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Date : 20180529


Dossier : IMM-4154-17

Référence : 2018 CF 555

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2018

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

ERIC KHOKHAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du 15 septembre 2017 (la décision) par laquelle un agent principal d’immigration (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire présentée par le demandeur en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi ou la LIPR).

[2]  Comme je l’expliquerai en détail ci-dessous, la demande est rejetée au motif que le demandeur n’a pas fait la démonstration que l’agent a rendu une décision fondée sur un critère inapproprié et que, ce faisant, sa décision est déraisonnable.

II.  Énoncé des faits

[3]  Le demandeur, Eric Khokhar, âgé de 45 ans, est un citoyen du Pakistan de confession chrétienne. Sa femme est également originaire du Pakistan, mais elle est aujourd’hui une citoyenne canadienne. Les 3 filles du couple, âgées de 11, 10 et 7 ans, sont nées au Canada. M. Khokhar a vécu au Pakistan jusqu’en février 1989, puis il a déménagé aux États-Unis sous un nom d’emprunt. Il a été arrêté pour divers chefs d’accusation, allant du délit de conduite désordonnée à celui de voies de fait graves, et il a finalement été expulsé après avoir plaidé coupable à un délit grave impliquant la décharge d’une arme à feu en 1998.

[4]  M. Khokhar affirme qu’il a été très actif au sein de son église après son retour au Pakistan et que ces activités ont attiré l’attention sur lui de groupes musulmans intégristes, pour qui il est devenu une cible à compter de 2001. Il a pris la décision de s’enfuir du Pakistan en 2002 et, après un séjour aux États-Unis, il est venu au Canada, où il a demandé l’asile en 2003. M. Khokhar n’a pas dévoilé l’entièreté de ses antécédents en matière d’immigration aux États-Unis, et notamment qu’il y avait un casier judiciaire et qu’il avait changé d’identité. L’asile lui a été accordé en 2003, et il a obtenu son statut de résident permanent en 2005. Sa femme l’a rejoint au Canada en 2006.

[5]  En 2009, le couple a eu une querelle de ménage. M. Khokhar a par la suite été arrêté et il a plaidé coupable à une accusation d’agression armée. Il a été condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis après que sa femme eut déclaré qu’elle ne craignait pas pour sa sécurité et qu’elle souhaitait que son mari rentre à la maison. La police a pris connaissance du récit complet des antécédents en matière d’immigration de M. Khokhar aux États-Unis après cette nouvelle condamnation. En 2012, au motif que le demandeur avait fait des déclarations trompeuses, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) a demandé la révocation de son statut de réfugié. La demande du ministre a été accueillie, et une ordonnance de renvoi ainsi qu’une mesure d’expulsion ont été prises à son encontre en 2012 et 2013 respectivement. M. Khokhar a déposé des demandes d’évaluation des considérations d’ordre humanitaire et d’examen des risques avant renvoi en 2014, qui ont été refusées toutes les deux. Sa seconde demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, déposée en 2016, a été refusée dans le cadre de la décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

III.  Questions en litige

[6]  Le demandeur soumet les questions suivantes à l’examen de la Cour :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte de l’intérêt supérieur des trois enfants du demandeur?

  3. L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte des difficultés auxquelles seront confrontés le demandeur et sa famille si jamais ils sont séparés, et en appliquant un critère inapproprié pour apprécier les difficultés qui attendent le demandeur s’il retourne au Pakistan?

  4. L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale en se fondant sur une preuve documentaire tirée du Cartable national de documentation sur le Pakistan, qui n’a été ni fourni ni divulgué au demandeur, pour apprécier les difficultés qui attendent le demandeur s’il retourne au Pakistan?

  5. L’agent a-t-il commis une erreur dans son appréciation de l’établissement du demandeur au Canada?

[7]  Je souligne que la question au sujet de l’équité procédurale, la quatrième de la liste, a été soulevée pour la première fois par l’avocate de M. Khokhar lors de l’audience portant sur la présente demande. Conséquemment, le ministre a demandé à la Cour de ne pas examiner ladite question.

IV.  Analyse

A.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[8]  La norme de la décision correcte s’applique au contrôle de la question de l’équité procédurale évoquée ci-dessus. Pour ce qui est des autres questions, M. Khokhar est d’avis que la norme de la décision raisonnable et celle de la décision correcte s’appliquent toutes les deux compte tenu de ses arguments sur le fond de la décision. Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable et il soulève divers arguments à l’appui de cette thèse, mais il estime par ailleurs que pour certains éléments de la décision, l’agent n’a pas appliqué le bon critère juridique, et que ses arguments à cet égard commandent la norme de la décision correcte.

[9]  Pour sa part, le ministre estime que l’examen de la décision et de l’ensemble des arguments de M. Khokhar doit se faire selon la norme de la décision raisonnable.

[10]  Je suis d’accord avec M. Khokhar à ce sujet. Normalement, c’est le caractère raisonnable qui est examiné dans le cas d’une décision concernant une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, mais je conviens qu’il faut appliquer la norme de la décision correcte pour déterminer si un agent a fondé sa décision sur le critère approprié (voir notamment Lopez Segura c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 894, au paragraphe 27). Je vais donc appliquer la norme de la décision correcte pour apprécier les arguments de M. Khokhar comme quoi l’agent n’a pas appliqué le bon critère, et la norme de la décision raisonnable au reste de la décision.

B.  L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte de l’intérêt supérieur des trois enfants du demandeur?

[11]  M. Khokhar soutient que l’agent a appliqué un critère inapproprié notamment à son appréciation de l’intérêt supérieur des enfants. Lors de l’audience relative à la présente demande, quand on lui a demandé à quel critère inapproprié M. Khokhar faisait allusion au juste, son avocate a répondu que l’agent avait apprécié l’intérêt supérieur des enfants en tenant pour acquis que M. Khokhar serait renvoyé du Canada. M. Khokhar se fonde sur plusieurs précédents de notre Cour pour étayer sa thèse comme quoi il ne s’agit pas de la bonne démarche pour apprécier l’intérêt supérieur des enfants (voir Ondras c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 303, au paragraphe 11; Yuan c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 578, au paragraphe 29; Kobita c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1479 [Kobita], au paragraphe 52; Jimenez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 527, au paragraphe 27; Ndlovu c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 878 [Ndlovu], au paragraphe 20).

[12]  Dans ces précédents, il est tranché qu’il est déraisonnable pour un agent d’apprécier l’intérêt supérieur des enfants sans prendre en compte à la fois la possibilité qu’un demandeur soit renvoyé du Canada ou qu’il soit autorisé à y demeurer, que les enfants touchés quittent le Canada ou y restent, et les conséquences sur les enfants et leur intérêt supérieur. À mon avis, ces décisions ne donnent aucune directive quant au critère juridique qui doit ou ne doit pas être appliqué pour apprécier l’intérêt supérieur des enfants. Elles ne sont d’aucune utilité à M. Khokhar pour me convaincre que l’agent a appliqué un critère inapproprié à sa demande. Je ne trouve par ailleurs aucune autre raison de conclure que l’agent aurait appliqué un critère inapproprié dans le cadre de son appréciation de l’intérêt supérieur des enfants.

[13]  Les précédents précités ne me justifieraient pas non plus de qualifier cette appréciation de déraisonnable. L’agent a retenu l’affirmation de M. Khokhar selon laquelle sa femme et ses enfants resteraient au Canada s’il retournait au Pakistan, et il a donc procédé à une analyse des conséquences de ce retour pour les enfants. Ce sont les conséquences qu’on a demandé à l’agent d’examiner. Rien ne permet de penser qu’il aurait de lui-même présumé que la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire se conclurait par un renvoi du Canada.

[14]  J’ai aussi examiné les autres arguments de M. Khokhar au sujet de l’appréciation de l’intérêt supérieur des enfants pour déterminer s’ils pouvaient ébranler une conclusion de raisonnabilité de la décision. M. Khokhar fait valoir que l’agent n’a pas été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants, que l’appréciation de l’intérêt supérieur des enfants tient à peine sur quelques paragraphes dans une décision de six pages, et que celle-ci n’a pas tenu compte des affidavits détaillés que sa femme et lui ont soumis, de même que d’autres éléments de preuve démontrant la proximité entre les membres de la famille ainsi que leur dépendance économique à l’égard du demandeur. Le demandeur souligne en outre que, contrairement aux attentes, aucune compassion ne transparaît de la décision relative à sa demande pour motifs humanitaires.

[15]  L’agent a conclu que les éléments de preuve à sa disposition étaient insuffisants pour étayer l’argument de M. Khokhar comme quoi la santé ou la sécurité des enfants risquaient de souffrir de son absence. Malgré tout, l’agent a reconnu que M. Khokhar participait activement à la vie de ses enfants et que son absence risquait de desservir leur intérêt. Il a par conséquent souligné que son analyse accorderait un poids considérable au facteur de l’intérêt supérieur des enfants. Je suis conscient que le thème de l’intérêt supérieur des enfants occupe seulement quatre paragraphes dans la décision, mais je ne puis conclure pour autant que l’agent a fait une analyse superficielle, voire qu’il a fait abstraction des éléments de preuve soumis par M. Khokhar. Au contraire, l’agent a admis que les enfants risquaient d’être perturbés si M. Khokhar retournait au Pakistan, et il a effectivement accordé un poids considérable à ce facteur en faveur de M. Khokhar. Ce choix indique que l’agent a été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants, comme le lui demande la jurisprudence.

[16]  Finalement, après avoir tenu compte de ce facteur et de tous les autres dont il sera question plus loin, l’agent a accordé plus de poids à ce qu’il décrit dans la décision comme étant [[traduction]] « les condamnations pénales, ainsi que la malhonnêteté et l’irrespect patents de M. Khokhar à l’égard des lois canadiennes en matière d’immigration ». L’agent a par conséquent refusé d’accorder une exemption pour des considérations d’ordre humanitaire. Cette conclusion ne signifie nullement que l’agent a manqué à son devoir de compassion, mais plutôt que les considérations d’ordre humanitaire ne l’emportent pas sur les autres facteurs qui jouent en défaveur de la demande en l’espèce. Il était tout à fait loisible à l’agent de mettre en balance tous les facteurs pertinents d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, et il n’est pas demandé à la Cour d’intervenir dans sa décision.

[17]  En bref, rien dans son appréciation de l’intérêt supérieur des enfants ne me permet de douter que l’agent a rendu une décision raisonnable.

C.  L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte des difficultés auxquelles seront confrontés le demandeur et sa famille si jamais ils sont séparés, et en appliquant un critère inapproprié pour apprécier les difficultés qui attendent le demandeur s’il retourne au Pakistan?

[18]  L’agent s’est penché sur les difficultés qui pourraient attendre M. Khokhar au Pakistan en raison de ses convictions chrétiennes. Selon l’agent, les chrétiens sont généralement autorisés à pratiquer leur foi au Pakistan, où des mesures ont été prises par l’État pour protéger les chrétiens et des recours efficaces mis à leur disposition. Les personnes qui font du prosélytisme et se convertissent au christianisme sont plus exposées à la persécution, alors que celles qui viennent de milieux socioéconomiques défavorisés sont plus susceptibles de subir de la discrimination. Or, a conclu l’agent, M. Khokhar n’appartient à aucun de ces groupes : il est chrétien de naissance, il a reçu une éducation formelle et sa famille a une bonne réputation. L’agent a estimé que les allégations de persécution dont M. Khokhar aurait été victime sont vagues et non étayées par les éléments de preuve, lesquels ont été jugés succincts, conjecturaux ou autrement inadéquats. L’agent a de plus considéré que les renseignements fournis ne permettaient pas de conclure que M. Khokhar rencontrerait des difficultés en raison de ses croyances religieuses.

[19]  M. Khokhar prétend de nouveau que l’agent a appliqué un critère inapproprié dans son analyse des difficultés auxquelles sa famille et lui seraient exposés s’il retourne au Pakistan, mais rien dans le dossier ne me porte à tirer cette conclusion. En fait, les arguments avancés par M. Khokhar ont trait au caractère raisonnable de la décision. Plus particulièrement, il prétend que dans son analyse des difficultés auxquelles l’exposerait un retour au Pakistan, l’agent s’est contenté d’évaluer les risques de discrimination ou de persécution liés à sa foi chrétienne. Jamais il ne s’est intéressé aux conséquences d’une séparation de sa famille, d’une interruption de carrière ou du fait pour lui de retourner dans un pays avec lequel il n’a plus vraiment de lien.

[20]  M. Khokhar a raison d’affirmer que l’analyse des difficultés auxquelles il serait exposé porte essentiellement sur le traitement des chrétiens au Pakistan. C’est pourtant ce qui est demandé à l’agent d’examiner dans les observations soumises à l’agent à l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Ces observations énoncent les facteurs d’ordre humanitaire pertinents : l’intérêt supérieur des trois enfants canadiens du demandeur; l’établissement de celui-ci au Canada, ainsi que les difficultés indues, injustifiées et démesurées auxquelles ses croyances personnelles et familiales l’exposeraient au Pakistan. Les observations soumises par M. Khokhar pour étayer ses prétentions comme quoi sa foi l’exposait à des difficultés font état de ses expériences personnelles comme chrétien et renvoient à divers éléments de preuve documentaire attestant que les chrétiens sont victimes de discrimination et de persécution au Pakistan. Il n’était donc pas déraisonnable que la décision se fonde sur une évaluation des difficultés qui attendent M. Khokhar qui tient compte de ces éléments de preuve et de ces observations.

[21]  Je ne trouve pas non plus déraisonnable l’appréciation que l’agent a faite de la preuve. Bien que son avocate n’ait pas insisté sur ces arguments dans sa plaidoirie, les observations écrites de M. Khokhar mettent en doute la manière dont l’agent a traité la preuve. Cependant, l’analyse et les conclusions de l’agent appartiennent à un éventail d’issues acceptables selon la norme de la décision raisonnable.

D.  L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale en se fondant sur une preuve documentaire tirée du Cartable national de documentation sur le Pakistan, qui n’a été ni fourni ni divulgué au demandeur, pour apprécier les difficultés qui attendent le demandeur s’il retourne au Pakistan?

[22]  Lors de l’audience relative à la présente demande de contrôle judiciaire, l’avocate de M. Khokhar a soulevé une question concernant l’appréciation des difficultés qui était absente des observations écrites soumises lors de la conférence préparatoire. L’avocate de M. Khokhar a souligné que dans sa décision, l’agent se fonde sur des éléments de preuve documentaire tirés du Cartable national de documentation sur le Pakistan que M. Khokhar n’a pas produits et qui ne lui ont pas été divulgués avant la notification du dossier certifié du tribunal dans le cadre de la présente demande. Celui-ci estime qu’il s’agit d’un manquement à l’équité procédurale.

[23]  Lors de l’audience, l’avocate représentant le ministre a demandé à la Cour de ne pas examiner cette nouvelle question, mais elle s’est quand même dite disposée à l’aborder si la Cour y tenait. J’ai sursis au prononcé de ma décision sur l’examen de cette question, mais j’ai demandé aux avocates de me soumettre leurs observations.

[24]  Bien que je convienne avec le ministre que M. Khokhar aurait dû énoncer ladite question dans la preuve écrite soumise avant l’audience, j’ai néanmoins constaté que son avocate a été en mesure d’en faire une analyse substantielle lors de l’audience, et je préfère pour ma part aborder la question sur le fond. Je parviens à la conclusion que l’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale en se fondant sur le contenu du Cartable national de documentation sur le Pakistan, accessible au public, pour apprécier les arguments de M. Khokhar selon lesquels les chrétiens rencontrent des difficultés et sont la proie de persécution dans ce pays (voir Chandidas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 257, aux paragraphes 28 à 30; Kamps c. Canada (Défense nationale), 2018 CF 430, au paragraphe 31).

E.  L’agent a-t-il commis une erreur dans son appréciation de l’établissement du demandeur au Canada?

[25]  Pour ce qui a trait à l’établissement de M. Khokhar au Canada, il est mentionné dans la décision qu’il y réside depuis près de 14 ans, qu’il y occupe un emploi stable et qu’il y est financièrement autonome, ce qui aux yeux de l’agent milite en sa faveur. Toutefois, l’agent a conclu que la situation financière de la famille et la fréquentation par le demandeur d’un programme menant à l’obtention d’un diplôme depuis 2015 témoignent d’un établissement économique et d’une intégration dans la société canadienne somme toute assez modestes. Eu égard à sa participation à la vie communautaire, l’agent a pris connaissance des lettres attestant que M. Khokhar fréquentait régulièrement l’église et qu’il avait bonne réputation. Cela dit, l’agent a jugé que les lettres étaient avares de détails quant à la nature et à l’importance de ses activités, et il a conclu par conséquent qu’elles témoignaient d’une participation modeste à la vie communautaire. Dans son appréciation ultérieure des facteurs déterminants de sa décision, l’agent fait de nouveau allusion au fait que la preuve indique un degré d’établissement modeste, et il a accordé peu de poids à ce facteur.

[26]  L’avocate de M. Khokhar a tout d’abord fait valoir que l’agent avait appliqué un critère inapproprié pour apprécier l’incidence de son établissement au Canada sur sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Lorsque j’ai demandé à son avocate de m’indiquer quel était ce critère inapproprié, elle a répondu que l’agent aurait dû prendre en considération l’ensemble des éléments de preuve et procéder à une analyse raisonnée à partir de ceux-ci. L’avocate de M. Khokhar a alors concédé que ces arguments portent sur le caractère raisonnable de la décision plutôt que sur la justesse du critère appliqué. Je souscris à cette qualification des arguments, et je les ai conséquemment soumis à la norme de la décision raisonnable.

[27]  Se fondant sur les décisions rendues par notre Cour dans les affaires Chandidas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 258, au paragraphe 80, et Ndlovu, au paragraphe 14, M. Khokhar soutient qu’il était déraisonnable de la part de l’agent d’exiger, sans autre explication, un degré extraordinaire d’établissement. Il cite également ma propre décision dans l’affaire Chakanyuka c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 313, à l’issue de laquelle la Cour a accueilli une demande de contrôle judiciaire d’une décision relative à une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire notamment parce que l’agent, après avoir relevé plusieurs facteurs positifs, a malgré tout conclu que ces considérations ne justifiaient pas une dispense.

[28]  Je ne puis conclure que l’agent a commis une erreur de la nature décrite dans ces précédents. Sa décision ne laisse pas croire qu’il avait posé que le degré d’établissement devait être extraordinaire pour justifier une dispense fondée sur des considérations humanitaires. L’agent a plutôt conclu que le degré d’établissement était modeste, et il a expliqué cette conclusion en faisant valoir la situation financière de la famille, les efforts relativement récents de M. Khokhar pour parfaire ses compétences, et le peu d’information fournie pour expliquer la nature et l’importance de la participation de la famille à la vie communautaire. Qui plus est, l’agent expose très clairement pourquoi, à ses yeux, les facteurs positifs ne suffisent pas pour accorder une dispense dans un paragraphe à la fin de sa décision :

[traduction] Pour ce qui concerne l’établissement, je conclus que les éléments de preuve indiquent qu’il était modeste et, conséquemment, j’accorderai peu de poids à ce facteur. Je suis conscient que le demandeur est l’unique gagne-pain de la famille et que sa femme pourrait être aux prises avec les difficultés qui sont le lot des familles monoparentales, et notamment des difficultés émotionnelles et financières. Je reconnais aussi que le demandeur fait partie intégrante du quotidien de ses trois filles et que, ce faisant, son absence pourrait se répercuter négativement sur leur intérêt supérieur. En revanche, j’accorde plus de poids aux condamnations criminelles du demandeur et à sa malhonnêteté ainsi qu’à son manque de respect à l’égard des lois canadiennes en matière d’immigration.

[29]  Il ressort clairement de ce paragraphe que, en dépit des facteurs positifs qui militent en faveur de M. Khokhar, ils ne l’absolvent pas de son comportement criminel et de ses fausses déclarations.

[30]  M. Khokhar allègue qu’une appréciation des considérations d’ordre humanitaire réalisée en application de l’article 25 de la LIPR ne peut aller à l’encontre de son objet, qui est de prévoir la possibilité d’une dispense relativement à l’interdiction de territoire. Je souscris à cet argument, et je souligne au passage que le demandeur rappelle que la juge Kane insiste sur cet aspect dans la décision Kobita. Aux paragraphes 29 à 31, la juge Kane explique que même si la jurisprudence a établi qu’un examen des considérations d’ordre humanitaire doit prendre en compte les fausses déclarations, et que même si le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve examinée par un agent, il convient toutefois d’examiner si les fausses déclarations du demandeur ont été déterminantes de l’exclusion des autres facteurs.

[31]  Cela étant dit, il m’est impossible de conclure que la décision sous contrôle soulève les mêmes réserves que la décision Kobita. Dans son analyse, l’agent ne fait pas abstraction des autres facteurs invoqués par M. Khokhar à l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Ils ont été examinés et mis en balance avec les actes criminels commis par le demandeur et ses fausses déclarations.

[32]  M. Khokhar soutient de plus qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de se concentrer sur son passé criminel en faisant abstraction des éléments qui en atténuent la gravité, c’est-à-dire les remords exprimés, sa réadaptation, le faible risque de récidive et l’absence de peine d’emprisonnement pour l’infraction criminelle commise au Canada.

[33]  Dans sa décision, l’agent donne une liste des facteurs justifiant l’interdiction de territoire de M. Khokhar, y compris ses fausses déclarations, une infraction qualifiée impliquant la décharge d’une arme à feu aux États-Unis et qui lui a valu une peine de 4 ans d’emprisonnement, ainsi qu’une condamnation au Canada en novembre 2009 pour agression armée pour laquelle il a été condamné à une peine avec sursis, une détention présentencielle de 32 jours, 2 années de probation concurrente, et reçu une ordonnance d’interdiction de 19 ans. Dans son analyse des observations de M. Khokhar, l’agent se prononce comme suit :

[traduction] L’avocate allègue que les condamnations au criminel prononcées contre le demandeur aux États-Unis remontent à plus de 20 ans, et qu’il éprouve des remords d’avoir fait de fausses déclarations au sujet de la vie qu’il y a vécue et menti au sujet de ses condamnations. Elle ajoute que la seule autre condamnation du demandeur lui a été infligée après une querelle avec sa femme en 2009, et qu’il avait plaidé coupable à plusieurs chefs de violence conjugale liés à cette unique querelle. Je compatis aux remords du demandeur et je conviens avec l’avocate que beaucoup de couples ont des « hauts et des bas ». Cependant, je ne crois pas que ces facteurs exonèrent le demandeur de sa responsabilité criminelle, d’autant plus que ses délits sont graves. Je rappelle que le demandeur a été condamné à des peines d’emprisonnement, dont l’une était de quatre ans aux États-Unis, ce qui en dit long sur la gravité des gestes commis.

[34]  Ces passages de la décision démontrent que l’agent a bien compris les arguments de M. Khokhar quant aux remords éprouvés et à sa réhabilitation, de même que les peines d’emprisonnement et autres qui lui ont été infligées, tant aux États-Unis qu’au Canada. Je ne trouve aucune raison de conclure que l’agent a refusé la demande de M. Khokhar fondée sur des considérations d’ordre humanitaire par suite d’un traitement déraisonnable de ses antécédents criminels et de ses fausses déclarations.

V.  Conclusion

[35]  En résumé, M. Khokhar ne m’a pas convaincu que l’agent a appliqué un critère inapproprié ni que sa décision est déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier aux fins de l’appel, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4154-17

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4154-17

INTITULÉ :

ERIC KHOKHAR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 mai 2018

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 29 mai 2018

COMPARUTIONS :

Preevanda K. Sapru

Pour le demandeur

Veronica Cham

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Preevanda K. Sapru

Avocate

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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