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Date : 20180529

Dossier : IMM-4742-17

Référence : 2018 CF 551

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2018

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

DOREEN OUCHORO KAHUMBA

demanderesse

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, qui a conclu que la demanderesse n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger et que sa demande est manifestement infondée.

[2]  Pour les motifs énoncés ci-après, je suis d’avis que la SPR n’a pas commis d’erreur en concluant que la demanderesse n’a pu démontrer qu’elle est exposée à une possibilité sérieuse d’être persécutée selon l’article 96 de la Loi, ou qu’elle a qualité de personne à protéger en application de l’article 97 de la Loi. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.  Le résumé des faits

[3]  La demanderesse est une citoyenne de l’Ouganda. En mai 2017, elle est venue au Canada pour suivre un cours de trois semaines à l’Université Saint Francis Xavier, en Nouvelle-Écosse. À son arrivée au Canada, la demanderesse a présenté une demande d’asile, en invoquant le risque d’être persécutée du fait de son sexe et de son orientation sexuelle, étant bisexuelle. Elle a également allégué qu’elle risquait d’être victime de violence familiale de la part de son époux.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[4]  La SPR a rendu sa décision le 28 septembre 2017. Elle a rejeté la demande d’asile de la demanderesse et conclu que sa demande était manifestement infondée.

[5]  La SPR a dit avoir tenu compte des déclarations écrites et orales de la demanderesse et appliqué les Directives du président concernant l’orientation sexuelle, l’identité de genre et la persécution fondée sur le sexe.

[6]  En résumé, la SPR a estimé que la demanderesse n’avait pas présenté d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour établir qu’elle avait été agressée par son mari ou qu’elle était bisexuelle. Elle a évalué le témoignage de vive voix de la demanderesse et jugé qu’il était vague et trop peu détaillé. Elle a aussi conclu que la majeure partie de la documentation produite par la demanderesse pour établir son orientation sexuelle et appuyer ses allégations de violence familiale était frauduleuse. Cette conclusion découle des problèmes relevés dans la preuve documentaire de la demanderesse, ainsi que de la preuve matérielle sur la situation dans le pays en cause concernant la prévalence des documents frauduleux en Ouganda.

[7]  En ce qui concerne la documentation frauduleuse, la SPR a examiné une lettre du chef du conseil du village local de la demanderesse, qui était censée résumer l’agression dont la demanderesse avait été victime. Elle a noté que le nom du village était mal orthographié à deux reprises dans le même document, et que les tampons encreurs sur le document n’étaient pas authentiques. De même, elle a conclu que le rapport de police censé étayer l’incident de violence familiale dont la demanderesse disait avoir été victime était lui aussi frauduleux, car ce rapport comportait des inscriptions manuscrites rédigées par-dessus le timbre officiel. Il a également été établi qu’un affidavit de l’avocat de divorce de la demanderesse portait un timbre frauduleux, qui avait été imprimé numériquement sous le texte imprimé. De plus, dans la lettre informant le mari de la demanderesse du divorce, l’adresse du mari différait de l’adresse où la demanderesse et son mari avaient vécu.

[8]  Les timbres du notaire public, apposés sur l’affidavit de l’oncle de la demanderesse qui décrivait la relation de violence entre la demanderesse et son époux, avaient été inversés; selon la SPR, un notaire n’aurait pas commis pareille erreur.

[9]  La SPR a jugé que la présentation de documents frauduleux pour étayer des éléments clés de la demande de la demanderesse réduisait la fiabilité de ses autres éléments de preuve. Elle a donc conclu que la demanderesse n’était pas exposée à un risque de violence familiale en Ouganda.

[10]  Quant à l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle était exposée à des risques en raison de sa bisexualité, et plus particulièrement à cause de sa relation avec sa partenaire de sexe féminin, Sheila, la SPR a jugé que la demanderesse avait, là encore, produit des documents frauduleux.

[11]  La SPR a notamment jugé que l’affidavit de la sœur de la demanderesse, dans lequel il était indiqué que la demanderesse avait été expulsée de l’école à cause de son homosexualité, était frauduleux. La SPR a ainsi remarqué que le sceau notarial sur l’affidavit n’était pas authentique, et qu’il avait été imprimé numériquement de manière à reproduire un timbre encreur authentique. Elle a aussi conclu que les documents censés confirmer l’adhésion de la demanderesse à la Pan Africa International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association (PAI) étaient frauduleux, car ils portaient eux aussi un timbre frauduleux. De plus, l’adresse électronique indiquée dans ces documents ne correspondait pas à l’adresse électronique officielle de l’organisation, indiquée sur son site Web. Qui plus est, la demanderesse n’a pas fourni de raisons pour expliquer l’adresse électronique erronée, même si elle avait eu l’occasion de le faire. La SPR a conclu que la demanderesse n’était pas membre de la PAI, en raison de l’imprécision de son témoignage sur la nature de l’organisation, de son incapacité à décrire ses activités en tant que membre, de l’erreur dans l’adresse électronique et de la présentation d’une lettre d’appui frauduleuse.

[12]  En ce qui concerne la relation entre la demanderesse et Sheila, la SPR a jugé que la preuve n’était ni probante, ni digne de foi. Le témoignage de la demanderesse était dans l’ensemble vague, et celle-ci a été incapable de décrire de manière suffisamment détaillée des moments particuliers passés avec Sheila ou des activités qu’elles faisaient ensemble. La SPR a en outre jugé que son témoignage sur sa relation sexuelle avec Sheila semblait avoir été répété. De plus, les messages texte entre la demanderesse et Sheila étaient artificiels et n’ont commencé qu’après l’arrivée de la demanderesse au Canada et la présentation de sa demande d’asile. Une seule lettre de Sheila a été produite, mais aucun affidavit. La SPR a également relevé le fait que Sheila n’a pas été appelée à comparaître comme témoin pour confirmer la relation. La SPR a jugé que l’explication fournie par la demanderesse, qui a déclaré ne pas savoir que Sheila pouvait comparaître comme témoin devant la SPR, était déraisonnable. La SPR a souligné que la demanderesse était représentée par un avocat compétent, bien au fait des processus devant la SPR. Elle a conclu que la demanderesse n’entretenait pas une relation homosexuelle avec Sheila.

[13]  La SPR a également conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse n’avait pu établir les points essentiels de sa demande au moyen d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi. Puis, citant l’article 107.1 de la Loi, la SPR a conclu que la demande de la demanderesse était manifestement infondée. La SPR a déclaré que la demanderesse avait  « délibérément tenté de tromper la Commission sur une question de fond importante et qui est donc extrêmement pertinente aux fins de la détermination de son statut ».

III.  Les observations de la demanderesse

[14]  La demanderesse soutient que, dans l’ensemble, la SPR a fait abstraction d’éléments de preuve clés, a fait une interprétation erronée d’autres éléments de preuve, n’a pas examiné la preuve corroborante et a omis d’examiner sa demande avec ouverture d’esprit.

[15]  La demanderesse soutient qu’il ne fait aucun doute que la SPR a omis d’examiner bon nombre des documents qu’elle a produits. À titre d’exemple, la SPR a déclaré, à tort, que la demanderesse était venue au Canada pour assister à une conférence, alors qu’elle est venue pour étudier, comme elle l’a déclaré. La demanderesse a aussi fait valoir que la SPR avait mis en doute son adhésion à la PAI, alors que les documents produits en fournissaient, selon elle, une preuve suffisante.

[16]  La demanderesse mentionne également la lettre d’un médecin qui décrit des blessures que son époux lui aurait infligées, mais dont la SPR n’a pas fait mention. De même, la SPR n’a pas mentionné les photographies des dommages matériels causés par son époux et des blessures qu’elle aurait subies. La demanderesse soutient que ces éléments de preuve confirment qu’elle a été victime de violence familiale.

[17]  La demanderesse prétend également que la conclusion de la SPR, concernant le caractère frauduleux des documents qu’elle a produits, n’est pas raisonnable. Elle soutient que la SPR a commis une erreur, car elle est partie du principe que les documents de l’Ouganda peuvent être frauduleux, et qu’elle a omis d’évaluer chacun des documents présentés (Jacques c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 423, au paragraphe 14, [2010] ACF no 487 (QL) [Jacques]).

[18]  En ce qui a trait à la lettre du chef du conseil du village, la demanderesse fait valoir que les fautes d’orthographe sont fréquentes dans ce type de documents, y compris ceux déposés devant la Cour, mais que cela ne signifie pas qu’ils sont frauduleux.

[19]  La demanderesse présente maintenant de nouveaux affidavits de son avocat en Ouganda et du chef du conseil du village, attestant que les documents originaux ne sont pas frauduleux. Elle soutient que la Cour devrait accepter ces documents, car les conclusions relatives à la crédibilité reposent sur les documents originaux, et qu’elle aurait dû avoir la possibilité d’y répondre (citant à l’appui Dimgba c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 14, au paragraphe 10, [2018] ACF n7 (QL) [Dimgba]).

[20]  La demanderesse prétend également que la SPR a commis une erreur en concluant que les explications que la demanderesse avait fournies pour contrer ses appréhensions n’étaient pas raisonnables. Elle a notamment expliqué à la SPR que l’avis de divorce avait été envoyé à l’adresse professionnelle de son mari.

[21]  En ce qui a trait à sa relation avec Sheila, la demanderesse soutient qu’elle a présenté de nombreux éléments de preuve attestant de sa bisexualité et de sa relation avec Sheila. Elle prétend que la SPR n’a pas tenu compte du fait qu’elle ne pouvait pas communiquer ouvertement avec Sheila lorsqu’elle était en Ouganda. Elle cite la lettre de Sheila de juillet 2017 et fait valoir que cet élément de preuve, combiné aux autres éléments de preuve, établit qu’elles entretenaient une relation homosexuelle. La demanderesse allègue en outre que la SPR n’a pas tenu compte d’autres éléments de preuve de sa bisexualité, notamment son adhésion au centre 519 de Toronto.

[22]  La demanderesse allègue de manière plus générale que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve qui contredisent ses conclusions, notamment les rapports médicaux, les photographies et la preuve sur sa relation avec Sheila. Elle cite Simba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 14777, au paragraphe 29, [2000] ACF no 118 (1re inst.), où le juge reprend des passages de Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 157 FTR 35, aux paragraphes 15 à 17, 1998 CanLII 8667 [Cepeda-Gutierrez]. La demanderesse soutient enfin que les éléments de preuve qu’elle a produits, mais qui n’ont pas été mentionnés par la SPR, devraient permettre d’inférer que la SPR ne les a pas examinés.

IV.  Les observations du défendeur

[23]  Le défendeur prétend que la décision de la SPR est raisonnable, et que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité commandent une grande déférence. Il estime ainsi que les conclusions de la SPR concernant la crédibilité sont bien fondées, étant donné le caractère peu fiable et imprécis du témoignage de la demanderesse et la présentation de documents frauduleux. À cet égard, il prétend que le témoignage de la demanderesse est le principal élément de la preuve qui a été jugé non crédible. La SPR a examiné les documents originaux présentés à l’appui de la demande et énoncé les raisons précises pour lesquelles elle jugeait ces documents frauduleux.

[24]  Le défendeur ajoute que, contrairement à ce que prétend la demanderesse, le témoignage doit être corroboré lorsqu’il y a des raisons de mettre en doute la crédibilité du témoignage sous serment. La SPR a, de manière raisonnable, mis en doute le témoignage de la demanderesse au sujet de son orientation sexuelle et de sa relation avec Sheila; elle n’a donc pas commis d’erreur en examinant soigneusement les autres éléments de preuve et en concluant qu’ils ne corroboraient pas la demande (Hohol c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 870, au paragraphe 21, [2017] ACF no 1025 (QL) [Hohol]).

[25]  En ce qui concerne les allégations de violence familiale, le défendeur note que les erreurs dans la lettre du chef du conseil du village ne peuvent être attribuées à de simples fautes d’orthographe, ou au fait que l’Ouganda est un pays du tiers monde. De même, la raison invoquée pour expliquer l’inscription de la mauvaise adresse sur l’avis de divorce est déraisonnable, étant donné qu’il ne s’agit pas de l’adresse professionnelle de l’époux, mais bien de l’adresse d’un ami, et que les documents produits pour confirmer l’adresse sont totalement illisibles.

[26]  Le défendeur est également d’avis qu’aucun élément de preuve digne de foi n’atteste de l’orientation sexuelle de la demanderesse. La lettre non solennelle de Sheila ne décrit pas une relation sexuelle, mais témoigne simplement de liens étroits entre les deux et ne fait que mentionner que toutes deux sont bisexuelles. Le défendeur souligne qu’il incombait à la demanderesse de produire des éléments de preuve dignes de foi et non à la SPR de citer Sheila comme témoin. La demanderesse a eu droit à deux audiences et a eu amplement l’occasion de convoquer Sheila; il était justifié pour la SPR de ne pas accorder une troisième occasion. De plus, l’adhésion de la demanderesse au centre 519 ne prouve pas son orientation sexuelle; elle ne fait qu’indiquer que la demanderesse est membre d’une organisation qui soutient la communauté LGBQT.

[27]  De façon plus générale, le défendeur soutient que la SPR n’a pas fait abstraction d’éléments de preuve contradictoires. Il mentionne à cet effet le principe établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598, au paragraphe 1 (CA) (QL) [Florea], selon lequel  un tribunal est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu'à preuve du contraire. Selon le défendeur, les conclusions de la SPR sont conformes à la preuve présentée. La SPR n’a pas omis de mentionner des éléments de preuve pertinents qui allaient à l’encontre de ses conclusions de fait. Elle a fondé ses conclusions sur une preuve abondante.

[28]  Le défendeur fait valoir que la Cour doit examiner la décision de la SPR en se fondant sur le dossier qui lui a été présenté, ajoutant que les nouveaux affidavits, qui revendiquent l’authenticité des documents originaux, n’ont pas été présentés à la SPR. Il mentionne également que la demanderesse n’a pas mentionné ces affidavits dans son exposé des arguments.

V.  La norme de contrôle

[29]  La norme de contrôle applicable aux questions de fait, qui englobent la crédibilité, ainsi qu’aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable. Il convient de faire preuve de déférence à l’égard de la décision de la SPR si elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47, 53 et 55, [2008] 1 RCS 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339).

[30]  Pour déterminer si une décision est raisonnable, la Cour doit établir « l’existence d’une justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’examiner « si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Il convient de faire preuve de déférence à l’égard du décideur, et la Cour ne réévaluera pas les éléments de preuve.

[31]  Outre les principes généraux concernant l’évaluation du caractère raisonnable, il est un fait bien établi que les commissions et les tribunaux administratifs comme la SPR sont les mieux placés pour évaluer la crédibilité (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL), au paragraphe 4, 160 NR 315 (CAF)), et que leurs conclusions concernant la crédibilité appellent la déférence (Lin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1052, au paragraphe 13, [2008] ACF no 1329 (QL); Fatih c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 857, au paragraphe 65, 415 FTR 82; Lubana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] ACF no 162 (QL), au paragraphe 7, 228 FTR 43).

[32]  Dans Rahal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, [2012] ACF no 369 (QL) [Rahal], la juge Mary Gleason a résumé les principes clés de la jurisprudence concernant la crédibilité (aux paragraphes 41 à 46). Au paragraphe 42 de cette décision, la juge Gleason explique pourquoi le rôle de la Cour, dans l’examen de conclusions relatives à la crédibilité, est si limité :

[42]  Premièrement – et il s’agit probablement du point le plus important – il faut reconnaître, avant même de se pencher sur une conclusion relative à la crédibilité, que le rôle de la Cour est très limité, étant donné que le tribunal a eu l’occasion d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et de relever toutes les nuances et contradictions factuelles contenues dans la preuve. Ajoutons à cela que, dans bien des cas, le tribunal possède une expertise reconnue dans le domaine qui fait défaut à la cour de révision. Le tribunal est donc bien mieux placé pour tirer des conclusions quant à la crédibilité, et notamment pour juger de la plausibilité de la preuve. En outre, le principe de l’administration efficace de la justice, sur lequel repose la notion de déférence, fait en sorte que l’examen de ce genre de questions doit demeurer l’exception plutôt que la règle. Dans l’arrêt Aguebor, il est écrit, au paragraphe 4 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire [...]

(voir également l’arrêt Singh, au paragraphe 3, et l’arrêt He c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 49 ACWS (3d) 562, [1994] ACF no 1107, au paragraphe 2).

VI.  La décision est raisonnable

[33]  La décision de la SPR a été examinée en regard de tous ces principes, et compte tenu du dossier présenté à la SPR, de la transcription de l’audience de la SPR et de la jurisprudence pertinente.

[34]  Le rôle de la Cour n’est pas de soupeser à nouveau les éléments de preuve, mais plutôt de décider, d’après le dossier présenté à la SPR, si celle-ci a fait abstraction de certains éléments de preuve ou en a fait une interprétation erronée. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Les conclusions relatives à la crédibilité commandent une grande déférence et rien ne justifie l’ingérence de la Cour. La décision de la SPR présente toutes les caractéristiques d’une décision raisonnable.

[35]  Contrairement aux prétentions de la demanderesse, les conclusions de la SPR relativement à la crédibilité ne sont pas fondées sur une analyse microscopique ni sur une interprétation erronée de la preuve. La SPR s’est concentrée sur les principales allégations de la demanderesse et sur les principaux éléments de preuve produits à l’appui de ces allégations. Elle a conclu, de manière raisonnable, que le témoignage de la demanderesse n’était pas crédible. Elle a jugé que le témoignage de vive voix de la demanderesse n’était pas crédible, en raison de son imprécision, du manque de détail et d’autres facteurs relevés. En raison de ses doutes quant à la crédibilité de la preuve, la SPR a fait un examen approfondi de la preuve corroborante, et a conclu que cette preuve était peu fiable et, surtout, que plusieurs documents étaient frauduleux.

[36]  Comme l’indique le juge Manson dans Hohol, au paragraphe 19 :

[19]  Le SPR a aussi droit de faire des conclusions générales sur le manque de crédibilité. L’accumulation d’incohérences, de contradictions, entre autres, considérée dans son ensemble, peut mener à une telle conclusion. De plus, une conclusion générale sur le manque de crédibilité peut se prolonger à toute une preuve connexe émanant de la version du demandeur et de toutes les preuves documentaires qu’il a présentées à l’appui de sa version des faits (Lawal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 558, par. 22).

[37]  La SPR est bien placée pour juger de l’authenticité des documents. Elle n’est pas partie du principe que les documents étaient frauduleux parce qu’ils venaient de l’Ouganda. Elle a en fait examiné les documents originaux présentés et a clairement énoncé les raisons pour lesquelles elle doutait de leur authenticité. Des timbres encreurs qui ne ressemblent pas à ce qu’ils doivent être, et des sceaux inversés, justifient pareilles conclusions. Ayant conclu que la majorité des documents étaient frauduleux, et compte tenu de la prévalence des documents frauduleux en Ouganda, la SPR a raisonnablement mis en doute la fiabilité des autres éléments de preuve, par ailleurs peu nombreux.

[38]  La demanderesse cite la décision Jacques pour appuyer son argument voulant que la SPR ait commis une erreur en présumant que tous les documents en provenance de l’Ouganda sont frauduleux, et elle prétend que la Commission n’est pas un expert dans l’évaluation de documents. Je ne suis pas d’accord pour dire que la décision rendue dans Jacques appuie l’argument de la demanderesse en l’espèce. Dans la décision Jacques, le juge O’Reilly note ce qui suit au paragraphe 14 :

[14]  Il est clair que la Commission n’a pas l’obligation de faire examiner les documents qui lui sont soumis par des experts avant de conclure qu’ils sont frauduleux (Culinescu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 73). Cependant, la Commission doit disposer d’éléments de preuve sur lesquels fonder sa conclusion qu’un document n’est pas authentique, à moins que le problème n’apparaisse à la face même du document (Kashif c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 179; Riveros c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1009).

[39]  Le juge O’Reilly cite également des exemples de la jurisprudence illustrant des cas où la Cour a conclu que le décideur avait commis une erreur en déclarant que les documents étaient frauduleux. Aucun de ces exemples ne s’applique à la demanderesse. Dans le présent cas, la SPR a expliqué pourquoi elle a conclu que les documents examinés étaient frauduleux; les problèmes étaient manifestes au vu même des documents. De plus, contrairement à la décision Jacques où la Cour a conclu que le témoignage de vive voix de M. Jacques avait été par ailleurs crédible et où elle n’a mis en doute qu’un document, la SPR en l’espèce a jugé que la demanderesse n’était pas crédible avant même d’entreprendre l’évaluation de la preuve documentaire et de découvrir que plusieurs documents étaient frauduleux.

[40]  L’explication fournie par la demanderesse au sujet de l’avis de divorce ne laisse pas croire que la Commission a commis une erreur. La lettre de M. Oburo, un collègue de travail, et la carte professionnelle illisible n’aident nullement à confirmer l’explication de la demanderesse selon laquelle l’avis de divorce a été envoyé à l’adresse professionnelle de son époux. Qui plus est, il ne s’agit là qu’un des nombreux documents jugés frauduleux.

[41]  En ce qui concerne les allégations de violence familiale, la SPR n’a pas mentionné expressément la lettre du médecin de mars 2015 ou les photographies, comme l’a fait remarquer la demanderesse. Il est présumé toutefois que la SPR a examiné tous les éléments de preuve présentés. La SPR a néanmoins mentionné le rapport de police qui décrit un cas présumé de violence familiale s’étant produit le 17 mars 2015, mais a jugé que ce rapport était frauduleux. La demanderesse n’a pas répondu à la conclusion selon laquelle le rapport de police était frauduleux.

[42]  Dans l’arrêt Florea, la Cour d’appel fédérale a conclu que le fait que le décideur « n’a pas mentionné tous et chacun des documents […] n’est pas un indice qu’[il] n’en a pas tenu compte; au contraire un tribunal est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu'à preuve du contraire. » (au paragraphe 1).

[43]  Le principe souvent cité énoncé dans la décision Cepeda-Gutierrez, au paragraphe 17, n’est pas incompatible avec l’arrêt Florea. Dans la décision Cepeda-Gutierrez, au paragraphe 17, la Cour déclare ce qui suit :

Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée “ sans tenir compte des éléments dont il [disposait] ” : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[44]  Le principe invoqué – à savoir que l’on peut tirer des conclusions du défaut du décideur de mentionner d’importants éléments de preuve − doit aussi être examiné dans le contexte de l’orientation générale découlant de la décision, qui confirme également que les motifs du décideur ne doivent pas être examinés à la loupe et que le décideur n’est pas tenu de faire référence à chaque élément de preuve dont il est saisi qui est contraire à ses conclusions ni d’expliquer comment il a traité ces éléments de preuve (au paragraphe 16).

[45]  Dans Rahal, la juge Gleason explique le principe au paragraphe 39 et mentionne que la décision Cepeda­Gutierrez « dit exactement [...] que le tribunal n’est pas tenu de renvoyer à chaque élément de preuve; ce n’est que lorsque l’élément de preuve non mentionné est important et contredit la conclusion du tribunal que la cour de révision peut décider que le tribunal n’a pas tenu compte des éléments dont il disposait ».

[46]  En l’espèce, la SPR disposait de nombreux éléments de preuve pour étayer sa conclusion. Bien qu’elle n’ait pas mentionné la lettre du médecin, les photographies ou l’adhésion de la demanderesse au centre 519, il est présumé que la SPR a examiné tous les éléments de preuve; or, ces éléments ne contredisent pas clairement ses conclusions selon lesquelles la demanderesse n’est pas crédible, que la majeure partie des éléments de preuve qu’elle a produits semblent frauduleux et, donc, que la demanderesse n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de sa demande. De plus, ayant conclu que la demanderesse était dans l’ensemble peu crédible, d’après son témoignage et les principaux éléments de sa preuve documentaire, la SPR était justifiée d’étendre cette conclusion à tous les autres éléments de preuve (Hohol, au paragraphe 19).

[47]  Il est reconnu qu’il n’est pas toujours simple d’établir l’orientation sexuelle, car c’est une question très personnelle et que, selon le milieu de vie, vivre son orientation sexuelle ouvertement peut exposer une personne à des risques. Les décideurs sont donc généralement réticents à imposer un fardeau de présentation irréaliste pour établir l’orientation sexuelle. Quoi qu’il en soit, il doit y avoir des éléments de preuve crédibles pour corroborer une telle allégation, sans oublier les éléments de preuve sur la situation dans le pays en cause permettant d’établir la persécution. Il n’est pas suffisant de présenter les uns sans les autres.

[48]  Comme le souligne le juge Manson dans la décision Hohol, au paragraphe 21 :

[21]  En outre, le témoignage sous serment est présumé véridique si aucune raison ne justifie de douter de sa véracité. De plus, un manque d’éléments probants sur l’orientation sexuelle d’une personne, en soi et en l’absence de conclusions négatives rationnelles sur la crédibilité ou la plausibilité liées à la question, ne suffit pas pour révoquer la présomption de véracité (Sadeghi-Pari c Canada (MCI), 2004 CF 282 au par. 38).

[49]  En l’espèce, la présomption de véracité du témoignage de vive voix a été réfutée. La SPR a jugé, de manière raisonnable, que les éléments de preuve présentés par la demanderesse pour appuyer sa demande n’étaient pas dignes de foi. Elle a mentionné que le témoignage de la demanderesse était vague : la demanderesse n’a pu décrire sa relation même si elle alléguait qu’il s’agissait de la plus importante relation qu’elle ait vécue et que celle-ci durait depuis plus de deux ans; la SPR a aussi jugé que le témoignage de la demanderesse semblait avoir été répété; la demanderesse n’a présenté qu’une série de messages sur « Whats App » envoyés par Sheila après son arrivée au Canada et elle n’a fourni que quelques photos de Sheila. La SPR n’a pas été convaincue par la raison fournie par la demanderesse pour expliquer pourquoi Sheila n’avait pas été appelée comme témoin. La demanderesse ne peut alléguer que la Commission « a renoncé » à son droit de la citer comme témoin. Il incombait à la demanderesse d’établir le bien-fondé de ses allégations.

[50]  Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la lettre de Sheila ne décrit pas une relation homosexuelle intime. Sheila avait peut-être des raisons d’agir ainsi, mais aucune n’a été fournie. La SPR n’a pas commis d’erreur en concluant que cette lettre n’est pas suffisante pour confirmer l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle entretenait une relation homosexuelle avec Sheila.

[51]  En ce qui concerne la plaidoirie de la demanderesse voulant que les nouveaux affidavits réfutent la conclusion de la SPR concernant les timbres frauduleux sur les documents précédents, cette preuve n’est pas admissible. La décision de la SPR doit être examinée en regard du dossier qui lui a été présenté; or, ces récents affidavits n’en faisaient pas partie. Le caractère raisonnable de la décision de la SPR doit être évalué en fonction des éléments de preuve dont la SPR a été saisie.

[52]  Contrairement aux prétentions de la demanderesse qui allègue qu’elle aurait dû avoir la possibilité de répondre aux conclusions concernant les documents frauduleux, la jurisprudence (Dimgba) citée par la demanderesse porte sur la décision d’un agent des visas qui a refusé une demande de permis de travail sur la base de la preuve documentaire, sans qu’il y ait d’audience. Dans la décision Dimgba, la demanderesse avait fait valoir que cela constituait un manquement à l’obligation d’équité procédurale. Le contexte, les faits et les questions en litige en l’espèce sont très différents.

[53]  De plus, en l’espèce, la jurisprudence établit que les éléments de preuve qui n’ont pas été portés à la connaissance du décideur ne sont pas admissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, sauf s’ils font partie des exceptions suivantes : les éléments de preuve sont déposés pour étayer le contexte; pour appuyer une allégation de manquement à l’équité procédurale ou pour faire ressortir l’absence de preuve (Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux paragraphes 19 et 20, [2012] ACF n93 (QL)).

[54]  Aucune allégation de manquement à l’équité procédurale n’a été formulée en l’espèce; il n’y a donc pas eu manquement. La demanderesse a eu droit à deux audiences devant la SPR et on lui a également accordé plus de temps pour réunir des éléments de preuve pour répondre à des questions précises soulevées par la Commission. Durant les audiences, la SPR a fait part à la demanderesse de ses préoccupations au sujet de la preuve, notamment concernant les timbres et les sceaux, mais elle n’a pas été satisfaite des explications que la demanderesse lui a fournies.

[55]  Une conclusion selon laquelle une demande est manifestement infondée n’est pas prise à la légère. La demanderesse n’a pas expressément soulevé le caractère raisonnable de cette autre conclusion. Quoi qu’il en soit, cette conclusion est justifiée, compte tenu des circonstances.

VII.  Aucune question n’est certifiée

[56]  La demanderesse a proposé deux questions à certifier : le commissaire de la SPR est-il un expert dans l’évaluation de l’authenticité des documents?; et le commissaire de la SPR peut-il déterminer qu’un document n’est pas authentique, en se basant uniquement sur le timbre qui y est apposé, sans autre preuve?

[57]  Ces questions ne satisfont toutefois pas au critère des questions à certifier. Il existe une abondante jurisprudence sur la question de l’évaluation par la SPR des éléments de preuve documentaire, dont la décision Jacques. Les questions proposées portent uniquement sur les faits en l’espèce. De plus, les réponses ne régleraient pas la présente affaire. La SPR a fourni plusieurs justifications à l’appui de sa conclusion selon laquelle la demanderesse n’a pu démontrer le bien-fondé de sa demande, ainsi que de ses conclusions relatives à la crédibilité, et ces conclusions commandent une grande déférence.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4742-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Catherine M. Kane »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4742-17

 

INTITULÉ :

DOREEN OUCHORO KAHUMBA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 mai 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 mai 2018

 

COMPARUTIONS :

Matthew Tubie

Dennis Olwedo

 

Pour la demanderesse

 

Lorne McClenaghan

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Olwedo Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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