle déclare qu’il apparaît clairement dans la décision que l’agent avait des doutes quant à la légitimité de bon nombre des documents qu’elle a soumis. En pareilles circonstances, lorsque de nouveaux doutes sont soulevés quant à la véracité des documents soumis en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, la Cour a conclu que « l’agent aurait dû accorder au demandeur la possibilité de répondre aux nouvelles réserves ». Voir l’arrêt Grewal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 955, aux paragraphes 17 à 20 [Grewal]. La demanderesse allègue que l’agent aurait pu demander les copies originales des documents et des explications quant aux lacunes apparentes. La Cour a fait observer que si la demanderesse pouvait avoir présenté des documents frauduleux, la réponse appropriée aurait pu être d’obtenir l’évaluation d’un expert en matière d’authenticité de documents. Voir l’arrêt Agyemang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 265, au paragraphe 14 [Agyemang]. La demanderesse allègue que, même si l’analyse d’un expert est inutile, l’agent ne peut pas refuser de prendre les mesures qui s’offrent à lui pour vérifier les documents, comme demander des copies originales, avant de prendre une décision sur leur crédibilité.

[23]  Elle allègue également que l’agent ne peut la mettre en doute pour avoir omis de fournir des documents qui n’ont jamais été demandés. L’agent affirme à répétition que la demanderesse n’a pas fourni de relevés bancaires ni de documents d’impôt. Mais la demanderesse fait observer que ni la liste de vérification des documents d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) ni la lettre relative à l’équité procédurale de l’agent ne demandaient ces pièces justificatives. Elle affirme que si l’agent lui avait soulevé ces préoccupations, elle aurait pu lui fournir les documents ou une justification quant à leur inaccessibilité.

[24]  La demanderesse affirme également que, à de nombreux endroits dans la décision, l’agent décrit son expérience de travail comme étant [traduction« culturellement inhabituelle ». La phrase est répétée à la fois avant et après la visite sur place de l’UER, et la demanderesse indique qu’elle fait partie des facteurs pris en compte dans l’évaluation de l’agent. La demanderesse déclare que l’agent n’a pas précisé le sens de cette phrase ni fourni de fondement probatoire à cette préoccupation. Et comme cette préoccupation n’a jamais été soumise à la demanderesse, celle-ci n’en a jamais été avisée et n’a jamais eu l’occasion de réfuter cette préoccupation en présentant des éléments de preuve qu’il n’est pas culturellement inhabituel pour une femme d’occuper un poste de gestionnaire immobilière au Pakistan.

[25]  La demanderesse souligne également que l’agent renvoie à son défaut de fournir un premier rapport d’information de la police ou d’autres documents officiels étayant le harcèlement auquel elle a fait face. Même si la demanderesse conteste la conclusion de l’agent selon laquelle un tel document devrait normalement exister en cas de plainte de harcèlement aux autorités, elle souligne également que l’agent ne lui a jamais fait part de cette préoccupation. Elle affirme que, si cette préoccupation avait été soulevée, elle aurait pu expliquer pourquoi il était peu probable qu’un tel rapport existe. Et elle mentionne qu’elle a fourni d’autres lettres corroborant le harcèlement. Ces lettres portent l’en-tête officiel des organisations qui sont censées les avoir préparées, et la demanderesse fait valoir qu’il est difficile de comprendre pourquoi l’agent discrédite leur valeur probante en mettant uniquement l’accent sur l’absence de rapport de police.

(2)  Fausses représentations

[26]  La demanderesse avance que la conclusion selon laquelle elle a fait des présentations erronées sur des faits importants est déraisonnable. En raison des conséquences importantes d’une conclusion de présentations erronées, une telle conclusion « peut uniquement être tirée dans un cas où elle est appuyée par une “preuve claire et convaincante” » : arrêt Borazjani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 225, au paragraphe 11, citant l’arrêt Xu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 784, au paragraphe 16 [Xu]. Contrairement à d’autres conclusions d’interdiction de territoire fondées sur la norme des motifs raisonnables de croire, aux termes de l’article 40 de la Loi, une conclusion de fausses représentations doit être établie selon la prépondérance des probabilités. Voir la Loi, article 33, et l’arrêt Chughtai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 416, aux paragraphes 29 et 30 [Chughtai]. Ainsi, il est possible de faire la distinction entre un demandeur qui soumet des éléments de preuve d’emploi véritable insuffisants et un cas où les éléments de preuve sont suffisants pour conclure qu’un demandeur a fait une fausse représentation.

[27]  La demanderesse affirme que, même si l’agent avait des préoccupations ou questions supplémentaires concernant les documents qu’elle a fournis pour établir le bien-fondé de son emploi, il était déraisonnable de sauter à la conclusion de fausse représentation sans autre investigation. Voir l’arrêt Chughtai, précité, au paragraphe 30, et Xu, précité, au paragraphe 16.

[28]  La demanderesse affirme également que le traitement de l’agent à l’égard des éléments de preuve qu’elle a soumis en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale était déraisonnable. Elle indique que les conventions de bail sont les indications les plus claires qui montrent qu’elle a agi à titre de gestionnaire immobilière pour Sadiq Enterprises. Les relevés bancaires et les documents d’impôt n’auraient pas fourni d’éléments de preuve sur le poste qu’elle a occupé et les tâches qu’elle a accomplies, et auraient donc été insuffisants pour établir qu’elle satisfaisait aux exigences du programme de TQF. Elle mentionne que l’importance que l’agent a accordée à son nom apparaissant uniquement à la dernière page n’a pas tenu compte du fait que c’est l’endroit où l’on pourrait s’attendre à ce que les signatures des parties soient apposées. En plus d’inclure la signature de la demanderesse comme témoin, les timbres sur les baux indiquent également qu’elle est la gestionnaire immobilière à Plaza Sadiq. Elle affirme que l’agent a été négligent ou encore malhonnête en ne tenant pas compte de ces timbres. Et en faisant remarquer que la demanderesse était l’unique signataire à ne pas inscrire son numéro de carte d’identité nationale numérisée, l’agent n’a pas prêté attention qu’elle était la seule signataire à avoir apposé ses empreintes digitales à l’encre sur chaque demande. Elle souligne qu’il aurait été facile d’ajouter un numéro de carte d’identité nationale numérisée si les documents étaient forgés, et allègue que le fait que l’agent se soit appuyé sur l’absence du numéro illustre son zèle à discréditer ses documents.

B.  Défendeur

(1)  Équité procédurale

[29]  Le défendeur allègue que l’agent n’a pas manqué à l’obligation d’équité, puisque la demanderesse avait été informée des préoccupations à l’égard de l’authenticité de son emploi et a eu l’occasion de répondre. Le défendeur souligne que le niveau d’équité procédurale auquel les demandeurs ont droit se situe à l’extrémité inférieure du registre. Voir l’arrêt Pan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 838, au paragraphe 26 [Pan], citant l’arrêt Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), [2001] 2 RCF 297, au paragraphe 41 (CA), l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khan, 2001 CAF 345, aux paragraphes 30 à 32, et l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Patel, 2002 CAF 55, au paragraphe 10. Il incombe également à la demanderesse de bien présenter son dossier, car des documents d’appui ambigus ou insuffisants ne donnent pas le droit à une entrevue ni à des demandes de renseignements supplémentaires ni ne transfèrent à l’agent le fardeau de la preuve. Voir l’arrêt Pan, précité, aux paragraphes 27 et 28. L’agent n’est pas obligé de dire au demandeur ce « qu’est le résultat de sa demande »; l’imposition de cette obligation à l’agent « reviendrait à lui demander de donner avis préalable d’une décision défavorable, obligation qui a été explicitement écartée » : arrêt Pan, précité, au paragraphe 28.

[30]  Le défendeur affirme que la lettre relative à l’équité procédurale que l’agent a envoyée à la demanderesse informe celle-ci de ses préoccupations à l’égard de son présumé emploi et des constatations de la visite sur place de l’UER. En guise de réponse, la demanderesse a soumis les documents du bail, sans autre explication, outre la déclaration selon laquelle les documents prouvent son emploi à Sadiq Enterprises. Elle n’a joint aucun autre document à l’appui, comme des relevés bancaires ou des documents d’impôt. L’agent a examiné les baux, et les autres documents soumis par la demanderesse, et est arrivé à ses conclusions.

[31]  Le défendeur allègue que l’agent n’avait pas l’obligation de pousser ses investigations plus loin ou de demander des éclaircissements et de meilleurs éléments de preuve en réponse aux lacunes de la réponse de la demanderesse à la lettre relative à l’équité procédurale. Voir l’arrêt He c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 33, au paragraphe 30 [He]; citant l’arrêt Heer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1357, au paragraphe 19. Un agent n’est pas obligé d’accepter les explications ou les excuses présentées par un demandeur. Voir l’arrêt Sinnachamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1092, au paragraphe 17. Le défendeur affirme que la présente espèce s’apparente à l’arrêt He, précité, au paragraphe 30, dans lequel le juge de Montigny a établi qu’un agent ne commet pas de manquement à l’obligation procédurale en n’effectuant pas de demande de renseignements en guise de suivi, car il y avait déjà un fondement probatoire à la conclusion de fausse représentation. Voir aussi l’arrêt Ni c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 162. Comme la réponse de la demanderesse à la lettre relative à l’équité procédurale ne répond pas à toutes les préoccupations existantes de l’agent, les préoccupations quant à la piètre qualité des documents qu’elle a soumis et l’absence de premier rapport d’information de la police n’ont fait que s’ajouter à celles désignées par l’agent.

[32]  Le défendeur ajoute qu’un examen judicieux de l’arrêt Grewal montre qu’il se distingue de la présente affaire. Dans cet arrêt, la décision du juge Kane porte sur les « circonstances particulières de l’espèce », lesquelles comprennent des « signaux d’alarme » sur la façon dont les renseignements se fondent sur la conclusion de fausse représentation, a été vérifiée et ne constituait pas de contradictions entre ces renseignements et les autres documents soumis par la demanderesse. Voir l’arrêt Grewal, précité, aux paragraphes 20 et 22. Le défendeur dit que l’arrêt Agyemang se distingue également en raison de ses faits uniques.

(2)  Fausses représentations

[33]  Le défendeur allègue que l’agent a raisonnablement évalué la réponse de la demanderesse à la lettre relative à l’équité procédurale et que la conclusion de fausses représentations est raisonnable. Il accepte qu’une conclusion d’interdiction de territoire en raison de fausses représentations soit faite selon la norme de la prépondérance des probabilités, mais il fait remarquer que le principe fondamental du droit de l’immigration veut que les non-citoyens n’aient pas un droit absolu d’entrer au pays ou d’y demeurer. Voir l’arrêt Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 RCS 51, au paragraphe 46, et l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli [1992] 1 SCR 711, au paragraphe 733. La réponse de la demanderesse n’indiquait pas pour quelle raison les locataires de l’immeuble dont elle gérait ne reconnaissaient pas sa photographie ni pour quelle raison ils traitaient avec quelqu’un d’autre à titre de gestionnaire immobilier. La demanderesse a également omis de fournir ses relevés bancaires sur lesquels apparaissent les dépôts bancaires et les documents d’impôt qui doivent exister si elle a travaillé comme gestionnaire immobilière. Dans les circonstances, l’agent a accordé plus de poids aux renseignements consignés dans le rapport de l’UER, et le défendeur en vient à la seule conclusion évidente que toute la demande de la demanderesse est frauduleuse.

[34]  En ce qui concerne plus particulièrement l’absence de premier rapport d’information de la police, le défendeur affirme que l’agent était préoccupé par l’inexistence des documents de la police en réponse aux plaintes que la demanderesse allègue avoir déposées et qui ont été inclus dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale.

[35]  Le défendeur affirme également que les éléments de preuve de fausses représentations sont nombreux. En réponse aux préoccupations de la lettre relative à l’équité procédurale quant à l’emploi allégué, la demanderesse a soumis des baux qu’elle a prétendument signés au lieu des documents comme des relevés bancaires et des relevés d’impôt qui sont plus difficiles à forger. Des irrégularités dans le formatage des baux, à savoir la signature de la demanderesse qui n’apparaît qu’à la dernière page et l’omission de cette dernière de fournir son numéro de carte d’identité nationale numérisée, constituent un fondement raisonnable aux préoccupations de l’agent. En remettant en question la mise en page de ces baux, l’agent ne s’est pas livré à une analyse amateur en matière légale, mais bien à une appréciation des éléments de preuve. Le défendeur allègue que la proposition de la demanderesse, selon laquelle il aurait été facile d’omettre les incohérences si les baux étaient en fait des faux, mène simplement à la conclusion que la demanderesse n’a pas été avisée en contrefaisant les documents. Le défendeur affirme que les arguments de la demanderesse visent à distraire de son défaut à répondre à la conclusion principale de l’agent : elle n’a pu expliquer pourquoi les locataires de l’immeuble qui ont été interrogés par l’UER ne la connaissaient pas.

[36]  Le défendeur soutient également que l’agent n’a pas considéré l’emploi de la demanderesse comme étant [traduction« culturellement inhabituel ». Il souligne qu’aucune mention de ce facteur n’est faite dans la partie principale des motifs de l’agent. L’opinion de l’agent selon laquelle l’emploi de la demanderesse semblait culturellement inhabituel a contribué aux doutes initiaux quant à l’authenticité de sa demande et a donné lieu à une investigation. Les résultats de la visite sur place ont validé ces doutes et constituent le fondement des conclusions de l’agent.

[37]  Le défendeur souligne également que l’affidavit plus complet de la demanderesse, signé bien après la décision, tente de fournir un élément de preuve concernant ce que la demanderesse aurait dit en réponse aux préoccupations de l’agent sur l’authenticité des baux, si cette préoccupation avait été soulevée. Le défendeur affirme que, dans la mesure où l’on tente de miner le caractère raisonnable de la décision, il s’agit d’une tentative inacceptable de fournir une contre-preuve qui n’a pas été soumise au décideur et une invitation à cette Cour de réévaluer les éléments de preuve. Voir l’arrêt Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, aux paragraphes 13 à 18, citant l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux paragraphes 17 à 19.

VIII.  ANALYSE

[38]  Voici l’essentiel de la présente décision, qui figure dans les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC) :

Après examen de tous les renseignements dont je suis saisi, je ne suis pas convaincu que la demanderesse ait travaillé en tant que gestionnaire immobilière pour Sadiq Enterprises comme elle le déclare, pour les motifs cités ci-dessous. Les documents que la demanderesse a soumis pour cet emploi ne sont pas de très bonne qualité, et elle n’a pas fourni de documents secondaires à l’appui, comme des relevés bancaires montrant les dépôts de son salaire ou des documents d’impôt montrant le paiement d’impôt sur le revenu pour confirmer son emploi. Elle a fourni les copies des conventions de bail, cependant, je remarque que son nom n’apparaît qu’à la toute dernière page en qualité de témoin et, dans chaque cas, elle est seule à ne pas avoir un numéro de carte d’identité nationale numérisée inscrit dans la liste. Je remarque que la signature de la demanderesse ne figure pas parmi les autres signatures au bas de chaque page des baux du 17 avril 2015 ou de février 2008. Le bail du 17 avril 2015 mentionne également que tout avis doit être adressé à Shahid Mahmood et ne mentionne pas la demanderesse comme gestionnaire immobilière. La demanderesse déclare que l’employé de l’entreprise niait la connaître comme employée de l’entreprise en raison d’un litige qu’elle a eu avec les locataires de l’immeuble. Elle déclare avoir reçu une lettre de plainte de l’association Mall Road Trader Association en raison d’une plainte déposée contre elle par les avocats et qu’elle a signalé le harcèlement des avocats à la police et a fourni une copie des deux lettres qu’elle affirme avoir envoyées à la police. Cependant, je remarque que la demanderesse n’a pas fourni de documents officiels de la police, comme une copie du premier rapport d’information, qui pourrait corroborer ces faits. Au cours de la visite sur place, l’UER a aussi parlé à des employés de deux entreprises qui louaient des bureaux à Sadiq Enterprises ainsi qu’à l’employé de Sadiq Enterprises. Les employés de ces deux entreprises n’ont pas non plus reconnu la photographie ni le nom de la demanderesse. Ils avaient loué leurs bureaux au moment où la demanderesse affirme avoir occupé le poste de gestionnaire immobilière. Ces renseignements ont été fournis à la demanderesse dans la lettre relative à l’équité procédurale, mais cette dernière n’a pas fourni d’explication concernant les raisons pour lesquelles ces locataires de l’immeuble ne l’ont pas reconnue et ont dit à l’UER que le gestionnaire d’étage, M. Nianzi [sic], était la personne responsable de la gestion immobilière. Après examen de tous les renseignements dont je dispose, j’accorde plus de poids aux éléments de preuve fournis par le rapport de l’UER. Je remarque que l’UER a parlé avec un employé de l’entreprise et des locataires de l’immeuble qui nient tous connaître la demanderesse. Je remarque également que la demanderesse n’a pas fourni de documents, comme des relevés bancaires ou des documents d’impôt du Federal Board of Revenue (FBR), pour son travail et n’a pas fourni de premier rapport d’information de la police ni d’autres documents officiels en lien avec le harcèlement auquel elle affirme avoir été confrontée. Selon la prépondérance des probabilités, il semble que la demanderesse n’a pas travaillé à titre de gestionnaire immobilière pour Sadiq Enterprises comme elle l’affirme et il semble qu’elle ne possède pas l’expérience de travail comme gestionnaire immobilière pour satisfaire au code 1224 de la CNP comme elle l’a déclaré. En conséquence, à la lumière de ce qui précède, je ne suis pas convaincu que la demanderesse possède l’expérience à titre de gestionnaire immobilière comme elle le déclare. Cette demande sera refusée, car elle ne respecte pas les exigences de l’alinéa 75(2)a) et du paragraphe 75(3) du Règlement. La demanderesse a inscrit le code 0112 de la CNP comme étant son travail principal, mais ne je ne suis convaincu qu’elle a accompli les tâches décrites dans l’énoncé principal ni un nombre important des tâches principales. Il semble que l’article 40 de la LIPR s’applique en l’espèce, car, à mon avis, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse a fait une présentation erronée. La demanderesse a soumis des documents de Sadiq Enterprises pour montrer qu’elle est conforme à la CNP afin de satisfaire aux exigences minimales. Le dossier sera donc renvoyé à un agent délégué afin qu’il réexamine les préoccupations relatives à l’article 40 de la LIPR[.]

[39]  Voici ce qu’affirme la lettre relative à l’équité procédurale qui précédait ces conclusions :

[traduction] La présente concerne votre demande de résidence permanente au Canada à titre de membre de la catégorie de TQF. J’ai examiné votre demande, et tous les documents que vous avez soumis à l’appui de celle-ci. Il semble que vous ne satisfaites pas aux exigences en matière d’immigration au Canada. Le paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) prévoit qu’un étranger doit, avant d’entrer au Canada, solliciter auprès d’un agent un visa ou tout autre document exigé par le Règlement. Le visa ou autre document lui est délivré sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la Loi. J’ai des motifs raisonnables de croire que vous ne satisfaites pas aux exigences citées au paragraphe 16(1) de la LIPR de la façon suivante : L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visas et documents requis. Plus particulièrement, nous pensons que la lettre de recommandation de Sadiq Enterprises que vous avez fournie, et qui est datée du 21 novembre 2014, à l’appui de votre demande pourrait être frauduleuse. L’UER au Haut-Commissariat du Canada à Islamabad a effectué une visite de vérification à l’adresse inscrite dans votre lettre de recommandation, où elle a parlé avec un employé compétent de l’entreprise et des locataires de l’immeuble. L’UER a signalé qu’aucune des personnes avec qui elle a parlé n’a reconnu votre photographie, et a été informée que la gestion immobilière est assurée par deux personnes, dont aucune ne portait votre nom. D’après cette visite de vérification, l’UER au Haut-Commissariat du Canada à Islamabad a conclu que les renseignements que vous avez fournis, et la lettre de recommandation soumise à l’appui de ceux-ci, sont frauduleux. Le paragraphe 40(1) de la LIPR prévoit ce qui suit : Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants : a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi. Veuillez noter que si un agent d’immigration supérieur conclu que la fausse représentation est importante pour votre demande de visa de résidente permanente, vous pourriez être jugée interdite de territoire en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Une telle conclusion emporterait contre vous interdiction de territoire au Canada pour une période de cinq ans suivant l’alinéa 40(2)a), qui prévoit ce qui suit : l’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi; Je vous offre l’occasion de répondre à la présente, et de soumettre tout renseignement supplémentaire ou élément de preuve que vous souhaitez qui soit pris en compte se rattachant à votre demande et aux renseignements versés dans les présentes. Vos réponses et tout autre élément de preuve que vous fournissez seront tous pris en compte et examinés au complet avant que je prenne une décision dans votre dossier. Aux fins de clarté et d’équité à l’égard de ce processus, je tiens à vous informer que si je constate que la preuve contenue dans votre dossier ne tend pas à démontrer que vous avez travaillé à titre de gestionnaire immobilière, votre demande pourrait être refusée aux motifs qu’elle ne satisfait pas aux exigences minimales. Par ailleurs, comme il est exposé ci-dessus, si l’on constate que vous avez fait des déclarations inexactes dans le cadre de vos observations, vous pourriez être déclarée interdite de territoire au Canada, conformément au paragraphe 75(2) du Règlement, qui prévoit que l’étranger est un travailleur qualifié s’il satisfait aux exigences suivantes : au cours des dix années qui ont précédé la date de présentation de la demande de visa de résidence permanente, il a accumulé, de façon continue, au moins une année d’expérience de travail à temps plein (30 heures/semaine), comme il est précisé au paragraphe 73(1), ou l’équivalent temps plein pour un travail à temps partiel, dans la profession principale visée par sa demande appartenant au genre de compétence 0 Gestion ou aux niveaux de compétence A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions, exception faite des professions d’accès limité; pendant cette période d’emploi, elle a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession dans les descriptions des professions de cette classification; pendant cette période d’emploi, elle a accompli un nombre appréciable des fonctions principales énoncées dans les descriptions des professions de cette classification, y compris toutes les tâches essentielles; pour les motifs exposés précédemment, je doute que vous ayez l’expérience de travail à titre d’administratrice immobilière pour satisfaire au code 1224 de la CNP indiqué comme votre travail principal. Veuillez répondre en écrivant à l’adresse qui apparaît au haut de la présente et indiquez clairement votre numéro de dossier pour toutes vos communications adressées au Haut-Commissariat du Canada, Londres, Royaume-Uni. Si vous ne répondez pas à cette demande dans un délai de 30 jours, votre demande sera examinée d’après les renseignements actuellement consignés au dossier et peut faire l’objet d’un refus. Cordialement à vous, Agent d’immigration

[40]  Comme nous pouvons le constater à la lumière des notes du SMGC qui précèdent, les conclusions défavorables de l’agent sont fondées sur plusieurs facteurs :

  • (a) Les documents fournis [traduction« ne sont pas de très bonne qualité »;

  • (b) La demanderesse n’a pas fourni [traduction« de documents secondaires à l’appui, comme des relevés bancaires montrant les dépôts de son salaire ou des documents d’impôt montrant le paiement d’impôt sur le revenu pour confirmer son emploi »;

  • (c) Elle a fourni des copies des conventions de bail, mais l’agent avait des doutes quant à ces documents :

  • (d) Eu égard au litige de la demanderesse l’opposant aux avocats et aux lettres qu’elle a envoyées à la police, la demanderesse n’a pas fourni [traduction« de documents officiels de la police, comme une copie du premier rapport d’information, qui pourrait corroborer ces faits »;

  • (e) La demanderesse n’a pas fourni d’explication [traduction« concernant les raisons pour lesquelles (...) locataires de l’immeuble ne l’ont pas reconnue et ont dit à l’UER que le gestionnaire d’étage, M. Nianzi [sic], était la personne responsable de la gestion immobilière. »

  i.  Le nom de la demanderesse [traduction« n’apparaît que sur la toute dernière page en qualité de témoin »;

  ii.  La demanderesse est la seule [traduction« à ne pas avoir un numéro de carte d’identité nationale numérisée inscrit dans la liste »;

  iii.  La signature de la demanderesse [traduction« ne figure pas parmi les autres signatures au bas de chaque page des baux du 17 avril 2015 ou de février 2008 »;

  iv.  Le bail du 17 avril 2015 mentionne également que tout avis doit être adressé à Shahid Mahmood et ne mentionne pas la demanderesse comme gestionnaire immobilière.

[41]  En tenant compte de ces facteurs, l’agent a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, [traduction] « il semble que la demanderesse n’a pas travaillé comme gestionnaire immobilière pour Sadiq Enterprises comme elle l’affirme »; elle ne possède donc pas l’expérience de travail comme gestionnaire immobilière pour satisfaire aux exigences de la CNP et [traduction] « a fait une présentation erronée. »

[42]  Il n’est pas clair au vu de la décision quelle conclusion l’agent a tirée de ses observations concernant les conventions de bail dans la mesure où elles se rattachent au poste de la demanderesse à titre de gestionnaire immobilière pour Sadiq Enterprises. Il semble que les observations de l’agent visent à exprimer un doute, mais un doute à quel propos? Par exemple, pourquoi le fait que la signature de la demanderesse n’apparaît pas au bas de chaque page appuie une conclusion selon laquelle les documents sont faux ou le fait qu’elle n’est pas gestionnaire immobilière pour Sadiq Enterprises? Ou encore pourquoi le fait que la demanderesse n’utilise pas son numéro de carte d’identité nationale numérisée laisse croire que les documents sont faux? Si la demanderesse avait concocté des baux frauduleux, aucune raison n’explique pourquoi elle n’aurait pas écrit son numéro de carte d’identité, comme l’ont fait les autres signataires des baux. Si les faits soulignés par l’agent sont des anomalies qui le préoccupent, il devrait expliquer les motifs sur lesquels il se fonde pour les considérer en tant que tel, et devrait avancer quelque chose concernant les motifs qui expliquent pourquoi ils ne se conforment pas à la loi ou à la coutume locale. En ce qui a trait à l’équité procédurale, il devrait soumettre ses préoccupations à la demanderesse et lui accorder l’occasion d’expliquer ce qu’il considère comme des anomalies. Voir l’arrêt Grewal, précité, aux paragraphes 17 à 20.

[43]  Ces seuls motifs sont suffisants pour rendre la décision à la fois déraisonnable et injuste sur le plan procédural. Cependant, l’agent affirme que le nom de la demanderesse apparaît sur ces documents à titre de « témoin » et omet de reconnaître que les conventions de bail ne sont pas seulement signées par la demanderesse, mais qu’elles contiennent un timbre officiel qui indique « Sadiq Plaza » et « R. Hammad » – c.-à-d. le nom de la demanderesse – et « gestionnaire immobilière. » Il s’agit d’une grossière omission de la part de l’agent. Autrement dit, l’agent néglige – soit délibérément ou par omission – un fait important.

[44]  L’agent accorde une grande importance au rapport de l’UER : [traduction] « j’accorde plus de poids aux éléments de preuve fournis par le rapport de l’UER. » L’agent se fonde par ailleurs sur son point de vue selon lequel la demanderesse [traduction] « n’a pas fourni d’explication concernant les raisons pour lesquelles ces locataires de l’immeuble ne l’ont pas reconnue et ont dit à l’UER que le gestionnaire d’étage, M. Nianzi [sic], était la personne responsable de la gestion immobilière. »

[45]  Dans son affidavit, M. Niazi a déclaré ce qui suit :

[traduction] Je, Qamar Khan Niazi S/O Fazal-ur Rehman, numéro de carte d’identité nationale numérisée 35202-4442368-1, travaillant actuellement pour Sadiq Enterprises, 69, The Mall, Lahore, en qualité de gestionnaire d’étage, déclare solennellement ce qui suit :

1. Deux individus se sont présentés à moi au mois de septembre 2016, à mon travail, quatrième étage, Sadiq Plaza, me questionnant à propos de Raahema Hammad et me montrant sa photographie aux fins d’identification.

2. J’ai affirmé ne connaître absolument personne du nom de Raahema Hammad et ne pas reconnaître la personne sur la photographie.

3. J’ai travaillé de nombreuses années à titre de subordonné de Raahema Hammad pour Sadiq Enterprises. Elle a travaillé en qualité de gestionnaire immobilière alors que j’avais le titre de gestionnaire d’étage.

4. Raahema Hammad a quitté son emploi à Sadiq Enterprises au mois de mars 2016 pour des raisons personnelles.

5. La haute direction de Sadiq Enterprises m’a strictement ordonné de nier complètement son travail pour cette organisation ou de ne communiquer aucun renseignement sur cette personne à un tiers.

[46]  Le rapport de l’UER sur lequel se fonde l’agent précise ce qui suit :

À son arrivée au quatrième étage de Sadiq Plaza, l’UER n’a pas trouvé le gestionnaire d’étage, M. Niazi, mais on lui a dit qu’il serait bientôt de retour. L’UER a attendu le retour de M. Niazi. Dans l’intervalle, l’UER a interrogé le personnel de deux cabinets d’avocats (locataires pendant six et dix ans respectivement) de l’étage au sujet du gestionnaire de l’immeuble ou de la personne avec qui ils géraient les contrats, les questions relatives à la propriété, etc. Dans les deux cas, le personnel a confirmé que M. Niazi était la personne responsable. L’UER a montré la photographie de la demanderesse au personnel des deux cabinets, et personne de ces cabinets ne l’a reconnue.

M. Niazi est revenu et nous l’avons interrogé une fois de plus au sujet de son poste dans l’immeuble, ce à quoi il a répondu être le gestionnaire immobilier. Nous avons demandé à M. Niazi s’il était responsable de tout l’immeuble. M. Niazi a répondu à l’UER qu’il était responsable du quatrième étage, là où se trouvent tous les bureaux des cadres supérieurs, mais que les trois autres étages étaient gérés par M. Shafiq. Il a également affirmé à l’UER que M. Shafiq occupait son poste depuis trente ans.

L’UER a montré une photographie de la demanderesse à M. Niazi, mais celui-ci ne l’a pas reconnue et a confirmé qu’à sa connaissance elle n’a jamais travaillé dans l’immeuble.

PRÉOCCUPATIONS

  La personne vers laquelle l’UER a été dirigée et qui est désignée comme le gestionnaire immobilier était M. Niazi, qui occupe le poste de gestionnaire du quatrième étage de Sadiq Plaza depuis 2004;

  Le personnel de deux entreprises locataires du quatrième étage a confirmé qu’il ne traitait qu’avec M. Niazi pour les questions relatives à l’immeuble/contrat;

  Aucun membre du personnel des deux cabinets d’avocats ni M. Niazi n’ont reconnu la demanderesse sur la photographie de son dossier;

  Il a été confirmé que M. Shafiq était le gestionnaire des trois autres étages de l’immeuble et qu’il occupait ce poste depuis 30 ans;

  L’UER évalue aussi le fait qu’il serait [traduction] « culturellement inhabituel qu’une femme occupe ce poste ou travaille dans un environnement d’hommes », particulièrement en raison de la situation familiale de la demanderesse. La plupart des femmes, si elles travaillent, quitteront leur emploi à la naissance de leurs enfants. Il est également intéressant de souligner que, durant l’heure passée à Sadiq Plaza, l’UER n’a vu aucune femme travailler ou magasiner.

[47]  Le rapport de l’UER ne précise pas qui étaient les [traduction] « membres du personnel » consultés ni depuis combien de temps ces employés occupaient leur poste courant. La demanderesse avait quitté son emploi à ce moment-là, faisant en sorte que ces [traduction] « membres du personnel » ne l’avaient peut-être jamais vue ou n’avaient peut-être jamais entendu parler d’elle. Et l’affidavit de M. Niazi n’a pas fourni de raison justifiant ses paroles à ce moment.

[48]  Compte tenu des renseignements qui ont été fournis à la demanderesse dans la lettre relative à l’équité procédurale, dans laquelle les locataires et le personnel n’ont pas été identifiés, il ne me semble pas déraisonnable qu’elle essaie de répondre aux préoccupations de l’agent en lui fournissant des copies des conventions de bail qui la désignent comme gestionnaire immobilière, surtout si elle ne pouvait pas obtenir l’aide de la police.

[49]  Vu que le rapport de l’UER n’est pas concluant, ni particulièrement détaillé en raison du manque de renseignements sur les personnes consultées – outre les renseignements fournis par M. Niazi, qui est revenu plus tard sur ses déclarations – je crois qu’il était injuste sur le plan procédural dans ce cas de ne pas tenir compte des baux sans accorder à la demanderesse l’occasion de répondre aux préoccupations qui, en mon sens, ne révélaient pas vraiment qu’il s’agissait de documents frauduleux. La demanderesse aurait également dû avoir l’occasion d’expliquer pour quelle raison il n’y avait pas de premier rapport d’information de la police si l’agent comptait se fonder sur ce fait. Comme l’a souligné la juge Kane dans l’arrêt Grewal :

[19]  Bien que les principes dégagés de la jurisprudence aient généralement été suivis pour traiter le devoir auquel est soumis l’agent des visas lors de l’évaluation des documents justificatifs et des éléments de preuve dans le cadre de la demande initiale, les mêmes principes ont guidé mon évaluation de la teneur du devoir d’équité procédurale qui est dû en l’espèce. Selon les renseignements consignés dans le SMGC, l’agent a remis en question l’absence de date sur la lettre de réponse du demandeur, il a douté de la véracité du contenu de la lettre du directeur général et il a douté de la véracité ou de l’authenticité des talons de paye, en mentionnant que la présence de la même encre sur ceux-ci laissait croire qu’ils avaient tous été préparés en même temps, et non chaque mois. Le défendeur soutient également que ces documents présentaient des signes manifestes de non-fiabilité. La crédibilité, la véracité ou l’authenticité des documents était manifestement en cause.

[20]  Dans les circonstances particulières de l’espèce, y compris celles mentionnées dans mes observations ci‑dessous, l’agent aurait dû accorder au demandeur la possibilité de répondre aux nouvelles réserves.

[50]  Dans les circonstances particulières de l’espèce, je suis d’avis que la décision est déraisonnable et, avant de prendre une décision finale, l’agent aurait dû accorder à la demanderesse l’occasion de répondre aux nouvelles préoccupations soulevées par la réponse de la demanderesse à la lettre relative à l’équité procédurale.

[51]  Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est d’accord.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4180-17

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un autre agent.

  2. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4180-17

 

INTITULÉ :

RAAHEMA HAMMAD c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 avril 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Aris Daghighian

Pour la demanderesse

 

John Provart

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green and Spiegel LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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