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Date : 20180507


Dossier : IMM-1219-18

Référence : 2018 CF 486

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 mai 2018

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

GREGORY ALLEN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur a-t-il droit à la divulgation des communications entre les fonctionnaires canadiens et étrangers aux fins d’un contrôle de la détention? Voilà la question soulevée dans la présente demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par la Section de l’immigration [SI] le 6 mars 2018, présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la LIPR ou la Loi].

[2]  La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.  Résumé des faits

[3]  Le demandeur est un citoyen de la Jamaïque et a déjà été un résident permanent du Canada. Il a perdu son statut canadien en 2016 et a fait l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire en raison des condamnations criminelles graves prononcées contre lui. Une décision défavorable relative à l’examen des risques avant renvoi [ERAR] a été rendue le 15 décembre 2016. Un mandat d’arrestation en vertu de la LIPR a été émis contre lui le 24 mars 2017, avant l’expiration de la peine d’emprisonnement qu’il purgeait alors dans un pénitencier.

[4]  Le demandeur demeure détenu dans un centre de détention de l’immigration. La SI a procédé au contrôle de sa détention au moins une fois au cours de chaque période de 30 jours depuis l’exécution du mandat. La mesure de renvoi n’a pas été exécutée puisque l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] n’a pas reçu un document de voyage des autorités jamaïcaines pour le demandeur.

[5]  Il n’est pas contesté que le demandeur est un ressortissant jamaïcain et qu’il était titulaire d’un passeport de la Jamaïque lorsqu’il a été parrainé pour venir au Canada en 1997. Les autorités jamaïcaines exigent cependant une preuve d’enregistrement de naissance, ou d’autres documents établissant sa nationalité avant de délivrer un document de voyage. Le consul jamaïcain a suggéré de présenter une demande [traduction] « d’enregistrement tardif de nom » au Bureau du registraire général. Les renseignements relatifs à la généalogie de sa famille étaient nécessaires à cette fin. À l’audience de la SI, le ministre a soutenu la thèse que le demandeur ne coopérait pas, refusant de fournir de tels renseignements.

[6]  Le 1er mars 2018, le demandeur a présenté à la SI une demande d’ordonnance enjoignant à l’ASFC de divulguer : (1) les notes, les procès-verbaux et la correspondance des agents de renvoi concernant M. Allen; (2) les communications et la correspondance entre l’ASFC et les autorités jamaïcaines; et (3) la documentation concernant les efforts déployés par l’ASFC pour améliorer les conditions d’incarcération de M. Allen.

[7]  Le ministre a accepté de produire des documents relevant des première et troisième catégories, mais a refusé de produire les documents de la deuxième catégorie, faisant valoir que la demande n’était pas pertinente et que la divulgation de ces communications pourrait porter préjudice aux relations internationales. La requête a été examinée à l’audience de contrôle de la détention du 5 mars 2018.

[8]  Le demandeur a fait valoir que la correspondance en question est pertinente et doit être divulguée, car elle permettrait d’aborder l’objet de la controverse, son maintien en détention. Il a affirmé que l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), ch. 11 [la Charte], s’applique et que sa détention ne peut être maintenue qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale, y compris son droit à une preuve complète et son droit de plaider sa cause. Le demandeur a soutenu qu’il a le droit d’examiner et d’évaluer les éléments de preuve qui ont servi à appuyer son maintien en détention, y compris les communications avec le pays vers lequel il serait expulsé. Le demandeur a affirmé que si le ministre souhaitait invoquer un privilège de confidentialité au regard de ses relations avec ce pays, la procédure correcte serait d’appliquer l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5 [la LPC].

[9]  Le ministre a rétorqué que les documents n’étaient pas pertinents et que la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21 constitue le mécanisme approprié de divulgation de tels documents, sous réserve des dispositions pertinentes de cette loi ayant trait à des renseignements privilégiés. Le conseil du ministre a affirmé que la requête constituait une tentative d’appliquer les règles de preuve du droit pénal dans le cadre d’une procédure administrative. Il a soutenu de plus que cela nuirait aux relations de l’ASFC avec les gouvernements étrangers qui sont tenus de délivrer des documents de voyage pour leurs ressortissants étrangers visés par une mesure de renvoi si leurs communications sont régulièrement divulguées.

[10]  Pour ce qui est du bien-fondé du maintien en détention du demandeur, le ministre a fait valoir qu’il représentait toujours un danger pour la sécurité publique et ne se présenterait probablement pas pour son renvoi du Canada s’il était libéré. Le demandeur n’a pas répondu aux arguments du ministre sur son maintien en détention puisqu’il attendait que le ministre lui communique d’autres documents pour comprendre et plaider sa cause.

[11]  Le 6 mars 2018, dans de longs motifs, la SI a conclu que le maintien en détention du demandeur était justifié par deux dispositions de la LIPR : premièrement, le demandeur constitue toujours un danger pour la sécurité publique (alinéa 58(1)a)), et deuxièmement, le demandeur se soustrairait vraisemblablement à son renvoi du Canada (alinéa 58(1)b)). La conclusion relative au danger était fondée sur la condamnation au criminel du demandeur et sa propension à user de violence.

[12]  En ce qui concerne le risque de fuite du demandeur, le commissaire de la SI a conclu qu’il a refusé de coopérer avec les autorités de l’immigration et les autorités policières, et qu’il s’est soustrait à son arrestation à plusieurs reprises. La SI a conclu que le demandeur était déterminé à faire échouer les efforts du ministre pour l’expulser afin de demeurer au Canada. Selon la SI, le ministre a [traduction] « fait preuve d’une diligence exceptionnelle pour chercher à résoudre les problèmes qui se posent » et pour [traduction] « veiller à ce que M. Allen reçoive un document de voyage, dès que raisonnablement possible ». Le demandeur [traduction] « fait délibérément, sciemment et résolument obstruction aux efforts des autorités pour lui obtenir un document de voyage ».

[13]  La demande de divulgation d’autres documents présentée par le demandeur a été rejetée. Le commissaire a fait remarquer que le cas était quelque peu unique en ce sens que les autorités jamaïcaines exigeaient un certificat de naissance avant de délivrer un document de voyage, mais il a estimé que la correspondance entre les autorités jamaïcaines et les représentants canadiens n’était pas pertinente puisque le ministre n’a pas invoqué ces documents. Le commissaire a fait valoir que le demandeur avait reçu toute l’information sur laquelle le ministre s’appuyait. De plus, la LIPR ne comporte aucune exigence particulière en matière de divulgation par les parties dans le cadre d’un contrôle de la détention, et les règles de la SI n’exigent qu’un minimum de divulgation. Il a été laissé à la discrétion de la SI de dresser les ordonnances de divulgation dans les circonstances appropriées à chaque cas.

[14]  Dans le cas en l’espèce, le commissaire a conclu qu’il incombait au demandeur de réunir l’information nécessaire pour satisfaire les autorités jamaïcaines. Il a affirmé à maintes reprises qu’il avait déjà été en possession de son certificat de naissance et de son passeport qui sont maintenant disparus.  Rien ne démontre qu’il a communiqué avec les autorités de son pays de nationalité en vue de remplacer ces documents. Il n’a pas non plus allégué que le processus qu’a adopté le ministre était incorrect, destiné à donner lieu à plus de confusion ou à retarder son renvoi.

[15]  Le commissaire a conclu que le degré d’équité procédurale dont il convient de faire preuve à l’égard du demandeur dans le cadre du contrôle de la détention n’exige pas la divulgation de la correspondance entre l’ASFC et les autorités jamaïcaines. Le demandeur connaissait très bien la cause qu’il devait défendre, mais n’a pas coopéré pour satisfaire aux exigences fondamentales du processus, notamment pour remplir les formulaires requis en vue d’obtenir un document de voyage. Il n’a pas été victime d’injustice au cours du processus parce qu’il avait été pleinement informé de ce qui était requis dès le début.

[16]  En conclusion, le commissaire a estimé que la divulgation de la correspondance entre les représentants du ministre et les autorités jamaïcaines ne faisait l’objet d’aucun droit absolu. Bien que cela ne fut pas déterminant, le commissaire a souligné que le demandeur n’a pas présenté de demande en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il n’a pas accepté qu’une demande en vertu de la Loi sur la preuve au Canada entraînerait un résultat dans un délai raisonnable. Le commissaire a conclu que la coopération du demandeur pour remplir dûment les formulaires nécessaires afin de les transmettre aux autorités jamaïcaines permettrait de résoudre la question. Sans cela, et étant donné l’importance du danger actuel à la sécurité publique et du risque de fuite, le commissaire a conclu que son manque de coopération pesait lourdement contre lui, citant Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Lunyamila, 2016 CF 1199 [Lunyamila 2016] et Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Lunyamila, 2018 CF 211.

III.  Les questions en litige

[17]  Le demandeur n’a pas contesté le caractère raisonnable de la conclusion de la SI sur son maintien en détention dans la présente demande. Il affirme plutôt que la SI n’a pas respecté les principes d’équité procédurale dans son cas en refusant de divulguer la correspondance demandée.

[18]  Après avoir examiné l’argumentation des parties, j’estime que les questions en litige sont les suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle appropriée?

  2. Le refus de la SI d’ordonner la divulgation des communications constitue-t-il un manquement à l’équité procédurale?

IV.  Dispositions législatives pertinentes

[19]  Les dispositions pertinentes de la LIPR sont rédigées comme suit :

Mise en liberté par la Section de l’immigration

Release – Immigration Division

58 (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l’étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :

58 (1) The Immigration Division shall order the release of a permanent resident or a foreign national unless it is satisfied, taking into account prescribed factors, that

a) le résident permanent ou l’étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

(a) they are a danger to the public;

b) le résident permanent ou l’étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);

(b) they are unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2);

[…]

[…]

[20]  Et les dispositions pertinentes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, sont :

Autres critères

Other factors

248 S’il est constaté qu’il existe des motifs de détention, les critères ci-après doivent être pris en compte avant qu’une décision ne soit prise quant à la détention ou la mise en liberté :

248 If it is determined that there are grounds for detention, the following factors shall be considered before a decision is made on detention or release:

a) le motif de la détention;

(a) the reason for detention;

b) la durée de la détention;

(b) the length of time in detention;

c) l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps;

(c) whether there are any elements that can assist in determining the length of time that detention is likely to continue and, if so, that length of time;

d) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère, de l’Agence des services frontaliers du Canada ou de l’intéressé;

(d) any unexplained delays or unexplained lack of diligence caused by the Department, the Canada Border Services Agency or the person concerned; and

e) l’existence de solutions de rechange à la détention.

(e) the existence of alternatives to detention.

[21]  Les Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002-229 [Règles de la SI], énoncées à l’article 26 :

Communication de documents par une partie

Disclosure of documents by a party

26 Pour utiliser un document à l’audience, la partie en transmet une copie à l’autre partie et à la Section. Les copies doivent être reçues :

26 If a party wants to use a document at a hearing, the party must provide a copy to the other party and the Division. The copies must be received

a) dans le cas du contrôle des quarante-huit heures ou du contrôle des sept jours, ou d’une enquête tenue au moment d’un tel contrôle, le plus tôt possible;

(a) as soon as possible, in the case of a forty-eight hour or seven-day review or an admissibility hearing held at the same time; and

b) dans les autres cas, au moins cinq jours avant l’audience.

(b) in all other cases, at least five days before the hearing

V.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[22]  Les parties ne contestent pas que la norme globale de contrôle applicable à l’examen d’une décision de détention est celle de la norme de la décision raisonnable : Lunyamila 2016, précitée, aux paragraphes 20 et 21; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c.  Dehart, 2013 CF 936, au paragraphe 34. Le demandeur soutient, et je suis d’accord, que la question de savoir si la SI aurait dû ordonner la divulgation des communications est une question d’équité procédurale qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 ; Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79 [Khela].

[23]  Une certaine incertitude persiste dans les décisions récentes de la Cour d’appel quant à ce que signifie la « décision correcte » dans le contexte de l’équité procédurale. Comme le défendeur l’a fait remarquer au cours des plaidoiries, cette question a été examinée par le juge Rennie dans l’arrêt Canadian Pacific Railway Company v. Canada (Attorney General), 2018 FCA 69 [Canadian Pacific], aux paragraphes 32 et 56. Dans cette affaire, au paragraphe 40, le juge Rennie a fait observer que les exigences liées à l’équité procédurale dans des circonstances particulières sont très variables et contextuelles. Afin de déterminer le degré d’équité procédurale nécessaire, il convient de prendre en compte les cinq facteurs contextuels, non exhaustifs, énoncés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193 [Baker], aux pages 837 à 841.

[24]  Le juge Rennie était d’avis que le cinquième facteur, le degré de déférence à accorder au décideur, était pertinent dans l’arrêt Canadian Pacific. Cependant, la question fondamentale était de savoir si la partie avait eu accès à une preuve complète, si elle avait eu la possibilité de plaider sa cause, et si un décideur impartial avait examiné intégralement et équitablement sa cause. Il peut être approprié de faire preuve de déférence à l’égard du choix de procédure du décideur, mais pas pour ce qui est du respect de l’obligation d’équité procédurale.

[25]  À mon avis, la même question doit être tranchée dans le cas en l’espèce. Le demandeur a-t-il eu accès à une preuve complète, a-t-il eu la possibilité de plaider sa cause, et un décideur impartial a-t-il examiné intégralement et équitablement sa cause? La conclusion à laquelle je suis arrivé est que la SI n’a pas commis un manquement aux principes d’équité procédurale en refusant de divulguer les communications en question.

B.  Le refus de la SI d’ordonner la divulgation des communications constitue-t-il un manquement à l’équité procédurale?

[26]  La question de savoir s’il y a eu manquement à l’équité procédurale touche l’étendue de la divulgation exigée du ministre dans le cadre d’un contrôle de la détention. Et plus particulièrement, si le ministre est tenu de divulguer des renseignements sur lesquels il n’entend pas s’appuyer.  Et si le ministre ne divulgue pas tout ce que le demandeur demande, incombe-t-il à la SI d’en ordonner la divulgation?

[27]  Tel qu’il est indiqué dans les dispositions pertinentes du paragraphe 58(1) de la LIPR, la SI est tenue d’ordonner la libération du demandeur sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, qu’il constitue un danger pour la sécurité publique ou qu’il se soustraira vraisemblablement au renvoi. Les critères réglementaires prescrits à l’article 26 des Règles de la SI comprennent la durée de détention, les retards inexpliqués ou un manque de diligence de la part du ministre ou de la personne concernée, et l’existence de solutions de rechange à la détention.

[28]  Dans le cas en l’espèce, tel qu’il est susmentionné, la SI a estimé que le ministre avait [traduction] « fait preuve d’une diligence exceptionnelle » dans ses efforts visant à exécuter la mesure de renvoi du demandeur et que les retards étaient imputables à l’absence de coopération du demandeur. Les motifs de la SI à l’appui de ces conclusions sont exposés en détail dans la décision du 6 mars 2018. Ces conclusions n’ont pas été contestées lors de l’audition de la présente demande.

[29]  Le demandeur fait valoir qu’il convient de faire preuve d’un haut niveau d’équité procédurale à son égard en raison de la durée de sa détention – onze mois au moment de l’audience de la SI. Il prétend que la divulgation de la correspondance demandée est requise pour respecter le [traduction] « principe de la preuve complète » puisque la diligence et les retards font partie des critères réglementaires à prendre en compte avant qu’un contrôle de la détention puisse faire l’objet d’une décision. Il cherche à obtenir la correspondance demandée pour contester la prétention du défendeur selon laquelle les représentants du ministre ont fait preuve de diligence et pour démontrer que les retards dans l’exécution de son renvoi ont été causés par cette absence de diligence. Il affirme qu’il n’a jamais eu l’occasion d’examiner de façon indépendante la prétention du ministre voulant que le seul obstacle à la délivrance d’un document de voyage soit uniquement son manque de coopération.

[30]  Dans Brown c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 710 [Brown], le juge Fothergill a entrepris une analyse exhaustive de la constitutionnalité du régime législatif au titre duquel la détention aux fins de l’immigration est autorisée. Au paragraphe 159, il établit les exigences minimales de détention légale aux fins de renvoi aux termes de la LIPR et du Règlement :

[…]

(a) Le ministre de la SPPC doit agir de manière diligente et prompte en vue de procéder à l’expulsion de la personne détenue du Canada.

(b) Il incombe toujours au ministre de la SPPC de démontrer qu’il existe des motifs justifiant la détention ou le maintien de la détention.

(c) Avant d’ordonner la détention, la SI doit tenir compte de la disponibilité, l’efficacité et l’opportunité d’autres solutions que la détention.

(d) À chaque contrôle de détention, la SI doit décider de nouveau si le maintien de la détention est justifié.

(e) La détention peut être maintenue seulement durant une période raisonnable compte tenu de toutes les circonstances, y compris le risque que la personne détenue s’esquive, la menace que représente cette personne pour la sécurité publique et le délai dans lequel son expulsion devrait avoir lieu.

(f) Une fois que le ministre de SPPC a établi prima facie qu’il y a lieu de maintenir la détention d’une personne, cette dernière doit présenter une certaine preuve contraire sinon elle risque d’être maintenue en détention. Le ministre de la SPPC peut établir une preuve prima facie de différentes façons, y compris en se fondant sur les motifs de décisions antérieures.

(g) Le ministre de SPPC doit donner un avis suffisamment à l’avance concernant la preuve ou l’information sur lesquelles sera fondé le contrôle de la détention. Les personnes détenues ou leurs représentants peuvent demander une divulgation supplémentaire et demander que l’agent d’exécution soit assigné à comparaître lors de l’audience.

(h) Si la divulgation est insuffisante, une personne détenue ou son représentant peut demander que la SI ajourne brièvement l’audience ou qu’elle devance la date du prochain contrôle. Au besoin, une demande de contrôle judiciaire peut être présentée à la Cour selon la procédure accélérée.

(i) Les personnes détenues dans un CSI peuvent contester le lieu ou les conditions de leur détention directement auprès de l’ASFC. Les personnes détenues dans un établissement correctionnel provincial peuvent contester le lieu ou les conditions de leur détention conformément aux procédures de l’établissement en question. Les personnes détenues peuvent également présenter une demande d’habeas corpus ou de contrôle judiciaire à une cour supérieure.

[31]  Le demandeur soutient que, dans le cas en l’espèce, l’étendue de la divulgation a été trop restreinte. En conséquence, s’appuyant sur le paragraphe 159(h) de la décision Brown, il soutient qu’il était nécessaire de déposer la présente demande de contrôle judiciaire. Jusqu’à ce qu’il ait la possibilité d’examiner les documents demandés, il lui est impossible de faire des allégations fondées sur des éléments de preuve. Lors d’un contrôle de la détention, soutient-il, le ministre doit prouver qu’il a fait preuve de diligence et la SI doit évaluer de manière indépendante ces efforts plutôt que de s’appuyer sur les observations du ministre. Il affirme en outre que, pour qu’il puisse contester les affirmations du ministre et pour que la SI puisse procéder à une évaluation indépendante, la divulgation des documents demandés est nécessaire.

[32]  Le demandeur fait de plus valoir que les éléments de preuve présentés par le ministre pour étayer son allégation de manque de coopération ne lui enlèvent pas son droit de disposer d’une preuve complète et d’avoir la possibilité de plaider sa cause. Il en est de même de son droit de demander la divulgation de documents en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. En outre, les délais inhérents à l’obtention de dossiers et les exceptions à la divulgation aux termes de la Loi sur la protection des renseignements personnels rendent cette option impraticable.

[33]  Selon le demandeur, le ministre ne peut pas simplement invoquer un privilège à l’égard des documents au motif que la divulgation porterait préjudice aux relations internationales sans avoir recours à la procédure décrite dans la LPC. Par ailleurs, le ministre pourrait faire une demande de non-divulgation de l’information en vertu de l’article 86 de la LIPR et, s’il n’est pas satisfait de la décision, présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision en vertu du paragraphe 86.1 de la Loi.

[34]  Le défendeur prétend que la divulgation des documents en cause n’est pertinente à aucune des questions en litige. Toute obligation de divulgation doit s’inscrire dans le contexte de la détention aux fins d’immigration. Le demandeur n’a droit qu’au matériel déposé devant la SI, soit les documents communiqués sous forme de pièces, les enregistrements de ses contrôles de la détention et les motifs de son maintien en détention consignés lors des contrôles antérieurs.

[35]  À titre d’observation préliminaire, il n’y a rien dans le dossier présenté à la Cour qui donnerait à penser que le ministre pourrait avoir des motifs de solliciter une ordonnance de non-divulgation aux termes de l’article 86 ou de contrôle judiciaire aux termes du paragraphe 86.1 de la LIPR. Ces dispositions sont limitées à des affaires dans lesquelles la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Bien que le risque de divulgation d’information qui pourrait porter préjudice aux relations internationales s’inscrive dans le champ d’application de l’article 38 de la LPC, la SI a eu raison, à mon avis, de reconnaître que le recours à cette procédure ne serait pas compatible avec la nécessité de réaliser un contrôle de la détention en temps opportun et de manière informelle. Cela ne signifie pas qu’un tel recours ne puisse pas être nécessaire dans un cas approprié.

[36]  Le rôle de la SI dans le cadre d’un contrôle de la détention est de déterminer si le maintien en détention est justifié. Ce rôle a été décrit par le juge MacKay dans la décision Salilar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 3 CF 150, au paragraphe 159 (TD) en ces termes : « …au moment de l’examen, il s’agit de savoir s’il existe des motifs permettant de convaincre l’arbitre que l’intéressé ne constitue vraisemblablement pas une menace pour la sécurité publique et qu’il ne se dérobera vraisemblablement pas à l’interrogatoire ou à l’enquête ou qu’il obtempérera à la mesure de renvoi ». Voir aussi Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, aux paragraphes 6 à 16 [Thanabalasingham]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Lai, [2001] 3 CF 326, au paragraphe 15, 2001 CFPI 118.

[37]  Comme l’affirme le juge Fothergill au paragraphe 159 de la décision Brown, il incombe au ministre d’établir à chaque contrôle de la détention une preuve prima facie du maintien en détention. Cela peut se faire de différentes façons, y compris le recours à des motifs convaincants ou persuasifs de détention antérieure. Cependant, le fardeau de la preuve peut retomber sur l’intéressé une fois que le ministre a établi une preuve prima facie. L’individu doit alors présenter des éléments de preuve, sans quoi sa détention risque de se poursuivre.

[38]  Les procédures devant la SI sont informelles et les règles normales de preuve ne s’appliquent pas, comme le juge Fothergill l’a fait remarquer aux paragraphes 122 et 123 de la décision Brown. La preuve par ouï-dire est admissible et, dans la pratique, l’exigence de présenter des éléments de preuve n’existe que si une déclaration est contredite par une autre partie. Il est donc loisible au commissaire de la SI d’accepter les faits et arguments présentés par le représentant du ministre concernant les efforts pour obtenir un document de voyage des autorités jamaïcaines à moins que l’information ne soit contestée par le demandeur. Tel qu’il a été susmentionné, le demandeur n’a pas fait de telle contestation.

[39]  Les exigences obligatoires de divulgation à la SI et à la personne détenue par le ministre sont énoncées au paragraphe 8(1) des Règles de la Section de l’immigration qui précise les renseignements biographiques et procéduraux de base. L’article 26 des Règles exige que des copies soient fournies si une partie souhaite utiliser un document à l’audience, et les articles 27 à 31 des Règles traitent de la forme et de la manière dont ces documents doivent être communiqués à la SI et à l’autre partie. Comme la SI l’a fait remarquer, autre que ces articles, il n’y a pas de dispositions dans la Loi ou dans le Règlement qui définissent la nature et l’étendue des obligations de divulgation auxquelles le ministre est soumis dans le cadre d’un contrôle de la détention.

[40]  Dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3 [Suresh (CSC)], la Cour suprême du Canada a examiné la protection offerte par l’article 7 de la Charte à une personne menacée d’expulsion en vertu de l’alinéa 53(1)b) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. La Cour a examiné ce que l’obligation d’équité procédurale et les principes de justice fondamentale exigent :

[115] L’obligation d’équité – et par conséquent les principes de justice fondamentale – exigent en fait que la question soulevée soit tranchée dans le contexte de la loi en cause et des droits touchés : Baker, précité, par. 21; Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, p. 682; Assoc. des résidents du Vieux St‑Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, le juge Sopinka. Plus précisément, pour décider des garanties procédurales qui doivent être accordées, nous devons tenir compte, entre autres facteurs, (1) de la nature de la décision recherchée et du processus suivi pour y parvenir, savoir « la mesure dans laquelle le processus administratif se rapproche du processus judiciaire », (2) du rôle que joue la décision particulière au sein du régime législatif, (3) de l’importance de la décision pour la personne visée, (4) des attentes légitimes de la personne qui conteste la décision lorsque des engagements ont été pris concernant la procédure à suivre et (5) des choix de procédure que l’organisme fait lui‑même : Baker, précité, par. 23-27. Cela ne signifie pas qu’il est exclu que d’autres facteurs et considérations entrent en jeu.  Cette liste de facteurs n’est pas exhaustive même pour circonscrire l’obligation d’équité en common law : Baker, précité, par. 28.  Elle ne l’est donc forcément pas pour décider de la procédure dictée par les principes de justice fondamentale.

[41]  D’une importance particulière dans l’arrêt Suresh (CSC) était le fait que M. Suresh, un réfugié au sens de la Convention et un demandeur de résidence permanente, était visé par une mesure de renvoi et exposé à un risque de torture de la part des autorités de son pays de citoyenneté. Dans ces circonstances, la Cour a conclu que M. Suresh avait droit à plus que l’équité procédurale exigée par la Loi sur l’Immigration. En particulier, il devait être informé des éléments invoqués contre lui sous réserve du caractère privilégié de certains documents ou de l’existence d’autres motifs valables d’en restreindre la communication, comme la nécessité de préserver la confidentialité de documents relatifs à la sécurité publique : Suresh (CSC), précité, au paragraphe 122. L’intéressé doit également avoir la possibilité de contester l’information recueillie par le ministre lorsque sa validité peut être mise en doute : Suresh (CSC), précité, au paragraphe 123.

[42]  Dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 RCS 350 [Charkaoui I], la Cour suprême a entrepris une analyse constitutionnelle du régime de certificats de sécurité en vertu de la LIPR récemment adoptée. À l’époque, le régime permettait l’expulsion de résidents permanents ou de ressortissants étrangers sur la foi de renseignements confidentiels qui n’avaient pas à être communiqués à la personne nommée dans le certificat : Charkaoui I, précité, aux paragraphes 4 et 5. Dans certains cas, la détention de la personne nommée était obligatoire et automatique : Charkaoui I, précité, aux paragraphes 6 à 9.

[43]  La contestation de la constitutionnalité du régime avait trait à la question de savoir si les principes de justice fondamentale de l’article 7 de la Charte étaient respectés. Il convient de noter que la Cour a examiné si la personne désignée avait eu la possibilité de contester les arguments invoqués contre elle en en étant informé et en étant autorisé à les remettre en question ou à les contester : Charkaoui I, précité, au paragraphe 31. En conséquence, il a été conclu que le régime ne respectait pas les principes de justice fondamentale et a été invalidé.

[44]  Pour en arriver à cette conclusion, la Cour suprême a jugé que les longues périodes de détention ne contreviennent pas aux articles 7 ou 12 de la Charte lorsqu’elles sont assorties d’un processus qui offre la possibilité de faire contrôler régulièrement la détention en fonction des considérations pertinentes suivantes : en tenant compte de tous les facteurs pertinents, y compris (a) les motifs de détention, (b) le temps passé en détention, (c) les raisons qui retardent l’expulsion, (d) la durée anticipée du prolongement de la détention, et (e) l’existence de solutions de rechange à la détention : Charkaoui I, précité, aux paragraphes 110 à 128.

[45]  Dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 SCC 38, [2008] 2 RCS 326 [Charkaoui II], la Cour suprême a examiné la conservation et la communication de renseignements en la possession du SCRS. La question était de savoir si le SCRS avait l’obligation de divulguer des renseignements à des personnes faisant l’objet d’une procédure de certificat de sécurité et si oui, le fondement et la portée de l’obligation de communication de cette information : Charkaoui II, précité, au paragraphe 19.

[46]  Bien que la Cour ait précédemment relevé dans l’arrêt May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, [2005] 3 RCS 809 [May], que l’obligation de divulgation de la loi pénale établie dans l’arrêt R. c Stinchcombe, [1995] 1 RCS 754 n’est pas applicable dans le contexte administratif, la Cour a mis en garde contre une approche à l’emporte-pièce :

[53] L’application des garanties constitutionnelles accordées par l’art. 7 de la Charte ne dépend toutefois pas d’une distinction formelle entre les différents domaines du droit.  Elle dépend plutôt de la gravité des conséquences de l’intervention de l’État sur les intérêts fondamentaux de liberté, de sécurité et parfois de droit à la vie de la personne.  Par sa nature, la procédure des certificats de sécurité peut mettre gravement en péril ces droits, comme la Cour l’a reconnu dans l’arrêt Charkaoui.  La reconnaissance d’une obligation de divulgation de la preuve fondée sur l’art. 7 devient nécessaire à la préservation de ces droits.

[47]  Dans le cas en l’espèce, le droit de l’appelant à la liberté est mis en jeu par le maintien en détention pendant le processus de renvoi, mais sa vie n’est pas menacée.

[48]  S’appuyant sur l’arrêt Suresh (CSC), précité, et Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3, 2002 CSC 75 [Ruby], la Cour dans l’arrêt Charkaoui II a souligné l’importance d’être sensible aux circonstances et au contexte de chaque situation :

[56] Dans La (par. 20), la Cour a confirmé que l’obligation de divulgation fait partie des droits protégés par l’art. 7.  De même, dans Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3, 2002 CSC 75, par. 39-40, la Cour a souligné l’importance de l’approche contextuelle dans l’évaluation des règles de justice naturelle et du niveau d’équité procédurale auxquelles a droit une personne.  À notre avis, la délivrance d’un certificat et ses conséquences comme la détention exigent un grand respect pour l’équité procédurale due à la personne visée.  Cette équité procédurale comprend, dans ce contexte, une procédure de vérification de la preuve présentée contre cette personne. Elle inclut également sa communication à la personne visée, selon des modalités et dans des limites qui respectent les intérêts légitimes de la sécurité publique.

[57] L’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1, par. 113, a examiné la nature du droit à l’équité procédurale dans un contexte où des droits protégés par l’art. 7 de la Charte étaient atteints [citant Suresh (CSC), précité, au paragraphe 115].

[58] Dans le contexte de l’information fournie aux ministres et au juge désigné, l’application des facteurs étudiés dans Suresh confirme la nécessité d’un droit élargi à l’équité procédurale, qui impose la divulgation de la preuve, dans le cadre des procédures reliées à l’évaluation du caractère raisonnable du certificat de sécurité et à sa mise en œuvre.  Comme nous l’avons rappelé plus haut, en plaçant la personne dans un état de vulnérabilité critique vis-à-vis de l’État, ces procédures entraînent potentiellement des conséquences graves pour elle.

[49]  J’ai eu l’occasion d’examiner les obligations de divulgation du ministre dans le cadre des procédures d’inadmissibilité dans la décision Suresh c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 28 [Suresh (CF)], une affaire concernant le même individu quelque quinze ans après l’instance devant la Cour suprême. Comme dans le cas en l’espèce, M. Suresh soutenait que le ministre était tenu de divulguer des éléments de preuve en sa possession, même si le ministre n’avait pas l’intention de s’appuyer sur ce matériel pour faire valoir son point de vue : Suresh (CF), précité, au paragraphe 47. M. Suresh soutenait que le « raisonnement suivi par la Cour dans Charkaoui II, qui se fonde sur l’article 7 de la Charte, devrait tout autant s’appliquer dans les procédures d’interdiction de territoire, puisque les conditions de libération et les risques de renvoi peuvent être les mêmes que ceux appliqués dans un cas de certificat » : Suresh (CF), précité, au paragraphe 49.

[50]  En réponse, le ministre a fait valoir qu’il n’était pas nécessaire de procéder à une divulgation de l’information parce que les arguments avancés contre M. Suresh se fondaient sur des éléments de preuve non classifiés qui avaient été divulgués : Suresh (CF), précité, au paragraphe 50. J’ai conclu que, dans les circonstances, le niveau de divulgation que la Cour suprême avait jugé nécessaire pour les procédures de certificats de sécurité n’était pas requis pour une audience d’interdiction de territoire puisque toute l’information qui avait été invoquée avait été divulguée au demandeur et qu’il disposait d’une preuve complète pour plaider sa cause.

[51]  Le demandeur évoque les déclarations du juge Fothergill dans la décision Brown, précitée, au paragraphe 159, selon lesquelles les détenus peuvent demander que plus d’information soit divulguée et que, si la divulgation est insuffisante, ils peuvent demander à la SI d’ajourner l’audience et demander que l’agent d’exécution soit appelé à comparaître. Le juge Fothergill a souligné que, si nécessaire, une demande de contrôle judiciaire pouvait être présentée à notre Cour.

[52]  À mon avis, pour mieux comprendre les commentaires sur la divulgation du juge Fothergill au paragraphe 159 de l’affaire Brown, il est important de revoir son analyse aux paragraphes 121 à 128 du même jugement. Dans ces paragraphes, le juge Fothergill fait remarquer que l’exigence de produire des éléments de preuve n’existe que dans le cas où une déclaration est contredite par une autre partie et que « [e]n pratique, cette exigence est généralement respectée. À tout le moins, c’est un aspect sur lequel le détenu ou un représentant peut insister. » : Brown, précitée, au paragraphe 122.

[53]  La décision Brown traite de la procédure par laquelle le ministre doit divulguer les éléments de preuve; le ministre doit donner un avis, les détenus peuvent demander plus d’information, la SI peut statuer sur la demande et, si nécessaire, un contrôle judiciaire d’une décision défavorable relative à la divulgation peut être porté devant notre Cour. La décision Brown n’aborde pas la nature et l’étendue de la divulgation exigée du ministre pour satisfaire au principe de la preuve complète, et, finalement, de se conformer aux principes de justice fondamentale. Je n’interprète pas les conclusions de la décision Brown pour étayer la proposition selon laquelle le ministre doit divulguer de l’information sur laquelle il n’a pas l’intention de se fonder lors d’une audience de contrôle de la détention.

[54]  Le demandeur ne peut être privé de sa liberté dans l’attente de son renvoi qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale; en particulier, le droit de disposer d’une preuve complète et d’avoir la possibilité de plaider sa cause : Suresh (CSC), précité, au paragraphe 122 ; Charkaoui I, précité, au paragraphe 53. Dans le cas en l’espèce, la question se résume à savoir si la divulgation par le ministre des éléments de preuve invoqués respecte ce principe dans le cadre d’un contrôle de la détention. Je crois que c’est le cas et que la SI n’a pas commis d’erreur en refusant d’ordonner la divulgation de la correspondance demandée.

[55]  Il convient de souligner que rien en l’espèce ne suggère que le demandeur risque de subir de la torture ou autres préjudices graves à son retour en Jamaïque, comme son avocat l’a reconnu à l’audition de la présente demande. Les préjudices qu’il pourrait subir sont des conséquences normales liées à l’expulsion. Il n’est toutefois pas contesté qu’il est exposé à une atteinte à son droit à la liberté pendant sa détention aux fins de renvoi.

[56]  Une analyse contextuelle est nécessaire pour déterminer le niveau de divulgation nécessaire dans ces circonstances : Charkaoui II, précité, aux paragraphes 50 à 53; May, précité, aux paragraphes 89 à 93; voir également Khela, précité, au paragraphe 83.

[57]  Par rapport à la procédure de certificat de sécurité discutée dans les arrêts Charkaoui I, Charkaoui II, et Suresh (CSC), le demandeur ne s’est pas vu refuser l’accès à l’un des éléments de preuve invoqués par le ministre dans une procédure de contrôle de la détention. Le ministre n’a utilisé aucun des documents demandés à titre d’élément de preuve pour établir un motif de détention en vertu de l’article 58 de la LIPR ou pour exhorter la SI à examiner les « autres facteurs » énumérés à l’article 248 du Règlement. Au contraire, le demandeur a eu accès à tous les éléments de preuve fournis par le ministre pour justifier son maintien en détention.

[58]  Tel qu’il a été souligné dans l’arrêt Charkaoui I, précité, au paragraphe 110, les longues périodes de détention ne contreviennent pas aux articles 7 et 12 de la Charte lorsqu’elles sont assorties d’un processus qui offre la possibilité de faire contrôler régulièrement la détention en fonction de toutes les considérations pertinentes.

[59]  Dans le cas en l’espèce, le demandeur fait valoir qu’il doit bénéficier d’un haut niveau d’équité procédurale puisqu’il devrait être considéré comme un détenu à long terme. Le demandeur est d’avis que ce niveau élevé d’équité procédurale exige la divulgation des communications entre le Canada et les autorités jamaïcaines. Le demandeur ne sait pas s’il y a quelque chose dans la correspondance qui pourrait l’aider à contester son maintien en détention. Il espère y trouver quelque chose qui lui permettrait de soutenir que la raison du retard de son renvoi n’est pas due à son propre manque de coopération, mais plutôt au manque de diligence de la part du ministre. Je conviens avec le défendeur que cela équivaut à une [traduction« recherche à l’aveuglette ».

[60]  Tel qu’il a été discuté ci-dessus, la durée de la détention est l’un des facteurs pertinents dans l’évaluation du niveau d’équité procédurale exigé et du respect de l’article 7 de la Charte. En l’espèce, le délai qui s’est écoulé depuis le premier contrôle de la détention n’a pas été excessif. Il a été détenu en vertu du mandat des autorités d’immigration le 23 mars 2017, et son premier contrôle de la détention a eu lieu le 27 mars 2017. Entre mars 2017 et juin 2017, on a tenté de trouver le passeport et le certificat de naissance du demandeur qu’il affirme avoir donné à la police de Toronto selon une déclaration qu’il a faite à l’ASFC. Par la suite, les efforts pour obtenir un document de voyage se sont concentrés sur la recherche de son nom dans le registre jamaïcain des naissances et sur l’obtention d’un nouveau certificat de naissance.

[61]  Les autres critères réglementaires comprennent les motifs de détention, les raisons du retard de l’expulsion, la durée de détention anticipée, et l’existence de solutions de rechange à la détention. Dans le cas présent, les motifs de détention ont été clairement énoncés par le commissaire de la SI dans ses motifs de décision. Les raisons du retard et les durées de détention sont toutes deux imputables à la non-coopération du demandeur.

[62]  Je suis en désaccord avec l’argument du demandeur voulant que la Cour doive faire fi de son manque de coopération pour apprécier s’il a fait l’objet d’un manquement à l’équité procédurale. Les motifs de détention et les motifs du retard dans l’exécution de la mesure de renvoi ordonnée par la SI dans le cas en l’espèce pèsent lourdement contre le demandeur.

[63]  Dès le tout début, lors du contrôle de la détention mené au septième jour de détention, la SI lui a fait observer qu’il ne tenait qu’à lui de décider de la durée de sa détention. S’il coopérait et remplissait les formulaires requis, sa détention ne serait pas longue. La SI a souligné l’absence de coopération du demandeur lors des audiences du 5 mai 2017, du 21 août 2017, du 16 octobre 2017, du 8 décembre 2017 (quelque peu coopératif) et du 5 janvier 2018, et lors du contrôle de la détention du 6 mars 2018 faisant l’objet de la présente demande (je ne puis arriver à une autre conclusion que celle voulant que M. Allen tente sciemment, délibérément et résolument de faire obstruction aux efforts des autorités pour lui obtenir un document de voyage).

[64]  Même s’il convient de souligner qu’il n’était pas représenté à plusieurs de ses contrôles de la détention, le demandeur n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la conclusion de la SI selon laquelle il n’offrait aucune coopération. Dans la présente demande, bien que représenté par un avocat, il ne conteste pas les conclusions de la SI sur l’absence de coopération.

[65]  Selon la preuve par affidavit produite par le défendeur, la question des communications avec les autorités jamaïcaines est entrée en jeu lors d’un contrôle de la détention du 26 juin 2017, environ trois mois après le transfert du demandeur dans un centre de détention aux fins d’immigration le 24 mars 2017. La question des communications du gouvernement canadien avec les autorités jamaïcaines au sujet de la délivrance d’un document de voyage a fait l’objet de discussions lors d’autres contrôles de la détention entre le 21 août 2017 et le 8 décembre 2017. Avant la présente demande, le demandeur n’a fait aucune demande de divulgation de cette correspondance.

[66]  Comme l’a souligné monsieur le juge en chef Crampton dans la décision Lunyamila 2016, précitée, au paragraphe 59, l’esprit de la LIPR et du Règlement prévoit qu’une personne qui constitue un danger pour la sécurité publique ou présente un risque de fuite et qui ne coopère pas avec les efforts du ministre pour l’expulser du pays doit, sauf dans des circonstances exceptionnelles, demeurer détenue jusqu’à ce qu’elle accepte de coopérer à son renvoi. Les circonstances exceptionnelles pouvant justifier une remise en liberté peuvent comprendre les délais inexpliqués et très importants de la part du ministre, qui ne sont pas attribuables à un manque de coopération de la part du détenu ou à un refus du ministre d’assumer des coûts substantiels. Aucune circonstance exceptionnelle de la sorte n’a été alléguée devant la SI.

[67]  Monsieur le juge en chef Crampton a ajouté que le refus de coopérer pleinement constituerait également un facteur très important à prendre en compte au moment d’apprécier si la privation des droits à la liberté du détenu avait été mise en vigueur « selon les principes de la justice fondamentale », tels qu’énoncés à l’article 7 de la Charte : Lunyamila 2016, précitée, au paragraphe 86.

[68]  L’ensemble des éléments de preuve dont disposait la SI a été suffisant pour convaincre le commissaire que les raisons du retard dans l’exécution du renvoi du demandeur étaient attribuables à son manque de coopération plutôt qu’à un manque de diligence de la part de la ministre. Au vu du dossier, il était loisible à la SI de tirer cette conclusion. Tout comme la conclusion de la SI selon laquelle le demandeur n’avait pas réussi à démontrer la pertinence de la correspondance demandée.

[69]  Il peut y avoir des cas dans lesquels il est nécessaire d’ordonner une divulgation plus étendue par le ministre, y compris la divulgation de communications avec des gouvernements étrangers. Le cas échéant, face à une ordonnance de la SI de divulguer l’information, le ministre peut choisir d’invoquer l’article 38 de la LPC pour solliciter une ordonnance de notre Cour visant à protéger l’information au motif que la divulgation serait préjudiciable aux relations internationales. Dans le cas en l’espèce, je suis convaincu que l’équité procédurale n’exige pas que la SI ordonne la divulgation des communications entre les représentants du ministre et les autorités jamaïcaines en l’absence d’une conclusion voulant qu’elles fussent essentielles à la procédure.

[70]  Comme l’a fait remarquer le défendeur, il était loisible au demandeur de contre-interroger l’agent d’exécution sur les notes et les autres documents qui ont été communiqués aux fins de l’audience du 5 mars 2018. Le demandeur aurait alors pu être en mesure de faire ressortir quelque élément de preuve pour demander un complément de divulgation de documents pertinents.

[71]  Dans la correspondance après l’audience, la Cour a été avisée par l’avocat du demandeur qu’au contrôle de la détention du 13 avril 2018, la SI a présenté au ministre une requête pour obtenir, lors du prochain contrôle de la détention, une mise à jour à propos de l’information exigée par les autorités jamaïcaines et de ce qui avait déjà été envoyé. Aucune ordonnance n’a été rendue exigeant la divulgation des documents demandés. Dans les circonstances, je conclus qu’aucune intervention de notre Cour n’est nécessaire.

VI.  Question à certifier

[72]  Le demandeur a proposé que la question suivante soit certifiée :

Dans le contexte d’un contrôle de la détention d’une personne détenue depuis une longue période, le ministre est-il dans l’obligation de divulguer tous les documents pertinents, y compris des éléments de preuve utiles à l’intéressé, sous réserve d’une revendication de privilège en bonne et due forme?

[73]  Le défendeur soutient que la question est trop vaste, ne se pose pas à partir des faits de l’espèce, et a été traitée par la Cour dans la décision Brown. La requête en divulgation du demandeur ne visait pas tous les documents pertinents en la possession du ministre et la décision Brown a traité des exigences minimales de détention légale y compris la divulgation.

[74]  En réponse, le demandeur fait valoir que la question déterminante devant la Cour est de savoir s’il a droit à la divulgation des documents pertinents et que cette question n’a pas été abordée dans la décision Brown. La Cour, par la décision Brown a examiné le mécanisme de résolution des problèmes de divulgation, mais n’a pas examiné la portée d’un droit du détenu à la divulgation.

[75]  Je conviens avec le défendeur que la question proposée est trop vaste et ne serait pas déterminante d’un appel au vu des faits du cas en l’espèce. La SI n’a pas exclu la possibilité de rendre une ordonnance de divulgation plus large. Notre Cour n’a pas non plus exclu cette possibilité. Il reste loisible à un demandeur de demander une telle divulgation lorsque cela est justifié par les circonstances et lorsque des éléments de preuve suffisants démontrent la pertinence des renseignements demandés. Tel qu’il a été énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Lai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, au paragraphe 10, un point qui n’a pas à être tranché ne saurait jamais soulever une question dûment certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1219-18

LA COUR REJETTE la demande. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1219-18

INTITULÉ :

GREGORY ALLEN c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 AVRIL 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Mosley

DATE :

Le 7 mai 2018

COMPARUTIONS :

Simon Wallace

Clifford McCarten

POUR LE DEMANDEUR

Kareena R. Wilding

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarten Wallace Law

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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