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Date : 20180504


Dossier : IMM-4048-17

Référence : 2018 CF 479

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 4 mai 2018

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

OLAKUNLE TESLIM FATOLA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le 12 septembre 2017, la demande de report du renvoi du Canada présentée par le demandeur a été rejetée. Le demandeur conteste maintenant le caractère raisonnable de ce refus, faisant valoir que l’agente a fait entrave à son pouvoir discrétionnaire et fourni des motifs inadéquats pour justifier sa décision. Pour les motifs exposés ci-après, je ne partage pas l’avis du demandeur et je rejette sa demande.

II.  Contexte

[2]  Le demandeur, qui est né au Nigeria, est entré au Canada en 2010 avec un faux passeport. Il a ensuite épousé une résidente permanente du Canada et présenté une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. Il a cependant fait l’objet d’un rapport établi en vertu de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 17 [LIPR]. Sa demande de résidence permanente a été refusée. Le demandeur a demandé le contrôle judiciaire du refus, mais l’autorisation a été refusée. Une mesure d’exclusion a été prononcée contre lui en juin 2015, au motif que le demandeur était inadmissible aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, pour avoir fait une présentation erronée.

[3]  En septembre 2015, le demandeur a déposé une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR]. Il a allégué avoir eu, lorsqu’il vivait au Nigeria, une relation avec la fille [Mme X] d’un haut dirigeant de la police locale. Le demandeur a prétendu que lui et Mme X ont eu des relations sexuelles anales consensuelles, ce qui est une infraction au Nigeria, qu’elle est tombée enceinte après leur relation et qu’elle a subi un avortement. Le demandeur prétend que le père de Mme X voulait utiliser son pouvoir et son influence pour le punir de la douleur émotionnelle infligée à sa fille.

[4]  La demande d’ERAR a été rejetée en décembre 2015 et le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire. La demande d’autorisation a été accueillie. Un jugement sur consentement rendu par la Cour en août 2016 a annulé la décision d’ERAR et renvoyé l’affaire pour un nouvel examen.

[5]  En janvier 2017, la demande d’ERAR du demandeur a été de nouveau rejetée. L’agent d’ERAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il avait eu une relation avec Mme X comme il le prétendait, ni qu’un quelconque haut responsable de l’application de la loi utilisait son influence pour faire arrêter et poursuivre le demandeur. Encore une fois, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire, que la Cour a refusé d’entendre en juin 2017. En raison de cet ERAR négatif, le demandeur a fait l’objet d’une période d’interdiction d’un an avant de pouvoir présenter une nouvelle demande d’ERAR.

[6]  En juillet 2017, le demandeur s’est présenté à une entrevue de renvoi et a indiqué qu’il n’était pas en mesure de payer son billet de retour. Le demandeur a convenu que son renvoi soit fixé à la mi-septembre 2017.

[7]  Le 12 septembre 2017, le demandeur a cependant présenté une demande urgente de sursis du renvoi. Il a affirmé que Mme X, qui s’était mariée depuis, était décédée des suites de complications de grossesse en avril 2017, et que son père croyait que le décès de sa fille était la conséquence de l’avortement qu’elle avait subi après sa relation avec le demandeur.

[8]  En appui à sa demande de sursis, le demandeur a déposé un affidavit signé le 12 mai 2017 par son frère [B1], dans lequel ce dernier affirme que des gens sont venus au domicile de sa mère à la demande du père de Mme X le 29 avril 2017 et l’ont battue, forçant son hospitalisation. L’affidavit mentionne également que B1 et sa famille déménageaient au Ghana ou en République du Bénin pour leur sécurité, et que l’autre frère du demandeur [B2] avait amené leur mère aux États-Unis pour qu’elle soit traitée.

[9]  Le demandeur a également déposé une lettre notariée de B2, datée du 5 septembre 2017, dans laquelle il est indiqué que Mme X était décédée en avril 2017 et que son père exerçait des [traduction] « représailles » contre la famille du demandeur au Nigeria. B2 a indiqué que lui et sa mère avaient [traduction] « déménagé » aux États-Unis et que B1 vivait désormais au Ghana, craignant d’être attaqué au Nigeria.

[10]  Enfin, le demande a présenté de la documentation sur la situation du pays comme preuve de la corruption au sein de la police au Nigeria et des mauvaises conditions qui prévalent dans les prisons nigérianes.

[11]  La demande de sursis de l’appelant a été refusée le 12 septembre 2017, le jour même où elle a été présentée. Une agente d’exécution de l’Agence des services frontaliers du Canada [agente] a conclu que le sursis de renvoi n’était pas justifié compte tenu des circonstances dans le cas du demandeur. Elle a indiqué dans sa décision que le demandeur avait demandé un sursis [traduction] « parce qu’il craignait pour sa sécurité au Nigeria », mais n’avait pas fourni de date d’échéance pour la requête. Dans sa décision, l’agente a cité la décision de la Cour dans Perez c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 627 [Perez] :

[34]  Un agent chargé du renvoi ne peut reporter une procédure prévue par la LIPR dont il n’est pas le décideur mandaté. L’agent chargé du renvoi n’a pas compétence pour faire une évaluation renouvelée de réfugiés, un ERAR, pour rendre une décision en fonction de motifs d’ordre humanitaire et il ne peut pas entendre les contrôles judiciaires ou les appels de procédures précédentes ou autres. L’agent chargé du renvoi a uniquement le pouvoir discrétionnaire de reporter un renvoi pour des raisons associées aux difficultés de réserver des voyages internationaux. [...]

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[12]  Le demandeur soulève trois questions principales dans sa demande : l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, l’insuffisance des motifs et le caractère déraisonnable des conclusions.

[13]  Premièrement, le demandeur fait valoir que l’agente a entravé son pouvoir discrétionnaire. En ce qui a trait à la norme de contrôle sur cette question, le demandeur s’appuie sur l’arrêt Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Shpati, 2011 CAF 286 [Shpati], dans lequel la Cour d’appel fédérale a conclu que « toute question de droit sur laquelle l’agent [d’exécution] a fondé sa décision (comme celle de l’étendue du pouvoir que la loi lui confère de reporter l’exécution de la mesure de renvoi) est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte » (au paragraphe 27).

[14]  La norme de contrôle applicable à l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire est un domaine du droit dans lequel il existe une certaine confusion (voir Gordon c. Canada (Procureur général), 2016 CF 643, aux paragraphes 25 à 27 [Gordon]). Traditionnellement, cette question était susceptible de révision en se fondant sur la norme de la décision correcte. Toutefois, dans l’arrêt Stemijon Investments Ltd c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une décision qui résulte d’une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire doit être en soi déraisonnable (au paragraphe 24; voir aussi Calandrini c. Canada (Procureur général), 2018 CF 52, aux paragraphes 100-101). Aux fins de la présente demande, j’ai adopté l’approche utilisée dans Gordon, où la juge Mactavish a conclu qu’aux termes de l’une ou l’autre des normes de contrôle, l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire est une erreur susceptible de révision et entraîne l’annulation de la décision (au paragraphe 28).

[15]  Deuxièmement, le demandeur fait valoir que les motifs de l’agente étaient inadéquats. Il soutient qu’il s’agit d’une question d’équité procédurale qui est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte. Je ne suis pas d’accord. L’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses] prescrit que « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (au paragraphe 14; voir aussi Demiri c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1104, au paragraphe 8).

[16]  Par conséquent, j’examinerai le caractère adéquat des motifs de l’agente dans le contexte d’un examen global du caractère raisonnable, ce qui à la lumière de l’arrêt Newfoundland Nurses exige que la décision ait été transparente, justifiée et intelligible, et qu’elle appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

[17]  Enfin, lors de l’audience tenue pour entendre cette demande, le demandeur a contesté le caractère raisonnable des conclusions de l’agente. À cet égard, la décision est susceptible de contrôle selon la norme établie par Dunsmuir.

IV.  Analyse

Question préliminaire

[18]  En l’espèce, la force de l’argumentation du demandeur repose sur le fait de savoir si les motifs de la décision de l’agente sont contenus uniquement dans sa lettre du 12 septembre 2017 ou si les notes au dossier de l’agente font aussi partie de ses motifs aux fins du contrôle judiciaire.

[19]  Le demandeur soutient que les notes au dossier ne font pas partie des motifs de la décision. Il ne cite aucune jurisprudence pour appuyer sa position. Le demandeur fait valoir que si les questions présentées dans les notes au dossier de l’agente font partie de sa réflexion menant à la décision rendue, elles auraient dû être communiquées dans la lettre de décision, pour [traduction] « compléter » la tâche de l’agente comme décideur.

[20]  Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 (CSC), la Cour suprême du Canada a conclu que les notes d’un agent de réexamen subalterne devaient être considérées comme les motifs de la décision, parce que l’admission de ces documents « comme motifs de la décision fait partie de la souplesse nécessaire » à la lumière « des réalités quotidiennes des organismes administratifs » (au paragraphe 44). Dans des affaires subséquentes, l’arrêt Baker a été invoqué pour conclure que des documents supplémentaires peuvent faire partie des motifs d’une décision aux fins du contrôle judiciaire (voir par exemple Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Industrie), 2001 CAF 254, aux paragraphes 108-109; Smirnov c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 554, au paragraphe 27; Boniowski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1161, au paragraphe 12 [Boniowski]).

[21]  Conformément à ces principes, la Cour traite systématiquement les notes au dossier comme faisant partie des motifs d’un agent d’exécution dans les décisions de refus de surseoir au renvoi (voir par exemple Ezquivel c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 995, au paragraphe 25 [Ezquivel]; Gonzalez Gonzales c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 153, au paragraphe 15; Urbina Ortiz c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 18, au paragraphe 13; Dhurmu c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 511, au paragraphe 31).

[22]  Il faut se rappeler que les décisions de sursis sont souvent rendues dans l’urgence, comme c’était le cas dans la décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire : le renvoi était imminent, et l’avocat du demandeur a marqué la première page de sa requête des mots « URGENT URGENT » en gros caractères gras. Compte tenu de ces exigences, les décisions des agents d’exécution sont souvent peu étoffées et ne sont peut‑être pas aussi bien rédigées qu’elles devraient l’être. Il faut donc lire ces motifs dans leur ensemble (Adomako c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 1100, au paragraphe 18).

[23]  Par conséquent, je conclus que les notes au dossier de l’agente font partie de ses motifs, d’autant plus que le demandeur n’a présenté aucune jurisprudence a l’appui de la position contraire.

Questions soulevées par le demandeur

(i)  Entrave au pouvoir discrétionnaire

[24]  Le demandeur fait valoir que l’extrait du jugement Perez cité par l’agente (qui indique en partie que l’agent chargé du renvoi a « uniquement » le pouvoir de reporter un renvoi « pour des raisons associées aux difficultés de réservations de voyages internationaux ») reflète une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Il fait valoir que l’agente n’a pas reconnu qu’elle avait aussi le pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi lorsque le défaut de le faire expose le demandeur à un risque « de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain », en s’appuyant sur les décisions rendues dans Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 ACF no 936 (Cour fédérale du Canada – Section de première instance) (QL) [Simoes]; Baron c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81 [Baron]; et Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148 [Wang].

[25]  Le demandeur ne m’a pas convaincu que la décision résultait d’une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire. J’en arrive à cette conclusion pour deux motifs. Premièrement, le recours de l’agente à la décision Perez était compréhensible à la lumière de la nature indéfinie de la requête du demandeur, et ne constitue pas en soi l’indication d’une entrave à son pouvoir discrétionnaire. Deuxièmement, et de façon plus importante, l’agente a éventuellement examiné en détail la preuve de risque présentée par le demandeur et a conclu qu’elle ne justifiait pas un sursis dans sa situation.

[26]  Pour expliquer ma conclusion, il est utile de revoir les principes qui guident l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution. Premièrement, le paragraphe 48(1) de la LIPR prévoit expressément qu’une ordonnance de renvoi doit être appliquée « dès que possible » :

[27]  Je constate que la formulation du paragraphe 48(2) a été modifiée en 2012; avant cette date, elle portait qu’une mesure de renvoi devait être appliquée « dès que les circonstances le permettent ».

[28]  Une mesure de renvoi n’est pas un simple arrangement administratif. Il s’agit plutôt d’une mesure ayant force de loi et que l’agent d’exécution est tenu d’exécuter (Wang, au paragraphe 17). Par conséquent, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution de reporter un renvoi se limite à déterminer « quand » une ordonnance de renvoi sera exécutée, et non « si » elle sera exécutée (voir Baron au paragraphe 49, citant Simoes au paragraphe 12; Wang au paragraphe 32).

[29]  Il peut arriver que le report du renvoi soit justifié par des circonstances spéciales ou impérieuses, comme une maladie ou l’interruption de l’année scolaire d’un enfant touché (voir Van Heest c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 263, au paragraphe 15; Simoes, au paragraphe 12; Perez, au paragraphe 34). Un sursis peut toutefois être accordé pour donner préséance à un processus collatéral susceptible d’affecter le caractère exécutoire de la mesure de renvoi elle-même. Dans la décision Wang, le juge Pelletier explique ainsi cette distinction :

[31]  [...] Différer veut dire « remettre à plus tard ». Mais on ne diffère pas quelque chose simplement pour en retarder l’exécution. Afin d’être justifié en droit, le report doit être fait parce que, ce faisant, on pourrait trouver un motif légitime de ne pas exécuter la mesure de renvoi.

[32]  À part de questions comme les arrangements de voyage et l’état de santé permettant de voyager, l’exécution d’une mesure de renvoi ne peut être mise en cause que par un autre processus prévu par la Loi, étant donné que le ministre n’a pas l’autorité de refuser d’exécuter une telle mesure. Par conséquent, une demande de report ne peut être présentée que dans le contexte d’une procédure connexe qui pourrait avoir un impact sur le caractère exécutoire de la mesure de renvoi. En d’autres mots, si la mesure doit être exécutée, quel que soit le résultat de la procédure connexe, sur quoi pourrait-on fonder le report? Par conséquent, il me semble que la question que l’on doit se poser est la suivante : la procédure en cause peut-elle créer une situation où l’exécution de la mesure de renvoi ne s’imposerait plus?

[33]  Par conséquent, l’expression to defer recouvre deux concepts différents. On l’utilise dans un sens temporel : l’exécution de la mesure de renvoi est reportée à demain (soit dans le sens de différer). Mais on peut aussi l’utiliser dans le sens d’accorder la priorité à une autre procédure (à savoir, dans le sens de déférer). Ces deux sens sont liés, tout en étant distincts.

[30]  Je souligne que la simple existence d’une demande collatérale en instance ne suffit pas à empêcher l’exécution d’une mesure de renvoi – dans le cas contraire, un demandeur pourrait toujours obtenir unilatéralement le report de son renvoi par le simple dépôt d’une demande (voir Simoes, au paragraphe 13). Au contraire, si un demandeur demande un sursis pour donner préséance à une procédure collatérale, le report n’est justifié que dans certaines circonstances, par exemple si le défaut de le faire expose le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain (Wang, au paragraphe 48, conf. par Baron, au paragraphe 51).

[31]  En l’espèce, le demandeur a demandé un sursis en raison du risque auquel il serait exposé au Nigeria, selon ses dires. Par conséquent, il est important de faire une pause et de se rappeler la nature limitée de la tâche d’un agent d’exécution face à une allégation de risque. Lorsqu’un agent d’exécution détermine s’il doit surseoir à une mesure de renvoi en raison d’allégations de risques pour le demandeur, il ne se met pas à la place, par exemple, d’un agent responsable de l’ERAR. Le pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution consiste plutôt à surseoir au renvoi pour permettre au décideur approprié, dans une procédure collatérale, de procéder à un examen complet du risque allégué, comme l’a résumé récemment la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Savunthararasa c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 51 [Savunthararasa] :

[7]  Il est reconnu que, vu la jurisprudence de la Cour, lorsque la preuve d’un nouveau risque est présentée, un agent d’exécution peut reporter le renvoi lorsque tout défaut de le reporter exposera la personne qui demande le report à un risque de préjudice grave. Plus précisément, un agent d’exécution peut reporter le renvoi lorsque le demandeur établit un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain qui est survenu depuis le dernier examen des risques [Baron c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 R.C.F. 311, au paragraphe 51; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Shpati, 2011 CAF 286, [2012] 2 R.C.F. 133, aux paragraphes 41 à 43]. Les agents d’exécution ne doivent pas procéder à un examen complet des risques allégués, ni arriver à une conclusion quant à savoir si la personne est à risque. Au contraire, les agents doivent examiner et évaluer les éléments de preuve relatifs aux risques en vue de décider si le report du renvoi est justifié afin de permettre un examen complet des risques.

[Non souligné dans l’original.]

[32]  Par conséquent, le mandat de l’agente en l’espèce consistait à évaluer le caractère suffisant des preuves du demandeur, pour déterminer si un sursis était justifié pour permettre un examen complet des risques par un décideur différent (voir Atawnah c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 774, au paragraphe 99). En outre, puisque le demandeur a déjà bénéficié d’un ERAR, ses allégations doivent être suffisamment nouvelles ou différentes de celles rejetées dans l’examen du risque antérieur (Shpati, au paragraphe 44).

[33]  C’est ici que nous arrivons au nœud du problème dans le cas du demandeur. Dans sa requête à l’agente, le demandeur n’avait pas de demandes en instance auxquelles se référer, et il n’a pas indiqué que le but du sursis serait de permettre un examen complet du risque pour une quelconque demande future. À première vue, sa requête était soit une demande de report indéfini – une demande que l’agente a correctement indiqué ne pas avoir le pouvoir discrétionnaire d’accorder – soit une demande d’examen complet du risque par l’agente, ce que celle-ci n’avait pas non plus le pouvoir de faire.

[34]  Prise dans ce contexte, la citation de Perez par l’agente ne démontre pas une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire; Perez ne fait que confirmer qu’un agent d’exécution n’a pas le pouvoir discrétionnaire d’effectuer un ERAR ou d’examiner une demande CH et que son pouvoir discrétionnaire se limite à préciser le moment du renvoi (aux paragraphes 31 et 34). Je note également que le juge Shore, dans le paragraphe même de Perez cité en partie par l’agente, cite la décision Wang et les principes pertinents portant sur le pouvoir discrétionnaire accordé à un agent de tenir compte de la probabilité de risque. De toute évidence, au paragraphe 34 de la décision Perez, le juge Shore n’a pas limité indument les pouvoirs ou le rôle dévolus à un agent d’exécution.

[35]  Je ne suis pas non plus d’accord avec le demandeur lorsqu’il fait valoir qu’en demandant un sursis, il était implicite que le sursis avait pour but de permettre le dépôt d’une nouvelle demande d’examen du risque lorsque le demandeur serait de nouveau admissible à l’ERAR. Il incombait au demandeur de produire les éléments de preuve nécessaires et des justificatifs de sa demande (Omidsorkhabi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 954, au paragraphe 15 [Omidsorkhabi]). En outre, dans la décision Omidsorkhabi, le juge de Montigny a conclu que l’argument du demandeur selon lequel l’agent aurait dû reporter le renvoi « en raison d’une demande non déposée et non existante » fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’avait aucun fondement (au paragraphe 19).

[36]  Quoi qu’il en soit, je n’ai pas à décider si un agent d’exécution peut refuser d’accorder un sursis au seul motif que le demandeur n’a pas fourni de date d’échéance ou indiqué de procédure en instance ou à venir : ce n’est pas ce qu’a fait l’agente en l’espèce. Au contraire, les notes au dossier de l’agente démontrent clairement que celle-ci a effectivement tenu compte de la preuve de risque présentée par le demandeur et l’a jugée insuffisante. Par conséquent, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les notes au dossier de l’agente d’exécution réfutent de manière concluante la position du demandeur selon laquelle l’agente a entravé l’exercice de son pouvoir de discrétion.

(ii)  Motifs insuffisants

[37]  Dans ces notes au dossier, l’agente présente un sommaire détaillé de l’historique d’immigration au Canada du demandeur, et une explication des limites de son pouvoir d’accorder un sursis. De plus, l’agente a tenu compte des éléments de preuve provenant de tiers et les a examinés, concluant que l’affidavit et la lettre étaient insuffisants et d’une valeur probante limitée. L’agente a en outre noté que le demandeur avait omis de mentionner les nouveaux risques allégués au moment de son entrevue de renvoi en juillet 2017, même si les événements cruciaux étaient censés s’être déroulés en avril de cette année – donc qu’ils se seraient produits bien avant l’entrevue de renvoi, durant laquelle le demandeur aurait pu faire valoir ses préoccupations. L’agente a conclu qu’elle avait [traduction] « examiné attentivement les faits se rapportant au sursis demandé », mais avait refusé de reporter le renvoi du demandeur.

[38]  Les motifs sont adéquats et intelligibles. Après tout, l’agente n’avait qu’une obligation limitée de fournir des motifs (Boniowski au paragraphe 11, cité dans Ezquivel au paragraphe 24). L’arrêt Newfoundland Nurses, qui lie la Cour en ce qui a trait au caractère suffisant des motifs, prescrit que si les motifs fournis par l’agente me permettent i) de comprendre les fondements de sa décision et ii) de déterminer si sa conclusion fait partie des issues acceptables, alors les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir (au paragraphe 16). L’agente a clairement satisfait au critère.

(iii)  Caractère raisonnable de la décision

[39]  Lors de l’audience tenue pour entendre cette demande, l’avocat du demandeur a admis que si la Cour concluait que les notes au dossier de l’agente faisaient partie de ses motifs, il lui serait difficile de soutenir ses arguments. Cela s’est révélé être le cas. Lors de l’audience, au vu de cette possibilité, l’avocat du demandeur a présenté de brefs arguments mettant en doute le caractère raisonnable du traitement par l’agente des nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur. Je me contenterai de dire que je n’ai pas été convaincu par ces arguments. Au contraire, je conclus que l’agente a soigneusement examiné les documents qui lui ont été présentés et que ses conclusions appartiennent aux issues acceptables et soutenables.

[40]  Enfin, le demandeur affirme que l’agente n’a pas tenu compte de la documentation portant sur la corruption de la police et la situation des prisons au Nigeria. Cette décision était raisonnable, puisque le demandeur n’a établi aucun fondement factuel qui aurait pu faire en sorte que ces documents soient pertinents à l’analyse faite par l’agente (voir, par analogie, Miyir c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 73, au paragraphe 26). De telles circonstances se distinguent de celles dans lesquelles les preuves présentées sur la situation dans le pays sont pertinentes à une ou plusieurs des caractéristiques immuables du demandeur (voir Vilvarajah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 349, au paragraphe 21).

V.  Conclusion

[41]  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée pour certification et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4048-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’a été proposée pour certification et l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont accordés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4048-17

 

INTITULÉ :

OLAKUNLE TESLIM FATOLA c. MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 avril 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 mai 2018

 

COMPARUTIONS :

Adetayo G. Akinyemi

 

Pour le demandeur

 

Julie Waldman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Adetayo G. Akinyemi

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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