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Date : 20180115


Dossier : T-596-17

Référence : 2018 CF 33

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission] concernant une plainte contre le Conseil du Trésor du Canada pour discrimination systémique [la plainte contre le Conseil du Trésor] à l’égard de fonctionnaires handicapés.

[2]  En mai 2010, la demanderesse, l’agent négociateur de nombreux fonctionnaires fédéraux – en l’espèce ceux d’Emploi et Développement social Canada [EDSC] et du Conseil du Trésor – a déposé deux plaintes alléguant les mêmes actes de discrimination systémique fondés sur le handicap, à l’égard de fonctionnaires.

[3]  Il s’agit de la plainte contre le Conseil du Trésor, dossier no 20100891, dirigée expressément contre le Conseil du Trésor et de la plainte contre EDSC, dossier no 20199890 [la plainte contre EDSC], soit Emploi et Développement social Canada à titre de partie contrevenante.

[4]  La présente demande de contrôle judiciaire porte essentiellement sur le fait que la Commission a rejeté la plainte contre le Conseil du Trésor sans justifier les diverses conclusions qu’elle a tirées, mais a déféré la plainte contre EDSC au Tribunal canadien des droits de la personne.

On soutient que la décision de rejeter la plainte était déraisonnable est injuste.

[5]  Les dispositions législatives pertinentes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 sont les suivantes :

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41 (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

[…]

44 (1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

44 (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

(2) La Commission renvoie le plaignant à l’autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas :

(2) If, on receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission is satisfied

a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

(a) that the complainant ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available, or

b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.

(b) that the complaint could more appropriately be dealt with, initially or completely, by means of a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act,

it shall refer the complainant to the appropriate authority.

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l’article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

(i) d’une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci est justifié,

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and

(ii) d’autre part, qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

II.  Résumé des faits

[6]  EDSC est un ministère fédéral qui exerce un contrôle opérationnel sur le travail des personnes employées de l’unité de négociation de la demanderesse.

[7]  La demanderesse représente les employés d’EDSC affectés aux Services des programmes et de l’administration qui n’exercent pas de fonctions de gestion.

[8]  Dans la plainte contre le Conseil du Trésor, la demanderesse fait valoir que l’ensemble des politiques et des pratiques en milieu de travail fait obstacle aux occasions d’emploi qui pourraient être offertes aux employés handicapés, y compris :

  • ne pas consentir rapidement des mesures d’adaptation aux employés handicapés;

  • refuser de consentir certains types de mesures d’adaptation, dont le télétravail, un horaire de travail en alternance, de l’équipement et des outils;

  • mettre fin arbitrairement aux mesures d’adaptation déjà en place;

  • tarder à fournir les renseignements nécessaires à Sunlife (l’assureur invalidité d’EDSC) ou aux régimes d’indemnisation des travailleurs accidentés;

  • exprimer ou afficher une attitude négative, stéréotypée ou discriminatoire, notamment les gestionnaires qui font preuve de scepticisme et d’un manque d’égard à l’endroit des employés qui demandent des mesures d’adaptation, traiter les employés handicapés comme des « éléments passifs » du milieu de travail, refuser de consentir des mesures d’adaptation aux employés nommés pour une période déterminée, et se montrer moins à l’aise et mois apte à traiter et à accommoder les employés aux prises avec des problèmes de santé mentale;

  • envoyer inutilement les employés subir des évaluations médicales à Santé Canada.

[9]  Il est allégué plus précisément que ces politiques et pratiques ont pour effet de priver les employés d’occasions d’occuper un emploi continu, de bénéficier de régimes de travail flexibles et de se voir offrir un emploi à temps plein. Il en résulte que les employés handicapés pourraient être forcés de travailler en l’absence de mesures d’adaptation appropriées, d’accepter des emplois moins attrayants, de prendre une retraite pour raisons médicales ou de prendre un congé sans solde.

[10]  La plainte contre EDSC et la plainte contre le Conseil du Trésor abordaient les mêmes préoccupations au sujet de la discrimination systémique à l’égard des mesures d’adaptation offertes aux fonctionnaires handicapés travaillant pour EDSC.

[11]  Les plaintes de la demanderesse contenaient des allégations selon lesquelles EDSC et le Conseil du Trésor avaient des responsabilités conjointes et qui se chevauchent de répondre aux besoins en matière de mesures d’adaptation à EDSC – que le Conseil du Trésor, à titre d’« employeur », avait un rôle de direction et de surveillance, et qu’EDSC exerçait un contrôle opérationnel sur le travail des employés.

[12]  La plainte contre EDSC contenait des allégations selon lesquelles EDSC avait contrevenu à l’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en raison de discrimination par le truchement de six politiques et pratiques qui ont eu pour effet de priver les employés handicapés des possibilités de se voir offrir des emplois.

[13]  La plainte contre le Conseil du Trésor contenait des allégations selon lesquelles le Conseil du Trésor avait établi ou maintenu des politiques contraires à l’article 10 qui ont eu le même effet discriminatoire. Les mêmes allégations que celles contenues dans la plainte contre EDSC ont été soulevées contre le Conseil du Trésor, avec l’allégation précise voulant qu’à titre d’employeur, le Conseil du Trésor ait manqué à son devoir d’accommodement et n’ait pas appliqué et surveillé sa « Politique sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour les personnes handicapées dans la fonction publique fédérale. »

[14]  Les deux plaintes ont été soumises au même enquêteur, qui les a considérées comme des plaintes « distinctes, mais connexes ».

Le 12 octobre 2016, l’enquêteur a produit des rapports sur les deux plaintes, et a recommandé que ces plaintes soient rejetées.

[15]  Comme l’a conclu l’enquêteur, la plainte contre EDSC a été rejetée au motif que les allégations qui y étaient contenues n’étaient pas appuyées par des renseignements suffisants. En ce qui concerne la plainte contre le Conseil du Trésor qui soulevait également la question de droit quant à la responsabilité liée à l’application et à la surveillance, il a été recommandé que la Commission n’aborde pas cette question vu l’insuffisance des renseignements contenus dans la plainte contre EDSC.

Les paragraphes 109 et 110 résument le mieux le raisonnement suivi :

109.  [traduction] « Bien que dans le cadre de la plainte no 20100890, la question de savoir si les allégations de la plaignante selon lesquelles EDSC fait de la discrimination systématique à l’endroit des employés handicapés a été examinée, cette plainte soulève la question de droit quant à l’étendue de la responsabilité de l’intimée d’appliquer et de surveiller ses politiques en vertu de la LCDP, et si un manquement à cette obligation peut entraîner une responsabilité dans des cas individuels d’absence de mesures d’adaptation.

110.  Comme je l’ai indiqué précédemment, la plaignante n’a pas fourni à la Commission suffisamment de renseignements au soutien de ses allégations contenues dans la plainte no20100890. Les deux plaintes sont liées, et, sans éléments de preuve factuels suffisants d’une violation de la LCDP justifiant un examen plus approfondi de l’autre plainte, la Commission ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire de déférer la question de droit soulevée dans la présente plainte au Tribunal canadien des droits de la personne. »

[16]  En réponse aux recommandations formulées à l’égard de chacune des plaintes, la demanderesse a produit d’autres éléments de preuve qui portent en particulier sur la plainte contre EDSC.

[17]  Par la suite, la Commission a décidé de demander un examen de la plainte contre EDSC, malgré la recommandation de l’enquêteur. La Commission a conclu que des éléments de preuve suffisants avaient été présentés dans les observations formulées en réponse selon lesquels un examen était justifié.

Le dossier indique qu’en rendant sa décision, la Commission n’avait tenu compte que de la plainte contre EDSC, du rapport s’y rattachant et des observations des parties au sujet du rapport.

[18]  Le 23 mars 2017, la Commission a décidé de rejeter la plainte contre le Conseil du Trésor.

Ayant cité le rapport de l’enquêteur et les observations formulées en réponse, sans invoquer aucun motif, la Commission a conclu que [TRADUCTION] « compte tenu de toutes les circonstances relatives à la plainte, un examen plus approfondi n’est pas justifié. »

Comme dans le cas de la plainte contre EDSC, le dossier indique qu’en rendant sa décision, la Commission n’avait tenu compte que de la plainte contre le Conseil du Trésor, du rapport s’y rattachant et des observations des parties au sujet du rapport.

[19]  Les questions à trancher dans le présent contrôle judiciaire sont les suivantes :

  1. La décision de la Commission est-elle raisonnable?

  2. La Commission a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale en ne procédant pas à une instruction commune des deux plaintes, comme elle l’avait promis?

Il y a une question subsidiaire de savoir s’il devrait y avoir « décision imposée » à titre de réparation.

III.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[20]  Il n’y a pas de débat sur la question de la norme de contrôle, mais plutôt sur la façon dont cette norme s’applique. Les parties conviennent, et la Cour est d’accord que la décision de rejeter la plainte contre le Conseil du Trésor est susceptible de contrôle selon la « norme de la décision raisonnable ».

Le prétendu manquement à l’équité procédurale est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte.

[21]  Une grande partie de l’argumentation sur le « caractère raisonnable » est axée sur l’absence de motifs précis justifiant le rejet de la plainte contre EDSC. Le défendeur s’appuie largement sur le vaste pouvoir discrétionnaire de la Commission. Le défendeur s’appuie particulièrement sur le principe dégagé d’abord dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 48, [2008] 1 RCS 190, puis prononcé plus distinctement dans l’arrêt Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, aux paragraphes 37 et 38, [2016] 2 RCS 293, selon lequel « la cour de révision peut tenir compte des motifs qui pourraient être donnés à l’appui de la décision ».

[22]  Le défendeur n’a pas réussi à renvoyer la Cour à un quelconque élément qui lui aurait permis de tirer une conclusion sur ce qu’auraient pu être ces motifs. Il est juste de dire que la Cour n’arrive pas à en trouver un seul.

[23]  L’éventail des issues possibles acceptables est nécessairement restreint par les motifs de la décision ainsi que le contexte en cause. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CAF 75, 444 NR 120, la Cour d’appel fédérale s’est ainsi prononcée dans le cadre d’une décision du Tribunal, aux paragraphes 13 à 15 :

[13]  Ainsi que le procureur général l’a reconnu devant nous lors des débats, il faut se rappeler que l’éventail des issues acceptables et justifiables « s’adapte au contexte » et qu’il varie selon la nature de la question et d’autres circonstances [. . .] 

 [15]  L’arrêt Mowat, précité, de la Cour suprême, qui portait également sur l’interprétation de la Loi par le Tribunal, illustre bien ce point.  Dans cette affaire, la Cour suprême a examiné la décision du Tribunal en fonction de la norme de la décision raisonnable. Toutefois, dans l’application de cette norme, la Cour suprême s’est livrée à un contrôle de la décision du Tribunal plus exigeant que celui auquel la Cour fédérale s’est livrée en l’espèce. D’aucuns pourraient qualifier ce que la Cour suprême a fait dans l’arrêt Mowat de contrôle déguisé du bien‑fondé de la décision du Tribunal. Je rejette cette thèse. Dans l’affaire Mowat, la Cour a procédé au contrôle du caractère raisonnable de la décision en faisant quand même preuve de déférence et en étant consciente du fait que le Tribunal ne disposait que d’un éventail restreint d’issues possibles et acceptables compte tenu du caractère limité de l’affaire dont il était saisi.  Dès lors qu’il avait respecté ce cadre, le Tribunal avait droit à ce qu’on fasse preuve de retenue à son égard.

B.  Examen du caractère raisonnable

[24]  Il est évidemment et manifestement accepté par la Cour d’appel fédérale qu’un tribunal doit être en mesure de comprendre le fondement sur lequel une décision a été rendue pour déterminer si cette décision appartient aux issues raisonnables. Dans l’arrêt Lloyd c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 115, au paragraphe 24, 265 ACWS (3d) 1036, la Cour d’appel fédérale a indiqué qu’une décision ne peut justifier le contrôle judiciaire sans se livrer à la spéculation et à la rationalisation, et a cité la décision Komolafe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, au paragraphe 11, 16 Imm LR (4th) 267 :

[11]  L’arrêt Newfoundland Nurses ne donne pas à la Cour toute la latitude voulue pour fournir des motifs qui n’ont pas été donnés ni ne l’autorise à deviner quelles conclusions auraient pu être tirées ou à émettre des hypothèses sur ce que le tribunal a pu penser. C’est particulièrement le cas quand les motifs passent sous silence une question essentielle.  Il est ironique que l’arrêt Newfoundland Nurses, une affaire qui concerne essentiellement la déférence et la norme de contrôle, soit invoqué comme le précédent qui commanderait au tribunal ayant le pouvoir de surveillance de faire le travail omis par le décideur, de fournir les motifs qui auraient pu être donnés et de formuler les conclusions de fait qui n’ont pas été tirées.  C’est appliquer la jurisprudence à l’envers.  L’arrêt Newfoundland Nurses permet aux cours de contrôle de relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées.  Ici, il n’y a même pas de points sur la page.

[25]  Dans l’examen de cet aspect du caractère raisonnable, la Cour doit se livrer à une réflexion rationnelle sur ce que le décideur avait à l’esprit. Ce serait un triomphe de la forme sur le fond que d’annuler une décision si on comprenait parfaitement ce que le décideur pensait, mais qu’il n’a pas exprimé clairement ou adéquatement.

[26]  « Relier les points » exige que les points soient clairs et mènent inexorablement à une seule conclusion. En l’espèce, je ne vois aucun point et, si ces points existent, ils sont trop opaques.

[27]  Une lecture de la décision montre qu’il est évident que l’enquêteur a tiré une conclusion préliminaire selon laquelle la plainte contre EDSC n’était pas suffisamment étayée. L’enquêteur a reconnu que la plainte contre le Conseil du Trésor comprenait une question distincte sur la responsabilité de l’employeur. Cependant, la plainte contre le Conseil du Trésor a été rejetée en raison de l’insuffisance des renseignements contenus dans la plainte contre EDSC.

[28]  En revanche, après avoir reçu d’autres observations, la Commission a conclu que la plainte contre EDSC suffisait à justifier un examen. À l’inverse, la Commission a rejeté la plainte contre le Conseil du Trésor, sans donner d’explications.

[29]  Par conséquent, sans explication et en présence d’une plainte contre EDSC qui était suffisante, la Commission a rejeté la plainte.

[30]  La Cour est incapable de voir comment — si la plainte contre EDSC n’était pas suffisante pour pouvoir être traitée et que la plainte contre le Conseil du Trésor ne pouvait pas aller de l’avant pour les mêmes motifs — le fait de remédier à cette insuffisance ne pourrait pas également faire en sorte que la plainte du Conseil du Trésor soit exempte d’insuffisances.

[31]  Les deux plaintes se fondaient sur les mêmes éléments de preuve; par conséquent, il est incohérent, contradictoire et non compréhensible que les éléments de preuve qui auraient pu suffire à justifier le renvoi pour examen dans un cas ne soient pas suffisants dans l’autre cas.

[32]  Il pourrait y avoir une explication, mais elle n’est ni donnée ni même proposée en « faisant le lien entre les points ».

[33]  Pour ce seul motif, la décision doit être annulée.

C.  Équité procédurale

[34]  Compte tenu de la conclusion que j’ai tirée ci-dessus, il n’est pas nécessaire d’en arriver à une conclusion sur ce point. On a soutenu que la promesse voulant que les deux plaintes soient traitées « ensemble » était floue. Dans les procédures judiciaires, ce type de libellé englobe les affaires étroitement liées, mais couvre également les affaires entendues les unes à la suite des autres.

[35]  La procédure à suivre relevait du pouvoir discrétionnaire de la Commission. Compte tenu de la corrélation entre les deux plaintes, il est difficile de voir sur quel fondement ces plaintes pourraient être distinctes, mais cette question sera abordée plus tard par la Commission.

[36]  Cette question n’influe pas non plus sur la réparation accordée par la Cour. De toute façon, la réparation serait la même.

D.  Réparation

[37]  La demanderesse demande à la Cour d’ordonner à la Commission de déférer la plainte contre le Conseil du Trésor pour examen. Cette réparation séduit par son efficacité et la possibilité qu’elle soit équitable, mais le manquement de la Commission portait sur son raisonnement obscur. Il n’appartient pas à la Cour de substituer son raisonnement à celui de la Commission sur une question à l’égard de laquelle la Commission possède une grande expertise et peut avoir certaines raisons de tirer ses conclusions.

IV.  Conclusion

[38]  Par conséquent, la Cour annule la décision de la Commission en ce qui a trait à la plainte contre le Conseil du Trésor et ordonne que cette plainte soit réexaminée à la lumière de sa décision de déférer la plainte contre EDSC pour examen.

[39]  La Commission est fortement encouragée à produire des motifs cohérents, quelle que soit la conclusion à laquelle elle parviendra.

[40]  La demanderesse a droit à ses dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-596-17

LA COUR ORDONNE que la décision de la Commission canadienne des droits de la personne soit annulée relativement à la plainte contre le Conseil du Trésor. La Cour ordonne que la décision concernant la plainte contre EDSC soit réexaminée, à la lumière de sa décision de déférer la plainte contre Emploi et Développement social Canada pour examen. Des dépens sont accordés à la demanderesse.

« Michael L. Phelan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-596-17

 

INTITULÉ :

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 décembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Andrew Raven

 

Pour la demanderesse

 

Tara DiBenedetto

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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