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Date : 20180504


Dossier : T-15-17

Référence : 2018 CF 477

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2018

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

WEN-TONG CHEN

CHIN YUN HUANG CHEN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demandeurs, Wen-Tong Chen et son épouse, Chin Yun Huang Chen, ont omis de déclarer deux bagues à l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] à l’aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal [aéroport de Montréal] au moment de leur arrivée à bord d’un vol en provenance des États-Unis. Les deux bagues ont fait l’objet d’une saisie-confiscation et leur ont ensuite été rendues contre paiement de 30 pour cent de leur valeur évaluée. En appel auprès du défendeur, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre], la saisie de la première bague a été annulée par son délégué. Cependant, la confiscation de la somme de 692,62 $ en échange de la remise de la deuxième bague a été maintenue.

[2]  Les demandeurs n’ont pas fait appel de la décision du défendeur selon laquelle une infraction avait été commise, comme ils en avaient le droit, en vertu de l’article 135 de la Loi sur les douanes, S.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.). Ils ont plutôt demandé le contrôle judiciaire de la décision du délégué de maintenir les conditions de mainlevée de l’article saisi [la décision]. Les demandeurs demandent une ordonnance annulant la décision et renvoyant l’affaire pour nouvel examen avec des directives voulant que le montant confisqué leur soit rendu et que les notes dans le dossier des demandeurs les assujettissant à des renvois à une inspection secondaire plus fréquents à chacun de leurs retours au Canada soient radiées.

[3]  Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande est en conséquence rejetée.

II.  Faits

[4]  Les faits qui suivent sont tirés du dossier du tribunal.

[5]  Les demandeurs sont nés à Taïwan et sont maintenant des citoyens canadiens résidant à Montréal. Ils voyagent souvent à l’étranger pour des motifs professionnels autant que personnels. Le 26 mars 2016, les demandeurs sont rentrés au Canada après un voyage aux États-Unis, par l’aéroport de Montréal. Aux douanes, ils ont été renvoyés à une inspection secondaire. L’agente de l’ASFC responsable du contrôle secondaire a remarqué deux bagues portées par Mme Chen, qui n’avaient pas été déclarées sur la carte de déclaration douanière conjointe des demandeurs.

[6]  L’agente de l’ASFC a demandé à Mme Chen quand et où les bagues avaient été achetées, et combien elle les avait payées. Mme Chen a d’abord déclaré avoir acheté les bagues à New York [traduction] « quelques années plus tôt » pour plus de 1 000 $. Questionnée avec plus d’insistance, Mme Chen a déclaré avoir payé plus de 1 000 $ pour chacune des deux bagues. Elle a ensuite indiqué avoir acheté les bagues « il y a cinq ans », mais elle ne pouvait pas se souvenir du prix payé. Mme Chen a admis qu’elle n’avait pas déclaré les bagues, qu’elle n’avait pas non plus payé les taxes sur les bagues à son retour au Canada et qu’elle n’avait pas de reçus pour les bagues. M. Chen est intervenu pour confirmer que son épouse avait acheté les bagues, mais qu’il n’en connaissait pas le prix. Après d’autres questions sur la valeur des bagues, M. Chen a fini par dire que c’était lui qui avait acheté les bagues et qu’il ne les avait jamais déclarées.

[7]  L’interrogatoire de M. et Mme Chen par l’agente du contrôle secondaire de l’ASFC est présenté de façon plus détaillée dans un rapport narratif. Je considère que ce rapport est fiable puisqu’il a été rédigé au moment de l’interaction entre les demandeurs et l’agente de l’ASFC, ou immédiatement après, et qu’il est par conséquent moins susceptible de fabrication ou d’être entaché d’oubli. Les parties pertinentes du rapport sont reproduites ci-dessous.

[traduction] Je lui ai demandé [à Mme Chen] quand elle avait acheté les bagues et elle m’a répondu que c’était il y a quelques années. Je lui ai demandé où elle les avait achetées et elle m’a répondu à New York. Je lui ai demandé combien elles avaient coûté et elle m’a répondu qu’elle pensait que c’était plus de 1 000 $. Je lui ai demandé si c’était plus de 1 000 $ pour les deux! Elle m’a répondu que c’était plus de 1 000 $ chacune. Elle a dit qu’elle les avait achetées il y a cinq ans et qu’elle ne se souvenait plus du prix. Je lui ai demandé si elle les avait déclarées lorsqu’elle était revenue avec ces bagues et elle m’a répondu non. Comme sa réponse semblait hésitante, je lui ai demandé si elle se souvenait d’avoir payé des taxes sur les bagues en revenant d’un voyage et elle m’a répondu non. Elle a ensuite dit qu’elle ne les avait jamais déclarées. Je lui ai demandé si elle avait les reçus d’achat et elle a répondu non. M. Chen a dit que son épouse avait acheté les bagues et nous [sic] n’en connaissait pas le prix. Elle a ensuite dit que la société ou la marque de commerce était Pommelato [sic].

J’ai consulté le site Web de Pommelato pour les États-Unis et trouvé le style de bague qu’elle portait. J’ai montré l’écran à Mme Huang Chen et à M. Chen et je leur ai demandé de confirmer qu’il s’agissait de la même bague. La page que je leur ai montrée affichait une bague similaire et la valeur indiquée était de 2 350 $ US. Mme Huang Chen a dit qu’ils avaient la bague en différentes tailles et qu’elle avait la plus petite. Mme Huang Chen a été incapable de confirmer le prix lorsque je le lui ai montré. M. Chen est ensuite intervenu et a dit que c’était lui qui l’avait achetée pour elle. Il m’a ensuite dit de lui facturer le montant que je voulais pour la bague. J’ai retenu la version de Mme Huang Chens [sic] selon laquelle elle avait une plus petite version de la même bague; il y avait effectivement une version plus petite dont le prix unitaire était de 1 750 $ US. Je leur ai montré la page montrant la version plus petite et qui affichait des pierres de la même couleur que la bague que portait Mme Chen. Nous avons convenu d’un prix de 1 750 $ US pour chacune des bagues.

[...]

J’ai demandé à M. Chen s’il avait déclaré les bagues qu’il avait achetées et il m’a répondu non. Je lui ai demandé pourquoi et il ne m’a pas répondu. Je lui ai demandé quand il les avait achetées, et il m’a répondu il y a cinq ans. Je lui ai demandé s’il avait acheté les deux bagues en même temps et il a répondu non. Il a dit qu’il en avait acheté une pour Noël et l’autre pour son anniversaire. Je n’ai pas pu obtenir plus de précisions sur les dates d’achat.

À 19 h 42, j’ai informé M. Chen et Mme Huang Chen de la saisie.

[8]  Après avoir consulté son superviseur, l’agente de l’ASFC a conclu que la saisie était justifiée et en a informé les demandeurs. M. Chen a demandé s’il ne pouvait pas tout simplement payer les droits et les taxes et partir, puisqu’ils avaient été francs. L’agente a répondu qu’elle ferait une [traduction] « saisie de niveau un » et qu’ils pourraient toujours faire appel de la décision. Le niveau le moins élevé, le niveau un, est recommandé pour les infractions moindres ou les infractions par omission plutôt que par commission. L’agente a également décidé d’inscrire Mme Chen en tant qu’associée parce qu’elle portait les bagues et qu’elle avait fait des déclarations à leur propos.

[9]  Après avoir pris connaissance de l’avis de saisie, M. Chen a demandé à l’agente d’en retirer son nom et de lui permettre simplement de payer les droits de douane et les taxes. L’agente a refusé de le faire, puisque M. Chen avait admis avoir acheté les bagues et ne pas les avoir déclarées. M. Chen a ensuite demandé si cela signifiait que lui et son épouse seraient fouillés à l’avenir. L’agente a répondu par l’affirmative, [traduction] « pendant quelques années ». M. Chen a ensuite demandé si quelque chose pouvait être fait, parce qu’il voyageait souvent à des fins professionnelles et qu’il ne voulait pas être arrêté à chaque fois. L’agente lui a répondu qu’il pouvait porter la décision en appel. Les deux bagues ont été restituées aux demandeurs conformément aux dispositions du paragraphe 117(1) et de l’article 121 de la Loi sur les douanes, à la réception d’une somme de 1 393,45 $ comme condition de mainlevée des deux bagues.

[10]  Un rapport de saisies de l’ASFC, daté du 26 mars 2016, comporte trois observations sous l’en-tête [traduction] « renseignements » en ce qui a trait aux réponses verbales fournies par les demandeurs :

  • (1) [traduction] « contredit les déclarations précédentes »;

  • (2) [traduction] « évite de répondre aux questions »;

  • (3) [traduction] « admission spontanée ».

[11]  Dans une lettre datée du 9 juin 2016, M. Chen présente à la Direction des recours de l’ASFC une demande de contrôle ministériel de la saisie des deux bagues, en vertu de l’article 129 de la Loi sur les douanes. M. Chen explique dans sa lettre que la première bague a été achetée par Mme Chen pendant une visite aux États-Unis le 23 novembre 2009, pour la somme de 1 915 $ US. Il a également clarifié que la deuxième bague avait en fait été achetée aux États-Unis le 26 avril 2011 par sa fille, résidente permanente des États-Unis, pour la somme de 2 100 $ US. Selon M. Chen, alors que sa fille était en visite à Montréal en juin 2011, il a offert la bague en cadeau d’anniversaire à son épouse et a remboursé le coût d’achat à sa fille.

[12]  M. Chen écrit que les demandeurs n’étaient pas au fait des exigences de l’ASFC selon lesquelles ils devaient payer des droits de douane sur la deuxième bague au moment du cadeau ou déclarer la bague chaque fois qu’ils revenaient au Canada. M. Chen fait valoir que lui et son épouse ont toujours essayé de se conformer aux exigences de la loi, mais que leur degré de connaissance de ces questions est limité. Il prétend que cette difficulté est accentuée par le fait que l’anglais n’est pas leur langue maternelle et qu’ils n’en saisissent pas toutes les subtilités. M. Chen termine sa lettre en demandant que la décision de saisir et de confisquer les bagues soit révisée et infirmée, et qu’à tout le moins les notes dans les dossiers respectifs des demandeurs qui les assujettissent à un interrogatoire et à une fouille à chacun de leurs retours au Canada soient retirées.

[13]  Le 11 juillet 2016, Danielle Lacroix, agente principale des appels à la Direction des recours de l’ASFC, a transmis à M. Chen un avis des motifs de la saisie proposant de confirmer la décision de l’agente de contrôle secondaire. En réponse à la requête des demandeurs pour que l’information relative à l’infraction soit retirée de leur dossier, l’agente Lacroix explique que les douaniers peuvent utiliser l’information concernant des infractions antérieures pour déterminer le niveau de contrôle approprié pour les voyageurs qui entrent au Canada. Par conséquent, les voyageurs qui ont à leur dossier une infraction récente aux règles douanières peuvent être plus fréquemment soumis à un contrôle secondaire. Avec le temps, s’il n’y a pas de nouvelles infractions, la fréquence des contrôles secondaires diminue et après six ans, le dossier lié à l’application de la loi est supprimé des dossiers de l’Agence. L’agente Lacroix souligne que s’il est déterminé en appel qu’aucune infraction n’a été commise, les noms des demandeurs seraient retirés.

[14]  Le 9 août 2016, par l’entremise de son avocat, M. Chen a de nouveau communiqué avec la Direction des recours, répétant largement les arguments contenus dans la lettre du 9 juin 2016 de M. Chen. L’avocat fait valoir qu’il n’y avait aucune obligation de payer des frais de douane ou des taxes au moment de l’importation de la deuxième bague, puisqu’elle était la propriété d’une résidente des États-Unis qui n’avait pas l’intention, au moment de son entrée au Canada, de la donner à un résident du Canada. Il demande aussi comment les demandeurs auraient raisonnablement pu croire qu’ils avaient l’obligation de déclarer la bague ou de payer des droits de douane ou des taxes sur celle-ci au moment où elle leur a été donnée en cadeau. L’avocat souligne également que les antécédents de nombreux voyages des demandeurs et le fait qu’ils savaient comment produire correctement une déclaration auraient dû amener les agents de l’ASFC à conclure que toute déclaration inexacte était une erreur de bonne foi ne justifiant pas une saisie. Il fait valoir que la barrière de la langue pouvait constituer un obstacle en situation de stress et que les agents de l’ASFC n’ont pas fourni à ses clients une occasion raisonnable de se faire entendre.

[15]  Dans son rapport de cas et sa recommandation, datés du 3 novembre 3016, l’agente Lacroix résume les observations des demandeurs et recommande que la portion de la saisie relative à la première bague soit annulée et que la mesure de saisie à l’égard de la deuxième bague soit maintenue.  Elle note que sur la base de l’information au dossier, y compris le rapport narratif de l’agente de l’ASFC, les demandeurs n’ont pas semblé avoir d’obstacle linguistique, puisqu’ils n’ont eu aucune difficulté à comprendre les questions posées durant le contrôle et qu’ils n’ont pas demandé les services d’un interprète.

[16]  Le 5 décembre 2016, Jonathan Ledoux-Cloutier, gestionnaire de la Division des appels de la Direction des recours de l’ASFC et délégué du ministre [le délégué Ledoux-Cloutier], a rendu des décisions à l’égard des deux articles saisis. En ce qui concerne la première bague, le délégué Ledoux-Cloutier a déterminé qu’il n’y avait pas eu d’infraction, puisqu’elle avait été achetée en 2009, après l’expiration du délai de prescription prévue à l’article 113 de la Loi sur les douanes, et que la somme confisquée à l’égard de cette bague devait en conséquence être remise à M. Chen. En ce qui concerne la deuxième bague, le délégué Ledoux-Cloutier a conclu qu’il y avait eu infraction à l’article 12 de la Loi sur les douanes [constat d’infraction] et maintenu la saisie de la bague et la confiscation de la somme de 692,62 $ comme conditions de mainlevée de l’article saisi [mesure d’application].

[17]  M. Chen a été avisé de son droit de faire appel du constat d’infraction dressé en vertu de l’article 131 de la Loi sur les douanes en intentant une action devant la Cour fédérale en vertu de l’article 135 dans un délai de 90 jours et de contester la mesure d’application prise en vertu de l’article 133 par voie d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7.

III.  Questions à trancher

[18]  Le défendeur a contesté la qualité de Mme Chen pour présenter la demande, puisque la mesure d’application a été prise contre M. Chen seulement, mais n’a pas fait valoir son objection lors de l’audience. Comme les demandeurs n’ont soulevé aucune question d’équité procédurale, la seule question à trancher dans cette demande de contrôle judiciaire est de savoir si la mesure d’application établissant les conditions de mainlevée de la bague est déraisonnable.

IV.  Norme de contrôle

[19]  Lorsque la jurisprudence établit la norme de contrôle applicable à une question dont la Cour est saisie, la Cour de révision peut adopter cette norme de contrôle (arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 57 [arrêt Dunsmuir]). Les parties font valoir, et je suis d’accord avec elles, que les décisions prises en vertu de l’article 133 de la Loi sur les douanes sont susceptibles d’un contrôle judiciaire selon la norme du caractère raisonnable de leur issue (décision United Parcel Service Canada Ltd c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 204, aux paragraphes 40 à 43; décision Dhillon c. Canada, 2016 CF 456, aux paragraphes 35 à 26 [décision Dhillon]).

V.  Analyse

[20]  Les demandeurs font valoir que la mesure d’application doit être annulée pour trois motifs. Premièrement, la décision est déraisonnable. Deuxièmement, le délégué Ledoux-Cloutier a erronément associé contravention et saisie, et traité la mesure d’application et le signalement pour contrôle secondaire comme des mesures automatiques. Troisièmement, le délégué Ledoux-Cloutier a omis de tenir compte de l’ensemble des circonstances, et plus particulièrement des facteurs atténuants recensés par les demandeurs. J’examinerai les trois motifs ensemble, puisqu’ils sont interreliés.

[21]  Les demandeurs font valoir que la décision n’est ni justifiée ni transparente puisque ni le délégué Ledoux-Cloutier ni l’agente Lacroix n’ont présenté de détails d’un geste ou d’une omission quelconque de la part des demandeurs pouvant constituer une contravention à la Loi sur les douanes pour laquelle une sanction pouvait être imposée par voie de peine, incluant une pénalité monétaire, et de notes au dossier. Selon les demandeurs, l’omission les empêche de savoir quels sont les faits et le raisonnement qu’ils peuvent présenter ou contester. Cet argument est sans fondement.

[22]  Le délégué Ledoux-Cloutier a conclu qu’il y avait eu contravention à l’article 12 de la Loi sur les douanes. Les demandeurs n’ont pas contesté cette décision distincte par voie d’action et ne peuvent pas, par la voie du contrôle judiciaire de la mesure d’application, attaquer de façon collatérale le constat d’infraction.

[23]  Lorsqu’il y a manquement à l’obligation de déclarer, l’absence d’intention de la part de l’importateur de se soustraire au paiement des droits et des taxes n’est pas pertinent pour déterminer s’il y a eu contravention aux dispositions du paragraphe 12(1) (décision Thaiher Zeid c. Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 539, aux paragraphes 36 et 55). L’obligation de déclaration ne dépend pas du fait qu’un agent de l’ASFC demande si des biens sont importés au Canada (Saad c. Canada (Agence des services frontaliers), 2016 CF 1382, au paragraphe 23). L’agente Lacroix et le délégué Ledoux-Cloutier indiquent dans leur correspondance avec M. Chen que celui-ci a omis de déclarer la bague en question, contrevenant ainsi à la Loi sur les douanes. Toute question concernant le bien-fondé de la détermination faite par le délégué Ledoux-Cloutier en application de l’article 131 ne relève pas de la présente demande de contrôle judiciaire.

[24]  Il est acquis de part et d’autre que l’ASFC tient à jour et surveille les renseignements relatifs à l’application de la loi. Lorsqu’un voyageur entre au pays, les documents d’identification sont balayés et le nom du voyageur fait l’objet d’une interrogation par rapport aux dossiers de l’ASFC. Lorsque le nom d’un voyageur est inscrit dans un registre de contravention, il se peut qu’une directive soit produite à l’intention de l’agent des Services frontaliers ou par le poste d’inspection primaire demandant de renvoyer le voyageur à un examen secondaire.

[25]  Dans la décision Dhillon, monsieur le juge Patrick Gleason a conclu que le renvoi à un examen secondaire ne constitue pas une sanction, une pénalité supplémentaire ou une conséquence juridique. Soulignant que la politique de gestion des risques de l’ASFC ne crée pas un droit ou une attente voulant qu’un voyageur évite un examen complet à son entrée au Canada, le juge Gleason conclut comme suit, au paragraphe 30 :

Un processus qui donne lieu à un renvoi obligatoire d’une personne à un examen secondaire à son entrée au Canada, fondé sur une contravention antérieure de cette personne à une mesure législative relative à un programme que l’ASFC administre n’entraîne pas d’obligations en matière d’équité procédurale de la part de l’ASFC.

[26]  Il s’ensuit que les demandeurs ne peuvent pas demander réparation dans cette procédure de ce qu’ils décrivent comme un [traduction] « fichage » ou le fait de voir leur dossier annoté aux fins de surveillance accrue, ce qui est une conséquence administrative et automatique pour avoir contrevenu à l’article 12 de la Loi sur les douanes.

[27]  Tout au long de cette procédure, la principale préoccupation des demandeurs est de faire l’objet d’un [traduction] « fichage ». Aucun argument de fond n’a été avancé pour faire valoir que le niveau établi aux fins de la détermination des conditions appropriées de mainlevée et du montant confisqué était déraisonnable, autre que celui que le délégué Ledoux-Cloutier a exercé à mauvais escient son pouvoir discrétionnaire et complètement fait fi de la politique même de l’ASFC.

[28]  Le Manuel d’exécution de la loi de l’ASFC, dans sa version du 9 juin 2016, reconnaît explicitement et permet la souplesse en cas de négligence, d’imprudence et de manque de connaissances de la part de l’importateur. Il reconnaît également que le bénéfice du doute peut être accordé lorsqu’il semble évident que le voyageur ne connaissait pas les exigences de l’ASFC. Les demandeurs n’ont pu établir que les circonstances atténuantes, le cas échéant, n’ont pas été prises en compte de manière appropriée ou qu’il y a eu défaut d’user du degré approprié de souplesse ou de leur accorder le bénéfice du doute.

[29]  Au mieux, les demandeurs ont été évasifs et au pire, ils n’ont tout simplement pas dit la vérité dans leurs réponses lorsqu’ils ont été interrogés par l’agente de l’ASFC pendant l’inspection secondaire. Du propre aveu des demandeurs à ce moment-là, ils n’ont pas déclaré une bague pour laquelle des taxes n’avaient pas été payées. Bien que les demandeurs aient éventuellement donné une version complètement différente de l’importation, qui a été accueillie en appel, il n’en reste pas moins qu’il n’était pas possible de faire abstraction de leurs réponses antérieures évasives et contradictoires.

[30]  Les demandeurs font valoir que le scepticisme exprimé par le délégué Ledoux-Cloutier, sur un fondement invraisemblable, envers la maîtrise limitée de la langue anglaise par les Chen était déraisonnable. Au paragraphe 19 de son affidavit déposé à l’appui de sa demande, M. Chen affirme avoir éprouvé des difficultés de communication au moment de la saisie de la bague le 26 mars 2016 et qu’il n’a pas été en mesure de comprendre toutes les explications qui lui ont été données par le bureau de l’ASFC. Un examen du rapport narratif détaillé préparé par l’agente d’inspection secondaire de l’ASFC tend à démontrer le contraire. Les demandeurs semblent n’avoir eu aucune difficulté à répondre aux questions posées par l’agente. Il n’y est pas non plus fait mention de problèmes de langue ou d’une demande de services d’interprétation. Surtout, M. Chen ne relève aucune erreur, déclaration inexacte ou omission dans le rapport. Dans les circonstances, la conclusion du délégué Ledoux-Cloutier, selon laquelle il n’y avait pas de problème de langue, apparaît éminemment raisonnable.

[31]  Les demandeurs se sont vus accorder le bénéfice du doute de la part de l’agente de l’inspection secondaire, de l’agente Lacroix, et du délégué Ledoux-Cloutier, qui étaient prêts à retenir la version des faits présentée par les demandeurs concernant l’achat, la taille et l’importation de la bague en question. Par ailleurs, les conditions de mainlevée ont été établies à un niveau inférieur au montant minimum recommandé pour une saisie de niveau un dans le Manuel pour une personne ayant contrevenu à la Loi sur les douanes en ne déclarant pas un bijou.

[32]  Le Manuel indique que différents niveaux sont établis pour déterminer les conditions de mainlevée appropriées applicables à une gamme d’infractions, selon le degré de culpabilité de la personne. Le niveau le moins élevé, le niveau un, est recommandé pour les [traduction] « infractions moindres » ou les [traduction] « infractions par omission plutôt que par commission ». Dans les cas de non-déclaration, le niveau un est généralement appliqué lorsque les biens ne sont pas déclarés, mais ne sont pas cachés et qu’une divulgation complète des faits véridiques concernant les biens est faite au moment de la découverte.

[33]  Le niveau le plus bas a été attribué aux demandeurs malgré leurs déclarations contradictoires. Les observations de M. Chen ont par la suite révélé que la valeur de l’article était plus élevée que la valeur déterminée par l’agente d’inspection secondaire au moment de la saisie, et pourtant les conditions de mainlevée n’ont pas été modifiées au détriment de M. Chen.

[34]  En tenant compte de l’ensemble du dossier, je ne peux pas conclure que le délégué Ledoux-Cloutier a omis de respecter la politique de l’ASFC ou a exercé à mauvais escient son pouvoir discrétionnaire de quelque façon que ce soit. Bien que les demandeurs puissent être en désaccord avec les motifs de la décision, je ne trouve pas que les conclusions du délégué Ledoux-Cloutier concernant l’imposition d’un montant de confiscation soient déraisonnables ou ne font pas partie des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[35]  Enfin, je tiens à aborder une allégation faite dans l’avis de demande et voulant que le délégué Ledoux-Cloutier ait omis de tenir compte du fait qu’il n’y avait aucun motif apparent de soumettre les demandeurs à une inspection et que la décision de l’agent de l’ASFC pourrait avoir été motivée par leur origine ethnique. Il n’existe tout simplement aucune preuve à l’appui de l’insinuation voulant que des agents de l’ASFC se soient conduits de manière inappropriée ou qu’ils aient agi autrement que de manière impartiale et professionnelle.

VI.  Conclusion

[36]  Dans l’ensemble, le processus décisionnel était minutieux et clair. La décision fait partie d’une gamme de résultats possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. De plus, la décision est cohérente avec les buts de la loi et des politiques applicables à l’exécution des douanes. Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée, avec dépens.

[37]  Les parties ont convenu à la conclusion de l’audience que des dépens devaient être accordés à la partie ayant gain de cause et être établis à 3 000 $, taxes et débours compris.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-15-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La requête en autorisation de modification de l’avis de demande présentée par les demandeurs est rejetée.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Les dépens de la requête, par les présentes fixés à 3 000 $, taxes et débours compris, doivent être versés par les demandeurs au défendeur.

« Roger R. Lafrenière »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-15-17

 

INTITULÉ :

WEN-TONG CHEN, CHIN YUN HUANG CHEN c. MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 avril 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 MAI 2018

 

COMPARUTIONS :

Guy Du Pont

Matthias Heilke

Pour les demandeurs

 

Sarom Bahk

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davies Ward Phillips & Vineberg S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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