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Date : 20180509


Dossier : T-965-17

Référence : 2018 CF 498

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2018

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

DARLA-JEAN O’ROURKE

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse a obtenu, en vertu du Régime de pensions du Canada (L.R.C. (1985), ch. C-8) [RPC], des prestations d’invalidité rétroactives au mois de décembre 2013 [date du début]. Elle n’a pas droit à d’autres prestations rétroactives, à moins de pouvoir prouver son incapacité à former ou à exprimer l’intention de faire une demande de prestations avant la date de sa demande, soit le 18 mars 2015.

[2]  La demanderesse a demandé des prestations supplémentaires, rétroactives au mois de juillet 2008, en se fondant sur l’incapacité. La seule question à trancher dans la présente demande de contrôle judiciaire consiste à déterminer si la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale du Canada a commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant sa demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision négative rendue en l’espèce par la division générale – section de la sécurité du revenu, qui a conclu que la demanderesse n’était pas frappée d’incapacité malgré son état psychiatrique.

[3]  La décision contestée a été rendue conformément au paragraphe 58(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (L.C. 2005, ch. 34) [LMEDS], selon lequel la division d’appel peut rejeter la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel « n’a aucune chance raisonnable de succès ». Une telle décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir la décision Tracey c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1300, au paragraphe 22).

[4]  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 I  Contexte

[5]  Il n’est pas contesté que la demanderesse a vécu une série d’événements qui l’ont rendue invalide. En juillet 2008, elle a été victime d’une agression armée dans un hôtel du Minnesota, aux États-Unis, où elle devait subir une intervention chirurgicale. Un état de stress post-traumatique [ESPT] lui a été diagnostiqué plus tard. À son retour au Canada, elle a tenté un retour au travail, mais a dû cesser de travailler. Elle comptait sur son syndicat pour vérifier qu’elle recevrait des prestations en vertu du régime de prestations d’invalidité de la Manitoba Teachers’ Society, prestations qu’elle a effectivement reçues jusqu’en septembre 2011. Malheureusement, comme la demanderesse l’explique dans sa déclaration sous serment, au cours des années suivantes, elle s’est retrouvée sans soins médicaux, a été expulsée de chez elle et est devenue sans-abri – des événements qui ont exacerbé son traumatisme. Elle a cessé de pratiquer un grand nombre des activités quotidiennes auxquelles elle s’adonnait, notamment le patinage, et a abandonné la maîtrise en éducation qu’elle avait entreprise avant l’incident. À ce moment-là, elle ne savait pas qu’elle pouvait recevoir des prestations d’invalidité en vertu du RPC, jusqu’à ce qu’on lui indique qu’elle pourrait présenter une demande tardive. En mars 2015, elle a déclaré une invalidité permanente fondée sur le diagnostic d’ESPT qu’elle avait reçu, de même que sur d’autres problèmes de santé qu’il n’est pas nécessaire de mentionner en l’espèce.

[6]  Le 16 juin 2015, un arbitre médical a conclu que la demanderesse était invalide. Bien qu’il soit reconnu que ses problèmes de santé et ses limites remontent au mois de juillet 2008, la date du début de son invalidité, c’est-à-dire la période maximale de rétroactivité permise en vertu de la loi (voir l’alinéa 42(2)b) du RPC), a été établie au mois de décembre 2013. Le versement des prestations rétroactives a commencé en mars 2014, soit quatre mois après la date établie du début de son invalidité (voir l’article 69 du RPC).

[7]  Le 20 août 2015, la demanderesse a présenté une Déclaration d’incapacité dans laquelle elle affirme être frappée d’incapacité depuis l’incident de juillet 2008 et, par conséquent, incapable de demander des prestations plus tôt. Elle a invoqué le paragraphe 60(8) du RPC, qui prévoit ce qui suit :

60(8) Dans le cas où il est convaincu, sur preuve présentée par le demandeur ou en son nom, que celui-ci n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande le jour où celle-ci a été faite, le ministre peut réputer cette demande de prestation avoir été faite le mois qui précède celui au cours duquel la prestation aurait pu commencer à être payable ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon le ministre, la dernière période pertinente d’incapacité du demandeur a commencé.

[Je souligne]

60(8) Where an application for a benefit is made on behalf of a person and the Minister is satisfied, on the basis of evidence provided by or on behalf of that person, that the person had been incapable of forming or expressing an intention to make an application on the person’s own behalf on the day on which the application was actually made, the Minister may deem the application to have been made in the month preceding the first month in which the relevant benefit could have commenced to be paid or in the month that the Minister considers the person’s last relevant period of incapacity to have commenced, whichever is the later.

 

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

 

[8]  Le 10 septembre 2015, un arbitre médical a déterminé que l’état de santé de la demanderesse ne l’empêchait pas de faire une demande plus tôt et il a rejeté sa demande de prestations rétroactives en se fondant sur la Déclaration d’incapacité de la demanderesse, dans laquelle son médecin de famille affirme que l’état de santé de la demanderesse ne la rend pas incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. L’arbitre a également noté plusieurs « signes » de capacité : la demanderesse a pu remplir et signer elle-même sa demande, elle n’a pas de procuration et a réussi à conduire son véhicule pour se rendre à ses rendez-vous et à ses traitements. Enfin, le rapport de son psychiatre qui porte la date du 10 juillet 2014 indique qu’elle a fait appel d’une décision rendue par la Manitoba Teachers’ Society la privant d’autres prestations d’invalidité. L’arbitre a donc conclu qu’elle ne satisfaisait pas la définition d’incapacité donnée par le RPC. La demanderesse a sollicité un nouvel examen de cette décision.

[9]  Le 28 octobre 2015, après un nouvel examen, un autre arbitre médical a conclu que l’état de santé de la demanderesse ne l’empêchait pas de demander des prestations d’invalidité plus tôt. La lettre énumère les éléments déterminants ci-dessous, qui ne pouvaient pas appuyer une conclusion d’incapacité :

  • En juillet 2010, le médecin de famille de la demanderesse a inscrit sur son Certificat pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées que la demanderesse était limitée de façon marquée. Cependant, en octobre 2010, il a mis par écrit que la demanderesse était capable de trouver des solutions à des problèmes pratiques de la vie quotidienne, de faire preuve d’un jugement approprié la plupart du temps et de planifier ses activités quotidiennes de manière autonome.

  • En novembre 2011, le même médecin a écrit que la demanderesse avait les compétences de base nécessaires à la vie quotidienne, pouvait se souvenir des instructions reçues et faire preuve d’autonomie dans la planification d’activités.

  • La Déclaration d’incapacité présentée en août 2015 indique également qu’il n’y a pas de preuve suffisante pour appuyer une incapacité.

  • Personne n’a aidé la demanderesse à présenter ses diverses demandes médicales depuis 2008, et celle-ci a pu se rendre à ses rendez-vous médicaux et consentir à des traitements.

  • Elle a été en mesure de faire appel de la décision rendue en 2014 par la Manitoba Teachers’ Society à l’égard de prestations d’invalidité, comme l’indique le rapport du 10 juillet 2014 d’un psychiatre.

  • La demanderesse a été capable de conduire un véhicule et d’utiliser sa carte bancaire.

[10]  La demanderesse a interjeté appel de la date du début de son invalidité auprès de la division générale – section de la sécurité du revenu.

Décision de la division générale

[11]  La division générale a estimé que la preuve documentaire et testimoniale ne permettait pas de conclure que la demanderesse était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. Elle a dû examiner la preuve médicale ainsi que les activités pertinentes de la personne en cause (voir Morrison c. Le ministre du Développement des ressources humaines), 1997 C.E.B. & P.G.R. no 8679, 1997 CarswellNat 3378 (Commission d’appel des pensions) [affaire Morrison citée pour CarswellNat] citée dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Danielson, 2008 CAF 78, au paragraphe 5 [arrêt Danielson]; voir aussi l’arrêt Canada (Procureur général) c. Kirkland, 2008 CAF 144, au paragraphe 7). L’intention requise au sens du RPC était la même que la capacité de former une intention relativement aux autres possibilités qui s’offraient à la demanderesse (arrêt Sedrak c. Canada (Ressources humaines et Développement social), 2008 CAF 86, au paragraphe 3 [arrêt Sedrak]). À cet égard, la preuve a révélé que la demanderesse était effectivement capable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant le mois de mars 2015.

[12]  Après avoir exposé les dispositions juridiques pertinentes du RPC qui couvrent les critères d’admissibilité aux prestations d’invalidité (alinéa 44(1)b)), la définition d’invalidité (alinéa 42(2)a)), la période maximale de rétroactivité permise (alinéa 42(2)b) et paragraphe 66.1(1.1)) et l’exception à la période maximale de rétroactivité pour cause d’incapacité (paragraphe 60(8)), la division générale a fondé sa conclusion de capacité sur les éléments clés ci-dessous de la preuve documentaire :

  • Déclaration d’incapacité : le médecin de famille de la demanderesse affirme que cette dernière a été frappée d’incapacité à compter du 2 novembre 2008, mais que cela ne l’a pas rendue incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande et que la preuve était insuffisante pour appuyer une conclusion d’incapacité.

  • Rapport médical du 3 février 2009 rédigé par un autre médecin : ce rapport indique un diagnostic de trouble anxieux. Cet autre médecin mentionne que l’état de la demanderesse s’est amélioré après qu’elle a cessé de travailler. Au moment où le rapport a été rédigé, elle n’était pas encore prête à retourner au travail.

  • Questionnaire daté du 26 octobre 2010 appuyant le crédit d’impôt pour personnes handicapées de Revenu Canada : le médecin de famille de la demanderesse y affirme que la demanderesse était capable de trouver des solutions, de faire preuve d’un jugement approprié et de planifier ses activités quotidiennes de manière autonome la plupart du temps.

  • Lettre du 10 mai 2011 rédigée par le médecin de famille de la demanderesse : cette lettre concerne le traitement relatif à un diagnostic d’ESPT. Le médecin affirme que la demanderesse lui a demandé de rédiger une lettre appuyant la poursuite de ses prestations d’invalidité de longue durée.

  • Lettre du 25 juin 2013 rédigée par le médecin de famille de la demanderesse : cette lettre indique que la demanderesse lui a demandé à maintes reprises de l’aider à obtenir le rétablissement des prestations d’invalidité de longue durée parce qu’elle n’était pas prête à retourner au travail en raison d’un ESPT.

[13]  La division générale a également pris en considération le témoignage de la demanderesse. Lors de l’audience, cette dernière a raconté l’agression commise en juillet 2008 dans le Minnesota, son retour au Manitoba, la contrainte exercée par son employeur à son égard, son congé de maladie, puis son expulsion de sa maison. Elle a d’abord reçu des prestations d’invalidité de longue durée de la Manitoba Teachers’ Society après avoir quitté son emploi, en décembre 2008. Elle a brièvement habité avec une amie avant de trouver un autre appartement, duquel elle a aussi été expulsée parce qu’elle était incapable de payer le loyer en raison de l’interruption temporaire de ses prestations d’invalidité, au cours de l’été 2009. Les versements ont repris vers le mois de décembre 2009, ce qui lui a permis de vivre seule à nouveau. Ils ont cessé pour la dernière fois en février 2012. La demanderesse est devenue sans-abri. Elle vit avec son père depuis 2013. Elle a expliqué qu’elle est atteinte d’un ESPT et qu’elle a tenté de vivre comme avant dans le but de se rétablir. Elle s’est rendue seule chez son médecin de famille, en utilisant les transports en commun. Par contre, lorsqu’elle avait un rendez-vous chez le médecin, c’est la seule chose qu’elle pouvait faire cette journée-là. Elle a déclaré que son corps réagissait encore à son traumatisme mental. Avant l’accident, elle pouvait prendre soin de ses proches et faire des études supérieures. Elle n’a pas de procuration et est responsable de ses propres décisions.

[14]  Quoi qu’il en soit, la division générale a estimé que la preuve remet en cause une conclusion d’incapacité. Selon la lettre rédigée par son médecin de famille en 2010, la demanderesse était capable de trouver des solutions et de faire preuve d’un jugement approprié la plupart du temps. Selon l’autre médecin, en février 2009, son niveau de fonctionnement n’était pas assimilé à une incapacité. En outre, elle a demandé à son médecin de famille de rédiger des lettres appuyant le versement de ses autres prestations d’invalidité. Cela indique qu’elle était capable de s’exprimer et de participer à un traitement. Elle était capable de former et d’exprimer l’intention de contester la cessation de ses prestations d’invalidité de longue durée et de tenter d’obtenir leur rétablissement. De plus, elle était capable de conduire un véhicule ou d’utiliser les transports en commun pour aller à ses rendez-vous chez le médecin; or, la conduite automobile demande une attention constante et une prise de décisions. Enfin, elle n’a signé aucune procuration, elle était responsable de ses propres décisions et elle pouvait vivre seule, se trouver un nouveau logement au besoin et gérer ses affaires quotidiennes. Ses expulsions sont attribuables à un manque de fonds, non à une incapacité. Bien qu’elle soit toujours atteinte d’un ESPT, il n’est pas suffisant, à lui seul, pour prouver qu’elle était incapable de faire une demande plus tôt. Par conséquent, la division générale a rejeté l’appel.

[15]  La demanderesse a demandé l’autorisation d’interjeter appel auprès de la division d’appel du Tribunal, ce qui a mené à la présente demande de contrôle judiciaire, à la suite du refus de la division d’appel d’accorder l’autorisation.

 II  Analyse

[16]  La division d’appel a refusé d’accorder l’autorisation d’interjeter appel à la demanderesse au motif que, conformément au paragraphe 58(2) de la LMEDS, elle était « convaincue que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès » [non souligné dans l’original]. Autrement dit, il faut qu’il existe une cause défendable (voir Kerth c. Canada (ministre du Développement des Ressources humaines), 173 FTR 102, [1999] ACF no 1252 (QL) (CF 1re inst.); l’arrêt Fancy c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 63; et l’arrêt Bossé c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1142, au paragraphe 10). On doit faire preuve de grande retenue envers la division d’appel (voir la décision Canada (Procureur général) c. O’keefe, 2016 CF 503, au paragraphe 17).

[17]  La demanderesse se représente elle-même. Les arguments juridiques qu’elle fait valoir dans la présente demande de contrôle judiciaire sont brefs, voire inexistants. Sa déclaration sous serment et sa plaidoirie ont toutes deux réaffirmé des faits qui avaient déjà été portés à l’attention des décideurs précédents. Bien que la demanderesse déclare qu’elle ne savait pas qu’elle pouvait demander des prestations d’invalidité auprès du RPC, elle est essentiellement en désaccord avec les conclusions de fait de la division générale. Elle réitère qu’elle a été traumatisée, démoralisée, déshumanisée et hospitalisée. Elle demande un contrôle pour des motifs d’ordre humanitaires : elle veut aller de l’avant après les injustices dont elle a souffert et a besoin des prestations d’invalidité du RPC pour vivre. Par conséquent, la division d’appel aurait dû lui accorder l’autorisation d’interjeter appel.

[18]  Le défendeur prétend que la décision de la division d’appel de refuser l’autorisation était raisonnable. Le simple fait que la demanderesse ne soulève aucune erreur précise ni aucun motif de contrôle est suffisant pour maintenir la décision contestée. Quoi qu’il en soit, le rejet de la demande d’autorisation est fondé sur le droit applicable et révèle une conclusion raisonnable, vu les éléments de preuve au dossier; il présente également des motifs adéquats. La demanderesse est essentiellement en désaccord avec la décision de la division générale. Ce n’est pas le rôle de la division d’appel ni de la Cour de se substituer au décideur. La division d’appel n’a pas agi de manière déraisonnable en concluant que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès, puisque toutes les observations de la demanderesse revenaient à apprécier à nouveau la preuve.

[19]  En l’espèce, il incombait à la demanderesse de prouver que son appel avait une chance raisonnable de succès en misant sur l’un des trois moyens d’appel établis au paragraphe 58(1) de la LMEDS, soit : a) un manquement à un principe de justice naturelle; b) une erreur de droit; ou c) une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Plus particulièrement, la demanderesse devait convaincre la division d’appel que la division générale a commis une erreur de fait ou de droit en jugeant qu’elle avait « la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande le jour où celle-ci a été faite » (au paragraphe 60(8) du RPC). Le critère à remplir pour prouver une telle incapacité est élevé : « [i]l n’exige pas de prendre en compte la capacité de présenter, de préparer, de traiter ou de remplir une demande de prestations d’invalidité, mais seulement et tout simplement “la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande” » (affaire Morrison, au paragraphe 5, citée dans l’arrêt Danielson, au paragraphe 5). La capacité doit être comprise dans son sens ordinaire : « [l]a capacité de former l’intention de faire une demande de prestations n’est pas de nature différente de la capacité de former une intention relativement aux autres possibilités qui s’offrent au demandeur de prestations » (arrêt Sedrak, au paragraphe 3). Pour tirer une telle conclusion, la division générale a besoin d’examiner la preuve médicale et « les activités pertinentes de la personne en cause entre la date prétendue de début de l’invalidité et la date de la demande » (affaire Morrison, au paragraphe 5, citée dans l’arrêt Danielson, au paragraphe 6). La division générale avait le droit d’examiner les activités quotidiennes de la demanderesse pour évaluer sa capacité. La division générale a eu la possibilité d’entendre elle-même la demanderesse et d’examiner tous les éléments de preuve pertinents. Sa décision appelle une déférence considérable (voir la décision Hussein c. Canada (Procureur général), 2016 CF 1417, au paragraphe 44).

[20]  La décision contestée satisfait indéniablement aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité (voir l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Je suis également convaincu que la division d’appel a appliqué le critère juridique approprié, qui est énoncé à l’article 58 de la LMEDS et dans la jurisprudence pertinente. La division d’appel n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en refusant d’accorder l’autorisation d’interjeter appel et son raisonnement est clair et articulé :

  • (a) La demanderesse a fait valoir que la division générale n’aurait pas dû se fier à la Déclaration d’incapacité remplie par son médecin de famille, puisqu’il n’est pas psychiatre, mais médecin généraliste, donc moins crédible. La division d’appel a conclu que ce motif d’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès, puisqu’il équivaut à un désaccord et qu’il n’indique pas pourquoi l’opinion n’avait pas de valeur. La division générale est le juge des faits : elle avait le droit d’accorder du poids à la Déclaration d’incapacité déposée par un médecin généraliste, en particulier compte tenu du fait que la demanderesse a elle-même demandé à son médecin de famille de remplir ce formulaire (voir l’arrêt Simpson c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 82, au paragraphe 10 et la décision Griffin c. Canada (Procureur général), 2016 CF 874, au paragraphe 23 [décision Griffin]). Cette conclusion de la division d’appel est raisonnable.

  • (b) La demanderesse a soutenu que le Certificat pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées indique qu’elle n’était pas « apte au travail », mais a souligné que son médecin de famille a également écrit qu’elle était « limitée de façon marquée ». Il a également commis une erreur en écrivant « 2006 » comme étant l’année du début de ses limites. La division d’appel a conclu qu’elle essayait ainsi d’apprécier la preuve à nouveau et que ces éléments n’étaient pas déterminants. La division générale pouvait très bien conclure que le fait d’être limitée de façon marquée ou inapte au travail est suffisant pour conclure à l’incapacité en vertu du paragraphe 60(8) du RPC. Cette conclusion de la division d’appel est raisonnable.

  • (c) La demanderesse a également allégué que son médecin de famille l’avait rencontrée cinq fois, non à 11 reprises comme il l’indique dans sa lettre du 25 juin 2013. La division d’appel a conclu que cela ne constituait pas un motif suffisant pour interjeter appel. La demanderesse a eu amplement l’occasion de corriger cette erreur devant la division générale, mais elle ne l’a pas fait, et de nouveaux éléments de preuve ne peuvent pas être présentés en appel. Cette conclusion de la division d’appel est raisonnable, car l’appel doit être fondé sur le dossier sous-jacent déposé devant la division générale, non sur de nouveaux éléments de preuve (voir la décision Hideq v Canada (Attorney General), 2017 FC 439, au paragraphe 14; Griffin, au paragraphe 20).

  • (d) La demanderesse a également fait valoir que la division générale a omis de prendre en compte la dissolution cognitive déclenchée par son plan de retour au travail et, ainsi, qu’elle a omis d’appliquer un principe de justice naturelle. La division d’appel a réitéré que la division générale est présumée avoir pris en compte tous les éléments de preuve. Quoi qu’il en soit, à eux seuls, ces faits n’engageraient pas la division générale à conclure que la demanderesse n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations. Cette conclusion de la division d’appel est également raisonnable.

  • (e) La demanderesse a également prétendu qu’il est inhumain de lui refuser ses prestations rétroactives. Essentiellement, elle a soutenu que toutes les difficultés qu’elle a endurées l’ont rendue incapable de présenter une demande. La division d’appel a expliqué que les deux divisions du Tribunal de la sécurité sociale ont l’obligation de suivre la loi et qu’elles ne peuvent pas lui accorder une mesure de réparation équitable. En tant que tribunal administratif, il a seulement les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi. Par conséquent, la division générale devait fonder sa détermination de la capacité sur les éléments de preuve, non sur des considérations d’équité. Cette conclusion de la division d’appel est également raisonnable.

  • (f) La demanderesse a prétendu que la division générale avait commis une erreur de droit lors de la détermination du besoin d’examiner la preuve médicale et les activités quotidiennes pour évaluer la capacité. La division d’appel a conclu que cette allégation n’était pas fondée, à première vue. La division générale a tenu compte de l’ESPT de la demanderesse. Cependant, la division générale a tout de même pu conclure qu’un diagnostic d’ESPT n’équivaut pas à une conclusion d’incapacité. Être invalide n’équivaut pas à être incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. En outre, les arrêts Danielson et Kirkland sont valables en droit (voir l’ouvrage Annotated Canada Pension Plan and Old Age Security Act, 17e édition (Toronto : LexisNexis, 2018), par Gordon Killeen et Andrew James, aux pages 366 et 367). Cette conclusion de la division d’appel est également raisonnable.

[21]  Il ne fait aucun doute que la demanderesse a beaucoup souffert, mais malheureusement, les motifs d’équité et de compassion ne figurent pas parmi les facteurs mentionnés au paragraphe 60(8) du RPC, même si « un manque de connaissance quant à l’admissibilité à une pension d’invalidité ne relève pas de la portée de l’incapacité » (décision Canada (Procureur général) c. Hines, 2016 CF 112, au paragraphe 47). Dans l’ensemble, il était raisonnable pour la division d’appel de conclure que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès.

  III  Conclusion

[22]  La Cour compatit avec la demanderesse concernant les épreuves qu’elle a subies et ne remet pas en question l’invalidité de celle-ci, mais elle doit rejeter la présente demande. Le défendeur ne demande pas d’obtenir les dépens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-965-17

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire sans dépens.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-965-17

 

INTITULÉ :

DARLA-JEAN O’ROURKE c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 mai 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 mai 2018

 

COMPARUTIONS :

Darla-Jean O’Rourke

 

Pour la demanderesse

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Michael Stevenson

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

 

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