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Date : 20180502


Dossier : IMM-3826-17

Référence : 2018 CF 472

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2018

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

JANVIER, PAULIN

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

Partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Monsieur Paulin Janvier demande le contrôle judiciaire de la mesure d’expulsion émise contre lui le 15 août 2017, par la Section de l’immigration [SI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SI a conclu qu’il était interdit de territoire au Canada, en application de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], pour avoir participé au plan d’activités d’une organisation criminelle visant à frauder le gouvernement canadien.

[2]  Pour les motifs qui suivent, cette demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II.  Faits

[3]  Le demandeur est citoyen d’Haïti. À compter de juin 2012, il était ce que l’on appelle un employé recruté sur place [ERP] de la Section administration de l’ambassade canadienne à Port-au-Prince, nommé au poste d’adjoint aux biens et matériels. En cette qualité, il était responsable de l’achat des produits d’entretien pour la mission de Port-au-Prince et de l’achat des électroménagers pour les logements du personnel de la Mission. Il avait notamment la tâche de préparer les devis, négocier les prix avec les fournisseurs et préparer les bons de commande.

[4]  Pendant qu’il était en poste, les dirigeants de la Mission ont enquêté sur un certain nombre d’ERP. Ils ont découvert l’existence d’un stratagème visant à frauder le gouvernement canadien et lui soutirer une somme évaluée à 1 728 150 $.

[5]  L’enquête a débuté au printemps 2015 en lien avec l’utilisation non autorisée de plaques d’immatriculation diplomatiques canadiennes. On a alors découvert que deux ERP, soit les Personne 1 et Personne 3 (le défendeur a demandé que les tierces personnes impliquées ne soient pas identifiées dans les présents motifs), utilisaient des plaques d’immatriculation diplomatiques canadiennes sur leurs véhicules personnels et auraient participé à des encans irréguliers visant la vente de véhicules de diplomates canadiens. Ils ont été congédiés à l’issue de l’enquête.

[6]  L’enquête a également révélé que plusieurs autres ERP étaient impliqués dans divers stratagèmes de fabrication de fausses factures, parfois émanant de faux fournisseurs et parfois en lien avec des services rendus pour le bénéfice personnel d’ERP. En mars 2016, d’autres ERP ont été congédiés.

[7]  En juin 2016, le demandeur a été interviewé par les enquêteurs et mis à pied en attente des résultats de l’enquête peu de temps après. Le rapport d’enquête préliminaire qu’il a reçu en août 2016 énonce ce qui suit :

En dépit du fait que l’enquête n’ait pas été en mesure de faire la démonstration, qu’à l’instar de ses collègues ERP, M. Janvier a profité de sa position pour soutirer des commissions occultes de la part des fournisseurs de la Mission, son rôle central auprès des fournisseurs de son secteur, dont au moins trois sont reliés à des activités de nature frauduleuses, et les contradictions apparentes dans son témoignage, soulèvent d’importantes questions au sujet de son intégrité.

M. Janvier a brisé irrémédiablement le lien de confiance qui l’unissait à son employeur, notamment, par sa tentative apparente de cacher à l’administration les liens étroits entre la conseillère en santé de l’ambassade et l’entreprise Gladys Depot, en fabriquant des devis et factures pour un fournisseur ayant des liens familiers avec sa conjointe, en contournant les règlements du ministère relativement au paiement des fournisseurs, et finalement, en étant complice avec une collègue ERP dans l’octroi de marchés à une entreprise fantôme.

(Aux pp 10-11 du Rapport abrégé de l’enquête administrative relative à des allégations de fraude et de malversation à l’endroit de Paulin Janvier.)

[8]  En août 2016, le demandeur a soumis ses commentaires sur le rapport d’enquête préliminaire et a réfuté toutes les allégations faites contre lui. En septembre 2016, il a quitté Haïti pour venir au Canada, en transitant par les États-Unis. Il a demandé le statut de réfugié au poste frontalier de Saint-Bernard-de-Lacolle.

[9]  Dans un affidavit produit au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur explique que puisqu’il savait qu’il allait être congédié comme les autres ERP, il n’a pas attendu l’issue de l’enquête avant de quitter Haïti.

[10]  L’Agence des services frontaliers du Canada a émis un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR; un déféré pour enquête a été émis et la demande d’asile du demandeur a été suspendue. À l’issue de sa propre enquête, la SI a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour avoir participé au plan d’activités d’une organisation criminelle et a émis sa mesure d’expulsion.

III.  Décision contestée

[11]  La SI expose d’abord le contexte de l’enquête qui a mené au congédiement de plusieurs ERP de la mission de Port-au-Prince. Elle poursuit en énonçant les motifs raisonnables qui lui permettent de croire qu’il existe une organisation criminelle au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR et, finalement, elle énonce les motifs raisonnables qui lui permettent de croire que le demandeur s’est livré à des activités faisant partie du plan d’activités criminelles de cette organisation.

(1)  Contexte

[12]  L’enquête de la Mission s’est soldée par le congédiement d’au moins onze ERP. La SI a analysé trois différents stratagèmes frauduleux: (i) l’utilisation de plaques d’immatriculation diplomatiques à des fins personnelles; (ii) la fabrication de documents, la falsification de signatures et l’encaissement de chèques destinés à des fournisseurs; et (iii) l’abus des ressources de la Mission et la fraude à l’endroit du gouvernement.

a)  L’utilisation de plaques d’immatriculation diplomatiques à des fins personnelles

[13]  Tel que mentionné plus haut, les Personne 1 et Personne 3 utilisaient des plaques d’immatriculation diplomatiques canadiennes sur des véhicules achetés dans le cadre d’encans organisés par la Mission. La SI a conclu que cela correspondait à un vol et que les Personne 1 et Personne 3 ont « par supercherie, […] frustré le gouvernement canadien d’un bien qui était destiné à son utilisation ».

b)  La fabrication de documents, la falsification de signatures et l’encaissement de chèques destinés à des fournisseurs

[14]  Ce stratagème impliquait trois fournisseurs : Gladys Dépôt, Cynthia Marcellin Produits d’Entretien [CMPE] et Dieureste Duverseau.

[15]  Gladys Dépôt fournissait des produits d’entretien à la Mission. Cette entreprise appartient à la tante de la Personne 6. Une employée de la Mission a admis, au cours de l’enquête, qu’elle remettait les chèques destinés à Gladys Dépôt à la Personne 6 ou à son mari, et non à la propriétaire de l’entreprise. Il a été démontré que la Personne 6 imitait la signature de cette dernière sur les demandes de paiement et sur les chèques destinés à Gladys Dépôt. Le demandeur recevait la grande majorité des devis destinés à Gladys Dépôt de la Personne 6, de son mari ou de la Personne 8, la supérieure du demandeur. L’enquête a démontré que la Mission a versé un montant de 31 500 $ à Gladys Dépôt.

[16]  La Personne 8 a également demandé au demandeur d’ajouter CMPE à la liste des fournisseurs de produits d’entretien de la Mission. Bien que CMPE soit devenu un fournisseur officiel, le demandeur n’a jamais eu quelque contact que ce soit avec la représentante de cette entreprise et il recevait les devis de CMPE de la Personne 7. Cette dernière a admis avoir intercepté plusieurs chèques destinés à CMPE pour les encaisser en imitant la signature de sa représentante. Les enquêteurs ont découvert que la Personne 7 et la représentante de CMPE entretenaient une relation personnelle mais ils n’ont jamais pu retracer la représentante de CMPE. Au cours des années 2014 et 2015, la Mission a versé la somme de 6 965 $ à CMPE.

[17]  Finalement, Dieureste Duverseau a été l’entrepreneur général de la Mission pendant plusieurs années. La Personne 7 a admis que la Personne 10, un ERP travaillant avec elle, avait intercepté plusieurs chèques destinés à Dieureste Duverseau et imité la signature de son représentant.

[18]  La SI qualifie ces stratagèmes de fraude et de complot pour fraude dans le sens que donne le Code criminel à ces infractions.

c)  L’abus de ressources de la mission et la fraude à l’endroit du gouvernement haïtien

[19]  Les Personne 1, Personne 8 et Personne 11 étaient trois collègues du demandeur. Ils ajoutaient des commandes personnelles aux commandes effectuées par la Mission afin d’éviter de payer les frais de transport, d’assurance et de dédouanement. Ce stratagème aurait eu pour effet « d’augmenter les coûts de livraison et les frais de dédouanement pour la mission et [de priver] l’état haïtien des revenus douaniers ».

(2)  Organisation criminelle

[20]  La SI se dit satisfaite qu’il y a des motifs raisonnables de croire en l’existence d’une organisation criminelle telle que décrite par l’alinéa 37(1)a) de la LIPR et au paragraphe 467.1(1) du Code criminel (B010 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58; Saif c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 437).

[21]  La preuve lui permet de conclure que « plusieurs ERP de la mission canadienne en Haïti ont agi de concert pour commettre des crimes envers la mission pour obtenir des avantages matériels or financiers ». Ces stratagèmes ont impliqué plusieurs ERP et se sont échelonnés sur un certain nombre d’années. La SI se dit satisfaite que le groupe fût composé d’au moins trois personnes, ce qui répond au critère du paragraphe 467.1(1) du Code criminel. On parle dans la majorité des cas de fraude ou complot pour fraude au sens de l’article 380 et de l’alinéa 465(1)c) du Code criminel, mais également de vol au sens de l’article 322 du Code criminel. Ces crimes ont causé une perte financière de 1 728 150 $ pour le Canada, « un montant important qui appuie davantage la conclusion qu’une organisation composée de plusieurs personnes est responsable pour ces pertes ».

(3)  Être membre de l’organisation ou se livrer à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles

[22]  La SI est également d’avis qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le demandeur s’est livré à des activités faisant partie du plan d’activités criminelles de l’organisation identifiée. Elle se fonde principalement sur le fait que le poste du demandeur le plaçait dans une position centrale relative aux stratagèmes frauduleux. Il serait donc invraisemblable, selon elle, que le demandeur n’ait pas su ce qui se passait autour de lui.

[23]  Les éléments de preuve qui permettent à la SI de conclure que le demandeur a pris part à des activités frauduleuses à l’égard de la Mission sont liés à trois fournisseurs : Gladys Dépôt, CMPE, et l’entrepreneur Daïver Séide.

a)  Gladys Dépot

[24]  Le demandeur a admis qu’il recevait les devis de la Personne 6 ou de son mari et non de la représentante de Gladys Dépôt.

b)  CMPE

[25]  Le demandeur a admis qu’il recevait les devis de la Personne 7 et qu’il ne connaissait même pas la représentante de CMPE. La SI a également constaté au rapport des enquêteurs que la signature apposée sur un accusé de réception de la part de CMPE commençait par un P, mais que ce P a été remplacé par un M. Les enquêteurs ont constaté la ressemblance entre ce P et celui de la signature du demandeur et, « sans être expert dans la matière bien sûr », la SI conclut que l’écriture se ressemble aussi. La SI retient cet élément comme une indication additionnelle que le demandeur était impliqué dans le stratagème frauduleux.

c)  L’entrepreneur Daïver Séide

[26]  Le demandeur connaît cet entrepreneur et l’a référé à la Personne 1. Or, l’enquête a démontré que le demandeur était impliqué dans un certain incident suspect relatif aux paiements faits à cet entrepreneur, lequel répond au même modus operandi que celui utilisé pour les fournisseurs Gladys Dépôt et CMPE. Plus particulièrement, le demandeur a généré un devis et une facture pour cet entrepreneur et a admis avoir inventé les numéros séquentiels que l’on retrouve sur ces documents, sans pouvoir expliquer cette démarche inhabituelle. Il dit également ignorer qui les a signés. Chose certaine, les signatures de l’entrepreneur sur ces deux documents sont différentes et les enquêteurs n’ont pas réussi à le rejoindre pour obtenir quelque explication que ce soit.

[27]  La SI note également certaines contradictions entre le témoignage du demandeur et la preuve documentaire. Notamment, le demandeur affirme ne pas avoir su que la Personne 1 utilisait une plaque diplomatique à des fins personnelles. Or, la preuve documentaire révèle plutôt qu’en mars 2015, le demandeur aurait informé la gestionnaire de sa section de ce même fait. Or, cela jette un doute sur la crédibilité du demandeur lorsqu’il affirme n’avoir été au courant d’aucune activité criminelle.

IV.  Question en litige et norme de contrôle

[28]  Cette demande de contrôle judiciaire ne soulève qu’une seule question :

La SI a-t-elle erré en concluant qu’elle avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur est interdit de territoire aux termes de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR?

[29]  La question de savoir si un demandeur d’asile est membre d’une organisation criminelle ou s’il s’est livré à des activités faisant partie du plan d’activités criminelles d’une organisation visée par l’alinéa 37(1)a) de la LIPR est une question mixte de faits et de droit assujettie à la norme de la décision raisonnable (Nguesso c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1295 au para 42; Athie c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 425 au para 36; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tran, 2016 CF 760 au para 19; Talavera c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 768 au para 7).

[30]  La Cour doit donc examiner si la décision de la SI rencontre les critères énoncés dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 47, soit si elle « cadr[e] bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59).

[31]  Les critères de l’arrêt Dunsmuir sont satisfaits si les motifs de la SI « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision [de la SI] et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16).

V.  Analyse

[32]  Je suis d’avis qu’il était raisonnable pour la SI de conclure qu’elle avait des motifs raisonnables de croire qu’il existait une organisation criminelle impliquant les ERP de la mission et que le demandeur s’est livré à des activités faisant partie du plan d’activités criminelles de cette organisation. Il était donc raisonnable de conclure que le demandeur est interdit de territoire aux termes de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR.

(1)  La présence de « motifs raisonnables de croire »

[33]  La question à savoir s’il existe des « motifs raisonnables de croire » qu’un fait s’est produit, au sens de l’article 33 de la LIPR, exige plus qu’un simple soupçon, mais moins qu’une preuve selon la prépondérance des probabilités. Il doit y avoir un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CSC 40 au para 114; Nguesso, précité au para 54).

[34]  Je suis d’avis que la SI a pris en compte l’ensemble de la preuve et que ses conclusions respectent le fardeau de preuve applicable. Compte tenu de l’enquête menée à Port-au-Prince, la preuve déposée par le ministre devant la SI est substantielle. Elle inclut les rapports des enquêteurs et les courriels des personnes directement impliquées dans l’enquête. La SI qualifie cette preuve documentaire de crédible et digne de foi et elle lui accorde un poids considérable. La SI avait donc suffisamment de preuve pour conclure que le fardeau de preuve applicable était rencontré.

(2)  L’existence d’une organisation criminelle

[35]  Compte tenu de la preuve déposée, il était raisonnable pour la SI de conclure en l’existence d’une organisation criminelle impliquant les ERP de la mission. Je cite à cet égard le paragraphe 25 de la décision :

[25] …Le tribunal est satisfait qu’il existe un groupe d’au moins 3 personnes, telles qu’exigées par le Code criminel, et que ces personnes travaillent de concert pour commettre des crimes, notamment le vol et la fraude, souvent en suivant un certain modus operandi de fabrication de soumissions et factures et interception des paiements pour des biens et services payés par la mission. Il apparait que le groupe était bien organisé et avait mis en place un système bien établi pour pouvoir exécuter ces crimes de façon répétée à travers plusieurs années. La pièce C-9 établie le montant des pertes financières pour le gouvernement canadien à $ 1 728 150.00, qui est quand même un montant important qui appui davantage la conclusion qu’une organisation composée de plusieurs personnes est responsable pour ces pertes.

[36]  Le demandeur ne conteste d’ailleurs pas cette conclusion.

(3)  Le demandeur s’est-il livré à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées

[37]  Je suis également d’avis qu’il était raisonnable pour la SI de conclure qu’elle avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur s’est livré à des activités faisant partie du plan d’activités criminelles organisé par ses collègues.

[38]  À mon avis, il n’est pas pertinent que l’enquête n’ait pas démontré que le demandeur a reçu quelque commission occulte ou autre avantage financier. La SI conclut que : « [L]a preuve démontre que M. Janvier a pris part à des activités frauduleuses envers la mission car il a directement et sciemment facilité les fraudes commisses par ses collègues ».

[39]  Cette conclusion est fondée sur plusieurs éléments de preuve, dont les admissions du demandeur à l’effet qu’il recevait les devis pour Gladys Dépôt et CMPE de ses collègues, acteurs principaux de l’organisation criminelle, plutôt que des représentants de ces entreprises comme le dictait la procédure habituelle. La détermination par la SI qu’ « [i]l est invraisemblable, considérant la nature de son poste, que M. Janvier n’était pas au courant des actes illicites de [la Personne 6] et [la Personne 7] » est l’une des issues possibles eu égard à la preuve. Est également raisonnable sa conclusion à l’effet que l’incident concernant M. Séide emprunte le même modus operandi que celui utilisé à l’égard des entrepreneurs Gladys Dépôt et CMPE.

[40]  Pour ce qui est de l’opinion exprimée par la SI à l’effet que l’écriture du demandeur ressemble au P d’une fausse signature apposée sur un accusé réception par CMPE, elle n’est pas déterminante en soi, mais constitue, pour la SI, « une autre indication que M. Janvier était impliqué dans le stratagème de fraude décrit ci-haut ». Tout comme dans l’affaire Owusu v Canada (Minister of Employment and Immigration), [1989] FCJ no 33 (FCA), la SI pouvait tirer une inférence de cette similitude puisqu’une telle inférence était également soutenue par d’autres éléments révélés par l’enquête. C’est l’ensemble de la preuve révélée par l’enquête qui a satisfait la SI et lui a permis de conclure qu’elle avait des motifs de croire que le demandeur s’était livré à des activités faisant partie du plan d’activités criminelles. Il s’agit donc d’une inférence raisonnable de la part de la SI.

[41]  L’appartenance à une organisation criminelle n’est pas le seul critère menant à l’exclusion prévue à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. Le simple fait de participer à des activités liées à une organisation criminelle mène également à une exclusion (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanaratnam, 2005 CAF 122 au para 30). La SI a énuméré un certain nombre d’activités auxquelles le demandeur a participé et qui sont liées à l’organisation criminelle qu’elle a identifiée. La SI n’a pas conclu que le demandeur appartenait à une organisation criminelle, mais plutôt qu’il s’est sciemment livré à des activités faisant partie du plan d’activités criminelles de l’organisation.

[42]  Il est vrai que le demandeur nie avoir eu connaissance des activités frauduleuses de ses collègues. Cependant, la SI a conclu qu’il n’était pas crédible en raison de contradictions entre son témoignage et la preuve documentaire et de son incapacité à fournir une explication raisonnable. Il appartient à la SI d’apprécier l’ensemble de la preuve et, dans la mesure où son analyse est raisonnable, il n’appartient pas à cette Cour d’intervenir. Comme l’explique bien la Cour d’appel fédérale dans Sittampalam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CAF 326 :

[53]  … La Commission se trouve dans une situation unique pour apprécier la crédibilité de la preuve qui lui est présentée dans le cadre d’une audience portant sur l’admissibilité; les conclusions relatives à la crédibilité doivent faire l’objet d’une grande déférence dans le cadre d’un contrôle judiciaire et elles ne peuvent être infirmées que si elles sont abusives ou arbitraires ou ont été tirées sans qu’il soit tenu compte de la preuveLoi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, alinéa 18.1(4)d).

VI.  Conclusion

[43]  Je suis donc d’avis que la conclusion de la SI à l’effet qu’elle avait des motifs raisonnables de croire en l’existence d’une organisation criminelle impliquant les ERP ayant travaillé à la mission de Port-au-Prince, tout comme celle à l’effet que le demandeur se soit livré à des activités faisant partie du plan d’activités criminelles de cette organisation, font partie des issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il s’en suit qu’il était raisonnable pour la SI de conclure que le demandeur est interdit de territoire aux termes de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. Cette demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[44]  Les parties n’ont soumis aucune question d’importance générale pour certification et aucune telle question n’émane de cette affaire.


JUGEMENT au dossier IMM-3826-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée;

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3826-17

INTITULÉ :

JANVIER, PAULIN c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 FÉVRIER 2018

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

LE 2 MAI 2018

COMPARUTIONS :

Toni Jedid

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Michel Pépin

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Toni Jedid

Avocat

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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