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Date : 20180515


Dossier : T-1350-17

Référence : 2018 CF 514

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 15 mai 2018

En présence de monsieur le juge Grammond

ENTRE :

NASIMALSADAT HOSEINIAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Mme Hoseinian, citoyenne iranienne, est résidente permanente du Canada depuis 2011. En 2016, elle a présenté une demande de citoyenneté canadienne. Alors que sa demande était toujours en cours d’examen, il a été constaté qu’un timbre d’entrée iraniens figurant dans son passeport avait été modifié. Cette constatation a éveillé des soupçons quant à la durée de sa résidence au Canada au cours des quatre ans précédant sa demande. Mme Hoseinian a fourni des éléments de preuve supplémentaires indiquant qu’elle avait bel et bien voyagé en Iran depuis le Canada à la prétendue date indiquée sur le timbre d’entrée en question. Malgré cela, Citoyenneté et immigration Canada (CIC) a refusé sa demande, indiquant qu’elle avait fait une présentation erronée des faits. Cette décision fait maintenant l’objet du présent contrôle judiciaire. Je fais droit à sa demande, parce que l’agent de CIC ayant pris la décision a omis d’évaluer la preuve fournie par Mme Hoseinian et de se demander si la date sur le timbre d’entrée contesté était véridique. Par conséquent, le verdict de fausse déclaration ne peut être maintenu.

[2]  Deux sections de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 (la Loi), sont pertinentes en l’espèce. À la période visée, l’article 5 prévoyait que la citoyenneté devait être accordée à un résident permanent qui a, entre autres conditions qui ne sont pas ici contestées, « dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans ». L’alinéa 22(1)e.1) dispose que nul ne peut recevoir la citoyenneté « si, directement ou indirectement, il fait une présentation erronée sur un fait essentiel quant à un objet pertinent ou omet de révéler un tel fait, entraînant ou risquant d’entraîner ainsi une erreur dans l’application de la présente loi ».

[3]  Mme Hoseinian a présenté sa demande de citoyenneté en mai 2015. En mars 2016, elle s’est présentée à une entrevue avec un agent de CIC relativement à sa résidence au Canada. Lors de l’entrevue, l’agent a saisi son passeport iranien puisque celui-ci paraissait avoir été modifié. Le passeport a été examiné par un spécialiste en analyse de documents de l’Agence des services frontaliers du Canada qui a conclu que le passeport était authentique, mais que deux timbres d’entrée iraniens avaient été modifiés.

[4]  En octobre 2016, CIC a envoyé une lettre à Mme Hoseinian faisant état des préoccupations de CIC et lui demandant de fournir des explications. Mme Hoseinian a répondu qu’elle ignorait qui avait modifié son passeport et comment il l’avait été. Elle a fourni des éléments de preuve supplémentaires indiquant qu’elle avait bel et bien voyagé en Iran depuis le Canada à la prétendue date indiquée sur le timbre d’entrée en question, soit le 21 février 2012. Ces éléments de preuve comprennent des relevés de carte de crédit indiquant qu’elle a fait des achats au Canada jusqu’au 14 février 2012 et d’autres à Francfort, en Allemagne, le 20 février. Elle a également présenté le passeport de son fils, âgé de 19 mois à l’époque, qui comprend également un timbre d’entrée iranien daté du 21 février 2012. Elle a en outre appuyé ses dires concernant ses antécédents de voyage en présentant des données du Système intégré d’exécution des douanes (SIED) qui corroboraient les dates de certains timbres de sortie iraniens. Cependant, étant donné que le SIED ne consigne généralement aucun renseignement sur les voyageurs quittant le Canada, les renseignements fournis par Mme Hoseinian n’ont donc pas pu corroborer la date contestée du timbre d’entrée iranien.

[5]  CIC a pris une décision le 1er août 2017. CIC a accordé [traduction] « beaucoup de poids » au rapport du spécialiste en analyse de documents, qui a conclu que le passeport de Mme Hoseinian avait été modifié. En ce qui concerne la preuve présentée par Mme Hoseinian corroborant la date indiquée sur le timbre d’entrée iranien, CIC a indiqué ce qui suit :

[traduction] Nous rejetons votre revendication selon laquelle nonobstant les modifications apportées à votre passeport, les éléments de preuve présentés suffisent à réfuter les allégations de fausse déclaration. Cette décision est en vertu de l’alinéa 22(1)e.1), et non pas de l’alinéa 5(1)c) de la Loi, qui porte sur les conditions de résidence. Bien qu’il semble que des renseignements dans votre passeport aient été modifiés pour simuler votre présence effective au Canada, le fait demeure que vous avez fourni au ministère un document qui a fait l’objet de modifications, celles-ci constituant les fondements d’une fausse déclaration.

Je suis d’avis que son analyse démontre qu’un document, en l’occurrence votre passeport, a été modifié dans ce qui semble être une tentative de simuler votre présence effective au Canada. […]

J’ai procédé à l’examen de l’ensemble des observations que vous avez soumises, et je conclus que le rapport sur les antécédents de voyage du SIED, la traduction de votre passeport et les relevés Visa de la Banque Scotia ne réfutent pas les allégations selon lesquelles vous avez fourni au ministère un document frauduleux/modifié.

[6]  Lors d’une demande de contrôle judiciaire, la décision d’un agent de citoyenneté concernant une fausse déclaration n’est annulée que s’il est démontré qu’elle est déraisonnable : décision El Sayed v Canada (Citizenship and Immigration), 2017 CF 39, au paragraphe 12. Une décision peut être considérée comme déraisonnable lorsque le décideur n’a pas suivi la jurisprudence de notre Cour (Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CAF 75, au paragraphe 14) ou a omis de tenir compte de critères pertinents (Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193, au paragraphe 39, [2011] 4 RCF 203). Lorsqu’il s’agit d’évaluer si une décision est raisonnable, mon rôle n’est cependant pas de réévaluer la preuve présentée ni de tirer mes propres conclusions quant à la crédibilité des faits.

[7]  Je me penche maintenant sur la jurisprudence de notre Cour concernant les fausses déclarations dans le contexte de l’article 22 de la Loi. Notre jurisprudence portant sur l’interprétation de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), qui est rédigé dans des termes semblables, est également pertinente.

[8]  Notre Cour a toujours conclu qu’une fausse déclaration en vertu de l’article 22 de la Loi ou de l’article 40 de la LIPR ne devait pas nécessairement être intentionnelle (Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 450, au paragraphe 31; Sayedi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 420, aux paragraphes 40 à 43). Cette règle a été établie principalement en réponse aux prétentions de personnes soupçonnées de fausse déclaration, selon lesquelles leur demande a été rédigée par une tierce personne, un membre de la famille ou un consultant en immigration par exemple, et qu’elles n’ont pas eu connaissance de la fausse déclaration. Dans ce contexte, notre Cour a conclu qu’il revient au demandeur de s’assurer que l’ensemble des renseignements fournis dans sa demande sont véridiques et que celui-ci ne peut pas bénéficier d’une fausse déclaration faite par un membre de la famille ou une tierce personne. Par conséquent, lorsqu’une fausse déclaration est constatée, les agents d’immigration ou de citoyenneté ne sont pas tenus de s’enquérir de l’état d’esprit du demandeur.

[9]  Il n’en demeure pas moins qu’il doit y avoir eu fausse déclaration. La Loi ne définit pas le concept de « fausse déclaration ». Dans la langue usuelle, il se rapporte à une déclaration comprenant des renseignements faux ou erronés. Par exemple, dans le contexte du droit privé, le délit de fausse déclaration faite par négligence est établi lorsque, entre autres conditions, une déclaration est « fausse, inexacte ou trompeuse » (Queen c Cognos Inc, [1993] 1 RCS 87, au paragraphe 110). Cette exigence minimale s’applique également au contexte l’immigration. Par exemple, dans l’arrêt Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CAF 345, la première question que s’est posée la Cour d’appel fédérale afin de déterminer s’il y avait eu fausse déclaration était justement de savoir si la déclaration était véridique.

[10]  La formulation de l’alinéa 22(1)e.1) indique également que, pour qu’une déclaration soit considérée comme fausse, celle-ci doit se rapporter à un « fait essentiel ». Elle doit aussi risquer « d’entraîner (...) une erreur dans l’application de la présente loi ». Le fait de présenter un document ayant été modifié n’engendre pas automatiquement une telle erreur potentielle. Dans la décision Zhamila c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 88 [Zhamila], au paragraphe 33, mon collègue le juge Richard Mosley cite le Guide d’exécution de la loi de CIC :

La vérification des documents permet parfois de constater que les documents présentés par les demandeurs sont faux, mais il n’en découle pas automatiquement une interdiction de territoire. Ces documents ne répondent peut-être pas aux critères d’importance et de pertinence et/ou n’entraînent peut-être pas une erreur dans l’application de la Loi. L’agent doit tenir compte de ce qui suit : […]

Le document a-t-il été fourni dans le but de faire une fausse déclaration? Parfois, on obtient des documents frauduleux pour appuyer des faits véridiques qui ne peuvent être vérifiés parce que les registres sont par ailleurs impossibles ou difficiles à obtenir. Le cas échéant, si l’agent peut établir les faits par d’autres moyens, il est peu probable que la fausse déclaration puisse avoir entraîné une erreur.

[11]  Une décision antérieure, Singh Dhatt c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 556, donne un exemple pertinent. Dans cette décision, il a été établi que le demandeur avait soumis un certificat de naissance obtenu de façon frauduleuse pour sa fille adoptive. Même si le certificat de naissance était frauduleux, il n’y a eu aucune tentative de dissimuler l’adoption et aucune preuve tendant à démontrer qu’il a été utilisé en vue de faire une fausse déclaration. Ma collègue la juge Anne Mactavish a conclu qu’il était déraisonnable de dire que la présentation d’un document frauduleux constituait en soi une fausse déclaration.

[12]  Par conséquent, lorsqu’un fonctionnaire de l’immigration ou de la citoyenneté constate qu’un document a été modifié, il ne peut conclure, sur cette seule base, qu’une fausse déclaration a bel et bien eu lieu. Il doit se demander si la modification véhiculait des renseignements erronés liés à un fait essentiel à la demande qui lui est présentée (Koo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 931, [2009] 3 RCF 446). Dans le cadre de ce questionnement, tout élément de preuve démontrant l’exactitude de ces renseignements serait hautement pertinent.

[13]  Dans cette affaire, l’agent a omis de se poser cette question. Je crois comprendre, à la lecture des motifs de l’agent cités ci-dessus, que selon lui, le fait que le passeport de Mme Hoseinian avait bel et bien été modifié suffisait à trancher l’affaire, et qu’il n’avait donc pas à tenir compte des éléments de preuve supplémentaires présentés par Mme Hoseinian, ces derniers ne venant pas contredire ce fait. De plus, l’agent a déclaré que tout élément de preuve établissant que Mme Hoseinian avait effectué un déplacement entre le Canada et l’Iran le 21 février 2012 serait pertinent à une détermination en vertu de l’article 5 (si Mme Hoseinian avait résidé ou non au Canada au cours des trois années visées), mais pas à une détermination en vertu de l’article 22 (si elle avait fait ou non une fausse déclaration).

[14]  Lors de l’audience, l’avocat du défendeur a confirmé faire la même interprétation des motifs de l’agent. Il a soutenu qu’en l’espèce, l’agent avait correctement appliqué la loi. Toutefois, comme je l’ai expliqué plus haut, ce n’est pas le cas. L’agent a omis d’évaluer les éléments de preuve présentés par Mme Hoseinian et de déterminer si ceux-ci étayaient l’argument de Mme Hoseinian selon lequel la modification de son passeport ne constituait pas une fausse déclaration, puisque l’information présentée était effectivement exacte.

[15]  Par-dessus tout, rien n’indique que l’agent s’est formé une opinion quant au caractère véridique des renseignements figurant sur le timbre d’entrée en cause. Le rapport d’analyse du document ne mentionne ni la date d’entrée originale ni la façon dont celle-ci a été modifiée. Par conséquent, ce rapport ne permet pas de conclure que la date figurant sur le timbre d’entrée était fausse. La présente affaire diffère de la décision Zhamila, dans laquelle un examen sommaire du passeport avait révélé que l’année « 2016 » avait été remplacée par « 2018 ». En espèce, la photocopie couleur du passeport de Mme Hoseinian déposée au dossier certifié du tribunal ne me permet pas de suppléer au mutisme des motifs de l’agent quant à la nature de la soi-disant fausse déclaration.

[16]  Mme Hoseinian a également soutenu que CIC, qui a conservé son passeport tout au long des procédures, aurait dû permettre l’examen de ce dernier par son propre expert. En n’agissant pas de la sorte, CIC aurait manqué à l’équité procédurale. Mme Hoseinian n’a présenté cet argument ni à l’agent de CIC ni dans sa demande de contrôle judiciaire, mais seulement dans son mémoire des faits et du droit. Par souci d’équité envers l’autre partie, la Cour peut refuser de prendre en considération un argument présenté à un stade si tardif des procédures. Quoi qu’il en soit, compte tenu de ma conclusion quant à la question principale en l’espèce, il est inutile de tenir compte de cet argument.

[17]  La décision de l’agent étant déraisonnable, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et l’affaire est renvoyée aux fins de nouvel examen par un agent différent.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.  L’affaire est renvoyée à CIC aux fins de nouvel examen par un agent différent.

3.  Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1350-17

 

 

 

 

 

INTITULÉ :

NASIMALSADAT HOSEINIAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 mai 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE :

Le 15 mai 2018

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

Pour la demanderesse

NASIMALSADAT HOSEINIAN

Kevin Doyle

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

NASIMALSADAT HOSEINIAN

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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