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Date : 20180523


Dossier : IMM-4601-17

Référence : 2018 CF 532

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 23 mai 2018

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

EMIL CONKA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent d’immigration supérieur (« l’agent ») rejetant la demande d’examen des risques avant renvoi (« ERAR ») du demandeur.

[2]  Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la décision de l’agent était déraisonnable; la présente demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.

Résumé des faits

[3]  Le demandeur est un citoyen de la Slovaquie.  Sa conjointe de fait et leurs quatre enfants sont tous citoyens de la République tchèque.  La famille est arrivée au Canada en novembre 2015. La conjointe et les enfants du demandeur ont obtenu l’asile en avril 2016 au motif qu’ils craignaient d’être persécutés en République tchèque du fait de leur origine ethnique rome.  Le demandeur a toutefois été déclaré interdit de territoire au Canada pour des motifs de grande criminalité, ayant été accusé de voies de fait contre sa conjointe en République tchèque.  Le demandeur a présenté une demande d’ERAR, qui a été rejetée en vertu d’une décision rendue par l’agent le 25 août 2017.  C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

Décision faisant l’objet du contrôle

[4]  Comme le demandeur est un ressortissant slovaque, l’agent a jugé que la Slovaquie était le pays de référence aux fins de l’ERAR.  L’agent a pris acte des allégations du demandeur selon lesquelles en Slovaquie, il ferait face aux mêmes problèmes qu’à ceux auxquels lui et sa famille avaient été exposés en République tchèque, où ils avaient vécu de 2003 à 2015.  Le demandeur a déclaré qu’il craignait d’être persécuté par la police et par des groupes racistes organisés à cause de son origine ethnique rome.

[5]  L’agent a cité la déclaration sous serment du demandeur du 5 mai 2017, dans laquelle le demandeur relate une attaque dont il a été victime, en Slovaquie, de la part de deux skinheads; le demandeur avait alors 19 ans.  Lors de cet incident, une voiture de police qui passait s’est arrêtée, mais la police n’a fait aucun effort pour poursuivre les agresseurs qui avaient pris la fuite; elle n’a pas fait de rapport et a dit au demandeur qu’elle ne pouvait rien faire pour l’aider.  Selon l’agent, ce défaut de la police locale d’offrir des services efficaces n’équivalait pas à une absence de protection de l’État, et il appartenait au demandeur de s’adresser à d’autres membres des forces de l’ordre ou à d’autres autorités s’il n’était pas satisfait de l’intervention de la police locale.

[6]  L’agent a ensuite cité les éléments de preuve du demandeur selon lesquels le père du demandeur avait été agressé par trois policiers en 2009.  Le demandeur affirme que l’hôpital a alors refusé de produire un rapport médical même si son père avait été blessé.  Et, lorsqu’il a tenté de faire établir un rapport de police, on l’a traité avec indifférence.  Au sujet de cette agression, et de l’agression dont la sœur du demandeur et son petit-ami auraient été victimes dans leur appartement en 2011 ou 2012, l’agent a déclaré que les personnes visées par ces agressions étaient des membres de la famille du demandeur et que rien n’indiquait que le demandeur était personnellement exposé à des risques.  Quant à l’agression par 20 policiers contre une communauté rome, dont le demandeur disait avoir été témoin en Slovaquie alors que lui et sa famille rendaient visite à des membres de la famille en juillet 2015, l’agent a déclaré qu’il ne rejetait pas les faits présentés dans l’affidavit du demandeur au sujet de la descente policière, mais il n’y avait accordé qu’une faible valeur probante, faute de preuve matérielle corroborante.

[7]  L’agent a conclu que la preuve matérielle présentée par le demandeur était insuffisante pour établir une crainte de persécution bien fondée.  Même si le traitement réservé au demandeur pourrait être qualifié d’insensible et de discriminatoire, la preuve présentée n’était pas suffisante pour corroborer une série d’événements ayant menacé ses moyens de subsistance.  L’agent a également conclu que la preuve matérielle était insuffisante pour corroborer les allégations voulant que le demandeur ait été victime, cumulativement, d’une marginalisation ayant porté atteinte à sa dignité fondamentale d’être humain.  Malgré son caractère désagréable et désobligeant, le traitement discriminatoire dont le demandeur a fait l’objet n’a pas eu pour effet de le priver de manière continue et systématique de ses droits fondamentaux au point de l’empêcher de vivre normalement au sein de la société slovaque.  Après avoir examiné la documentation à l’appui présentée par le demandeur sur la situation dans le pays, l’agent a reconnu que la société slovaque traite les Roms d’une manière inhospitalière et intolérante, que la discrimination dans les domaines de l’éducation, du logement, de l’emploi et de l’accès aux services sociaux est un sujet de préoccupation, que la montée du nationalisme de droite a accru le sentiment anti-Roms et la violence envers ce groupe, et que les Roms sont victimes d’intimidation de la part de la police et des militants nationaux radicaux.  L’agent a toutefois conclu que les documents sur la situation dans le pays étaient de nature très générale, qu’ils n’établissaient pas de lien direct avec la situation personnelle du demandeur et qu’ils étaient, à eux seuls, insuffisants pour établir que le demandeur était personnellement exposé à des risques de préjudice.

Questions en litige et norme de contrôle

[8]  Le demandeur énonce trois questions en litige, à savoir : l’agent a-t-il appliqué le mauvais critère pour évaluer la persécution au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la « LIPR »)? l’agent a-t-il omis de faire une analyse raisonnable de la preuve matérielle? et l’évaluation faite par l’agent de la protection offerte par l’État était-elle déraisonnable?

[9]  Le demandeur fait valoir que la norme de contrôle devant s’appliquer pour déterminer si l’agent a utilisé le bon critère est celle de la décision correcte, car le critère juridique pour évaluer le risque de persécution en application de l’article 96 est clair et bien défini.  Quant à la norme de la décision raisonnable, elle doit être utilisée pour examiner la manière dont l’agent a appliqué le critère aux faits en l’espèce et a évalué la preuve.

[10]  Le défendeur soutient que la norme de la décision raisonnable est celle qui s’applique à toutes les questions en litige.  La question visant à savoir si l’agent a appliqué le bon critère pour déterminer si une personne a été persécutée au sens de l’article 96 ne revêt pas une importance capitale pour le système judiciaire ni en dehors des domaines d’expertise spécialisés de l’agent.  De plus, l’agent interprète sa loi constitutive; il convient donc de faire preuve de retenue à son égard.

[11]  J’ai tendance à être d’accord avec le demandeur et à conclure que, dans la mesure où la jurisprudence a établi un critère précis pour l’interprétation de l’article 96, il n’est pas loisible à la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada de s’en écarter (« CISR »); l’évaluation du critère par la SPR doit donc être examinée selon la norme de la décision correcte (décision Ruszo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, aux paragraphes 20 à 23; décision Dawidowicz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 115, au paragraphe 23; décision Kristofova c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 415, au paragraphe 30).  Je n’ai toutefois pas à régler le différend qui oppose les parties, quant à savoir laquelle de la norme de la décision correcte ou de la norme de la décision raisonnable doit être utilisée pour déterminer si l’agent a appliqué le mauvais critère pour évaluer le risque de persécution du demandeur en vertu de l’article 96, car, comme l’indiquent les motifs ci-après, les raisons justifiant le choix du critère et son application par l’agent sont tous deux inintelligibles.  Par conséquent, ni la norme de la décision raisonnable ni la norme de la décision correcte ne sont respectées.  Je conviens avec les parties que la norme de la décision raisonnable est celle qui s’applique aux autres questions en litige.

Question préliminaire – Affidavit à l’appui

[12]  Dans ses observations écrites, le défendeur soutient que, puisque l’affidavit produit à l’appui de la demande de contrôle judiciaire a été établi par Mme Jovanna Stojkovic, une auxiliaire de l’aide juridique du Bureau du droit des réfugiés (l’affidavit de Mme Stojkovic), et qu’il ne s’agit pas d’un affidavit personnel du demandeur, la Cour devrait accorder peu de poids aux éléments de preuve du demandeur (décision Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 491, aux paragraphes 13 et 14).  Je note toutefois que, mis à part un bref paragraphe présentant des renseignements généraux non contestés, l’affidavit Stojkovic ne sert qu’à présenter, à titre de pièces, des copies de la demande d’ERAR, des documents produits à l’appui de cette demande dont un affidavit personnel du demandeur du 5 mai 2017 et des documents sur la situation dans le pays, des observations écrites à l’appui de la demande d’ERAR et des extraits du cartable national de documentation sur la Slovaquie de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.

[13]  Les Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, précisent les pièces à signifier pour la mise en état d’une demande d’autorisation, lesquelles incluent un ou plusieurs affidavits établissant les faits invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande (alinéa 10(2)d)).  Ces affidavits ne peuvent inclure des arguments ou des conclusions juridiques sur le bien-fondé de l’affaire ni, sauf de rares exceptions, des éléments de preuve ayant pu être portés à l’attention du décideur administratif (arrêt Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 19).

[14]  En l’espèce, le demandeur a formulé, comme il se doit, des arguments de fait et de droit dans ses observations écrites, et non dans l’affidavit de Mme Stojkovic.  Il ne demande pas, par voie de l’affidavit de Mme Stojkovic, à introduire de nouveaux éléments de preuve devant la Cour en invoquant une exception à la règle générale qui l’interdit.  Le défendeur offre peu de précisions sur les éléments de preuve du demandeur auxquels il faudrait accorder peu de poids et, à la lumière des observations générales du défendeur, il est difficile de voir pourquoi il faudrait accorder une faible valeur probante aux documents produits à l’appui de la demande d’ERAR et annexés à l’affidavit de Mme Stojkovic, notamment compte tenu du fait que ces documents figurent également dans le dossier certifié du tribunal (DCT), que l’agent n’en conteste pas la crédibilité et qu’ils forment la toile de fond factuelle de la demande de contrôle judiciaire.  De fait, lorsqu’il a comparu devant moi, le défendeur a admis que l’absence d’affidavit personnel importait peu dans cette affaire et qu’il s’agissait davantage d’un détail.

[15]  Je suis d’avis que le défaut de produire un affidavit personnel ne porte pas un coup fatal à la preuve en l’espèce.

Analyse

[16]  Le demandeur soutient que l’agent n’a pas appliqué le bon critère pour évaluer la persécution au sens de l’article 96 de la LIPR.  Et, en jugeant que le demandeur n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour établir que la discrimination et la violence dont il avait fait l’objet en Slovaquie à cause de son origine rome atteignaient cumulativement le niveau de la persécution, l’agent a appliqué un critère plus rigoureux, en exigeant que le demandeur fasse la preuve d’une négation continue et systémique de ses droits fondamentaux qui [traduction] « l’empêcherait de vivre normalement au sein de la société slovaque ».

[17]  Le défendeur fait valoir que la Cour doit lire la décision dans son intégralité pour déterminer si le bon critère a été appliqué.  À cet égard, les déclarations de l’agent selon lesquelles les éléments de preuve ne témoignaient pas d’une négation soutenue et systémique des droits fondamentaux du demandeur l’empêchant de vivre normalement au sein de la société slovaque, et le demandeur n’avait pas établi de lien avec sa situation personnelle, ne définissaient pas le critère, mais énonçaient plutôt des conclusions de fait.  Ailleurs, l’agent mentionne le bon critère.

[18]  Il est vrai que dans la conclusion de sa décision, l’agent souligne que d’après son analyse et son examen des observations et des éléments de preuve, le demandeur ne serait pas exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution, ou qu’il n’était pas vraisemblable qu’il soit exposé à un risque de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait en Slovaquie.  L’approche utilisée par l’agent pour son analyse a toutefois consisté à examiner la demande en regard des « motifs de protection regroupés ». L’agent n’a fait aucune distinction entre ses analyses en vertu des articles 96 et 97.  On ne sait pas non plus comment l’agent peut à la fois formuler cette conclusion à la fin de sa décision et déclarer que la preuve cumulative ne montre pas une négation soutenue et systémique des droits fondamentaux du demandeur, reprenant ainsi le libellé de l’arrêt Ward, qui [traduction] « l’empêcherait de vivre normalement au sein de la société slovaque » (voir l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 RCS 689, à la page 734).  Il m’est tout simplement impossible de déduire de ces motifs que l’agent a appliqué le bon critère ou, comme le prétend le demandeur, que l’agent a appliqué un critère plus rigoureux.  Par conséquent, comme cette décision est inintelligible, elle est aussi déraisonnable (arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 (« Dunsmuir »).

[19]  Le demandeur soutient également que l’agent a commis une erreur en confondant les critères des articles 96 et 97 de la LIPR, comme le montre clairement sa déclaration selon laquelle la preuve matérielle sur la persécution dont sont victimes les Roms en Slovaquie est de nature générale et n’établit pas de lien direct avec la situation personnelle du demandeur.  Ce faisant, l’agent a appliqué l’exigence relative au risque personnalisé à son analyse en vertu de l’article 96; or, cette exigence ne s’applique qu’à l’évaluation des risques au sens de l’article 97.

[20]  À cet égard, je note qu’un demandeur d’asile doit établir qu’il est victime de persécution de quelque façon, que ce soit « personnellement » ou « collectivement »  L’existence de la persécution en vertu de l’article 96 peut être établie par un examen du traitement de personnes se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur et celui-ci n’a pas à prouver qu’il a été lui-même persécuté par le passé ou qu’il serait persécuté à l’avenir (Osama Fi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1125, aux paragraphes 13 et 14).  Par conséquent, dans le contexte d’une allégation voulant que les critères des articles 96 et 97 aient été confondus, le seul fait d’utiliser le mot « personnellement », ou tout autre terme semblable, n’indique pas nécessairement qu’il y a eu confusion.

[21]  Comme l’a déclaré le juge Mosley dans la décision Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1385, au paragraphe 29, les articles 96 et 97 exigent que le risque soit personnalisé, c’est-à-dire qu’il concerne la personne qui demande l’asile : « [c]’est ce que montre clairement l’emploi du terme “personnellement” à l’article 97 ». Dans le cas de l’article 96, la preuve relative à des personnes placées dans une situation semblable peut mener à la conclusion que le demandeur « crai[nt] avec raison d’être persécuté » (voir aussi les décisions Pillai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1312, aux paragraphes 42 et 44; Kaur c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 505, aux paragraphes 37 à 39 et Somasundaram c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1166, aux paragraphes 21 à 25).

[22]  Par conséquent, le simple fait de mentionner un risque personnalisé pour le demandeur ne donne pas lieu à une erreur.  En l’espèce, toutefois, et ainsi qu’il a été mentionné précédemment, aucune distinction n’a été faite entre les analyses fondées sur les articles 96 et 97.  On ne peut donc pas déterminer si l’agent évaluait le risque personnalisé dans le cadre de son analyse fondée sur l’article 96, ou s’il répondait aux exigences de l’article 97.  Cela étant dit, il ne fait à mon avis aucun doute que l’agent a fait une erreur dans sa manière d’évaluer les éléments de preuve distincts produits par le demandeur pour établir que son père et sa sœur ont été agressés.  L’agent a conclu que les agressions visaient des membres de la famille du demandeur et que rien n’indiquait qu’il existait un risque personnalisé pour le demandeur.  Je conviens avec le demandeur que ces éléments de preuve concernant des personnes se trouvant dans une situation semblable étaient crédibles et qu’ils auraient dû être pris en considération à ce titre dans l’analyse fondée sur l’article 96.  Et bien que le défendeur soutienne que peu de poids a été accordé à ces éléments de preuve parce qu’ils dataient, ce raisonnement ne figure pas dans la décision de l’agent.

[23]  De même, dans sa preuve par affidavit, le demandeur dit avoir été témoin d’une descente policière contre une communauté rome lorsqu’il rendait visite à sa famille en Slovaquie, en 2015. L’agent n’a pas mis en doute la crédibilité du demandeur, et son témoignage par affidavit est présumé véridique en l’absence de preuve contradictoire (décision Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1979), [1980] 2 CF 302 (CA); Durrani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 167, au paragraphe 6 et décision Duroshola c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 518, au paragraphe 22).  L’agent n’invoque aucune preuve contradictoire, mais n’accorde néanmoins qu’une faible valeur probante aux éléments de preuve du demandeur, faute de preuve matérielle corroborante.  À mon avis, il était déraisonnable d’accorder peu de poids à la preuve pour ce motif sans fournir de plus amples explications.  De plus, les éléments de preuve visant à déterminer si la crainte de persécution invoquée par le demandeur en vertu de l’article 96 de la LIPR était fondée auraient dû être examinés dans le contexte de personnes se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur, ainsi que dans le contexte de risques futurs.

[24]  Enfin, le demandeur soutient que l’analyse de l’agent sur la protection offerte par l’État est déraisonnable.  L’agent n’a pas fait une analyse complète pour déterminer si les Roms bénéficiaient d’une protection adéquate de l’État en Slovaquie, mais il a conclu de manière déraisonnable que le défaut de la police de protéger le demandeur après une agression n’était qu’un manquement de la police locale qui ne témoignait pas de l’incapacité ou de la réticence de l’État à protéger les Roms.  L’agent a omis de prendre en compte la preuve matérielle selon laquelle non seulement la police est incapable de protéger les Roms, mais elle est aussi complice de la violence à leur endroit.  L’agent n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve au moment d’évaluer les interactions entre le demandeur et la police et n’a mentionné aucun élément de preuve sur la situation dans le pays concernant la protection offerte aux Roms par l’État.  En l’espèce, le demandeur s’était déjà vu refuser la protection de l’État et la preuve matérielle appuie sa prétention selon laquelle il ne pourrait pas, en tant que Rom, bénéficier d’une protection future adéquate de l’État en Slovaquie.

[25]  Le défendeur fait valoir que l’agent n’avait pas à discuter de chaque élément de preuve contradictoire sur la situation dans le pays.  Il suffisait que l’agent examine la preuve et fonde sa conclusion de manière raisonnable sur les éléments qui lui ont été présentés.  À mon avis, ce n’est pas ce que l’agent a fait en l’espèce.

[26]  L’agent a mentionné la documentation à l’appui de 102 pages produite par le demandeur, qui incluait des rapports et des articles d’une variété de sources s’intéressant aux droits de la personne et à la justice sociale et qui [traduction] « portaient sur le sort des Roms en Slovaquie ».  Après avoir examiné ces éléments de preuve, l’agent a reconnu les attitudes défavorables de la société envers les Roms, ainsi que la discrimination et la violence à caractère raciste, mais a jugé que la documentation était de nature trop générale et qu’elle n’établissait pas de lien avec la situation personnelle du demandeur.  L’agent ne formule toutefois aucune conclusion au sujet du caractère adéquat de la protection offerte par l’État d’après les éléments de preuve documentaire présentés, se contentant d’indiquer que, si le demandeur n’était pas satisfait de l’intervention de la police locale après son agression, il lui incombait de s’adresser à d’autres services de maintien de l’ordre ou à d’autres autorités pour obtenir de l’aide.  L’agent a toutefois précisé que l’agression avait eu lieu lorsque le demandeur avait 19 ans, ce qui faisait au moins 15 ans, et que le demandeur vivait en République tchèque depuis 2003.  Cependant, l’agent n’a pas évalué la preuve par affidavit du demandeur, au sujet de l’agression par la police dont son père avait été victime en 2009 et des menaces proférées à l’endroit des membres de sa famille lorsque ceux-ci ont voulu porter plainte au commissariat de police, celle-ci les ayant menacés de prison s’ils ne quittaient pas le commissariat.  L’agent n’a pas tenu compte non plus de la descente policière en juillet 2015 au cours de laquelle des Roms avaient été victimes de violence physique et verbale, et la police avait menacé de faire venir des skinheads pour qu’ils [traduction] « leur règlent leur compte » ni du fait que lorsque les membres de la communauté rome qui avaient été battus avaient voulu porter plainte à la police, cette dernière n’a pas voulu les aider et, là encore, les a menacés de prison s’ils ne partaient pas.

[27]  L’agent a donc omis de tenir compte de la documentation sur la situation reconnue dans le pays et des éléments de preuve du demandeur, pour déterminer si ce dernier bénéficierait à l’avenir d’une protection adéquate de l’État s’il retournait en Slovaquie.  L’agent a aussi omis d’expliquer pourquoi les éléments de preuve n’équivalaient pas, cumulativement, à de la persécution, étant donné que l’agent ne contestait pas les éléments de preuve sur la discrimination vécue par le demandeur et qu’il semblait reconnaître la situation dans le pays relativement à la discrimination (décision Bledy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 210, aux paragraphes 31 et 34).

[28]  Dans un contrôle judiciaire, le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47).  Pour les motifs précités, je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4601-17

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.La décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

  2. Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et aucune n’est soulevée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4601-17

 

INTITULÉ :

EMIL CONKA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 mai 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 mai 2018

 

COMPARUTIONS :

Chelsea Peterdy

 

Pour le demandeur

 

Ada Mok

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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